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"Crypt of Cthulhu", no. 3

Publié le par Nébal

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Crypt of Cthulhu, vol. 1, no. 3, Bloomfield, Cryptic Publications, Candlemas 1982, 24 p.

 

Crypt of Cthulhu, suite, avec ce troisième numéro, consacré pour l’essentiel au correspondant et collègue de Lovecraft, le créateur du célèbre Conan, Robert E. Howard. Si les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, ils n’en ont pas moins beaucoup échangé (je reviendrai en partie sur leurs lettres dans le prochain compte rendu), et REH a apporté à plusieurs reprises sa contribution à l’édifice « mythique » élaboré par HPL. Comment exactement, dans quelle mesure et à quel titre, c’est ce que les études comprises dans ce numéro permettront de dire.

 

On commence avec « The Strange Case of Robert Ervin Howard », de Charles Hoffman et Marc A. Cerasini. Après avoir présenté quelque peu le personnage et sa participation à Weird Tales, notamment, les deux auteurs se penchent sur les deux seules histoires (à leurs yeux) écrites par Robert E. Howard et relevant véritablement du « Mythe de Cthulhu » (c’est-à-dire au-delà de simples allusions de passage à des divinités, etc.)… et portent dans l’ensemble des jugements peu flatteurs. « The Black Stone », sans surprise, est néanmoins jugée supérieure à « The Thing on the Roof » (j’avais beaucoup aimé cette première histoire, pour autant que je m’en souvienne, y voyant même une des meilleures « Légendes du Mythe de Cthulhu »…). Les deux histoires sont détaillées, et on y relève ce qui les unit, ainsi que les contributions de l’auteur au « Mythe » – essentiellement les fameux Nameless Cults de Von Junzt et le personnage de poète fou Justin Geoffrey (mais il y a d’autres éléments, plus anecdotiques). Finalement, les récits fantastiques de Robert E. Howard détachés du « Mythe » se voient accorder une bien plus grande estime (je lis ça prochainement, en principe).

 

Robert M. Price poursuit avec « The Borrower Beneath. Howard’s Debt to Lovecraft in « The Black Stone » ». Le titre est assez explicite. Il s’agit donc pour l’auteur de montrer où Howard a puisé son inspiration pour « The Black Stone ». À l’en croire (mais je ne suis que moyennement convaincu), il s’agirait tout simplement d’une reprise de « La Cité sans nom » (avec le même voyage en un lieu exotique, Nameless Cults pour le Necronomicon, Justin Geoffrey pour Abdul Alhazred – les vers des deux poètes sont comparés, et là c’est effectivement assez flagrant –, etc.). Admettons ; cependant, la conclusion ne saurait faire de doute : pour Robert M. Price (et pour votre serviteur aussi, pour autant qu’il s’en souvienne), la nouvelle de Howard est bien meilleure que celle de Lovecraft (que j’ai toujours trouvée plutôt mineure, ainsi que j’ai déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de le dire).

 

Robert M. Price encore, pour « Yag-Kosha the Elephant Man ». Le personnage de Yag-Kosha apparaît dans « La Tour de l’éléphant », une des premières histoires de Conan (voyez ici). Et il est vrai que cette créature a quelque chose de passablement lovecraftien – ça crève les yeux –, même si elle est beaucoup plus sympathique que Yog-Sothoth et compagnie. Pour l’auteur, c’est même la nouvelle dans son ensemble qui a quelque chose de lovecraftien, dans la mesure où, une fois libéré par Conan, Yag-Kosha prend la vedette, tandis que le Cimmérien reste à l’arrière-plan ; là, je suis moins convaincu…

 

Robert M. Price toujours (eh, on est chez lui…) livre ensuite « Gol-Goroth, a Forgotten Old One ». Le personnage de Gol-Goroth apparaît à l’en croire dans plusieurs nouvelles de Howard (notamment « Les Dieux de Bal-Sagoth », voyez ici), et il l’identifie avec la bestiole de « The Black Stone », qu’on retrouve plus ou moins dans « The Thing on the Roof ». Ce Grand Ancien « oublié » des catalogues dressés par les lovecraftiens est donc décortiqué dans chacune de ses apparitions.

 

On s’arrête là pour Howard, mais le numéro se poursuit avec… devinez ? Eh oui, Robert M. Price (vous êtes trop forts). « Genres in the Lovecraftian Library » est plus ou moins un catalogue de « livres maudits », qui a surtout pour intérêt, donc, de différencier divers types d’ouvrage : grimoires, traités de démonologie, « écritures », chroniques non humaines, monographies, poésies (et autres œuvres d’art, en fait) « inspirées », et enfin variantes des précédents. On voit le nombre de « copies » pures et simples, absolument dénuées d’intérêt…

 

Les rubriques, ensuite. Le « fun guy from Yuggoth » de ce numéro est John Anthony, qui livre une jolie « réminiscence » de son premier (et dernier…) contact avec Lovecraft dans « The Call of Cthlhu’s Cadillac ». Amusant.

 

C.J. Henderson, dans la « R’lyeh Review », se répand en louanges à propos de l’anthologie dirigée par Ramsey Campbell New Tales of the Cthulhu Mythos (j’avais lu ça il y a une éternité, je n’en ai pas conservé le moindre souvenir, à part le titre de la contribution de Stephen King…). Après quoi Robert M. Price évoque brièvement des éditions de poche de Lovecraft.

 

Reste le « Mail-Call of Cthulhu », composé cette fois d’une unique lettre d’Ed Babinski, lequel défonce Lovecraft et lui préfère Poe ; le monsieur est censé écrire un article dans un prochain numéro, ça promet…

 

Bilan très sympathique dans l’ensemble, donc, pour ce troisième numéro de Crypt of Cthulhu, largement plus convaincant que le précédent. On verra bientôt ce qu’il en est de la suite des opérations.

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"La Flamme Chantante", de Clark Ashton Smith

Publié le par Nébal

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SMITH (Clark Ashton), La Flamme Chantante, [The Collected Fantasies of Clark Ashton Smith, vol. 2], nouvelle traduite de l’anglais (États-Unis) par Joachim Zemmour, Arles, Actes Sud, coll. Un endroit où aller, [1931] 2013, 107 p.

 

C’est bien simple : ils étaient trois. H.P. Lovecraft, Robert E. Howard et Clark Ashton Smith. La Sainte Trinité de Weird Tales (et d’autres pulps aussi, pour ce texte précisément, d’ailleurs). J’ai beaucoup lu le premier (sans déconner ?), pas mal le deuxième, quasiment pas du tout le dernier (juste ses nouvelles figurant dans les « Légendes du Mythe de Cthulhu », sauf erreur). Or cela faisait (du coup) très longtemps que je voulais lire du Clark Ashton Smith. Las, s’il fut pas mal traduit à une certaine époque (chez Néo, notamment), il est aujourd’hui quasiment impossible de mettre la main sur ces textes, accaparés par de perfides collectionneurs. Des années que j’en cherche (à des prix décents) sans en trouver. Aussi, quand Actes Sud a annoncé cette réédition dans une nouvelle traduction de La Flamme Chantante, j’ai quasiment sauté au plafond, et me suis empressé de faire l’acquisition de la chose. Et ce malgré un prix carrément prohibitif : 14 € pour une centaine de pages, ça relève quand même peu ou prou du foutage de gueule pur et simple. Mais bon, je ne suis pas en état de bouder : je voulais lire du Clark Ashton Smith, et j’en ai lu. Voilà. Et merci malgré tout.

 

Il y a Giles Angarth, auteur de fantastique, et son pote Ebbonly, illustrateur dans le même genre (un dédoublement de Clark Ashton Smith ?). Angarth s’est retiré dans un bungalow dans un trou perdu, non loin de Crater Ridge. Et, en se baladant dans les environs, il fait un jour une étrange découverte : deux pierres, qui donnent vaguement l’impression de débris de colonnes malmenés par le temps. Angarth aurait pu se contenter, comme précédemment, de laisser son esprit fantasque vagabonder sur ces étranges pierres, y cherchant des significations improbables, mais voilà : il passe entre les deux.

 

… et se retrouve propulsé dans un étrange monde parallèle, empli de créatures tout aussi étranges. Des pèlerins pour la plupart, sans doute, qui viennent rendre hommage à la Flamme Chantante, qui les attire comme des phalènes. Angarth résiste à la tentation de se jeter dans le feu ardent, mais n’en est pas moins sacrément perturbé (il faut dire qu’on le serait à moins). Dans les jours qui suivent, il revient plusieurs fois dans la cité de la Flamme, observant les déconcertants phénomènes qui s’y produisent.

 

Puis il disparaît, avec son comparse Ebbonly qui l’a rejoint, quasiment sans laisser de trace. Quasiment : il a laissé un journal adressé à son ami Hastane, qui relate l’étonnante découverte. Canular ? Récit authentique ? Hastane ne sait d’abord trop que penser. Mais après avoir livré à ses lecteurs le journal d’Angarth, il se rend à son tour à Crater Ridge, trouve les pierres, et…

 

Arrêtons-nous là. J’en ai probablement déjà trop dit…

 

Clark Ashton Smith, donc, était un correspondant de Lovecraft. Un de ses grands amis, même s’ils ne se sont jamais rencontrés. Le poète et fantastiqueur californien et le gentleman de Providence se sont à vrai dire mutuellement influencés. Et ça crève les yeux à la lecture de cette nouvelle datant de 1931. Si La Flamme Chantante évoque plus la fascination pour l’étrange que l’horreur pure, la parenté n’en est pas moins nette, et s’exprime dans un style chatoyant, que d’aucuns (on les comprend) pourront trouver abominablement chargé, souffrant de « l’adjectivite » souvent reprochée à Lovecraft. Mais votre serviteur, du coup, a l’habitude, avoue même bien aimer cette hérésie stylistique, et, dès lors, a pris beaucoup de plaisir à cette excursion dans un monde parallèle « grotesque » (le mot revient souvent, trop souvent, dans la traduction de Joachim Zemmour, qui n’exclut pas ainsi quelques répétitions sans doute plus fâcheuses en français qu’en anglais ; mais bon : ça reste dans l’ensemble du beau travail, avec un rendu délicieusement emphatique).

 

Aussi La Flamme Chantante prend-elle des allures de poème en prose. Riche en visions dantesques, le texte de Clark Ashton Smith se dévore, oscillant entre le pulp pur et dur et l’Art (oui, avec un grand « A »), démonstration éloquente que les deux sont loin d’être incompatibles. Mais, encore une fois, pour avoir beaucoup lu Lovecraft (…), je n’en doutais pas un seul instant. Toujours est-il que cette nouvelle de Clark Ashton Smith se joue des catégories, et devient une illustration sensible et forte de la Beauté (avec un grand « B », oui) (je mets des grands trucs si je veux).

 

Autant dire que je n’ai pas été déçu par cette lecture si désirée. Je n’espère désormais plus qu’une chose : que cette nouvelle traduction inaugure une nouvelle ère de publications de Clark Ashton Smith en français. Parce que, hein, bon, merde. Voilà.

CITRIQ

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"Crypt of Cthulhu", no. 2

Publié le par Nébal

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Crypt of Cthulhu, vol. 1, no. 2, Bloomfield, Crypt of Cthulhu, Yuletide 1981, 28 p.

 

Crypt of Cthulhu, suite. Avec ce deuxième numéro, Robert M. Price commence à être rejoint par ses petits camarades, et ne s’occupe plus de tout tout seul, même s’il reste le principal rédacteur du fanzine.

 

C’est d’ailleurs lui qui ouvre le bal, avec « What Was the « Corpse-Eating Cult of Leng » ? ». Robert M. Price part d’une sentence du « Molosse » sur ledit culte, ce qui lui offre l’occasion de faire une bien étrange étude de religions comparées. Il commence par s’intéresser à la nécrophagie chez Lovecraft, et en élimine deux aspects – le cannibalisme primitif et les goules (un peu trop facilement pour ces dernières, je trouve, m’enfin bon…) – pour en retenir un troisième : la secte. Ben, en même temps, y a « cult » dans le nom, hein… Il s’intéresse ensuite à la localisation fluctuante au fil du temps et des récits de Leng, tour à tour au Tibet, dans les « Contrées du Rêve » et en Antarctique. Le thème tibétain est cependant privilégié, puisque l’auteur conclut son article en évoquant la nécrophagie religieuse en Asie, avec des exemples sikhs et bouddhistes qui ont de quoi laisser un brin perplexe. Disons-le tout net : cet article guère passionnant ne me paraît pas vraiment pertinent…

 

Charles Garofalo livre ensuite « Lovecraft the Name-Dropper », très brève (sans doute trop) « réflexion » sur la manie lovecraftienne de balancer des références sans en dire plus sur ce qu’elles impliquent. Mouais ; ça n’apporte pas grand-chose une fois de plus…

 

Retour à Robert M. Price avec « The Statement of Lin Carter », article dans lequel il étudie les différentes facettes du pastiche de Lovecraft (et de Derleth…) chez le prolifique (et mal-aimé) Lin Carter. Il se montre sans surprise très sévère pour ses tentatives de rédaction de « livres maudits », mais plus compatissant avec ses nouvelles relevant du « cycle xothique » (j’ai ça dans ma pile à lire, mon Dieu…), tout en soulignant leur fondamental manque d’originalité… et en trouvant à le défendre, quelque part. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela ne fait pas envie, pourtant.

 

Le « fun guy from Yuggoth » de ce numéro, c’est Ronald Shearer, qui se pose en occultiste, mais, hélas, pas tout seul, dans « The Occult Relevance of Lovecraft ». Pas très « fun », du coup, et ça nous donne un tissu d’inepties…

 

C’est désormais C.J. Henderson qui tient la « R’lyeh Review »… et pour une première, on ne peut pas dire qu’il se montre très convaincant. Il entend parler de deux films d’horreur, Halloween II de Rick Rosenthal et Ghost Story de John Irwin. Et s’il descend le second, il fait l’éloge du premier, qu’il considère… meilleur que l’original. Je n’ai certes pas vu cette « séquelle », mais suis pour le moins sceptique… Il faut dire que si le chroniqueur tresse des lauriers à Carpenter, pourtant pas le réalisateur du film, c’est en cassant du sucre sur le dos d’autres réalisateurs d’horreur que j’estime énormément, mais qui n’ont pas la même approche de l’horreur, comme « Kronenberg » (sic), DePalma ou Romero. Monsieur n’aime pas le gore, et ça se sent, mais il n’a pas d’arguments, si ce n’est un soupçon de moraline tendant au « c’était mieux avant »… Pas un hasard, j’imagine, s’il qualifie Stephen King de « unreadable »… Bref. C’est mauvais.

 

Ce deuxième numéro, du coup, m’a paru plutôt médiocre… Heureusement, les choses s’améliorent avec le suivant, consacré pour l’essentiel à Robert E. Howard, et beaucoup plus enthousiasmant.

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"Le Peuple blanc", d'Arthur Machen

Publié le par Nébal

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MACHEN (Arthur), Le Peuple blanc, préfacé et traduit [de l’anglais] par Jacques Parsons, [Paris], Christian Bourgois, coll. Dans l’épouvante, [1965] 1970, 392 p.

 

Arthur Machen fait à n’en pas douter partie des principales inspirations de Lovecraft. Je ne l’avais jusqu’à présent que très peu lu ; trois nouvelles, en fait : « Le Grand Dieu Pan », bien sûr – c’est son plus célèbre récit –, il y a longtemps, puis à nouveau dans Le Cycle de Dunwich, de même que « Le Peuple blanc », qui figure évidemment aussi dans ce recueil, et enfin « Histoire du cachet noir », un épisode des Trois Imposteurs, dans Le Cycle d’Hastur. L’expérience ayant été concluante à chaque fois, dans les grandes lignes du moins, je me suis dit que je ne pouvais en rester là, et ai cherché à me procurer d’autres œuvres du grand auteur gallois. D’où la lecture de ce Peuple blanc comprenant cinq nouvelles, généralement assez longues (avec une exception notable, « Les Archers »), témoignant des multiples facettes de l’art de Machen dans le registre fantastique.

 

Le recueil s’ouvre tout naturellement sur « Le Peuple blanc ». Une nouvelle assez étrange, et que je ne peux m’empêcher de trouver un brin bancale. La majeure partie du texte – et la plus intéressante – consiste en un journal tenu par une petite fille qui y parle de son initiation à la sorcellerie, où elle s’intègre dans une lignée de femmes remontant fort loin (ce qui ne manque pas de faire penser, ultérieurement, à la thèse de Margaret Murray évoquée ici). Ce journal, écrit dans un style naïf très particulier, est tout à fait fascinant. Mais il est encadré par un prologue et un épilogue qui viennent y rajouter une connotation « mystique », le journal étant censé constituer une illustration du « péché véritable » (voir à ce sujet l’article de Robert M. Price évoqué ici) ; ces développements paradoxaux, dois-je dire, me laissent assez perplexe (et c’était déjà mon sentiment à ma première lecture).

 

On trouve ensuite « Le Grand Retour », nouvelle qui témoigne de la mystique chrétienne de l’auteur (il s’y est investi assez tardivement). Le fantastique, ici, s’il n’est pas totalement dégagé du sentiment primordial de la peur, réside tout de même avant tout dans la fascination, et c’est bien de miracles qu’il s’agit. Ce qui, je le confesse (…), ne m’a pas passionné.

 

Heureusement, la suite est à mon sens bien meilleure, même si, prise isolément, la très courte nouvelle qu’est « Les Archers » pourrait passer pour anecdotique… Elle ne l’est certainement pas. En effet, ce récit prenant pour cadre la Première Guerre mondiale conjugue mystique et propagande, en faisant intervenir, au secours des Anglais battant en retraite devant une percée allemande, les archers d’Azincourt et de Crécy conduits par saint Georges. On aura reconnu ici la légende des « Anges de Mons » : à la suite du texte de Machen (et j’étais totalement ignorant du fait qu’il y avait un de ses récits à l’origine de cette légende dont j’avais toutefois entendu parler), plusieurs soldats ont en effet assuré que les anges étaient véritablement intervenus pour les sauver ! L’histoire, ainsi, est passée de la fiction relativement innocente à la rumeur miraculeuse colportée par tout un chacun ; étrange destinée pour ce texte, qui a dû particulièrement surprendre l’auteur… qui y reviendra ultérieurement lui-même, l’intégrant dans sa prose.

 

Ainsi dans « La Terreur », novella qui atteint à vrai dire les dimensions d’un roman. Dans ce récit prenant à nouveau place pendant la guerre, et très astucieusement construit, il nous est fait part d’étranges et terribles phénomènes dans toute l’Angleterre, mais plus particulièrement dans un comté gallois : les cadavres se ramassent à la pelle, sans que l’on puisse expliquer les circonstances de leur mort ni le lien qui les unit (s’il y en a un). La rumeur enfle (de même que pour les « Anges de Mons », donc…), et l’on commence à parler de contingents allemands infiltrés dans les sous-sols de l’Angleterre pour y susciter la terreur… L’explication finale, bien différente on s’en doute, convainc plus ou moins (dans son aspect moralisant digne d’une fable, je ne peux m’empêcher de voir un brin de naïveté, malgré la tonalité sombre de l’ensemble ; on retrouve aussi sans doute dans cette histoire un peu de mystique chrétienne). Mais peu importe : « La Terreur » emporte l’adhésion du fait de sa superbe ambiance, de l’inquiétant mystère qui en constitue le prétexte, et de l’art du conteur de Machen. Une vraie réussite.

 

Le recueil s’achève enfin sur « La Pyramide de feu », un des récits du « Petit Peuple » de Machen (à l’instar de « Histoire du cachet noir » ; sur ce thème, voyez l’article de Michel Meurger dont je parlais ici). Le récit est conçu comme une enquête policière « à l’ancienne » (une disparition, de mystérieux dessins…), et se révèle tout à fait fascinant. C’est là encore un texte palpitant, témoignant du grand talent de Machen.

 

Aussi, quand bien même j’ai quelques réserves à émettre ici ou là, le bilan ne saurait faire de doute : j’ai passé dans l’ensemble un très bon moment en compagnie de ce grand « fantastiqueur », et il va falloir que je remette ça prochainement…

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Autopromo et copinage : "Jusqu'ici tout va bien"

Publié le par Nébal

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Jusqu’ici tout va bien. 12 nouvelles sur la phobie, Paris, aNTIDATA, 2013, 165 p.

 

Hop, ma nouvelle « Blanc Néon » figure dans cette anthologie thématique sur la phobie.

 

N’hésitez pas à m’envoyer vos retours dans la gueule.

 

Lancement de l'anthologie à la Librairie Charybde

 

Charybde2 sur Sens critique

 

 

MarianneL sur Sens critique

 

Louloulalu sur Sens critique

 

rmd sur Sens critique

 

Emily Vaquié sur Café Powell 

 

Eulimène Deslettres sur Salon des lettres

 

Monochrome sur Monographies

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"Crypt of Cthulhu", no. 1

Publié le par Nébal

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Crypt of Cthulhu, vol. 1, no. 1, Bloomfield, Crypt of Cthulhu, Hallowmas 1981, 24 p.

 

Petite pause dans les Lovecraft Studies, donc… que je vais combler avec des Crypt of Cthulhu, parce que y a pas de raison, d’abord, et que j’en ai récupéré une montagne grâce à la Providence incarnée en la personne d’un « fun guy from Yuggoth », loué soit son nom. Crypt of Cthulhu, c’est le joujou fanzinesco-cthulhien de Robert M. Price, grand exégète lovecraftien lui aussi, et théologien de formation (si). Ce premier numéro, très court, est entièrement dû à sa main indicible. On voit très vite que le ton de ce fanzine, quand bien même il est destiné à publier des contributions très sérieuses, de Price lui-même ou d’autres, se montre autrement plus rigolard que les très sérieuses Lovecraft Studies du « concurrent » S.T. Joshi, ce qui, dois-je dire, n’est pas forcément pour me déplaire. En tout cas – conséquence peut-être du fait qu’il n’y ait pour l’instant qu’un unique rédacteur ? – la part de subjectivité et de simple « fun » est plus grande, et, dans un sens, revendiquée.

 

Ce qui n’empêche pas le sérieux des communications… enfin, de la communication, puisqu’il n’y en a qu’une seule dans le présent numéro. Robert M. Price, donc (surprise !), semble se faire un petit plaisir de théologien lovecraftophile avec « Lovecraft’s Concept of Blasphemy ». Le terme « blasphemous » (et tous ses dérivés) revient en effet souvent sous la plume de cet athée impénitent qu’était Lovecraft ; on peut dès lors s’interroger sur le sens que revêt ce mot dans la fiction lovecraftienne. L’auteur commence par distinguer plusieurs définitions du « blasphème », et retient dans le cas de Lovecraft, le plus souvent, celle qui renvoie à une violation prométhéenne des catégories instaurées par la nature (même si la notion de « sacrilège » ou « d’hérésie » est parfois pertinente). Cependant, bien sûr, la sanction de cette violation prométhéenne n’est pas infligée par Dieu : celui qui joue au Prométhée est puni par la chose même qu’il recherche (exemple parmi tant d’autres, L’Affaire Charles Dexter Ward) ; dès lors, souvent, plus qu’avec le titan, c’est avec Icare que la comparaison se montre pertinente. Cette conception du « blasphème », en tout cas, semble faire écho à celle du « péché véritable » exposée par Arthur Machen dans « Le Peuple blanc » (j’y reviendrai très prochainement). Elle nécessite peut-être quelques ajustements, cependant (mais pas forcément tant que ça), dans le sentiment de « sublime » évoqué par Les Contrées du Rêve. Puis l’auteur distingue quatre sens de l’adjectif « blasphemous » : objectif, subjectif, suggestif et associatif. L’idée étant… ah, le petit canaillou ! que le choix des adjectifs chez Lovecraft, et de celui-ci en particulier, ne doit donc rien au hasard, mais est délibéré et mûrement réfléchi ; « l’adjectivite » est donc nettement moins sujette à la critique qu’on ne pourrait le croire. Conclusion de fan, sans doute (je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur cette question) ; toujours est-il que cet article mêlant théologie et lovecrafterie se montre très intéressant (si).

 

Suivent plusieurs rubriques, pour l’instant simplement tenues par Robert M. Price, donc. Et d’abord la légendaire « The Fun Guys from Yuggoth » (j’adore ce jeu de mots débile), chronique rigolote de rencontres d’éminents lovecraftiens.

 

Dans « R’lyeh Texts », L’auteur nous parle de ses lectures : ici, il ne tarit pas d’éloges pour Stephen King, en l’occurrence ‘Salem’s Lot, le premier livre qu’il lisait du Roi ; je ne vais pas vous livrer le détail de toute la rubrique, hein. Notons juste qu’elle se clôt sur le « current flood of fun-but-usually-junky Cthulhoid fiction »… et que l’on y retrouve à la meilleure place Stephen King… pour « Jerusalem’s Lot » (dans Night Shift) ? (Je note aussi « More Light » de James Blish, que j’avais lu dans une publication ultérieure, Le Cycle d’Hastur, anthologie dirigée par… ben oui, Robert M. Price.)

 

Reste enfin « Mail-Call of Cthulhu » (ah ça, quand je vous disais que le ton n’était pas le même que dans Lovecraft Studies…). Pas de courrier dans ce premier numéro, sans surprise, mais quelques remarques sur des publications lovecraftiennes de « fun guys from Yuggoth » (oui, je me répète, mais j’aime ça) ; je note surtout « The Mythic Hero Archetype in « The Dunwich Horror » » de Don Burleson (dans… Lovecraft Studies, n° 4). Robert M. Price s’oppose à cette lecture « retournée » qui fait d’Armitage un loser

 

C’est tout pour ce très petit numéro. Suite au prochain…

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"La Piste du Dakota", de Pierre Pelot

Publié le par Nébal

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PELOT (Pierre), La Piste du Dakota, Paris, Gallimard, coll. Folio, [1966, 1999] 2001, 193 p.

 

Il faut bien commencer quelque part ; alors pourquoi pas par un western ? C’est en tout cas ce que fit un tout jeune Pierre Pelot, qui n’avait pas vingt ans quand a été publié ce premier roman qu’est La Piste du Dakota ; un western, oui, mais pas encore un Dylan Stark ; et, selon les propres mots de l’auteur, un « western qui ne voulait pas déserter l’enfance ». Effectivement : autant le dire de suite, c’est là le gros problème de cette Piste du Dakota un tantinet régressive ; l’âge de l’auteur transpire à chaque page, et sans doute ce court roman est-il en priorité destiné à des lecteurs dans les mêmes eaux, ce qui n’est plus mon cas…

 

Mais on y reviendra. Présentons un peu l’histoire tout d’abord. Nous sommes juste au lendemain de la guerre de Sécession, dans l’Arkansas du Sud. Brad Heart, ex-soldat nordiste, cherche à rejoindre le Dakota du Nord, où sa femme Sally Ann l’attend dans son ranch. Accompagné de son fidèle ami indien Attowack – qui s’est lui aussi battu dans les rangs de l’Union –, le Yankee trouve du travail auprès du ranchman Forward (ce nom est tout un programme…) : il s’agit, pour une centaine de cow-boys, de convoyer un troupeau de 2000 têtes de bétail le long de la piste du Dakota, pour s’établir enfin dans le Pays-de-l’herbe-verte. Une belle occasion d’accomplir le voyage vers Sally Ann.

 

Mais cela ne s’annonce pas facile. Forward sait qu’une bonne partie du troupeau va crever en chemin. Il sait aussi que les Indiens – les Sioux, essentiellement – représentent une menace avec laquelle il va falloir compter. Tous les cow-boys n’arriveront pas vivants au ranch de la White Valley…

 

Mais cette menace pèse encore plus sur les épaules de Brad et Attowack… dans la mesure où ils étaient nordistes, et où une bonne partie des convoyeurs s’est battue dans les rangs de la Confédération. Or certains ont la défaite amère, et la rancune tenace. Ainsi, notamment, Cudgel (qui n’est pas vraiment astucieux…), lequel s’est juré de faire la peau du Yankee et de son pote à la peau rouge…

 

Une traversée des États-Unis du Sud au Nord. Forcément, devant cette odyssée, je n’ai pas pu m’empêcher de penser au bien plus récent Lonesome Dove… Mais ne nous engageons pas trop sur ce terrain : la comparaison, outre son anachronisme foncier, aurait quelque chose d’un peu absurde ; La Piste du Dakota ne joue tout simplement pas dans la même catégorie. Roman de pur divertissement écrit par un jeunot à une époque autrement plus friande de westerns, ce premier Pelot n’a pas l’ambition du monument de Larry McMurtry.

 

Cela dit, ce western très classique (trop classique ?) ne passe plus guère aujourd’hui (et on ne s’explique pas forcément cette réédition, quand bien des romans de Pierre Pelot, tous genres confondus, se montrent bien plus intéressants). L’âge de l’auteur, disais-je, ressort à chaque page. Il s’agit bien d’une histoire basique de cow-boys et d’Indiens, c’est rien de le dire : tous les clichés sont là (oui, des clichés plus que des codes). Nulle surprise dans ce roman très linéaire – encore qu’il multiplie à plus ou moins bon droit les ellipses –, où les événements s’enchaînent dans l’ordre. Les personnages, en carton-pâte, n’arrangent rien à l’affaire. Et la plume de l’auteur non plus : amateurs de Pelot, vous ne trouverez pas ici l’élégante efficacité qui caractérise ses productions ultérieures, y compris dans le domaine du western (voyez ici). Chaque phrase est un cliché, chaque réplique est téléphonée ; à vrai dire, ça en devient même parfois franchement pénible… ou, et ce n’est sans doute pas mieux, plutôt risible (notamment quand Attowack a la mauvaise idée d’ouvrir la bouche).

 

Alors tout n’est pas totalement raté dans ce premier roman : une, voire deux, scènes de « stampede », de panique du troupeau, sont plutôt correctes. Et sans doute y a-t-il un peu du Pelot futur dans l’hécatombe qui frappe les convoyeurs… mais l’empathie à l’égard de ces personnages étant nulle, on les voit mourir à la pelle, au détour d’une ligne quelconque, sans jamais rien ressentir. Si l’on y ajoute quelques invraisemblances narratives (concernant Cudgel, notamment), on a tôt fait de confirmer la première impression laissée par La Piste du Dakota : celle d’un mauvais roman « jeunesse », témoin d’une autre époque, et dont la naïveté n’a hélas rien de rafraîchissant.

 

Pelot a fait tellement mieux… Oublions donc cette « erreur de jeunesse », qui n’en était sans doute pas totalement une, dans la mesure où elle a malgré tout lancé la carrière de l’auteur ; mais La Piste du Dakota ne témoigne en rien du talent qu’il saura déployer par la suite, et ce dans tous les genres. Il faut bien commencer…

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"Lovecraft Studies", no. 31

Publié le par Nébal

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Lovecraft Studies, no. 31, West Warwick, Necronomicon Press, Fall 1994, 36 p.

 

Lovecraft Studies, suite… mais en faisant un grand bond en avant, puisqu’il me manque les numéros 14 à 30. Passons donc directement à ce n° 31, dédié à Robert Bloch. Le contraste est assez flagrant, en tout cas, entre cet opus et les précédents que j’avais pu lire, et le rendu autrement plus « professionnel », même si l’on reste dans le domaine du fanzine. L’impression sur deux colonnes justifiées repose un peu les yeux… même si, du coup, chaque page est plus dense. Mais trêve de blabla, passons directement au contenu.

 

On commence avec Robert H. Waugh, qui livre « Dr. Margaret Murray and H.P. Lovecraft: The Witch-Cult in New England », article qui m’a semblé entrer en résonance avec mes récentes lectures de Michel Meurger (hop). On sait que le « classique » (controversé… et même carrément abandonné aujourd’hui) de Margaret Murray sur la sorcellerie en Europe occidentale a beaucoup inspiré Lovecraft, qui le cite à plusieurs reprises, dans ses fictions comme dans sa correspondance. L’auteur montre ici que, chez Lovecraft, le terreau était favorable, si je puis employer cette expression : l’idée de la survivance d’un culte de sorciers, à mettre en rapport avec la « pygmy theory », ne pouvait que séduire le créateur de Keziah Mason et compagnie, qui s’en est toutefois emparé à sa manière, lui rajoutant une dimension « d’altérité » plus franche, hélas accompagnée de préjugés racistes. On voit ensuite comment Lovecraft a fait usage de l’ouvrage dans sa Nouvelle-Angleterre fantasmée. Un bon article… mais après les très savantes dissertations de Michel Meurger, ça paraît un peu léger, tout de même.

 

Mollie L. Burleson livre ensuite un article, euh, « étrange », avec « Mirror, Mirror: Sylvia Plath’s « Mirror » and Lovecraft’s « The Outsider » ». La comparaison entre « Je suis d’ailleurs » et ce poème (cité en intégralité) de Sylvia Plath (dont il faut toujours que je lise La Cloche de détresse…) ne me paraît pas franchement pertinente, et l’on ne peut à mon sens en retirer grand-chose. Je note cependant cette idée intéressante, selon laquelle la « révélation » de « Je suis d’ailleurs » est en fait « continue » (ou « répétée », comme vous voudrez), chose à laquelle je n’avais jamais pensé et qui mérite à mon sens qu’on s’y arrête. Mais le plus troublant dans cet article reste, trouvé-je, la conviction de l’auteur (étayée dans une précédente livraison) selon laquelle le narrateur de Lovecraft… serait en fait une femme. Euh, je demande à être convaincu, là…

 

On reste avec « Je suis d’ailleurs » dans l’article suivant, « « The Outsider » as an Hommage to Poe » de Carl Buchanan. La référence à Poe dans ce texte de Lovecraft est un véritable lieu commun, et je n’ai pas le sentiment que ce bref article apporte grand-chose de neuf sur la question…

 

Poe toujours, mais avec à mon sens plus d’intérêt, dans « Lovecraft and « Ligeia » » de Robert M. Price. Selon l’auteur, les références à Poe dans l’œuvre lovecraftienne ne se limitent pas au style, mais infusent aussi certains textes, dans lesquels on peut trouver des emprunts. Ainsi, il montre comment la célèbre « Ligeia » a inspiré directement « The Thing on the Doorstep » (c’est en effet particulièrement éloquent), voire (de manière un peu moins convaincante à mes yeux) « The Rats in the Walls » ou encore « The Hound ». Intéressant, oui.

 

On passe ensuite à plusieurs articles « stylistiques ». C’est Cecelia Drewer qui ouvre le bal, avec « Symbolism of Style in « The Strange High House in the Mist » » (un chapitre remanié de sa thèse The Literary Manifesto of H.P. Lovecraft: A Writer in Search of a Theory), qui dissèque donc savamment « L’Étrange Maison haute dans la brume » sous l’angle des procédés d’écriture employés par Lovecraft. C’est méticuleux (voire un brin « scolaire »), et assurément bien fait ; on voit combien Lovecraft attachait d’importance au style… même si, trouvé-je, cela fait du coup ressortir son caractère quelque peu « emprunté ». Les considérations sur les différentes formes de « modernisme » en écriture sont également intéressantes.

 

Un serpent de mer ou peu s’en faut ensuite, avec « Lovecraft and Adjectivitis: A Deconstructionist View » de Donald R. Burleson. « L’adjectivite » de Lovecraft a souvent été relevée par ses critiques (et votre serviteur reconnaît ne pas être en reste). L’auteur entend questionner ce lieu commun, en s’interrogeant sur le statut de l’adjectif en général et dans l’œuvre lovecraftienne en particulier. Certaines remarques sont assez pertinentes… mais, décidément, ce genre d’article ne me convainc jamais tout à fait : je ne peux m’empêcher d’y voir, même si c’est avec un certain brio et de manière mûrement réfléchie (à l’instar de la plume lovecraftienne, d’ailleurs), un « réflexe » défensif de fan… ce que je suis également, hein (sans déc’ ?), mais je reconnais néanmoins le caractère fondé de la critique concernant « l’adjectivite »…

 

On poursuit avec « Lovecraft’s Aesthetic Development: From Classicism to Decadence » de S.T. Joshi (un extrait, en fait, de sa biographie alors non publiée – voir I Am providence). Je ne m’étendrai pas sur ce sujet, aussi intéressant soit-il : le titre est éloquent, et c’était donc plus ou moins déjà lu en ce qui me concerne.

 

S.T. Joshi, toujours lui, se montre enfin particulièrement venimeux (à bon droit, semble-t-il ; c’est en tout cas assez réjouissant) dans les deux « reviews » qu’il consacre à Crawling Chaos: Selected Works 1920-1935 de H.P. Lovecraft, compilation qui semble effectivement avoir été faite en dépit du bon sens, et Cthulhu’s Heirs: Tales of the Mythos for the New Millenium, anthologie de nouvelles lovecraftiennes éditée par Thomas M.K. Stratman pour Chaosium (et qui figure dans ma pile à lire lovecraftienne, aïe…). « Some things are so breathtakingly stupid that one can only stand back and admire. » Ouch !

 

Ceci devait être mon dernier Lovecraft Studies… mais j’ai craqué et commandé quelques numéros plus récents. À suivre, donc, même si je vais d’abord faire un détour par Crypt of Cthulhu.

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"Lovecraft et la S.-F. /1", de Michel Meurger

Publié le par Nébal

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MEURGER (Michel), Lovecraft et la S.-F. /1, avertissement de Joseph Altairac & Michel Meurger, préface de S.T. Joshi, Amiens, Encrage, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, 1991, 190 p.

 

Michel Meurger est Immense. Mais je me répète, là. Depuis que j’ai découvert cet incroyable érudit dans les pages du Visage Vert (d’abord la revue, ensuite les autres publications de la maison d’édition), je n’ai cessé de vous rebattre les oreilles (ou les yeux) avec mon admiration de petit fan pour ce brillant et passionnant essayiste. Aussi, quelle ne fut pas ma joie quand je réalisai qu’il avait signé deux des six volumes des « Cahiers d’études lovecraftiennes » ! Cela dit, le titre de ces ouvrages pas plus que le nom de la série ne doivent nous tromper : Lovecraft n’est pas toujours au cœur de ces articles compilés de Michel Meurger, qui tournent parfois légèrement autour, chez les prédécesseurs comme du côté de ce qui s’est passé ultérieurement. Peu importe : c’est de la bonne, foi de Nébal. C’est toujours aussi bluffant d’érudition, remarquablement édifiant (voire consternant, mais j’y reviendrai), et tout à fait passionnant.

 

On attaque en force avec « « Anticipation rétrograde » : primitivisme et occultisme dans la réception lovecraftienne en France de 1953 à 1957 ». Un article hallucinant, qui montre les contresens impressionnants auxquels se livrèrent les premiers « critiques » de Lovecraft de par chez nous. Avant même la traduction de ses œuvres, nous voyons ainsi des surréalistes fascinés par l’occultisme répandre l’image d’un Lovecraft « initié », consciemment ou non, dont les textes sont autant de témoignages d’une sorte de « mémoire héréditaire ». Thème qui sera bien vite repris par les Bergier, Pauwels et compagnie, qui feront du Maître de Providence une icône de la pseudo-science, dans une logique « primitiviste » consistant à le lire au pied de la lettre, en somme. Le Mythe y est dès lors pris, peu ou prou, pour argent comptant, de même que ses thématiques de civilisations extra-terrestres antédiluviennes (on y reviendra indirectement dans le dernier article de ce recueil, tout aussi consternant). On a du mal, aujourd’hui, à prendre conscience des tissus de conneries que pouvaient gober les gens à cette époque qui fit du Matin des magiciens un best-seller (il faut décidément que je le lise, même si ça me fait peur…), mais cet article est pour le coup particulièrement éloquent. On n’en revient pas indemne, et le pauvre Lovecraft a dû se retourner dans sa tombe plus d’une fois du fait de toutes les sottises qui sont ici rapportées…

 

On s’éloigne ensuite de Lovecraft, mais pour mieux y retourner par la suite, avec « Les Martiens de Wells », article qui montre avec brio la singularité de la création de Wells dans La Guerre des mondes et quelques autres textes. Mais, à vrai dire, l’interprétation qui en est donnée ici était pour une fois déjà mienne – à tel point, d’ailleurs, que j’ai du mal à concevoir qu’il puisse y en avoir d’autres. Mais Michel Meurger élabore une dissertation très érudite et convaincante de bout en bout sur ces céphalopodes martiens.

 

Ce qui nous amène directement à « « The awful squid head » : sources anthropologiques du personnage de Cthulhu », à nouveau un article très savant (ben voui, c’est du Meurger) qui s’intéresse aux inspirations possibles du célèbre Grand Ancien. De « l’être à trompe » à la « tête de pieuvre », sont ainsi envisagées bien des pistes (liées entre elles) relevant de la science, de la pseudo-science ou de la fiction, expliquant la genèse du prêtre de R’lyeh, mais aussi, malgré tout, l’originalité foncière de ce personnage « autre ».

 

Prolongement : « De Cthulhu à Khalk’ru. Sous le signe de la pieuvre cosmique ». Il s’agit ici de s’intéresser aux inspirations diverses du personnage de Khalk’ru, qui fait quand même vach’ment penser à Cthulhu, dans Les Habitants du mirage d’Abraham Merritt. Le thème muvien/lémurien du roman est également développé (là encore, on y reviendra dans le dernier article). On découvre ainsi tout un faisceau d’influences où Lovecraft et Merritt ont pu piocher (de même qu’ils se sont empruntés mutuellement). Passionnant.

 

Suit un article tout aussi passionnant, mais également très dense et complexe (j’en suis ressorti épuisé, dites donc…), « Le Thème du Petit Peuple chez Arthur Machen et John Buchan ». On s’y plonge avec délices dans les mystères de la « Pygmy Theory », très en vogue fut un temps, et l’on y amalgame dans la joie le Petit Peuple des fées (pas très sympathiques et kawaï pour le coup) avec les nains et autres pygmées nordiques, les Pictes, les Brownies… Tout cela est fort édifiant, et permet d’éclairer la genèse de certaines nouvelles d’Arthur Machen puis, plus tard, du « No Man’s Land » de John Buchan. Mais il y a tellement d’informations dans cette communication que je suis loin d’en avoir tout retenu…

 

Et de clore ce premier recueil en fanfare, avec l’hallucinant article intitulé « Les Astronefs de Lémurie : la S.-F. du passé dans Amazing Stories de 1939 à 1948 ». Il s’agit pour l’essentiel d’une très savante dissertation sur le « shavérisme » qui avait envahi les pages du célèbre pulp vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Shaver était de toute évidence un illuminé, une sorte de schizophrène, mais le rédacteur en chef Palmer lui a accordé un crédit consternant (cynisme ? conviction ?). On débouchait ainsi sur un apologue de la « SF du passé », censée, par le biais de la « mémoire héréditaire », révéler l’histoire secrète de notre planète (bien loin de ne constituer que des fictions, donc). Ici, la SF (mais mérite-t-elle encore ce nom ?) devient tout simplement pathologique. Une fois de plus, on n’en sort pas indemne… Mais comment pouvait-on gober toutes ces bêtises ? Hallucinant, vous dis-je ; mais passionnant une fois de plus.

 

Comme l’ensemble de ce recueil, donc, qui confirme s’il en était besoin que je suis décidément un petit fan de Michel Meurger (cœur cœur cœur). Hâte de lire le second volume, du coup.

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"Lovecraft Studies", no. 13

Publié le par Nébal

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Lovecraft Studies, no. 13 (vol. 5, no. 2), West Warwick, Necronomicon Press, Fall 1986, 40 p.

 

Lovecraft Studies, suite. On attaque en force avec « Who Needs the « Cthulhu Mythos » ? » de David E. Schultz, article qui vient répondre à la proposition très polémique de Will Murray dans le numéro précédent, consistant à ne retenir comme textes du « Mythe » que trois nouvelles de Lovecraft en tout et pour tout. Si, dans les termes, l’auteur du présent article se montre autrement moins virulent (dans les termes, hein : Derleth ne se fait cette fois pas traiter « d’idiot », mais dans le fond…), sa position peut à certains égards paraître plus radicale encore (mais à mon sens plus cohérente) : en effet, à l’en croire, le prétendu « Mythe de Cthulhu » est une pure création derlethienne, et pas seulement pour ce qui est de sa désignation (ça, c’est un fait admis) ; cette notion, plus embarrassante qu’autre chose, témoigne surtout de l’incompréhension fondamentale d’August Derleth à l’encontre de l’œuvre de Lovecraft (Richard L. Tierney, d’ailleurs, parlait carrément de « Mythe de Derleth » plutôt que de « Mythe de Lovecraft » comme S.T. Joshi). Dès lors, et même si l’on peut pinailler sur la désignation la plus juste (« Yog-Sothoth Cycle of Myth » ?), c’est en définitive se tromper de débat, et y introduire une notion qui n’a tout simplement pas lieu d’être ; aussi, plutôt que d’ergoter sans fin sur le terme le plus juste et dresser des listes concurrentes de textes « canoniques », mieux vaut tout simplement abandonner ce concept « artificiel », injustement imposé après la mort de Lovecraft pour, en gros, « légitimer » les lovecrafteries approuvées par Derleth, et seulement elles, et en premier lieu les prétendues « collaborations posthumes » de sinistre mémoire. On pourrait ainsi se recentrer sur les fondamentaux, c’est-à-dire l’horreur cosmique, la confrontation des personnages lovecraftiens à des choses qui les dépassent et les font prendre conscience de leur petitesse ; car c’est en définitive de cela que nous parle avant tout Lovecraft, et non de monstres aux noms imprononçables ou de grimoires peu ou prou interchangeables. Une fois de plus, c’est à mon sens aller peut-être un peu loin, mais je reconnais à cet article une plus grande cohérence qu’à celui de Murray ; à tout prendre, il est vrai qu’il me paraît plus sensé d’abandonner purement et simplement la notion controversée plutôt que de la restreindre ainsi que le précédent auteur le faisait, de manière sans doute tout aussi arbitraire, finalement, que Derleth dans son « ouverture ». Pour ma part, je suis tout à fait d’accord pour conférer la première place des préoccupations à l’horreur cosmique ; de là à abandonner totalement la notion de « Mythe de Cthulhu » (ou quel que soit le nom qu’on lui donne ; autant s’en tenir à celui-ci, il a pour lui l’usage…), il y a un pas que je ne saurais franchir ; même s’il s’agit d’un artifice et d’une création posthume due à un type qui n’y comprenait de toute évidence pas grand-chose (euphémisme), et même si l’absence de cohérence du prétendu Mythe chez Lovecraft (et lui seul) ne saurait guère faire de doute, le simple fait qu’on y ait « cru » (l’expression n’est bien entendu pas à prendre au pied de la lettre…), et pendant des années, suffit à lui conférer une certaine existence, quand bien même c’est pour de mauvaises raisons ; et s’il est juste de distinguer le corpus lovecraftien « pur » des contributions contemporaines ou posthumes, il ne m’en semble pas moins intéressant d’envisager la « création collective » d’une manière globale : simplement, c’est un autre angle d’analyse…

 

Will Murray, justement, prend la suite, avec « In Search of Arkham Country », étude extrêmement précise de la Nouvelle-Angleterre selon Lovecraft, et plus précisément des villes d'Arkham, Kingsport, Dunwich et Innsmouth. L’auteur cherche à quelles villes les créations lovecraftiennes correspondaient « réellement »… c’est-à-dire au-delà des déclarations de Lovecraft lui-même dans sa correspondance, qui assimilait notamment Arkham à Salem, etc. En fait, non, surtout pour ce qui est d’Arkham… dont l’auteur montre qu’elle s’est en fait « déplacée » dans le temps, de l’arrière-pays à la côte, en coexistant avec Salem. Témoignage, en fait, de l’évolution de l’œuvre de Lovecraft, de ses sources d’inspiration et de ses intentions. C’est très pointu, plutôt convaincant, parfois même assez édifiant (les « changements de lettres », par exemple)… mais très franchement, je ne peux m’empêcher de trouver ce genre d’exégèse assez vaine, et même en l’espèce un brin risible : honnêtement, s’en prendre bec et ongles au « Mythe » pour ensuite s’acharner à trouver – contre l’auteur ! – les sources « réelles » d’une contrée de toute façon fantasmée ? Même en tant que fan hardcore, je trouve que c’est pousser le bouchon un peu loin…

 

Suit… euh… un truc. Un texte de H.P. Lovecraft, intitulé « Correspondence between R.H. Barlow and Wilson Shepherd of Oakman, Alabama – Sept.-Nov. 1932 ». Il s’agit d’un résumé (très détaillé…) d’un échange de pulps qui tourne mal pour l’ami de Lovecraft (et futur exécuteur littéraire) qu’était Barlow, lequel s’est retrouvé confronté, au choix, à un escroc ou à un dingue (je penche clairement pour la première possibilité). C’est à peu près aussi intéressant qu’une liste de courses de Lovecraft, et même probablement moins : l’exégèse, c’est bien beau, mais à ce point de complétisme, ça en devient tout de même un peu ridicule… Disons qu’on hallucine un peu devant la puérilité dont témoigne cette affaire, de la part de tous ses protagonistes, Lovecraft inclus, mais c’est franchement tout ce qu’on peut en tirer.

 

On change complètement de registre (ouf) avec un article d’analyse littéraire de Donald R. Burleson, « Lovecraft and Chiasmus, Chiasmus and Lovecraft », qui se penche donc sur l’usage abondant que faisait le Maître de Providence de ces deux figures de style complémentaires que sont le parallélisme et le chiasme, tant en poésie qu’en prose, nombreux exemples à la clef. Un héritage, sans doute, des auteurs anglais du XVIIIe siècle que Lovecraft révérait tant. C’est bien fait, mais je ne peux pas prétendre que cela m’ait intéressé plus que cela… et surtout, il me semble que cela met quelque peu fâcheusement l’accent sur ce que le style de Lovecraft peut avoir, disons, « d’emprunté »…

 

Deux reviews, enfin. Steven J. Mariconda tresse des lauriers à David E. Schultz pour son édition critique du Commonplace Book de H.P. Lovecraft, visiblement un travail de titan riche d’enseignements (mais qui aboutit à cette conséquence rigolote que le commentaire est beaucoup plus long et complexe que ce qui est commenté…). Robert M. Price salue quant à lui l’édition des Uncollected Letters de H.P. Lovecraft par S.T. Joshi (la base des Lettres d’Innsmouth). Deux publications de Necronomicon Press…

 

J’en arrive presque au bout des Lovecraft Studies que l’on m’a si aimablement procurés. Plus qu’un – très distant de celui-ci – et c’est fini, pour un bon moment du moins… Mais je vous rassure (ou pas), je n’en ai pas pour autant terminé avec les fanzines lovecraftiens américains, puisque je vais enchaîner sur une montagne de Crypt of Cthulhu

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