"Le Visage Vert", n° 24
Le Visage Vert, n° 24, Cadillon, Le Visage Vert, juin 2014, 191 p.
Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais la précédente livraison du Visage Vert m'avait laissé plutôt perplexe, dans la mesure où je ne la trouvais pas à la hauteur de la tradition d'excellence à laquelle nous avait habitué la revue. Je supposai bien entendu qu'il ne s'agissait que d'un écueil passager, et que les choses reviendraient bien vite à la normale. On ne va pas faire dans le suspense, hein : oui, Le Visage Vert a amplement rattrapé sa récente faiblesse avec ce nouveau numéro tout à fait réjouissant.
Problème, cependant : il est pour moi très difficile de rédiger des comptes rendus en ce moment... Aussi est-ce ce compte rendu qui risque fort de ne pas se trouver à la hauteur de la tâche...
On commence avec « Marjorie Daw » de Thomas Bailey Aldrich, « l'une des nouvelles les plus célèbres de la littérature américaine », nous dit-on. Aussi n'y a-t-il sans doute rien d'étonnant à ce qu'elle développe une sorte de lieu commun... Cette amourette épistolaire, à chute, débouche sur une révélation qui n'en est pas une. Le texte n'est pas désagréable, mais il ne surprend pas et ne saisit pas.
William Page nous offre ensuite un « Serpent des airs » qui nous ramène aux premiers temps de l'aéronautique. La nouvelle nous donne un aperçu du bestiaire des airs, que développe ensuite le toujours passionnant Michel Meurger dans « Jungles de l'air supérieur. La Faune des fictions aéronautiques ». En cela, elle est beaucoup plus intéressante que la nouvelle d'introduction, même si moins surprenante.
On passe alors à Richard Connell pour « Le Plus Dangereux des Jeux », nouvelle qui sera à l'origine, via La Chasse du comte Zaroff, du genre cinématographique du survival. Xavier Mauméjean revient sur cette importance particulière en introduction. Certes, la postérité est telle que ce premier bourgeon n'impressionne plus des masses aujourd'hui ; mais il est toujours intéressant de remonter ainsi aux sources d'un genre.
François Ducos étudie ensuite, dans « Ténèbres au Fleuve Noir : le détective des fantômes », le genre du policier fantastique, dans sa veine la plus populaire. Toujours intéressant à lire, et parfois très drôle.
Reste enfin « Le Visionnaire », de Rudolf Lindau, qui, euh, ne m'a pas laissé le moindre souvenir...
Mais ceci ne témoigne que d'une chose : mon incapacité à rédiger des comptes rendus valables à l'heure actuelle ; on aurait bien tort d'en déduire quoi que ce soit en ce qui concerne la qualité de ce numéro 24. Il va falloir me faire confiance...
"Lettres", de J.R.R. Tolkien
TOLKIEN (J.R.R.), Lettres, [The Letters of J.R.R. Tolkien], édition et sélection de Humphrey Carpenter avec l'assistance de Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Delphine Martin & Vincent Ferré, Paris, Pocket, 2013.
Mon article se trouve dans le Bifrost n° 76, dans le dossier Tolkien, pp. 168-169.
EDIT : Hop.
"Faërie et autres textes", de J.R.R. Tolkien
TOLKIEN (J.R.R.), Faërie et autres textes, nouvelle édition établie par Vincent Ferré, préface de Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Dashiell Hedayat, Francis Ledoux & Elen Riot, Paris, Pocket, coll. Fantasy, 2009...
Mon article se trouve dans le Bifrost n° 76, dans le dossier Tolkien, pp. 167-168.
EDIT : Hop.
"Les Monstres et les Critiques et autres essais", de J.R.R. Tolkien
TOLKIEN (J.R.R.), Les Monstres et les Critiques et autres essais, [The Monsters and the Critics and Other Essays], édition établie par Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Christine Laferrière, Paris,] Pocket, coll. Agora, [1983] 2013...
Mon article se trouve dans le Bifrost n° 76, dans le dossier Tolkien, pp. 166-167.
EDIT : Hop.
"Contes et légendes inachevés", de J.R.R. Tolkien
TOLKIEN (J.R.R.), Contes et légendes inachevés, [Unfinished Tales of Numenor and Middle-Earth], commentaires et carte établis par Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Tina Jola, Paris, Christian-Bourgois, [s.d.]...édition et avant-propos par Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Adam Tolkien, [s.l.], Christian Bourgois, 1995...
Mon article se trouve dans le Bifrost n° 76, dans le dossier Tolkien, pp. 162-163.
EDIT : Hop.
"Le Silmarillion", de J.R.R. Tolkien
TOLKIEN (J.R.R.), Le Silmarillion, [The Silmarillion], édition établie par Christopher Tolkien avec l'aide de Guy Gavriel Kay, traduit de l'anglais par Pierre Alien, illustré par Ted Nasmith, Paris, Christian Bourgois, 2001...
Mon article se trouve dans le Bifrost n° 76, dans le dossier Tolkien, pp. 160-162.
EDIT : Hop.
"Histoire de la Terre du Milieu", t. 1-5, de J.R.R. Tolkien
TOLKIEN (J.R.R.), Le Livre des contes perdus, [The Book of Lost Tales], édition et avant-propos par Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Adam Tolkien, [s.l.], Christian Bourgois, 1995...
TOLKIEN (J.R.R.), Les Lais du Beleriand, [The Lays of Beleriand], édition et avant-propos par Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Elen Riot (poèmes) et Daniel Lauzon (commentaires et notes) sous la direction de Vincent Ferré, Paris, Christian Bourgois – Pocket, [2006] 2009...
TOLKIEN (J.R.R.), La Formation de la Terre du Milieu, [The Shaping of Middle-Earth], édition et avant-propos par Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Daniel Lauzon, Paris, Christian Bourgois, 2007...
TOLKIEN (J.R.R.), La Route perdue et autres textes, [The Lost Road and Other Writings], édition par Christopher Tolkien, traduit de l'anglais par Daniel Lauzon, Paris, Christian Bourgois – Pocket, 2008 – 2012...
Mon article sur les cinq premiers tomes de « l'Histoire de la Terre du Milieu » se trouve dans le Bifrost n° 76, dans le dossier Tolkien, pp. 153-157. Pas dit que je puisse le rapatrier ici un de ces jours. Vous pouvez cependant vous rapporter aux articles individuels : Le Livre des contes perdus, Les Lais du Beleriand, La Formation de la Terre du Milieu et La Route perdue.
EDIT : Gérard Abdaloff en cause ici, sinon.
"Little Big Man", de Thomas Berger
BERGER (Thomas), Little Big Man. Mémoires d’un visage pâle, [Little Big Man], traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-France Watkins, avant-propos d’Olivier Delavault, Paris, Télémaque, coll. Frontières, [1964-1965, 1991] 2014, 597 p.
Little Big Man, le célébrissime film d’Arthur Penn avec Dustin Hoffman, figure à n’en pas douter parmi les monuments du western, et m’a profondément marqué. Mais, naïf que j’étais, je n’avais pas idée qu’il était en fait inspiré d’un roman, en l’occurrence écrit par Thomas Berger, décédé il y a peu. Aussi, quand ma librairie m’a tendu un piège en posant cette réédition bien en évidence, à peu de choses près directement sous mes yeux, il va de soi que je me suis précipité dessus… et bien m’en a pris, car j’ai ainsi lu un western d’exception, bien, bien meilleur que le pourtant très bon film qui s’en est inspiré. Question d’ambition et d’ampleur, d’une part ; question de ton, de l’autre. Mais le bilan est sans appel.
Passons en fermant les yeux sur l’avant-propos parfaitement illisible d’Olivier Delavault.
Et rejoignons bien vite, en compagnie d’un écrivain sceptique et gogo à la fois, le plus que centenaire Jack Crabb, qui s’agite dans sa maison de retraite, et compte bien livrer ses mémoires, pour le moins édifiantes, tant qu’à faire en échange d’une jolie somme. Après tout, si Jack Crabb est un illustre inconnu, qui n’a certes pas la notoriété d’un Wild Bill Hickok, d’un Wyatt Earp, d’une Calamity Jane, d’un Buffalo Bill ou, bien sûr, d’un général Custer – ils les a tous rencontrés, néanmoins –, il incarne pourtant à lui seul toute la légende de l’Ouest. À vrai dire, il a absolument tout fait. Et son récit, qui s’étend sur environ un quart de siècle, celui du western « classique », comprend ainsi tous les clichés du genre. Dès lors, la question se pose bien vite : témoignage authentique ou divagations d’un vieux mythomane ? Peu importe : « print the legend », tout ça. Et ce qu’il a à raconter, que ce soit vrai ou faux, est fascinant de bout en bout.
Tout commence sur la route de l’Ouest, alors que Jack n’est qu’un gamin, quand des Indiens complètement bourrés attaquent le convoi auquel s’est joint la famille Crabb. Une lubie de sa sœur – vexée de ne pas avoir été violée – entraînera l’adoption de Jack par les Cheyennes de Peaux-de-la-vieille-cabane ; et c’est ainsi, avec le temps, que Jack Crabb deviendra Grand Petit Homme. Sa vie, dès lors, sera faite d’errances entre le monde des Indiens et celui des Blancs, sans qu’il ne puisse jamais trouver sa place où que ce soit.
Cette Frontière est un monde rude et violent, et si l’on rit souvent à la lecture de ce roman férocement drôle, le dégoût n’est jamais très loin. On voit ici une différence majeure avec le film. Ce dernier, on l’a souvent dit, a contribué à « réhabiliter » les Indiens dans les productions hollywoodiennes. Mais la réalité du roman est plus subtile ; et Jack Crabb est un personnage marqué par la haine ; nulle idéalisation ici : le pragmatisme est de règle, et Jack sait bien qu’il n’a pas totalement sa place au milieu des Êtres humains.
Ce qui ne l’empêche pas de choisir son camp quand la figure de Custer intervient ; dès la première rencontre, Jack se jure de faire payer ses atrocités à l’arrogant général ; et cette quête de vengeance se poursuivra jusqu’à Little Bighorn, célèbre bataille dont l’évocation en ces pages ne saurait laisser indifférent.
Entre-temps, Jack flâne. Et il est de tous les bons coups (les mauvais aussi). En sa compagnie, c’est ainsi toute l’histoire, non, la mythologie de l’Ouest qui se déroule sous nos yeux. Ce qui confère à Little Big Man un caractère encyclopédique, d’une certaine manière. N’y manque guère, sauf erreur, que la guerre de Sécession…
Le style oral de ces mémoires ajoute de l’intérêt au roman, et ce en dépit de quelques regrettables pains de traduction çà et là. La gouaille de Jack est réjouissante, et on se délecte des horreurs qu’il raconte ainsi que de ses jugements à l’emporte-pièce.
Bon, je ne suis pas en état de faire l’éloge de ce roman, et c’est bien triste, parce qu’il le mériterait assurément… Va falloir me faire confiance sur ce coup, quand je vous dis que Little Big Man, le roman, est un immense western, encore meilleur que le film…
"L'Homme truqué", de Maurice Renard
RENARD (Maurice), L'Homme truqué, Talence, L'Arbre Vengeur, [1921] 2014, 133 p.
Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un genre préexiste à sa dénomination : c'est après tout ainsi qu'il la rend nécessaire. Inutile, donc, à mon sens tout du moins, d'attendre Hugo Gernsback pour parler de « science-fiction » : celle-ci – ou si l'on y tient vraiment une « proto-science-fiction » – existait avant les pulps ricains des années 1920. Et, sans forcément remonter, tel un Pierre Versins, jusqu'à Gilgamesh, on s'accordera sans peine sur quelques noms essentiels, comme, outre-Manche, Mary Shelley et H.G. Wells, ou, encore, chez nous, Jules Verne et J.-H. Rosny. Mais il est d'autres auteurs qui, pour être moins célèbres, n'en ont pas moins une certaine importance. Si je ne m'abuse, Serge Lehman accordait ainsi une place toute particulière à Maurice Renard dans sa préface (tristement polémique...) à Retour sur l'horizon ; en effet, l'auteur entre autres des Mains d'Orlac avait théorisé ce que l'on qualifiait alors de « roman scientifique » ou de « merveilleux scientifique », dès l'aube du XXe siècle. On appréciera d'autant plus cette réédition de L'Homme truqué chez L'Arbre Vengeur, éditeur dont on peut bien louer les mérites, et qui poursuit ainsi une entreprise de réédition qui nous avait permis, entre autres, de nous pencher sur des auteurs aussi passionnants que Régis Messac ou Jacques Spitz.
L'Homme truqué répond bien en effet à cette définition, et a même de faux airs de manifeste (on pourra donc légitimement hausser un sourcil, mais guère plus, devant la qualification de « fantastique » systématiquement adoptée par le paratexte). Ce roman, qui conserve encore aujourd'hui une indéniable originalité, n'en introduit pas moins bien des thèmes « propres » à la science-fiction, des classiques tels que le savant fou ou le sixième sens. Mais inutile, pour ce faire, d'avoir recours à l'anticipation : Maurice Renard choisit bien au contraire de placer son « merveilleux scientifique » dans le passé immédiat, qui lui offre un cadre de choix, en l'occurrence la Première Guerre mondiale (ce qui donne vraiment une coloration toute particulière au roman, et explique sans doute le recours à des notions pour nous si déstabilisantes, tel le patriotisme, jusqu'en matière scientifique). La proto-science-fiction de Maurice Renard, en outre, se teinte ici quelque peu d'horreur (d'où la qualification de « fantastique », peut-être ?), ainsi que de roman policier dans un « prologue – épilogue » pour le moins saisissant, quand bien même il ne constitue – dans tous les sens du terme – qu'un prétexte.
Nous avons donc le docteur Bare, dans son patelin de Belvoux. Le bon praticien s'était lié, avant la guerre, au jeune Lebris, qui fut comme tant d'autres victime de la grande boucherie qui inaugura le XXe siècle. Ou, plus exactement, c'est ce que l'on croyait... En effet, une nuit, Lebris vient sonner à la porte de Bare ; il est bien vivant ! Mais aveugle... et ses yeux ont été remplacés par d'étranges sphères métalliques. On comprend bien vite, forcément, que ces yeux artificiels remplissent une fonction nécessairement étonnante pour le docteur Bare, mais Lebris ne veut pas être traité en phénomène de foire, et réclame la plus grande discrétion... jusqu'à sa mort, qui hélas ne saurait tarder. Le jeune soldat se montre donc assez évasif sur ce que lui est arrivé depuis qu'il a disparu de l'ambulance teutonne. Mais il aura beau faire, la vérité finira par percer... pour le malheur de tous.
On ne fera pas de L'Homme truqué un chef-d'œuvre ; on pourra même reconnaître au roman quelques menus défauts (notamment dans l'aspect « romance », ficelle narrative qui tient du cordage). Mais l'essentiel est que l'on prend un réel plaisir à la lecture de cette anomalie exhumée tardivement. La plume est agréablement surannée (on préférera ce terme à « datée ») et, si tout cela sent quelque peu la naphtaline, c'est en dégageant aussi un certain charme bienvenu. Surtout, le « merveilleux scientifique » joue pleinement, au travers de scènes hallucinées qui, donc, tiennent peu ou prou du manifeste ; le regard porté sur la science, mêlant la peur à l'enthousiasme, est particulièrement bienvenu ; et l'ambiance est délicieuse, qui fait convoler la petite histoire et la grande. Ce court roman se lit ainsi d'une traite, et séduit de bout en bout, en dépit de quelques faiblesses passagères, qu'on a tôt fait d'oublier tant le reste fonctionne bien.
On remerciera donc une fois de plus L'Arbre Vengeur pour cette réédition qui tombe à pic, en espérant qu'elle augure d'autres titres. Et, au-delà de la seule conviction d'avoir lu un bon roman, on y verra un élément supplémentaire confirmant que, si la France a connu un « âge d'or de la science-fiction », c'était sans doute avant que le terme ne soit importé. Et on se demandera, peut-être, où sont aujourd'hui nos Messac, Spitz et Renard...