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"Vermilion Sands", de J.G. Ballard

Publié le par Nébal

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BALLARD (J.G.), Vermilion Sands, [Vermilion Sands], nouvelle édition augmentée établie par Bernard Sigaud, traduction de l’anglais par Paul Alpérine, Laure Casseau, Alain Dorémieux, Alain le Bussy, Robert Louit, Lionel Massun, Arlette Rosenblum, Bernard Sigaud & Franck Straschitz, Auch, Tristram, coll. Souple, [1955, 1971-1973, 1975, 1992, 2008-2009] 2013, 278 p.

 

J’avais bien entendu déjà lu les nouvelles composant Vermilion Sands (à une exception près, l’inédit de 1955 « Le Labyrinthe Hardoon », dont c’est là la première publication ; un texte relativement mineur, sans doute, mais un Ballard mineur demeure plus que plaisant en regard de la médiocrité coutumière) en me régalant de l’intégrale des nouvelles de J.G. Ballard ; mais ces célébrissimes nouvelles étaient réparties sur les deux premiers tomes, une quinzaine d’années s’étant écoulées entre la publication du premier texte du recueil (« Prima Belladonna », qui fut d’ailleurs le premier texte publié de Ballard en général) et celle de la dernière (« Dites au revoir au vent »). En tout – et en comptant donc l’inédit sus-mentionné –, nous avons maintenant dans sa forme augmentée et définitive un livre admirable comportant dix textes d’exception, témoignage éloquent de la virtuosité de Ballard dès le début de sa carrière. Et j’avais sacrément envie de relire Vermilion Sands comme un bloc ; aussi me suis-je procuré dès sa sortie en « Souple » ce beau volume, Tristram ayant parfaitement compris que cette œuvre avait sa propre singularité au-delà de l’intégrale des nouvelles (mais j’ai cru comprendre que ce livre était déjà épuisé…). Ce n’est cependant que maintenant que j’ai enfin trouvé à le (re)lire… et ça tombe bien puisque, demain soir, à l’indispensable librairie Charybde, on va en causer, ainsi que du Portique du front de mer de Manuel Candré qui lui rend hommage.

 

Vermilion Sands est une station balnéaire léthargique, une utopie langoureuse pour milliardaires excentriques (pléonasme ?), artistes plus ou moins poseurs et stars sur le retour. La plage est presque systématiquement hors-champ, et le désert s’insinue bien davantage dans les visions du lecteur, comme si Saint-Tropez se faisait bouffer progressivement par l’Arizona. Là, la civilisation des loisirs a atteint son comble durant l’Intercalaire, « cette dépression mondiale d’ennui léthargique et de chaleur estivale qui nous entraîna allègrement dans dix années inoubliables » ; à Vermilion Sands – et dans la région qui l’entoure, Red Beach, Lagoon West, etc. –, le travail n’est pas une nécessité, et devient même la forme ultime de la distraction.

 

Aussi, tout le monde ou presque se veut artiste, à Vermilion Sands ; on ne compte pas les sculpteurs soniques, les architectes psychotropes, les poètes ou prétendus tels composant leurs œuvres au verséthiseur (jusqu’à ce qu’une muse pointe le bout de son nez arrogant…), les concepteurs et vendeurs de vêtements biotextiles, sans même parler des fameux sculpteurs de nuages de Coral D. Tout un bagage science-fictif accompagne ainsi les textes, des gadgets d’un futur antérieur où tout était possible et rien n’avait d’importance. Et puis, quand on ne produit pas – c’est-à-dire souvent –, on s’amuse comme on peut dans ce lieu unique où le temps semble se figer : on va chasser les raies des sables, on joue au i-Go… On peut, pourquoi pas, danser avec les vagabonds dans un night club abandonné, souvenir d’un bon vieux temps que l’on ne retrouvera plus.

 

Le regard est en effet volontiers nostalgique, mais avec quelque chose d’un sourire béat ; même les regrets sont positifs à Vermilion Sands. Pourtant, le passé peut y laisser des traces sinistres, ainsi dans la maison folle de Stellavista, qui offre à Ballard l’occasion d’une extraordinaire variation SF sur le thème fantastique de la maison hantée… Mais, au fond, c’est parce qu’on le veut bien : personne n’empêche l’acquéreur de couper les souvenirs de la maison, si jamais… mais cela reviendrait sans doute à lui faire perdre une bonne partie de son cachet.

 

On avait sous-titré jadis Vermilion Sands « Le Paysage intérieur », thème évidemment cher à Ballard. Ici, il est bien entendu à l’image de ce désert périphérique, cette mer de sables qui entoure la station balnéaire et semble la couper du monde : étouffant, doucement monotone, peut-être même vaguement ennuyeux, et d’une beauté implacable. Sous le soleil (exactement), le lecteur participe ainsi du quotidien aussi lumineux que désabusé des habitants et estivants ; sous la plume du brillant artiste, il devient peut-être même créateur à son tour, conceptualisant à grands traits un futur temporaire, nettement moins sinistre que ce que la science-fiction nous propose généralement, jusque dans ses versants les plus utopiques.

 

Il faut dire que la SF, ici, au-delà des gadgets précédemment évoqués – tous plus réjouissants les uns que les autres –, est, au sens strict, terre à terre. Cette œuvre magistrale, entamée peu avant Spoutnik, achevée immédiatement après Apollo XI, délaisse les planètes extérieures et une conquête de l’espace vouée à l’échec – autre thème important de Ballard – pour construire un temps immobile, ou presque, car s’écoulant peut-être lentement vers une apocalypse (forcément…) dans tous les sens du terme, à la fois fin d’une époque – le désert gagne, l’Intercalaire s’achève – et révélation ultime (de la vanité de toutes choses ?).

 

Autre aspect non négligeable de Vermilion Sands, et qui participe de la complicité du lecteur avec l’auteur et ses personnages : cet humour presque omniprésent, sous forme de distance ironique et un brin narquoise à l’égard de ces artistes qui n’en sont pas totalement, ces poètes d’un dimanche à jamais prolongé (à l’heure de la sieste, bien sûr) et autres plaisanciers pleins aux as, souvent reliques d’une jeunesse folle et insouciante, en forme de masque artificiel – ainsi le fascinant et sinistre visage d’adolescente éternelle du mannequin de la dernière nouvelle. Derrière la façade, certes, le tableau peut se faire horrible ; on n’apprécie pas forcément ce que le portrait révèle… tout en le recherchant. Car c’est Vermilion Sands : on n’y échappera pas, et on en fera un amusement, quelles qu’en puissent être les conséquences.

 

Œuvre visionnaire, Vermilion Sands ne ressemble finalement à rien d’autre. Un sommet de l’œuvre immense de l’immense Ballard, qui porte à la fois en germe certains de ses thèmes fondamentaux, et revendique pourtant sa singularité pleine et entière. L’auteur aura l’occasion, dans un sens, de tirer un trait sur la station balnéaire léthargique ; ce sera bientôt la folie de La Foire aux atrocités, les périphériques gris et mortels de la « Trilogie de béton »… ou encore, en clin d’œil ironique, la Riviera malsaine d’œuvres plus récentes. Mais Vermilion Sands demeure, brillant témoignage d’un auteur déjà au sommet de son art, aussi intelligent qu’habile ; l’occasion pour le lecteur d’un regard en arrière, béat forcément, sur un temps où tout semblait possible, et en premier lieu le plus vain et le plus absurde.

 

C’est un immense chef-d’œuvre, dans tous les sens du terme.

CITRIQ

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"Django Unchained", de Quentin Tarantino

Publié le par Nébal

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Réalisateur : Quentin Tarantino.

Année : 2012.

Pays : États-Unis.

Durée : 159 min.

Acteurs principaux : Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, Kerry Washington, Samuel L. Jackson…

 

J’ai un rapport finalement assez banal, sans doute, à la filmographie de Quentin Tarantino. J’entends par là que j’ai adoré Reservoir Dogs, Pulp Fiction et Jackie Brown ; que j’aimais bien le voir « se compromettre » dans des débilités fraîches et réjouissantes chez ses potes, comme par exemple le très chouette Une nuit en enfer ; mais que quand il s’est mis lui-même à réaliser ce genre de débilités, de fausses séries B, des films « grindhouse » comme c’est qu’y disent, j’ai lâché l’affaire.

 

Kill Bill, ainsi, a été une énorme déception ; je pensais bêtement que ce film ô combien stupide et ô combien référentiel avait tout pour me plaire, et je me suis fait chier comme un rat mort (enfin, plus, parce que le rat, lui, au moins, il est mort). Ce film aussi navrant qu’interminable m’a fait l’effet d’un très mauvais pastiche, bricolé n’importe comment, de trucs bien plus intéressants que lui, et auxquels il n’arrivait pas à la cheville. Et c’est à vrai dire le seul intérêt que je trouvais encore à ses productions depuis : rendre accessible au plus grand nombre, votre serviteur inclus, des films exotiques et/ou oubliés souvent fort intéressants. Mais c’était tout. Et je n’ai du coup pas vu Boulevard de la mort (dont j’avais entendu dire beaucoup de mal il est vrai), ni Inglorious Basterds, ni, jusqu’à récemment, Django Unchained.

 

Mais le cas de ce dernier m’intriguait, a fortiori, dois-je dire, depuis que je me suis lancé dans la lecture de westerns, accompagnée de quelques films de temps à autre, et notamment des westerns spaghetti, parmi lesquels – mais c’était avant, ça – le Django de Sergio Corbucci. Certes, je me doutais que ça n’avait pas forcément grand rapport (et ça s’est vérifié, malgré la chanson du générique ou le cameo rigolo de Franco Nero…), mais bon : ça m’intriguait. Désœuvré dans mon exil périgourdin, je me suis donc procuré la chose, et l’ai regardée.

 

Ben vous savez quoi ? Ça a été plutôt une bonne surprise. En tout cas, je me suis pris au jeu. C’est complètement stupide, c’est ignoblement complaisant (Tarantino s’est fait plaisir, en en faisant des caisses pour le fan avide de giclées d’hémoglobine), ça cabotine à donf, mais ça marche. Au point que ça en devient même jubilatoire. Enfin, j’ai trouvé. Aussi, sous cet angle, si Django Unchained, de par son caractère de débilité ultra référentielle, s’inscrit dans la filiation de Kill Bill, c’est avec bien plus de réussite et d’astuce (on n’ira pas jusqu’à parler d’intelligence, hein).

 

Le « scénario » (oscarisé, cette blague...) brille par son inexistence ; il est surtout pas crédible pour un sou, et bricolé complètement à l’arrache pour fournir prétexte aux scènes que Tarantino avait envie de tourner. Certes, quand on voit le Django de Corbucci, il y a de ça… Mais là, une fois de plus, ça va loin…

 

Nous sommes donc peu de temps avant la guerre de Sécession. King Shulz (Christoph Waltz, très bon dans le registre cabotin bavard), faux dentiste et vrai chasseur de primes, libère l’arme au poing l’esclave Django (Jamie Foxx, charismatique), celui-ci devant lui permettre d’identifier trois criminels « travaillant » dans une plantation. Ce qui tombe plutôt bien, c’est que les trois types en question sont ceux qui ont fouetté Django et sa femme lors de leur récente tentative de fuite… Mais, pour des raisons que la raison ignore, Shulz propose à Django de rester avec lui quelque temps, puis d’aller retrouver sa femme où qu’elle se trouve. Django devient ainsi chasseur de primes à son tour, et les deux compères ne tardent pas à rejoindre Candyland, l’infâme propriété de l’ignoble Candie (Leonardo DiCaprio, pas mauvais), toujours ou presque accompagné de sa caricature de majordome noir (Samuel L. Jackson, aussi épatant et drôle que terrifiant). Et ça bavarde pas mal (on est dans un Tarantino), avant de dégénérer dans le bain de sang, bang bang (on est dans un Tarantino), jusqu’à finir dans une sorte d’apocalypse de mauvais goût où le western est quasiment remisé au placard pour céder la place à un délire surréaliste de blaxploitation gore.

 

Non, ça ne brille pas exactement, ni par la finesse, ni par la crédibilité. Mais ça marche. Dans les dialogues piquants, on retrouve même un peu du premier Tarantino, aux abonnés absents sous cet angle dans Kill Bill. C’est spirituel et enlevé, et souvent marrant. Si le discours anti-raciste asséné avec la subtilité d’un semi-remorque à pleine bourre est parfois un peu saoulant à force d’en rajouter dans l’ignominie, dans une surenchère d’ailleurs là encore pas mal complaisante, il autorise néanmoins quelques jolies scènes, comme celle, véritablement hilarante, des cagoules du proto-Ku Klux Klan : là, on reconnaît le Tarantino des débuts, et ça fait du bien. Et puis, reconnaissons-le, c’est visuellement très bien fait, rythmé et cinglant. Le film est probablement un peu trop long, mais il remplit son contrat.

 

Aussi, je ne peux que reconnaître avoir passé dans l’ensemble un très bon moment devant Django Unchained, qui m’a fait l’effet d’une bonne, voire très bonne surprise. C’est vulgaire mais jouissif, idiot mais efficace. Je regrette toujours autant le Tarantino première manière, mais j’accorde une note plus qu’honnête à cette débilité rigolote, et même, tiens, le bénéfice du doute à Inglorious Basterds, que je vais peut-être essayer de voir un de ces quatre. Et très franchement, je n’en attendais pas autant.

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"Eclipse Phase : Alpha+Phase #2. Cogito ego sum"

Publié le par Nébal

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Eclipse Phase : Alpha+Phase #2. Cogito ego sum

 

Deuxième livraison pour Alpha+Phase, le fanzine français consacré à Eclipse Phase, encore plus volumineuse que le premier numéro, et on ne va certainement pas s’en plaindre. Après nous être intéressé au premier morphe, il s’agit maintenant de se pencher sur la question de l’ego, et notamment sur l’ego « démultiplié » par la pratique, controversée et pas forcément évidente à saisir, des forks.

 

Cette thématique apparaît en fait dès la nouvelle d’introduction, avant même la partie « In Vivo », à savoir « Rédemption » de J3R0M3. Quand j’avais chroniqué le premier numéro, j’avais choisi d’évacuer la question des nouvelles, trop mal écrites et pas assez intéressantes pour mériter qu’on en parle, à mes yeux en tout cas. Eh bien, figurez-vous que celle-ci n’est pas mal du tout ; et si la fin est hautement prévisible et le style parfois bancal, les idées, elles, sont très bonnes.

 

« In Vivo » s’ouvre sur une autre nouvelle, « Question de point de vue » de Denis « Quincey Forder » De Plaen, reprenant dans un sens le principe de télé-réalité de la précédente, sous la forme d’un débat concernant les forks. C’est moins bien fait, mais pas inintéressant. « La Rép », de Thex, par contre, m’a paru trop mécanique et laconique… Suit un scénario du même Thex, « L’Ombre de sa main », censé poursuivre éventuellement le scénario marseillais du premier numéro, mais en fait parfaitement indépendant. Il s’agit d’une enquête policière plutôt bien ficelée, prenant pour cadre Extropia (et ça, c’est chouette) ; mais le manque d’enjeu, surtout, me paraît critiquable, et je ne pense pas le faire jouer, même si j’y piocherai peut-être quelques idées (à noter que le scénario est suivi par des fiches « PNJ easy » réalisées par J3R0M3 et Slevin ; j’avais un peu hâtivement, pour ne pas dire bêtement, douté de l’intérêt de la chose en chroniquant le premier numéro, mais je suis cette fois pleinement convaincu, et va peut-être falloir que je m’y mette…). Suit une autre brève nouvelle, « Ce que nos pères sont devenus », toujours de Thex ; il y a une certaine tension, mais ça ne suffit probablement pas pour en faire un bon texte… La partie se conclut enfin sur « Lieux d’intérêt sur Extropia » de Slevin, Quincey Forder et Syrus ; aimant beaucoup ce cadre (donc), j’en attendais pas mal, et ai été plutôt déçu… Le retour de l’idée de « transcréation » du premier numéro m’a même un peu fait grincer des dents ; par contre, l’idée d’Extrade, la boîte de prédiction, me paraît très intéressante, en dépit du fouillis de la rédaction, et il y a sans doute quelque chose à creuser ici.

 

On passe alors à « Ex Vivo »… et ça commence mal, avec « Affaire interne (partie 2) » de Romain « CorsairePR » ; cette « nouvelle » est parfaitement illisible, on jette. Et on passe à quelque chose d’autrement plus intéressant avec la seconde partie de « Projet Hyperconscience » de Stéphane « Algeroth » Idczak. Mais avec un gros bémol quand même… Lors de mon compte rendu du premier numéro, je m’étais plaint du caractère de « prologue » de la première partie de ce scénario ; hélas, ce défaut se retrouve étrangement ici… tandis que le scénario « à proprement parler » constitue un « bac à sable » dans lequel on se retrouve précipité très brutalement. J’ai eu un peu l’impression, en considérant ce scénario dans sa globalité, d’avoir été pris par la main avec une grande douceur pendant très (trop) longtemps… puis de m’être pris un bon coup de pied au cul en arrivant au bord de la falaise. En l’état, ça me paraît donc quasiment injouable, et nécessiter pas mal d’adaptations ; c’est d’autant plus regrettable que ce « gros morceau » des deux numéros d’Alpha+Phase à ce jour fourmille littéralement de bonnes, de très bonnes et même d’excellentes idées, dans lesquelles je vais très certainement piocher. Suit une très intéressante aide de jeu de Slevin et Syrus sur « La Nanofabrication », qui rend un peu plus concrète cette notion déroutante, et est complétée par un nouveau morphe, le vapeuroïde. Le sieur Groduick livre ensuite un « Support musical » témoignant de son bon goût pour ce que j’en connais (beaucoup de bonnes choses, notamment en indus au sens large) ; mais, et là c’est vraiment très personnel, je n’ai pas la même approche de la sonorisation des parties, et pense surtout pour ma part faire usage d’ambient à la Biosphere, de dark ambient à la Lustmord et de drone à la Sunn O))). On passe ensuite à la rubrique « Trans//Média » de Denis « Quincey Forder » De Plaen, et j’ai le même problème (à nouveau éminement personnel) que dans le premier numéro : je ne doute pas que l’étude de ces sources d’inspiration soit très bien faite – on appréciera notamment la manière dont l’auteur établit toujours concrètement le lien avec Eclipse Phase –, mais moi, je, me, myself, I, ne m’intéresse guère aux jeux vidéo et aux animes qui occupent le gros de cette partie critique. Je ne doute pas qu’il s’en trouvera pour l’apprécier bien davantage. On trouve enfin une « banque de PJ »…

 

Au final, malgré des aspects très critiquables, nous avons donc un deuxième numéro plus gros et à mon sens plus riche que le premier, un peu mieux rédigé aussi (même s’il y a encore du boulot, fouyayaye…), qui nécessite probablement du travail pour être utilisable, mais semble confirmer que les initiateurs de cette belle entreprise sont sur la bonne voie. J’attends donc avec impatience un troisième numéro que j’espère encore meilleur.

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"Yggdrasill"

Publié le par Nébal

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Yggdrasill

 

Yggdrasill est un jeu de rôle publié par le 7e Cercle qui propose d’incarner des « Vikings » (on nous explique en quoi les guillemets s’imposent), des héros au sens fort dans la Scandia « classique » de la fin de l’Antiquité et du début du Haut Moyen-Âge. Et quand le livre de base de ce jeu mêlant réalisme historique et fantastique mythologique (c’est d’ailleurs une chose qu’on peut peut-être lui reprocher, d’être un peu le cul entre deux chaises, mais bon, ça se gère) a été épuisé, le 7e Cercle a eu une excellente idée qui, je l’espère, fera des petits (on peut toujours rêver…) en décidant de le rendre disponible gratuitement au téléchargement. Dès que j’ai appris la chose, il va de soi que je me suis précipité dessus… mais je n’avais pas encore eu l’occasion de lire ce manuel. Or, comme je vous l’ai expliqué tout récemment en traitant de L’Edda, je m’intéresse en ce moment à la mythologie nordique et à ce qui la sous-tend et l’accompagne ; c’était donc le moment ou jamais de lire ces 224 pages pleines de très bonnes choses… et d’autres nettement moins bonnes.

 

Le très bon, autant le dire de suite, c’est essentiellement le background, passionnant de bout en bout, et qui occupe en gros le premier tiers du livre. Certes, la partie mythologique à proprement parler est peut-être un peu succincte (mais peut-être les suppléments viennent-ils ici compléter les lacunes, Les 9 Mondes par exemple ?), mais la description de la Scandia est à la fois simple et relativement complète, et, surtout, le long chapitre consacré à la civilisation et à la vie quotidienne est un vrai modèle du genre, très intéressant, et tout aussi bien conçu. Je n’irais pas jusqu’à dire que tout, tout, tout, vous saurez tout sur les « Vikings », mais en tout cas bien assez pour livrer des personnages crédibles et riches dans un univers plutôt réaliste, indéniablement fouillé, et tout à fait enthousiasmant.

 

La création de personnage a l’air assez simple (même si les règles sont un peu dispatchées dans plusieurs chapitres ; un résumé serait bienvenu). Pour l’essentiel, on trouve ici le duo classique caractéristiques / compétences (mais le système est loin d’être classique, voir plus bas…). On complète cela classiquement avec des atouts et handicaps. On a droit à des prouesses martiales, qui viennent pimenter les combats. Et, bien sûr (?), les personnages pratiquant la magie ont accès à des sorts, selon trois systèmes différents. Tout le monde a également accès à la Furor, qui confère des atouts non négligeables, et pas seulement aux berserkers (même si ceux-ci en font forcément usage, et à foison) ; ici, tout n’est pas forcément très clair… mais cela renvoie au système, que nous allons examiner immédiatement après. J’aimerais cependant mettre ici l’accent sur un point qui me paraît intéressant : la notion de Destin (assez comparable, dans un sens, à ce que l’on peut trouver dans Tenga), celui du héros étant déterminé par trois runes tirées avec des D8.

 

Mais le système, par la suite, fait presque exclusivement appel à des D10. Et… il n’est pas vraiment convaincant. En effet, je lui reprocherais essentiellement, comme souvent hélas, de ne pas être intuitif, d’une part, et d’autre part d’être probablement déséquilibré. En effet, le duo caractéristiques / compétences ne fonctionne pas comme, par exemple, dans le « Monde des Ténèbres » (système très simple que j’ai beaucoup pratiqué et qui a longtemps eu ma faveur). Les caractéristiques déterminent le nombre de dés que jette le joueur ; parmi ces dés, lorsqu’il fait un jet, le joueur en choisit (en temps normal) deux ; et il ajoute alors à leur somme le score de la compétence requise. On voit ici le déséquilibre : les caractéristiques sont a priori nettement plus importantes que les compétences, sauf si celles-ci sont à très haut niveau, auquel cas on risque d’avoir des personnages passablement unilatéraux… Et ce système est plus complexe qu’il n’en a l’air : en effet, il est des situations où l’on ne doit retenir qu’un seul dé (quand le héros est épuisé, par exemple), tandis que, dans d’autres, on peut en retenir trois. Et j’avoue que je m’y paume un peu à vue de nez… Le problème étant aggravé, donc, par le côté non intuitif de ce système, qui passe notamment par des seuils de difficulté peu parlants, et des petits calculs en veux-tu (non) en voilà (zut) ; et j’aime pas les petits calculs… En combat, je crains que ce système, du coup, ne soit guère concluant (d’autant qu’il y a, sans même passer par les prouesses martiales, trois façons différentes d’attaquer au corps à corps, avec trois formules différentes donc, et de même pour les attaques à distance…). Mouais. Faudrait sans doute retravailler la chose, quoi, sous peine de crises de migraine impromptues et surtout de cafouillages nuisant à la fluidité du jeu…

 

Reste enfin un scénario (les trois petites nouvelles qui parsèment le livre en illustrent le premier chapitre avec des personnages prétirés), assez correct, long et ouvert… même si on peut regretter, et je ne m’en priverai pas, qu’il y ait à la base une inévitable histoire de princesse enlevée, ce qui, dans le genre cliché, se pose un peu là.

 

Bilan mitigé, donc. Le background est très glop, et justifie à mon sens que je m’intéresse au reste de la gamme (assez limitée de toute façon) ; le système, quant à lui, n’est a priori pas très très glop, hélas… même si sans doute susceptible d’adaptations (dommage que ce soit aux joueurs de se coltiner le boulot, quoi…).

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"Dahut", de Poul & Karen Anderson

Publié le par Nébal

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ANDERSON (Poul & Karen), The King of Ys : Dahut, New York, Baen, coll. Fantasy, 1998, 398 p.

 

Il m’a paru nécessaire de faire une pause après la lecture des deux seuls tomes de la tétralogie du « Roi d’Ys » traduits en français, Roma Mater et Les Neuf Sorcières. Mais il était bien temps de m’y remettre, en VO donc – nécessité fait loi –, avec Dahut, troisième volume qui comprend le cœur de la légende d’Ys (à tel point que je me demande pas mal ce que peut bien contenir le suivant, The Dog and the Wolf, qui pèse bien ses 500 pages ; on verra bien, très bientôt, je viens tout juste de le commencer…).

 

Nous retrouvons comme de juste le bon roi Gratillonius, ou Grallon, ce centurion romain devenu monarque d’Ys en tuant son prédécesseur dans le Bois sacré, à l’instigation des Neuf Sorcières, les Gallicenae, qui sont donc devenues ses épouses. Gratillonius a fait un excellent travail à Ys, et est apprécié des Ysans. Enfin, de la plupart… Il en est en effet qui ne lui pardonnent pas son attitude ambiguë à l’égard des dieux de la cité, Taranis, Bélisama et Lir ; c’est que, non seulement Gratillonius est un adepte de Mithra, mais encore il trouve légitime de favoriser l’implantation du christianisme dans la ville merveilleuse, par l’intermédiaire du chorévêque et futur saint Corentin… On l’accuse régulièrement de blasphème ou d’impiété… et bientôt ses femmes elles-mêmes.

 

Et à l’extérieur aussi, tout n’est pas rose : les autorités romaines en crise ont certes bénéficié à bien des égards de la politique ysane, mais tendent de plus en plus à voir dans la puissance armoricaine une vilaine épine dans le pied de l’Empire… d’où, sans doute, l’arrivée inopinée de cette troupe de Francs fédérés qui viennent défier Grallon dans le Bois du Roi, à tour de rôle ! Sans même parler, en Ériu, du roi Niall aux Neuf Otages, qui cherche toujours, après toutes ces années, à se venger d’Ys et de son roi, qui lui ont pris une bonne part de son armée, et, surtout, son fils…

 

Pourtant, c’est à l’intérieur même de la ville que se situe le danger, et sous un frais minois qui n’inspirait jusqu’alors qu’adoration et tendresse : Dahut, la fille de Grallon et de Dahilis. Dahut, si belle… et si horrible. Elle le devient, en tout cas. Car les dieux d’Ys jouent un vilain tour à leur roi impie : quand une des Gallicenae meurt, c’est sur la vierge Dahut qu’apparaît la marque désignant celle qui doit lui succéder… Dahut est donc supposée épouser son père, et, bien sûr, consommer cette union. Mais c’en est trop pour Gratillonius, qui aime Dahut d’amour tendre, mais paternel : la loi de Mithra interdit l’inceste, si la loi d’Ys l’autorise ; aussi le Roi d’Ys refuse-t-il de faire de sa propre fille sa reine… Or Dahut, élevée dans une foi passionnée, enfant gâtée à laquelle on a assuré depuis sa naissance mouvementée qu’elle serait celle qui déclencherait une nouvelle ère pour la cité d’Ys, ne peut accepter le rejet paternel. Et, comme dit l’autre, de l’amour à la haine il n’y a qu’un pas… Dahut en vient ainsi à souhaiter la mort de son obstacle de père, seul moyen pour elle de devenir pleinement reine, la nouvelle Brennilis ; et il n’y a pas trente-six moyens d’y parvenir…

 

Ainsi se rassemblent tous les éléments mis en place depuis Roma Mater, qui doivent aboutir à la réalisation du funeste destin d’Ys.

 

Le cœur du mythe, donc. Tout est là. Ce qui n’enlève certes rien à la valeur des tomes précédents, indispensables et passionnants, mais confère à Dahut un statut tout particulier, des accents tragiques forts, qui trouvent leur résolution dans une conclusion grandiose, climax aussi terrible que beau, splendide dans son horreur…

 

Et Poul & Karen Anderson gèrent remarquablement bien ce douloureux épisode apocalyptique. Notamment en ce que la dimension sentimentale, présente dès les origines de la tétralogie, avec cet étrange ménage à dix voulu par la coutume, trouve ici toute sa raison d’être dans la complexe relation unissant (…) Dahut et son père. C’est très juste, très bien fait, réellement déchirant, et sans excès de moraline, comme on pouvait le craindre avec un tel sujet.

 

Il n’en reste pas moins que cette « devil-bitch » de Dahut, comme la qualifie une fois Corentin, en réalisant son destin devient parfaitement monstrueuse. C’est la Prostituée de Babylone, à bien des égards (la dimension chrétienne du roman est assez appuyée, même si pas au point de la « déconcertante » quatrième de couverture – et dans « déconcertante » il y a « dé » et « certante »), une incarnation du mal féminin, qui, passé un certain temps, ne suscite plus, comme à l’origine, amour, tendresse et compassion, mais pur et simple dégoût. Car la belle jeune fille en vient à allier la bêtise à l’égoïsme, combinaison fatale… Le livre idéal pour conforter ma misogynie, quoi (ce qui est sans doute très chrétien là aussi, horreur glauque ; mais bon : ainsi que je l’ai solennellement déclaré à plusieurs reprises, je cesserai d’être misogyne le jour où les femmes brûleront d’elles-mêmes toutes les rédactions de magazines féminins).

 

(Oui, j’en rajoute. Bien sûr. Pfff…)

 

Mais Dahut est bien une personnalité complexe, à l’instar de tous les personnages du roman ou presque. Et, si elle suscite la répugnance à force d’arrogance homicide, elle est bien une femme plus grande que nature, dont la destinée demeure poignante.

 

Dahut, quoi qu’il en soit, confirme le grand intérêt de la tétralogie du « Roi d’Ys », qui revisite avec brio une histoire que tout le monde connaît peu ou prou, en en faisant ressortir l’indéniable richesse ; ce qui fait le mythe, en somme.

 

Très bonne pioche une fois de plus. Suite et fin dans The Dog and the Wolf.

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"Harakiri", de Masaki Kobayashi

Publié le par Nébal

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Titre original : Seppuku.

Titre alternatif : Hara-Kiri.

Réalisateur : Masaki Kobayashi.

Année : 1962.

Pays : Japon.

Durée : 127 min.

Acteurs principaux : Tatsuya Nakadai, Akira Ishihama, Shima Iwashita, Tetsurô Tanba, Masao Mishima, Ichirô Nakatani, Kei Satô …

 

Il y a quelque temps de cela, je vous avais entretenu du magnifique Kwaïdan de Masaki Kobayashi, superbe adaptation des contes de Lafcadio Hearn. C’était le premier film de Kobayashi que je regardais, et quelle baffe ! À n’en pas douter, il figure parmi les plus beaux films que j’aie jamais vus (japonais ou pas). Mais, à l’époque, nombre de gens de bon goût m’avaient intimé de voir également Harakiri, avec l’immense Tatsuya Nakadai, film un poil antérieur et scénarisé par Shinobu Hashimoto (auquel on doit notamment, et ce n’est pas rien, la superbe adaptation de Rashômon, d’après Akutagawa, par Akira Kurosawa, et, pour le même réalisateur, Les Sept Samouraïs). Dès que j’ai trouvé la bête, je m’en suis donc emparé… Même si le visionnage a dû attendre.

 

Et celui-ci ne s’est pas déroulé dans les meilleures conditions. J’ai en effet eu la mauvaise idée de regarder ce film avec mes parents… qui l’ont trouvé insupportable et n’ont cessé de brailler dans mes oreilles de fines réparties hautement spirituelles, variations sur le thème « Ils sont fous ces Japonais »… Béotiens ! Mais cela ne m’a heureusement pas empêché de prendre pour ma part une baffe kolossale devant ce superbe film, que l’on n’hésitera pas un seul instant à qualifier de chef-d’œuvre. Eh certes. Alors merci les gens de bon goût qui me l’ont conseillé.

 

Nous sommes au Japon, à Edo si je ne m’abuse, au XVIIe siècle. Le shogunat Tokugawa inaugure une longue période de paix, contrastant avec les sanglants affrontements des ères antérieures. En conséquence, nombre de clans sont dissous, ce qui met à la rue tout un paquet de samouraïs devenant dès lors des ronins contraints à la misère la plus noire. Un jour, l’un d’entre eux, Hanshiro Tsugumo (Tatsuya Nakadai, donc), se présente devant le palais du clan Ii, et demande la possibilité d’y exécuter le suicide rituel que l’on dit « harakiri », mais qui devrait être dit « seppuku » (c’est d’ailleurs le titre original), sauf erreur. L’intendant le reçoit, et lui conte une histoire afin de le dissuader d’accomplir cet acte fatal ; celle d’un autre ronin, qui s’était de même présenté au clan quelque temps plus tôt dans le même but… et pour qui cela s’était très mal fini. En effet, le clan sait que nombre de ronins d’une extrême pauvreté prennent ce prétexte du harakiri pour quémander une place, ou du moins une aumône… Mais Tsugumo assure que ce n’est pas son cas, et l’on prépare la cérémonie. Mais le temps qu’arrive l’homme qui doit lui donner le coup de grâce, selon les formes de ce suicide rituel, lui aussi se met à raconter une histoire ; son histoire…

 

Je n’en dis pas plus (et peut-être en ai-je déjà trop dit, mes excuses si c’est le cas ; attention pour la suite, du coup…). Mais sachez que le scénario est d’une astuce diabolique, et transforme ce film quasiment dénué d’action et très bavard en un excellent thriller des plus palpitants, à la construction audacieuse avec ses nombreux flashbacks. Le film dans son ensemble est imprégné d’une tension extrême, d’une gravité étouffante et fascinante. Les dialogues, brillants, sont en permanence sur le fil du rasoir, et, entre Tsugumo et l’intendant, c’est bientôt un duel qui se joue…

 

Au-delà, nous avons également affaire à un drame poignant, qui ne saurait laisser indifférent. Et, surtout, le film en son entier est sous-tendu par une virulente critique de la société japonaise traditionnelle et de son hypocrisie foncière ; le prétendu « code d’honneur » des samouraïs y est plus qu’égratigné, dans une charge virulente qui trouve également à s’appliquer au Japon contemporain (et sans doute au-delà). Bas les masques !

 

Visuellement sublime, d’un beau noir et blanc autorisant des cadrages magnifiques, et jouant sur la dynamique et le mouvement avec brio, Harakiri est en outre brillamment servi par une interprétation parfaite, notamment de Tatsuya Nakadai, donc (son rire est particulièrement terrifiant…).

 

Une sorte « d’anti-chambara », peut-être ? En tout cas, Harakiri est à n’en pas douter un chef d’œuvre : la plastique irréprochable, l’écriture parfaite, l’interprétation sublime, s’allient pour livrer un film aussi passionnant et divertissant qu’intelligent et rude. Splendide.

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Voilà...

Publié le par Nébal

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Un bon geste...

Publié le par Nébal

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Demain, je ne vais pas pouvoir voter...

 

Alors un bon geste, citoyens : votez, vous qui le pouvez.
 

Pour qui ? J'en sais rien...

Mais comme l'a dit un concitoyen, que j'approuve ô combien, au moins contre les nationalismes et contre le traité de libre-échange ; ce qui n'a rien de paradoxal, mais n'est que justice et raison.

Allez.

Sivoplé.

(Accessoirement, demain, c'est mon anniversaire ; comme cadeau, j'aimerais bien ne pas avoir à hurler "PAYS DE CONS !" dans la soirée...)

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"Batman : The Dark Knight Returns", de Frank Miller, Klaus Janson & Lynn Varley

Publié le par Nébal

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MILLER (Frank), JANSON (Klaus) & VARLEY (Lynn), Batman : The Dark Knight Returns, [The Dark Knight Returns #1-4 ; The Absolute Dark Knight], traduction [de l’américain] de Nicole Duclos, [s.l.], Urban Comics, coll. DC Essentiels, [1986, 2006] 2012, 240 p.

 

Je ne vous apprends rien : Frank Miller est un géant des comics. Je dois reconnaître cependant être loin d’en avoir tout lu, et avoir longtemps apprécié chez lui l’épatant graphisme bien plus que les scénarios (ce qui explique sans doute en bonne partie le culte que je voue à 300, BD ô combien stupide mais d’une beauté inégalée – ce qui, au passage, me donne presque envie de la relire, histoire de vous expliquer tout le bien que j’en pense, et tout le mal et toute la haine que m’inspire la purge de ce connard de Zach Snyder…). Mais j’ai changé, et, au fil du temps, je me suis rendu compte que Frank Miller n’était pas seulement un excellent dessinateur, au style immédiatement reconnaissable, mais aussi un scénariste tout à fait intéressant, habile dans sa construction, percutant dans ses dialogues et très rigolo dans ses provocations.

 

Oui, je vous parlerai sans doute un jour (prochain ?) de 300. De même que je vous parlerai sans doute de Sin City. Mais il y a eu un Frank Miller avant cela, dont je ne trouverai probablement pas l’occasion de parler de sitôt (pour tout un tas de mauvaises raisons). Et c’est un tout jeune Frank Miller, celui qui a fait un extraordinaire et mémorable run sur Daredevil, qui devait chambouler pas mal de choses (tiens, faudrait aussi que je vous parle de l’extraordinaire Elektra Assassin qu’il a scénarisé, illustré par le fantabuleux Bill Sienkiewicz) ; le célèbre héros de Marvel s’est en effet retrouvé transfiguré par ces trois années (en gros) où Miller a été aux commandes, en auteur complet qui s’était vu confier une sacrée responsabilité, sans doute assez rare dans le monde des comics « mainstream ». Le super-héros aveugle, jusque-là pas forcément super intéressant pour ce que j’en sais, a conquis un nouveau public avec ces aventures plus noires et violentes, plus réalistes aussi, servies par un dessin dynamique et un sens du rythme remarquable.

 

Mais c’est en jouant d’un autre super-héros que Frank Miller devait définitivement entrer dans la légende des comics. Et chez la Distinguée Concurrence, comme disait Stan Lee. Et pas le moindre, puisqu’il s’est agi de Bruce Wayne, alias Batman, rien de moins ! Mais Frank Miller a vraiment pris ce « Dark Knight » à sa manière, avec des brûlots qui devaient chambouler sévère la face du monde des comics de super-héros, dans une proportion égale (ou presque ?) à l’indispensable Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, contemporain. Il y eut (sénario seulement, dessin de David Mazzuchelli) Batman : Année un, qui revisitait la genèse du super-héros…

 

Mais il y eut surtout The Dark Knight Returns (que j’avais déjà, bien sûr, dans la précédente édition chez Delcourt, mais qu’on m’a offert de nouveau dans la belle réédition d’Urban Comics, alors bon), mini-série en quatre épisodes qu’il a scénarisée et dessinée (encrage de Klaus Janson, avec qui il bossait déjà sur Daredevil, couleurs de Lynn Varley – son épouse, je crois ? –, qui saura si bien servir le trait de 300), et dont le postulat est pour le moins audacieux. Il s’agit en effet de nous présenter un vieux Batman. Attention, hein, je n’entends pas par là un Batman remontant à Bob Kane, à la façon de ce qu’a fait plus tard Alan Moore avec Superman dans Suprême ; non, c’est bien le personnage qui se fait vieux : Bruce Wayne, dans The Dark Knight Returns, a 55 ans… et Batman a pris sa retraite depuis une dizaine d’années déjà. Vous vous le sentez, vous, de faire des acrobaties entre les gratte-ciel de Gotham, à cet âge-là ? Non, hein ? Alors, pouet.

 

Mais le monde a changé, en dix ans. Le commissaire Gordon est sur le point de partir à la retraite, lui aussi ; Superman est aux ordres de la Maison Blanche ; le Joker est à l’asile d’Arkham, plongé dans un état catatonique ; Harvey Dent alias Double-Face s’en tire mieux (?), avec une double thérapie, psychique et plastique…

 

Mais si ces géants du Bien et du Mal semblent d’un autre temps, le crime, lui, n’a pas pris sa retraite pour autant… Et quand les jeunes couillons qui se font appeler « Mutants » (…) sèment la zone à Gotham, Bruce Wayne décide de ressortir son vieux costume de chauve-souris. Certes, il n’est plus aussi leste qu’avant ; il a même quelques petits problèmes cardiaques… mais il est plus psychotique que jamais.

 

C’est BATMAN ! Le vrai. Le méchant ! Celui qui ne tue pas, certes – il se l’est juré, même si des fois, hein, bon –, mais qui aime FAIRE MAL. Dans la famille des super-héros DC, c’est définitivement celui qui n’est pas fréquentable, a fortiori avec le traitement que lui inflige Frank Miller. À la base, il y a un peu de la recette Daredevil dans The Dark Knight Returns : c’est plus noir, plus violent ; plus réaliste ? ça, faut voir, surtout dans l’épisode final, où tout le monde pète un câble…

 

Mais, surtout, c’est « politiquement très, très, très incorrect ». Manière polie de dire que Batman, sous la plume de Frank Miller, est complètement facho.

 

Ou pas.

 

Anar, peut-être ?

 

 

Libertarien, probablement.

 

Très, très, très incorrect…

 

Et, du coup, sa croisade ultra-violente pour ramener l’ordre à Gotham suscite immédiatement la polémique. Il y a les partisans – et vive l’auto-défense, y en a marre des petits voyous, etc. – et les adversaires, qui en viennent peu ou prou à imputer à Batman la responsabilité du crime qu’il combat… Il est vrai que Batman a toujours son aura charismatique, et qu’il suscite l’exemple ; ainsi chez la jeune et ô combien attachante Carrie, qui s’improvise nouveau Robin (ben oui : Robin, ici, est une fille…). Batman, mâchoire carrée, psyché en vrac, sourire sadique et voix inquiétante, ne laisse personne indifférent, en tout cas. Et, au fil de ces quatre épisodes, il va passablement remuer Gotham, jusqu’à ce que l’on décide de faire intervenir le Grand Boy-Scout en Pyjama Bleu pour régler la question…

 

Et c’est absolument génial. Le graphisme est brillant, bien sûr, remarquablement dynamique, et bien servi par les couleurs de Lynn Varley (même si elle fera encore mieux sur 300). Mais le scénario vaut aussi son pesant de cacahuètes. Riche en punchlines définitives et autres répliques hilarantes, le texte très dense (…) de Frank Miller (on prend son temps pour lire The Dark Knight Returns…) secoue et réjouit par ses excès. Tout cela est passablement dingue, voire complètement débile, mais qu’est-ce que c’est bon ! C’est à la fois très drôle et palpitant, en tout cas, et d’une violence et d’une noirceur délicieuses. Mais le pire, dans tout ça, le pire… c’est qu’on trouve ça aussi pertinent. Pas seulement l’idée de génie consistant à ramener un Bruce Wayne quinquagnéraire dans une Gotham plus décadente que jamais ; non, derrière tout ça, on a un peu honte de le reconnaître, mais il y a quelque chose de très juste, à un double niveau, tant dans la perception « politiquement très, très, très incorrecte » de la délinquance et de la criminalité… que dans le discours finalement porté sur le genre super-héroïque en lui-même. Et l’on rejoint ici Watchmen, mais avec une ambiguïté déstabilisante…

 

The Dark Knight Returns, vous l’aurez compris, est un chef-d’œuvre. Ce Batman-là est unique. Résolument hors-continuité, il a pourtant imprimé sa marque sur les aventures ultérieures du « Chevalier noir », pour le meilleur… et pour le pire (sans doute faut-il le préciser ici, au cas où : les abjects « Dark Knight » de ce tâcheron de Nolan – hop – n’ont rien à voir avec le Dark Knight de Frank Miller, au-delà de ce titre, et du côté facho, certes, mais nettement moins réjouissant sur pellicule…). Avec Watchmen, donc, il a généré toute une vague de comics plus noirs et violents, qui en ont plus ou sutout moins bien tiré les leçons. Mais qu’on ne le juge pas à sa postérité (si ce n’est sa suite, titrée en France La Relève, plus décriée, plus dingue encore il est vrai – à l’instar des couleurs pétantes de Lynn Varley –, mais assez intéressante, et parfois franchement réjouissante : « Get out of my cave ! ») : le Batman de Frank Miller, et surtout dans sa version quinquagénaire, reste pour moi définitivement le Batman par excellence.

CITRIQ

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"Eclipse Phase : Sunward"

Publié le par Nébal

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Eclipse Phase : Sunward : The Inner System

 

Il était bien temps de commencer à chroniquer les « vrais gros » suppléments pour Eclipse Phase (en VO, donc, même si la traduction de celui-ci ne devrait plus trop tarder… en principe…). Mais c’est que ça prend du temps, la lecture de ces choses-là… En effet, ce livre d’un peu moins de 200 pages est bourré jusqu’à la gueule de trucs passionnants, bien vus, mais parfois complexes à intégrer. J’emploie souvent ce mot à l’heure actuelle, j’ai l’impression, mais oui : Sunward est dense, très dense ; à la mesure, en somme, du livre de base. Toujours aussi fascinant, mais toujours aussi exigeant.

 

Sunward, donc, traite du système intérieur, c’est-à-dire de l’espace compris entre le soleil et Mars (incluse ; il est complété par Rimward pour ce qui est du système extérieur, je vous en cause dès que). Ce qui offre déjà un superbe terrain de jeu, propice à des dizaines d’aventures (et plus puisque affinités). Pourtant, j’avouerai sans l’ombre d’un doute que le système extérieur déchaîne nettement plus mon enthousiasme, du fait de l’Alliance autonomiste, et de son transhumanisme réjouissant. Ici, dans cette zone essentiellement sous le contrôle du Consortium planétaire (le reste étant dans l’ensemble partagé entre la toute jeune Constellation de l’étoile du matin et l’Alliance Lune-Lagrange), le dépaysement, s’il est réel, n’est pas aussi prononcé ; c’est que l’hypercapitalisme du Consortium nous est finalement familier, de même que sa cyber-démocratie, dans un sens. Disons que ce futur-là est moins réjouissant, donc, que les entreprises libertaires du système extérieur. Mais il est néanmoins passionnant.

 

Et riche en images fortes, ainsi que la couverture le laisse déjà supposer, avec ses majestueux suryas nageant dans la couronne solaire… C’est ici que commence notre périple, et il y a déjà pas mal de choses à dire sur la zone allant du soleil à Mercure, malgré son caractère foncièrement inhospitalier. On enchaîne sur Vénus, récemment émancipée du Consortium planétaire, et qui offre deux visages, entre ses luxueux aérostats et sa surface infernale.Puis, la Terre… abandonnée ? Pas totalement ! Il y a sans doute des survivants, peut-être des millions d’entre eux… et, bien sûr, nombre de reliques des TITANs, et des exsurgents en pagaille. Un cadre post-apocalyptique très fort et brillamment décrit, mais encore faut-il pouvoir s’y rendre… et en repartir, tant qu’à faire ; pas facile, mais… L’orbite terrestre, quant à elle, nous offre le premier aperçu de la très conservatrice Alliance Lune-Lagrange. Le tableau est encore pire sur la Lune, avec son « biochauvinisme ». Mais la Lune, c’est aussi la richesse écoeurante des banques… et la beauté des morphes volants.  Mars, sans surprise, est un gros morceau ; mais le chapitre consacré à ce « nouveau berceau de l’humanité » est peut-être le meilleur de cet excellent supplément, avec ses points de vue multiples qui permettent de saisir au mieux la complexité politique, économique et sociale de la planète rouge. Restent encore des astéroïdes et autres habitats isolés dans cette zone (ce qui inclut les Troyens martiens). Et puis un autre chapitre remarquable est consacré au Consortium planétaire, sous tous ses aspects ; la complexité, là encore, est un maître mot. Le dernier chapitre, enfin, traite des informations de jeu les plus techniques (dangers environnementaux, nouveaux morphes, traits et équipement), avant de laisser la place à des informations réservées au meneur de jeu (secrets, un peu frustrants ai-je trouvé, et amorces de scénarios).

 

Bon, je me rends bien compte, au fur et à mesure de la rédaction de ce compte rendu, à quel point j’ai du mal et ne suis pas à la hauteur ; en ce moment, mes articles sont plus navrants qu’autre chose, j’en ai bien conscience et le regrette… Peut-être reprendrai-je un jour celui-ci afin d’en faire quelque chose de correct. Mais je voulais néanmoins en donner ici un aperçu ; car il ne faut pas s’y tromper : si mon compte rendu est naze, le supplément, lui, est excellent, parmi les meilleurs qu’il m’ait été donné de lire tous jeux confondus. Un travail admirable de bout en bout, pertinent, lucide, enthousiasmant, terrifiant, qui plus est remarquablement écrit, et doté d’illustrations souvent superbes. Confirmation de l’excellence d’Eclipse Phase, de son exigence aussi, certes, Sunward me donne une furieuse envie de jouer… et de me jeter sans plus attendre dans la suite ; je vous donne donc rendez-vous, en espérant être plus compétent, pour traiter de Rimward (je m’en régale d’avance).

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