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"En quête de l'inconnu", de Robert W. Chambers

Publié le par Nébal

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CHAMBERS (Robert W.), En quête de l’inconnu, [In Search of the Unknown], traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Daniel Brèque, édition critique établie par Michel Meurger, Cadillon, Le Visage Vert, [1904] 2012, 304 p.

 

Robert W. Chambers, bien loin de n’avoir été que l’auteur du célèbre Roi en Jaune, fut un écrivain prolifique qui s’est illustré dans bien des domaines. En quête de l’inconnu en témoigne, dans la mesure où ce « roman » (on parlerait sans doute plutôt de « fix-up » aujourd’hui, puisqu’il est pour l’essentiel composé de nouvelles publiées entre 1896 et 1904) oscille entre une sorte de proto-science-fiction « légère » et une vigoureuse satire, visant tant les naturalistes de l’époque que le roman d’aventures d’alors.

 

C’est que nous sommes ici en pleine crypto-zoologie. Le narrateur, Gilland, secrétaire de l’excentrique professeur Farrago, y voyage aux quatre coins des États-Unis en quête de créatures bizarres, censément disparues, qu’il a pour charge de ramener afin de les exposer au Bronx Park. C’est ainsi que, dans les premiers chapitres, il partira à la recherche du célèbre grand pingouin… et tombera par la même occasion sur un étrange humanoïde amphibie (une sorte de Profond avant l’heure). Il y aura aussi du mammouth, des volatiles tous plus incongrus les uns que les autres, des êtres invisibles (ben tiens), et, à travers les récits d’un jeune homme croisé dans un train, un dinosaure rescapé (puis une étrange aventure « parapsychique » à base de chats, qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, mais ce n’est pas grave).

 

Gilland, le naturaliste qui se veut cartésien, mais ne l’est finalement pas tant que ça, part ainsi en chasse. Mais le gibier le plus difficile à saisir, pour lui, n’a pourtant rien à voir avec ces bestioles antédiluviennes : c’est que notre anti-héros est inévitablement pris de l’envie de courir le guilledou, croisant sur son chemin quelques fascinants spécimens en jupons, qui lui échappent invariablement, se mariant sur un coup de tête avec quelqu’un d’autre… Ce qui rajoute à En quête de l’inconnu une touche de romance que je redoutais d’abord mais qui, du fait de son traitement léger et drôle, constitue finalement un atout supplémentaire.

 

Car l’essentiel est bien là : En quête de l’inconnu est avant tout un roman drôle. Très drôle, même. La satire – éclairée avec son érudition coutumière par Michel Meurger dans une longue et passionnante postface – touche juste, même si l’on n’en saisit sans doute pas à première vue tous les tenants et aboutissants. Mais le sens du burlesque déployé par l’auteur, qui se révèle en outre un fin dialoguiste – saluons au passage la traduction comme il se doit parfaite de Jean-Daniel Brèque –, emporte l’adhésion du lecteur, qui enchaîne les pages le sourire aux lèvres, et retient parfois difficilement un éclat de rire.

 

On s’amuse en effet beaucoup à suivre les pérégrinations absurdes de Gilland, et tout autant ses aventures amoureuses sans lendemain. Car le roman est riche en scènes d’une grande drôlerie – pensez donc à cet aréopage de distingués et nobles naturalistes couvant puis chevauchant des oiseaux géants ! – et la romance, bien loin de faire l’effet d’un ajout intempestif, participe de cette atmosphère délicieusement légère et amusante (pour ceux qui, à l’instar de votre serviteur, redoutaient les pénibles aventures sentimentales « décadentes » de la deuxième partie du Roi en Jaune, sachez donc que ceci n’a absolument rien à voir, et passe autrement mieux).

 

On ne fera pas d’En quête de l’inconnu un chef-d’œuvre pour autant, et il n’a certes pas l’originalité stupéfiante du Roi en Jaune, mais peu importe : ce n’était sans doute pas le but, et l’on peut bien remercier le Visage Vert pour cette très appréciable réédition d’un « roman » qui vaut assurément plus que sa réputation – mal placée – de superficialité. C’est en effet là un divertissement plus qu’honorable, une lecture tout à fait distrayante et savoureuse, un livre que l’on dévore avec la passion du narrateur pour les bestioles improbables et les femelles tout aussi saugrenues. Une réussite, donc, dans son genre difficile à définir ; et le caractère un brin suranné de la chose participe de son charme incontestable.

 

Certes, si j’ai lu cet ouvrage dans le cadre de mon cycle de lecture consacré aux précurseurs et influences de Lovecraft, je ne peux pas vraiment dire que le Maître de Providence a pioché dedans, c’est très peu crédible ; mais peu importe : c’est drôle, léger, et tout à fait délicieux.

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"Dés de Sang - Final Cut"

Publié le par Nébal

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Dés de Sang : Final Cut

 

Dés de Sang, acheté sur les bons conseils d’un aimable citoyen et auréolé d’une très bonne réputation, est un jeu de rôle court et simple qui se joue en one-shot, et s’inspire des grands survivals américains des années 1970 (cadre du jeu), tels que La Colline a des yeux de Wes Craven, Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, voire Délivrance de John Boorman. Mais en pire, avec vraiment des litres d’hémoglobine et éventuellement un soupçon (voire plus) de pornographie pure et simple. Ce livret « Final Cut », qui contient les (brèves) règles et cinq scénarios, affiche ainsi une coloration « pulp » nauséeuse, débordant d’illustrations d’un mauvais goût réjouissant. Le gore est à l’appel, et tous les clichés du genre avec, et c’est cool !

 

Le système de jeu, très simple, repose pour l’essentiel sur le « Dé-Sang ». C’est un D100 (…) visible de tous, dont le score diminue à chaque action ou presque des joueurs (et en cas d’échec). Or les actions des PJ ne réussissent que si le jet est inférieur ou égal au Dé-Sang (avec éventuellement – probablement ? – des modificateurs infligés par le MJ sadique, ou résultant des « talents » des personnages… qui doivent cependant pour ce faire dépenser des points). Autant dire qu’au début, c’est plutôt peinard, mais que ça devient rapidement de plus en plus chaud… ce qui colle parfaitement à l’ambiance du jeu, ça tombe bien.

 

Car on ne fait pas dans la dentelle, ici : les PJ ont de fortes chances de mourir au cours du scénario (d’autant que la baston est assez violente, ne distinguant que « dégâts mineurs » et « dégâts mortels »…), et il n’est franchement pas garanti qu’il y ait ne serait-ce qu’un survivant à l’arrivée. Pas grave, c’est pas fait pour être joué en campagne, de toute évidence.

 

Les personnages sont définis très simplement par leur concept et quatre talents (dont un imposé par le MJ sadique). Les joueurs disposent au début de 13 points de talents ; en les dépensant, ils peuvent obtenir des modificateurs en leur faveur lors des jets ; mais là, aussi ça risque de dégringoler vite… et la manière de regagner ces points n’arrange sans doute pas les choses, puisqu’elle repose sur deux concepts rigolos, le « pétage de plombs » et le « what the fuck ?!? ». Le pétage de plombs résulte de l’utilisation cumulée de « points de sueur » à l’initiative : quand le nombre total des points de sueur dépensés équivaut au Dé-Sang ou le dépasse, le joueur pète les plombs (donc) ; il se met à agir bizarrement, mais revient à 13 points de talent ; par contre, ses échecs font désormais baisser le Dé-Sang de 2% au lieu de  1%, et il est susceptible de se prendre un WTF dans la gueule de la part d’un de ses petits camarades, lequel regagne alors quelques points de talent, tandis que sa victime fait vraiment n’importe quoi (mais n’est plus soumise à la règle des 2%).

 

Tout cela m’a l’air fort rigolo, et devrait logiquement déboucher sur des parties aussi stressantes que fun. Suivent d’ailleurs cinq scénarios, dans l’ensemble très sympathiques (seul le dernier, « Iron Boars Like Rodeo », ne m’a pas vraiment parlé, je le trouve trop bancal et ne vais pas m’étendre à son sujet). Je ne vais pas rentrer dans les détails, au cas où, mais me contenter de petites remarques çà et là. On commence donc avec « Meat U There », court scénario (le Dé-Sang commence d’ailleurs à 80 au lieu de 100 normalement) assez marrant, même s’il nécessite une petite astuce de maîtrise (pas bien compliquée cela dit) ; un petit défaut néanmoins : un des PJ est logiquement amené à mourir très tôt, ce qui peut être très frustrant, mais a en même temps une certaine importance pour l’ambiance… « Moonlight on Vermont » et « Wet Pussy Screaming for Hot Blood ! » sont relativement basiques mais très efficaces ; quant à « Road to Nowhere », c’est assurément le plus rigolo dans son concept, même si je trouve qu’en l’état il manque de véritable climax, et peut donc nécessiter un travail supplémentaire de la part du MJ (sadique).

 

 Tout cela est donc bel et bon, et dégage un doux fumet de vomi et de tripailles. De quoi, assurément, se garantir une ou deux parties aussi amusantes que stressantes. Je doute cependant que l’intérêt du jeu « survive » (aha) au-delà… Mais c’est assurément bien fait, enthousiasmant, et peut constituer au pire un dépannage des plus savoureux. J’y jouerais volontiers, avec ou sans tronçonneuse.

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"Monostatos"

Publié le par Nébal

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Monostatos

 

Prêt d’un aimable citoyen désireux de me convertir aux vertus du narrativisme, Monostatos est un court jeu de rôle indépendant de Fabien Hildwein, « héroïque et mystique ». Dans un cadre empruntant beaucoup à l’antiquité proche-orientale, les joueurs sont amenés à incarner des héros (ou peut-être devrais-je dire des « surhommes » ?) rebelles et libérateurs, se dressant face au joug du Culte de Monostatos, l’hégémonique dieu de l’humanité qui a balayé les anciennes religions et instauré une société apathique et étouffante dans son confort et sa sécurité, bridant la beauté, la création et l’expression personnelle.

 

Tout cela sent fort son Nietzsche, surtout version Ainsi parlait Zarathoustra, affiché comme une inspiration essentielle aux côtés d’autres penseurs (tels que Marcuse ou Foucault) ou d’écrivains tels qu’Alain Damasio (ça se sent…) ; il y a dans Monostatos un substrat philosophique foncièrement élitiste dans sa rébellion, et, disons-le de suite, c’est surtout cela, bien plus que l’aspect narrativiste (mais « fond » et « forme » sont indéniablement liés), qui m’a posé problème… Je ne vais pas vous mentir : Monostatos, ce n’est vraiment pas ma came, et ce notamment parce que j’y ai retrouvé (mais sans doute mes préjugés s’expriment-ils ici, je l’admets volontiers) cette posture prétendument anarchiste/libertaire mais au final passablement faf qui m’avait tant gêné dans La Zone du dehors, et dans une moindre mesure dans La Horde du contrevent

 

Je ne nierai cependant pas qu’il y a dans Monostatos, de même que dans ce dernier roman, de fort belles idées. L’univers, aussi sommairement décrit soit-il (mais c’est le jeu…), ne manque pas de charme, et certains de ses aspects sont tout à fait fascinants (« fascinants », hein, pas « fascisants » ; pas encore…). Le cadre proposé par l’auteur est ambitieux (voire prétentieux ?), parfois très bien vu, et en tout cas propice à une réflexion d’ordre métaphysique (bouh !) et éthique tout à fait enrichissante. Si Monostatos adopte d’emblée une posture résolument « intello » (bouh !), c’est avec une certaine astuce qu’il ne me viendrait pas à l’esprit de contester.

 

Mais voilà : il y a toujours quelque chose de sous-jacent, d’ordre idéologique, qui me hérisse quelque peu le poil. Le postulat de Monostatos ne me dérange pas en tant que tel, mais il n’en va pas de même pour ses implications, plus ou moins conscientes peut-être. Déjà, le fait d’incarner ouvertement des « surhommes » ne me parle guère (et c’est un lecteur de comics qui vous dit ça !) ; je tends personnellement à préférer le quidam (type L’Appel de Cthulhu ?), le plus souvent, ou alors le héros, certes, mais malgré tout humain (trop humain ?), bien plus en tout cas que ceux que propose Monostatos.

 

Les personnages sont définis, non par des traits (amateurs de chiffres, de tables, de calculs et de jets de dés, passez votre chemin ; et on n’est de toute évidence pas là pour convertir des gobos en XP), mais par des phrases renvoyant à leurs Souffrance, Vertu et Singularités (trois de ces dernières, dont une est clairement d’ordre surhumain). Le livre en fournit quelques exemples, parfois intéressants (car ambigus, le plus souvent), parfois, euh, « déconcertants » (il y a un poète dément dans le plus pur style damasial dont la « fiche » m’a presque autant fait hurler de rire que désespérer).

 

Le système de jeu est lui aussi passablement, euh, « déconcertant », mais pas inintéressant (encore une fois, ce n’est pas essentiellement l’aspect narrativiste qui m’a posé problème ici). Le meneur de jeu commence par décrire un « lieu », dans tous ses détails (il n’y a pas de « secrets » dans Monostatos, chose qui m’a également un peu gêné, mais c’est sans doute que j’ai trop l’habitude des jeux de rôles paranos). Après quoi l’action consiste en une succession de « tableaux », reposant essentiellement sur la description ; un tableau du meneur est toujours suivi par au moins deux tableaux de joueurs. La liberté apparente de ce système n’est cependant pas totale, notamment en ce que chacun dispose d’un « droit de veto » sur les interventions trop intempestives des autres ; mais le but est bien de construire ensemble – le meneur et les joueurs – une histoire. Cette collaboration, pourtant, n’est là encore pas totale, et c’est un autre aspect qui m’a un peu gêné (voire plus qu’un peu) : en effet, la trame repose toujours sur un affrontement, les joueurs incarnant donc des héros nécessairement opposés à Monostatos et à son Culte. Pas vraiment de nuance ici… et c’est bien dommage, trouvé-je.

 

Les Affrontements, justement : parlons-en. Quand la situation devient plus ou moins « bloquée », et que l’action opposant les joueurs au MJ (mais pas les joueurs entre eux, qui doivent toujours avoir recours au dialogue) ne peut plus se contenter d’une simple description, on dit qu’il y a Affrontement, donc. Et c’est là que l’on a recours aux dés ; cependant, pour dépasser le « pile ou face » initial, les joueurs comme le MJ peuvent (et doivent) ici dépenser des « points », et c’est également pour eux l’occasion d’en gagner (une dépense permettant de rejeter un dé). Pourquoi pas ?

 

Je dois néanmoins avouer ma perplexité devant ce système finalement très simple ; car j’ai le sentiment que le fond et la forme sont ici intimement liés. Pour dire les choses comme je les ressens, j’ai l’impression que la liberté offerte par le système n’est qu’apparente, de même que celle que les héros « libérateurs » prodiguent, en encourageant chez la populace la réflexion censément personnelle, mais finalement biaisée… D’un côté, l’importance de la description et la collaboration entre les participants peuvent paraître enthousiasmantes, mais je trouve qu’elles se concilient mal, de l’autre, avec le carcan imposé par l’ordre de succession des tableaux, les droits de veto et les Affrontements (pour l’essentiel) ; et, en fait – mais là il est indéniable que ma méconnaissance, non, mon ignorance des jeux narrativistes entre en ligne de compte –, je me demande s’il s’agit toujours de jeu de rôle : à quoi servent les règles, si c’est la liberté qui doit dominer ? Ne sont-elles pas finalement frustrantes ? Et où est l’aspect « jeu », au-delà de l’incarnation du personnage ? L’innovation doit être saluée, mais en est-ce vraiment, ou bien s’agit-il d’une régression paradoxale au stade « les gendarmes et les voleurs », « Touché ! », « Évité ! » ? Je ne sais pas si je me fais bien comprendre (probablement pas…), d’autant que tout cela reste à mes yeux très confus ; mais je ne peux m’empêcher de trouver que les règles, ici, abâtardissent l’univers et les principes généraux du jeu, comme un mal finalement « nécessaire » ; ce qui peut certes participer également de la réflexion au fond proposée par Monostatos

 

À vue de nez, donc, je ne suis pas convaincu. Je ne demande pourtant qu’à l’être… Mes préjugés se sont indéniablement exprimés dans ce compte rendu peut-être stupide, préjugés tant philosophiques que rôlistiques, et la simple lecture de Monostatos, en en restant au stade de l’abstraction, ne me permet sans doute pas de me faire une idée très juste des possibilités offertes par ce jeu. Peut-être faudrait-il effectivement tenter la chose… mais en attendant, je suis donc perplexe à l’égard du système (ce qui est sans doute de peu d’importance), et plutôt rebuté par le substrat philosophique du jeu. Pas ma came a priori, donc…

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"Le Tireur", de Glendon Swarthout

Publié le par Nébal

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SWARTHOUT (Glendon), Le Tireur, [The Shootist], traduit de l’américain par Laura Derajinski, Paris, Gallmeister, coll. Totem, [1975] 2012, 198 p.

 

« Western Summer », suite. Et une précision s’impose d’emblée : je vous jure que je ne suis pas payé par les éditions Gallmeister pour dire du bien de leurs livres. Promis. Mais voilà : le fait est que les trois westerns que j’ai lus dans la collection « Totem » (Contrée indienne de Dorothy M. Johnson, Lonesome Dove de Larry McMurtry et, aujourd’hui, Le Tireur de Glendon Swarthout) sont chacun à sa manière des merveilles. Pourtant, on peut dire que les deux précédents avaient placé la barre sacrément haute… Mais, sans atteindre peut-être à de tels sommets, le court roman de Glendon Swarthout, adapté en son temps au cinéma sous le titre Le Dernier des géants avec John Wayne (qu’on imagine effectivement très bien dans le rôle…), n’en laisse pas moins une très forte impression, et obtient sans souci son brevet d’excellence. Sont forts, chez Gallmeister, tout de même…

 

Le Tireur, c’est J.B. Books, et c’est le dernier de son espèce. Nous sommes en 1901 à El Paso, Texas, et tous les grands noms de la légende de l’Ouest ont passé l’arme à gauche, sauf lui. Le problème, c’est que cet anachronisme n’en a plus pour longtemps : Books, la cinquantaine, se rend en effet dans la ville pour obtenir un diagnostic du docteur Hostetler, qui, espère-t-il, infirmera celui d’un confrère. Mais non : le toubib confirme bien que Books a un cancer de la prostate, et qu’il n’en a plus que pour quelques semaines à vivre ; impossible d’opérer, et le tireur sera bientôt condamné à rester alité, avant de mourir dans d’atroces souffrances. Quelle ironie pour cet homme qui a tué une trentaine de ses semblables, et que tout le monde, lui le premier, voyait finir avec une livre de plomb dans le corps ou une cravate de chanvre autour du cou !

 

Alors J.B. Books s’installe – sous l’identité de Wild Bill Hickok… – dans une très respectable pension de famille. Quand la veuve qui s’en occupe (très beau personnage également) apprend qui il est au juste, elle tente bien de le chasser, avec la bénédiction du shérif, mais l’assurance qu’il n’en a plus pour longtemps leur force la main, et Books reste pour ses derniers jours dans cette petite chambre qu’il en vient à connaître par cœur, à lire et relire sans cesse le même journal – celui qui annonce le décès de la reine Victoria : une page se tourne, décidément… – en ayant recours, de plus en plus souvent mais de moins en moins efficacement, au laudanum pour supporter son agonie.

 

Mais Books est bien une légende – et la dernière de son espèce, donc. Sa venue en ville fait bientôt les gros titres, et, malgré qu’il en ait, son état de santé désastreux est vite de notoriété publique. Ce qui amène à son chevet toute une cohorte de vautours tous plus répugnants les uns que les autres (la palme étant remportée par une ancienne maîtresse, dans une scène d’une cruauté insoutenable), tablant déjà sur son décès et sur le bénéfice qu’ils pourront en tirer. Et ce qui excite aussi les envies de quelques gâchettes du coin, authentiques ou prétendues telles, qui mettraient bien le pistolero agonisant à leur tableau de chasse, histoire d’entrer à leur tour dans la légende…

 

Mais, bien sûr, J.B. Books ne l’entend pas de cette oreille ; et il entend bien finir sa vie telle qu’il l’a vécue, sur un dernier coup d’éclat qui achèvera de le rendre immortel…

 

« Il pensa : Oh, je me suis nourri de miellée. Et le vin, et le whisky, et le champagne, et la viande tendre et blanche des femmes, et les beaux vêtements, et le respect des hommes forts, et la peur des faibles, et le retournement des cartes, et les bons chevaux, et le crissement des billets, et la fraîcheur des matins, et tout l'espace dont aurait pu rêver Dieu ou un homme. J'ai eu de bons moments. Mais les meilleurs instants étaient toujours après, juste après, le revolver chaud dans la main, la morsure de la fumée dans mes narines, le goût de la mort sur ma langue, le cœur haut dans la gorge, le danger derrière moi, et puis la sueur soudaine et le néant, et la sensation douce et fraîche d'être né. »

 

Et, à l’instar de ce bref passage qui n’a pas manqué de m’interpeller, Le Tireur est bien un roman magnifique. Doté de superbes personnages (j’ai évoqué notamment Books et la veuve, mais Gillom, l’odieux fils de cette dernière, qui cherche en le tireur un père de substitution, est aussi une très belle réussite, et il y en a d’autres), écrit d’une plume vigoureuse riche de dialogue incisifs, le livre de Glendon Swarthout laisse une très forte impression. C’est très cruel, d’une manière clinique – l’apothéose finale, chirurgicale, est exemplaire –, et en même temps remarquablement émouvant… et parfois drôle, aussi, même si l’on rit jaune… Et c’est très malin, construit avec une grande adresse ; le moindre mot, la moindre anecdote font sens, et élaborent ensemble un tableau déchirant, qui prend aux tripes et ne saurait laisser le lecteur indifférent.

 

Bref : encore une belle victoire de Gallmeister, qui, en trois livres, m’a asséné trois baffes. Je sens que je n’ai pas fini d’explorer ce catalogue…

CITRIQ

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"Deadlands Reloaded"

Publié le par Nébal

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Deadlands Reloaded

 

Où l’on en arrive enfin à la « raison » ayant plus ou moins « justifié » au départ mon « Western Summer » (qui n’a plus besoin d’aucune justification maintenant que je suis lancé et que je me régale avec des pépites du genre) : mon acquisition du mythique jeu de rôle de western fantastique Deadlands, dans sa nouvelle version Reloaded utilisant le système de jeu générique Savage Worlds. Une bonne occasion de me mettre enfin à cet univers qui me séduisait depuis pas mal de temps déjà (j’avais entendu dire à maintes reprises le plus grand bien de la précédente édition, et cette très belle couverture de Brom avait pour le moins attiré mon attention…).

 

Ce livre de base – qui n’est pour l’instant accompagné d’aucune gamme… –, d’environ 350 pages en couleurs et abondamment illustrées, contient tout le nécessaire pour se lancer rapidement dans l’Ouest étrange. Sa construction a une apparence un peu biscornue au premier abord, mais finalement logique ; il est en effet découpé en trois parties : le « Coin du Gang » contient les informations et règles destinées à tous, le maître de jeu (Marshal) comme les joueurs (le Gang, donc), et on y trouve une présentation sommaire (très sommaire) (trop sommaire ?) de l’univers, les règles de création de personnage (assez simples, je ne vais pas rentrer dans les détails ; seulement noter que le système alternatif semi-aléatoire reposant sur les cartes de poker me paraît a priori plus intéressant que le système de base, même s’il présente le risque – en est-ce vraiment un ? – de créer des personnages moins équilibrés), le matériel et équipement, les règles générales et celles du combat (très simples, j’y reviens bientôt), et quelques règles relatives à des situations particulières ; « No Man’s Land » contient des règles et informations réservées à certains joueurs uniquement (en l’occurrence, les arcanistes et les déterrés) ; enfin, le « Guide du Marshal » est réservé au seul maître de jeu (l’univers y est bien plus développé, on trouve quelques règles supplémentaires, et enfin un énorme bestiaire de pas loin de 100 pages – bon, on ne s’en plaindra pas, il n’y en a jamais trop, mais ça présente quand même le risque, utilisé sans précautions, de donner une orientation un peu bourrine au jeu…).

 

Présentons brièvement l’univers (seulement ce qui figure dans le « Coin du Gang », histoire de ne pas spoiler…). Nous sommes dans l’Ouest en 1879. La guerre de Sécession a duré une vingtaine d’années, et vient tout juste de se solder (temporairement…) par un cessez-le feu. Problème : du fait de cette guerre prolongée, ni l’Union, ni la Confédération ne sont parvenues à assurer leur mainmise sur l’Ouest, qui est donc largement disputé entre les deux entités politiques ; les efforts de leurs services secrets (et plus puisque affinités…), quand bien même ils sont perceptibles, n’ont pu changer cet état de fait (au Nord, il s’agit de l’Agence ; au Sud, des Texas Rangers). Si nombre de territoires sont dans un flou politique complet, d’autres sont tombés sous le joug de nouvelles entités : ainsi, les Indiens ont constitué deux pouvoirs autonomes (les Nations sioux d’une part, la Confédération du Coyote d’autre part) ; on trouve aussi la République de Deseret, État mormon ; et, enfin, dans ce qui reste de la Californie (dont une partie a sombré du fait d’un tremblement de terre), il faut mentionner un « commonwealth », dont le principal pouvoir est la théocratie du révérend Grimme, basée à Lost Angels. Ceci sans compter les autres pouvoirs en jeu, et notamment les compagnies du rail, qui se livrent à une véritable guerre entre elles… Par ailleurs, l’Ouest est dit « étrange » : depuis quinze, vingt ans, la « magie » (au sens large) et le surnaturel ont refait leur apparition sur Terre, et tout particulièrement dans l’Ouest. La découverte d’une matière appelée « roche fantôme » a permis un développement technologique supérieur à celui que nous avons connu, mais passablement farfelu ; dans les faits, même si ceux que l’on appelle « savants fous » (pas en face d’eux, généralement…) n’accepteront jamais ce point de vue, la « science étrange » relève bien en partie de la magie (et donne à l’univers une coloration vaguement steampunk)… Les « savants fous » sont donc considérés comme étant des « arcanistes » ; il en existe quatre autres sortes, qui disposent de pouvoirs magiques : les « chamans » (Indiens qui communiquent avec les esprits, qu’ils soient ou non liés par le « Serment des anciennes traditions », lequel prohibe l’utilisation de la technologie des Blancs), les « élus » (qui font appel à la foi, et servent en principe les « forces du bien »), les « hucksters » (magiciens « au sens strict », qui fondent leurs pouvoirs sur le jeu et le pari avec les esprits, et prennent souvent, du coup, l’apparence de joueurs), et enfin les « maîtres de Shaolin » (immigrés chinois qui se fondent sur la discipline mentale du Chi). Et l’on trouve dans l’Ouest étrange bon nombre de créatures chelou relevant plus ou moins du folklore ; parmi elles, on accordera une place particulière à ceux que l’on appelle « déterrés », c’est-à-dire les morts-vivants…

 

Passons aux règles. Pour une fois, j’ai pu les tester avant de rédiger ce compte rendu ; le bilan est à mes yeux assez positif, dans la mesure où le système est rapide, fluide et souple ; il y a cependant une contrepartie : la part relativement importante du hasard, qu’il faut sans doute trouver un moyen de pondérer… Présentons les grandes lignes. Chaque Trait (Attribut ou Compétence) est représenté par un dé, allant de d4 à d12 (avec éventuellement des modificateurs ; la moyenne, c’est d6). Pour réussir un jet, c’est tout simple : il suffit de faire 4 ou plus, 4 étant la difficulté de base ; si l’action est facile, il y aura un modificateur positif ; si l’action est difficile, il y aura un modificateur négatif. En cas de jet opposé, c’est celui qui fait le plus gros score qui gagne. Si on obtient un « as » (c’est-à-dire, non pas un 1, attention, mais le plus haut score possible au dé : 6 pour un d6, 8 pour un d8, etc.), alors on rejette ce dé et on additionne (et si l’on refait un as, on recommence, etc.). En outre, il est parfois utile de savoir à quel point une action est réussie : dans ce cas, pour chaque tranche de 4 points au-dessus de la difficulté, on a ce qu’on appelle une « relance » (qui ne consiste donc pas à relancer le dé…) ; plus on a de relances, logiquement, plus l’action est réussie. En plus de la distinction traditionnelle entre PJ et PNJ, on distingue deux catégories de personnages : les « jokers » (tous les PJ et certains PNJ importants) et les « extras » (les autres PNJ). Chaque joker, lorsqu’il fait une action, jette, en plus de son dé de Trait, un d6 (une seule fois par action) : c’est le « dé joker ». Si le dé joker fait un score plus élevé que le dé de Trait, c’est le score le plus élevé qui est retenu. La règle des as et les modificateurs s’appliquent également au dé joker. Par contre, attention : si le dé de Trait et le dé joker font tous les deux 1, c’est un échec critique… Chaque joker (ceux du MJ aussi, donc…) a également des « jetons », qu’on ne peut pas capitaliser (ils disparaissent à la fin de la session de jeu, on les récupère à la suivante ; je compte pour ma part utiliser ici un système simplifié, où tous les jetons se valent, plutôt que d’en distinguer trois sortes). Un jeton peut être utilisé pour rejeter un dé lors d’un jet de Trait (pas un jet de dégâts, donc, par exemple) ; on peut utiliser plusieurs jetons sur un jet ; un jeton ne peut jamais aggraver le résultat (ex. : je fais 2 avec mon dé de trait ; si, quand j’utilise un jeton, je fais 1 sur mon nouveau jet, je conserve le score de 2 précédemment obtenu). Un jeton peut aussi être utilisé quand on reçoit des dégâts pour « encaisser » (voir plus bas).

 

Passons maintenant aux principes généraux du combat : l’initiative est presque entièrement aléatoire, dans la mesure où chaque joker tire une carte, chaque groupe d’extras en tire une seule globale, et on joue de la plus élevée (as) à la plus basse (2). En cas d’égalité, on suit l’ordre pique, cœur, carreau, trèfle. Si un joker tire… un joker, il choisit le moment où il agit, et il bénéficie de + 2 à tous ses jets de Trait et de dégât. En dehors des actions libres, chaque action supplémentaire entreprise lors d’un round confère un malus de – 2 à tous les jets. Pour la mêlée, on utilise la Compétence Combat (la difficulté est égale au score de Parade de l’adversaire). En cas de succès, on inflige les dégâts indiqués par l’attaque. Chaque relance ajoute un d6 aux dégâts. Pour les armes à distance, on utilise la Compétence Tir (ou parfois Lancer), et la difficulté dépend de la portée de l’arme. Il peut y avoir des modificateurs en fonction de la couverture, si le personnage s’est jeté au sol, etc. Les dégâts sont indiqués par l’arme, ils sont fixes, mais on fait un d6 de dégâts supplémentaires si on fait une relance (une seule fois). En cas de combat monté, on utilise la Compétence la plus faible entre Équitation et Combat ou Tir. Quand on jette les dés pour les dégâts, on additionne les résultats ; la règle des as s’applique. On compare les dégâts à la Résistance de l’adversaire. Si le jet de dégâts est inférieur, l’adversaire est touché, mais sans conséquence ; s’il est supérieur ou égal, l’adversaire est secoué (il doit tenter de reprendre ses esprits au début de chaque round en faisant un jet d’Âme ; s’il le rate, il reste secoué, et ne peut pas agir ; s’il le réussit, il ne l’est plus, mais ne peut pas agir pour autant ; s’il le réussit avec une relance, il peut agir). Chaque relance au jet de dégâts inflige une blessure ; un personnage secoué qui l’est à nouveau subit également une blessure ; un extra blessé est automatiquement hors de combat (qu’il soit mort ou pas ; c’est un test de Vigueur qui en décide) ; un joker peut prendre jusqu’à trois blessures avant de se retrouver en état critique (hors de combat, pas forcément mort ; on fait un jet de Vigueur pour connaître son état), et chaque blessure donne un malus ; un personnage qui subit une blessure alors qu’il n’était pas secoué devient secoué. On peut utiliser un jeton lorsqu’on reçoit une ou plusieurs blessures (mais une seule fois par attaque) pour tenter « d’encaisser » : on fait un jet de Vigueur, et le succès ainsi que chaque relance enlève une blessure (s’il reste des blessures, le personnage est toujours secoué) ; on peut aussi utiliser un jeton pour ne plus être secoué. Dit comme ça, ça peut paraître dense, mais en fait c’est franchement très simple. Ajoutons qu’il se trouve plein de petites règles (optionnelles…) amusantes faisant usage des cartes de poker, qui sont autrement surtout utiles pour la magie des hucksters.

 

Malgré quelques défauts presque inhérents à la production rôlistique (embauchez des correcteurs, nom d’une pipe en bois ! Je suis volontaire !), la lecture de Deadlands Reloaded est assez agréable, l’univers finalement très riche, les règles plutôt convaincantes ; la partie test à laquelle je me suis livré sur des cobayes (cow-boys ?) il y a peu m’a plutôt séduit, et j’ai hâte de remettre ça. J’espère maintenant que Black Book va enfin se décider à sortir les suppléments annoncés (et une gamme pour Eclipse Phase aussi, tant qu’à faire…), mais ils n’ont hélas pas l’air franchement pressés, la priorité à l’heure actuelle étant au crowdfunding pour Pavillon Noir et Polaris, quand les locomotives Pathfinder et Shadowrun restent toujours privilégiées… Mais bon : ça serait dommage de s’arrêter là, non ? Je veux davantage de « weird weird West », non mais !

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"Les Pirates fantômes", de W. Hodgson

Publié le par Nébal

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HODGSON (W.), Les Pirates fantômes, [The Ghost Pirates], traduction [de l’anglais] de Jacques Parsons, Paris, Opta – Le Livre de poche, [1909, 1946, 1971] 1978, 217 p.

 

Dans mon cycle de lecture consacré aux précurseurs et influences de Lovecraft, je vais être amené à lire pas mal de William Hope Hodgson, encore que ne sachant pas trop au juste (pour le moment, du moins) quelle est la véritable filiation entre les deux auteurs (même si je sais que HPL admirait certains titres de WHH). Mais, qu’il y ait eu véritablement influence de Hodgson sur Lovecraft ou pas, la tentation est bel et bien grande d’établir une parenté, chose que j’avais déjà pu constater en lisant L’Horreur tropicale. Et, malgré un titre qui s’est pris un coup de vieux et évoque aujourd’hui immanquablement du Scooby-Doo, le court roman qu’est Les Pirates fantômes (1909), tout en étant avant tout caractéristique de la manière de Hodgson, ne manque pas d’évoquer, par certaines thématiques et certains procédés, des œuvres ultérieures du Maître de Providence. Ne serait-ce que parce que l’horreur, une fois de plus, surgit ici de la mer – le roman relève autant du « weird » que de l’aventure maritime, comme souvent chez l’auteur, et l’on connaît la fascination/répulsion de Lovecraft pour l’océan, voyez ici et .

 

Les Pirates fantômes consiste pour l’essentiel en un compte rendu par le matelot Jessop des terribles événements qui ont frappé le Mortzestus, navire de mauvaise réputation, que l’on suppose dès le départ hanté ; aussi n’y a-t-il rien d’étonnant en somme si, pour son ultime voyage, il embarque avec un équipage tout neuf… hormis le matelot Williams, qu’on supposera bien suicidaire.

 

Jessop est le premier témoin du drame à venir : une nuit, il voit une silhouette indistincte surgir des flots et monter à bord du Mortzestus. Et, les nuits suivantes – la nuit, toujours la nuit –, bien d’autres apparitions auront lieu, que ce soit un homme dans les mats… ou un vaisseau dont les feux jouent à cache-cache avec les nerfs des observateurs. Il ne s’agit tout d’abord que de visions, que d’aucuns qualifieront d’hallucinations, et mettront sur le compte de la fatigue et de la dure vie maritime. Mais les visions ne manqueront pas de tourner au drame, et entraîneront dans les flots, d’abord un, puis plusieurs cadavres… jusqu’à une conclusion apocalyptique.

 

Les Pirates fantômes n’est certes pas un roman parfait, et sa lecture m’a parfois paru aride, notamment en ce qu’il souffre d’une plume laborieuse (sans doute guère aidée par la traduction de Jacques Parsons, qui multiplie les anglicismes), et rendue à mes yeux plus hermétique encore par l’usage abondant, très abondant, d’un très précis vocabulaire nautique, à même de larguer complètement le non-initié tel que votre serviteur ; mais j’imagine que ceux qui s’y connaissent un tant soit peu y verront au contraire un atout, et cela participe indéniablement de l’ambiance du roman.

 

Or c’est là le point fort des Pirates fantômes : plus d’un siècle après sa parution, et alors que les voiliers du genre du Mortzestus ne sont plus qu’un lointain souvenir ou peu s’en faut, le roman brille par son ambiance subtile et réellement inquiétante, mêlant avec brio l’angoisse du meilleur fantastique avec un réalisme et une précision maniaques, quasi documentaires. L’effet est saisissant, et garde tout son impact aujourd’hui : il ne m’arrivera que très rarement de confesser une telle chose, mais, oui, Les Pirates fantômes parvient à susciter chez le lecteur une délicieuse épouvante, faite tant d’inquiétante étrangeté que de fatalité dans le drame, qu’on devine bien vite inéluctable, chose que les morts successives ne font que confirmer, très vite. En tout cas, sur moi, ça a indéniablement fonctionné.

 

Et l’on ne peut à mon sens s’empêcher, à cet égard, d’établir une filiation, non seulement avec Lovecraft (notamment du fait de la théorie de Jessop sur l’origine de ces « pirates fantômes », le terme de « fantômes » n’étant en fait guère approprié puisqu’il s’agit clairement à ses yeux d’une race ayant évolué parallèlement à l’humanité, et peut-être plus ancienne qu’elle…), mais aussi avec bien des chefs-d’œuvre du fantastique contemporain, littéraire comme cinématographique. J’en citerais pour ma part deux : Fog de John Carpenter (assez logiquement), et surtout Alien de Ridley Scott, dans lequel le huis-clos maritime du Mortzestus, transféré sur le Nostromo au nom évocateur, débouche sur une même horreur réaliste et fataliste.

 

Aussi, en dépit de mes lacunes « techniques » qui m’ont rendu la lecture de ces Pirates fantômes parfois ardue, je ne peux que conclure sur une note très positive : encore une fois, le roman de William Hope Hodgson m’a véritablement pris aux tripes, et a suscité en moi un remarquable et fascinant sentiment de terreur. À cet égard, il n’a pas pris une ride, et continue habilement de produire son petit effet. Très fort, donc.

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RIP Frederik Pohl

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"Sistac", de Charlie Galibert

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GALIBERT (Charlie), Sistac, [s.l.], Phébus, coll. Libretto, [2005] 2013, 190 p.

 

« Western Summer », suite, avec un petit bouquin qui n’était pas prévu à la base. Mais comme Phébus vient juste de le ressortir en Libretto (il était auparavant paru chez Anacharsis), et vu que ça avait l’air plutôt pas mal – ou du moins suffisamment intrigant pour que j’y jette un œil –, je me suis emparé de ce Sistac de Charlie Galibert, ethnologue de son état.

 

« Sistac », ça fait pas très « western », comme nom. Effectivement, le dénommé Jean Sistac est né de notre côté de l’Atlantique, et même, plus précisément, à Toulouse, dans le quartier des Minimes (tiens donc). Fils d’un armurier et d’une femme fascinée par les récits vantant de manière utopique une sorte de rêve américain avant l’heure, il a embarqué gamin pour les États-Unis. Mais, à l’arrivée, le rêve n’était pas exactement au rendez-vous… et l’odyssée des colons a bientôt tourné au cauchemar.

 

Sistac, quelques années plus tard – à l’aube de la guerre de Sécession –, a gagné l’Ouest, et s’est fait petit truand. Hélas pour lui, il a eu maille à partir dans un bordel avec des soldats confédérés, et les a tués… Sa tête est dès lors mise à prix, et Jean Sistac n’a d’autre choix que de fuir. Il est poursuivi par les Rebs, déjà. Ben oui. Mais aussi par un abject chasseur de primes, un des derniers de son espèce, répondant au surnom de Goodfellow (tiens donc), mais que Sistac ne cesse de rebaptiser au fil des pages, Goodbrothel, Goodbrother, Fuckfellow, etc.

 

Mais il devient bientôt difficile de déterminer qui, des deux hommes, est le chasseur, et qui le chassé. Sistac et Goodfellow se tournent autour dans les déserts torrides comme les blizzards, jouant au chat et à la souris en inversant régulièrement les rôles… Le roman tourne pour partie autour de la relation ambiguë de ces deux personnages, le très concret Sistac et l’évanescent Goodfellow, dont l’existence même est insidieusement remise en doute. Car la folie de Sistac est aussi questionnée, à travers ses obsessions et sa solitude. Et sans doute, au-delà, est-ce une certaine Amérique qui se retrouve sur la brèche, une Amérique mythique, faite de somptueux panoramas en technicolor et de fusillades incessantes.

 

Le roman est (dé)construit comme un film un peu barré, en une succession de toutes petites saynètes (rarement plus d’une page) plus ou moins isolées, d’ailleurs pas nécessairement reliées à la traque de Sistac et Goodfellow. On croise au fil des pages nombre de personnages, plus ou moins bavards, qui n’ont absolument rien à voir avec nos deux (?) héros (?). Pour le reste, le style est des plus laconique : des phrases courtes, qui constituent souvent à elles seules des paragraphes. Il s’en dégage une certaine monotonie en même temps qu’une impression de sécheresse vaguement maladive.

 

C’est sans doute délibéré, et probablement pertinent, mais il y a parfois des dommages collatéraux ; et, au final, quand bien même notre outlaw toulousain ne manque pas de chair, le récit hermétique de ses errances la mort aux trousses emballe plus ou moins le lecteur, tantôt séduit, intrigué et happé par l’astuce de l’auteur, mais aussi, parfois, lassé de ces divagations dont on se met à chercher vainement le sens…

 

Cela dit, Sistac, du fait de sa brièveté aussi, sans doute, reste un moment de lecture tout à fait correct. Bien évidemment, il fait petit bras par rapports à certains des monumentaux westerns que j’ai lus récemment, et ne me laissera de toute évidence pas un souvenir impérissable (j’en ai déjà pas mal oublié…) ; reste un hommage étrange et sans doute assez bien vu, western plutôt cérébral mais tout de même relativement divertissant. Un truc bizarre, quoi, et pas mal, mais pas indispensable non plus.

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"3 heures 10 pour Yuma", d'Elmore Leonard

Publié le par Nébal

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LEONARD (Elmore), 3 heures 10 pour Yuma. Intégrale des nouvelles western, vol. 2, [The Complete Western Stories of Elmore Leonard], traduit de l’anglais (États-Unis) par Élie Robert-Nicoud, Paris, Rivages, coll. Noir, [2004] 2008, 264 p.

 

C’est triste à dire, mais la malédiction nébalienne a encore frappé : je commence tout juste à m’intéresser à un auteur, je prévois de le lire sous peu, et PAF ! la Faucheuse, cette salope, s’en empare. Elmore Leonard est ainsi décédé il y a quelques jours à peine, alors que, dans le cadre de mon « Western Summer », je cherchais à rassembler l’intégrale de ses nouvelles western publiée par Rivages en trois volumes…

 

Je n’ai par ailleurs pas pu mettre la main sur le premier volume, Médecine apache, semble-t-il épuisé, et que je n’ai trouvé sur le ouèbe qu’à des prix indécents pour un poche. N’étant pas (encore) atteint de collectionnite aiguë, je me suis donc contenté du deuxième volume, 3 heures 10 pour Yuma (oui, la nouvelle titre a été adaptée au cinéma, deux fois, même ; Elmore Leonard a entretenu tout au long de sa carrière des relations suivies avec Hollywood), en attendant, un de ces jours, L’Homme au bras de fer, et éventuellement, par la suite, ses romans western.

 

Mais « éventuellement ». Je ne vous ferai pas de cachotteries plus longtemps : cette lecture, qui m’avait été chaudement recommandée par des gens de goût, m’a un peu déçu… Mais peut-être en attendais-je trop, du coup. Et les circonstances de cette lecture – avec d’une part la célébration posthume de l’auteur, et, d’autre part, mes précédentes lectures du genre – n’ont sans doute rien arrangé à l’affaire. Difficile, en effet, pour 3 heures 10 pour Yuma de passer après les extraordinaires Deadwood de Pete Dexter et Lonesome Dove de Larry McMurtry… et, pour s’en tenir aux nouvelles, il ne fait à mon sens aucun doute que ce recueil est bien inférieur à l’excellent Contrée indienne de Dorothy M. Johnson. Peut-être, si j’avais commencé mon cycle de lecture avec ce recueil, aurais-je été plus enthousiaste. Mais là, c’était – doublement – trop tard… Je ne prétendrai certes pas que 3 heures 10 pour Yuma est un mauvais bouquin, non, non, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ; mais il joue dans une toute autre catégorie, celle du pur divertissement ; ce qui, en soi, n’a bien entendu rien de déshonorant, mais souffre tout de même de la comparaison avec les œuvres ô combien plus ambitieuses précédemment citées. On est là dans du pulp, en gros (ces nouvelles ont été publiées dans les années 1950 dans des revues telles que Argosy, etc.) ; c’est bien fait, c’est très « professionnel », mais il manque quelque chose à mon sens pour mériter tous les éloges que l’on ne manque généralement pas de faire (a fortiori maintenant…) à son égard.

 

Commençons par le meilleur… c’est-à-dire, d’emblée, « 3 heures 10 pour Yuma » : un shérif doit surveiller un malfrat le temps qu’arrive ledit train, et se cache avec lui dans une chambre d’hôtel ; mais le temps passe lentement, et il peut se produire bien des choses d’ici à ce que le train entre en gare. Nouvelle impeccable de suspense, vraiment très bien ficelée ; là, rien à redire, ça commence vraiment fort, et l’on comprend sans peine l’intérêt hollywoodien pour la chose. Autre franche réussite, « La Rançon du sang » raconte le sort tragique d’une bande de malfrats coincés dans une souricière, et qui tuent le temps en jouant aux cartes… Gros suspense là aussi (au sens le plus hitchcockien, j’aurais envie de dire : on sait ce qui va se produire, mais c’est justement cette inéluctabilité qui suscite adroitement l’angoisse), et l’ambiance superstitieuse confine au fantastique, pour un résultat tout à fait satisfaisant. Parmi les deux textes plus longs qui concluent le recueil, j’ai également beaucoup aimé « Rindo », avec ses Indiens emmenés par une authentique brute qui assiègent un relais, et les querelles politiques des Blancs quant à l’attitude à adopter à l’égard des Indiens en général : très efficace.

 

D’autres nouvelles sont plus que correctes. Je citerais ici « Le Garçon qui souriait », bonne histoire de vengeance d’un jeune métis contre un gros connard de richouze raciste ; « Le Dernier coup de feu », histoire d’espionnage à l’Ouest tandis que la guerre de Sécession fait rage à l’Est, plus subtile que les autres nouvelles du recueil ; et éventuellement le dernier long texte, « Les Prisonniers » (également adapté au cinéma), histoire de prise d’otages relativement banale mais plutôt bien foutue.

 

Le reste, par contre, est en ce qui me concerne franchement anecdotique, et même sans intérêt : « La Grande Chasse », une autre histoire de vengeance dans le milieu des chasseurs de bisons ; « Longue Nuit », ou comment une vieille dette vient susciter des ennuis chez un ancien cow-boy ; « À la dure », enfin, nouvelle plus ambitieuse sur un adjoint mexicain confronté aux notions de droit et de justice, mais qui ne convainc pas vraiment.

 

Comme vous le voyez, aucun texte de ce recueil n’est à mes yeux vraiment mauvais : on y trouvera au pire trois nouvelles médiocres, et les six autres vont du pas mal au très bien. Objectivement, 3 heures 10 pour Yuma est donc plutôt un bon bouquin ; mais, encore une fois, je l’ai sans doute lu au mauvais moment… Aussi, tout en ayant conscience des qualités indéniables de ce recueil, très « professionnel », je ne peux que m’avouer un peu déçu. C’est que déjà j’ai lu autrement plus ambitieux, mieux écrit (et traduit…) et plus profond dans le genre ; pris indépendamment, 3 heures 10 pour Yuma est bon ; mais à la comparaison, il ne fait pas le poids, et me donne la fâcheuse impression d’être un poil surestimé… Bon, ça ne m’empêchera pas de lire L’Homme au bras de fer prochainement, et peut-être les romans western d’Elmore Leonard ; et maintenant que je sais à quoi m’attendre, peut-être cela passera-t-il mieux…

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"Lovecraft Studies", no. 7

Publié le par Nébal

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Lovecraft Studies, no. 7 (vol. II, no. 2), West Warwick, Necronomicon Press, Fall 1982, 39 p.

 

Bon, je voulais me mettre aux fanzines lovecraftiens américains (j’ai quelques Lovecraft Studies et une énorme pile de Crypt of Cthulhu), mais un petit contretemps m’oblige à réviser mon programme de lecture et à remettre ça à plus tard. Mais j’aurai quand même eu le temps de lire cette septième livraison de Lovecraft Studies (avec S.T. Joshi pour rédacteur en chef). Au programme, quatre articles, et quatre recensions critiques.

 

Ralph E. Vaughan ouvre le numéro avec « The Old Man and the Sea. The Ocean and Life as Viewed by H.P. Lovecraft ». On sait que Lovecraft détestait la mer et les choses qui venaient de la mer, tout en ressentant une certaine fascination pour elle (voyez au passage mon compte rendu de The Night Ocean), et cet article revient sur cette relation ambiguë (surtout de la part d’un homme qui a beaucoup fréquenté les ports de la côte Est). Hélas, il n’y a à mon sens pas grand-chose d’intéressant à retirer de cet article, qui aligne les lieux communs, et s’adonne à une distinction plutôt spécieuse à mes yeux entre Atlantique et Pacifique. Dommage, il y avait sans doute mieux à dire.

 

On passe alors à « The Lord of R’lyeh » de Matthew H. Onderdonk, un article publié pour la première fois en 1945. Et c’est à vrai dire là le principal intérêt de cette communication, qui vise à mettre en lumière la singularité de l’œuvre lovecraftienne en insistant sur son rationalisme et sur le matérialisme mécaniste de l’auteur, d’où la distinction entre le « supernatural » antérieur et le « supernormal » propre à Lovecraft. Tout cela est très juste, et l’article, à n’en pas douter, fut une étape importante dans l’exégèse lovecraftienne. Mais c’est d’un intérêt historique avant tout, donc.

 

Robert M. Price, ensuite, dans « The Lovecraft-Derleth Connection », prend à revers la critique lovecraftienne, généralement très sévère à l’encontre d’August Derleth, pour tenter de montrer que bon nombre des éléments du « Mythe de Derleth » se trouvaient déjà dans le « Mythe de Lovecraft ». C’est audacieux et assez intéressant… mais hélas (?) pas vraiment convaincant, et S.T. Joshi ne manque pas de le montrer dans un post-scriptum (notamment en ce que l’article, sans surprise, évacue la dimension chrétienne du « Mythe de Derleth », une aberration par rapport au « Mythe de Lovecraft », et ne traite pas davantage du bête aspect « élémentaire » du panthéon derlethien).

 

Reste enfin « Lovecraft and the Mainstream Literature of His Day » de Peter Cannon, article qui m’a largement dépassé du fait de ma méconnaissance (bon, autant le dire : de mon ignorance…) de la littérature « générale » anglo-saxonne de l’entre-deux-guerres. On notera cependant les parallèles établis avec la vie de F. Scott Fitzgerald et l’œuvre de William Faulkner, et, en poésie, la relation ambiguë à T.S. Eliot (et notamment à The Waste Land, que Lovecraft avait tout d’abord sévèrement reçu et même parodié – « Waste Paper »).

 

On passe alors aux recensions critiques. La première, due à la plume de Greg Costikyan, m’a tout particulièrement intéressé, puisqu’elle concerne la première édition du jeu de rôle Call of Cthulhu (voyez ici pour une édition plus récente). Le jeu de rôle en était encore à ses débuts (Donjons & Dragons était tout jeune), d’où l’explication de ce qu’est un jeu de rôle ; le système est ensuite brièvement analysé. Mais ce qui importe avant tout est la singularité déjà perceptible de ce jeu révolutionnaire… même si le critique craint que les parties, dans un esprit Donj’, ne se limitent à une succession de combats. Heureusement, l’évolution de la pratique rôlistique et des mentalités a (dans l’ensemble…) rendu cette crainte infondée. Quoi qu’il en soit, le jeu est globalement bien, voire très bien reçu, et c’est tant mieux : il a joué un tel rôle (aha) dans la popularisation de Lovecraft…

 

Restent une critique de As It Is Written de Clark Ashton Smith par S.T. Joshi (plutôt positive), de Danse macabre de Stephen King par Sam Gafford (plutôt négative), et enfin du Reader’s Guide to H.P. Lovecraft de S.T. Joshi (c’est-à-dire, pour l’essentiel, Clefs pour Lovecraft) par Donald R. Burleson (très positive, même si Joshi lui-même se sent forcé d’intervenir pour mettre en lumière les défauts de son propre ouvrage…).

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