"Vurt", de Jeff Noon
NOON (Jeff), Vurt, [Vurt], traduit de l’anglais par Marc Voline, [s.l.], La Volte, [1993] 2006, 348 p.
Il y a maintenant pas mal de temps de cela, rappelez-vous (si vous le voulez bien), je vous avais vanté les mérites de l’excellent recueil de nouvelles (etc.) Pixel Juice de Jeff Noon, paru aux décidément recommandables éditions de La Volte. Je m’étais alors promis de lire les romans du Monsieur, c’est-à-dire et dans l’ordre Vurt, Pollen et NymphoRmation. Un créneau s’est présenté, que je me suis empressé de saisir, et hop ! va pour Vurt.
L’histoire se déroule comme de bien entendu à Madchester-Manchester, dans ce que l’on supposera être un futur proche. Là, les gens sont accros aux plumes Vurt, la meilleure des drogues. On se les met au fond de la gorge, et hop ! Direction l’univers vurtuel, le pays des rêves, le pays des merveilles. Il y a des plumes banales, les bleues inoffensives, les roses pornographiques, mais il y a aussi les noires plus perturbantes, et surtout, surtout, les jaunes, les plus puissantes. Mais comme le dit Maître Chat, notre guide dans le Vurt qui interrompt régulièrement le cours du roman pour nous donner quelques salutaires explications sur ce que c’est au juste que cette chose-là et sur l’argot qui va avec, « Soyez prudents, soyez très très prudents ».
Car il peut y avoir un prix à payer. Le Vurt, monde du rêve, capture parfois les rêveurs et les empêche de repartir. C’est ce qui est arrivé à Desdémone, la sœur (et plus puisque affinités) de Scribble, le héros du roman. Pour avoir tâté de la Curious Yellow, elle s’est égarée dans le Vurt ; et, pour équilibrer la balance, puisque c’est ainsi que ça marche en vertu de la loi de Hobart, Scribble a ramené du Vurt, non pas sa sœur, mais « la Chose-de-l'Espace », un alien du Vurt, un véritable concentré de Vurt…
Depuis, Scribble est obsédé par une idée fixe : retrouver une Curious Yellow pour retourner dans le Vurt avec la Chose et procéder à un nouvel échange ; il veut ramener sa sœur… Et pour ce faire, il requiert l’aide de sa bande de potes, les « chevaliers du speed » : Beetle, Bridget et Mandy, zonards accros au Vurt et aux sensations fortes, jeunes tout aussi paumés que lui.
Mais les embûches sont bien évidemment nombreuses. Outre les dangers propres au Vurt, c’est un fait que l’on ne se procure pas comme ça une Curious Yellow. Et puis il y a les flics, et cette salope de Murdoch en tête, bien décidée à coffrer les chevaliers, qu’elle suspecte à juste titre d’héberger un alien du Vurt…
La quatrième de couverture aligne les références : William Gibson, Irvine Welsh, John King, Alice au pays des merveilles… A priori, si l’on excepte la parenté évidente entre Welsh et King (génération « trash », nous dit-on), rien de très commun entre tout cela. Pourtant, toutes ces références sont parfaitement justifiées.
Et c’est bien le problème, en fait.
Je ne vous le cacherai pas plus longtemps : j’ai été très déçu par Vurt. Un premier roman, certes, lauréat néanmoins du prix Arthur C. Clarke, mais un premier roman, construit sous influence, et cela se sent.
L’influence du cyberpunk à la William Gibson est patente dès la première scène, puis, par la suite, lors de bien des séquences plus ou moins hallucinées, qu’elles fassent intervenir réalité virtuelle et délires chamaniques ou robochiens et autres post-humains (peut-être plus à la manière de Sterling, pour le coup).
L’influence d’Irvine Welsh (lisez Trainspotting) et de John King (lisez Football Factory) est encore plus flagrante, surtout celle de Welsh à vrai dire : difficile, devant les « chevaliers du speed », de ne pas penser à Renton, Sick Boy, Spud et compagnie… en moins trash, cela dit. Mais on retrouve bien la même atmosphère de jeunesse glauque et drôle à la fois, se vautrant dans la drogue, servie par une langue tour à tour poétique et crue.
Quant à l’influence de Lewis Carroll, elle est revendiquée jusque dans certains noms (ainsi d’une boite qui s’appelle le Slictueux Tove), et se ressent bien évidemment dans le nonsense des trips Vurt.
Et Noon de mélanger – non, utilisons le mot juste : de mixer – tout ça, à sa sauce, certes, mais les samples n’en sont pas moins éminemment reconnaissables. Sans doute trop pour que l’on puisse parler d’une composition originale. Ce qui est un peu dommage, tout de même. Parce que, finalement, tout cela donne, malgré le déferlement d’idées et la folie ambiante, un étrange arrière-goût de déjà-lu (en mieux…), qui n’est pas sans susciter – et assez rapidement d’ailleurs, mais je parle pour moi – une certaine lassitude.
J’ajouterai (mais là encore je ne parle que pour moi) que certains partis pris de la traduction m’ont paru critiquables – je pense notamment à l’emploi du passé simple, qui me paraît souvent bien trop soutenu, mais on va dire que je pinaille… –, et que – est-ce imputable seulement à l’auteur, ou en partie également au traducteur ? – je n’ai clairement pas retrouvé dans Vurt l’élégance stylistique de Pixel Juice…
Une déception, donc, que ce premier roman. Cela ne m’empêchera bien évidemment pas de lire sa « suite » (façon de parler, bien sûr), Pollen, que visiblement tout le monde s’accorde à considérer comme bien plus réussie. Mais, en attendant, je ne puis que constater mon manque d’enthousiasme, là où Pixel Juice me laissait augurer du meilleur…
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