"De l'attitude à prendre envers les tyrans", d'Épictète
ÉPICTÈTE, De l’attitude à prendre envers les tyrans et autres textes, texte établi et traduit du grec ancien par Joseph Souilhé avec la collaboration d’Armand Jagu, Paris, Gallimard, coll. Folio 2 €, [1943, 1949, 1990-1191] 2011, 129 p.
J’imagine qu’il n’est jamais trop tard pour combler ses lacunes. En matière de philosophie, a fortiori contemporaine, j’en ai beaucoup… Si j’ai pas mal pratiqué les Antiques – surtout les Présocratiques, à vrai dire –, je dois reconnaître que mes inclinations en la matière ont largement été le fait de préjugés. Aussi ai-je développé un intérêt tout particulier pour les sophistes (bien sûr), les cyniques et les matérialistes, et une certaine aversion pour Platon (tout en reconnaissant ses qualités d’écrivain) et les stoïciens, tandis qu’Aristote m’a toujours inspiré un étrange mélange de respect et d’ennui.
Mais revenons sur le cas des stoïciens, puisque c’est à cette école que se rattache Épictète. Je les ai fort peu pratiqués ; à vrai dire, et l’incitation du camarade Bat-Aurèle (…) n’y est pas pour rien, celui que j’ai le plus lu et trouvé le plus intéressant (relativement) était Marc-Aurèle, dont j’avoue avoir feuilleté de temps à autre les Pensées pour moi-même… D’Épictète, par contre, je ne savais à peu près rien en dehors de sa célèbre biographie (même si j’en avais probablement lu quelques extraits il y a de ça ouf, au moins). Aussi ai-je été pris de l’envie d’en savoir un peu plus quand, au détour d’une librairie, j’ai croisé ce petit ouvrage de la collection d’abrégés « Folio 2 € ».
Il faut dire que – pourquoi pas, après tout – la couverture me plaisait pas mal, et le titre attisait ma curiosité – je savais Épictète moraliste, en bon stoïcien, mais les aspects politiques de son éthique étaient tout naturellement ceux qui devaient le plus intéresser l’ancien chercheur en histoire des idées politiques que je suis, surtout à vrai dire s’il est question d’attitude à adopter à l’encontre de la tyrannie et de la répression qu’elle est à même d’infliger, sujet qui renvoyait directement à mes recherches (dix-neuviémistes, certes…).
Naïveté de ma part, sans doute : cet abrégé des livres I à IV des Entretiens d’Épictète n’aborde guère la question du titre que par la bande… et je crains de devoir le reconnaître d’ores et déjà : cette lecture, pour brève qu’elle fut, m’a paru passablement pénible, et n’a guère fait que renforcer mes préjugés à l’encontre des stoïciens en général et d’Épictète en particulier.
Épictète, en tant que maître d’école, s’inscrit dans une double filiation, au-delà du Portique : il évoque Socrate, mais aussi Diogène le cynique (j’avais déjà conscience de la parenté a priori paradoxale mais pourtant bien réelle reliant les très sages stoïciens aux provocateurs cyniques, mais c’en est une confirmation). Sa philosophie, qui s’exprime généralement par le dialogue – de manière plus abstraite que chez le tragédien refoulé Platon, toutefois –, est avant tout d’ordre pratique, et c’est une morale passablement austère. Il s’agit de conduire sa vie en fonction de la raison, qui ne saurait être que de nature divine (arf), et de ses « représentations ». Un principe essentiel : la distinction entre ce qui relève de nous et ce qui n’en relève pas (ce qui m’a rappelé, pour le coup, la célèbre prière citée par Kurt Vonnegut dans Abattoir 5).
C’est ici que la pensée d’Épictète peut prendre un aspect politique, encore que minime : le pouvoir du tyran n’est ainsi d’aucune importance pour l’homme qui conduit bien sa vie, en ce qu’il ne peut guère exercer de pression que sur ce qui ne dépend pas de lui – comme sa mort. Il y a donc bel et bien un potentiel que l’on pourrait qualifier de « subversif » chez Épictète, qui explique ses déboires, mais je ne peux m’empêcher d’y retrouver – et c’est là un fort préjugé que j’entretenais depuis longtemps à l’égard de l’école stoïcienne – un certain parfum « proto-chrétien » : tendre l’autre joue, tout ça… rendre à César… Ce qui, vous l’aurez compris, ne me séduit guère.
La présentation de l’ouvrage vante « un manuel de savoir-vivre et de liberté de pensée ». Mais je n’y ai guère trouvé de quoi m’édifier à ces sujets. C’est un autre problème que j’ai toujours eu tendance à accoler aux stoïciens : leur philosophie (un bien grand mot, peut-être ? mais ce reproche a pu être adressé aux cyniques, qui me sont bien plus chers…) est frappée au sceau du « bon sens » (ou « sens commun », l’horrible chose) et des vérités premières qu’il est parfois bon de rappeler (mais j’avoue à ce sujet préférer les penseurs orientaux). Fondamentalement, j’y vois une éthique molle, faite de soumission plus ou moins béate au divin et à l’ordre du monde ; une philosophie conservatrice, en somme ; et, usons de l’anachronisme, autant le dire : une philosophie « de droite » (quand j’ai cherché sur le ouèbe quelques éléments pour écrire ce compte rendu, je suis tombé sur une unique « critique » – en quatre lignes… et c’était sur le site du Figaro ; oui, vous pouvez me trouver mesquin, pour le coup ; mais ça m’a quand même fait sourire, na).
J’ajouterais que, formellement, j’ai trouvé ces Entretiens assez laborieux, parfois confus, et que l’image que l’on en retire d’Épictète n’est pas forcément très positive à mes yeux (le sévère moraliste a quelque chose d’arrogant et de méprisant).
Une lecture qui m’a donc ennuyé quand elle ne m’a pas agacé, et qui n’a guère fait qu’entretenir mes préjugés. Mais il faut bien le reconnaître : je n’ai rien d’un philosophe (ou alors « du dimanche », et j’ai tout de même le sentiment que c’est à semblables individus que s’adressent ces abrégés), et suis bien conscient de la vacuité de ce compte rendu, qui ne fait qu’exprimer mes opinions passablement stériles sur le contenu de cet ouvrage. C’est le jeu, vous êtes en Nébalie… Mais voilà : je n’y ai pas trouvé ce que je cherchais, et, hélas, j’y ai trop souvent rencontré ce que je redoutais. De toute évidence, Nébal n’est pas un stoïcien…