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"Fate Accelerated"

Publié le par Nébal

"Fate Accelerated"

Fate Accelerated, Evil Hat Productions, 2013, 43 p.

 

Longtemps, j’ai abordé les jeux de rôle d’une manière que j’aurais envie de qualifier de « littéraire », dans le sens où je ne m’intéressais peu ou prou qu’au background, que j’aimais ample et touffu, la mécanique passant presque systématiquement au second plan. Pas toujours, certes, car il y a eu quelques mauvaises expériences : j’ai ainsi un souvenir terrifié du Jeu de rôle de la Terre du Milieu, avec ses calculs à foison et ses tables improbables, et je vous ai fait part il y a peu de ma déconcertante expérience de Shadowrun… Mais, de manière générale, je n’y accordais pas une grande attention ; et si je m’étais procuré, tout gamin, les gros et imbuvables bouquins de base de Advanced Dungeons & Dragons 2, par exemple, c’était de toute façon pour pouvoir jouer dans un cadre précis (d’abord Dark Sun, ensuite Ravenloft), qui changeait parfois radicalement la donne.

 

C’est aussi sans doute pour cette raison que je ne me suis longtemps pas vraiment intéressé aux « systèmes génériques », balançant des règles à la gueule sans souci d’univers – même si j’ai ultérieurement tâté du tétanisant GURPS, c’était dans le cadre précis du Jeu de rôle du Disque-Monde, et ça n’en était qu’une confirmation dans un sens : c’était la somme de documents sur l’univers pratchettien qui m’intéressait (tout en me donnant l’impression d’être largement injouable) ; la donne a peut-être été un peu différente, plus récemment, quand j’ai lu Deadlands Reloaded, et approché ainsi Savage Worlds, qui m’a paru intéressant…

 

C’est en train de changer, cependant, à tous ces niveaux : si je reste avant tout un amoureux du background, je suis néanmoins plus curieux désormais de la mécanique – et rejette sans l’ombre d’une hésitation celles qui me paraissent trop lourdes ou ingérables pour quelque raison que ce soit (par exemple, donc, Le Jeu de rôle du Disque-Monde, même si c’est sans doute pour une bonne part un problème de confusion et de lacunes dans l’exposition, et bien sûr Shadowrun ; et probablement aussi le très bien fait mais très, très lourd Pathfinder…). Cela passe par l’envie de découvrir des jeux de rôle indépendants, notamment – qu’ils tendent vers le « narrativisme » ou pas, je n’ai aucune envie de rentrer dans ce genre de débats. Mais cette curiosité est plus globale : je parcours d’un œil de béotien sites et forums, ainsi, en quête d’idées nouvelles et d’approches différentes. Et c’est ainsi que j’ai découvert Fate

 

Dans certains lieux de perdition que je ne nommerai pas, les rôlisteux n’ont semble-t-il que cette référence à la bouche : Fate ici, Fate là, Fate encore là-bas, Fate derrière toi, attention, etc. C’en est presque lassant, à vrai dire… Le problème du « système générique » se posant toujours, je n’avais pas encore franchi le pas pour approfondir la chose (j’aurais certes pu jeter un œil aux jeux plus ciblés qui en découlent, mais je les connais mal, et le principe de ceux dont j’ai le plus entendu parler – Spirit of the Century, par exemple – ne me bottait pas vraiment…). Mais j’allais bien y jeter un œil un jour, ça paraissait donc incontournable. L’occasion s’est présentée quand j’ai tenté de combattre ma timidité maladive d’asocial fainéant pour essayer d’intégrer un club de jeux de rôle (même si je ne sais pas encore s’il me sera possible de m’y engager véritablement, on verra…). Un des gens de là-bas a proposé, la belle idée, de lancer une campagne super-héroïque basée sur Fate Accelerated (ou FAE), c’est-à-dire la version « abrégée » du Fate Core System, fruit d’un palier du crowdfunding de ce dernier ouvrage (vous le trouverez gratoche ici en VO, et vous trouverez même une traduction en français parfois approximatif, gratoche aussi, ). L’idée me bottait bien, aussi me suis-je lancé dans la lecture de la chose (une toute petite chose, même pas cinquante pages dans le bouquin VO, très aéré et ponctué de dessins moches, puérils et atrocement souriants – que nous épargne Fate : édition accélérée), histoire de m’en faire enfin une idée.

 

La création de personnage donne le ton, et m’a immédiatement séduit. Vous pouvez oublier ici les interminables listes de compétences, l’esprit est tout autre. L’essentiel réside en effet dans des aspects dont aucune liste n’est fournie, mais qui sont laissés à la libre appréciation du joueur (une chose que j’avais découverte, dans un genre différent cependant, avec Bloodlust Metal, et qui m’avait bien intéressé). L’idée, ici, est que ces aspects puissent être très concrètement employés en jeu, tant dans un sens favorable au personnage que contre lui. On commence par déterminer un concept principal qui le définit ; on y adjoint un problème, histoire de ; pour donner de l’épaisseur, un troisième aspect (qui se veut important ou intéressant pour le personnage) ; et, dans l’idéal, on complète avec deux autres (mais éventuellement plus tard). Simple, efficace, directement utile.

 

Ces aspects sont complétés par des approches (j’ai cru comprendre que c’était là la grande spécificité de Fate Accelerated par rapport au Fate Core System, mais je dis peut-être des bêtises) ; celles-ci sont au nombre de six (Flamboyante, Habile, Prudente, Puissante, Rapide et Sournoise), et le joueur attribue un score « bon » (+ 3) à l’une d’entre elles, « honnête » (+ 2) à deux autres, « moyen » (+ 1) à deux autres encore, et « faible » (+ 0) à la dernière.

 

Avec les aspects du personnage et les approches, on a le nécessaire pour que celui-ci se livre à des actions (notons cependant qu’une dernière caractéristiques entre en jeu dans la création de personnage, même s’il est possible de l’élaborer plus tard en cours de partie : la « cascade », ou « stunt », qui concerne une chose pour laquelle le personnage s’avère particulièrement bon – dans le cadre de la campagne super-héroïque envisagée, cela correspond au super-pouvoir – et qui se construit sur la base d’un canevas très simple ; mais cela implique d’envisager d’abord les actions).

 

Les actions font appel à des « Fate dices » (ou des cartes, éventuellement) ornés de + et de –, qu’on peut éventuellement remplacer par des dés classiques, mais c’est probablement moins rapide à la lecture. Il s’agit, pour chaque action, de faire le total de l’approche employée et des bonus éventuels qui s’y appliquent (par exemple du fait d’une cascade), auquel on ajoute le résultat des dés ; on compare classiquement au seuil de difficulté fixé par le MJ ou au jet en opposition, et l’on peut avoir ainsi quatre résultats : échec, match nul, succès, succès avec style. Élémentaire.

 

Dans le détail, les actions sont au nombre de quatre : créer un avantage (ce qui consiste soit à créer ou découvrir des aspects, soit à employer un aspect déjà connu), surmonter (pour, en gros, se débarrasser d’un aspect), attaquer ou enfin défendre (étant entendu que cette dernière action vise à contrer les trois autres). Mine de rien, on a là une forme de systématisation très intéressante. Tout ceci a l’air efficace et toujours simple, même si cela peut passer à vue de nez par une certaine prise de notes (notamment pour ce qui est des aspects de situation en jeu – par exemple, « l’immeuble est en feu »), et implique de mémoriser les conséquences particulières d’un échec, d’un match nul, d’un succès et enfin d’un succès avec style pour ces quatre possibilités (ce qui ne doit guère poser de problème après un temps assez restreint, hein). Les dégâts, stress et conséquences, sont de même très simples à gérer, et laissent supposer des combats (le cas échéant) nerveux et rapides (ouf).

 

Le plus intéressant, dans tout ça, c’est cependant, au-delà de la simplicité toujours appréciable, le jeu permanent qui s’établit ainsi sur les aspects – de personnage ou de situation – et autorise à vue de nez une vraie complicité entre MJ et joueurs pour élaborer une narration qui mérite ce nom, à la fois fluide et susceptible de bien des rebondissements. Les jets de dés, la technique, ne viennent pas ici casser le rythme et le récit, comme trop souvent, sous la forme d’un détour mécanique « indispensable » durant lequel l’histoire se fige. Ils en participent pleinement, bien au contraire.

 

Aussi, si j’étais un peu perplexe suite à ma première lecture (pas pour la création de personnage, que j’avais aimé dès le départ, mais pour l’intégration des concepts ultérieurs, simples mais subtilement différents de ce à quoi on est habitué par ailleurs ; je n’ose d’ailleurs pas vraiment me prononcer sur l’utilisation des « Fate points », en rapport avec les aspects, il faudrait vraiment tester la chose, ici), j’avoue être maintenant assez emballé, sur le papier, par les principes développés dans Fate Accelerated, et curieux de mettre en œuvre la chose. On verra bien… Et je vais sans doute me taper aussi le Fate Core System un de ces jours, pour le principe. En tout cas, je ne saurais trop vous engager à y jeter un œil.

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"KA TA", de Céline Minard

Publié le par Nébal

"KA TA", de Céline Minard

MINARD (Céline), KA TA, emballé par Scomparo, [s.l.], Rivages, 2014, [n.p.]

 

En ce moment, Léo Henry, qui est un gars bien et talentueux, est en résidence à la librairie Charybde, qui est bien et talentueuse, ce qui nous vaut plein de chouettes et instructives soirées parallèles à l’achèvement du premier jet de son gros livre bizarre et alléchant sur Hildegarde de Bingen (oui). Or Léo Henry est un fan de Céline Minard (qui est évidemment bien et talentueuse), et l’a du coup conviée à venir taper la causette en public, la bonne idée que voilà. C’était donc la troisième fois que la dame honorait la librairie de son auguste et fort charismatique présence (la première, c’était pour Bastard Battle, et la deuxième pour Faillir être flingué – avec un certain Nébal qui en avait profité pour rapporter quelques expériences de lectures westerneuses, voyez ici), et ça a donné une excellente rencontre croisée (que vous pourrez entendre ici).

 

Je m’étais juré de sortir de ce guêpier sans acheter le moindre livre (d’autant que j’ai toujours Le Dernier Monde qui prend la poussière dans ma bibliothèque, c’est mal), mais j’ai finalement craqué pour ce KA TA, que j’avais entraperçu sur les étalages de Charybde, mais sans m’y attarder plus que cela, sans doute du fait de la brièveté extrême et de la cherté corrélative de la chose (joliment « emballée » par Scomparo, ceci dit). Mais voilà : lors de ladite rencontre, KA TA a entraîné une passionnante question sur (je schématise) « l’exercice de style » (c’est qu’il s’est trouvé des buses pour critiquer cet aspect chez Céline Minard, du fait notamment de son exploration des genres), ou plutôt la contrainte que l’on s’impose comme paradoxalement génératrice de liberté. Céline Minard a traité de ce thème avec force enthousiasme, et l’échange entre les deux auteurs s’est avéré particulièrement intéressant. Ce qui, déjà, a pas mal aiguillé ma curiosité… Mais quand la dame a en outre lu deux extraits, deux katas de ce KA TA, j’ai craqué. Tsk.

 

Le kata, nous dit la quatrième de couverture, « est un entraînement formel dans lequel un sabreur se défend contre des ennemis imaginaires » (et là, je me rends compte que cette définition est susceptible de bien des interprétations dans le cas présent, peut-être, mais j’extrapole sans doute). KA TA, qui a été composé à l’occasion d’une résidence de Céline Minard à la Villa Kujoyama à Kyoto en 2011, consiste donc à rendre sur le papier cet exercice d’une rigueur et d’une précision intolérables. Il est composé « des douze katas communs aux différentes écoles de sabre japonaises », entourés de deux salut. Et il s’agit bien, sans doute, d’un exercice, dont la perfection est la raison d’être.

 

Au cours de ces tout petits chapitres (?) à la première personne indéfinie, on navigue ainsi – d’autant qu’il s’agit souvent de trajets – dans un Japon qui peut être aussi bien mythique, féodal ou moderne, c’est selon. Mais, toujours, l’ennemi invisible du kata, ce « fantôme », y trouve à s’incarner, sous une forme qui peut être animale ou humaine (ou autre encore, probablement). L’affrontement est dès lors inéluctable.

 

Mais l’art de Céline Minard lui permet de transcender l’horreur du combat, sa brutalité, pour rendre à la perfection la perfection des gestes, dans une chorégraphie d’une extrême précision, au millimètre, qui débouche sur une poésie de la violence sèche, une esthétique du démembrement harmonieux. La chair découpée d’un coup unique et irrémédiable, le sang qui gicle, la peur qui suinte (le temps si bref où elle parvient à s’exprimer), se combinent dans un tableau sur le vif d’une majesté étrange, d’un presque-gore détaché de la pornographie, pour révéler en définitive une beauté qui ne devrait pas être et qui pourtant tétanise le lecteur-spectateur d’une admiration sans faille.

 

Poésie, oui. L’exercice dans la contrainte, inévitablement ou presque, a cette connotation d’esthétique pure, où le geste du sabreur comme la plume de l’auteur auraient tout pour devenir une fin en soi, malgré l’ennemi, malgré le lecteur. Et pourtant, il y a quelque chose d’autre, comme une épiphanie jaillissant du bref chaos du combat : au-delà de la pure rigueur formelle tendant à la perfection, dans une économie de moyens stupéfiante, s’instaure, dans le cadre de l’affrontement comme dans celui de sa mise par écrit figeant la vitesse dans une éternité contemplative, une forme de dialogue, un échange douloureux, fatal, mais un échange néanmoins. D’où les saluts, sans doute.

 

Poésie… Les éventuels habitués de mes élucubrations bloguesques savent sans doute à quel point j’y suis imperméable, voire farouchement hostile (mais il y a bien sûr de la pose, ici…) – cachez ces sonnets que je ne saurais voir. Pourtant, cette fois, j’admire en admettant ma défaite. KA TA est beau, il est ce que la poésie devrait être (tout comme l’est, dans un tout autre registre, Intrabasses de Jeff Noon). L’exercice, la contrainte, en se jouant des structures académiques du vers pour les sublimer dans la prose, d’une musicalité et d’une puissance évocatrice étonnantes, fascinent le lecteur, et probablement le transforment.

 

Je ne sais pas si la littérature, de manière générale, a une « mission », une « fonction »… À vrai dire, j’en doute. Et je ne suis guère en temps normal un ardent défenseur du « travail »… Mais il y a dans KA TA comme une raison d’être, une justification de l’acte d’écrire comme une fin en soi… qui n’est pourtant, peut-être, qu’apparente. L’exercice, quoi qu’il en soit, est bouleversant de précision, de finesse et d’à-propos. Et générateur de quelque chose qui dépasse le lecteur, et peut-être même l’auteur. Démonstration éclatante que l’art peut atteindre à une supposée idée de la beauté, et que, oui, la contrainte peut être génératrice de liberté.

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"Le Groenland retrouvé. La 'Relation du Groenland' d'Isaac de Lapeyrère"

Publié le par Nébal

"Le Groenland retrouvé. La 'Relation du Groenland' d'Isaac de Lapeyrère"

Le Groenland retrouvé. La Relation du Groenland d’Isaac de Lapeyrère, établissement du texte, annotations et postface de Fabienne Queyroux, avant-propos de Frantz Olivié, Toulouse, Anacharsis, coll. Famagouste, [1647] 2014, 170 p.

 

Je ne saurais dire à quand remonte au juste mon goût des récits polaires – mais ça fait sans doute longtemps, je devais déjà les priser particulièrement quand, tout ado, j’ai découvert fasciné Les Montagnes Hallucinées de H.P. Lovecraft… Ceci dit, et justement, cet intérêt s’est longtemps tourné en priorité vers l’Antarctique. Mais ça a changé (au lycée, probablement) quand la lecture de Jean Malaurie – d’abord et surtout Les Derniers Rois de Thulé, ensuite Hummocks – m’a amené à envisager d’un œil plus attentif le grand Nord, avec cette dimension essentielle : le peuplement humain. Certes, dans un sens, l’altérité totale du désert antarctique a quelque chose de plus immédiatement saisissant, mais cette idée qu’il se trouve des hommes pour vivre dans des conditions très similaires, et pour nous si intolérables, m’a durablement fasciné ; pour continuer dans les évocations science-fictives, j’aurais envie de dire que c’est ce qui distingue la découverte d’une exo-planète sans vie et sans possibilité d’y établir vraiment d’établissement permanent, aussi bouleversante soit-elle, et celle d’un monde habité par de bien étranges extra-terrestres, qui s’avèrent pourtant si proches de nous, et nous renvoient du coup une image étonnante de notre propre condition. Et c’est donc notamment Les Derniers Rois de Thulé qui a joué en ce sens, en me faisait découvrir véritablement le monde inuit (le présent texte préfère parler d’ « Eskimos », ce qui m’a paru étrange, mais bon, je n’ai rien d’un spécialiste de la question), et plus largement le Groenland.

 

Le Groenland… La Relation qu’en livre ici le diplomate et humaniste français Isaac de Lapeyrère (1596 ? – 1676) en témoigne assez, ce fascinant « bout du monde » avait de quoi exciter l’imagination des Européens des époques médiévale et (peut-être plus encore ?) moderne. Car ce monde rude était lointain et difficilement accessible, au péril de la vie ; car ce monde, donc, était habité, quand bien même par des « Sauvages » ; à quoi s’ajoutait une dimension mythique, dans la mesure où l’on savait qu’il avait été « colonisé » par des Européens… avant que l’on en perde toute trace dans des conditions pour le moins mystérieuses.

 

Lapeyrère, en mission diplomatique au Danemark, répond aux attentes de ses amis humanistes en livrant des dissertations sur les terres méconnues du grand Nord. Il écrit d’abord une Relation de l’Islande – qui ne sera cependant publiée que bien plus tard –, puis, donc, cette Relation du Groenland qui en est dans un sens la suite logique, mais ô combien plus radicale. L’ouvrage rencontrera un certain écho, sera abondamment cité et commenté (ainsi que la carte qui l’ouvre), et constituera longtemps une source d’importance sur cette contrée lointaine et quasi inaccessible.

 

L’ouvrage (assez court, le texte de Lapeyrère s’arrête p. 110, après quoi suit une longue, érudite et passionnante postface de Fabienne Queyroux, qui a par ailleurs établi le texte et l’a copieusement annoté – tout ce paratexte s’avère bien vite indispensable), qui prend la forme d'une lettre au philosophe sceptique François de La Mothe Le Vayer (comme le précédent texte sur l’Islande), est quelque peu déconcertant au premier abord. Déjà dans sa volonté de mêler aspects strictement géographiques (assez arides pour un béotien tel que votre serviteur), historiques (en deux temps : le « Vieux Groenland » d’Erik le Rouge, puis le « Nouveau Groenland » redécouvert bien plus tard par une autre route et sur d’autres côtes) et ethnologiques (sur ceux que Lapeyrère appelle d’abord « Skrelingres » pour l’époque médiévale puis simplement « Sauvages » à l’époque moderne – ce qui fait sens, mais on y reviendra). Mais aussi dans son étrange rapport aux sources : Lapeyrère – qui ne s’est bien évidemment pas rendu lui-même au Groenland, c’était pour le moins compliqué... – se fonde sur les textes qu’il trouve au Danemark, ou que lui fournissent là-bas ses amis érudits (et pas des moindres) ; mais, si bon nombre de ces textes sont en latin, ce qui ne posait pas de problème pour notre humaniste, d’autres sont rédigés en danois, langue qu’il ne comprend pas : dès lors, il se fonde sur la traduction que lui font obligeamment ses amis, ce qui est d’une méthode a priori critiquable… Mais cela ne l’empêche certes pas de se livrer à une critique des sources qui fait de sa Relation du Groenland, à bien des égards, un ouvrage pionnier ; et cet aspect critique, pour ne pas dire sceptique, éclate en bien des occasions, au-delà du seul travail des sources – fondamental, et particulièrement déterminant pour l’établissement de la carte introductive, qui rejette les éventuelles « fantaisies » auxquelles se livraient volontiers les géographes du temps, complétant par des « tracés probables » les régions inconnues de peur de laisser des blancs… –, ainsi dans un long aparté sur les « cornes de licornes », dont le commerce était alors fructueux : si Isaac de Lapeyrère en profite pour étaler avec un brin de suffisance son érudition (biblique, grecque, latine), il décrit surtout le cheminement intellectuel qui l’a amené à admettre que ces prétendues « cornes de licornes » (dont, en France, celle du trésor de Saint-Denis) provenaient en fait d’animaux marins, les narvals, et par ailleurs qu’il s’agissait plus probablement de dents que de cornes à proprement parler… ce qui ne l’empêche pas, ceci dit, de reprendre à son compte une amusante chronique sur les monstres marins des eaux septentrionales.

 

Si le titre choisi pour cette édition fait état d’un Groenland « retrouvé », Lapeyrère ne s’en tient cependant pas là, et remonte à sa découverte par les Européens au Xe siècle, par le célèbre (et peu recommandable) Erik le Rouge et ceux qui l’avaient suivi dans son exil. Les Islandais y établissent deux colonies, une dite de « l’Est » (en fait au Sud, la côte Est ne sera véritablement découverte que lors des voyages de l’époque moderne) et l’autre de « l’Ouest ». La distance n’empêche pas d’établir (ou conserver) des liens avec la Norvège, qui entraîneront notamment bientôt la conversion au christianisme des colons païens. Se posera dès lors, bien vite, la question du tribut à payer à la « métropole »… Les liens seront ainsi entretenus, sans grande difficulté apparente, jusqu’au milieu du XIVe siècle (au moins), après quoi ils cesseront, dans des conditions et à une date mystérieuses… Qu’est-il donc advenu au juste de ces colonies ? Les couronnes scandinaves ont toujours voulu croire à la perpétuation des établissements européens du Groenland, ou du moins à la survie des colons (nuance importante, sur laquelle on reviendra), et l’idée derrière les expéditions de l’époque moderne était de ré-établir un lien interrompu par le fil du temps ; mais Lapeyrère se montre beaucoup plus sceptique… et, quand il évoque le rôle de la peste noire qui a frappé la Scandinavie en 1348 dans la rupture des liens, il suppose par la même occasion que celle-ci pourrait bien avoir anéanti les établissements du Groenland.

 

Puis, après une longue interruption, il y aura la « découverte » de l’Amérique. Et les voyages reprendront dans le grand Nord, visant soit à redécouvrir ces terres abandonnées (par les Européens…), soit, déjà, à établir un hypothétique « passage du Nord-Ouest » qui obsèdera longtemps les explorateurs (ce qui implique bien des questions quant au Groenland : est-ce un continent à part entière ? Est-il rattaché à l’Amérique ? Ou peut-être à la Tartarie, c’est-à-dire à l’Asie ?). L’ancienne route suivie par les marins islandais est devenue impraticable (pour des raisons qui m’ont un peu dépassé, mais tenant sans doute au climat) ; dès lors, c’est une nouvelle route qui est employée par les explorateurs (scandinaves, mais aussi anglais et hollandais), et qui aboutit à la « découverte », dans des conditions particulièrement difficiles – on a vraiment l’impression d’un contraste énorme entre les voyages médiévaux et leurs équivalents modernes –, de ce « Nouveau Groenland » qui enflamme l’imagination. Les monarques scandinaves souhaitent développer ces expéditions – dans le but affiché, donc, de retrouver les descendants des vieux colons –, mais celles-ci, coûteuses, rudes, et à bien des égards frustrantes, ne seront guère nombreuses, bien loin du commerce de l’époque précédente, et il faudra user d’artifices pour « forcer » de nouveaux voyages, presque toujours décevants…

 

Et puis il y a la dimension ethnologique de cette Relation du Groenland. Isaac de Lapeyrère (faute de sources ?) ne s’attarde guère sur les « Skrelingres » rencontrés par Erik le Rouge et ses compagnons (mais leur évocation est néanmoins essentielle et déterminante pour la thèse de notre humaniste). Il s’intéresse surtout à ceux qu’il qualifie simplement de « Sauvages », qui sont rencontrés par les expéditions de « redécouverte ». Ce ne sont pas les « bons sauvages » qui connaîtront un tel succès dans la littérature du siècle suivant : Isaac de Lapeyrère évoque des rencontres pour le moins conflictuelles, voire carrément violentes, et en dresse un portrait peu flatteur d’êtres cruels et rusés… Il leur reconnaît néanmoins bien des qualités, faisant notamment état de leur ingéniosité et de leur habileté, ainsi à propos des kayaks. Et on trouve ainsi bien des éléments d'ordre ethnologique, autrement plus sérieux (jusque dans les illustrations) que ce que l’on rencontrait alors dans la littérature « de voyage ». Mais il livre aussi quelques belles pages très émouvantes sur ces Groenlandais, et notamment sur le triste sort de ceux qui avaient été capturés par les Européens pour être ramenés au Danemark : leur attachement à leur terre natale, leur détresse à l’idée de la quitter, leurs tentatives désespérées (et à vrai dire suicidaires) pour fuir la captivité et retourner au Groenland par tous les moyens, sont profondément poignants. Sans même parler de l’évocation de leur mort de chagrin en captivité : aucun de ceux qui ont été pris ne reverra le Groenland…

 

Mais l’évocation de ces « Sauvages » remplit un rôle fondamental pour notre humaniste, en ce qu’elle entre en résonance avec sa thèse la plus fondamentale, même si pas encore publiée à l’époque, et qui lui vaudra bientôt des ennuis : celle des Préadamites. La « découverte » du « Nouveau Monde », et donc de ses habitants, avait entraîné d’importants questionnements historiques et théologiques : d’où venaient donc ces indigènes ? Étaient-ils touchés par le péché originel via Adam ? Si l’Église, lors du concile de Valladolid, et à la suite du fameux Bartolomé de Las Casas, a finalement affirmé que les Amérindiens étaient bien des hommes et qu’ils avaient une âme, cette question de la filiation à Adam restait âprement discutées : s’opposaient ceux qui, dans une vision biblique orthodoxe, faisaient descendre tous les hommes de l’Adam décrit par la Genèse, et ceux qui doutaient, imaginant qu’il ne fallait peut-être pas se livrer à une lecture littérale de la Bible, et que l’humanité pouvait émaner d’un certain « polygénisme », passant éventuellement par « plusieurs Adam » pour « justifier » la souillure initiale. C’est cette dernière vision que retient pour sa part Lapeyrère, et mine de rien c’était alors très audacieux (et cela lui vaudra des soucis religieux, qui le forceront en définitive à abjurer le protestantisme et à embrasser la religion catholique tout en condamnant ses thèses passées – même s’il ne le fera à certains égards qu’à reculons, et continuera parallèlement jusqu’au bout à défendre un certain « messianisme juif », confiant au roi de France le soin, non seulement de rassembler les chrétiens, mais aussi de reconduire le peuple hébreux en Terre sainte), même si certains allaient sans doute plus loin (ainsi le célèbre Giordano Bruno qui, pour ce que j’en ai compris, faisait de la nature – et non de Dieu – la cause suffisante de l’apparition de toute vie sur Terre, ce qui incluait l’humanité). Le fameux juriste et humaniste hollandais Grotius, que l’on connaît surtout pour être le fondateur de l’école moderne du droit naturel, entendait pour sa part faire descendre les Américains du Nord, dont les Groenlandais, des anciens colons norvégiens (en se fondant notamment sur des considérations philologiques pour le moins douteuses), et la couronne norvégienne allait également dans ce sens : les « Sauvages » ne pouvaient qu’être des descendants des compagnons d’Erik le Rouge, que les vicissitudes de l’histoire avaient ramené à un stade « primitif » (et, pire que tout, païen… ce qui justifiait bien entendu de nouvelles expéditions dans un but d’évangélisation). Lapeyrère n’y croit pas, et même si, prudent, il n’affiche pas clairement ici sa théorie préadamite pas encore publiée, il combat néanmoins « en creux » les arguments de ses adversaires (et s’en prend clairement à Grotius, même si c’est par des allusions détournées ; il faut dire que Grotius avait déjà auparavant critiqué notre auteur pour ses « songes »…). D’où l’importance de l’évocation de « Skrelingres », même si elle est assez brève : le Groenland, les chroniques en témoignent, était déjà peuplé quand les Norvégiens l’ont « découvert »…

 

Je m’arrête là, même s’il y aurait encore bien des choses à dire. Ce Groenland retrouvé, à l’édition irréprochable, est un bien bel ouvrage, un document passionnant, et dont, accessoirement, la langue précieuse et contournée m’a séduit. Au-delà de la seule évocation – en soi fascinante – de ce « monde perdu » qu’était alors le Groenland, il ressuscite également pour nous un autre « monde perdu » : celui des cercles intellectuels des humanistes du XVIIe siècle, qui, de par leur confrontation aussi érudite qu’audacieuse aux découvertes d’alors, ont permis de mieux comprendre notre Terre, et, en s’interrogeant sur les « autres », nous ont tendu un salutaire miroir, aboutissant à la redéfinition de la place de l’homme dans l’univers.

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"Soumission", de Michel Houellebecq

Publié le par Nébal

"Soumission", de Michel Houellebecq

HOUELLEBECQ (Michel), Soumission, [s.l.], Flammarion, 2015, 300 p.

 

Quand le titre et le sujet du nouveau roman du Terrible Michou Houellebecq ont été annoncés par la presse à scandales (Le Figaro, tout ça), peu de temps avant sa sortie, je dois dire que, bien qu’ayant dans l’ensemble aimé ce qu’il avait écrit jusqu’à présent, j’ai réagi comme nombre de gens très bien (ou moins bien), et j’ai fait, en gros : « Euh… Ah. » Bon, on sait tous que le Terrible Michou a le goût de la provoc, et qu’il joue habilement des ressorts sataniques des plus vils marketeux. Mais quand même…

 

Faut dire, y avait un biais : le livre avait été présenté uniquement comme l’anticipation à brève échéance de la victoire d’un parti islamiste aux élections présidentielles françaises (ce qui n’est qu’un de ses sujets, en fin de compte, et que je trouve dans un sens annexe après lecture, mais j’y reviendrai). Et, outre que cette prospective, balancée de la sorte, ne me paraissait pas hyper crédible (mais peu importe, sans doute, la « fable politique et morale » de la quatrième de couverture relevant à bien des égards de la farce, ce qui autorise pas mal de choses – mais pas tout, certes ; cependant, au fil des pages, on en vient insidieusement à se demander si…), je me rappelais comme tout le monde les déclarations à l’emporte-pièce du Terrible Michou à propos de l’Islam « religion la plus conne » (ou quelque chose du genre, je crois que c’était à l’époque de Plateforme), qui n’étaient pas exactement ce qu’il avait dit de plus intelligent. Alors, j’avoue, j’ai eu un peu peur moi aussi…

 

En tout cas, ça n’a pas manqué : dans les jours – non, même pas : les heures, bordel ! – qui ont suivi ce coup de pub, personne n’avait encore lu le livre, mais ce n’était pas un problème, faut croire (depuis quand faut-il lire les livres pour en parler ?), et nombreux ont été ceux qui ont immédiatement balancé du « Houllebecq = nouveau réactionnaire », forcément islamophobe, donc forcément raciste, Soumission à mettre dans le même panier nauséabond que Zemmour, ce genre de choses. Ce qui m’a vite énervé (et m’a parfois amené à répondre dans le vide à ces attaques dans le vide, alors que je n’avais bien évidemment pas davantage lu le bouquin, tsss… et que cela ne pouvait être qu’un dialogue de sourds, à base de convaincus qui se prêchent entre eux). Il y en avait heureusement quelques-uns pour suggérer, les fous, d’attendre, et qu’au-delà de la provoc à dix balles, il y avait de fortes chances pour que Soumission soit autrement plus subtil et malin que ça, au vu du passif de l’auteur. Certes, et après lecture (parce que je comptais bien le lire de toute façon, polémique idiote ou pas), même si je n’ai pas toujours été convaincu, loin de là, et si je ne ferais certainement pas du nouveau Michou un chef-d’œuvre indispensable (certains sont allés jusque-là, mais faut pas pousser), je peux bien le dire à mon tour, et cette fois en connaissance de cause : bien sûr, que c’est autrement plus subtil et malin que ça…

 

Mais bon : j’imagine que le livre en lui-même est secondaire, à certains égards… La polémique (j’allais écrire « stérile », mais suppose qu’il s’agit d’un pléonasme) a enflammé tant la presse que les réseaux sociaux, et on a dit et écrit beaucoup de bêtises, au moins aussi outrancières que la provocation initiale. Bon, le Terrible Michou récoltait ainsi ce qu’il avait semé, hein, je ne le plains pas, il savait parfaitement ce qu’il faisait…

 

Et puis il y a eu la tuerie de Charlie Hebdo. Et là le pseudo-débat littéraire-mes-couilles a pris une tournure parfois franchement puante ; je n’ai aucune envie de revenir là-dessus.

 

Tout cela, néanmoins, avec le sentiment d’overdose qui l’a rapidement accompagné, a probablement un peu repoussé ma lecture : j’en avais franchement plein le cul. Faut dire, le Terrible Michou a pendant un temps monopolisé les discussions à un point impressionnant, de manière totalement absurde ; si on en faisait autant pour chaque écrivain… mais bon. Et après Michou ce fut l’islamisme…

 

Mais j’avais quand même envie de lire le livre, parce que, sans aller jusqu’à me poser en petit fan, j’avais bien aimé, voire beaucoup, les précédents bouquins de Houellebecq : je l’avais découvert avec Les Particules élémentaires, que j’avais beaucoup aimé, j’étais du coup remonté à H.P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie et Extension du domaine de la lutte, tous deux très recommandables également même si pour des raisons bien différentes, j’ai même lu alors sa poésie, moi qui déteste la poésie en temps normal (et j’ai bien sûr écouté et adoré son album Présence humaine), et ses premières Interventions. Et puis j’ai poursuivi : Lanzarote (parfaitement dispensable), Plateforme (bof, bof, malgré des trucs franchement intéressants – a-t-on souvent lu des choses aussi pertinentes sur l’industrie du tourisme ?), La Possibilité d’une île surtout (pour moi un chef-d’œuvre, là je veux bien faire le petit fan, c’est ZE livre de SF française de ce début du XXIe siècle, na), après quoi La Carte et le territoire m’a fort logiquement déçu (malgré là encore des choses très bien vues ; son Goncourt relevait par contre de l’imposture). Et non, je n’ai par contre pas lu son machin avec BHL, là c’était trop pour ma pomme. Mais, forcément, j’allais lire Soumission, polémique ou pas… en redoutant un peu, certes, mais en restant curieux et en voulant bien croire que.

 

Il est assurément temps d’en venir au livre (ouf ! mais on ne peut pas en parler sans évoquer la polémique qui a accompagné sa sortie, pour le meilleur et surtout pour le pire, ça fait partie du truc). La base est très classiquement houellebecquienne – à la limite de la caricature. Nous sommes dans un futur très proche (2022, sauf erreur). Le narrateur-Droopy – dans lequel on est tenté de voir Houellebecq lui-même, bien sûr, on entend sa voix quand on lit, mais c’est sans doute plus compliqué que ça – est un certain François. Forcément un peu déprimé, assurément passif, évidemment pathétique, vaguement nihiliste (mais la version basique, pas celle qui théorise à tout va), c’est un universitaire sur le retour. Il a été brillant – du moins à l’en croire –, et est (ou a été) un spécialiste apprécié de Huysmans (très bon choix, je ne pouvais qu’approuver, j’aime beaucoup cet écrivain depuis qu’une prof de français ultra-catho mais ô combien sympathique a fait découvrir Là-bas au petit sataniste black metalleux que j’étais en quatrième ; je suis ensuite remonté à À rebours, puis À vau-l’eau, ce genre de choses, avant de poursuivre le « roman de Durtal » avec En route, et même La Cathédrale et L’Oblat…). Notre intellectuel d’anti-héros a par ailleurs quelque chose de vaguement… beauf, disons, dans ses relations aux femmes notamment, forcément utilitaires : macho inconscient et par défaut, il baise en gros, pour la forme, une étudiante à l’année, séduite (?) en octobre et qui le largue en septembre parce qu’elle a « rencontré quelqu’un ». Sinon, il ne s’intéresse pas à grand-chose. Il commente la météo (ça revient souvent). Il commande des sushis ou des trucs indiens (il a moins d'exigences que Huysmans en matière de gastronomie). Voilà. Il vieillit, ça ne peut donc que s’aggraver.

 

Sa rupture ambiguë d’avec la petite Myriam (qui se casse en Israël) l’assomme un peu, même si elle était inévitable. Bien plus, en tout cas, que les bouleversements politiques autour de lui – à l’échelle du pays comme à l’échelle universitaire (ce minable panier de crabes est assez bien rendu). Il ne peut cependant pas ignorer que la France à bout de souffle, qui a trouvé le moyen de réélire François Hollande en 2017 (merci le FN !), traverse une période bizarre : ce sont les élections présidentielles, et l’UMP de Jean-François Copé est déjà de l’histoire ancienne (bye !), mais le PS de Manuel Valls ne se porte sans doute pas beaucoup mieux (tu m’étonnes) ; on voit en tête des sondages le FN de Marine Le Pen, et, plus surprenant, la Fraternité musulmane de Mohammed Ben Abbes, un jeune parti islamiste.

 

Bon, tout ça, François s’en fout un peu, au fond. Même si les attentats et autres fusillades qui émaillent le pays, qu’on les doive à des islamistes ou à des identitaires (il est curieux et un peu inquiet en ce qui concerne ces derniers, il questionne à ce sujet le mari d’une amie, qui travaille dans les renseignements), ne le laissent pas totalement indifférent, mais pas loin (très amusante scène où ça canarde dans Paris pas très loin de là où François et ses collègues sirotent en cul-serré). Il redoute un peu la guerre civile, quand même. Et quand le PS se voit contraint de passer un accord avec la Fraternité musulmane pour faire barrage au FN – ou pour simplement conserver un semblant d’importance politicienne… –, ce qui assure la présidence de la République à Ben Abbes (qui confie le poste de premier ministre au revenant François Bayrou, là on est en pleine science-fiction), notre « héros » fuit dans la cambrousse désolée (ce qui nous vaut d’assez jolis tableaux dans une ambiance quasiment post-apocalyptique).

 

Mais il en revient bientôt. Parce que, finalement, ça se passe plutôt bien… Très bien, même. On n’a à vrai dire jamais connu un tel « état de grâce ». Ben Abbes, qui est d’une grande intelligence politique sans pour autant compromettre ses idéaux (de la science-fiction, vous dis-je), a un programme tant pour la France que pour l’Europe, et si sa politique en matière d’éducation ou en ce qui concerne la famille (et donc les femmes) fait un peu grincer des dents au début (y a de quoi !), finalement on s’en accommode très bien.

 

Reste, pour François, à se poser la question de son avenir, lui qui a immédiatement fui une Sorbonne devenue musulmane. Mais, alors qu'il désespérait mollement de vieillir, il trouve finalement dans cet état nouveau nombre de perspectives, sur tous les plans. Tel Huysmans, il se retrouve ainsi engagé dans la voie de la conversion – pour des raisons sans doute plus utilitaires, cela dit. Une carrière relancée avec un traitement autrement supérieur à ce qu’il connaissait jusqu’à présent, la possibilité de se caser enfin avec jusqu’à quatre femmes… Ce n’est pas si mal. Cette soumission, cet Islam, ne manque pas d’attraits, au final.

 

(Oui, c’est la fin du roman, mais je ne révèle rien au vu de ce qui en a été dit, et il y a de toute façon quelque chose de mathématique et inéluctable dans le déroulement du récit.)

 

Mon premier contact avec Soumission a été très bon. Surtout parce que le Terrible Michou, plus que jamais, s’y montre vraiment drôle. Son humour omniprésent, grinçant, avec des traits absurdes, et qui repose pour une bonne part sur un très efficace sens de la formule désabusée et parfois provocante, m’a plus que jamais séduit, et j’ai explosé de rire plus d’une fois – et ça, ça fait du bien, quand même. François a beau ne pas être fondamentalement sympathique, on s’attache à ses pas, du coup.

 

Mais il n’y a pas que l’humour. Il y a aussi Huysmans, donc. Et là, le Terrible Michou livre de très belles pages, très fines, et tout sauf gratuites ; c’est que Soumission, bien plus que l’itinéraire politique d’un pays, traite de l’itinéraire global d’un homme, et la vie comme l’œuvre de Huysmans l’éclairent et le justifient, qui ne sont jamais bien loin des développements du récit, l’autorisent et l’anticipent. Certes, l’homme comme le cadre sont très différents : François n’est certainement pas Huysmans, et la France de Ben Abbes est encore moins celle, disons, de Combes… L’approche de la religion, ainsi, est très différente – pour François, la conversion, dont l’aspect spirituel est finalement au mieux douteux, découle d’une démonstration scientifique (celle que lui fait Rediger, nouveau président de son université avant d’obtenir des fonctions ministérielles – c’est le principal personnage musulman du roman, un intellectuel d’origine belge, qui a longtemps fréquenté les identitaires sans trop se mouiller avec les néo-fascistes, avant de se convertir, et combine Islam et nietzschéisme, hauteur de vue et pragmatisme calculateur). C’est une chose qui trouble pas mal quand on en arrive à la fin du roman : on se doute que le Terrible Michou y versera dans l’utopie, c’est coutumier chez lui, mais on est aux antipodes du positivisme plus ou moins post-humain de ses principales œuvres antérieures, l’utopie est cette fois réactionnaire – mais d’une réaction détachée de la tradition du pays, une réaction importée, et reposant donc, par ailleurs, sur des bases… scientifiques.

 

Faut-il pour autant qualifier le Terrible Michou de réactionnaire (voire de « nouveau réactionnaire », donc, si tant est que cela veuille dire quelque chose) ? Lui, je ne sais pas ; son roman l’est dans un sens, au final et au final uniquement, mais c’est sans doute un peu plus compliqué que ça… Ce qui est certain, et peut donc troubler, voire gêner un chouia, un progressiste naïf tel que votre serviteur, c’est qu’il y a quelque chose d’insidieux dans cette narration en forme de démonstration mathématique. Un peu pervers, peut-être. Certainement pas angélique ou mensonger, en tout cas, les conséquences sont pesées, même si elles relèvent donc pour partie au moins de la farce. L’hypocrisie de François tend cependant un miroir à celle du lecteur – et c’est du coup assez intéressant.

 

Par contre, aucun doute sur le fait que Soumission n’a absolument rien d’islamophobe (comment peut-on prétendre une absurdité pareille ?), et n’est pas davantage xénophobe ou raciste (même si François, lui, peut l’être vaguement, en tout cas au début). Sous cet angle, les polémiqueux n’ont pu faire que la preuve de leur lecture (si tant est qu’ils aient lu le roman, bien sûr…) biaisée par leurs œillères et leurs préconçus. Il est inutile de s’étendre plus avant sur ce thème, on ne peut rien contre la mauvaise foi (si j’ose dire, aha).

 

Je ne prétendrai pas que tout m’a plu, ou même simplement parlé, dans Soumission. Le roman, après un très bon début, donc, vraiment très drôle, et en dépit de quelques scènes fortes ici ou là, accuse quelques coups de mou un brin fâcheux à l’occasion. Le discours n’en est pas toujours très pertinent, ou en tout cas convaincant – il y a bien des points sur lesquels l’analyse qui est développée par les personnages (mais ce sont des personnages, certes) ne me convainc pas, et, plus globalement, j’ai quand même du mal à croire à cette prétendue anticipation politique (mais après tout…).

 

Plus gênant, sans doute, il y a le style. Sous cet angle, Soumission est assez inégal (même si sans doute plus réussi que La Carte et le territoire) : on alterne des séquences très réjouissantes et d’autres plus molles, donnant presque une impression un peu triste de bâclage ; l’approche du Terrible Michou, qui fait ici beaucoup dans les phrases interminables à la ponctuation hasardeuse, donne parfois des choses intéressantes (notamment quand le trivial s’immisce ainsi dans l’intellectuel et le spirituel) mais tombe d’autres fois à plat… Heureusement, il y a régulièrement de vraies fulgurances qui remontent le niveau, et rappellent que Houellebecq, quand il veut bien s’appliquer, sait indéniablement écrire.

 

Se pose aussi le problème de l’ancrage de Soumission dans le réel, ce qui passe notamment par l’abus du procédé parfois pénible du name-dropping, même s’il m’a nettement moins gêné ici que dans La Carte et le territoire, une fois de plus. On rigole bien, sans doute, un peu mécaniquement, quand le Terrible Michou étale pour le compte un Jean-François Copé ou un Christophe Barbier, ou se livre à un éloge hilarant de l’ignoble David Pujadas, mais bon… En tout cas, il n’a clairement pas écrit ici pour l’éternité, je ne vois pas comment le roman pourrait survivre au-delà de quelques années, le temps que l’on oublie (vite ! vite ! par pitié !) ces figures lamentables… Je peux me tromper, cela dit. Bien sûr.

 

Du coup, après avoir vraiment beaucoup aimé le début, je n’ai cessé, en en tournant les pages (avec une aisance certaine, le roman se lit de toute façon très bien, et dans l’ensemble avec plaisir), de me demander ce que je pensais au juste de Soumission. Une chose est certaine : on est loin du meilleur Houellebecq, et ce roman ne méritait de toute évidence pas un tel foin. Il est parfois médiocre, à vrai dire… Mais, au final (et la conclusion marche à n’en pas douter), il fait rire, et il interpelle. On le pose, et on réfléchit à ce qu’on vient de lire. Qui était assurément bien plus subtil et malin que ce qu’on en a bêtement dit. Et c’est déjà pas mal, non ? Voilà : Soumission est pas mal, pas mal du tout, même. Certainement pas indispensable, mais intéressant.

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CR "Eclipse Phase" (6) : Voyage sur Hyoden

Publié le par Nébal

CR "Eclipse Phase" (6) : Voyage sur Hyoden

Poursuite de la campagne d’Eclipse Phase (épisode précédent ici, première session ici ; Natalia et Washak n’étaient pas présents, et cela risque de se reproduire pour plusieurs sessions à venir... Ils deviennent donc des « PJ d’appoint », la partie se focalisant en temps normal sur Adán Lagarto, Callisto Hawke, John Doe et Shadul Kushi Kabhie Gham.).

 

Après la neutralisation de Kalbir Singh, et du fait de l’intervention de Lena Andropov ainsi que de divers éléments modérés, la situation se calme à bord de Terminus les étoiles. Si la faction officieuse qui se revendique du Dr. Mindfuck est en position de force, le psychochirurgien se fait cependant beaucoup moins présent dans les jours qui suivent, et succombe tant à l’apathie qu’à la paranoïa, restant cloîtré dans son laboratoire. Hubertus Khan continue d’agir sur les réseaux, mais la situation politique de l’essaim demeure ambiguë ; dans un sens, Terminus les étoiles est ainsi amené à retourner à une philosophie plus classiquement « écumeuse »… en attendant de voir ce qui va se produire. Le contrecoup de l’assassinat d’Alice Chu joue un rôle à cet égard ; « ressuscitée » en tant qu’informorphe (son « réenveloppement » est envisagé mais n’a pas lieu immédiatement), elle ne joue plus de rôle politique, ses possibilités d’action sont limitées, et on la surveille : certains réclament même une sorte de « procès » visant à établir sa responsabilité dans les assassinats qui ont frappé l’entourage de Mindfuck… L’enquête concernant le meurtrier futura, cependant, ne donne rien pour l’instant, d’autant que la gestion de la sécurité à bord de l’essaim est plus hasardeuse depuis l’arrestation de Kalbir Singh (le sort de ce dernier est à peu près fixé, par ailleurs : tout le monde ou presque, suite à son action violente et autoritaire, considère qu’il n’a plus sa place à bord de l’essaim, et on compte l’en exclure dès que possible). L’assassin d’Alice Chu se faisait appeler Skinny Rottweiler (c’était un membre des Dogs), un jeune type qui n’avait rejoint l’essaim que depuis peu, fuyant son contrat avec Fa-Jing sur Mars. Il ne s’était pas spécialement fait remarquer jusqu’alors ; un peu excité, facilement excitable, il avait certes fait part de son soutien à Mindfuck sur les réseaux, mais rien de plus ; rien ne permet de déterminer qu’il ait été commandé pour perpétrer son assassinat, il a très probablement agi seul (et était de toute évidence complètement défoncé). On l’a lui aussi « ressuscité » sous la forme d’un infomorphe pour l’interroger, mais sans obtenir davantage d’éléments. Il ne se passe pas grand-chose d'autre dans les deux semaines qui suivent.

 

Callisto Hawke et John Doe préparent leur voyage sur Hyoden. John décide de faire un fork alpha, destiné à être hébergé si besoin par un module ghost de l’écumeuse. Grâce à Shad, ils ont pu repérer quelques noms de proches d’Hubertus Khan sur Hyoden, et notamment Blixa Tutti, le chef de la faction patriote, Olaf Munsk, le créateur des fenrirs, et Annegret Carnot, qui dirige l’armée de la colonie. Callisto Hawke compte jouer de la réputation de Shad et de l’approbation d’Hubertus Khan (qui a été prévenu) pour rencontrer ces « notables », après être passée par une vieille connaissance de quand elle était gamine, Rosie, spécialisée dans la prospection d’astéroïdes.

 

Sario, l’ami d’Adán, membre du Cartel de Nuit sur Pallas, le contacte suite à sa « carte postale » pour prendre de ses nouvelles. Adán lui parle du retour de Buck, mais entend aussi le rassurer sur sa situation, et lui dit qu’il s’est fait des amis (Sario a vaguement entendu parler de Shad). Il cherche à user des contacts de Sario, et notamment de l’homme qui lui avait permis de changer d’identité, pour en apprendre davantage sur le futura inconnu qui a provoqué indirectement la crise ; cette faveur ne demandera pas trop de temps, mais il faudra payer… Adán demande à Shad de lui fournir les fonds nécessaires (plus tard, celui-ci fera jouer ses contacts auprès de la Pluralité titanienne pour obtenir la somme en question, mais cela ne permettra somme toute pas d’apprendre grand-chose : on déterminera que le morphe appartenait à un certain Charlie Nicholson, un égaré qui avait été « libéré » de son laboratoire lunaire un peu avant la fin de l’expérience de la « Génération perdue », mais s’est rapidement avéré être un schizophrène dangereux ; on en a cependant perdu la trace depuis quelques années).

 

Shad, qui a décidé de rester à bord de l’essaim (tout en restant en contact avec Callisto Hawke et John Doe – lequel est donc dédoublé, et poursuit sur Terminus les étoiles ses missions de surveillance, mais peut déterminer que Lucia Sotomayor l’a doublé d’une manière ou d’une autre), continue de mener sa politique de socialisation, davantage désormais dans un but d’apaisement et de réconciliation. Il reprend son projet d’organiser une grande fête à bord de l’essaim, cette fois dans l’optique de gommer les dissensions, projet dont il fait notamment part à Hubertus Khan. Il demande par ailleurs à Adán de lui dégoter une drogue exceptionnelle pour que la soirée devienne inoubliable…

 

Callisto Hawke et John Doe s’ego-diffusent donc sur Hyoden (la première, qui bénéficie de l’atout « Comme à la maison » pour les morphes de bondisseurs, n’a pas à faire face aux problèmes d’intégration et d’aliénation). Après s’être équipée, et tandis que John Doe, en tant qu’infomorphe, écume les réseaux de Hyoden, l'écumeuse retrouve Rosie, et discute avec elle de la situation de Hyoden. La colonie a bien changé depuis son enfance : la petite station de recherche d’avant la Chute abrite désormais deux millions d’habitants, des réfugiés qui n’ont pas trouvé leur place dans le système intérieur, et pas davantage au sein de la Junte jovienne… Et le tableau est pour le moins édifiant : constamment sous la menace de la Junte, Hyoden a développé une société passablement autoritaire et fondamentalement militariste, bien loin des idéaux autonomistes… La propagande joue à plein, qui table énormément sur l’extraordinaire avancée technique que sont les morphes de combat fenrirs (mais la faiblesse de la flotte de Hyoden est par contre à peu de choses près passée sous silence…), ne cesse de brandir la menace de l’opération Vautour et de l’impérialisme de l’amiral Pournelle, et reprend largement des déclarations d’Hubertus Khan qui font état du soutien avoué de Terminus les étoiles (avançant également que les négociations avec la Pluralité titanienne suivent leur cours)… Callisto Hawke parvient à obtenir une entrevue avec Olaf Munsk pour dans trois jours.

 

Le fork de John Doe sur Hyoden est contacté par le Philosophe… mais il l’envoie bouler, et lui dit sèchement de s’adresser plutôt à son ego principal à bord de l’essaim. Le Philosophe interroge ce dernier sur sa perception du dossier qu’il lui a envoyé, mais John n’en voit pas l’intérêt. Il lui propose alors… de regarder un vieux film pour se détendre : 2001 l’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick. John s’en désintéresse totalement. Le Philosophe lui envoie néanmoins un autre dossier sibyllin, que John n’ouvre (à nouveau…) que tardivement : c’est là encore un rapport établi par la sécurité de Cognite, à propos des recherches un peu saugrenues de Ronald Dufour dans les jours qui ont immédiatement précédé la Chute ; celui-ci semble s’être énormément intéressé à des œuvres de science-fiction du XXe siècle, des vieilles séries télévisées (des épisodes précis de Star Trek, Babylon V ou encore Doctor Who) ou des romans (Dans l’océan de la nuit de Gregory Benford, 2001 l’Odyssée de l’espace à nouveau, cette fois le roman d’Arthur C. Clarke – mais l’image du Monolithe tirée du film décorait son bureau…). John Doe s’en moque totalement, convaincu que le Philosophe lui fait perdre son temps…

 

Adán, quant à lui, est de nouveau contacté télépathiquement par Fatima Hex alors qu’il se trouve dans la cabine de John. Il répond à voix haute, ce qui interpelle son camarade, qui craint que Buck ne surgisse à nouveau, et prévient Shad… Mais Adán dit que la terroriste futura lui a donné un rendez-vous dans deux heures, et qu’il doit s’y rendre. Malgré les explications hasardeuses d’Adán, John sait parfaitement que Fatima Hex n’est pas entrée en contact avec lui via les réseaux ou par le biais d’un piratage… Le lieu du rendez-vous est une coursive du Rig, épargnée par les caméras ; Shad accompagne Adán (toujours désarmé…) à bord du Rig, mais Fatima lui fait comprendre qu’elle refuse que Shad assiste à leur entrevue, et ce dernier se tient à l’écart. John cherche pendant ce temps à mettre la main sur des drones de surveillance, et met la patte finale à un programme sur lequel il travaillait depuis quelque temps, destiné à repérer les anomalies visuelles suscitées par une cape caméléon ou d’invisibilité, se doutant que la terroriste risque d’en faire usage… C’est bien le cas. Fatima Hex, qui apparaît subitement, commence par reprocher à Adán de l’avoir « vendue ». Elle lui dit qu’en tant que futura, il est de son devoir de rejoindre la cause qu’elle incarne, celle de la justice, qui passe par la vengeance contre les responsables du projet « Génération perdue », affirmant en outre que le Dr. Mindfuck en faisait partie. Adán soutient l’innocence du docteur, qui n’a pas quitté l’essaim selon les archives ; mais Fatima Hex lui montre qu’il a très bien pu falsifier les documents concernant sa présence à bord, et que son rôle de psychochirurgien au sein de l’essaim lui a en outre permis de jouer sur la mémoire de ses patients : elle est persuadée de son rôle au sein du projet, et donc de sa culpabilité. Si Adán est un peu perturbé par l’argumentaire de la futura, reconnaissant qu’elle pourrait bien avoir raison quant à Mindfuck, il refuse cependant d’adhérer à son discours vindicatif et fanatique : quand Fatima Hex affirme que les gens tels que Mindfuck, par leurs expériences sur des bébés innocents, ont créé des monstres dont le système entier cherche à se débarrasser, Adán affirme que c’est le comportement de la terroriste et de ses semblables qui a créé cette image et entraîné ces conséquences. Il refuse de se voir comme faisant partie d’un « camp égaré », qui serait forcément en guerre contre les responsables du projet, et juge la vendetta de Fatima Hex absurde. Celle-ci, voyant qu’elle ne pourra décidément pas convaincre celui qu’elle considère comme un traître, sort sa lame de guêpe. Adán, après avoir tenté une passe Psi pour qu’elle ne l’attaque pas, se met à fuir en appelant Shad à l’aide. Fatima Hex dégaine son flingue et tente de lui tirer dans le dos, mais Adán, bénéficiant de sa Prédiction dynamique, esquive ; il rejoint bientôt une zone surveillée du Rig, où il retrouve Shad, et Fatima Hex ne le poursuit pas davantage. Elle se drape dans sa cape, et, malgré le programme de John – qu’il transmet à la sécurité de l’essaim en demandant davantage de puissance de calcul –, il est impossible de la pister… John, qui se méfie de plus en plus d’Adán/Buck, établit un réseau privé auquel ce dernier n’aura pas accès afin d’étudier son cas plus précisément, mais n’en parle pas encore aux autres.

 

Sur Hyoden, Callisto Hawke se rend à son rendez-vous avec Olaf Munsk, dans le laboratoire-usine où sont produits les fenrirs. Le savant octomorphe, très enthousiaste, est un patriote fébrile, et ne cesse de remercier Terminus les étoiles de son soutien affiché à la cause de Hyoden que pour vanter les mérites de sa stupéfiante invention. Afin que Callisto Hawke puisse témoigner auprès des écumeurs de la puissance de la technologie militaire de Hyoden, il l’autorise à effectuer une visite des locaux, en compagnie de son assistante, Jeanne Chenaud. Celle-ci entretient l’écumeuse du processus de fabrication des fenrirs de manière très technique (Callisto Hawke n’y comprend à peu près rien, le fork de John Doe davantage pour sa part, mais même lui est dépassé par les allusions lacunaires de la savante à la capacité révolutionnaire du fenrir d’abriter plusieurs ego), et lui fait assister à une démonstration – bruyante – de sa puissance de feu. Elle évoque également ses problèmes avec Arcas, et plus largement la place des partisans de la Junte jovienne sur Hyoden, contre lesquels on envisage de sévir. Au sortir de sa visite, Callisto Hawke cherche alors à obtenir un rendez-vous avec Blixa Tutti ; bénéficiant des appuis d’Hubertus Khan et d’Olaf Munsk, et du travail de contact de Shad, elle obtient de le rencontrer trois jours plus tard.

 

Callisto Hawke a transmis toutes ses informations à Shad sur Terminus les étoiles, et a notamment fait mention d’une remarque lâchée l’air de rien par Olaf Munsk, selon lequel « le vaisseau était parti », et rejoindrait l’essaim d’ici un mois environ. Il n’est pas possible de déterminer quel était au juste ce vaisseau, et pas davantage son objectif. Shad va voir Hubertus Khan, et lui demande des informations à ce sujet (après avoir évoqué les déclarations propagandistes auxquelles il s’était livré, assurant Hyoden du soutien de l’essaim ; il rentrait dans son jeu) ; Khan lui explique alors, imperturbable, que Hyoden a envoyé un vaisseau rempli de fenrirs à destination de Terminus les étoiles, une sorte de « cadeau », afin de protéger l’essaim contre toute tentative d’abordage par les troupes joviennes à l’approche de Callisto…

 

Quand Callisto Hawke se rend à son rendez-vous avec Blixa Tutti, on lui refuse l’accès, en lui disant que l’entrevue est reportée sine die du fait de l’actualité, que le fork de John Doe apprend de par de sa veille réseau : un vaisseau des Courtiers est apparu dans l’orbite de Callisto…

 

À suivre…

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"V", d'Ommadon

Publié le par Nébal

"V", d'Ommadon

OMMADON, V (Burning World Records, 2014)

 

Tracklist :

 

01 – V1

02 – V2

 

Hop, ma chronique se trouve sur le site des Immortels.

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"Lament", d'Einstürzende Neubauten

Publié le par Nébal

"Lament", d'Einstürzende Neubauten

EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN, Lament (Mute, 2014)

 

Tracklist :

 

01 – Kriegsmaschinerie

02 – Hymnen

03 – The Willy-Nicky Telegrams

04 – In de Loopgraaf

05 – Der 1. Weltkrieg (Percussion Version)

06 – On Patrol in No Man’s Land

07 – Achterland

08 – Lament 1. Lament

09 – Lament 2. Abwärtsspirale

10 – Lament 3. Pater Peccavi

11 – How did I Die ?

12 – Sag mir wo die Blumen sind

13 – Der Beginn des Weltrkieges 1914 (Dargestellt unter Zuhilfenahme eines Tierstimmenimitators)

14 – All of No Man’s Land is Ours

 

Hop, ma chronique se trouve sur le site des Immortels.

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"Le Poids de son regard", de Tim Powers (abandon)

Publié le par Nébal

"Le Poids de son regard", de Tim Powers (abandon)

POWERS (Tim), Le Poids de son regard, [The Stress of Her Regard], traduit de l’américain par Pierre-Paul Durastanti, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1989] 1990, 541 p.

 

(Abandon à la page 180.)

 

C’est terrible, les attentes. On se construit parfois une image d’un bouquin, à force d’éloges appuyés, et c’est un coup à se retrouver déçu, non pas parce que le livre est à proprement parler mauvais, mais tout bêtement parce qu’il ne correspond pas à cette image…

 

C’est hélas ce qui m’est arrivé avec Le Poids de son regard de Tim Powers. Quand j’avais lu le guide de lecture qui était consacré à l’auteur dans Bifrost, c’est à n’en pas douter le titre qui avait retenu mon attention, du fait d’une très belle et ô combien alléchante chronique de l’immense Catherine Dufour (chronique que vous pourrez lire ici, à tout hasard). L’enthousiasme communicatif de la dame ayant été confirmé, dans mon entourage, par plein de gens au goût très sûr (malgré, dans un cas au moins, une étrange addiction au heavy metal des 80’s), j’ai noté la chose dans un coin de ma tête, espérant bien pouvoir me la procurer un jour (ce livre a en effet longtemps été indisponible ; mais il a été réédité assez récemment par Bragelonne, en grand format donc) ; et quand j’ai enfin trouvé d’occasion cette édition originelle en poche, je me suis fort logiquement rué dessus.

 

Le point de départ est très fort, faut dire. Vous connaissez forcément cette anecdote sur le défi que s’étaient lancé, lors d’un séjour en Suisse, les poètes Byron et Shelley, le médecin du premier, Polidori, et Mary (future, si j’ai bien saisi) Shelley, désireux d’élaborer chacun de leur côté une grande histoire d’épouvante ; la beauté de cette histoire, à mes yeux en tout cas, c’est que ce sont les inconnus d’alors qui ont accouché des livres les plus importants, Polidori (qui s’en prend systématiquement plein la gueule dans le bouquin de Powers…) donnant naissance au Vampire (son personnage de Lord Ruthven constitue une étape fondamentale dans l’élaboration de ce mythe littéraire moderne, le Dracula de Bram Stoker en émane à bien des égards), et, surtout, la jeune Mary accouchant de Frankenstein, livre fondamental s’il en est – déterminant dans l’évolution du genre horrifique, mais annonçant aussi (et surtout ?) la science-fiction (d'aucuns, tel Brian Aldiss sauf erreur, en font même la référence fondatrice du genre). Tim Powers, à bien des égards, part de cette belle anecdote, dans une introduction assez foudroyante ; ce qui lui fournit assurément de beaux personnages.

 

Cependant, s’ils auront leur rôle à jouer par la suite, ils ne sont pas à proprement parler les « héros » de Le Poids de son regard. Ce rôle revient au médecin anglais Crawford, qui n’a décidément pas de chance en matière de mariage : sa première épouse était décédée dans des circonstances quelque peu étranges… et la seconde est massacrée ô combien mystérieusement et hideusement lors de la nuit même des noces. Crawford, conscient que tout l’accuse, prend la fuite et retourne à Londres sous un pseudonyme ; il y rencontre notamment le jeune médecin et wannabe poète Keats, qui lui raconte une bien étrange histoire, à propos de créatures cauchemardesques (au nom incertain ; on retiendra de préférence celui, biblique, de « néphélims », même s’il n’apparaît que plus tard dans le roman dans la bouche de Byron, et si ces créatures ne manquent pas d’évoquer par ailleurs tant les vampires que les succubes) vivant dans l’ombre et qui l’auraient marqué à jamais, le désignant d’une certaine manière comme membre de leur « famille ». Mais ces créatures ne sont pas les seules à traquer Crawford, qui n’a guère le choix : il lui faut à nouveau fuir. Et il se sent bizarrement attiré par la Suisse…

 

Le thème vaguement complotiste des « néphélims » ne me botte de manière générale pas plus que ça... Mais je trouvais fort intéressante l’idée de Powers de les associer, dans la douleur, à la création littéraire – elles ont un goût prononcé pour les poètes, vous l’aurez compris, mais leurs assiduités sont fatales pour eux-mêmes comme pour leur entourage… Et c’était donc cela que j’attendais avant tout en entamant ma lecture de Le Poids de son regard.

 

Il est possible que ce thème soit traité plus abondamment et pertinemment par la suite, mais je ne me suis pas senti d’aller jusque-là, et ai abandonné à la page 180, parce que j’en avais marre d’attendre. En dépit de quelques jolies scènes d’horreur, j’ai en effet été très déçu par l’approche retenue par Tim Powers dans ce roman – mais la faute est entièrement mienne : je ne dis pas qu’il a eu tort, simplement que ça ne me parlait pas.

 

En effet, j’ai eu la fâcheuse surprise (façon de parler, c’est sans doute ma naïveté qui est en cause : les plus grands succès de Tim Powers, type Les Voies d’Anubis, même si je ne les ai pas lus, auraient dû me mettre sur la piste) de trouver en définitive dans ce livre dont j’attendais tant un mélange de roman d’aventure populaire (les nombreuses références à l’histoire de la littérature anglaise n'y changent rien, ça m’a paru être plus du verni qu’autre chose), qui m’a paru un peu chiant – ce qui est ballot, tout de même –, et d’une sorte de thriller ésotérique, qui m’a quant à lui paru fort convenu… Powers joue la carte des rebondissements à tout va – ce qui m’a vite saoulé, et, paradoxalement, ennuyé, là où tout semblait fait pour rendre la chose haletante – ainsi que d’une certaine confusion dans la perception qu’ont les protagonistes des événements – procédé qui aurait pu être intéressant, je n’ai rien contre l’ambiguïté, loin de là, mais ça m’a paru ici bien laborieux et m’a plus encore saoulé…

 

Aussi ai-je préféré abandonner à la page 180 : je m’ennuyais, je pestais même parfois un peu ; ce roman, surtout, ne correspondait décidément pas du tout à l’image que je m’en étais naïvement forgé… Aussi, encore une fois, je ne prétends pas qu’il est intrinsèquement mauvais ; mais il était bien trop éloigné de mes attentes indues pour me convaincre. Je ne m’y suis pas retrouvé, et il aurait été absurde de poursuivre dans ces conditions ; même si j’ai longtemps hésité avant de lâcher l’affaire, un peu curieux de voir en quoi ce roman était si bon, ainsi que des gens très bien l’avaient affirmé sans la moindre hésitation ; un peu honteux aussi de craquer pour une aussi mauvaise raison, sans doute… Mais il me paraissait déjà tirer à la ligne, et je ne me sentais vraiment pas de me taper encore près de 400 pages du même tonneau. Tant pis…

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"Eclipse Phase : Panopticon"

Publié le par Nébal

"Eclipse Phase : Panopticon"

Eclipse Phase : Panopticon. Volume 1 : Habitats, Surveillance, Uplifts, Posthuman Studios, 2011, 176 p.

 

Retour aux passionnants, mais un peu effrayants par leur densité, suppléments pour Eclipse Phase (en anglais, forcément, Black Book ne se bougeant guère pour traduire tout ça : Sunward n’est toujours pas sorti, bordel…). Et question densité, Panopticon se pose un peu là, c’est rien de le dire… Trois chapitres d’univers ultra-pointus avant de passer à un chapitre « technique » ultra-pointu aussi (et sans doute un peu trop, mais bon, ça, c’est pour ceux qui veulent, hein). Après avoir lu les excellents Sunward et Rimward, suppléments « géographiques » (le terme n’est certes pas très approprié…) assez « traditionnels » finalement, il m’a paru opportun d’enchaîner avec celui-ci. Parce que, contrairement à Gatecrashing (pour m’en tenir aux suppléments de background ; il y a eu aussi, depuis, plus tournés vers la technique, Transhuman et la synthèse un peu onéreuse mais probablement utile du Morph Recognition Guide ; sans compter quelques petits machins téléchargeables parfois fort intéressants, dont j’ai causé ici – manque encore Million Year Echo, qui n’a intégré que tout récemment ma pile à lire rôlistique), Panopticon me paraissait devoir être utile directement dans le cadre de ma campagne (premier épisode ici). Et ça s'est vite confirmé.

 

Mais d’une manière bien particulière, car ici on fait dans la théorie qui vole haut… Aussi, à regarder ce supplément de loin, on pourrait croire qu’il serait plus difficile à utiliser directement ; mais c’est une erreur, qui ne résiste pas à la lecture : à vrai dire, si les éléments contenus dans Panopticon (surtout ceux concernant la surveillance et les habitats ; les surévolués sont un cas particulier, donc d’application plus limitée, même si la question m’intéressait particulièrement dans la mesure où j’en ai un parmi mes joueurs) n’auraient bien entendu pas trouvé leur place dans le livre de base déjà fort volumineux et à même de coller une sacrée migraine à l’occasion, ils n’en sont pas moins indispensables à une appréhension correcte de cet univers si complexe, proche en apparence et pourtant fondamentalement et subtilement différent.

 

Panopticon (présenté comme un « volume 1 », je n’ai aucune idée de ce qui est à suivre) vient traiter de trois sujets hautement délicats, et a priori pas directement liés entre eux (même s’il y a bien quelques passerelles).

 

Le premier, qui vient conférer son titre à ce recueil, est donc la surveillance, avec son très intéressant corollaire la « sousveillance », qui vient répondre à la fameuse question : « Qui garde les gardiens ? » par : « Tout le monde, tout le temps. » La société d’Eclipse Phase – avec des nuances selon les groupes politiques, bien sûr, la question ne se pose certes pas de la même manière dans la Junte jovienne et à Extropia, par exemple… – est en effet largement définie comme un « panoptique volontaire ». Le premier réflexe du quidam de ce début du XXIe siècle, dont votre serviteur, est d’en déduire aussitôt un fantasme à la « Big Brother » ; et ça n’a pas manqué dans ma campagne, où un des joueurs avait beaucoup de mal à admettre que la surveillance soit aussi omniprésente, jusque dans une barge d’écumeurs… Je ne lui jette donc certes pas la pierre. Mais c’est que cette représentation est largement erronée. Panopticon, en mettant l’accent sur l’abandon délibéré de larges pans de notre notion (un peu archaïque, du coup ?) de « vie privée » (dont témoignent déjà assez les réseaux sociaux, ce n’est certes pas votre exhibitionniste de serviteur qui prétendra le contraire ; or les réseaux sont bien entendu d’une importance capitale dans Eclipse Phase) et de la masse étouffante d’informations disponibles rendant difficile et improbable (mais pas impossible) le suivi personnalisé à toute heure, nous confronte à ce qui devrait être une évidence, mais va largement à l’encontre de nos conceptions politiques, philosophiques et littéraires : la (possibilité de la) surveillance n’est pas elle-même un problème, tout dépend de ce que l’on en fait. Le cas de la Junte jovienne est à cet égard particulièrement intéressant : cette société autoritaire, qui nous renvoie plus directement que les autres à 1984, est en même temps probablement la seule à valoriser encore, en théorie tout du moins, la sacro-sainte vie privée, du fait d’un héritage ambigu entre libertariens et néo-conservateurs ; l’hypocrisie de la chose n’en est que plus flagrante… Bien sûr, ce panoptique ne vient pas sans poser de nombreux problèmes dans l’ensemble du système, du spam au voyeurisme, mais – et c’est là ce qui est particulièrement intéressant – il est intégré. Les joueurs d’Eclipse Phase sont ainsi appelés à remettre en cause une notion qui leur apparaît sans doute essentielle, tout simplement parce que sa perception même est fondamentalement différente dans la société transhumaine. Et c’est bien là une des choses qui me séduisent tant dans ce jeu : sa réflexion poussée (le chapitre est vraiment pointu, tant dans ses considérations les plus abstraites que dans celles qui trouvent immédiatement une application sur le terrain), qui amène le joueur à s’interroger en permanence tant sur le monde d’après la Chute que sur le nôtre. Comme la meilleure science-fiction, vous dis-je… Ces données très théoriques sont à mon sens ce qui fait vraiment la force de ce long chapitre ; mais il comprend aussi des éléments plus concrets, permettant de comprendre comment joue la surveillance (et du coup aussi la contre-surveillance…) en pratique, ce qui est vraiment indispensable. Et tout cela donne lieu à divers éléments « techniques » dans le dernier chapitre (mais ceux-ci, s’ils sont d’une utilité indéniable, n’en sont pas moins un peu rébarbatifs à la lecture, notamment les listes très pinailleuses de matériel de surveillance et de contre-surveillance).

 

Le deuxième sujet, s’il est sans doute celui qui m’attirait à vue de nez le moins (car on sort ici du domaine philosophique et notamment éthique pour se confronter plus directement à la technologie dans ce qu’elle a de plus quotidien), n’en est pas moins capital ; à vrai dire, il est même probablement indispensable. Il s’attarde en effet longuement et de manière à peu près exhaustive (autant que possible en tout cas) sur la question des habitats (notamment, mais pas uniquement, spatiaux), question là encore très complexe, et sans doute un peu trop rapidement expédiée dans le livre de base ; ce qui pouvait se comprendre, certes, mais m’en avait rendu l’appréhension quelque peu malaisée… Je me paumais dans les différents types d’habitats, à vrai dire, qui sont devenus beaucoup plus concrets pour moi à la lecture de ce long chapitre (même si je ne saurais prétendre pour autant être incollable sur les cylindres Hamilton, hein…). On est vraiment ici dans l’aspect le plus « hard science » d’Eclipse Phase, et en même temps le plus concret. Mais l’étude de la technologie du quotidien qui est ici déployée, si elle m’a moins passionné que les développements plus abstraits et, oui, philosophiques, des deux autres chapitres de Panopticon, n’en est pas moins fort intéressante. Et d’une utilité indéniable, donc. Là encore, le dernier chapitre contient des éléments techniques en rapport avec ce questionnement, des plus indispensables aux plus improbables (comme la possibilité pour un ego de s’envelopper dans un habitat, dès lors considéré comme un morphe…).

 

Dernier sujet traité, et le plus spécialisé donc, les surévolués (et par la même occasion les animaux intelligents). Je me dois ici de noter une chose qui est tout à l’honneur de ce supplément : plus encore que les précédents, il est vraiment remarquablement écrit (a fortiori pour un bouquin de jeu de rôle…), sous la forme de rapports divers présentant des points de vue variés. Mais ce chapitre diffère un peu, dans la mesure où il consiste presque intégralement en une unique conférence (un cours ?) donnée par un néo-dauphin ; et le résultat est encore plus appréciable à mes yeux. Quoi qu’il en soit, c’est ici l’occasion de se poser des questions éthiques extrêmement complexes sur ce qui définit la personnalité, la conscience, l'intelligence, la place des animaux, le rôle de l’homme à leur égard… Vraiment super bien foutu. Les considérations plus concrètes ne sont pas mises de côté pour autant, bien sûr ; mais ce sont vraiment les aspects philosophiques et politiques qui m’ont ici le plus séduit. Le dernier chapitre, consacré aux informations de jeu, contient quant à lui des éléments très intéressants, dont une palanquée de nouveaux morphes qui faisaient défaut dans le livre de base (notamment ceux des néo-cétacés, certes rares, mais ô combien intriguants...).

 

Panopticon n’est donc pas facile à aborder : complexe, pointu, faisant usage d’un vocabulaire (notamment scientifique et technologique) extrêmement précis… Mais, s’il donne de loin l’impression de voler haut, il se révèle à la lecture aussi passionnant qu’indispensable. Une vraie réussite, pour un jeu qui n’a décidément pas fini de me fasciner…

 

Mais l’intérêt de Panopticon dépasse en fait la seule pratique d’Eclipse Phase : il est à même d’intéresser tout amateur de science-fiction, qu’il s’agisse d’en adapter les développements dans le cadre d’un autre jeu, ou simplement de trouver matière à réflexion sur des sujets hautement complexes, à même de nous permettre d’envisager le monde d’un œil un peu différent. Et c’est pas si courant que ça, sans doute.

 

Prochaine étape, très probablement, et dans un genre à vue de nez très différent : Gatecrashing. Je vous tiens au jus…

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"Déraillé", de Terry Pratchett

Publié le par Nébal

"Déraillé", de Terry Pratchett

PRATCHETT (Terry), Déraillé, [Raising Steam], traduit de l’anglais par Patrick Couton, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2013] 2014, 474 p.

 

Je suis extrêmement têtu, mais je crois que ça s’est vu. Adonc, après le calvaire de Coup de tabac (je passe sur le consternant Le Monde merveilleux du caca…), je m’étais promis d’enchaîner rapidement sur le dernier roman des « Annales du Disque-Monde » à proprement parler paru à ce jour en français. Pourtant, on m’en avait dit bien du mal, de ce Déraillé ; d’aucuns avaient même laissé entendre qu’il serait pire encore que le précédent, et qu’il était bien temps de conclure à cette triste évidence : Terry Pratchett, ce n’est plus tout à fait ça, et les « Annales » ne méritent plus d’être lues…

 

Mais je restais curieux et, par rapport à Coup de tabac avec son Vimaire décidément de plus en plus insupportable, Déraillé me paraissait a priori plus enthousiasmant ; parce que c’était de toute évidence un roman faisant intervenir Moite von Lipwig, le dernier personnage récurrent créé par Pratchett, scandaleux margoulin qui offre un prétexte idéal pour traiter de la modernisation du Disque-Monde, avec options « révolution industrielle » et « capitalisme agressif » à la clef ; et j’aime plutôt cette optique, à mon sens la seule à avoir utilement renouvelé les « Annales » depuis un bail : Timbré est clairement à mes yeux le roman du Disque-Monde le plus intéressant (ou le moins mauvais…) paru ces dernières années (mais il est vrai que Monnayé n'était pas aussi convaincant...).

 

Et donc, cette fois, les trains. Le chemin de fer peut à bon droit faire figure de symbole de la révolution industrielle, et le Disque-Monde ne pouvait pas éternellement y couper, sans doute. Invention du génial (quand bien même rustique) ingénieur Richard Simnel, le premier à avoir véritablement maîtrisé la vapeur (sans doute parce que son papa avait été vaporisé au cours d’une expérience malheureuse), le chemin de fer ne tarde pas à séduire, et même à exercer une véritable fascination sur le quidam d’Ankh-Morpork (et au-delà). Le prototype appelé « Poutrelle-de-Fer », destiné à convaincre le richissime (et vulgaire) Henri Roi de placer son bon pognon dans le projet, suscite la curiosité de tous, des foules dévotes devant le progrès comme des puissants qui y voient un outil non négligeable (le patricien Vétérini en tête, bien sûr, même s’il se montre tout d’abord méfiant ; je note au passage que ce personnage que j’adorais me paraît de moins en moins intéressant au fil des romans, hélas : ici, ses colères m'ont même attristé…).

 

Curiosité, voire admiration, oui, pour beaucoup ; mais il y a aussi, inévitablement, ceux qui se montrent plus réservés, frileux, voire carrément hostiles, des simples technophobes (plus ou moins conscients) qui s’inquiètent des dangers supposés de la chose et des bouleversements économiques et sociaux qu’elle ne manquera pas de susciter, aux brutes ouvertement réactionnaires pour qui cette invention va nécessairement, en tant qu’innovation, contre tout ce qui est juste et bon. Au premier chef, ici, on trouve des Nains, plus précisément les grags, ou creuseurs, fondamentalistes autoproclamés gardiens de la nanitude authentique, déjà passablement énervés par des apports récents tels que le clac, et résolument opposés à l’impérialisme culturel d’Ankh-Morpork, ce creuset immonde où des Nains oublieux de leur être véritable en viennent à cohabiter et même des fois à lier amitié avec des Humains et même – horreur glauque – des Trolls, impérialisme concrétisé dans l’étrange affaire de la « bataille » (qui n’a pas eu lieu, en fait) de la Vallée de Koom. Or ces grags, sous l’impulsion du fanatique Ardent, en viennent à verser dans le terrorisme, détruisant des tours de clac et assassinant leurs opérateurs (de nombreux Gobelins dans le tas, que l’on retrouve à foison après Coup de tabac…), en attendant de pouvoir agir violemment contre le chemin de fer en développement rapide. Cela va même plus loin, au sein de la société naine, et le Petit Roi ouvertement progressiste a des soucis à se faire pour son Scone de pierre…

 

Et Moite von Lipwig, dans tout ça ? L’ex-escroc (qui à bien des égards en est toujours un) est chargé par Vétérini d’apporter tout son talent au projet de chemin de fer ; un talent qui passe énormément par l’entourloupe, pardon, la persuasion, et l’amène à voyager de part et d’autre et sans interruption pour convaincre les gens d’adhérer au projet du train, tandis qu’il cherche à en tirer le meilleur profit.

 

Au début, tout cela passe plutôt bien à mes yeux. La thématique m’intéressait, et je trouve que Pratchett l’emploie assez intelligemment. Il joue notamment très bien de la fascination exercée par le train (que celui qui ne l’a jamais ressentie parle maintenant, ou se taise à jamais !), et la question du fondamentalisme – que je n’ai pu m’empêcher de trouver d’une triste actualité, forcément… – est dans un premier temps remarquablement bien traitée. Quant aux personnages essentiels de cette première partie, à l’exception de Vétérini qui me déçoit de plus en plus donc, ils sont plutôt réussis, Moite von Lipwig et Richard Simnel en tête (mais même l’ennuyeux Henri Roi passe correctement). Certes, on est dans un roman « dernière manière » du Disque-Monde, et, pour dire les choses comme elles sont, on ne rit pas vraiment (et même, on ne compte pas les gags qui tombent tristement à plat) ; sous cet angle, on est donc bien loin des plus éclatantes réussites des « Annales », comme mon chouchou, Les Petits Dieux ; néanmoins, à l’instar de ce volume entre les volumes, Déraillé, sous ses dehors légers, se montre assez fin et intelligent. Aussi, à m’en tenir à, disons, la première moitié du roman, j’affirme que Déraillé est nettement meilleur (ou moins mauvais, mais j’en envie de positiver) que l’affligeant Coup de tabac.

 

Hélas, si ça commence plutôt bien, voire très bien, ça se poursuit mal… Notamment du fait de l’insistance de Pratchett à traiter du fondamentalisme des grags : ce qui passe très bien au début en vient assez rapidement à lasser, et l’on ne peut s’empêcher de regretter que l’auteur (assisté) en vienne ainsi à privilégier ce seul aspect du problème, qui plus est d’une manière guère convaincante. La fin du roman est en effet consacrée à un voyage en train qui se veut épique du fait des attentats des terroristes nains, mais suscite bien vite un ennui mortel : non seulement Vimaire le Parfait revient au premier plan, et je le trouve plus casse-couilles et creux que jamais, mais l’action se traîne dans un tirage à la ligne fort pénible, qui passe notamment par des séquences hors-champ parfaitement inutiles, alors que ce qui devrait en définitive constituer le plus important du propos est expédié à toute vitesse dans une conclusion bâclée. Certes, j’imagine que Pratchett s’est bien amusé avec sa baston westerneuse sur les toits du train, mais le lecteur, lui, s’emmerde, et regrette que les promesses de l’intéressant début ne soient pas tenues… Et j’ajouterais que la pelletée de bons sentiments qui accompagne tout cela me les brise un peu, à force, moi qui suis pourtant un libéral-progressiste bon teint.

 

Au final, Déraillé, s’il n’est à mon sens pas aussi mauvais que Coup de tabac (ouf), déçoit : ses premières pages assez franchement intéressantes (même si l’on ne rit pas vraiment) se voient ainsi compensées par des développements d’autant plus laborieux qu’ils sont clairement artificiels. Déraillé aurait pu constituer un chouette apport au Disque-Monde, mais, en l’état, sans être à proprement parler mauvais, il est tout de même au mieux médiocre. Pas dit que je continue à lire les « Annales », moi…

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