Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

CR "Inflorenza" : les chemins de Compostelle (2)

Publié le par Nébal

Compostelle-2.jpg

 

 

Nouvelle partie d’Inflorenza.

 

Nous étions trois joueurs (les retours à la ligne marquent les instances ; les thèmes tirés aux dés sont indiqués en italiques et entre crochets ; je n'étais pas Confident). Nous avons repris le théâtre des chemins de Compostelle, désireux de voir si on pouvait en tirer autre chose que lors de la première partie. Nous nous sommes mis d’accord pour constituer un groupe de pèlerins dès le départ ; enfin, nous avons développé des éléments de décor lors d’un tour préalable.

 

Les « phrases » sont indiquées par le soulignement (j’ai cette fois également relevé quelles phrases étaient rayées en cas de sacrifice).

 

Décor

 

La forêt longe la côte, elle s’éclaircit avant d’aboutir à une falaise ; on y trouve une petite église érodée avec un cimetière attenant. Impression de bout du monde.

Moi : dans des montagnes, un vieux pont de pierre au dessus  d’un ravin au fond duquel coule un torrent ; il y a un péage.

Le vent est très violent en ces lieux ; est-il propice aux manifestations de l’Egrégore ?

 

Premier tour

 

Il fait chaud, c’est une journée de septembre évoquant l’été indien. La forêt est humide, l’expédition (composée d’une dizaine de personnes) est épuisée et veut faire une pause, alors qu’un vent léger apporte un peu de réconfort. Le premier personnage s’appelle Childe. De forte carrure, il a pris tout naturellement la tête du groupe : on ne le fait pas chier, mais ceux qui l’accompagnent non plus. Il bouscule un gringalet : « On n’est pas là pour se reposer ! Lève-toi, chiffe molle ! » Ces derniers jours, il tend de plus en plus à passer ses nerfs sur les pèlerins, en commençant par les plus faibles… C’est néanmoins un bon compagnon et quelqu’un de serviable. Il vient d’un pays lointain à l’est et obéit à son seigneur. [Société] Je veux aller à Compostelle parce que mon seigneur m’a dit d’y aller. Il montre une coquille sur une borne indiquant un relais tout proche, et avance sans attendre les autres.

Gritte a entendu Childe beugler sur le gringalet, mais elle est à la traîne. Elle sait qu’elle ne tiendra pas jusqu’à la fin du jour, ni, à ce rythme-là, jusqu’à Compostelle. Elle a un bébé dans les bras ; ce n’est pas le sien, et elle ne sait pas vraiment comment s’en occuper. Le village l’a chargée d’emmener ce bébé à Compostelle. Un homme avait été désigné pour l’accompagner, mais il est mort. Je veux aller à Compostelle pour y déposer un enfant qui n’est pas le mien.

Mon nom est Tak, et j’accompagne Childe, que j’envie et admire, en méprisant quelque peu le reste du groupe qui traîne la patte. Nous arrivons à un pont, au-dessus d’un torrent jaunâtre et boueux. J’y lâche une pierre, qui s’enfonce lentement dans un bruit répugnant et un panache de fumée ; l’odeur est infecte. Cela me rend curieux, car je suspecte quelque chose de surnaturel (j’ai entendu parler des sources de mémoire, et d’eaux qui produisent des effets étranges ; serait-ce cela ?) [Horlas] Je veux impressionner Childe par ma connaissance du terrain.

 

Deuxième tour

 

Le reste du groupe finit par rejoindre Childe et Tak. Childe moleste le Baveux, étrange personnage qui marche à côté de Gritte et ne cesse de lorgner le bébé. [Pèlerins] C’est mon groupe, tout le monde ira au bout.

Quand les pèlerins sont sortis du couvert de la forêt, la lumière (ou le souffre ?) a brûlé les yeux de Gritte et du bébé. Elle est la dernière. Childe multiplie les allers-retours pour filer des taloches aux traînards. Le groupe passe progressivement le pont, qui vibre un peu. Dans la guérite de l’autre côté, on trouve de l’eau claire, de la nourriture, dont du pain frais… mais il n’y a personne. Chacun mange jusqu’à être repu, tout le monde est parfaitement rassasié quand les plats sont terminés. La nuit est tombée, et le groupe loge (tout juste) dans le bâtiment. Le bébé ne crie pas ; il ne crie plus depuis des jours. [Société] Au milieu de la nuit, le groupe est réveillé par des coups frappés à la porte. Le Douanier vient réclamer le prix du passage, de la nourriture et du gîte. On s’en doutait : Il faut bien payer.

Je décide de prendre l’initiative pendant que Childe dort en ronflant. Je discute avec le Douanier, vieil homme bourru qui suinte l’autorité. Je prétends être le chef du groupe, mais devoir en référer à la communauté avant de prendre une décision concernant le paiement. J’affirme que nous sommes fiables… mais interromps brutalement le Douanier quand je le pense distrait en essayant de lui planter un couteau dans le ventre. Mais il m’intercepte, me tord le poignet, et je laisse tomber la lame. [Pèlerins] Je n’ai pas le charisme d’un chef. J’essaye de me justifier en prétendant que le supposé Douanier est un escroc et un brigand, mais personne ne m’écoute… [Mémoire] Ce n’est pas la première fois que mon ambition me nuit.

 

Troisième tour

 

Le Douanier ramasse le couteau : « J’accepte ton paiement. » Childe se réveille enfin. Il a un peu peur, comme tout le monde, règne un profond sentiment de malaise. Il regarde autour de lui pour voir si quelque chose pourrait lui servir d’arme, au moins pour intimider le Douanier. Ce dernier se tourne vers Gritte : « C’est pour moi ce que tu as dans les bras ? » dit-il en évoquant le bébé. Gritte ne répond pas. Le sang de Childe ne fait qu’un tour. Il se redresse et défie le Douanier, retrouvant son statut de chef. Le Douanier s’approche de lui à demi amusé : « C’est toi le représentant maintenant que l’autre a payé son écot ? » « Je ne suis pas un représentant, je suis le chef ! » Childe refuse de payer quoi que ce soit. Le Douanier dit qu’il ne peut pas le laisser passer, dans ce cas. Childe cherche à le frapper. Mais le Douanier attrape son poing, le tire dehors et le pousse dans le ravin. Le Douanier se retourne vers le reste du groupe : « Ça a valeur de paiement pour tout le monde. » Childe raye ses deux phrases et est éliminé. Gritte raye Il faut bien payer. Je raye Je veux impressionner Childe par ma connaissance du terrain.

Le corps de Childe a fait un bruit répugnant quand la rivière l’a englouti. Il n’a presque pas crié. Le jour allait se lever. Tout le monde refait les paquetages et reprend la route… à la suite de Tak, qui « mime » ce que faisait Childe. Tout le monde a la trouille et obéit. Certains voulaient faire une prière pour Childe, mais on se contente d’édifier un petit cairn. Le groupe marche pendant quelques jours, et le sentier redescend dans la forêt. Le Baveux fait un peu trop souvent des risettes au bébé. Gritte a peur qu’il ne le lui prenne pendant la nuit… pour le manger. [Horlas] Le chemin longe de loin en loin la rivière. Elle remarque que cela produit un effet bizarre sur le Baveux, qui en a peur. On ne me prendra pas l’enfant.

Je suis assez content de moi : mon échec face au Douanier s’est retourné en ma faveur. Je suis devenu chef un peu malgré moi, mais je l’assume, et me montre plus conciliant que Childe. Le fait de longer toujours la rivière attise ma curiosité. S’agit-il d’une source de mémoire ? Ou a-t-elle des effets dangereux ? Je veux en avoir le cœur net : il faut essayer… mais pas sur moi. J’essaye d’envoyer le Baveux y goûter. (Le joueur de Childe incarne désormais le Baveux : ses première phrases sont [Folie] Je vais à Compostelle parce que j’ai tout le temps faim et [Science] Je développe des théories fumeuses sur tout.) Je baratine le Baveux, lui disant que l’eau de la rivière est semblable à de la soupe et pourrait apaiser sa faim. Je parviens à le persuader de boire, mais Je fais un compromis terrible… En effet, le Baveux me réclame l’enfant ([Société] Je crois que le bébé représente la solution à mes problèmes).

 

Quatrième tour

 

Le Baveux descend au bord de la rivière. Il est franchement dégoûté, mais plonge la main dans l’eau jaunâtre, et en ramène un liquide filandreux qu’il porte à sa bouche, et recommence par trois fois. Il regarde Tak, qui lui jette des coups d’œil intéressés, mais rien ne semble se produire. Le Baveux remonte, son estomac gargouille et il a un goût répugnant en bouche. Il dit à Tak que ça ne lui a rien fait. Quelques jours plus tard : la troupe continue de suivre la rivière de loin en loin ; d’autres cours d’eau s’y mêlent, mais elle garde sa teinte et son odeur infecte, aussi monte-t-on le campement aussi loin que possible. Mais le vent marin finit par couvrir les remugles. Le Baveux, plus vif, prend la tête du groupe, et attend le moment propice pour réclamer son dû à Tak. Les arbres s’écartent à nouveau. La route se perd dans une lande grisâtre qui donne sur une falaise. La rivière se jette dans la mer qui s’étend sur tout l’horizon et est couverte de nuages. Une église se dresse non loin, érodée par le vent très violent. Le groupe avance en file indienne. L’herbe est plus verte autour de l’église. C’est un signe positif, le premier depuis longtemps. Le cerveau du Baveux s’est mis à tourner à toute vitesse. Des choses lui reviennent en tête, une ritournelle, des couleurs, une vieille fable, des visages… Il a de terribles migraines. Il ouvre la porte de l’église et pénètre à l’intérieur pour s’abriter du vent. Il n’entend pas que ça bouge dans l’église. Il fait un signe de croix, apostrophe abstraite pour lui-même. [Brigands] Le Baveux se voit souvent lui-même dans ses « rêves », mais plus épais, moins affamé ; ses rêves s’organisent : il était un bandit trop gourmand dans ses méthodes de pillage. Cette église (pas celle-ci précisément, mais le fait que ce soit une église) lui rappelle quelque chose. Les églises me rappellent mes mauvais actes passés.

Gritte n’a ni vu ni entendu le pacte entre Tak et le Baveux. Mais elle a vu le Baveux descendre à la rivière et boire. Il est remonté et Tak a ordonné le départ. Le Baveux a depuis des espèces de longs regards sur le bébé, qui la mettent mal à l’aise, mais pas de la même manière qu’auparavant. Quand le groupe voit enfin l’église, celui lui fait du bien (il n’y avait pas d’abri depuis des jours). Gritte est loin derrière les autres quand ils entrent. Quand elle arrive à son tour, tout le monde est abattu et prostré par terre dans une profonde léthargie. Il n’y a pas de place pour elle à l’intérieur, l’église est trop petite. Elle s’abrite sous un caveau qui la protège quand même du vent. Elle voit ressortir huit personnes, qui ressemblent à celles du groupe mais sans être les mêmes : le Baveux, un grand gars bien bâti avec des armes à la ceinture, le gringalet qui compte des pièces, Tak l’air d’avoir trouvé la paix… Ils repartent tous en sens inverse. L’église fait quelque chose aux souvenirs des gens ou à ce qui les pousse à faire le pèlerinage. [Pulsions] Gritte serre le bébé contre elle, elle entre à son tour dans l’église, elle trébuche sur les gens qui dorment jusqu’à l’autel, où elle pose le bébé avant de s’endormir à son tour. Suis-je arrivé au bout ?

C’était trop beau pour durer : le Baveux est devenu plus vif et a pris la tête du groupe ces derniers jours. Je suis intrigué par l’eau de la rivière, j’aimerais procéder à d’autres tests, mais les gens veulent que l’on s’en éloigne autant que possible à cause de l’odeur et je ne trouve pas d’arguments à leur opposer. Quand on arrive à l’église, refuge bienvenu, tout le monde s’endort très vite. Je suis cependant réveillé par Gritte qui me trébuche dessus avant de poser le bébé sur l’autel. Cette vision me rappelle mon pacte avec le Baveux et, comme il s’agit d’un lieu saint, je m’en veux, suis pris de remords, mais me sens désarmé… [Mémoire] Le plus troublant, cependant, c’est que j’ai déjà vu cette scène, dans cette église précisément. Je suis déjà venu ici.

 

Cinquième tour

 

La nuit s’est avancée. Le Baveux se réveille avec une forte migraine. Il a vu en rêve les membres de l’expédition : il se souvient de leurs noms, de les avoir vus dans d’autres endroits, moins maigres, il revoit Childe… Il se souvient de la motivation première du pèlerinage : un prédicateur était arrivé, qui disait qu’il fallait envoyer des marcheurs à Compostelle, mais il ne se souvient plus pour quelle raison. C’est néanmoins à cause de ce prêche que tous se sont mis en route. Le Baveux, quand il ouvre les yeux, voit trois silhouettes penchées sur l’enfant. Il les fait fuir : « Laissez cet enfant ! Il est à moi ! » Il ne distingue pas les visages des silhouettes qui sortent de l’église en courant. Il se rend à l’autel, mais, au moment d’approcher la main du bébé, est pris d’une sorte de regret et de doute. Manger l’enfant n’est peut-être pas ce qu’il faut en faire… Il observe son visage calme, et voit quelques gouttes de liquide perler au coin de sa bouche ; il reconnaît l’eau de la rivière. Bravant le mal de tête, il se lance dans le noir à la poursuite des trois silhouettes. Au bord de la rivière, un chemin descend : ils ont dû passer par là. Il y a des vasques aménagées dans lesquelles on trouve de l’eau à différents stades. Un filet d’eau claire ruisselle, qui se mêle à l’eau jaunâtre de la rivière. Il y a du bruit en bas des marches. [Société] Je dois trouver ma place au sein du groupe.

En s’endormant, Gritte pensait avoir atteint quelque chose, mais dans ses rêves elle ne sort pas de l’église, contrairement à ceux qu’elle avait vus. Elle voit trois silhouettes penchées sur le bébé, et en reconnaît les visages : le juge qui l’avait accusée de sorcellerie, le prédicateur qui lui a ordonné de partir en pèlerinage, le père de l’enfant qui la rendait responsable de la mort en couches de la mère (Gritte était sage-femme). Le Baveux fait peur aux silhouettes, puis part à leur suite. Gritte s’approche de l’autel, voit le liquide aux lèvres de l’enfant, trempe son doigt et lui fait une bénédiction sur le front. Elle laisse l’enfant là et part derrière le Baveux. [Science] L’obscurantisme m’a chassée de mon village.

[Pèlerins] Je me suis rendormi après ma vision de l’enfant sur l’autel. Mon sommeil est perturbé par des images issues de la mystique chrétienne : trinité, sacrifice… Je me méfie du Baveux, et ne fais pas confiance à Gritte pour protéger l’enfant : c’est à moi de le faire… mais je ne sais pas comment. Quand je me réveille, tous deux sont partis, ce qui ne fait que renforcer ma conviction. Je vais voir l’enfant sur l’autel, m’humecte les lèvres du liquide sur son front. J’acquiers la conviction que nous tournons en rond : nous n’allons pas à Compostelle, mais nous en venons. Je veux comprendre ce qui se passe, j’ai le sentiment d’être manipulé. Je veux comprendre où nous allons.

 

Sixième tour

 

Le vent colle le Baveux à la paroi. Il descend au bord de la rivière. Il entend des chuchotements. En tournant le dos à la chute, il arrive à des cavités dans la pierre : les silhouettes ont dû se réfugier là. Il se sent très léger, mais son estomac recommence à se faire entendre. Dans la caverne, il y a une demi-douzaine de personnes en robes de bure, recroquevillées les unes sur les autres. Il entre, Gritte n’est pas loin derrière lui. Le Baveux a l’impression de connaître les lieux. Il avance vite, de crainte de « tomber » s’il s’arrête. Les six vieillards le regardent. Il sent l’eau de la rivière, mêlée à du sel, de la fumée… Il demande aux vieillards qui ils sont, ce qu’ils ont fait à l’enfant, ce qu’est cette eau (d’autant qu’il en a mis dans les gourdes des autres ! Il avait bien compris ce que Tak voulait faire…) Les vieillards sont effrayés. Le Baveux crache un jet de bile par terre. Ils ont l’air un peu plus rassurés. Gritte arrive dans son dos. Les vieillards disent qu’ils voulaient offrir la mémoire à l’enfant. [Science] L’eau de la rivière me rend la mémoire.

Gritte connaît bien la douleur des autres, et se rend compte de ce que le Baveux souffre et est devenu fou : il beugle dans le vide, il dit qu’il a mis de l’eau jaunâtre dans les gourdes… Or on sait que cette eau est un poison. Pendant qu’il parle à des personnes qu’elle ne voit pas, elle passe derrière lui… et le pousse dans la vasque. Elle veut le noyer ; ça n’est pas difficile de lui maintenir la nuque sous l’eau. Elle attend qu’il ne bouge plus, et ressent une sorte de délivrance après tout ce temps où elle avait souffert pour un crime qu’elle n’avait pas commis ; cette fois, c’est bien un crime qu’elle a commis, et il ne faut pas s’arrêter là : elle retourne vers l’église… (Elle raye Je veux aller à Compostelle pour y déposer un enfant qui n’est pas le mien.) Le Baveux, la tête sous l’eau, ne comprend pas ce qui lui arrive. Il est assailli par des images. Il se souvient du prédicateur de Compostelle, de l’accusation portée contre la sage-femme, dont il était amoureux, et du départ du pèlerinage. Il revoit sa vie défiler, les pillages auxquels il s’est livré, le meurtre d’un prêtre… Childe était le seigneur de la ville. Le Baveux perd conscience. [Chair] Je suis sujet à des douleurs terribles depuis que j’ai bu de l’eau. [Science, puissance] Je connais un remède temporaire à l’oubli.

Je suis le Baveux et Gritte, me doutant qu’ils sont allés vers la rivière. J’assiste au « meurtre » du Baveux par Gritte. Je me cache pour ne pas être vu d’elle. Je me rends ensuite près de la vasque, en sors le Baveux : il est inconscient mais toujours vivant. Je me dis qu’il est vraiment temps que je goûte moi-même à cette eau et, poussé par une intuition mystique, procède à une sorte de baptême par immersion totale. Je me souviens : j’étais le prédicateur, conseiller du seigneur Childe de Compostelle. J’ai lancé l’idée d’un pèlerinage perpétuel pour expier nos péchés et « guérir » l’Europe, en jouant sur le syndrome de l’oubli. Mais j’avais moi-même oublié tout cela…Dois-je perpétuer mon dessein ? En cas de réussite, je considère que ce passage à l’église est obligatoire dans la boucle… et la relance pour un tour ; sinon, je me dis que cette entreprise est un échec, surtout depuis la mort de Childe, et décide de rompre la boucle. [Société] Je me suis fourvoyé. J’ai péché en manipulant les gens, et suis tombé dans mon propre piège… Je ne peux pas exercer mon ministère par la manipulation.

 

Une partie fort sympathique dans l’ensemble. Si tout ne colle pas parfaitement et si des éléments ont été laissés en plan – mais sans doute est-ce inévitable ? –, le récit nous a tous parlé de son départ à sa conclusion, en gros. Les personnages ont probablement été un peu plus élaborés que dans les parties précédentes, et leurs interactions assez riches. En n’usant pas (ou peu) de l’Egrégore, notamment, nous avons évité d’en faire trop dans la surenchère surnaturelle, et surtout dans le final « pyrotechnique ». Je ferais bien un petit mea culpa très personnel : j’ai peut-être un peu trop essayé d’orienter l’intrigue de mon côté (souvenir de la partie précédente où on avait connu des difficultés en ne prenant pas assez de décisions ?) Nous avons peu fait intervenir les PNJ, par ailleurs, en dehors du Douanier… Mais le cadre était assez riche et, même si on avait tendance à se focaliser sur la perception de son propre personnage, on a davantage utilisé d’éléments « extérieurs » que précédemment. Dernier point, enfin : j’étais sceptique sur la possibilité de jouer en campagne ; je le reste un peu, mais cette histoire devrait pouvoir appeler une suite, et on va sans doute tester ça prochainement…

Voir les commentaires

"Te Deum pour un massacre"

Publié le par Nébal

Te-Deum-pour-un-massacre.jpg

 

 

Te Deum pour un massacre

 

On a parfois de ces lubies… Quand j’étais gamin, bien que déjà passionné par l’histoire en général et l’histoire de France en particulier, j’avais beaucoup de mal à m’intéresser à la période des guerres de Religion. Je trouvais cette époque vraiment trop atroce, et trop déprimante. Ce qui est sans doute un peu absurde, toute époque étant à sa manière riche en atrocités à même de faire déprimer tout un chacun, mais c’est comme ça : la moindre évocation des innombrables massacres qui ont émaillé le second XVIe siècle – dont celui de la Saint-Barthélemy, pour être le plus célèbre, n’est pas un cas isolé – avait une fâcheuse tendance à me donner la nausée. J’en ai toujours conçu l’image d’une époque grise et violente, en contradiction totale avec les fastes supposés de la Renaissance. Aussi ne l’ai-je finalement que fort peu étudié, et en ai longtemps conçu une image très schématique, voire manichéenne – avec les « gentils » protestants d’un côté et les « méchants » catholiques de l’autre : l’ombre de la Saint-Barthélemy encore une fois, qui tend à dissimuler un peu le reste… Bien sûr, cette vision est largement fausse, et, avec le temps, même si j’ai toujours eu du mal à me pencher sérieusement sur la question, la nausée n’étant donc jamais loin, j’en ai conçu une image plus nuancée, ceux qui dénonçaient le « Dieu de pâte » n’ayant souvent rien à envier en infamie aux commerçants d’indulgences… Mais voilà : cette impression première, à quoi s’ajoutait le lieu commun selon lequel il n’y a pas pire guerre que la guerre civile (opinion que les victimes des autres guerres trouveraient sans doute éminemment contestable, si elles étaient encore en mesure de donner leur avis…), m’a durablement marqué, et sans doute empêché de voir le revers positif de la médaille (je me souviens d’avoir lu tardivement un article passionnant sur les édits de tolérance de cette époque…).

 

Drôle d’idée, dès lors, que de me lancer dans la lecture de Te Deum pour un massacre ? Pas vraiment. Il faut dire que le jeu a une belle réputation, pour ce que j’en sais, et qu’on le doit à un certain Jean-Philippe Jaworski, dont j’avoue être un petit fan… Et puis je n’en suis plus, tout de même, à faire dans le refus d’obstacle devant l’étude et l’interprétation des sinistres événements de cette période. En fait, j’avais même envie d’en savoir davantage, et, à ce compte-là, Te Deum pour un massacre a parfaitement rempli son office. Ce superbe objet – un coffret de deux livres de plus de 500 pages reliés cuir, agréablement mis en page et abondamment illustrés – est en effet d’une lecture passionnante ; le premier tome est entièrement consacré au background, et je l’ai dévoré comme un bon roman. Au point, à vrai dire, de trouver que ces 560 pages de cadre environ… étaient finalement trop peu. J’en voulais encore…

 

Il faut dire que la partie « société », pour être intéressante, m’a parfois fait l’effet d’être un peu trop approximative et lacunaire. Pour m’en tenir à ce que je connais un tant soit peu – l’histoire du droit et des institutions, donc –, et ce quand bien même mes souvenirs en la matière sont trop lointains et trop flous pour que je puisse livrer une critique vraiment pertinente, j’ai ainsi regretté quelques confusions et défaillances (à titre d’exemple, dans ce chapitre consacré à la justice, on ne parle quasiment pas des parlements, et pas du tout de la doctrine de l’époque : tant pis pour les humanistes à la Cujas et compagnie…).

 

La partie « géographie » (française, d’abord, puis européenne) est de même bien trop courte. On en viendrait, à vrai dire, à souhaiter l’existence d’une sorte d’atlas historique qui rendrait le cadre plus concret et plus praticable… mais qui prendrait sans doute les dimensions d’un de ces deux livres (et après tout, voir l’abondante bibliographie en fin de volume).

 

Mais il y a le gros de l’ouvrage, les « chroniques » des guerres de Religion. Et là, c’est un régal. Frustrant, là encore, pourtant : même si le titre du jeu est éloquent, je n’ai pu m’empêcher de regretter que cette passionnante étude s’arrête avec la Saint-Barthélemy, là où il y aurait encore tant à dire sur la suite, au moins jusqu’à l’édit de Nantes… Mais bon sang, que c’est passionnant ! Et ce malgré une tendance à se montrer très précis en matière d’histoire militaire, peut-être aux dépends d’autres aspects. L’étude est brillante, le récit enlevé, complexe sans être rebutant, c’est un modèle du genre, dont je ne vois pas vraiment d’équivalent dans le monde des jeux de rôle (mais mes connaissances sont en la matière très lacunaires, notamment pour ce qui est des jeux historiques).

 

C’est bien ce sentiment paradoxal de « trop peu », alors qu’un livre entier est consacré au cadre, qui m’empêche de parler de perfection. On a parfois de ces exigences… Néanmoins, ce premier livre accomplit avec maestria son entreprise de séduction : à sa lecture, on est pris d’une envie irrépressible de jouer dans ce cadre ô combien atroce…

 

Le deuxième livre est consacré essentiellement aux règles. Allaient-elles se montrer à la hauteur de ce cadre superbe ? Eh bien, oui, dans l’ensemble. Avec même un certain brio pour ce qui est de la création de personnage. Si celle-ci a le défaut de nécessiter quelques allers-retours perplexes dans ce gros volume, elle repose toutefois sur un très intéressant principe de questionnaire à choix multiples, qui permet d’élaborer l’historique du personnage en même temps que ses caractéristiques. Il s’agit ainsi de définir la vie du personnage, en quatre étapes : petite enfance, enfance, adolescence, âge adulte (certes, cette présentation en tant que telle est contestable historiquement, mais très intéressante et pertinente en termes de jeu), cette dernière étape correspondant à une profession, et il y en a un paquet… Signe qui ne trompe pas : dès la lecture de cette section, je n’ai pas résisté et me suis emparé d’une fiche de personnage et d’un brouillon afin de créer mon alter-ego, et ai été parfaitement convaincu par le procédé.

 

Le système repose sur six caractéristiques (Savoir, Sensibilité, Entregent, Complexion, Puissance, Adresse), dont dépendent de nombreuses compétences, sur un schéma assez classique, à ceci près que les caractéristiques sont dites « narratives », correspondant non à une valeur chiffrée mais à un qualificatif et à un type de dé (du d4 au d20). Pour faire un jet, on prend le dé de la caractéristique, on y ajoute le montant de la compétence, et on compare à un seuil de difficulté (de 7 par défaut), les modificateurs portant sur le type de dé employé. Un système pas éloigné de celui que j’avais pu pratiquer dans Savage Worlds (et donc Deadlands Reloaded), et que je trouve assez élégant. Si le système de combat m’a paru parfois un peu trop pointilleux, et donc complexe, je reste néanmoins tout à fait séduit par cette mécanique, qui autorise bien des subtilités sans trop susciter de migraines, dans l’ensemble.

 

Ce second livre s’achève enfin sur trois scénarios (formant éventuellement une petite campagne), destinés à des PJ catholiques dans le Lyonnais, vers le début de la période. C’est sans doute dans cette section que l’on reconnaît le plus la patte de l’auteur : le style est délicieux, et la lecture fort agréable. Il y a une certaine montée en puissance dans ces trois épisodes – le premier étant très court et assez simple, là où le dernier est passablement complexe (le deuxième, à mi-chemin, m’a fait l’effet d’être un brin confus), et ils donnent énormément envie de jouer : à vrai dire, le dernier figure, je crois, parmi les meilleurs scénarios de jeu de rôle que j’aie jamais lus, à vue de nez….

 

Un dernier point mérite sans doute d’être soulevé, qui fait l’objet d’une postface : Jean-Philippe Jaworski, qui y insiste à bon droit sur la triste actualité du jeu (c’était vrai au moment de sa rédaction, ça l’est peut-être plus encore aujourd’hui, hélas…), explique son parti-pris de récompenser, au travers du système de progression des personnages qui ne s’arrête pas à la seule expérience (laquelle est plutôt bien pensée, d’ailleurs), les personnages moraux, et de punir les ordures. C’est un parti-pris, donc, que je trouve pour ma part très contestable, mais, ici, l’auteur peut bien avoir le dernier mot…

 

Quoi qu’il en soit, Te Deum pour un massacre, même si j’ai donc relevé ici ou là quelques bémols, est une lecture qui m’a passionné de bout en bout. Un petit monument à sa manière, et un modèle de jeu de rôle historique. J’en suis sorti avec deux envies folles : celle de lire encore plus de matière sur la période, et celle de jouer, bon sang (même si c’est assez intimidant). Pari réussi, donc, pour cet excellent jeu, alliant forme splendide et fond brillant. Je renâclais plus haut à parler de perfection, arguant du côté frustrant de la chose, mais soyons francs : ça s’en rapproche quand même pas mal…

Voir les commentaires

"La Véritable Histoire de la mort d'Hendry Jones", de Charles Neider

Publié le par Nébal

La-Veritable-Histoire-de-la-mort-d-Hendry-Jones.jpg

 

 

NEIDER (Charles), La Véritable Histoire de la mort d’Hendry Jones, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marguerite Capelle et Morgane Saysana, postface d’Aurélien Ferenczi, Albi, Passage du Nord-Ouest, coll. Short Cuts, [1956, 1984, 1993] 2014, 221 p.

 

Chose promise, chose due, même si c’est hélas bien tardif : après avoir fait un détour par la Corse avec l’excellent Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli, je reviens au western plus traditionnel. Et pour commencer, donc, La Véritable Histoire de la mort d’Hendry Jones de Charles Neider.

 

On l’aura compris dès le titre en forme de pied de nez au célèbre ouvrage de Pat Garrett, c’est donc de Billy the Kid que nous allons une fois de plus parler ici. Enfin, presque… Car Hendry Jones est le vrai Kid (et on ne l’appelle quasiment que sous ce sobriquet tout le long du roman), un meilleur pistolero encore que Billy, évoqué en début d’ouvrage. Doc Baker, le narrateur, nous conte donc ici ses derniers jours, essentiellement à partir de sa célèbre évasion jusqu’à ce qu’il se fasse buter par le shérif Dad Longworth, son ancien compadre. L’action a lieu entre le Vieux-Mex et la Californie, avec l’océan à l’horizon (cadre pas si banal pour un western, et assez intéressant).

 

Mais il ne s’agit ici de tromper personne : bien sûr, Hendry Jones est conçu comme un hommage à Billy the Kid, et c’est bien à lui que l’on pense à chaque page, jusqu’à ses dernières paroles, ce fameux « Quién es ? » frénétique. Mais ce Kid-là est, si l’on ose dire, plus vrai que nature ; il a pour lui toutes les « qualités » de notre Kid, mais en plus exacerbées. Post-ado jovial et souriant, il suscite l’empathie, et même la sympathie, malgré sa puérilité d’autant plus dangereuse qu’elle s’exerce l’arme au poing.

 

Il y a en effet un côté jubilatoire dans le récit de Doc Baker, le dernier camarade du Kid, désireux ici, donc, de rétablir la « vérité » (« Print the legend », ouais), et le profond réalisme, par ailleurs, du récit, suscite une très forte implication du lecteur, qui se retrouve lui aussi à chevaucher aux côtés de ces hors-la-loi qu’a réunis le Kid, et, de bourrades en bailes, partage leur quotidien absurde.

 

D’autant plus absurde, à vrai dire, que la mort marquera bel et bien la fin du voyage, donnant à cette Véritable Histoire de la mort d’Hendry Jones un parfum de tragédie. Ici, le Kid est un jeune homme marqué ; en dépit de son sobriquet, ce n’est plus tout à fait un gamin ; et la chance honteuse dont il a toujours bénéficié, notamment lors de son évasion rocambolesque, est en train de tourner et il le sait. Personnage haut en couleurs, le Kid n’en est pas moins dans l’attente de la balle qui porte son nom, celle à laquelle il ne pourra échapper d’aucune manière…

 

Mais, en attendant, il vit. Et c’est une sorte de liberté, quand bien même puérile et fortement égoïste, que ce Kid-là incarne, avec ses compadres. Une liberté sans véritable motif, même si l’idée de vengeance reste toujours présente ; le Kid, Doc Baker, Harvey et Bob peinent parfois, ainsi dans le trajet qui les conduit au Vieux-Mex puis les en ramène, mais prennent aussi pas mal de bon temps. « Embrasse-moi, chérie », dit-on ici en portant la bouteille au goulot. Et de chéries, il est aussi question avec la belle et farouche Nika, qui s’est mariée dans l’attente de la pendaison du Kid (raté…), et qu’il compte bien récupérer aux bras de son mourant de mari Miguel. Qu’il respecte, cela dit. Comme les « basanés » du coin, Mexicains et Peau-Rouge, le respectent lui. Cette histoire de mort est aussi une histoire d’amitiés.

 

Tout n’est pas réussi à mon sens dans le roman de Charles Neider, cependant. Si les personnages sont brillants, si l’empathie qu’il parvient à susciter est tout à fait remarquable, si les dialogues sont enthousiasmants, et si certaines scènes marquent durablement (j’ai pour ma part surtout apprécié le séjour en prison du Kid), le style comme la construction (encore que ça se discute, notamment sur ce dernier point) m’ont paru assez critiquables. J’avoue d’ailleurs, même si je me méfie tout naturellement de plus en plus de ce que je peux avancer ici, que la traduction m’a semblé parfois bien lourde (et j’ai renâclé notamment devant cette façon de mêler sans cesse passé simple, passé composé et présent…).

 

Reste néanmoins un western assez poignant, finalement plutôt original malgré son sujet rebattu (et je n’en ai de toute évidence pas fini avec Billy the Kid…). Rien d’exceptionnel, mais ça se lit bien.

 

Notons au passage l’intéressante postface d’Aurélien Ferenczi, qui s’intéresse essentiellement à l’adaptation très libre que Marlon Brando fit de ce roman (en en ôtant visiblement tout le sel pour tourner à la gloire de son ego…), La Vengeance aux deux visages. On y croise les noms de Sam Peckinpah, ce qui n’est sans doute que justice, puis, plus étonnant, de Stanley Kubrick… et c’est sans doute l’occasion de s’intéresser à ce qui fait l’essence du western puis du néo-western, le roman de Charles Neider constituant une belle transition.

CITRIQ

Voir les commentaires

"Star Wars : Aux confins de l'Empire : Kit d'initiation"

Publié le par Nébal

Star-Wars-Aux-confins-de-l-Empire---Kit-d-initiation.jpg

 

 

Star Wars : Aux confins de l’Empire : Kit d’initiation

 

J’ai un aveu à vous faire, particulièrement douloureux pour quelqu’un qui prétend aimer la littérature de science-fiction : j’aime Star Wars. J’aime même beaucoup Star Wars. Bon, la trilogie originelle, hein (même si j’ai fait l’effort de voir, par curiosité perverse, les épisodes I à III, et trouve par ailleurs que tout n’est pas à y jeter). Mais peu de films m’ont fait autant rêver quand j’étais bambin, aussi ne cracherai-je jamais dessus (et je pense que je les reverrais encore avec plaisir). J’aime beaucoup de choses dans le « western galactique » de George Lucas : le design exceptionnel (a-t-on jamais vu plus beaux vaisseaux spatiaux que les destroyers de l’Empire ? Plus belle arme, quand bien même improbable, qu’un sabre laser ?), la musique envoûtante de John Williams, les effets sonores qui sont bien la patte du créateur de THX 1138, et, bien sûr et surtout sans doute, la richesse remarquable de cet univers, fut-il archaïque…

 

Rien d’étonnant dès lors, j’imagine, si Star Wars, dans sa version « d6 », a été mon premier jeu de rôle (je l’ai vendu depuis, hélas…). J'avais acheté un numéro de Casus Belli (qu’on m’a identifié comme étant le n° 84 de décembre 1994 – janvier 1995) un peu au pif, parce que j'aimais bien la couv (avec une sorte de space marine dessus ; je jouais beaucoup à Space Crusade, alors) et qu'il y avait un jeu offert. Mais dedans ça causait surtout de jeu de rôle, et je n'avais aucune idée de ce que ça pouvait bien être... même si j'avais déjà fait beaucoup de « livres dont vous êtes le héros ». Mais il y avait un scénario de Star Wars, et ça m'intriguait. Résultat : même sans savoir dans quoi je m'engageais, j'ai acheté le jeu, l'ai lu, ai vaguement compris de quoi il retournait, et ai initié mes potes (j'étais MJ, donc). Le résultat avait sans doute été un peu calamiteux, mais en même temps pas tant que ça, puisqu'un de mes camarades, intrigué itou, s'est alors acheté JRTM, et un autre Vampire (je le lui ai racheté quelque temps plus tard). Même si on a essentiellement fait du AD&D 2 (Dark Sun, puis Ravenloft) quand j'étais ado, puis du Vampire (donc), ma rencontre a été le fruit du hasard total ou presque, et avec Star Wars.

 

Aussi la nostalgie n’est-elle sans doute pas pour rien dans mon acquisition de cette nouvelle déclinaison de Star Wars en jeu de rôle (dont j’avais cependant eu quelques bons échos, je n’y suis cette fois pas allé totalement à l’aveuglette). Il y a en fait trois jeux (c’est la mode, faut croire, voyez les Warhammer 40K) : Aux confins de l’Empire, qui nous intéresse ici, propose de vivre des aventures dans la Bordure, loin de Coruscant et compagnie ; les deux autres jeux s’intéressent à la guerre entre l’Empire et l’Alliance rebelle (nous sommes ici juste après la bataille de Yavin qui vit la destruction de l’Étoile noire, au passage), et enfin aux Jedis. Le « vrai » jeu d’Aux Confins de l’Empire a été traduit, sous la forme d’un volumineux ouvrage ; mais j’ai préféré découvrir le système avec ce Kit d’initiation, qui en présente une version allégée de manière très pédagogique (et c’est sans doute son principal intérêt, qui le destine tout particulièrement à l’initiation, donc, des jeunes joueurs).

 

La boîte, puisque boîte il y a, est à vrai dire pleine de vide : ce sont les dés qui « justifient » son épaisseur (j’y reviendrai) ; on y trouve également des jetons divers et variés, dont on peut parfaitement se passer pour la plupart ; restent enfin et surtout deux petits livrets, celui d’aventure d’une trentaine de pages, et celui de règles d’une cinquantaine, et quatre dossiers de personnages prétirés, qui permettent d’assister en douceur à l’évolution des PJ.

 

Le MJ et les joueurs sont vraiment pris par la main, et on fait tout pour que l’apprentissage des règles se déroule au mieux, sans la moindre petite goutte de sueur. Tout commence donc avec le livret d’aventure. Disons-le tout net : le « scénario » qui y est proposé n’en est pas un ; forcément dirigiste (dans un premier temps surtout), pas mal infantilisant et surtout atrocement bourrin, il n’est d’aucun intérêt en tant que tel. Sauf qu’il permet vraiment d’aborder tranquillement les règles, et il remplit dès lors parfaitement son office, et même avec beaucoup d’astuce ; j’ai vu il y a peu une discussion sur le forum Casus NO concernant la difficulté d’appréhender des livres de règles aujourd’hui, ben pour le coup ce Kit d’initiation est un vrai modèle de pédagogie (me faut attendre encore un peu, mais je finirai bien par l’utiliser sur mes neveux, tiens). Chaque rencontre, lors de cette fuite éperdue de Mos Shuuta sur Tatooine, est ainsi l’occasion de développer un point de règles : tests de compétence, combat, jets en opposition, etc. C’est clair, net, précis. Et les règles qui sont ainsi proposées au fur et à mesure sont reprises et quelque peu détaillées dans le livret de règles, qui permet de synthétiser la chose, et de jouer d’autres aventures sans avoir à se référer systématiquement au livret d’aventure et à son ordre de présentation certes très efficace, mais difficilement utilisable au-delà. N’empêche, c’est vraiment du très beau boulot.

 

Le système – oui, il est bien temps de l’évoquer – repose sur des dés spéciaux, de sept types différents (trois « bons dés » – aptitude, maîtrise, fortune – ; trois « mauvais dés » – difficulté, défi, infortune – ; et enfin le dé de force, qu’on ne jette a priori qu’au début de la partie, pour constituer une réserve de jetons dans lesquels le MJ comme les joueurs pourront taper, sachant que l’utilisation d’un point de force – PJ – ou d’un point du côté obscur – MJ – consiste à retourner le jeton sur l’autre face). J’avoue que, quand j’ai appris ça, j’ai été plus que sceptique… Mais j’ai été rapidement convaincu par l’élégance et le côté ludique de ce système coloré. Il n’y a ainsi pas de seuil à franchir ou en dessous duquel il faut rester ; tout passe dans la constitution d’une poignée de dés, selon des règles élémentaires.

 

Ainsi, par exemple, pour faire feu avec son blaster, on prendra les dés verts d’aptitude et les dés jaunes de maîtrise indiqués sur la fiche (plus tard, on découvrira que, du score de caractéristique et de celui de compétence, le plus grand donne les dés d’aptitude, et le plus petit indique combien de ces dés sont transformés en dés de maîtrise), et on y ajoute des dés violets de difficulté en fonction de la portée ; on peut également y ajouter, par exemple, un dé bleu de fortune si on a pris le temps de viser, et un dé noir d’infortune si la cible est à couvert. Et on jette tout ça. Les symboles des dés viennent se compenser, un échec annulant un succès ; s’il reste au final un succès de plus, l’action est réussie ; mais, en outre, viennent s’y ajouter des avantages et des menaces, qui permettent de donner un côté plus narratif à l’action. Par exemple, si je réussis mon tir de blaster avec deux succès, mais aussi deux menaces, certes je parviens à toucher ma cible, mais je peux aussi enquiller un peu de stress ou me retrouver dans une posture plus délicate pour mon prochain tir, ou conférer un avantage sur moi à mon adversaire pour sa prochaine action, etc. Dit comme ça, sans les codes de couleur, j’imagine que cela peut paraître abstrait, mais c’est en fait vraiment très simple, et j’ai été pleinement convaincu par ce système, susceptible de bien des déclinaisons, et qui parvient à allier simplicité et narration d’une manière très astucieuse.

 

Au final, donc, si ce Kit d’initiation n’a rien d’indispensable – un joueur chevronné peut passer sans souci au gros livre de base, et j’aurais très bien pu le faire –, c’est néanmoins un outil fort bien fait pour découvrir en douceur les principes du jeu de rôle dans l’univers de Star Wars. Je ne l’utiliserai probablement pas en tant que tel (sauf d’ici quelques années sur mes cobayes de neveux, donc), mais il a su me séduire et me convaincre ; m’en vais sans doute me faire le reste de la gamme au fur et à mesure, moi.

Voir les commentaires

"Orphelins de Dieu", de Marc Biancarelli

Publié le par Nébal

Orphelins-de-Dieu.jpg

 

 

BIANCARELLI (Marc), Orphelins de Dieu, Arles, Actes Sud, 2014, 235 p.

 

Au début, je pensais entamer ce compte rendu d’Orphelins de Dieu par de mauvaises blagounettes pseudo-jacobines sur la Corse et les Corses, d’autant que Marc Biancarelli enseigne le corse et écrit en corse (mais pas ce livre-ci, directement dans la langue du colonisateur). J’ai décidé de m’en abstenir, et vous pourriez m’en remercier, prenant conscience que ça ne ferait probablement rire que moi, que les Corses sont susceptibles et que de toute façon je préfère taper sur les Bretons.

 

Cela dit, de Corse, il sera beaucoup question ici, puisque Orphelins de Dieu, figurez-vous, est une sorte de « western corse ». On pourrait même à vrai dire enlever les guillemets et ce triste « une sorte de », dès l’instant que l’on accepte qu’un western ne se passe pas forcément en Amérique du Nord. Reprenons donc : Orphelins de Dieu est un western. Corse. Et un des personnages, ô combien charismatique, a ce jugement éloquent sur « l’île de beauté » (non, ça, vous allez pas y couper) :

 

« J'ai ma théorie sur ce pays. Je me dis que Dieu l'a choisi pour y expérimenter tout ce que les hommes sont capables de mettre en œuvre pour s'affronter et se détruire. Je crois que cette ordure qui est Notre Seigneur a pris un peu de tous les ingrédients les plus pourris de la nature humaine et qu'Il a foutu tout ça dans un bocal, avec nous au milieu pour voir ce que ça pourrait donner, et comme ça Il saurait, et Il éviterait de reproduire partout le même potage. Je crois pas qu'Il y arrive vraiment, mais disons que dans Son expérimentation du pire, Il nous a choisis parmi les cobayes les plus zélés. La haine, le ressentiment, la jalousie, la convoitise, la médisance, on dira que c'est à peu près ce qui se partage le mieux dans ce putain de territoire, et si l'on y rajoute l'enculerie, la politique, la tyrannie, l'oppression et la guerre permanente, la vengeance et la corruption, je crois qu'on a un terreau durable pour que le merdier légué par nos anciens se perpétue encore longtemps. Enfin bref, j'ai vu un peu le monde, par obligation, et je vais pas te dire qu'il est beau, mais quand même, je dois à l'honnêteté de reconnaître que notre pré carré sent particulièrement le moisi, et même je trouve qu'il exhale plus que de raison un fumet de chairs en décomposition dont je ne te dis que ça. »

 

Ce qui claque, tout de même (mais on m’a déjà accusé d’être un peu trop « négatif », comme garçon). Et le livre dans son ensemble claque pas mal. Dans tous les sens du terme. Parce que c’est beau et puissant, certes. Mais aussi parce que c’est d’une ultra-violence sèche, particulièrement redoutable, qui a de quoi laisser pantois. Une libraire de ma connaissance ne s’en est d’ailleurs toujours pas remise (avec un grand sourire), et c’est un peu (beaucoup) de sa faute si j’ai lu – et adoré – Orphelins de Dieu. Que cette psychopathe en soit remerciée ici.

 

Nous sommes donc en Corse (eh), au XIXe siècle, aux environs de la chute du Second Empire (pas grave, ce Bonaparte-là n’était pas vraiment corse). La jeunette Vénérande en a gros sur la patate. Il faut dire que quatre connards de la pire espèce ont un triste jour débarqué là où son frère Petit Charles faisait paître son troupeau, et se sont amusés à défigurer le pauvre berger et à lui couper la langue. Il ne s’en est jamais remis, et Vénérande, qui a la vendetta dans le sang, ne compte pas laisser cet odieux forfait impuni.

 

C’est pourquoi, un autre triste jour, après avoir fait quelques économies aux dépends de ses enfoirés de cousins cupides, elle va voir Ange Colomba, dit L’Infernu. Devinez ce qui, du prénom ou du pseudonyme, est le plus approprié ? Gagné. L’Infernu est un beau salaud, lui aussi ; c’est un homme que l’on paie pour tuer d’autres hommes. Mais il est vieux, pisse du sang, et prendrait bien sa retraite, dans un monastère par exemple, juste au cas où. Vénérande insiste, cependant. Et L’Infernu finit par accepter, voyant dans ce dernier contrat l’occasion d’un baroud d’honneur, si tant est que l’honneur ait quelque chose à voir dans toutes ces atrocités ; il faut dire que la description des malfrats que la jeune fille a extorquée de son frère infirme lui parle : il sait qui sont les salauds qui ont fait le coup. Il sait aussi que, s’il accepte, il a peu de chances d’en sortir vivant. Et il accepte.

 

Et, en chemin, il raconte à Vénérande comment le petit Ange Colomba est devenu L’Infernu, en accompagnant sur le sentier de la guerre (pas vraiment de la gloire) la bande d’insoumis du sieur Poli, plus ou moins patriotes, plus ou moins révolutionnaires, mais authentiques brigands. Un long récit de pillages, de viols, de tortures et de meurtres…

 

Tout cela n’est effectivement pas très joyeux. True Grit de Charles Portis est cité en exergue, et, effectivement, dans cette Vénérande avide de vengeance, il y a de ça ; c’est quand même nettement moins rigolo… Pas du tout rigolo, en fait ; et pour le coup, a fortiori dans les souvenirs de L’Infernu, on lorgne plus du côté de Méridien de sang de Cormac McCarthy (Colomba et ses « modèles » ont quelque chose du Juge) ou Chevauchée avec le diable (eh) de Daniel Woodrell (les insoumis faisant énormément penser aux bushwhackers, d’ailleurs évoqués en dernier recours).

 

Et puis, bien sûr, « When the legend becomes fact, print the legend. » Et c’est bien une légende (pour le coup pas très dorée) que narre avec brio Orphelins de Dieu : celle d’une contrée « sauvage », où le sang coule volontiers, et où le quidam, qui n’en peut mais, est entraîné bien malgré lui dans une spirale de violences et de destructions, où ceux qui prétendent le défendre ne sont pas les derniers à le faire souffrir. Histoire d’une révolte qui, pour avoir plein de justifications historiques, tourne plutôt mal, et façonne les petits anges en répugnants démons.

 

La plume très adroite de Marc Biancarelli, qui joue avec astuce du décalage entre une forme subtile (probablement trop pour les personnages, d’ailleurs, mais on s’en fout, ça passe très bien) et une action horrible et brute, achève de convaincre le lecteur déjà fortement séduit par le cadre et l’atmosphère (certes, ce n’est pas la banale histoire de vengeance qui emporte l’adhésion : on est là dans le code, mais très bien utilisé, donc ça va). Et la lecture d’Orphelins de Dieu est ainsi passionnante de bout en bout. On verdit régulièrement au récit des innombrables atrocités qui l’émaillent, et on n’en sort pas vraiment avec au cœur un vibrant amour pour l’humanité… Mais avec la conviction, essentielle, d’avoir lu un excellent roman, qui sait user du genre pour sonder l’âme et l’histoire, celles d’un homme et celles d’un peuple. Brillant.

CITRIQ

Voir les commentaires

"Praetoria Prima"

Publié le par Nébal

Praetoria-Prima.jpg

 

 

Praetoria Prima

 

Bizarrement, ou peut-être pas tant que ça, mon intérêt pour Rome a été assez tardif. Si j’ai toujours été passionné par l’histoire, et notamment celle de l’Antiquité, j’en ai longtemps eu une vision assez biaisée, et ai eu – nécessairement – tendance à valoriser la Grèce et dans une moindre mesure l’Égypte par rapport à l’Empire. Clichés à la Astérix, peut-être (mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je révère les albums de Gosciny)… Mais franchement : entre un philosophe grec épris de raison et un vulgaire militaire romain amateur de sanglants jeux du cirque, mon cœur ne balançait guère. Bien entendu, cette vision est fausse, mais il m’a fallu du temps pour m’en débarrasser ; et, à vrai dire, même si j’étais nettement meilleur en latin qu’en grec ancien, ces cours n’y ont pas changé grand-chose… Je crois, en fait, que c’est la découverte de l’extraordinaire édifice du droit romain, dans mes études supérieures, qui a probablement changé la donne. Et même si mon mémoire de Maîtrise de science politique portait encore sur ces satanés Grecs, j’avais fini par comprendre que la réalité historique n’avait rien d’aussi simple que ce que je croyais auparavant (la lecture de Thucydide, surtout, et, mais d’une tout autre manière, celle de Platon, m’amenant d’ailleurs à reconsidérer les vieux clichés sur la Grèce). Et puis il y a eu la série Rome produite par John « du sexe et du sang » Milius, dont je me suis régalé… Bref. Tout ça pour dire que, si mon intérêt véritable pour Rome est assez tardif, il est néanmoins assez prégnant.

 

Mais ce n’est que tout récemment que je me suis mis à chercher des jeux de rôle adoptant un cadre antique ; je suis tombé notamment sur Agôn, que je n’ai pas encore eu l’occasion de lire, mais je désirais quelque chose de moins « mythologique », de plus réaliste. Praetoria Prima me tendait donc les bras, même si je n’en savais encore rien ; à vrai dire, je suis tombé dessus totalement par hasard, en fouinant dans une boutique. Le cadre romain m’intriguait (donc) ; le temps de jeter un œil à quelques critiques dans l’ensemble très positives, et j’ai cédé à ma pulsion d’achat…

 

Praetoria Prima est un jeu de rôle de Sébastien Abellan, dit « Mercutio », qui a connu une certaine carrière en tant que jeu indépendant avant d’être édité par les Éditions Icare (dont c’était, si je ne m’abuse, le premier titre ; je me suis du coup intéressé aux autres, et vous parlerai sans doute bientôt de Würm et de Cats !). Le livre est assez cheap… Mais on n’est pas à ça près, hein ?

 

Nous sommes donc peu de temps après l’accession au trône de Néron. Le jeune prince est adoré des Romains, on n’en est pas encore, loin de là, à l’image de l’incendie de la ville éternelle, avec l’autre dingue qui joue de la lyre… Mais il n’est pas en sécurité pour autant : dans l’ombre, les complots sont nombreux, qui visent à se débarrasser de l’Empereur, pour telle ou telle raison… D’où la Praetoria Prima, une sorte de légion de l’ombre, composée de l’élite de l’Empire, dont la tâche est de protéger le prince… sans même que ce dernier ne soit au courant. Il faut dire, cependant, que d’aucuns dans la Praetoria Prima considèrent que leur mission est de défendre l’Empire avant même l’Empereur… et peut-être à ses dépends.

 

Les joueurs sont donc invités à incarner de ces légionnaires d’exception, à la fois soldats, enquêteurs et espions (et tous des hommes, même si j’ai cru comprendre que, dans le livret de l’écran, je crois, des pistes sont données pour incarner malgré tout des femmes…). Ils sont répartis grossièrement en cinq « classes » : Bellator, Emissarius, Medicus, Orator, Vates. Ils peuvent être originaires de tout l’Empire, même si l’auteur a pris le parti (nécessaire, sans doute) d’une présentation simplifiée qui, au-delà de Rome en elle-même, n’envisage que la Gaule, le Grèce et l’Égypte.

 

Quand on jette un œil à la fiche de personnage sans rien connaître du système, il est difficile de ne pas songer au « Monde des Ténèbres »… et l’auteur, dans une brève postface, explique sans surprise que Vampire l’a beaucoup influencé, notamment d’ailleurs pour son aspect de politique de l’ombre. Nous avons donc trois valeurs, Virtus, Fides et Pietas (en très gros, physique, social, intellect) dont dépendent trois couples de caractéristiques, puis trois ensembles de compétences, avec moult petits ronds à remplir à côté.

 

Le système, pourtant, n’a rien à voir avec celui de Vampire, et il ne faut donc pas se fier aux apparences. En gros, la valeur détermine le nombre de dés que l’on jette, parmi lesquels on ne retiendra que celui qui fait le plus gros score, auquel on ajoutera caractéristique et compétence pour déterminer face à un seuil la réussite ou l’échec. C’est donc moins intuitif que le « Monde des Ténèbres », mais reste assez simple, même s’il y a bien sûr des cas particuliers qui viennent un peu compliquer la chose (dont le combat, sans surprise).

 

L’originalité réside probablement dans les prières. Le joueur, en fonction de sa foi et de sa ferveur, peut adresser des prières à son dieu pour en retirer une bénédiction ou jeter une malédiction sur un adversaire. Concrètement, si la prière réussit, et donc si le dieu est à l’écoute, il y aura, par exemple, un bonus sur un jet de dés. C’est plutôt bien fait… et pourtant ça me gêne, à un double titre : d’une part, cela introduit dans Praetoria Prima un vague élément « surnaturel » dont il aurait à mon sens gagné à se passer (mais bon, ça, c’est moi, hein…) ; d’autre part, cela procède d’une vision quand même très schématique et hautement critiquable de la religion à Rome, question complexe, et bien éloignée sans doute des conceptions qui nous ont été imposées ultérieurement par les religions universelles de salut (notez, on peut jouer des chrétiens ou truc, hein ; on peut même jouer des athées, mais cela revient à se passer des bonus des prières, et procède là d’une vision vraiment très réductrice, trop sans doute…).

 

Voilà en gros pour les aspects techniques, lesquels, vous l’aurez compris, sans être mauvais pour autant, ne constituent pas le point fort de Praetoria Prima. Non, le véritable intérêt, comme la vérité, est ailleurs : dans un cadre absolument superbe, et présenté avec beaucoup d’adresse. Si l’on ne peut que regretter la simplification (bien compréhensible, cela dit) qui vient réduire l’Empire à seulement trois provinces majeures en dehors de l’Urbs, le fait est que Sébastien Abellan fait preuve d’un grand talent pour immerger le lecteur (et donc le joueur ?) dans l’Empire du début du règne de Néron ; la « visite guidée » de Rome est un véritable modèle, et la présentation ultérieure de PNJ notables, riche d’une multitude d’idées de scénarios, est également très bien faite et tout à fait enthousiasmante. Le scénario d’introduction proposé en fin de volume est de même intéressant, non seulement pour sa trame policière, classique mais bien foutue, mais aussi pour le conflit de valeurs qu’il suscite en définitive, et qui constitue à mon sens le cœur même des intrigues auxquelles Praetoria Prima peut donner vie.

 

La lecture de ce livre assez court et très aéré, somme toute agréable dans la partie « technique », devient ici tout à fait passionnante, et l’on est vite pris d’envie de constituer une décurie de l’ombre pour l’envoyer aux quatre coins de l’Empire (même si d’abord à Rome, sans doute) défendre la personne de Néron… ou pas. La tâche n’était probablement pas aisée, mais l’auteur s’en est très bien acquitté.

 

Au final, et malgré la petite réserve – le doute, disons – concernant le système des prières, Praetoria Prima m’a l’air franchement intéressant, et j’en maîtriserais volontiers quelques parties… même si cela semble hélas peu probable dans l’immédiat. Parce que Rome, c’est cool. Na.

Voir les commentaires

"Anti-glace", de Stephen Baxter

Publié le par Nébal

Anti-glace.jpg

 

 

BAXTER (Stephen), Anti-glace, [Anti-Ice], traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti, Saint Mammès, Le Bélial’, [1993] 2014, 270 p.

 

Tiens, ça faisait un certain temps que j’avais pas chroniqué un roman de SF, moi… et je le regrette un peu. Je n’ai guère pu m’y adonner ces derniers temps pour tout un tas de raisons, et je ressens comme un manque (si). Aussi, libéré des tolkieneries, et avant de me mettre au programme que je me suis moi-même imposé pour cet été qui passe bien vite, j’ai voulu m’accorder une friandise avec ce Stephen Baxter « nouveau ». Enfin, « nouveau », pas vraiment… Ce roman date en effet de 1993, mais n’a connu l’heur d’une traduction que tout récemment. Mais on n’est pas à ça près, n’est-ce pas ? Surtout quand, à l’instar de votre serviteur, et ainsi que vous avez peut-être pu le constater si vous avez l’étrange idée de parcourir ce blog régulièrement, on apprécie beaucoup Stephen Baxter.

 

Anti-glace n’est cependant pas un Baxter comme les autres. Rendant hommage au roman scientifique à la H.G. Wells et probablement plus encore (étrangement ou pas) à la Jules Verne, l’auteur anglais se livre en effet ici à l’exercice du pastiche steampunk. Certes, on avait déjà lu des choses dans ce goût-là chez lui avec l’excellent, l’indispensable même, Les Vaisseaux du temps, superbe et improbable « suite » à La Machine à explorer le temps, qui fut le premier roman de l’auteur que j’eus le bonheur de lire, et reste un de mes préférés. Mais le ton est cependant ici assez différent… pour le meilleur et pour le pire.

 

Nous sommes en 1870, sur une Terre où l’Empire britannique est plus puissant que jamais. Grâce à la découverte en Antarctique d’une étrange matière (qui a tendance à faire BOUM !) baptisée anti-glace, la technologie a connu un essor incroyable. On doit ainsi au professeur Traveller – ingénieur génial (et donc excentrique) qui emprunte beaucoup à nombre de héros de Verne – la mise en application de cette étrange substance dans des appareils divers, du terrible canon qui a mis fin à la guerre de Crimée au Phaéton expérimental, appareil volant destiné à un bien improbable voyage (dont je ne révèlerai pas ici la destination, même si, bon, hein, bon, je ne pense tromper personne…).

 

Et puis il y a le Prince Albert, immense et incroyable paquebot terrestre qui doit être lancé en Belgique. Se rend sur place notre narrateur, le jeune Ned Vicars, diplomate de pacotille, passablement couillon (en bon témoin vernien là encore), ce qui explique sans doute pour une part son héroïsme latent, accompagné du journaliste so British Holden. Même si, à vrai dire, c’est plus le joli minois d’une Française aussi ravissante qu’infecte qui attire notre héros sur place, que la perspective d’assister à un énième miracle de l’anti-glace. Las, ce voyage ne va guère se passer comme prévu, et, alors que le continent sombre dans la terrible guerre opposant la France à la Prusse, Vicars, Holden, Traveller et son valet (on ne peut plus vernien, décidément) Pocket vont se retrouver contraints à quitter de manière impromptue le théâtre des festivités…

 

J’ai le sentiment que ce bref résumé du début d’Anti-glace traduit déjà assez tant ce qui fait la force du roman de Stephen Baxter que ce qui fait sa faiblesse. En effet, on sent que l’auteur s’amuse beaucoup dans cet exercice du pastiche (assez lourd sur le pur plan du style, cela dit) et nous régale ainsi de joyeusetés steampunk diverses et variées, à propos desquelles il disserte à loisir, mais non sans un certain humour parfaitement réjouissant (qui n’empêche pas le roman de se montrer en définitive fort grave, lors d’une conclusion véritablement excellente – Baxter est décidément quelqu’un qui sait fort bien finir ses romans, à grand renfort d’images puissantes et de « sense of wonder » teinté d’horreur pure). Cependant, on est vite convaincu d’une chose : c’est que le roman est fait, du coup, de bric et de broc, enchaînant les tableaux amusants (ou tragiques sur le tard, donc) au prétexte d’une trame insipide, qui ne tient pas la route deux secondes.

 

D’où ce bilan contrasté : j’avais entendu un peu tous les sons de cloche à propos de ce roman, du meilleur au pire, mais ne peux pour ma part qu’adopter un jugement mitigé (ce qui équivaut sans doute, pour cet auteur que j’apprécie d’habitude énormément, à dire qu’Anti-glace est une œuvre franchement mineure, ce qui peut expliquer sa traduction si tardive). Ça fourmille en effet de bonnes idées, ça contient quelques images fortes typiques de l’auteur, c’est drôle et enlevé avant de devenir grave et même déprimant, c’est à n’en pas douter intelligent (l’occasion, notamment, de s’interroger sur l’impérialisme sous toutes ses formes, culturel, technologique, militaire… ce qui n’est bien évidemment pas innocent, l’empire britannique prenant ici la place des Etats-Unis), mais ça ne tient pas vraiment la route. Les chapitres s’enchaînent sans queue ni tête, leur seule « justification » tenant dans la promesse de nouvelles dissertations façon roman scientifique (et, si Baxter n’écrit ici « pas très bien », il aime de toute évidence beaucoup s’entendre deviser doctement…) ; on ne croit pas deux secondes à « l’histoire » (un bien grand mot…) vécue par Vicars et ses comparses, « McGuffin » trop gros pour être honnête, et qui donne une impression de mal foutu pour ne pas dire de bâclé. Ce qui est tout de même un brin fâcheux.

 

Cela ne fait pas d’Anti-glace un mauvais roman, et j’ai passé un bon moment à le lire, me régalant régulièrement des fascinantes trouvailles de l’auteur et frissonnant d’horreur devant cette conclusion puissante qui ne saurait laisser indifférent (même si son « prétexte », là encore, tient peu ou prou du foutage de gueule). Mais on est clairement loin ici des meilleurs Baxter (disons Les Vaisseaux du temps, donc, Voyage, Évolution et Exultant). Un roman mineur : pas désagréable, mais quand même mal branlé. Je parlais plus haut (en usant d’une métaphore culinaire convenue et par là même interdite, on me l’a fait remarquer, et c’est bien pourquoi j’insiste) de « friandise ». Ben oui, c’est ça, Anti-glace : une sorte de Haribo steampunk ; c’est sucré, et on tape dedans volontiers, mais on s’interroge en même temps quant à savoir si c’est effectivement bon, ou carrément de mauvais goût. Un plaisir coupable, qui ne prête pas à conséquence. Et de la part de Stephen Baxter, que je considère sans aucun doute comme l’un des plus brillants auteurs de SF du moment, c’est donc un peu décevant. Pas grave : on s’en remettra, et ça remplit quand même son office.

CITRIQ

Voir les commentaires

"Krystal"

Publié le par Nébal

Krystal.JPG

 

 

Krystal

 

Parce que j’aime bien les « Intégrales » (qui n’en sont pas toujours : ici, par exemple, une campagne est annoncée) des XII Singes fonctionnant sur le « dK », je n’ai guère hésité avant de me procurer ce Krystal qui décline la gamme sur le registre (porteur ?) post-apocalyptique. Je m’en faisais cependant une idée un peu fausse, en imaginant un univers essentiellement forestier (et après Inflorenza, bon…). Pas vraiment, en fait : ici, on fait certes dans le post-apocalyptique européen, mais versant résolument écologiste. Ce qui nous vaut une assez pénible a priori touche new age (beuh… je vous passe les détails, c’est dans les « Secrets », mais sans en être vraiment…), qui a cependant l’intérêt de déboucher sur une note d’espoir plutôt intéressante, quand bien même un tantinet niaise en apparence ; mais c’est pas désagréable, des fois. Et, disons-le, cet aspect – qui confère à ce monde d’après le Clivage un aspect fantasy – est l’originalité essentielle d’un background pour le reste assez commun, avec de gros emprunts aux classiques du genre.

 

Adonc, nous sommes 300 ans après le Clivage, et l’Europe est dans un sale état. Tel, à vrai dire, qu’il est quasiment impossible de se déplacer d’une Enclave à l’autre sans masque à gaz, tant l’air est vicié… Mais il en est pour en être capable : les Fondateurs, tout d’abord, qui propagent le culte de Mère, conférant une unité religieuse à l’idée de renouveau ; les Hérauts, ensuite, qui sont liés à cette Congrégation, et qui sont entrés en résonance avec un « krystal » : eux peuvent se déplacer librement d’une Enclave à l’autre, sans s’encombrer d’un dispositif respiratoire, et peuvent même étendre cette faculté à d’autres ; mais surtout, ils sont en mesure de régénérer des Failles et de les transformer en Havres, et de gagner ainsi du terrain viable sur ce monde ravagé et quasiment dépeuplé : ils se pointent sur une Faille, font un truc adapté, et PAF ! Retour illico des arbres et de l’herbe. Mignon, non ? Et ça tombe bien : les joueurs sont justement amenés à incarner ces Hérauts. Bon, originalité, donc, ça ne casse pas trois pattes à une poule mutante, mais on peut faire avec ; et jouer des porteurs d’espoir, ça peut changer un peu (oui, je parle notamment pour moi…).

 

Krystal adopte fort logiquement la présentation de la gamme des « Intégrales ». Nous avons donc deux livrets de 80 pages chacun, et un petit écran (assez joli). Le premier livret est accessible aux joueurs comme au MJ. Après une brève présentation générale, le système de jeu est détaillé : il est simple et efficace, rien à redire (juste une remarque, mais qui englobe en partie le livret des « Secrets » : l’utilisation des « dK » à proprement parler est bien conçue, bien plus pertinente à mon sens que dans Mahamoth, même si peut-être pas autant que dans B.I.A. – pour m’en tenir aux deux autres jeux de la gamme que j’ai pu lire). Je ne vais pas rentrer ici dans le détail de ces règles, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer brièvement. Notons juste que les Hérauts sont répartis en six classes (très traditionnelles), correspondant chacune à un attribut, et que la personnalisation se fait en outre par la Saison de sa naissance (il y en a six là aussi). Les deux chapitres restant du premier livret décrivent l’Europe post-apocalyptique qui sert de cadre à Krystal, d’abord par le biais de généralités, ensuite par la description de quelques Enclaves notables.

 

On passe ensuite au livret des « Secrets », réservé au MJ. Le premier fragment est un peu fourre-tout, révélant les dessous de la trame générale (bof), des éléments de règles (sur les chocs-krystal, notamment) et de bestiaire, et enfin les mystères des Enclaves décrites précédemment. Suit une campagne d’introduction en cinq scénarios qui prend place dans le sud de la France (enfin, ce qui en reste…), entre Carcassonne et Marseille. C’est franchement très bien fait, et ça remplit parfaitement son office : le quatrième scénario, très épique, me fait franchement envie, notamment ; je serais plus réservé sur le cinquième, sans doute un peu trop mécanique… mais, dans tous les cas, sont introduits des mécanismes bien vus, en rapport essentiellement avec le temps. Assez remarquable et tout à fait convaincant.

 

J’ajouterais que Krystal est bien écrit, bien édité, d’une lecture très agréable. Au final, et malgré une réserve de base sur l’univers qui n’en est pas vraiment une (il suffit d’accepter le « contrat », après tout, et c’est bien naturel, si j’ose dire…), j’ai donc été tout à fait intéressé par le jeu de rôle de Jérôme Barthas. Je ne garantis pas de trouver l’occasion d’y faire jouer, hélas, mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque ; et, quoi qu’il en soit, je vais probablement m’intéresser à la suite des opérations.

Voir les commentaires

CR "Inflorenza" : l'hôpital

Publié le par Nébal

CR-Inflorenza---hopital.jpg

 

 

Nouvelle partie d’Inflorenza.

 

Nous étions quatre joueurs (les retours à la ligne marquent les instances ; je n'étais pas Confident, aucun n’a d’ailleurs été désigné formellement : première erreur qui a été suivie d’un certain nombre d’autres… j’aurais probablement dû endosser ce rôle). Même si nous avons évoqué la suggestion de théâtre de la « forêt de chair », nous l’avons largement mis de côté (il n’est réapparu que tardivement), et avons développé un décor lors d’un tour préalable.

 

Les « phrases » sont indiquées par le soulignement, avec le thème qui les a inspirées (je n’ai par contre pas relevé quelles phrases étaient rayées en cas de sacrifice).

 

Décor

 

Un vieil hôpital dans la forêt, (plus ou moins) à l’abandon.

Près de l’hôpital, un jardin à la française étonnamment préservé, avec un labyrinthe en son cœur, et bordé par une falaise d’où tombe une cascade.

Des gens se promènent dans le jardin, d’autres se reposent sur la falaise.

Une caravane d’une vingtaine de trafiquants d’organes est venue voir ce qui pouvait être récupéré dans l’hôpital.

 

Premier tour

 

Le premier personnage, dont on apprendra plus tard qu’il se nomme Gabriel, est peut-être un ancien patient. Il ne se souvient pas exactement, à cause du Syndrome de l’Oubli ; quant aux dossiers, ils ont brûlé… Il souffre d’une forme de putréfaction qui gagne l’ensemble de son corps, d’autres malades dans l’hôpital sont atteints, et certains ont disparu passé un certain stade. Il a un tiers du corps pourri. Chair : je veux échapper à la maladie.

Je suis un enfant d’environ douze ans ; je vis dans une pièce sombre avec mon frère aîné. Plus personne ne s’occupe de nous. Nous sommes malades, mais considérons que nous devons passer à un stade supérieur grâce à la maladie. Mais nous avons faim. Aussi mon frère suggère-t-il que nous nous mangions mutuellement. Chair : je veux user de la maladie pour dépasser mon frère.

Le troisième personnage est sain, et s’occupe des gens de l’hôpital. On le désignera vite comme étant le directeur. Mémoire : je veux que les malades se souviennent du passé.

Le dernier personnage, qu’on appellera plus tard Haroun, fait partie de la caravane arrivée il y a quelques jours. Cet homme de main se souvient vaguement d’être déjà venu là. Il le dit à Tarek, qui ne le croît pas, et prétend que c’est impossible à cause de l’itinéraire suivi par la caravane. Mais Tarek n’arrête pas de lui mentir… Ils interrogent les « fous » du jardin ; il y aurait un « chef », qui, lui, doit savoir ce qu’il en est. Mémoire : je veux obtenir des informations du directeur de l’hôpital.

 

Deuxième tour

 

Quand les malades ont vu la caravane, le directeur a dit aux patients de se cacher dans les caves de l’hôpital. Ils récupèrent des armes improvisées ; ils savent en effet que les caravaniers constituent une menace. Mais les patients n’aiment pas le sous-sol. Il y a une petite pièce au fond dont ils ont perdu la clef. Gabriel, dont la maladie n’est pas trop visible, a eu le droit de remonter pour assister à l’entretien entre le directeur et un groupe de caravaniers devant l’hôpital. Mémoire : je suis le témoin.

J’ai entendu du bruit non loin, c’est la première fois depuis des jours. Mon frère me dit de ne pas y prêter attention. Je ne lui fais plus confiance. Je frappe violemment la porte… qui s’ouvre. Elle donne sur un couloir faiblement éclairé, avec des traces de rouille sur les murs. Société : je suis prêt à quitter mon frère.

Le directeur a invité le chef de la caravane à venir discuter de ses objectifs. Il est avec son « secrétaire », Gabriel, qui est un des seuls à savoir encore écrire. Cela fait longtemps qu’ils n’ont pas vu quelqu’un. Le directeur fait en sorte que les caravaniers ne se doutent de rien (Haroun, Science : je hais ces peuplades ignares). Mais Gabriel se rend compte que la pourriture a gagné son bras, et, du coup, ne note rien.

Haroun laisse parler ses préjugés. Il va devoir aller tout seul dans l’hôpital. Il attend la nuit, et fait le guet. Il s’approche enfin de l’hôpital, franchit le mur en ruine et le jardin. Il n’entend pas le moindre bruit. Il faut qu’il trouve le bureau du directeur ; il cherche des dossiers : peut-être a-t-il travaillé ici ? Chair : j’ai peur de la maladie.

 

Troisième tour

 

Gabriel est puni pour ne pas avoir été capable de retranscrire la prestation du docteur. Il doit passer toute la nuit à genoux dans la « salle des archives » (les étagères ont été démontées, mais l’histoire de l’hôpital est écrite sur les murs). Il passe la nuit à méditer. Quelqu’un pousse la porte : c’est Haroun. Gabriel recule : « Personne ne passe le labyrinthe, normalement ! » Le directeur l’a planté pour protéger les patients. Gabriel demande à Haroun s’il est sain. Celui-ci prend peur : « Ne t’approche pas de moi ! Je suis déjà venu ici ! » Gabriel dit que cela doit être vrai, puisque seuls les habitants de l’hôpital peuvent passer le labyrinthe. Gabriel et Haroun (qui n’est capable que de lire son nom) cherchent des informations sur les murs. Mais il ne faut pas allumer de lumière dans les archives. Haroun trouve enfin son nom, et arrache le bout de tapisserie où il figure. Le directeur se réveille. Nature : le labyrinthe nous protège-t-il ?

Je rôde dans les couloirs, à l’affût des bruits, mais ne rencontre personne. Mon frère me supplie de revenir en arrière, dit qu’on était mieux dans la pièce tous les deux, mais je ne l’écoute pas. De frustration, je finis par cogner un mur, et une tache de rouille se répand dans le couloir. Corruption : je propage la rouille.

Le directeur donne des instructions, il est entouré de gens à peu près sains qui maintiennent l’ordre dans l’hôpital. Ils mettent des cadenas sur les portes du sous-sol. Durant la nuit, il se réveille brutalement, et se rend dans la salle des archives. Il voit tout de suite que l’endroit est dégradé. Mais il ne se souvient pas de ce qui était écrit sur la tapisserie arrachée. (Corruption : ne pas se souvenir propage la rouille ; Haroun, Science : j’ai peur de perdre le savoir contenu sur ce tissu ; moi, Religion : il n’y aura de Dieu ni pour moi, ni pour personne).

Haroun se faufile hors de l’hôpital, par le labyrinthe. Il rejoint la caravane sans se faire voir. Au matin, le chef de la caravane discute de ce qu’il faut faire de cet endroit. Haroun va voir Fatma l’ancienne. Il lui montre le tissu ; mais il est impossible de lire ce qui y est écrit à cause de la rouille qui l’imprègne. Fatma demande à Haroun où il a trouvé ce tissu… mais la rouille se propage sur ses mains.

 

Quatrième tour

 

Gabriel se défend auprès du directeur, mais celui-ci ne veut rien entendre. Il le fouette. La chair pourrie ne résiste pas. Le directeur laisse Gabriel dans la salle des archives pour qu’il médite sur sa faute, et l’oblige à graver son péché sur le plancher. Mais il doit sans cesse recommencer, car tout s’efface. Religion : le plancher ne veut pas de ma faute.

J’ai pris conscience de mon pouvoir en frappant le mur. Cela va contre mon habitude de soumission. Je me mets à penser que, pour que quelqu’un me remarque, il faut que je continue sur cette voie. C’est pourquoi j’essaye de tuer mon frère, sans y parvenir. Au moment où je tente de l’étrangler, sa propre rouille se répand sur moi, et je me souviens que nous sommes indissolublement liés, ainsi qu’au directeur. Mémoire : je suis lié au directeur.

Le directeur souhaite faire partir les caravaniers. La nuit, il cherche avec ses hommes « sains » à tuer des malades et à les dépecer pour que l’atrocité fasse peur aux caravaniers. Mais il va trop loin, ses hommes ne veulent pas lui obéir. Mémoire : ils vont se souvenir de ce soir-là.

Haroun est pris de panique, il sort sa lame, et cherche à poignarder Fatma, sur qui la maladie se répand. Mais il a peur de la maladie, et n’y arrive pas. Elle hurle. Société : j’ai trahi le clan.

 

Cinquième tour

 

La nuit est tombée. Gabriel entend des bruits de course dans les couloirs. On lui dit de venir, que le directeur est allé trop loin. Il descend dans les sous-sols. Deux des bras-droits du directeur le maintiennent. Personne ne comprend bien ce qui se passe… mais tout le monde se souvient des coups de fouet. « Mettez-le dans la petite pièce du fond ! » Elle est ouverte… Mais dans la pièce, tout est moisi ou rouillé. Le directeur a un sursaut d’autorité, et sermonne ses patients avec une ferveur jamais atteinte auparavant. Tout le monde se sent penaud (le directeur, Clan : ils me doivent leur survie). Gabriel voit les silhouettes des enfants, qui sont complètement putréfiés, à part leurs yeux. Égrégore : je vois les malades au-delà du Seuil (ceux qui avaient disparu) ; Gabriel s’enfuit dans le labyrinthe (Nature : je suis perdu) ; je me rends compte du caractère foncièrement maléfique du directeur (Égrégore : il y a plus démoniaque que moi dans cet endroit).

Après ma tentative de tuer mon frère, il y a eu beaucoup d’agitation dans le sous-sol, et j’ai enfin vu des gens. J’ai notamment vu le directeur, et le mal en lui. Je trouve insupportable que ce mal dont il suinte littéralement ne se traduise pas par la pourriture de son corps. Je veux le contaminer de ma rouille, et y parviens. Égrégore : je peux corrompre ce qui a toujours résisté. Le directeur s’en ressent dans son corps (dont la moitié pourrit) et dans son âme (Égrégore : la rouille a touché mon âme). Haroun a peur des conséquences (Mémoire : j’ai peur que la mémoire du directeur ne s’éteigne). Gabriel est terrorisé à la vue de la rouille qui se répand sur l’ensemble de l’hôpital (Religion : cet endroit est maudit).

Le directeur fait un discours à sa communauté et à moi, il propose de s’allier avec moi. Je lui demande qui il est. Pour le directeur, je suis le premier malade. Mes parents sont morts peu de temps après notre arrivée. Il a nourri les enfants et les a protégés. Religion : nous sommes les enfants de la rouille.

Haroun s’enfuit du camp en hurlant que Fatma est malade. Profitant de l’agitation, il court vers l’hôpital pour retrouver le directeur. Il demande à un malade où est le directeur. Le malade ne répond pas. Haroun descend au sous-sol, où il voit le directeur haranguer sa communauté et réclamer la mort des caravaniers. Mais le directeur le repère. Je me mets à le vénérer. Haroun panique alors que les patients s’approchent de lui (Pulsions : j’ai agi sans réfléchir).

 

Sixième tour

 

Gabriel s’est enfoncé dans le labyrinthe, il en cherche vainement la sortie. L’hôpital se dégrade à vue d’œil, la rouille se répand partout. Gabriel se blesse aux buissons, il est couvert d’un sang couleur rouille. Il se rend compte que les arbres sont de chair, que les branches sont des membres, et il reconnaît des visages de disparus dans les fleurs. Il se rend sur un promontoire jamais vu auparavant. De là haut, il voit la caravane : des gens sains ! Il leur hurle de fuir cet enfer (Clan : fuyez, pauvres fous !)

Je m’approche d’Haroun, je lui demande pourquoi il est revenu, lui dis que je me souviens vaguement de son visage. J’essaie de lui prendre la main (parce qu’il est sain), mais mon frère m’arrête, me dit que « c’est mal ». Je lui demande s’il l’a reconnu. Société : mon frère me fait la morale.

Le directeur dit à ses hommes d’arrêter Haroun, lequel essaye de s’enfuir, et y parvient finalement. Société : ce que je veux construire n’a pas de bases solides.

Haroun sort de l’hôpital, il entend le bruit de la cascade, dont il se souvient, et s’en approche. Mémoire : la cascade est bienveillante.

 

Septième tour

 

Gabriel voit la caravane plier bagage et partir à grande vitesse. La rouille s’étend dans le jardin, et les caravaniers s’en sont rendu compte. Ils abandonnent Fatma. Gabriel, depuis son promontoire, voit Haroun courir vers la cascade, suivi par les malades avec à leur tête le directeur et moi (mon frère est à l’arrière, rétif). Ils encerclent Haroun à distance, mais ne peuvent s’approcher de la cascade. Égrégore : je fonds et deviens le labyrinthe.

Je suis tétanisé par le monde extérieur qui m’entoure, mais j’ai le sentiment que la rouille me protège. Je vois des visages dans le labyrinthe, qui éveillent le même souvenir que celui d’Haroun. Et parmi ces visages, je vois ceux de mes parents. Leurs bras putréfiés se tendent vers moi. J’ai peur, je veux m’enfuir, mais ils m’attrapent et m’arrachent la peau. Pulsions : la souffrance me rend ma colère.

Le directeur considère que, les caravaniers étant partis, il n’y a plus de danger pour menacer la communauté. Il cherche à persuader mon frère d’agir sur nos parents pour qu’ils me relâchent. Chair : nous sommes un seul corps.

Haroun constate qu’il ne peut pas s’échapper, il est à la merci des malades et ne peut rejoindre la caravane. Il se jette dans la cascade.

 

Débriefing

 

Disons-le tout net : cette session de jeu nous a tous laissé en définitive un goût plutôt amer en bouche, aussi avons-nous ressenti le besoin d’en faire longuement le bilan… Pourtant, tout n’était pas mauvais, loin de là (impression renforcée, je trouve, à la rédaction de ce compte rendu, en dépit de ses nombreuses incohérences – inévitables, sans doute), et je me suis pour ma part beaucoup amusé pendant la majeure partie du jeu (probablement plus encore que la fois précédente). Mais je tends à penser que nous n’avons pas su nous arrêter à temps, et que les derniers tours ont été laborieux (j’avais proposé, mais sans insister – j’aurais peut-être dû… –, de nous arrêter à la fin du cinquième tour ; rétrospectivement, un des joueurs a considéré que c’était surtout le dernier tour qui était de trop). Beaucoup de fils d’intrigue avaient été lancés, que nous n’avons pas su résoudre, en particulier celui concernant l’identité d’Haroun…

 

Je dois en partie faire mon mea culpa (c’est mon compte rendu personnel, après tout). Ainsi que je l’avais dit plus haut, j’aurais sans doute dû endosser la fonction de Confident (quelqu’un aurait dû le faire, en tout cas), notamment pour décider de la fin (donc), mais aussi pour trancher certains désaccords sur la tournure du récit, les motivations des personnages, et même les points de règle (que je ne connaissais pas si bien que ça, toutefois…), qui ont phagocyté la narration dans les derniers tours, et nui à l’ambiance et à l'immersion à force d’interruptions. J’ajouterais, pour me jeter encore quelques cailloux, que mon interprétation de mon rôle a peut-être, d’une part abusé du grand-guignol (tendance difficile à réfréner…), d’autre part – et c’est sans doute lié – abusé du surnaturel.

 

Mais il y a eu incontestablement des points positifs. Le fait d’élaborer ensemble le décor au préalable, notamment, a parfaitement rempli son office : le début était ainsi plus clair, et les personnages mieux posés, que dans la partie précédente. De plus, les instances étaient plus longues, riches et complexes, avec davantage d’interactions entre les joueurs. Enfin, tous les personnages ont été le plus souvent impliqués, et aucun en tout cas ne s’est trouvé « isolé » trop longtemps, la répartition étant assez équitable.

 

Cette partie a néanmoins soulevé beaucoup d’interrogations ; elle a pu donner un sentiment de « semi-échec », mais offre du coup une base de réflexion pour éviter de reproduire certaines erreurs à l’avenir. Le défaut majeur, donc, a été que nous n’avons pas su trouver une fin satisfaisante pour tous ; la session a été indûment prolongée ; les personnages de Gabriel et d’Haroun ont été un peu laissés en plan, et des questions importantes n’ont pas eu de réponse (notamment, donc, celle de l’identité d’Haroun). Je tends à penser que l’ordre des instances, ici, a pu jouer ; mais, au-delà, l’enchaînement mécanique des tableaux a nui à l’unité du récit en laissant des éléments importants à l’arrière trop longtemps, dont on ne savait plus ensuite quoi faire. Au-delà, nous avons été amenés à nous poser la question de la conception des personnages et de leurs motivations, qui a clairement opposé les joueurs entre eux, et généré une certaine tension, sous forme d’incompréhension mutuelle, dans les derniers tours…

 

Tous les commentaires, toutes les remarques, sont bienvenus. Si ce débriefing repose sur des éléments que nous avons tous ensemble évoqué au cours de la discussion qui a suivi la partie, il n’engage cependant que moi, ne fait que traduire mes impressions personnelles.

 

Malgré cette vague amertume finale, je reste très amateur du jeu de Thomas Munier, et souhaite renouveler prochainement l’expérience. Je veux croire que nous aurons appris de nos erreurs, et ne reproduirons pas certains des travers de cette session en particulier.

 

Et je me suis bien amusé quand même, non mais.

Voir les commentaires

"Fiasco : Fiasco assuré"

Publié le par Nébal

Fiasco-assure.jpg

 

 

Fiasco : Fiasco assuré

 

Un peu embêté pour rédiger ce compte rendu, que j’ai repoussé de plusieurs jours, en me demandant au juste ce que j’allais bien pouvoir en dire… J’imagine que le fait de n’avoir pas encore eu d’occasion de tester Fiasco (même si ce n’était pas l’envie qui manquait, chez moi en tout cas) ne facilite guère les choses. Mais bon : on va tenter, hein.

 

Donc, Fiasco assuré est une sorte de supplément fourre-tout pour Fiasco (la traduction du Companion, je suppose ?), qui vise à donner aux joueurs les clefs pour profiter encore plus de cette expérience ludique à part, que ce soit sur son mode « basique » ou en le bidouillant quelque peu.

 

Une première remarque me paraît inévitable : sur le plan formel, c’est vraiment très bien. J’adore la maquette et l’iconographie de Fiasco, décidément, et c’est clairement d’une lecture agréable (d’autant plus que c’est souvent rigolo, malgré une certaine propension à l’exclamationite aiguë).

 

Pour ce qui est du contenu à proprement parler, il y a donc un peu de tout… On commence pour l’essentiel par des conseils pour jouer à Fiasco (donc), concernant notamment l’improvisation (je pensais ne pas être très friand de ce genre de développements, que j’ai tendance à trouver bavards, mais j’ai été plutôt convaincu, ici) et le guidage (un poil moins intéressant).

 

Suivent des conseils pour la création de cadres, assez bien vus, et qui permettent sans doute d’éviter bien des boulettes quand on se lance dans ce versant de Fiasco.

 

Les bidouillages de règles qui suivent (visant, par exemple, à rendre le jeu moins « méchant », à renouveler l’emploi des dés, ou à jouer sur la temporalité), par contre, ne m’ont pas vraiment séduit. Mais bon, normal, j’imagine : en dehors de ce qui concerne la trashitude du jeu, et qui me paraît donc dommageable, faudrait déjà que je joue à la version « basique » pour prendre pleinement conscience de ce que ces bidouillages peuvent apporter…

 

Fiasco assuré propose ensuite quatre nouveaux cadres, qui mettent plus ou moins en application tout ce qui a pu être développé auparavant. Les deux premiers sont « gentils » (lycée ricain et comédie romantique à base de mariage), et ne m’intéressent vraiment pas ; celui sur Vegas me paraît un poil convenu, mais bon, justement : un des principes essentiels de Fiasco est que le banal peut être intéressant ; mais c’est sans doute le dernier, SF et a priori plus « méchant », qui me paraît le plus chouette.

 

La fin de l’ouvrage retrouve l’aspect théorique du début, avec des entretiens sur la manière d’utiliser Fiasco avec des djeunz ou au théâtre (mf, ça ne m’intéresse pas vraiment…), ou comme procédé d’écriture (ce qui me parle un peu plus).

 

Tout cela est dans l’ensemble assez chouette, de manière étonnante parfois, et en tout cas (donc) d’une lecture agréable. Maintenant, est-ce utile ? C’est là, surtout, que je ne sais guère qu’en penser… Cela dit, étrangement (ou pas), pour ce qui est du contenu le plus théorique (notamment sur l’improvisation, la temporalité, et éventuellement l’écriture), je ne serais pas surpris qu’il ressorte d’une manière ou d’une autre dans ma manière d’aborder le jeu de rôle en général (et plus puisque affinités), et j’ai tendance à y voir l’intérêt principal de ce bouquin. Pour ce qui est des bidouillages de règles, sans doute. Quant aux cadres, si j’arrive à motiver des joueurs, il est fort probable que je fasse l’impasse sur les deux « gentils », mais les deux autres auront sans doute l’occasion de servir (on verra plus tard ce qu’il en sera de la création de cadres, ce qui peut être amusant).

 

Bref : au final, je vois surtout du positif dans cette lecture rôlistique… et pourtant je ne suis toujours pas tout à fait sûr de ce que j’en pense exactement. Bizarre. Moi je dis : faut tester. Et là on verra bien.

Voir les commentaires