Pub copinage : "Roche-Nuée", de Garry Kilworth
KILWORTH (Garry), Roche-Nuée, [Cloudrock], traduit de l’anglais par Monique Lebailly, Paris, Scylla, [1988-1989] 2015, 204 p.
Hop.
(J’avais déjà parlé de la précédente édition ici.)
KILWORTH (Garry), Roche-Nuée, [Cloudrock], traduit de l’anglais par Monique Lebailly, Paris, Scylla, [1988-1989] 2015, 204 p.
Hop.
(J’avais déjà parlé de la précédente édition ici.)
JUILLARD (Sébastien), Il faudrait pour grandir oublier la frontière, Paris, Scylla, coll. 111 111, 2015, 60 p.
Hop.
SCHMIDT (Arno), Histoires, traduction de l'allemand et postface par Claude Riehl, Auch, Tristram, coll. Souple, [1966, 2000] 2015, 174 p.
Drôle de métier que celui d'écrivain, quand même. Entre 1955 et 1959, époque de composition de ces Histoires, Arno Schmidt a déjà publié ce que l'on considère souvent comme son chef-d'œuvre, asseyant son style comme sa renommée, l'extraordinaire Scènes de la vie d'un faune. Il n'en vit pas pour autant, bien sûr, et loin de là ; il est même passablement dans la dèche, et ses rapports avec ses éditeurs sont conflictuels, ces derniers refusant de publier ses œuvres ultérieures. C'est alors qu'un ami – un Méphistophélès ? – lui fait cette suggestion saugrenue : se tourner vers les journaux et revues... et écrire des histoires – ô mon Dieu ! – « simples » et immédiatement « compréhensibles » de tous. C'est de ces papiers éparts que va naître ultérieurement ce recueil d'Histoires, effectivement – mais peut-être en apparence seulement ? – d'un abord nettement plus aisé que Scènes de la vie d'un faune, même si le dernier texte, baptisé de manière arrogante « Parasélène et yeux roses (n° 24 de la série Faust de l'auteur) », en rappelle quelque peu la manière.
Pour le reste, nous avons donc... des Histoires, « compréhensibles » et cependant plus riches qu'il n'y paraît, et certes pas dénuées d'intérêt. En fait, Arno Schmidt y déploie tout son sens du détail et de l'anecdote, autre façon d'envisager un grand écrivain, et ceci quitte à picorer dans ses propres œuvres... ou dans celles des autres (on a inévitablement parlé de « plagiat », mais le terme n'est guère approprié ; disons plutôt « recyclage »...).
On peut distinguer deux catégories dans ces Histoires : dans la première, qui occupe essentiellement le début du recueil malgré quelques retours plus tardifs, nous vivons dans la bonne société allemande réunie autour du chef géomètre Stürenburg, à la retraite, petit cénacle très XIXe siècle qui raffole de contes macabres et d'anecdotes cruelles. Ces histoires « macabres » (au sens où il y a souvent au moins un mort à la clé) sont probablement les plus « classiques » du recueil, mais elles me paraissent aussi les plus réussies ; la peinture de ce petit monde bourgeois, fait de pédants et de bigotes, est un vrai délice. On s'identifie très tôt à ces personnages hautement caricaturaux, et l'on s'immisce ainsi dans leur conversation futile, qui est cependant pour l'auteur l'occasion de déployer son savoir passionné sur la géométrie, l'astronomie, etc.
Le reste n'est certes pas négligeable pour autant. Exeunt Stürenburg et compagnie, oui, mais reste le narrateur, à l'âge fluctuant, généralement écrivain, généralement aigri, toujours dans la dèche. On tend bien évidemment à reconnaître, sous ces « déguisements » qui ne déguisent en somme rien, l'Arno Schmidt d'alors, avec ses lubies (notamment bibliophiles) et son « voyeurisme », qui en fait là encore un maître de l'anecdote. L'anodin prend vie sous la plume inspirée de l'auteur, qui se livre mine de rien, et à partir de ce quasi-rien, à des études de mœurs très fines, ou à des circonvolutions psychologiques, sociologiques, politiques, philosophiques, ce que vous voudrez.
Et puis, des fois, il se lâche malgré tout, ainsi dans « son » Faust, peut-être manière de régler ses comptes avec la littérature allemande, qui rappelle au-delà qu'Arno Schmidt n'est pas qu'un peintre d'anecdotes, mais sans doute avant tout un puissant styliste, redoutable dans son maniement iconoclaste de la langue (félicitations inévitables au traducteur Claude Riehl) ; j'aurais envie de dire « poète », du coup, mais un vrai...
Contrairement à ce que prétend la quatrième de couverture, je ne ferai pas de ces Histoires une porte d'entrée idéale pour l'œuvre d'Arno Schmidt : elles sont trop « normales »... Mais ce détour par la « normalité » n'empêche en rien ces brefs textes de constituer un recueil fort recommandable, témoignant des multiples facettes d'un écrivain de génie.
LEIBER (Fritz), Epées et démons, [Swords and Deviltry], traduit de l'américain par Jacques Parsons (et Brian Hester pour la préface), Paris, Opta – Temps Futurs – Pocket, coll. Science-fiction, [1970, 1972, 1977, 1982] 1984, 251 p.
Et là j'ai d'emblée envie de demander pourquoi.
POURQUOI ?
À l'heure où l'on nous abreuve jusqu'à plus soif, mais depuis longtemps à vrai dire, de sous-fantasy, qui trouve certes aisément preneur dans notre triste monde tragique, pourquoi certains des plus grands classiques du genre, ses meilleurs représentants, sont-ils relégués dans les tréfonds de l'inconscient fantaisiste ? On a certes fini par avoir des belles éditions des « Conan » de Robert E. Howard (et plus puisque affinités) chez Bragelonne, de « Kane » de Karl Edward Wagner en Lunes d'encre puis en Folio-SF (un terrible flop, ai-je cru comprendre), et d' « Imaro » de Charles Saunders en Mnémos... Autant de contre-exemples qui semblent démontrer que j'abuse un peu avec mon « pourquoi ». Eh. Bon, d'accord, en fait, une seule chose le « justifie » : à l'heure où j'écris ces lignes, le « cycle des Épées » de Fritz Leiber n'est pas disponible en neuf. Constat déprimant, aggravé par un début de réédition chez Bragelonne... qui n'a jamais été conduit à terme.
Et je trouve ça triste, quand même. Parce que, qu'on le veuille ou non, Fafhrd et le Souricier Gris figurent parmi les personnalités les plus notables de l'heroic fantasy (ou sword'n'sorcery, comme vous voudrez), et que Lankhmar, la métropole cosmopolite où ils séjournent régulièrement, est sans doute LA ville emblématique du genre (je ne vois qu'Ankh-Morpork pour rivaliser, dans un genre bien différent – même si je ne serais pas étonné d'apprendre que Terry Pratchett, pour le coup, s'était justement inspiré de Fritz Leiber). Avec le « cycle des Épées », classique d'entre les classiques, Fritz Leiber a donné une coloration urbaine à la fantasy, qui lui manquait jusque-là, et a mis au premier rang un semi-barbare frustré dans sa quête de civilisation (et donc à la fois un nouveau Conan, et un anti-Conan) et un apprenti magicien raté, tout deux contraints de se faire voleurs (ou parfois contre-voleurs), ce qui changeait un peu la donne, et a eu une influence considérable – sur les œuvres de fantasy ultérieures, mais aussi en matière de jeu de rôle, par exemple : si l'on prend le vénérable Donjons & Dragons, il apparaît clairement que la classe de voleur trouve ici une bonne part de son inspiration (même s'il faut y rajouter Jack Vance, notamment avec « la Terre mourante ») ; la suite, du coup...
Ce tome inaugural qu'est Épées et démons obéit, comme les volumes ultérieurs, à une chronologie interne qui n'a rien à voir avec les dates de publication (elles-mêmes potentiellement différentes des dates de composition) ; je suppose que les nouvelles ont été quelque peu retouchées en vue de leur publication en volume de la sorte.
Aussi s'agit-il d'une pure introduction, mais qui passe cependant très bien, sous la forme de trois nouvelles (assez longues dans l'ensemble). La première, « Les Femmes des Neiges », explique comment le barbare nordique Fafhrd a fui sa tribu et sa tyrannie (empruntant une forme matriarcale...), délaissant toutes ses responsabilités pour assouvir sa soif de civilisation. Dans la deuxième, « Le Rituel profané », nous nous tournons cette fois vers l'apprenti sorcier Souris, et voyons comment il devient le Souricier Gris, du fait notamment de son échec à choisir entre magie blanche et magie noire (on peut d'ores et déjà noter que par la suite, pour ce que j'en ai lu, la dimension « magique » du personnage est un peu mise de côté, tandis qu'il devient surtout un archétype de voleur).
Les deux héros souffrent grandement dans ces deux nouvelles, qui ne leur épargnent rien, physiquement comme psychologiquement. Mais il y trouvent aussi tous deux l'amour... Un amour qui ne saurait être que tragique, comme le dévoile le titre de la dernière nouvelle, « Mauvaise Rencontre à Lankhmar », qui introduit, dans une débauche de magnificence comme de caniveaux débordant de fange, la métropole de la Toge Noire, la plus grande ville de Newhon. Mais quelle est au juste cette mauvaise rencontre ? Celle de Fafhrd et du Souricier Gris (la seconde, en fait, après un épisode anecdotique précédant les deux premières nouvelles) ? Celles de leurs amantes respectives ? Celle de la Guilde des Voleurs à laquelle ils s'opposent en contre-voleurs « chevaleresques » – même si, nobles intentions et ivresse mises à part, ils n'ont jamais tant ressemblé à leurs ennemis ? Celle – plus probablement – du mage employé par la Guilde, dont la brume noire et les toiles d'araignées auront des effets si terribles ?
C'est par ailleurs ce qui fait la force de ce premier tome du « cycle des Épées » : si, par la suite, l'horreur comme l'humour auront leur rôle à jouer, je retiens ici une certaine puissance tragique fort à propos, jusque dans les scènes les plus cocasses à vrai dire (car il y en a déjà), et jusque dans les scènes d'action les plus rondement menées. Autant dire que cette « vieillerie » n'a en rien vieilli...
Suite avec Épées et mort...
L'Anneau Unique : Contes et Légendes des Terres Sauvages, Ubik – Edge, 2013, 151 p.
Sauf erreur, Contes et Légendes des Terres Sauvages est le premier supplément publié en français pour L'Anneau Unique : Aventures dans les Terres Sauvages (oui, avant même l'Écran du Gardien des Légendes et Guide de la Ville du Lac ; on notera d'ailleurs qu'il n'est pas fait mention des Hommes du Lac comme origine culturelle – même chose à vrai dire dans Ténèbres sur la Forêt Noire dont je vous parlerai prochainement).
Il s'agit d'un recueil de sept scénarios, permettant d'arpenter une bonne partie des Terres Sauvages. Ils peuvent être joués soit en one-shots (surtout les premiers), soit en campagne (celle-ci prenant de plus en plus d'importance au fur et à mesure ; les derniers scénarios sont ainsi intimement liés, avec même une phase de communauté qui saute).
On m'avait vanté la qualité de la gamme de L'Anneau Unique, et ce premier véritable contact en est déjà une belle confirmation. On notera que, si le livre est un peu austère, il est par contre d'une lecture très agréable, faisant preuve d'une grande clarté dans l'expression et dans l'exposition (ce qui à mon sens faisait défaut dans le livre de base). Hormis quelques renvois au bestiaire (limité) de L'Anneau Unique, toutes les informations nécessaires sont disponibles là où elles sont le plus utiles (ce qui vaut pour les encadrés, qui ont généralement tendance à m'énerver dans la mesure où ils cassent un peu la lecture, mais ils sont ici parfaitement justifiés et toujours bien placés).
Au-delà, chose remarquable, l'esprit des romans de Tolkien est parfaitement respecté dans ce monde sauvage et rural, où les voyages abondent (mais toujours soigneusement préparés, et avec leurs périls propres), et où les rencontres, pour être rares, sont déterminantes (on notera d'ailleurs une nouvelle règle bienvenue, venant compléter la tolérance, et déterminant la réaction de l'interlocuteur).
Les sept scénarios sont en principe conçus pour être de plus en plus ardus (même si je mettrais pour ma part un bémol en ce qui concerne la fin du deuxième, un des très rares épisodes vraiment « donjonneux » de l'ensemble, qui m'a l'air assez coriace à vue de nez).
Pour le reste, on a droit à un peu de tout, mais toujours dans un esprit très tolkienien. Ce qui se ressent notamment lors des épisodes de combat les plus épiques : pas question ici de convertir de l'Orque en XP, il y en a trop et cela ne servirait à rien. Non : les joueurs doivent faire preuve de stratégie, et la fuite est une option à ne jamais négliger.
Cela dit, tout cela se rapporte aux motivations des personnages, dont la part d'Ombre peut connaître d'impressionnants sursauts les conduisant à la mélancolie...
La possibilité de jouer ces scénarios en quasi-campagne m'incite à ne pas détailler outre-mesure les différents épisodes ; en tout cas, on en a pour son argent. Je vais quand même m'autoriser un petit SPOILER pour la fin, où les personnages sont de plus en plus confrontés au Roi du Gibet, un spectre qui faisait office de tortionnaire dans les geôles de Dol Guldur, et qui incarne en partie le retour de l'Ombre dans les Terres Sauvages, jusqu'à une nouvelle bataille déterminante pour s'emparer de Dale... et plus encore, mais là je me tais.
Au final, Contes et Légendes des Terres Sauvages me fait l'effet d'un très bon recueil de scénarios, et la possibilité de le moduler en campagne est très intéressante – d'autant qu'elle peut ainsi faire office de prologue au gros machin qu'est Ténèbres sur la Forêt Noire, dont je vous causerai prochainement. On appréciera notamment combien il se montre respectueux de l'univers de Tolkien sans faire dans la servilité timide pour autant. Je n'y mettrais à vrai dire qu'un seul bémol, tout relatif : le niveau de difficulté m'a l'air assez élevé, peut-être trop... mais bon, ça s'adapte.
Prochaine étape : le Guide des Terres Sauvages.
SAMMONS (Brian M.) & BARRASS (Glynn Owen) (ed.), World War Cthulhu : A Collection of Lovecraftian War Stories, illustrations intérieures de M. Wayne Miller, Portland, Dark Regions Press, 2014, 347 p.
Ben oui, une anthologie lovecraftienne de plus. Quand je vous dis que je peux pas suivre le rythme... De temps en temps, quand même, j'en chope une, soit que j'ai un bon a priori (par exemple pour les Black Wings éditées par S.T. Joshi, voyez ici pour la troisième livraison), soit que je suis curieux – avec éventuellement une certaine dose de perversion masochiste... World War Cthulhu relève clairement de cette seconde catégorie ; je l'ai achetée sur un coup de tête – il faut dire que j'avais commencé à m'intéresser, en jeu de rôle, à Achtung ! Cthulhu, même si la présente anthologie est loin de se limiter à la Seconde Guerre mondiale – et j'avais un peu peur de ce que j'allais y trouver... Mais j'ai lu la chose quand même. Et finalement c'était pas si pire, plutôt, même, une bonne surprise...
L'idée de base de cette anthologie, assez explicite dans le sous-titre, peut paraître étrange. En effet, quoi qu'en disent les éditeurs dans leur avant-propos, l'évocation de la guerre chez Lovecraft est assez rare ; il y a bien « Le Temple », et des toutes petites choses dans « Herbert West, réanimateur », par exemple ; à la limite, « Le Cauchemar d'Innsmouth », pour son final, mais vraiment à la limite, hein (on mettra à part les affrontements entre créatures du « Mythe », comme par exemple dans Les Montagnes Hallucinées). Pas grand-chose, donc. Pourtant, l'idée de corréler le « Mythe » avec la guerre a fait florès, et c'est loin d'être la première fois que des pastiches jouent cette carte (parfois pour une réussite remarquable – lisez par exemple « A Colder War » de Charles Stross –, plus souvent sans doute pour des récits pulp anecdotiques), et ce sans même parler des jeux de rôle (il y en a un qui s'appelle justement World War Cthulhu, d'ailleurs, mais aucun lien pour ce que j'en sais). Pourquoi pas, du coup ?
… peut-être parce que le risque est grand de se retrouver avec des atrocités du genre de « Loyalty » de John Shirley, qui ouvre le présent recueil (le pire des choix !). Le contexte est celui d'une « guerre des mondes » futuriste, sans autre précision. Les humains désemparés y réveillent Cthulhu pour lutter contre les envahisseurs, quitte à passer un pacte avec le Grand Méchant Poulpesque... Si c'est pas une idée à la con, ça ; anti-lovecraftienne au possible... La filiation est très nette avec les pires récits d'August Derleth et peut-être plus encore de Brian Lumley, ce qui veut tout dire ; mais c'est peut-être encore plus (!) à côté de la plaque, et parfaitement ridicule. Je ne vous cacherai pas que la lecture de cette indicible merde m'a fait très peur pour la suite...
Par la suite, quelques textes, disons-le, sont effectivement mauvais, sans atteindre à la stupidité de « Loyalty ». Par exemple, « The Turtle » de Neil Baker, qui remonte à la guerre d'Indépendance, et bourre sa nouvelle avec un prototype de sous-marin, des Profonds, et Dagon en prime ; c'est très mauvais, et ça fonctionne d'autant moins que l'existence de ces vilaines bébêtes y est peu ou prou notoire... W.H. Pugmire, dans « To Hold Ye White Husk », donne une suite au « Temple », façon onirique (cauchemardesque, bien sûr), mais ça n'a pas grand intérêt. William Meikle traite de la Seconde Guerre mondiale dans « Broadsword », où les Mi-Gos lancent un ultimatum bourrin aux chefs d'États impliqués pour qu'ils mettent fin à la guerre (gnu ?)... et ça ne fonctionne pas, dans tous les sens du terme. Konstantine Paradias, dans « The Sinking City », se projette dans le futur, pour un nouvel assaut sur R'lyeh, et ça n'a absolument aucun intérêt. Suit immédiatement « The Shape of a Snake » de Cody Goodfellow, qui prend pour cadre la Seconde Guerre américano-mexicaine ; le lieutenant-colonel Roosevelt, futur président des États-Unis, se retrouve littéralement dans un très gros bordel ; mais c'est bourrin et assez vite lassant.
Heureusement, le reste est de meilleure tenue. Il y a bien des récits médiocres, ou sympa sans plus, mais qui se lisent... T.E. Gran remonte à la guerre d'Indépendance avec « White Feather », l'assez « joli » portrait d'un capitaine de marine qui sombre dans le blasphème après avoir découvert un ersatz d'Innsmouth ; voui, pas mal... Christine Morgan évoque la guerre de Troie dans « The Ithiliad » ; les Troyens y adorent les Grands Anciens... Amusant, sans plus ; la fin est bien, ceci dit. Les éditeurs de l'anthologie donnent ensuite « Dark Cell », un récit contemporain finalement pas si guerrier que ça, ou du moins pas de la manière dont on le conçoit d'habitude : un traître à l'IRA et un agent de la CIA s'y allient contre des tarés druidiques qui souhaitent lâcher en plein Londres des Sombres Rejetons de Shub-Niggurath ; moui, divertissant... Tim Carran évoque à nouveau la Seconde Guerre mondiale dans « The Procyon Project », où un vétéran de Guadalcanal est confronté à un plan visant à faire des Grands Anciens (mais d'abord des Mi-Gos) des armes de destruction massive, et forcément ça tourne mal ; un peu concon, mais surtout anodin... Et l'anthologie de se conclure sur « Wunderwaffe » de Jeffrey Thomas, qui prend le cadre futuriste de Punktown, l'univers créé par l'auteur, basé sur le voyage dimensionnel ; un mélange de bonnes idées, et d'autres nettement moins bonnes, pour un résultat médiocre, comme de juste.
Et puis il y a de bons textes. Stephen Mark Rainey, dans « The Game Changers », prend pour cadre la guerre du Vietnam, et livre une variation sur (entre autres) « La Couleur tombée du ciel » ; l'ambiance est chouette, et c'est plutôt bien vu. Robert M. Price, avec « The Sea Nymph's Son », nous dit toute la vérité sur l'Iliade, et notamment sur Achille, et ça passe plutôt bien. Edward M. Erdelac retourne au Vietnam dans « The Boonieman », récit parfaitement horrible (avec une touche de Clive Barker ?), et très convaincant. David Conyers & David Kernot livrent « The Bullet and the Flesh », qui a pour cadre une atroce guerre civile au Zimbabwe, avec des enfants soldats faisant face à des rejetons de Shub-Niggurath employés comme armes ; et bon appétit, bien sûr ! Autre jolie réussite, « Long Island Weird – The Lost Interviews » de Charles Christian (qui traite vaguement de la Seconde Guerre mondiale, voire d'autres conflits, mais c'est en filigrane) est un chouette délire conspirationniste à plusieurs voix, bourré de références (ce qui peut gaver, mais je trouve que là ça passe bien). Bien aimé aussi « The Yoth Protocols » de Josh Reynolds, chouette variation sur la guerre froide à partir du « Tertre », avec une belle ambiance. Lee Clark Zumpe retourne à la Première Guerre mondiale dans « A Feast of Death », qui narre le sort tragique de prisonniers britanniques en Turquie ; belle ambiance, cadre original, on regrettera quand même un peu que la fin soit aussi précipitée... L'anthologie est dédiée à C.J. Henderson, décédé peu avant sa parution, et dont on lira ici « Mysterious Ways », nouvelle qui commence à l'époque romaine, puis se poursuit de nos jours, avec un Nyarlathotep particulièrement méphistophélique, et une « fausse victime », et c'est pas mal du tout. Suit « Magna Mater » d'Edward Morris, pour la Première Guerre mondiale : une nouvelle très mystérieuse et inquiétante (traitant notamment du trésor de Rennes-le-Château), comprenant de nombreuses allusions, entre autres à Clark Ashton Smith et William Hope Hodgson, et c'est bien. « Cold War, Yellow Fear » de Peter Rawlik est une intéressante variante sur le « Signe Jaune » dans le contexte pour le moins tendu de la crise des missiles cubains. Suit immédiatement « Stragglers from Carrhae » de Darrell Schweitzer, qui se déroule en Asie mineure, à l'époque romaine, après une sévère défaite des légionnaires contre les Parthes ; ça oscille entre cauchemar horrible et farce grotesque, et c'est étonnamment bien vu.
Ben, au final, c'était pas si pire... Non, franchement, plutôt une bonne surprise. Certes, ça n'a rien d'indispensable/génial/transcendant, mais les textes plus que corrects tendent quand même à dominer. Alors, oui, il faudrait brûler tous les responsables de la publication de « Loyalty », mais en dehors de cette mauvaise première impression, le reste est satisfaisant ; on n'y trouve pas d'aussi bons textes que dans Black Wings III, par exemple, mais peu importe : oui, bonne surprise. Juste un petit regret pinailleur : tout ceci m'a paru quand même un peu trop américano-centré ; mais bon, ça va.
BANKS (Iain M.), L'Homme des jeux, [The Player of Games], traduit de l'anglais par Hélène Collon, préface de Gérard Klein, Paris, Robert Laffont – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1988, 1992, 1996] 2012, 478 p.
Retour au « cycle de la Culture » de Iain M. Banks avec L'Homme des jeux, deuxième titre de la série en VO (après Une forme de guerre), mais étrangement le premier à avoir été traduit en français. Il faut dire que nombreux sont ceux qui m'avaient présenté ce deuxième tome comme une meilleure introduction au cycle que le premier, que j'avais bien aimé, certes, mais qui m'avait laissé aussi un brin perplexe, avec son trip old school « Pirates de l'espace », et surtout sa fâcheuse tendance à tirer à la ligne, notamment lors des (nombreuses) scènes d'action. C'est malgré tout avec un a priori plutôt positif que j'ai entamé la lecture de L'Homme des jeux, espérant y trouver, sous sa couverture particulièrement hideuse, plus frontalement tout ce que je me sentais en droit d'attendre de ce cycle réputé.
Cela dit, là aussi, on fait dans la référence à des classiques de la SF – cette idée d'un jeu central au niveau politique m'a inévitablement fait penser à Philip K. Dick (Loterie solaire, Les Joueurs de Titan, voire mais c'est plus discutable Le Temps désarticulé), et donc probablement derrière à l'ignoble A.E. Van Vogt (Les Joueurs du Ā?). Une ambiance un peu différente du baroque vancien d'Une forme de guerre, mais un jeu (aha) de références tout de même, qui ne saurait sans doute être innocent.
Bon, la Culture, vous connaissez : c'est cette grand civilisation galactique ou presque, anarchisante et hédoniste, avec à sa tête, si tant est qu'elle en ait une, des intelligences artificielles ultra-balaises appelées Mentaux ; une société libérale et même libertaire, forcément pacifiste et non-hégémonique. Forcément, hein ? Sauf que c'est là que le bât blesse – ce qu'on avait déjà pu constater dans Une forme de guerre. Du coup, je n'ai pas le sentiment de spoiler quoi que ce soit ici : dans L'Homme des jeux, comme dans le précédent volume, Iain M. Banks questionne l'universalisme utopique, cette tendance profondément libérale (mais qui a essaimé ailleurs...) à vouloir, via le soft power, faire le bonheur des autres malgré eux...
Ici, nous avons donc la Culture d'un côté, et Azad de l'autre. Tout y est Azad, d'ailleurs : c'est le nom de l'empire, dont l'existence a longtemps été tenue secrète par la Culture, mais c'est aussi celui du jeu qui attribue les responsabilités les plus notables, et jusqu'à celle de l'Empereur, passé quelques « grandes années ». Tout y est Azad, donc, et le jeu décide de tout.
Ce qui en fait un jeu idéal pour Gurgeh, qui n'en avait bien sûr jamais entendu parler jusque-là. Gurgeh, il faut le dire, est un joueur-de-jeux, et un des meilleurs de la Culture – voire le meilleur. Il a pratiqué des dizaines de jeux, mémorisé règles et stratégies par centaines, et toujours ou presque trouvé le moyen de triompher.
Mais une « faute de jeu » (une gourmandise, disons) va le mettre dans le pétrin, un vilain drone menaçant de le faire chanter. Ledit drone sait que Gurgeh a été joint il y a peu par Contact, la branche de Circonstances Spéciales, sans autre précision sur ses intentions. Or notre drone, qui a été exclu en raison de son mauvais caractère de Circonstances Spéciales, entend bien réintégrer cette agence, et incite ainsi Gurgeh à accepter la mystérieuse offre de Contact.
L'offre ne reste pas mystérieuse bien longtemps, certes ; on lui demande, à lui l'humain de la Culture, d'aller participer au tournoi d'Azad (ce qui implique une absence de cinq ans, tout de même). Oh, bien sûr, en dépit de la formation accélérée que lui fournira son vaisseau durant le long voyage, il ne pourra que perdre, hein ? Sauf que Gurgeh est un sacré joueur-de-jeux ; et après quelques doutes bien légitimes, il parvient à regagner une certaine confiance en lui qui devrait lui assurer une bonne place, disons honorable, dans le classement final : une première pour un étranger en provenance d'une civilisation inconnue d'Azad.
Mais c'est qu'il joue vraiment bien, le bougre ; il ne va pas aller jusqu'à affronter l'Empereur-Régent sur son terrain, tout de même ? Si ?
Et si c'était ce que la Culture voulait dès le début ? C'est qu'elle est bien jolie, la Culture... mais elle est aussi sacrément manipulatrice. Et ambitieuse, quoi qu'elle prétende...
Bilan ? Eh bien, à l'instar d'Une forme de guerre, L'Homme des jeux est à n'en pas douter un bon roman. Il gomme un peu les traits les plus fâcheux de son prédécesseur (ça tire notamment un peu moins à la ligne, même si le livre fait son poids), tout en mettant en avant quelques belles trouvailles façon « ethno-SF », un peu à la Vance encore, mais pour le coup peut-être davantage à la Le Guin (une influence du cycle plus que probable), par exemple les trois sexes des sujets d'Azad ; on mentionnera aussi, parce que wahou, le magnifique écosystème de la Planète de feu où se conclut la partie. Les personnages sont plus ou moins intéressants (Gurgeh m'a paru assez terne, son agaçant drone-bibliothèque est autrement plus chouette, mais il en va de même de quelques-uns de ses adversaires au jeu d'Azad), le style oscille entre le banal et le bon voire très bon, l'intelligence du propos ne saurait faire de doute (même si on comprend donc vite où Banks veut en venir).
Et tout cela donne... un bon roman, oui. Mais si bon que ça ? Je n'en ai hélas toujours pas l'impression... Sur ces deux premiers volumes, le « cycle de la Culture » me déçoit un peu (sentiment à vrai dire confirmé par la suite, j'en suis au cinquième roman, et...). Il est vrai que j'en attendais beaucoup... Prochaine étape : L'Usage des armes.
Dying Earth, la Vieille Terre : Le Florilège du Jet Prismatique Excellent, tome I, Archéos – Oriflam, [2000] 2004, 48 p.
Le jeu de rôle Dying Earth, édité par Pelgrane Press, était accompagné d'une revue proposant aides de jeu et scénarios, sous le nom de The Excellent Prismatic Spray ; quand le jeu a été traduit en français par Oriflam, une sélection a été opérée dans les diverses publications de ladite revue, qui a débouché sur deux volumes appelés Le Florilège du Jet Prismatique Excellent.
On s'en tiendra au premier tome pour aujourd'hui. En une cinquantaine de pages, il comprend quatre scénarios (deux de niveau Cugel, un de niveau Turjan et un de niveau Rhialto), ainsi qu'une aide de jeu.
« Les Mermelants s'unissent ! », de Thomas Russell, est censément un scénario de niveau Cugel, même si j'aurais plutôt tendance à y voir personnellement un épisode intermédiaire entre deux scénarios plus consistants d'une « série ». Cette histoire d'animaux domestiques intelligents ne manque cependant pas de sel, et si la chute n'a rien d'exceptionnel, il y a sans doute de quoi bien s'amuser avec ceci – mais en guise de transition, donc.
« Zaramanth », de David Thomas, est un scénario de niveau Turjan (celui qui m'intéresse le moins, donc, car le cul entre deux chaises et par là même trop banal). L'aventure en elle-même – consistant en l'assaut quasi suicidaire, soit d'une caravane, soit de la demeure d'un Archi-Mage – n'a rien de très palpitant ; cependant, le cadre est très bien, fourmillant de détails pittoresques qu'il sera sans doute possible d'utiliser à meilleur escient.
« Les Phasmes », signé Robin D. Laws, le créateur du jeu, est un scénario « deux en un » destiné à des personnages de niveau Rhialto. L'auteur lui-même montre bien la difficulté que ce principe de jeu présente : les joueurs étant quasiment omnipotents, il est quasi impossible dans ces conditions d'écrire un scénario « classique » à base d'actes, de scènes, ou plus largement d'événements incontournables. L'improvisation est donc le maître-mot, ce qui explique la forme très particulière adoptée par ce scénario déployant une menace double pour les joueurs, à base de notes et autres considérations théoriques plutôt que de « passages obligés ». C'est passablement complexe, il y a du challenge pour le maître de jeu et plus encore pour les joueurs, mais c'est plutôt intéressant.
Ian Thompson signe enfin l'aide de jeu « Lumarth » et un scénario niveau Cugel qui va avec, « La Caravane d'Aktabras ». La description de la cité de Lumarth (quelque peu abîmée par Cugel lui-même dans Cugel Saga...) est intéressante, même si un peu trop succincte à mon goût (bon, c'est le format qui veut ça). On notera l'accent mis sur le quasi-fascisme moral (ou moralisme fasciste, comme vous voudrez) qui caractérise la ville en temps normal, par opposition au carnaval où, comme de juste, tout est permis ou presque. Mentionnons également qu'il y a de nouveaux Amendements (voir Le Compendium des Avantages Indispensables de Cugel) pour les résidents de longue date. Le scénario, pour sa part, est au fond très classique, et seule sa première partie correspond à mon sens pleinement aux intentions de Dying Earth ; la fin, pour sa part, est en effet plutôt donjonneuse... mais après tout, à petite dose ?
Au final, ce très bref supplément se montre assez moyen. Il contient quelques passages intéressants, mais rien d'indispensable ; on peut néanmoins y piocher des trucs amusants ici ou là... Je vous cause prochainement du tome II, en ce qui me concerne bien plus convaincant.
CHRISTIE (Agatha), Dix Petits Nègres, [Ten Little Niggers], traduit de l'anglais par Gérard de Chergé, postface de François Rivière, Paris, Librairie des Champs-Élysées – LGF, coll. Le Livre de poche, [1939-1940, 1963, 1993] 2012, 222 p.
Je me souviens encore de mes premiers émois littéraires – avant que je ne me mette à tout dévorer suite à ma découverte émerveillée du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, s'entend. Il s'agissait probablement, et tout d'abord, de L'Appel de la forêt de Jack London, puis de Vingt-Mille Lieues sous les mers (surtout) et De la Terre à la Lune de Jules Verne (par contre, en dépit de tous mes efforts, je ne suis jamais parvenu à terminer Autour de la Lune...). Mais il y eut aussi entre-temps une période durant laquelle je me suis pris d'intérêt, sinon de passion, pour les récits policiers « à l'ancienne ». C'est ainsi que mon peu de goût pour Edgar Allan Poe ne m'a pas empêché de lire et relire les aventures de C. Dupin (et en premier lieu bien sûr le Double Assassinat dans la rue Morgue), mais j'ai surtout dévoré alors les Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle (quelques-uns, en tout cas ; je me tâte, j'aimerais bien tenter la relecture un de ces jours...).
Et puis, un peu plus tard, il y a eu Agatha Christie. J'ai sans doute beaucoup moins pratiqué la « Duchesse de la Mort » que ses devanciers précités (même si j'en ai vu un certain nombre d'adaptations cinématographiques ou télévisuelles, inévitablement), mais je n'en ai pas moins été bluffé par certaines de ses plus belles réussites, sommets du genre, perfections du whodunit d'une astuce diabolique ; et là je pense avant tout au Crime de l'Orient-Express et plus encore aux Dix Petits Nègres. En fait, cela faisait longtemps que l'envie me titillait de retenter l'expérience avec ces romans (ou avec Le Meurtre de Roger Ackroyd, que, honte sur moi, je n'ai pas lu...), pour voir s'ils me feraient toujours le même effet aujourd'hui. Désœuvré, errant dans une cafeteria d'hosto, je suis il y a peu tombé sur un présentoir où une vingtaine de livres étaient proposés à la vente ; c'est-à-dire, grosso merdo, 95 % de Musso-Levy-Pancol... Mais je suis pourtant tombé par hasard sur un exemplaire de Dix Petits Nègres. L'occasion faisant le larron, j'en ai fait l'acquisition... et ai à nouveau dévoré cette merveille.
Est-il vraiment nécessaire de rappeler ici l'intrigue de ce monument du suspense ? Bon, allez, pour la forme... Dix personnes de toutes conditions (ce qui inclut deux domestiques) sont invitées à passer un séjour sur la mystérieuse Île du Nègre, sur laquelle courent les rumeurs les plus folles quant à son acquéreur et ses projets. Quoi qu'il en soit, les dix répondent présents à l'appel d'un certain A.N. O'Nyme (ben tiens...), et les voilà qui embarquent pour l'île coupée de toute civilisation. Les hôtes sont étrangement absents (…), mais tout est assuré pour que ce séjour se déroule dans les meilleures conditions. Les invités apprennent bien vite à se connaître, et à se haïr ou s'apprécier. Mais il y a cette comptine idiote des « Dix Petits Nègres » affichée dans chaque chambre, nursery rhyme morbide apparemment sans raison d'être. Et il y a ces statuettes de petits nègres dans le salon – au nombre de dix.
Tout se passe bien, jusqu'à ce qu'un gramophone se fasse entendre, qui accuse les dix personnes présentes d'avoir commis un homicide d'autant plus odieux qu'il échappe à la loi. Le jeune Marston prend cela à la rigolade, se ressert un verre... et tombe foudroyé par le poison. Il n'y aura bientôt plus que neuf statuettes... Et chacun de se mettre en piste de l'assassin : est-il extérieur au groupe, dissimulé quelque part sur l'île... ou, pire encore, fait-il partie des convives ? Horreur et paranoïa se conjuguent avec un brio inégalé tandis que les morts s'accumulent et que les statuettes disparaissent une à une. Il faudra alors se rendre à l'évidence : personne ne se tirera vivant de cette île de cauchemar...
L'intrigue, disons-le, est parfaite. Horrible de bout en bout, pourtant toujours crédible et d'une mécanique à toute épreuve, elle emporte le lecteur angoissé dans une mise à l'épreuve de la fatalité dans ce qu'elle peut avoir de plus impitoyable.
Certes, Agatha Christie n'était probablement pas une très grande styliste : on soupire parfois devant ses abus de points de suspension ou d'exclamation, ou encore son usage immodéré des italiques (clichés du suspense depuis, on trouve à vrai dire ça dans tous les thrillers ou presque...). Mais peu importe : quelle conteuse d'exception ! Une fois entamé Dix Petits Nègres, il est impossible de lâcher ce roman jusqu'au fin mot de l'histoire, merveilleusement conçue, et qui en fait bien, à n'en pas douter, un chef-d'œuvre du genre.
Mais quel genre, d'ailleurs ? Policier ? J'ai un peu de mal à user de ce qualificatif en l'occurrence ; c'est tout de même bien différent des Hercule Poirot ou Miss Marple... Nous sommes bien plutôt ici devant un thriller, voire un pur roman d'horreur ; un concitoyen m'a fait remarquer que, dans un sens, ça tenait du slasher, et je suis tout à fait d'accord...
Comme le note François Rivière dans sa postface, « le whodunit (qui a fait le coup ?) s'associe au howdunit (comment s'y est-il pris ?) dans un duel serré de l'auteur avec le lecteur, celui-ci restant bon gré mal gré soumis à l'insoutenable tension d'une dissimulation totale des manigances de l'assassin ». Et c'est ainsi, en s'éloignant du whodunit pur, que « Christie réalise un autre exploit, celui de ne pas composer à proprement parler un ''roman policier'', mais un roman ne ressemblant à rien de ce qu'ont produit ses confrères et néanmoins rivaux, […] un livre inclassable mais dans lequel se reflète comme en un miroir de sorcière tout son art poétique. »
Et c'est là l'essentiel : roman à part, il est surtout d'une efficacité incroyable qui transcende les étiquettes. Et on peut bien le qualifier de chef-d'œuvre : quelque chose comme 20 ou 25 ans après ma première lecture, j'en suis ressorti à nouveau béat d'admiration pour l'art de l'auteur (tout en disposant d'un recul que je n'avais certes pas gamin). Pas dit qu'ils soient très nombreux, les livres (a fortiori dits « populaires ») à même de faire cet effet... Dix Petits Nègres est une leçon virtuose, le thriller ultime, celui que trop d'écrivaillons cherchent à copier, sans jamais pouvoir l'égaler. Ils ont encore beaucoup de boulot pour arriver à faire aussi fort...
L’Appel de Cthulhu : Le Musée de Lhomme, Sans-Détour, 2014.
À l'époque où j'ai commencé à m'intéresser au jeu de rôle, dans les années 1990, je lisais comme de bien entendu Casus Belli. Je garde de bons souvenirs de cette période. Il est vrai que je ne jouais que rarement, mais fureter çà et là me plaisait bien. Par contre, je plaide coupable, je ne me souviens guère des noms des auteurs de ce temps-là, rédacteurs de la revue ou pas. Quelques rares noms ont cependant échappé à cette descente dans le néant, parmi lesquels celui de Tristan Lhomme. Le monsieur a fait plein de choses différentes, mais il me semble qu'on l'associe quand même surtout à L'Appel de Cthulhu... auquel je ne jouais pas encore à l'époque (même si je lisais déjà Lovecraft et ses épigones). Pourquoi, dès lors, ai-je retenu ce nom ? Je n'en sais rien... Mais j'ai l'impression de l'avoir croisé régulièrement ici ou là, entouré généralement d'éloges (il y a des fans hardcore, j'en ai parmi mes gens) ; suffisamment en tout cas pour éveiller ma curiosité.
Et puis Sans-Détour, plus prolifique que jamais en matière de lovecrafteries rôlistiques (je ne peux plus suivre le rythme depuis un bail...), a annoncé la sortie prochaine d'un gros coffret reprenant sur plus de 500 pages toutes les lovecrafteries de Tristan Lhomme, sous le titre de Musée de Lhomme (ah bravo !). Et la présentation de la chose m'a fait baver ; à vrai dire, je crois que je n'avais pas autant attendu un supplément pour L'Appel de Cthulhu depuis Par-delà les Montagnes Hallucinées... Aussi, dès sa parution, j'ai acheté le monstre (sans trop gueuler pour la somme de 60 € à débourser, ça me paraît dans l'ordre des choses ; c'est avec les 109 € de Terreur sur l'Orient-Express que j'ai perdu toute ma SAN, mais je vous en causerai plus tard...).
Ce coffret comprend donc sept livrets (généralement thématiques), plus un bloc reprenant les aides de jeu (ce dont on aurait sans doute pu se passer à l'heure d'Internet, mais je ne sais pas si ça aurait représenté une véritable économie ; bon...). Le premier – avec son évocation étrangement touchante de la période Casus Belli – n'est en dehors de cela qu'une grosse table des matières.
Les choses sérieuses commencent avec le deuxième livret, « Abominations & Désolations », qui comprend quatre aides de jeu un peu à part. Et là, je tiens vraiment à adresser toutes mes louanges à la première – plutôt un article théorique, en fait –, « L'Appel de... l'inconnu », qui constitue la meilleure des introductions. Tristan Lhomme y reprend classiquement mais intelligemment ce qui a pu être dit du « Mythe de Cthulhu/Derleth », etc., pour développer ensuite de manière très fine sur le « Mythe de Petersen » (je ne m'étais jamais interrogé sur ça, mais c'est vraiment intéressant). Il pose ensuite des questions « métaphysiques » en définissant des « réponses cthulhiennes », de manière pertinente... auxquelles il oppose alors d'autres réponses possibles permettant de transcender le jeu et de le renouveler. Passionnant et très bien vu, même pour quelqu'un qui, comme votre serviteur, joue de plus en plus à « l'orthodoxe » lovecraftien (pour la forme, même si c'est sans doute intrinsèquement absurde...), et découvre ici de quoi subvertir le "Mythe" de manière pertinente. Dans « Des livres qui tuent », Tristan Lhomme donne ensuite cinq exemples très variés de « livres maudits » français (qui reviennent éventuellement par la suite). Perso, j'en ai un peu soupé des « livres maudits » à la pelle (même si c'est bien un aspect essentiel chez Lovecraft lui-même, c'est indéniable, et s'il y a de chouettes trucs dans le catalogue Necronomicon & autres ouvrages impies), que je n'ai finalement qu'assez peu utilisés en jeu (et surtout je n'ai quasiment jamais utilisé la magie)... Mais là (outre que les sorts y sont très, très limités, presque inexistants même, et par ailleurs vraiment « justifiés »), c'est vraiment très bien fait, et constitue une belle source d'inspiration. « Un petit coin d'enfer vert : la Guyane » est ensuite un joli (...) cadre de jeu, qui s'attarde essentiellement sur le bagne et renvoie pas mal à Albert Londres. C'est intéressant et bien fait. Par contre, en dépit de deux petites pistes en fin d'article, ça n'a rien de spécifiquement « cthulhien ». Reste enfin « L'Asile Saint-Gilles » : vu le temps que les investigateurs passent chez les guedins, décrire un asile était une bonne idée. Par contre, attention, si les patients présentés sont rigolos, le reste fait vraiment dans la collection de clichés gros comme moi (mais c'est le jeu, si j'ose dire). Faudra que je complète avec Dementophobia, peut-être, qui traîne toujours dans ma volumineuse pile à lire...
Le livret 3, intitulé « Horreurs du Nouveau Continent », contient des scénarios américains, pour la plupart situés dans les « classiques » années 1920. « Celui d’En-bas », pourtant, qui est si je ne m’abuse le plus vieux scénario du recueil, et le premier publié dans Casus Belli, est contemporain. C’est gentiment méchant pour le fandom lovecraftien, mais ça néglige totalement l’horreur au profit de la seule grosse blague… en plus d’être hautement prévisible. Ce n’est pas ce que je recherche. D’autant qu’il y a des goules. J’aime pas trop les trucs à base de goules. Là. « Le Maître des engoulevents » est une histoire de chantage autrement plus intéressante. Mais, même si ça se fonde sur une allusion à « L’Abomination de Dunwich », ça ne relève pas du « Mythe », mais d’un fantastique très classique (qui vient dans un sens le contredire, mais bon) qui en l’espèce ne me parle pas plus que ça... « Yacht, rafiot et liqueur d’algues » est un scénario « moyen-métrage », format qui me convient davantage. Il est assez sympa... Je n'irais pas au-delà, il me paraît tout de même surestimé ; le gros problème à mon sens est qu'il manque cruellement de liant (ce que le titre laisse déjà supposer, en même temps) : le whodunit de l’acte I est bien fait, même si un peu gratuit ; l’acte II, huis-clos à la Alien, est cool ; l’acte III, façon Innsmouth, est à mon sens totalement dispensable, et on ne peut s’y lancer que de manière très artificielle ; mieux vaut faire l’impasse, l’acte II n’appelant pas nécessairement de suite, ou en tout cas pas celle-là. « Théâtre d’ombres » fait intervenir une communauté d'aveugles, et l'on y retrouve le Liber Lacrymae du deuxième livret ; l’acte I est vraiment très bien, très intelligent et bien vu (aha) ; le II, qui m’a rappelé l’excellent « Au-delà des limites » dans Les Secrets de San Francisco, mais sur un mode un peu mineur, du coup, ne me parle pas vraiment, par contre... « Les Manteaux noirs » est un scénario destiné à des débutants complets, pour de l’initiation à gros traits ; mais il ne me paraît pas convaincant même sous cet angle ; et puis c’est un truc à base de goules… « Les Enfants terribles », par contre, me botte carrément : l’idée de départ est très chouette et, même si je ne suis pas fan des « Contrées du Rêve » (dans une partie de L’Appel de Cthulhu, s’entend), la suite est intelligente;ça demande probablement pas mal de travail au Gardien pour être vraiment jouable, par contre, c’est assez lacunaire sur pas mal de points. Puis se pose le problème de « La Commanderie de New Sorans », scénario très prisé des fans, abondamment loué, voire considéré comme une introduction idéale... mais qui ne m'a pas convaincu du tout ; ce scénario d'enquête pure évoque en effet plus Scooby-Doo que L'Appel de Cthulhu ; l'intention n'est pas inintéressante, je peux comprendre que des joueurs réguliers y trouvent un intérêt façon goulée d'air frais, mais je ne joue pour ma part pas assez pour cela ; ce n'est pas ce que je recherche, je trouve ça frustrant et crains qu'il en aille de même pour les joueurs, d'autant que l'enquête à proprement parler ne me paraît pas vraiment satisfaisante, et que j'en ai marre des trucs à base de templiers (j'en ai fait une overdose suite à ma lecture du génial Pendule de Foucault, époque où j'ai lu les pires merdes ésotérico-mes-couilles sur la question – en même temps, pour cette raison justement, j'aurais pu apprécier ce scénario, qui se moque très justement de tout ça, mais non : blocage). Suit « Le Jour des lumières », dont j’aime bien le début, avec notamment son ersatz de Charles Fort, c’est une chouette idée ; mais la suite me paraît un peu bâclée… Par contre, « Dans les griffes de la Flamme Verte » m’a beaucoup plu ! Ça se passe à Kingsport (oserait-on espérer un jour un supplément dans la série des « Terres de Lovecraft » ? Je l’attends, celui-là…), ça s’inspire du « Festival » (que j’aime beaucoup) et du « Terrible Vieillard » (que je n’aime vraiment pas, mais qui est bien utilisé ici) et, si la fin est peut-être là encore un peu expédiée, il y a de quoi faire quelque chose de très intéressant (a fortiori, je pense, si l’on met en œuvre la troisième « variation » proposée… et aussi si Damballah n’est pas Nodens, bien sûr). Je n'ai pas relu « Singeries », qui avait déjà été publié par Sans-Détour en guise de « fausse piste » new-yorkaise des Masques de Nyarlathotep (c'était le livret accompagnant l'écran de la campagne), et ça ne m’avait pas parlé (d’autant que ça se fonde sur « Arthur Jermyn », nouvelle que je n’aime pas, et que le rapport avec le « Mythe », au-delà de l’ambiance, est donc pour le moins léger). On conclut ce livret (le plus gros) avec « Tempus Fugit », un autre scénario basé sur les Contrées du Rêve… et ça marche très bien une fois de plus (j’en suis le premier surpris, dans un sens, n’ayant jamais vraiment cherché à utiliser ce thème « fantasy » dans mes parties de L’Appel de Cthulhu, mais ça m’amène à reconsidérer la chose...) ; la résolution de l’aventure (avant la conclusion bienvenue) est peut-être un peu faiblarde, par contre, mais ça se travaille. Et la suggestion d’établir un lien avec « Les Enfants terribles », pour constituer éventuellement une base de campagne, me paraît tout à fait pertinente. Il n'en reste pas moins qu'en tournant la dernière page de ce livret, j'étais pas mal déçu, et craignais pour la suite... Mais disons-le tout de suite : j'avais tort, et la suite est bien meilleure à mes yeux (globuleux).
Le quatrième livret, « Horreurs du Vieux Continent », comprend des scénarios situés en Europe, dans les années 1920 (en gros). Dans « Un village ordinaire », la population d’un petit village anglais disparaît du jour au lendemain… Il y a une très chouette ambiance dans les divers actes du scénario (très différents par ailleurs), j’aime bien ; par contre, la toute fin me paraît présenter le risque d’être un peu faiblarde, faut sans doute prendre ses précautions pour qu’elle ne tombe pas à plat. « No Man’s Land » se déroule un mois seulement après l’armistice mettant fin à la Première Guerre mondiale, et est une affaire de morts qui ne le restent pas, à Paris et sur l’ancien Front du côté d’Arras… L’occasion de rencontrer un certain Herbert West, réanimateur. Le scénario est varié mais cohérent, bénéficiant d’une ambiance très chouette dès l’instant que les ravages de la guerre sont bien gérés. Ça vire (logiquement ?) au survival gore pour le final, ce qui peut être intéressant également, mais en faisant gaffe de ne pas donner dans le Gordon/Yuzna, certes rigolo, mais qui casserait l’ambiance du départ. Mais j’ai globalement beaucoup aimé, alors qu’il y a des goules dedans, comme quoi tout arrive… « Le Centre Sélène » est de loin mon scénario préféré de ce livret, j’ai beaucoup aimé, c’est vraiment très intéressant, très habile dans sa manière de traiter de thèmes complexes et « dérangeants » (en l’occurrence l’infanticide et la politique nataliste). Par contre, là plus que jamais, je redoute vraiment que la « fin » tombe à plat, il me paraît nécessaire de la retravailler pour rester au niveau. On change radicalement de registre (hélas en ce qui me concerne...) avec « Le Livre des Révélations », une petite campagne ultra-pulp, à la croisée des Indiana Jones et du gros thriller ésotérique, qui débute sur la côte Est des États-Unis et finit en Palestine, en passant par Berlin. C’est de loin l’épisode berlinois qui me paraît le plus intéressant… mais relativement : ça n’a tout de même pas grand-chose de vraiment lovecraftien, tout ça, et surtout ça joue à fond – délibérément, certes – sur les clichés à base d’inévitables nazis et de maudits Templiers (c’est toujours de leur faute), avec moult scènes de poursuite et fusillades en veux-tu (moi pas spécialement) en voilà (ah bon d’accord)… Sans surprise, je n’ai pas accroché, ce n’est vraiment pas ce que je recherche pour L’Appel de Cthulhu (et en plus y a encore des goules, alors bon, hein, bon). Dans « La Maison à la dérive », enfin, une expérience à la « From Beyond » projette toute une maison dans une dimension inconnue, ce qui peut susciter de chouettes tableaux à la façon de La Maison au bord du Monde de William Hope Hodgson. L’atout majeur du scénario à mon sens, c’est cependant sa dimension de drame psychologique. Ça peut donner quelque chose d’intéressant… à condition, là encore, de revoir la fin, probablement. Et ça revient régulièrement : j’ai décidément souvent un problème avec les « chutes » de ces scénarios… mais je crois que ça va bien au-delà de Tristan Lhomme, pas plus « coupable » (le bien grand mot) qu’un autre, les fins satisfaisantes me paraissant finalement assez rares dans les scénarios et campagnes de L’Appel de Cthulhu que j’ai pu lire, maintenant que j’y pense…
Le cinquième livret, intitulé « La Débâcle », est un peu différent des précédents (tant mieux ?), et permet de mettre en place une campagne dans la France des années 1940, campagne qui peut se poursuivre avec « La Saga Félicie » du dernier livret. « Aktion Hel », scénario 100 % inédit (le seul du coffret, si je ne m'abuse, même si d'autres ont été bien retouchés), prend ainsi place en pleine « drôle de guerre » dans un fortin de la Ligne Maginot. Malgré la présence de deux fantômes que j'ai décidément du mal à trouver lovecraftiens, ce scénario m'a fait l'effet d'une grande réussite : le cadre est oppressant à souhait, l'ambiance claustrophobe peut donner de très chouettes choses, et quand l'horreur « cosmique » surgit vraiment, elle a de quoi faire authentiquement peur – ce qui est assez rare pour être souligné. « Le Crépuscule du Bureau S » est une aide de jeu passionnante sur un organisme français chargé d'enquêter sur les phénomènes surnaturels, et donc notamment « mythiques ». Sans avoir (encore) lu Delta Green, j'imagine que le lien peut se faire assez facilement. Les personnalités présentées sont complexes, le cadre très bien vu... Un seul regret, en somme : cette aide de jeu ne couvre que les événements contemporains d' « Aktion Hel » et de « La Maison reste ouverte pendant les travaux » ; or je tends à croire qu'entre ça et « Félicie », il y avait en fait de quoi élaborer... ben... un supplément entier, quoi. Mais c'est un bête pinaillage de ma part, sans grande importance : comme ça, c'est très chouette. Le livret se conclut sur un scénario « grand écran », « La Maison reste ouverte pendant les travaux », qui prend place en pleine débâcle, et fait voyager les personnages (éventuellement préparés par « Aktion Hel ») en France, en Angleterre et en Bohême-Moravie, au milieu des débris du Bureau S engagés dans une lutte interne sanguinaire. Ce scénario m'a l'air fort complexe à vue de nez, tant pour le Gardien que pour les joueurs, mais abonde en scènes très fortes (et, pour une fois, en ce qui me concerne en tout cas, la fin est vraiment à la hauteur). Très chouette, ce livret, donc. Bien au-dessus de ceux qui précèdent à mon sens.
Mais le meilleur est à venir. Pour moi, il s'agit du livret 6, le plus court par ailleurs, intitulé « Le Septième Chant de Maldoror ». N'y allons pas par quatre chemins : c'est excellent ! On m'avait beaucoup vanté cette mini-campagne, et je confirme : c'est de très, très loin une des toutes meilleures que j'ai lues pour L'Appel de Cthulhu... Même si je ne suis pas fan de Lautréamont (mais je l'avais lu ado, ce qui est sans doute à la fois la pire et la meilleure période pour ce faire), l'idée de mêler Les Chants de Maldoror au Roi de jaune vêtu est vraiment très bonne, d'un à-propos que j'aurais envie de qualifier de génial. Ouais. Et comme le cadre des années 1960, entre cinéma bis et expérimental et explosions contestataires rock'n'roll, est idéal, je maintiens, j'affirme : ce scénario est une merveille. Sans doute assez ardu côté joueurs comme côté gardien, mais on n'a rien sans rien, n'est-ce pas ?
Ne reste plus qu'un seul livret, le septième, « La Saga Félicie », de très bonne tenue également (et qui poursuit donc les développements du Bureau S). L'aide de jeu est un peu frustrante, se limitant peu ou prou à une chronologie, quand bien même passionnante. Suit une campagne barbouze (ça change, faut passer un contrat avec les joueurs pour que ça se passe bien), très chouette, même si quelques points cruciaux me laissent un peu amer ; c'est cependant original, bien pensé, et au final (et étrangement ?) vraiment lovecraftien, ce qui est assez rare pour être souligné.
Bilan de l'ensemble : c'est de la bonne, et même de la très bonne ; il ne faut surtout pas en rester aux scénarios des années 1920, notamment américains, qui m'ont déçu pour pas mal d'entre eux. C'est en s'éloignant du « canon Lovecraft » (ou plus exactement du « canon Petersen », donc ?) que Tristan Lhomme signe ses plus belles réussites. En résulte un gros coffret bien rempli et qui justifie son prix, probablement le meilleur recueil de scénarios publié à ce jour par Sans-Détour.