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"Anadyomène"

Publié le par Nébal

Sade-Man-Ray.jpg

 

 

Le ridicule ne tue pas ? Ben on va voir… Ce qui suit, à l’origine, était une commande (je n’ai pas pu l’achever à temps, pour diverses raisons), et était censément « érotique ». Perso, je trouvais que le porno, c’était plus rigolo. Et puis j’aime beaucoup Sade, alors… Sachant en outre que l’exercice est fort délicat, je voulais savoir si j’en étais capable ; c’est que le risque est grand, à écrire des scènes de boules, de sombrer dans le ridicule achevé… Bien évidemment, je ne sais toujours pas ce que ça vaut. J’ai fait tourner cette nouvelle auprès de plusieurs lecteurs (que je remercie tous), et les retours ont été très divers ; il y a eu à peu près autant de positif que de négatif… Je vous laisse donc juges. N’hésitez pas à me jeter des cailloux le cas échéant.

 

Il fallait qu’ils soient quatre, bien entendu.

Pour les deux premiers, pas de problème : Dieter et Michel se connaissent depuis des années, et ont sans doute développé ensemble le projet. Probable que c’est le publicitaire belge qui a le premier soulevé l’idée ; après tout, le bonhomme n’est pas sans culture, là où je n’imagine pas vraiment Dieter lire autre chose que ses webjournaux financiers. Michel Debruijn se pique même d’être un poète, mais, bon… disons que ses cours de marketing et son réel talent pour vendre de la soupe aux chômeurs n’en ont pas exactement fait un Baudelaire.

Ce type n’a de toute façon aucun goût. Même pour ce qui est des femmes. Avec son pognon, ce con pourrait avoir ce qui se fait de mieux, mais non, non, lui, y veut des grosses, des truies, comme lui, quoi. Monsieur aime carrer sa petite queue flasque dans des gros culs. Venez pas me sortir des trucs genre « callipyges », tout ça. Non, quand je dis « gros culs », c’est : « gros culs ». Et même des très gros culs. Genre à s’y noyer, à crever étouffé dans les bourrelets. Quand il nique, du coup, c’est à peu près aussi bandant qu’une partouze d’hippopotames, en plus bruyant et spongieux. Ça fait blob huileux.

Les goûts, les couleurs, d’accord. N’empêche, jamais compris ce que Dieter pouvait trouver à ce blaireau. Parce que, faut pas croire, à l’intérieur, c’est pas mieux. Sorti de ses séances de brainstorming, il est d’un con… Non, je vois pas.

Dieter, quand même, c’est autre chose. Ce type m’épate, franchement. La classe ultime, toujours, en costard dans les soirées branchouilles mais-prenez-donc-un-muffin, ou à poil en train de limer, pareil. Pourtant, je peux vous dire qu’un mec à poil, ça perd vite de son charisme, hein, j’en ai assez vus, je peux témoigner. Mais lui, non. Même à plus de cinquante piges. La classe ultime. Toujours. Même quand il balance la purée, il a pas l’air d’un con, et ça, c’est une performance. Non, y a pas : la rigueur germanique, c’est peut-être une idée reçue, mais, avec lui, ça colle.

Mais, faut dire, je suis peut-être pas objectif : ce type m’a toujours fasciné. Mais arrêtez vos conneries, je sais que vous, c’est pareil. Putain, DIETER GLASS, merde ! Le requin de la finance le plus vorace qu’on ait jamais vu. L’homme le plus pété de thune depuis que la thune existe. Sa gueule de star en photo partout, au volant d’une caisse à tomber, et/ou en train de tripoter la plus sublime pétasse tout juste majeure du moment, comme ça, tranquille. Et toi, tout pouilleux dans ton clapier pourri, tu vois ça et tu baves. C’est tout. Tu peux rien faire d’autre. Même pas gueuler que c’est trop injuste, parce qu’au fond de toi, tu sais que c’est ça, la justice.

Mais là… Putain, quand son régiment est arrivé sur la station… Honnêtement, ça faisait des années que j’avais pas eu une gaule pareille. Ses pisteurs avaient ramassé aux quatre coins du système ce qui se fait de plus bandant. De toutes les couleurs, de toutes les tailles, de tous les âges. Des jambes interminables, solides, galbées. Des seins parfaits, des gros bien ronds bien durs aux petits tétons qui pointent à peine, en passant par les intermédiaires qui fondent dans la main. Des culs bien fermes, bien relevés, des petits qu’on pète, d’autres plus, comment, ouais, voluptueux, voilà, des où on s’agrippe de toutes ses forces, et qui semblent en redemander toujours plus, des culs faits pour baiser, quoi. Et une anthologie de jolies chattes, des blondes, des brunes, des rousses, des touffues, des rasées, des menues, des béantes, mais bien roses, bien ciselées ; je m’y voyais déjà, dans ces vagins moites et dévoreurs, tout confort, raide comme jamais ; et malaxant du clito fébrile, lapant et mordillant à même les lèvres rougies…

Mais après Dieter, bien sûr. À tout seigneur tout honneur.

 

Le troisième, ça a été un peu plus délicat, mais ils ont fini par dénicher un beau spécimen. Ah ! Le Général Wu. Alors lui… Bon, vu de loin, c’est jamais qu’un pédé cuir SM de plus. Une petite moustache ridicule, un peu nabot, tout sec. Un cliché sur pattes. Mais le truc c’est qu’il a poussé le cliché vraiment très loin. Surtout lors des « événements taiwanais », comme ils disent. Fallait le voir, commandant son Usine à Taipei, massacrant tout stoïque l’élite du Guomindang avec des raffinements de cruauté bien à la manière des Niaks. Et il a personnellement défoncé le cul de chacune de ses victimes avant ça. Enfin, non, j’exagère : les mecs seulement. Ce type déteste les femmes. Loin de l’exciter, elles le répugnent, et lui font un peu peur, je crois. Enfin, en tout cas, sa bite fait pas la fière devant une beauté à poil, ça, je peux vous le dire. Un peu comme une anti-érection. Alors il se contente de les massacrer. Mais faut voir comment ! Une imagination sidérante, des fantasmes pas croyables. Dans la station, du coup, il a souvent fait le metteur en scène ; Michel pouvait bien gueuler, déçu d’avoir perdu son rôle, les autres avaient de toute façon compris qui était le génie dans cette histoire.

Faut dire, là, il disposait en plus des gadgets de Richard, alors qu’à Taipei, fallait faire dans l’artisanal.

Richard… cet abruti…

Bon, là, faut que je vous explique. Ils en étaient à trois, il en manquait plus qu’un. Indispensable, à en croire Michel. D’après lui, la logique aurait voulu qu’on choisisse le dernier parmi les religieux. Alors ils ont cherché, au Vatican comme à La Mecque, au Texas et au Tibet. Mais rien de bien chouette. C’est qu’on en était plus au XVIIIe, là. Depuis la grosse réaction fondamentaliste de 2001-2030, les fanatiques pullulaient, pour qui le cul c’était le mal. Mais je veux dire, pas qui se contentaient de le prétendre, hein, comme ceux d’avant : non, ces cons-là le pensaient vraiment, et trouvaient Dieu en ne baisant pas. Je vous jure. Impensable de les ramener sur la station, qu’est-ce qu’ils auraient bien pu y foutre… Littéralement… Ouais, vous me direz, y avait des exceptions. Bien sûr. Mais rien que du banal chiant à mourir. Des curés pédos qui s’assumaient pas, des mollahs à la tête des commandos « mariant » les dissidentes du Califat salafiste d’Asie centrale, des gourous néo-babs partouzeurs… Nan, pas moyen de ramener ces types-là dans la station. Question d’amour propre.

Y’en a un pour lequel ils ont hésité, quand même. Un curé de Loudun persuadé d’être la réincarnation d’Urbain Grandier, ça ne s’invente pas. Un néo-caïnite fourreur de nonnes, avec beaucoup d’imagination. Un type plutôt sympa, je dois dire. Mais complètement malade, aussi. Au début, quand Dieter l’a approché, ça s’annonçait plutôt bien. Mais peu de temps après, alors qu’on se préparait tous pour le projet, ce dingue s’est mis en tête que l’histoire devait « se répéter ». Et tout ça a fini dans une grande orgie planifiée par ses soins, trois jours de baise non-stop dans le couvent, et à la fin ses adoratrices, sur ses ordres, l’ont torturé, lui éclatant les membres à la masse, lui perçant la langue, puis le brûlant encore vivant. La Mère sup’ n’a pas pu s’empêcher de mettre son grain de sel, une touche de grec : alors qu’il était cuit à point mais encore conscient, elles l’ont sorti du bûcher, l’ont déchiqueté façon bacchantes, et l’ont bouffé. Mais ça, vous en avez entendu causer, ça a fait du bruit, à l’époque.

N’empêche, c’était la merde. Ils commençaient à désespérer de trouver leur dernier comparse. Dieter, à la limite, se disait que trois libertins, ça pouvait le faire, mais non, non, Michel n’en démordait pas, il fallait que ce soit quatre. Et comme Dieter n’a jamais rien pu refuser à Michel… Mais là, le Général – qui, mine de rien, connaissait lui aussi ses classiques – a fait une remarque déterminante. Il a dit, et on pouvait pas vraiment lui donner tort, qu’il n’y avait pas de raison pour que le dernier soit un religieux au sens strict. Qu’on pouvait adapter. Et là, un peu perfide, il a noté que ça avait de toute façon déjà été fait, vu que, parmi les trois déjà sélectionnés, si l’on trouvait bien un financier et un militaire, le parlementaire avait été remplacé par un publicitaire (suivez son regard…), autrement dit une variante moderne du, euh, « manieur de mots », je crois qu’il a dit. Là, le Belge pouvait pas rétorquer grand chose. L’idée, quoi, c’était que la religion à son tour pouvait être adaptée. Debruijn a fait remarquer que le Général, qui avait réussi le tour de force d’être un coco fanatique dans la Chine du XXIIe siècle, pouvait rentrer dans cette catégorie, alors, mais l’autre, loin d’être blessé, se contenta de sourire, « voilà, c’est ça ». Mais, ayant déjà pris le rôle du militaire, et constituant en outre – ainsi que son camarade belge l’avait si brillamment démontré à l’instant – une exception, il suggérait d’aller voir ailleurs.

Bref, fallait déterminer la religion du XXIIe. Évidemment, tout le monde a répondu d’abord le fric, mais là, c’était le même souci, rapport à Dieter. Alors Dieter a proposé le cul. Logique, après tout. Mais fallait trouver quelqu’un tirant son pouvoir du cul. Pour Dieter, ça ne pouvait être qu’une femme. Là, c’est Wu qui a opposé son veto. Mais Michel n’était pas emballé non plus, ça s’éloignait trop de la source… Le Général a alors dit : la science. L’idée a plu ; après tout, après la crise fonda, on était en plein néo-positivisme, avec des réseaux et des nanos partout et, alors qu’on n’osait même plus y croire quelques décennies plus tôt, des vaisseaux habités et des colonies à travers tout le système. Bien vu, mon Général.

Donc, fallait trouver : 1°) un homme ; 2°) sans scrupules ; 3°) représentant la science et/ou la technologie ; 4°) doté d’un immense pouvoir ; 5°) et hyper chaud de la bite.

C’est comme ça qu’on en est arrivé à Richard.

 

Eh ouais. Richard Campbell. Qui d’autre ? Ça me scie un peu que vous ayez pas tilté plus tôt… Et que les autres n’y aient pas pensé de suite. Enfin, non, d’ailleurs. Ça, je peux comprendre. Le truc, c’est que vous, moi, les petits, on connaît Richard Campbell que par la façade, on voit le génie de l’informatique et de la RV, l’inventeur de la quasi-totalité des systèmes d’exploitation employés de nos jours et des interfaces homme-machine. Eux, par contre, avaient été amenés à le connaître déjà plus intimement, et se doutaient qu’il risquait d’y avoir un problème. Ils ont pesé avantages et inconvénients, ont débattu pendant plusieurs mois, puis sont allés le voir dans son Xanadu lunaire. Je ne sais pas exactement ce qui s’y est dit, je n’étais pas avec eux alors, mais déjà sur la station, à préparer le séjour. Du coup, j’étais sur place quand Richard est arrivé avec son régiment.

Vingt-quatre petites Japonaises à couettes, entre huit et seize ans, dans des uniforme d’écolières. Terrorisées, en larmes. Pêchées direct dans les bidonvilles coréens où s’étaient réfugiés les rares survivants de la Submersion du Japon, et rhabillées par ses soins, comme dans ses fantasmes de sale gosse élevé aux vieux mangas de cul. Dans son genre, ça aurait pu être un esthète, et c’est après tout ce que ses plus fameuses inventions, les tout public et les autres, laissaient croire. Le problème, c’est que son discours collait pas. Ce type était capable de conceptualiser la perversion, de l’enrichir et de la sublimer par ses inventions, mais ça l’empêchait pas, par ailleurs, d’être qu’un gros con de bouffeur de chattes basique, un obsédé lambda, « sans finesse » (Debruijn), « sans classe » (Glass), « sans dignité » (Wu). En tout cas dès l’instant que c’était sa bite à lui qu’était en jeu.

Impressionnant, le contraste. Quand les autres ont débarqué avec leurs régiments, c’était toujours un spectacle… beau, à sa manière. Même le Belge avec ses truies. Y’avait toujours quelque chose de… de surréaliste, de dantesque, dans ces troupes apeurées marchant au pas, encadrées par les fouteurs en uniforme, le fouet à la main, au son du Requiem de Mozart (ouais, perso, je trouve que c’était un peu abusé, là, mais bon…). Là, non. Le problème, c’était pas les filles, à croquer, malgré leur uniforme à la con. Et les fouteurs non plus, on connaissait notre rôle. Mais l’Angliche avait remplacé Mozart par une j-pop infecte, aussi vieille que ses mangas moisis. Et, là où les trois autres étaient restés stoïques durant la procession, lui, déjà, ne tenait plus en place. Il bavait, sautait partout, échappant rires gras et borborygmes obscènes. Ridicule, avec sa dégaine de rock-star à l’ancienne vaguement bedonnante.

À un moment, il s’est approché de moi – il m’avait reconnu, tu parles –, m’a saisi par l’épaule, et m’a braillé à l’oreille : « Moi j’les aime comme ça tu vois les petites putes avec des petits trous des tout petits trous faut qu’elles soient étroites hein qu’elles soient étroites des petites fentes moites qui coincent des petites fentes parfumées bien étroites surtout hein et que ça leur fasse mal ces putes qu’elles pleurent qu’elles piaillent qu’elles couinent les petites salopes les bouffeuses de bites ah ça leur fait mal hein mais en fait elles aiment ça les chiennes et moi moi avec mon mandrin énorme je les perfore je les ruine je les éventre je leur arrache la chatte je leur fouille les intestins de mon gros gland bien rouge bien luisant qu’elles ont poli hein avec leurs mignonnes petites langues bien roses bien humides de salopes mais surtout faut qu’elles soient étroites les chiennes des moules bien fines des petits trous du cul bien lisses et vierges faut qu’elles soient vierges parce c’est encore plus étroit comme ça et ça leur fait encore plus mal les petites putes mais plus elles en chient et plus je jouis et plus je les fais jouir en même temps parce qu’elles aiment ça les salopes avec leurs petits trous. »

J’ai rien répondu. Mais j’ai compris subitement qui m’avait écrit mes dialogues pendant toutes ces années.

En tout cas, il a pas pu se retenir plus longtemps. Il a chopé la première qui passait – treize ans, je dirais, joli petit cul, grands yeux mouillants de bourgeoise opérée –, et l’a plaquée cash contre le tarmac. Les autres, avant, avaient joué le jeu, en attendant le début des festivités, putain… Mais lui, non. Il a ordonné aux trois fouteurs les plus proches de la maintenir à quatre pattes, et m’a dit d’approcher : « Vazy Vinz’ profite je veux qu’elle te suce qu’elle suce le grand Vinz’ qu’elle engloutisse ton énorme bite de nègre. » Il a saisi la main droite de la gamine et l’a ramenée sur ma queue, l’obligeant à me caresser à travers le fin tissu synthétique de mon fute. Je vais pas vous mentir : j’ai durci radical. Mais bon, ça faisait trois mois qu’on préparait le séjour sans fourrer, aussi. J’ai failli exploser d’entrée, oui !

Et il continuait : « Allez pute défroque le nègre défroque le grand Vinz’ et suce-le suce sa grosse bite de nègre. » La fille chialait, mais elle pouvait difficilement faire autre chose qu’obéir. Elle a défait ma braguette, et s’est mise à me branler maladroitement. « Pompe-le pompe pute salope ! » Il la prit par le menton, lui ouvrit la bouche de force, tordant ses lèvres dans un rictus bandant, et la précipita sur ma queue. « Suce suce suce suce ! » Pas habile, la môme, mais quelque part tant mieux, ça me changeait des hardeuses. J’étouffais ses sanglots de mon pénis, ses larmes ruisselaient sur mes couilles ; on ne l’entendait plus vraiment gémir avec l’autre con qui hurlait à côté : « Ouaiiiiiiiiiiiiiiiiiiis vazy comme ça petite pute bouffe la bite du nègre hein tu aimes ça avoue salope oh putain je vais te défoncer la chatte je vais te faire jouir pétasse ramoner ta petite chatte de salooooooope. »

Il en pouvait plus. Il a jeté son blouson en cuir dans un râle, a réussi par miracle à se dézipper tout seul, révélant un calbute à l’hygiène douteuse, à peine bosselé, et en dégainant bientôt une petite zigounette maronnasse et mollassonne. « Puteputeputepute ! » Après, il a arraché la petite culotte de la gamine, lui a tout d’abord calé un doigt, lui martyrisant la moule de sa main brutale, et ensuite l’a pénétrée dans un hurlement. C’était pas grand chose, mais, la fille, ça lui a quand même fait comme un choc, ouais. Dans un réflexe, elle s’est dégagée de ma bite et a poussé un cri de pure douleur. Richard, les yeux exorbités, l’attrapa par les cheveux et la repoussa violemment contre mon gland : « SUCE-LE SALE PUTE ! » Elle me reprit dans sa bouche, tandis que l’autre ahuri, beuglant et suant, lui retroussait sa jupette bleue pour mieux exhiber son charmant petit cul, qu’il saisit bien vite à pleine mains. « PUTESALOPEPUTEPUTESALOPE ! » Le pouce gauche triturant son petit anus rose et rond, il la fessait sauvagement de la main droite en hurlant. Très vite, après un crescendo expédié virant dans un aigu ridicule, il retint son souffle, se tut l’espace d’une seconde puis explosa dans un « RHAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! » interminable, les yeux exorbités, avant de s’effondrer, la queue à l’air déjà méchamment ramollie. La fille saignait. Elle avait arrêté de me sucer. Elle pleurait, gémissait, de douleur, de honte, de peur. Campbell étant perdu dans son monde, ne prêtant plus attention à rien, je remis mon pantalon et la relevai, la faisant réintégrer les rangs. Ses « copines » étaient terrifiées.

On attendit quelques minutes. Puis il éclata de rire, toujours couché sur le tarmac : « Putain les mecs comment ça va être trop bien ! »

Abruti.

 

En plus, ce type avait un sens de l’humour déplorable (eh, c’était un informaticien, à la base). Je ne l’ai appris que plus tard, mais il avait tanné les autres pour que la station soit sur Uranus, vous voyez le topo… Les autres ont refusé, bien sûr. La station devait se trouver sur Vénus.

Il y avait la symbolique, déjà. Mais l’essentiel était probablement la vitesse de rotation très faible : la planète met environ 243 jours terrestres pour tourner sur elle-même, en sens rétrograde, alors qu’elle ne met que 224,7 jours terrestres pour tourner autour du Soleil. Une journée vénusienne est donc plus longue qu’une année vénusienne. Et, plus généralement, une journée vénusienne, c’est long. Très long. Du coup, 120 journées vénusiennes équivalent à environ 29 160 journées terrestres, soit environ 80 années terrestres. Nos richissimes libertins disposant des techniques de rajeunissement cellulaire les plus efficaces mettant l’immortalité à leur portée, et étant en mesure de renouveler régulièrement leur cheptel, ils disposaient ainsi d’une véritable utopie sexuelle hors du temps, une retraite idéale dont le Divin Marquis lui-même n’eut pas osé rêver.

Plus précisément, ils décidèrent d’installer la station dans l’hémisphère nord, à l’est du plateau d’Ishtar Terra, sur les contreforts du mont Maxwell, préférant la symbolique sumérienne du mariage sacré d’Inanna à la redondance du plateau équatorial d’Aphrodite Terra. Ben oui.

Restait à nommer la station. On proposa bien entendu Silling (et Richard, bêtement, Sodome), mais Michel eut une autre suggestion : Anadyomène. Le communiquant sut trouver les mots pour convaincre, jouant tant sur l’image de la déesse-planète jaillissant au milieu des flots de merde, de sperme et de sang, que sur la fameuse rime de Rimbaud : la station se devait d’être « belle hideusement d’un ulcère à l’anus ». Ça a plu.

 

Bon, évidemment, dans ces conditions, il a fallu procéder à quelques adaptations. Si le règlement draconien de Silling a été repris à peu près mot pour mot, les patrons s’étaient déjà entendus pour se libérer de la structure progressive en quatre étapes : vous voyez un type comme Richard patienter 20 ans pour fourrer sa prochaine collégienne ? Même pas la peine d’y penser. Alors ils ont décidé d’adopter un plan sur dix jours terrestres, procédant par accumulation, et renouvelé 2916 fois :

1er jour : purs spectacles, sans attouchements ; l’onanisme est autorisé d’office, néanmoins, de même que le masochisme solitaire.

2ème jour : scatophilie, urophilie, etc. Il fut décidé d’un commun accord que ça serait plus amusant en apesanteur. Le Justine resta en orbite autour de Vénus à cet effet.

3ème jour : masturbations collectives, etc. Ah, et zoophilie, aussi.

4ème jour : fellations, etc.

5ème jour : pénétration vaginale (y compris pour le Général, qui a pris sur lui ; mais j’y reviendrai).

6ème jour : pénétration anale.

7ème jour : pratiques sadiques n’entraînant pas de véritables séquelles.

8ème jour : pratiques sadiques entraînant des blessures légères.

9ème jour : pratiques sadiques entraînant des blessures graves (amputation, énucléation, émasculation, etc.).

10ème jour : pratiques sadiques entraînant la mort.

Il va de soi que le dixième jour était celui où siégeait le Tribunal. Ce rythme accéléré impliquait en outre de renouveler régulièrement le cheptel. Il fut donc décidé que les quatre régiments seraient intégralement dissous et remplacés tous les cent jours terrestres, aux bons soins des agents des libertins à travers le système. Le centième jour, après l’arrivée du cargo de « renforts », tout le monde se rendrait donc sur le Justine pour une gigantesque orgie s’achevant inévitablement dans un bain de sang.

Par ailleurs, en dépit des protestations (inévitables) de Michel, il fut décidé que l’on se passerait des dissertations philosophiques entrecoupant nécessairement les expériences sexuelles, afin de s’en tenir à l’essentiel. Mais on choisit tout de même d’avoir recours aux conteuses sadiennes, chargées de divertir par leurs récits les libertins exténués et de veiller à la conduite du cheptel : on choisit à cet effet trois « duègnes », des Françaises, ramassées non pas dans des bordels mais dans les rédactions des principaux webmagazines féminins de Paris, et un garde-chiourme pour les éphèbes du Général (un séminariste espagnol ; finalement, il y eut donc bien un religieux sur Anadyomène). Ceux-là, de même que les fouteurs et les divers domestiques (cuisiniers, médecins, pilotes, etc.), bénéficiaient également du Traitement. En principe.

Une dernière précision sur le calendrier : comme je l’ai déjà dit, il procédait par accumulation. Euh… prenons par exemple le cinquième jour : les libertins pouvaient monter des spectacles, branler et se branler, sucer et se faire sucer, accéder au Justine, etc., jusqu’à la pénétration vaginale incluse, la « nouveauté » du jour. Mais les activités des jours suivants leur étaient interdites, et entraînaient des châtiments (de type 7 et 8 uniquement, bien entendu). Dans l’ensemble, ils se plièrent volontiers à cette règle pimentant le jeu, même si Richard (évidemment…) eut un peu de mal, mais j’y reviendrai. Le problème, cependant, est que ce calendrier était largement hétérosexuel. Trois des convives étaient en effet essentiellement hétéro, mais le dernier était « purement » homo, et les cheptels avaient été constitués en conséquence : trois régiments féminins, et un masculin (et non un vaste troupeau mixte, comme dans le bouquin). Néanmoins, il y avait les fouteurs. Il fut donc décidé que l’orientation sexuelle n’influerait pas sur le calendrier, chacun des libertins pouvant adopter alternativement ou (et ce fut ce qui arriva très vite) en même temps une sexualité hétéro et/ou homo. Le Général y compris. C’était évidemment le cinquième jour qui posait problème, dans son cas : mais, en échange d’une priorité dans l’usage des fouteurs, le Général valida le règlement, et, à l’occasion, il fut bien amené à baiser des femmes, pour la forme.

 

Le premier jour, on a tout d’abord procédé aux cérémonies de mariage. Dieter a épousé Kate, la fille de Richard ; 15 ans, métisse nippo-anglaise, assez jolie, complètement conne ; avec un père pareil, tu m’étonnes… Richard, lui, a épousé la fille de Michel, Pauline ; une fille superbe, étrangement à l’opposé de son gras du bide de père ; limite anorexique, en fait : à voir ses poignets, on aurait cru une Palestinienne tout juste libérée d’un camp de concentration ; mais très jolie : 16 ans, beaux yeux verts, belle rousse à bouclettes très miam, avec des petits seins bien fermes ; elle tirait la gueule, par contre : là encore, tu m’étonnes… Mais bon, en dehors de la lune de miel, on pouvait se douter que Campbell ne la malmènerait pas trop, il avait des préférences bien établies. Wu avait adopté une fille pour l’occasion ; destinée à Michel, donc bien grasse : Peï, Chinoise velue suintante, 32 ans, répugnante. Quant à Wu, ben, il a épousé le fils de Dieter, Hans : 14 ans, grand blond assez barraque ; il allait prendre cher, celui-là.

L’après-midi, visite guidée (par Michel, bien sûr) d’Anadyomène. On est parti de la grande salle, là où auraient lieu la plupart des réjouissances. Décor baroque cliché au possible, saturé de dorures et de tapisseries, des coussins partout, une estrade centrale pour les conteuses. Depuis la salle, on accédait aux quatre alcôves des libertins, que chacun avait décoré à sa manière : Richard avec ses putains de posters holo extraits d’hentai ou figurant des starlettes d’une antique j-pop, Wu avec des estampes et une fausse cheminée, Michel façon salle de torture médiévale (re-tu m’étonnes), Dieter sobre et classe, blanc-gris, rien qui dépasse.

Après, on est passés dans la médiathèque, en fait aussi grande que la « grande » salle. Même si Anadyomène avait pour but de retourner aux vraies sensations, on y trouvait des trésors impressionnants, en guise de stimulants et d’inspirations, disons : une collection exhaustive ou presque de littérature et de bande-dessinée érotique et pornographique, avec quelques merveilles dans le tas ; tout Sade notamment, bien sûr, avec une belle collec’ de manuscrits originaux, dont celui des 120 Journées de Sodome, sous forme de bande minuscule, déroulée dans un grand panneau mural. Des films, aussi ; des vieux, des holos, des RealPorn™… En fait, seul le catalogue informatisé était cette fois directement accessible, à cause de la masse des documents disponibles ; mais il y avait tout un assortiment de robots pour aller chercher dans les réserves ce qu’on désirait. Côté musique, plein de choses simplement connotées, mais aussi une palanquée d’enregistrements de Sex Muzak™, cette variante de la musique concrète qui avait eu tant de succès auprès des « pervers socialement corrects » du milieu du XXIe ; beaucoup de merde dans le tas, mais quelques trucs intéressants, aussi. Et enfin des jeux vidéos et autres programmes divers et variés, dont bien sûr les créations RV ésotériques de Campbell, qui ont beaucoup fait pour sa fortune, toute la série des Gonzo™ : le GonzoGonzo™ de base, et tous les modules, BabyGonzo™, BoboGonzo™, BozoGonzo™ (dingue le nombre de types qui fantasment sur les clowns), BuboGonzo™, GarboGonzo™, GoboGonzo™, GozzoGonzo™ (très imaginatif, celui-là, impressionnant), HoboGonzo™, HomoGonzo™, HypnoGonzo™, JesuGonzo™, MaoGonzo™ (spécial Wu, celui-là), MasoGonzo™, MondoGonzo™, NaziGonzo™, NegroGonzo™, PedoGonzo™, SadoGonzo™, ScatoGonzo™, ZooGonzo™, j’en passe et des meilleurs… dont DomsoGonzo™, qu’est-ce que vous croyez !

 

Ah ouais, mais c’est vrai, je me suis pas présenté. Enfin, faut dire, je sais pas si c’est nécessaire. Quelque part, on doit être intimes ; en fait, y a même beaucoup de chances pour que je vous ai déjà fait le cul. C’est que j’en ai pété, des culs, des milliers, des millions, même. On a dit de moi que j’étais la plus grande star du porno depuis que le porno existait ; enfin, la plus grande star masculine, en tout cas, ça relativise.

Bon, donc, Vincent Domso. Ouais, c’est un nom de merde, mais c’est pas moi qui l’ai choisi. Dans l’industrie du porno, on a toujours fait preuve d’un goût douteux pour les jeux de mots les plus pathétiques, c’est pas moi qui vais vous l’apprendre. À l’origine, j’étais juste Vincent Laffont. Un paumé comme y’en a plein, trop pauvre pour étudier, trop noir pour bosser. C’est pour ça que j’ai commencé à me vendre, bien sûr. J’en étais pas spécialement fier, mais j’avais pas le choix. Et les bourgeoises et les bourgeois payaient bien, ça leur plaisait bien, de se faire un bamboula ; à l’époque, ça avait quelque chose d’un peu pervers, mais juste un peu. C’est comme ça qu’après quelques années je me suis mis au porno. On m’avait filé des contacts, j’étais plutôt beau gosse, barraque et bien membré. Vu qu’on me demandait jamais que d’être une bite sur pattes, le reste n’avait aucune espèce d’importance. Au début, j’étais juste dans des machins amateurs anonymes, vous savez, une chambre ou une piscine, et vas-y, fourre. Oral, vaginal, anal, éjac’ faciale. Répétitif.

Je ne comptais déjà plus mes scènes quand Campbell m’a repéré ; et ça, ça a été ma chance ; parce que du coup, j’ai été le premier fouteur RealPorn™. Et ça a été le début de la gloire. Tout à coup, je n’étais plus une bite entrevue en gros plan, mais Vincent Domso, le grand Vinz’, le gode ultime, l’amant idéal, toujours au top, le colosse noir interactif, tantôt soumis comme un esclave, tantôt dominateur ; doux et tendre ou violent et brutal, selon les programmes : à vous de choisir. Vous êtes Domso, ou vous vous faites baiser par Domso : c’est vous qui voyez, vous pouvez même changer de sexe. J’étais la star masculine des trois premiers RealPorn™ : le romantique Pour vous, Mesdames, le soumis en costume Je t’appartiens, le brutal Domso t’encule. Les trois ont envahi les foyers du monde entier en même temps, et rencontré un immense succès ; c’était plus le cybersexe à la papa, là, avec les combinaisons inconfortables et les sensations que seul un puceau ou un nostalgique pouvait comparer à la baise. Non, là, d’un seul coup, c’était du vrai sexe. C’est comme ça que je me suis fait le monde : les femmes au foyer délaissées, les gamines rêveuses, les homos refoulés, les assumés en manque, tous, tous, tous ; et, bien sûr, y en a eu plein pour me défoncer le cul par procuration, pour me fouetter, me battre, me tuer, même. Mais moi, je m’en portais pas plus mal, j’avais de la thune, je faisais des plateaux holoTV… Pouvais pas me plaindre. Ça a continué comme ça une dizaine d’années, avec une trentaine de titres par an. Vers la fin, je faisais même dans le « prestige », voire dans le « vrai cinéma », mais bon, ça n’a pas vraiment marché. La relève était là et, si j’avais participé aux premiers Gonzo™ qui ont sonné le glas du boulard traditionnel, si j’en avais même un à mon nom, le public a ensuite voulu passer à autre chose.

Alors, quand Dieter m’a contacté pour servir de fouteur sur Anadyomène, je n’avais pas grand chose à perdre. Et puis, après tout, on me proposait de faire ce pour quoi j’étais le meilleur… la seule chose que je savais faire…

 

… J’en étais où, là ? Ah, ouais, la visite.

Bon, honnêtement, j’ai aucune envie de vous faire le détail des installations, et j’imagine que Michel, de son côté, s’en occupera très bien. Je vais en rester au plus intéressant. Et après la grande salle et la médiathèque, ça veut dire le Justine. Un vaisseau comme un autre, en apparence. Mais sa particularité, c’était d’avoir sa propre « grande salle », totalement hermétique et coupée du reste du vaisseau, spécifiquement prévue pour des orgies en apesanteur. Évidemment, dès le deuxième jour, les libertins s’en sont donnés à cœur joie, flottant hilares au milieu des sphères de pisse et de sperme agitées de vaguelettes, et des étrons mousseux résultant d’une alimentation spécialement étudiée.

Mais ce ne fut qu’au terme du premier cycle que le Justine fut véritablement étrenné. Sur les instructions de Michel, Richard avait concocté des bonbons anisés à base de poudre de cantharide : il s’agissait de faire une variante outrancière et en apesanteur de l’affaire de Marseille. Certaines de ces gélules, d’un coloris rouge, étaient destinées aux libertins, à leurs conjoints et aux fouteurs ; faiblement dosées, elles n’avaient qu’un léger effet aphrodisiaque. Mais les autres, les noires, destinées aux régiments à éliminer, étaient volontairement surdosées. Les effets ne tardèrent pas à se manifester : tous furent pris d’affreuses douleurs abdominales et de vomissements, certains émettant des urines sanglantes ; les gitons de Wu étaient atteints d’un priapisme pathologique et douloureux, l’urètre irrité et le gland gonflé. L’orgie ne fut qu’une longue suite de hurlements et de pleurs. Puis certains commencèrent à mourir de la surdose. Ceux-là avaient de la chance : les survivants se virent appliquer sur l’ensemble du corps des reliquats de la poudre de cantharide qui leur brûlèrent la peau et les yeux dans une constellation d’ampoules. Après quoi les cadavres furent évacués dans l’espace, « nouveaux satellites morbides de la cruelle Vénus » (c’est de Michel, hein).

 

C’est alors que, Pauline et moi, on a baisé pour la première fois. Je l’avais remarquée qui me zyeutait, pendant l’orgie ; délaissée par son crétin de mari qui s’amusait à pénétrer par à-coups les sphères de pisse sanguinolente et les plaques de vomi semi-liquide, tout en pétrissant le cul de sa fille, occupée à déféquer sur Michel, qui se faisait sucer par Wu, etc. , etc. Moi, j’enculais une gamine du régiment de Dieter, alors qu’il lui entaillait les seins à chaque gémissement ; elle gémissait beaucoup. Je niquais professionnellement, sans y prendre le moindre plaisir, mes yeux vagabondant à travers le délire qui m’entourait. Et puis je me suis fixé sur Pauline, qui me regardait, les yeux pétillants, voltigeant près du plafond. Elle se caressa les lèvres de l’index, mima un « chut » complice, puis entreprit de se masturber, sans me quitter des yeux, miaulant doucement son plaisir solitaire. Elle plongea soudain dans ma direction et me dégagea de la gamine (Dieter ne tarda pas à prendre le relais, jouissant dans son cul tout en lui enfonçant les yeux dans leurs orbites sanglantes).

Pauline me repoussa contre une paroi, passa ses mains sur mon torse ruisselant, puis descendit lentement sur mon sexe, qu’elle branla avec tendresse. Ce n’était déjà plus la même chose ; à l’instant où ses doigts frôlèrent ma queue, un plaisir comme je n’en avais pas ressenti depuis des années m’envahit. Dans un réflexe, je l’incitais à me masturber plus frénétiquement, dévoré par le désir, mais elle m’immobilisait et continuait avec une lenteur infinie et délicieuse. Puis elle me prit délicatement dans sa bouche, sa langue parcourant mon gland, agitée de mouvements subtils. Quand elle m’engloutit enfin, je faillis jouir illico. Mais elle se retira aussitôt dans un sourire, et comprima fermement mon sexe à la base du gland. Une douleur mêlée de plaisir me paralysa pendant quelques secondes qui me parurent des siècles.

Sans desserrer son emprise, elle remonta lentement contre mon torse, qu’elle excita de la pointe sensible de ses petits seins. Elle évita tout d’abord mes brutales tentatives de baisers, se contentant de me caresser les joues de ses boucles rousses. Ses cuisses étonnement galbées montaient et descendaient contre mes reins, tandis qu’elle frottait mon gland encore douloureux contre son pubis. Je parcourais son corps si délicat, si frêle, de mes mains qui ne m’avaient jamais paru aussi grossières, me délectant de ses discrets gémissements, du contact infime de nos poitrines, du parfum entêtant de sa crinière qui ondoyait sous mes yeux. Nos lèvres s’unirent enfin dans un mouvement synchrone d’une infinie lenteur, d’une infinie douceur. D’une soudaine impulsion contre la paroi, elle se rehaussa quelque peu, puis redescendit lentement sur ma queue. Je la pénétrai comme dans un rêve, et m’abandonnai à ses volontés, au langoureux frémissement de ses hanches. De ses doigts arachnéens, elle guida mes mains sur sa poitrine menue, sur sa taille de guêpe, sur ses fesses fermes et autoritaires. Elle se cabra dans un ralenti effarant, les yeux clos et les lèvres fines plissées par la jouissance, et saisit mon crane chauve qu’elle ramena contre ses seins. Nous accélérâmes indiciblement nos délicats va-et-vient, et ses gémissements se firent plus sonores, plus exigeants, plus voraces, jusqu’à éclater, terribles, dans une extase commune, une jouissance dévastatrice, un râle blanc.

Pauline…

C’était la première fois. Certainement pas la dernière. On a remis ça dès qu’on a pu, variant les expériences, et c’était toujours neuf, toujours beau, toujours fort. Putain, pour un peu, j’aurais presque cru que c’était l’amour.

 

Mais bon, y’avait Richard. Et ce con foutait le bordel. Il était incapable de jouer le jeu, de se plier aux règles savamment élaborées par Michel, sans parler de l’atmosphère souhaitée par les trois autres libertins. Chaque jour, il fallait qu’il fasse une connerie : déjà, il tenait à fourrer tous les jours, obligé ; on pouvait user de toutes les sanctions à son encontre, rien à faire, la zigounette à monsieur réclamait sa dose de pilou-pilou.

Et puis des trucs plus gênants : un J3, BLAM ! il explose une de ses putes d’une charge dans le vagin (« Juste pour voir… ») ; une autre fois, on l’a retrouvé, le lendemain de l’arrivée des « renforts » (!), avec déjà six cadavres dans son alcôve – il les avait tuées au gode-perceuse.

Invariablement, son « régiment » ne tenait pas jusqu’au bout. Alors il demandait des « prêts » ; quand c’était pour une petite baise, comme ça, en passant, les autres n’y voyaient pas d’inconvénients, bien sûr… de toute façon, on n’avait jamais été trop regardant à cet égard. Mais quand Richard commença à leur rendre des macchabées en parlant de les « rembourser » plus tard, ils finirent par considérer que trop, c’était trop, et que, décidément, ils avaient misé sur le mauvais cheval.

 

Un soir, après l’orgie, Dieter vint me trouver dans la salle de repos des fouteurs. Visage de marbre, yeux froids et perçants. Il me fixa un moment, s’approcha de moi lentement, me saisit par l’épaule, et, dans un murmure, au creux de mon oreille :

— Vincent. Choisis trois de mes hommes. De confiance. Puis rejoins-moi à mon bureau. » Il raffermit sa prise. « Discrètement. »

Une caresse, une tape amicale, et il s’en alla.

J’étais pour le moins perplexe. Jamais auparavant Dieter ne s’était comporté de la sorte. Oh, il n’était pas rare qu’un libertin vienne réclamer les services d’un ou de plusieurs fouteurs, mais pourquoi faire tant de mystères ? Ce n’était pas dans les habitudes du bonhomme. Mais j’avais l’obéissance dans le sang. J’attendis quelques instants, puis fis part de ces instructions à trois types que je savais fiables et discrets – leurs noms importent peu.

Nous nous rendîmes dans le bureau de Dieter à travers les couloirs déserts d’Anadyomène. Quand j’ouvris la porte, surprise : Dieter était en compagnie de Michel et de Wu. Il nous fit signe d’entrer et de fermer la porte derrière nous. Tandis que les libertins, en peignoir de soie, sirotaient une liqueur, nous nous mîmes spontanément au garde-à-vous. Et, comme par hasard, ce fut Wu qui prit la parole :

— Messieurs, nous avons un problème. Un grave problème.

Il nous expliqua, sans couper les cheveux en quatre, qu’ils en avaient plein le cul de Campbell, et qu’ils avaient décidé de s’en débarrasser. Tout simplement. Nous, on devait s’emparer du gazier, discretos, l’embarquer à bord de la navette, nous rendre dans le Justine, et participer à son « juste châtiment ».

Campbell lui-même avait installé dans Anadyomène un système de caméras qui nous permit de surveiller sa chambre, et d’attendre le moment adéquat pour nous y pointer. Ce gros con ronflait la bave aux lèvres, affalé sur son pieux, tandis que Pauline, encore éveillée, était affalée dans un coin de la pièce. Je lui fis « chut » de la main, et elle me regarda, l’air étonnée, mais sans moufter. Tous les quatre, nous nous installâmes autour du lit. Puis, au top, chacun s’empara, qui d’un bras, qui d’une jambe. Campbell se réveilla aussitôt. Et – on peut lui reconnaître ça – il comprit très vite ce qui lui arrivait. «  NON ! NON ! NON, ARRÊTEZ, LES MECS, DÉCONNEZ PAS, ARRÊTEZ, JE FERAI TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, ARRÊTEZ, PROMIS, ARRÊTEZ, JE FERAI TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, JE FERAI PLUS DE CONNERIES, ARRÊTEZ, MERDE, JE ME TIENDRAI À CARREAU OH MERDE PUTAIN NON FAITES PAS ÇA LES GARS NON FAITES PAS ÇA JE VOUS EN PRIE ARRÊTEZ JE VOUS JURE… »

Ad nauseam. Tout le temps qu’on trimballait ce gros con dans les couloirs jusqu’à la navette. Il se débattait, se tortillait comme une véritable anguille, mais rien à faire : nous quatre, on était plutôt du genre colosses, et on tenait bien notre bestiau. Qui n’avait de toute façon nulle part où aller.

Et puis il y avait Pauline. Elle a eu un temps de retard, puis s’est mise à nous suivre, une couverture sur les épaules ; elle s’est précipitée à mes côtés, et n’a cessé dès lors de me harceler de questions : « Où est-ce que vous l’emmenez ? Vincent ? Vincent, s’il te plait, dis-moi ! Où est-ce que vous l’emmenez ? Qu’est-ce que vous allez lui faire ? Je… Je peux venir ? Je peux venir avec vous ? Je peux le faire souffrir ce gros fils de PUTE ? S’il te plait ! Laissez-moi venir avec vous ! Où est-ce que vous l’emmenez ? Je veux venir avec vous, je veux voir crever ce gros PORC, cette MERDE, cette RACLURE ! » Elle ne s’interrompait que pour lui cracher à la gueule.

J’en avais plein les oreilles, putain.

Dieter, Michel et Wu nous attendaient, stoïques, devant la passerelle de la navette. Ils nous firent signe d’embarquer Campbell, ce que nous fîmes promptement et sans ménagement. Pauline se tourna alors vers eux, se jetant successivement dans les bras de chacun, mais elle se vit refuser l’accès à bord. « C’est une affaire d’hommes », finit par lui dire son père d’un air d’autorité qui ne lui allait guère. Elle lui jeta un œil noir, mais ne dit rien, et s’en retourna. Les trois libertins prirent place à bord du vaisseau, aux côtés de Campbell hurlant, maintenu de force dans ses sangles, et nous décollâmes pour l’orbite de Vénus, tandis que Wu donnait par radio des instructions pour maîtriser les hommes de Campbell, juste au cas où.

Ce dernier hurlait toujours de plus belle lors du rendez-vous avec le Justine. Et il n’en avait pas fini. Ses trois comparses lui avaient mitonné un joyeux programme ; ils prirent cependant la peine de le bâillonner, le temps de lui lire rapidement les motifs de sa condamnation et la sentence de mort qui s’ensuivait (ce fut bien entendu Michel qui s’en chargea), mais voulurent par la suite se délecter de ses cris de terreur et de souffrance mêlées.

Cela commença gentiment par un viol collectif, chaque fouteur et chaque libertin y passant tour à tour. Il s’agissait plus, dans les circonstances, d’une humiliation que d’autre chose ; d’ailleurs, ils ne tardèrent pas à lui chier dessus pour conclure cette première étape du supplice. Wu marqua ensuite Campbell au fer rouge, puis Michel le fouetta sur le cul, en le sodomisant à nouveau pour la peine, avant de le fouetter sur les jambes puis sur le torse ; Dieter se mit alors à inciser la victime avec un scalpel, et lui « agrandit » ainsi l’anus et la bouche.

Ils laissèrent alors retomber Campbell pantelant, sanglotant, le bâillonnèrent à nouveau, et Michel reprit la parole :

— Nous venons de nous livrer sur ta personne à une petite adaptation de la première étape du supplice dit « de l’enfer », qui conclut les récits de la quatrième partie des Cent Vingt Journées de Sodome. Las, ce supplice particulièrement raffiné exige normalement la, hum, « participation » de quinze victimes… et tu es seul. Nous avons hésité. Pour l’étape suivante, nous aurions pu inventer nous-mêmes un supplice, bien sûr ; ou tirer au sort une des propositions du Divin Marquis… mais il nous a semblé, en définitive, que le plus judicieux était encore de te laisser choisir. » Il chaussa ses lunettes, et s’empara d’un exemplaire du célèbre ouvrage, qui ne le quittait jamais ; il retrouva presque instantanément la page voulue, s’éclaircit la voix, et entama la lecture :

«  Le premier supplice est une roue sur laquelle est la fille – c’est de toi qu’il s’agit, Richard –, et qui tourne sans cesse en effleurant un cercle garni de lames de rasoir où la malheureuse s’égratigne et se coupe en tous les sens à chaque tour ; mais comme elle n’est qu’effleurée, elle tourne au moins deux heures avant que de mourir.

« Le 2. La fille est couchée à deux pouces d’une plaque rouge qui la fond lentement.

« 3. Elle est fixée par le croupion sur une pièce de fer brûlant, et chacun de ses membres contourné dans une dislocation épouvantable.

« 4. Les quatre membres attachés à quatre ressorts qui s’éloignent peu à peu et les tiraillent lentement, jusqu’à ce qu’enfin ils se détachent et que le tronc tombe dans un brasier.

« 5. Une cloche de fer rouge lui sert de bonnet sans appuyer, de manière que sa cervelle fond lentement et que sa tête grille en détail.

« 6. Elle est dans une cuve d’huile bouillante enchaînée.

« 7. Exposée droite à une machine qui lui lance six fois par minute un trait piquant dans le corps, et toujours à une place nouvelle ; la machine ne s’arrête que quand elle en est couverte. Quelle imagination, mes amis ! Concevoir ceci, à la veille de la Révolution ? Quel génie !

« 8. Les pieds dans une fournaise ; et une masse de plomb sur sa tête l’abaisse peu à peu, à mesure qu’elle se brûle.

« 9. Son bourreau la pique à tout instant avec un fer rouge ; elle est liée devant lui ; il blesse ainsi peu à peu tout le corps en détail. Moui, classique…

« 10. Elle est enchaînée sous un pilier à un globe de verre, et vingt serpents affamés la dévorent en détail toute vive.

« 11. Elle est pendue par une main avec deux boulets de canon aux pieds ; si elle tombe, c’est dans une fournaise.

« 12. Elle est empalée par la bouche, les pieds en l’air ; un déluge de flammèches ardentes lui tombe à tout instant sur le corps.

« 13. Ah, j’aime beaucoup celui-ci : Les nerfs retirés du corps et liés à des cordons qui les allongent ; et, pendant ce temps-là, on les larde avec des pointes de fer brûlantes.

« 14. Tour à tour tenaillée et fouettée sur le con – on s’arrangera – et le cul avec des martinets de fer à molettes d’acier rouge, et, de temps en temps, égratignée avec des ongles de fer ardents.

« Et enfin 15. Elle est empoisonnée d’une drogue qui lui brûle et lui déchire les entrailles, qui lui donne des convulsions épouvantables, lui fait pousser des hurlements affreux, et ne doit la faire mourir que la dernière ; ce supplice est un des plus terribles. Comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences, hein, Richard », conclut Michel en refermant d’un coup sec son Sade.

— Quant à la suite, elle ne concerne que nous », glissa Wu.

— Fais ton choix », ajouta Dieter, d’un air étrangement compatissant. « Tu as tout le temps du retour sur Anadyomène pour cela. Mais attention, Richard, choisis, et choisis bien : si, une fois là-bas, tu ne nous donnes pas de réponse, tu tâteras tour à tour des quinze supplices. »

Michel se pencha sur la masse informe et gémissante de l’informaticien, lui donna son exemplaire de Sade ouvert à la bonne page, lui ébouriffa les cheveux et retourna s’asseoir avec les autres.

De retour sur Anadyomène, Campbell, qui n’avait cessé de sangloter et de demander grâce, n’avait pu se résoudre à choisir.

Sa mort a été constatée par les médecins au treizième supplice. Les libertins jouirent tour à tour dans le cadavre ruisselant de sang, mutilé, brûlé… On n’y reconnaissait presque plus rien d’humain.

 

Il fallait qu’ils soient quatre.

Michel n’en démordait pas. Le problème restait donc posé.

Que faire ? Interrompre les festivités, retourner sur Terre, recommencer l’interminable quête d’un quatrième partenaire idéal ? Pour les libertins, c’était devenu impensable. Même Michel concédait ce point. On en était donc à une véritable impasse.

Le lendemain, l’ambiance était pour le moins morose dans la station. Les duègnes ne parvenaient pas à distraire les libertins, qui n’avaient pas non plus la tête à baiser. Le débat reprenait ; quand j’arrivais dans la grande salle, ils en étaient là :

— La religion ? Manuel ?

— Vous n’y pensez pas ! C’est un garde-chiourmes, rien d’autre !

— Quoi, alors ?

— Le cul.

— Le cul, oui, mais qui, comment, pourquoi ?

— …

Leurs regards se posèrent sur moi.

Merde.

Ce fut Wu qui le suggéra le premier :

— Domso.

— Domso ? » Michel.

— Domso… » Dieter.

— Domso ! Mais... mais il n’est pas de notre classe ! », lança Michel, visiblement tétanisé à l’idée que je puisse devenir son égal.

— Certes », concéda Dieter. « Mais tu avoueras qu’en fait de prince du cul, on trouveras difficilement mieux que notre cher Vincent Domso. Domso… oui, l’idée me paraît intéressante… Qu’en penses-tu, Vincent ? »

Merde.

Merde merde merde.

— Eh bien, monsieur… euh… messieurs… c’est-à-dire que… c’est un honneur, et… mais… je ne suis pas certain de… monsieur Debruijn a sans doute raison et…

— Ah !

— Je ne reconnais pas là le grand Vincent Domso », dit Wu.

Je baissais la tête, l’air coupable et affligé. Mais Wu reprit la parole :

— Mais je sais que le grand Vincent Domso est là, quelque part. Et ces questions de classe sociale ne sont d’aucune importance à mes yeux.

Merde.

Dieter prit à son tour la parole :

— Je suis d’accord avec le général. Pour être un homme d’argent, je n’en suis pas moins un homme qui s’est fait tout seul. Je sais reconnaître le talent où il se trouve. Nous cherchons un fouteur de talent ; Vincent Domso est le plus grand fouteur de tous les temps.

Michel ne put rien rétorquer : Dieter avait parlé. Tous trois se tournèrent à nouveau vers moi. Je sentis qu’ils attendaient de moi une réponse :

— Eh bien… messieurs… si telle est votre volonté… Je ne peux que m’incliner, mais… euh… j’ai tellement longtemps été confiné dans les rôles d’exécutant que je ne sais trop si la, euh, la prise de décision, eh bien… euh…

— Cela s’apprend, cher ami », me dit Dieter dans un grand sourire. « Et je crois que quelqu’un qui vous est cher pourrait à cet égard vous être d’un grand secours. »

Je le regardai d’un air éberlué. Il éclata de rire :

— Vous croyez sérieusement que nous n’avons pas remarqué votre petit jeu ? Il faut vous marier, mon ami ! Et votre très chère Pauline – il me fit un clin d’œil – est, eh bien, « disponible » depuis peu.

Il se tourna vers Michel.

— Et je sais de source sûre qu’il s’agit là d’une jeune fille intelligente et sans scrupules, parfaitement adaptée à votre situation.

Et, à moi :

— Sans compter qu’elle baise bien.

— Divinement, monsieur.

Michel s’interrogea :

— Mais… en fait de Domso… ne cherchez-vous pas à remplacer Richard par… par une sorte de… de « dyarchie », ce qui nous ferait cinq libertins au lieu de quatre ?

Et Wu :

— Je suis pour Domso. Mais n’est-ce pas là confier un rôle trop important à… une femme ? », dit-il d’un air dégoûté.

Dieter les foudroya du regard :

— Domso nous rejoint. Il épouse Pauline. Nous sommes quatre. L’affaire est réglée.

Et, effectivement, c’est ainsi que l’affaire fut réglée, et que votre serviteur prit place aux côtés de Dieter, Michel et Wu parmi les seigneurs d’Anadyomène.

 

Au début, ça m’a fait vraiment bizarre : commander les « régiments », choisir, prendre des initiatives, tout faire selon mon bon plaisir, et non plus selon les ordres d’un réal ou d’un patron… Non, franchement bizarre. Perturbant. Un peu effrayant, aussi. Tout d’abord, on ne peut pas dire que j’y ai vraiment pris du plaisir. Et puis c’est venu, petit à petit.

Grâce à Pauline, essentiellement. Elle était toujours là pour moi. Pour me guider, m’aider ; pas me donner des ordres, ni choisir à ma place, mais juste… je sais pas. Qu’elle soit là, ça changeait tout. Et puis, elle, au moins, elle avait de l’imagination. Moi, ça a jamais été trop mon truc ; mais alors elle… une vraie littéraire, pas comme son imposteur de paternel.

Je me souviens encore de la nuit de noces. Une pure nuit de jouissance ininterrompue. C’est con, hein, à la base, ça aurait dû être une nuit comme les autres, mais… Déjà, y avait… Vous savez… On était juste tous les deux, dans l’alcôve. Personne autour. Pas un bruit. Rien que nous deux, comme deux amoureux, ou deux amants qui prétendent l’être. Dans une lueur bleutée, très douce, diffuse. Et elle, très tendre… si tendre…

Vous savez, j’en n’ai jamais vraiment eu l’habitude, moi, de la tendresse. Dans le porno, c’est pas exactement ça qu’on est censé vendre au client. Et avec les autres meufs, déformation professionnelle oblige… pis c’était ce qu’elles attendaient du grand Vinz, de toute façon. Là… putain, là, c’était autre chose.

Déjà, tout le prélude. Ce qu’on zappe dans les films. Là, c’était long, si long. Et doux… de légères caresses, presque timides – il y a du jeu de rôle dans tout ça –, les lents mouvements des jambes, les cheveux qui s’égayent sur les poitrines, couvertes de baisers. Une mamelle saisie délicatement, la main redescendant lentement le long des hanches, tandis que la bouche vient se poser contre l’aréole, effleurée de la langue. Les gouttes de sueur qui perlent à la gorge, saisies au passage pour un tendre baiser dans le cou. Les soupirs, les gémissements, qui se perdent dans la nuit, qui se chuchotent à l’oreille, qui se murmurent comme autant de secrets. Et puis, peu à peu, les mouvements de l’amour qui se font synchrones, les mains qui s’égarent entre les cuisses, les caresses intimes, les délicieux frissons ; ses doigts qui viennent se poser sur mon sexe, délicatement, le frôlant à peine ; mes doigts qui taquinent s

on entrejambe déjà humide, s’aventurent en elle dans un spasme. Les jeux se prolongent, dans une jouissance subtile que je n’avais jamais fait qu’entrevoir. Elle est si belle, les yeux mi-clos et brillants, un sourire enfantin plaqué aux lèvres…

 

Au bout d’un moment, elle se met à m’embrasser le torse, puis redescend contre mon pénis, qu’elle engloutit voracement de sa bouche aux lèvres finement dessinées. Elle se retourne, et m’offre son sexe ; je m’empare de ses fesses délicieuses, et lape avidement. C’est si bon… Tous deux, régulièrement, nous devons nous interrompre, tant la jouissance est forte.

Puis elle se retire et, n’y tenant plus, autoritaire, elle m’enfourche, m’enserrant de ses cuisses, me plaquant contre le lit, sa crinière dansant contre mon front. Je la saisis par les hanches, fragile à briser, et serre de toutes mes forces ; elle se cabre aussitôt dans un cri suraigu. Mes mains remontent contre sa poitrine, pétrissent ses seins superbes, puis s’emparent de sa gorge et serrent à nouveau ; elle se plaque contre moi, remuant des hanches et des fesses dans un crescendo hystérique ; puis elle s’empare de mes mains, les serre à son tour, se redresse, et jouit ; je sens son plaisir dans ses doigts, si fins, qui emprisonnent mes vulgaires pognes de brute.

Nous roulons sur le côté : cette fois, c’est moi qui prend l’initiative. De la main droite, derrière l’épaule, je la plaque contre le lit ; de la gauche, doucement, je redescends le long de ses hanches jusqu’à ses fesses, et m’empare de sa jambe. Je la pénètre tendrement, mon torse allant et venant contre ses merveilleux petits seins. Je la couvre de baisers dans le cou, me régale de ses gémissements et de ses soupirs au creux de mon oreille. Puis je me redresse et la saisis par les hanches, jambes bien écartées ; j’accélère le mouvement ; ses mains cherchent tantôt à m’agripper, tantôt s’emparent des draps dans un râle. Elle jouit à nouveau, et je retombe doucement sur elle.

Je me retire et lui laisse le choix des armes. Elle vient s’accrocher aux barres du lit, et me présente son magnifique petit cul. D’un doigt, elle m’indique son vagin. Je la caresse un instant, puis la pénètre à nouveau. Le finale est plus brutal, mais non moins merveilleux. Nous atteignons l’orgasme en même temps, dans un hurlement simultané à réveiller les morts. Et nous nous effondrons l’un à côté de l’autre. Elle a les nerfs à vif ; je m’amuse à lui souffler dans le cou et le long du dos, ce qui lui provoque d’irrépressibles crises de fous rires.

Ce n’était que le début de la nuit. Je vous épargne la suite. Comme le disait en substance Sade lui-même – dans La Philosophie dans le boudoir, je crois –, au bout d’un moment, l’action devient répétitive… Mais quel bonheur…

 

Les libertins avaient vécu environ une année terrestre avec Richard (quand même !). Avec moi, et grâce au traitement, nous avons poursuivi notre chemin sans problème pendant cinquante-trois ans. Cinquante-trois années de jouissance, de torture et de meurtres, en toute impunité. Comme je vous l’ai déjà dit, au début, ça m’a fait bizarre, mais j’ai fini par y prendre goût.

 

Et puis il y eut la Catastrophe.

Elle a frappé sans prévenir. Aujourd’hui encore, on ne sait pas, au juste, ce qui s’est passé. Simplement, entre deux cargaisons de « renforts », nous avons perdu tout contact avec la Terre.

Nous ne gardions pas le contact en temps normal. À quoi bon ? Comme si la politique ou les catastrophes climatiques pouvaient nous intéresser… Il suffisait bien d’être tenu au courant des avancées technologiques à chaque changement de « régiment », par nos agents à travers le système…

Mais cette fois-ci, il n’y eut pas de « renforts » au centième jour. Ce qui chamboulait tout. On a essayé de contacter nos agents sur Terre, naturellement : rien. Contacter nos autres agents à travers le système était plus délicat, mais nous y parvînmes : ce sont eux qui nous ont appris que toute liaison avec la Terre avait cessé, de manière générale. Des expéditions avaient été envoyées depuis les stations du système, et toutes avaient renvoyé les mêmes rapports : des cadavres, partout. Pas une seule trace de vie humaine, rien. La Terre avait rendu l’âme, pour une raison que nous ignorons toujours. Sans doute un virus très très méchant. On a préféré ne pas vérifier.

Évidemment, pour nous, ça posait quelques problèmes. Dans ces conditions, il était impensable de continuer à procéder comme nous l’avions fait jusqu’alors : les stations du système solaire et les colonies martiennes et des lunes de Jupiter et de Saturne ne permettaient certainement pas de subvenir à nos besoins. Quant aux exoplanètes, elles étaient bien évidemment hors de portée… Alors il fut décidé de garder « intact » le cheptel que nous avions – enfin, ce qui en restait –, de gommer du tableau les pratiques sadiques trop violentes (et a fortiori celles entraînant la mort) et de faire bénéficier tout le monde du traitement, que nous pouvions produire en quantité suffisante pendant une période assez longue.

Très franchement, nos victimes n’y ont pas vraiment gagné au change…

 

Et nous voilà rendus aujourd’hui. Cela fait très exactement 378 années terrestres qu’Anadyomène a ouvert ses portes. Les orgies et les tortures ont continué tout ce temps, sans que jamais personne ne s’en inquiète. L’utopie sexuelle de Dieter, Michel, Wu et ce con de Richard s’est avérée un franc succès au-delà de toute espérance. Nous autres, les libertins d’Anadyomène, faisons partie des derniers rescapés de l’espèce humaine. Belle ironie, non ? Ou peut-être pas. Peut-être y a-t-il une certaine logique derrière tout ça, après tout. Peut-être Anadyomène n’est-elle autre chose qu’une illustration de la prospérité du vice, et du caractère fondamentalement mauvais de la nature humaine… Mais je laisse ça à Michel, je suis sûr qu’il vous en parlera mieux que moi. Ou Pauline. Oui, Pauline, plutôt…

378 ans…

Nous n’avons plus de quoi produire le traitement. Le processus de sénescence va bientôt s’enclencher, et, comme vous le savez sans doute, il est particulièrement brutal quand on a usé et abusé du rajeunissement. D’ici quelques semaines, tous, ici, à ce compte-là, nous ne serions plus que des loques humaines, vieillards cacochymes semi-liquides, infects, répugnants. Cette idée nous est insupportable. Aussi avons-nous décidé d’en finir en beauté.

Ce soir, nous allons liquider le cheptel, comme au bon vieux temps.

Demain, les fouteurs, les duègnes, bref, le personnel.

Après-demain, les époux et épouses.

Pauline…

Et puis ce sera notre tour.

 

Mais nous avons voulu laisser un témoignage. D’où l’enregistrement de ces fichiers. Nous nous sommes dits qu’un jour, peut-être, une expédition en provenance d’une exoplanète retournerait au berceau de l’humanité, et explorerait ses environs ; trouverait enfin Andyomène. Et qu’il serait… instructif de savoir ce qui s’y est passé.

Alors voilà. Vous savez tout. Vous savez ce qui s’est passé dans cette station vénusienne perdue, pendant 378 années, putain, la bonne blague ! Ah !

Et vous savez quoi ?

Je ne regrette rien.

D’ailleurs, j’ai encore une chose à vous dire.

Vous m’entendez ?

ALLEZ TOUS VOUS FAIRE FOUTRE !

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"Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ?", de Karim Berrouka

Publié le par Nébal

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BERROUKA (Karim), Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ?, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2013, 234 p.

 

Il me faut préciser une chose d’emblée : je connais Karim Berrouka, c’est un ami. Ce qui ne va pas exactement me faciliter la tâche. En effet, d’une part, si je dis du bien de ce recueil, vous pourriez suspecter de ma part une certaine dose de partialité ; d’autre part, en dire du mal s’annonce plus compliqué que d’habitude – forcément. Le problème étant encore accentué dans la mesure où je vais être amené à la fois à dire du bien et du mal de Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables… Diantre.

 

Autre précision nécessaire : ce livre n’est pas ce que vous croyez. Le titre débile (Philip K. Dick appréciera ; notons que cette référence SF est d’autant plus malvenue – ou pas, allez savoir – que le recueil est essentiellement composé de nouvelles de fantastique et de fantasy) et la couverture punk semblent a priori capitaliser sur le lourd passif d’ex-Ludwig de Karim Berrouka, et on aurait tôt fait d’en conclure qu’il s’agit là d’une bouffonnerie. À tort : c’est en effet un recueil bipolaire, alternant à chaque nouvelle le jouasse rigolo débile et le pas jouasse à se pendre. Bref : comme on dit dans la perfide Albion, on ne juge pas un livre à sa couverture (et pas davantage à son titre, donc).

 

Mais problème une fois de plus : Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables est ainsi composé de nouvelles écrites sur une longue période, et qui manquent cruellement de cohésion (Karim Berrouka plaide coupable – ou le revendique ? – dans l’interview en fin de volume). J’aurais sans doute pu, du coup, rassembler les nouvelles en deux groupes, jouasse et pas jouasse, mais l’ordre de présentation me paraît plus édifiant, dans un sens.

 

Adonc, « L’Histoire commence à Falloujah » : la guerre en Irak, la mort, une femme, un type bizarre qui se révèle [SPOILER ?] être un djinn. Pour le coup, on commence donc par le pas jouasse du tout. Ce qui n’est certainement pas pour me déplaire. Mais Karim Berrouka en rajoute dans l’emphase, et ose même, le fourbe, y faire de la polésie – horreur glauque. C’est hélas too much en ce qui me concerne…

 

Changement radical d’atmosphère – et il en ira donc ainsi pour chaque alternance – avec « Concerto pour une résurrection » : le narrateur rencontre des stars défuntes de la musique (Jimi Hendrix, Claude François, Sid Vicious…) dans le métro et cela débouche sur une expérience mystico-politico-keupon (mais tout ça, c’est sans doute la même chose). Très rigolo – même si, scandale, Ian Curtis manque à l’appel.

 

« Elle », première des deux nouvelles inédites de ce recueil, est, en dépit des efforts de l’auteur (voir l’interview), un polar fantastico-gore. La structure est intéressante, mais le style est – une fois de plus – un peu lourd. C’est un peu trop cryptique, peut-être, mais correct.

 

Suit « Éclairage sur un mythe urbain : la Dame Blanche dans toute sa confondante réalité », à savoir que la jolie demoiselle fait du pouce ; ce qui nous vaut une galerie de portraits rigolos de débiles profonds vroum vroum. La chute est prévisible, la caricature… caricaturale, mais la plume très appropriée, cette fois. Amusant.

 

Difficile de parler de « Dans la terre » sans spoiler… Aussi vais-je m’abstenir. En tout cas, cette fois, c’est vraiment une réussite ; à n’en pas douter un des meilleurs textes du recueil – et peut-être bien le meilleur, d’ailleurs.

 

Avec « Jack et l’homme au chapeau », Karim Berrouka nous livre sa version de la Psychanalyse des contes de fées. C’est souvent drôle, parfois lourd (les notes de bas de page, en particulier…), et quelques fois les deux ensemble, si ça se trouve.

 

J’y ai en tout cas largement préféré – versant pas jouasse, donc – « Le Siècle des lumières », très chouette fantasy uchronique sur la vengeance et le pardon, absolument bourrée d’idées. On regrettera une fois de plus quelques pains stylistiques, mais c’est bien, très bien même.

 

« De l’art de l’investigation », la seconde nouvelle inédite, est (tiens…) une enquête policière (commentée), qui verse dans le racisme anti-nains (mais sans lancer de nains pour autant) ; la plume est correcte, c’est amusant, mais sans plus.

 

« Le Cirque des ombres » est autrement plus intéressant : une nouvelle bizarre, à la très chouette ambiance ; une fois de plus, et pour les mêmes raisons que « Dans la terre » (les deux nouvelles sont à vrai dire très proches dans l’esprit), je ne peux pas vraiment en parler sans spoiler… Passons, donc. Je noterai juste, au rang des défauts, une pénible scansion, mais on peut allègrement fermer les yeux sur ce travers.

 

Et le recueil de se conclure, donc, sur une « Interview de Karim Berrouka », vraiment très drôle (à vrai dire, c’est même probablement ce que le recueil contient de plus drôle, et du coup y a comme un souci…).

 

Le bilan est donc mitigé. Il y a de bons textes, et d’autres franchement pas terribles… La plume est parfois savoureuse, mais tout aussi souvent lourdingue. Les textes rigolos le sont plus ou moins, les pas rigolos ont une fâcheuse tendance à en faire trop. Ce n’est pas « mauvais », non, clairement pas, mais ce n’est pas inoubliable et indispensable non plus. Désolé, m’sieur Karim, mais je n’ai donc pas été totalement convaincu…

 

Et maintenant je vais me barricader, en cas d’éventuelles représailles d’une horde de punks hystériques.

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"Eloge de l'oisiveté", de Bertrand Russell

Publié le par Nébal

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RUSSELL (Bertrand), Éloge de l’oisiveté, [In Praise Of Idleness], traduit de l’anglais par Michel Parmentier, Paris, Allia, [1932, 2002] 7e éd. 2010, 38 p.

 

Eh oui, après tout récemment  Pourquoi je ne suis pas chrétien, voici un autre (tout petit) essai de Bertrand Russell, sur une question qui m’est chère. Le titre me bottait bien, en effet. À placer de toute évidence à côté du Droit à la paresse de Lafargue (que j’ai lu et relu il y a de cela un bail, puis prêté à un fourbe dont le nom m’échappe, qui ne me l’a jamais rendu ; on ne devrait jamais prêter les livres…), et, à en croire le rabat, d’un certain nombre d’autres petits volumes également alléchants, qu’il faudra que j’essaye de me procurer : Le Paresseux de Samuel Johnson, La Paresse comme vérité effective de l’homme de Kazimir Malevitch, L’Apologie de la paresse de Clément Pansaers, et Une apologie des oisifs de Robert Louis Stevenson.

 

Le fait est que, si je ne suis oisif que par défaut, je suis bel et bien paresseux. Je plaide coupable, puisque c’est là un grand mal à en croire nos bonnes âmes. À droite comme à gauche, on a en effet placé le travail parmi les plus importantes des vertus. D’Adam qui doit gagner son pain à la sueur de son front pour avoir croqué dans une pomme à la compétitivité et au carriérisme mêlé de patriotisme d’entreprise chers aux néo-classiques (sans même parler de l’ignoble « Travailler plus pour gagner plus » de Sarko), en passant par le « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant » des Canuts, l’apologie du travail contre le Kapital des marxistes, le droit au travail des législations sociales, le stakhanovisme des Stals et le « Travail, famille, patrie » du Maréchal (trois cibles toutes désignées pour ma colère), tous ou presque ont fait du travail un horizon indépassable (je parle bien évidemment de notre monde occidental et judéo-chrétien avant tout, c’est parfois plus complexe ailleurs ; mais il semblerait bien que cet éloge du travail aille de pair avec la « civilisation », ce qui m’a toujours paru particulièrement absurde). Il ne s’en est trouvé que quelques-uns pour aller à contre-courant, et oser dire, les fous, les hétérodoxes, que l’homme avait autre chose à foutre de sa vie que de travailler. Ce qui me paraît pourtant une vérité élémentaire, une évidence frappée au coin du « bon sens » (je déteste cette expression, mais je n’en vois pas de meilleure ici), et en tant que telle, à vrai dire, quelque peu rétive à la démonstration.

 

Bertrand Russell était donc de ceux-là, et a livré dans ce petit texte débordant d’humour son opinion sur la question, tapant à droite comme à gauche (il n’épargne certes pas l’Union soviétique, c’est rien de le dire). Quand on lui dit que « l’oisiveté est la mère de tous les vices », il répond en gros : « And my ass, is it some chicken ? » On connaît en effet l’adage, mais on en cherchera en vain la preuve. Et Russell, comme Lafargue avant lui, de prôner une réduction drastique de la durée du travail, à quatre heures par jour (on est bien loin des 35 heures qui font déjà frémir les bien-pensants…).

 

S’il commence par favoriser le travail contre l’épargne, dans une logique assez keynésienne dans un sens – puisque l’idée est que l’on néglige trop la consommation par rapport à la production, seul horizon des économistes classiques et néo-classiques –, ce n’est pas pour aboutir à une défense du travail comme absolu. Reprenant avec le sourire aux lèvres l’exemple classique de la fabrique d’épingles popularisé par Adam Smith, il montre ce qu’a d’absurde l’accroissement incessant de la production : oui, certes, la division du travail permet de produire plus d’épingles, mais a-t-on besoin de plus d’épingles pour autant ?

 

Le fait est que « l’idée que les pauvres puissent avoir des loisirs a toujours choqué les riches ». D’où cet enchaînement de contraintes, et l’asservissement du pauvre au Dieu Travail. Le salariat, à cet égard, ne vaut guère mieux que l’esclavage. Il y a pourtant des oisifs, dans notre société, mais ils sont de deux sortes : les riches qui n’ont pas besoin de travailler – et colportent, eux les premiers, les préjugés sur la question –, et les pauvres qui n’en ont pas envie. Les premiers, parce qu’ils sont riches, méritent semble-t-il tous les éloges ; les seconds sont à l’évidence destinés à l’ivrognerie, etc. Bêtise ! Pourquoi le loisir serait-il en tant que tel un mal ?

 

Surtout, à vrai dire – notre philosophe est tout de même un moraliste –, si ce loisir (l’otium plus que « l’oisiveté », ce dernier terme, adopté dans la traduction, est connoté, ce qui est révélateur en soi) est bien employé (si j’ose dire), notamment dans le sens de l’éducation, de la culture et de la science. Russell ne se fait pas l’apologue des branleurs (alors que moi, si, volontiers, merci), mais bien davantage, dans une perspective utilitariste détournée de la seule économie, du loisir « constructif ». Ce en quoi je trouve qu’il s’arrête quelque peu au milieu de sa démonstration (et se montre du coup moins enthousiasmant qu’un Lafargue, dans mon souvenir en tout cas), peut-être de crainte, malgré tout, d’aboutir bien malgré lui à cette « oisiveté mère de tous les vices » qu’il fustigeait en introduction. Chassez le naturel…

 

Reste néanmoins l’idée que le bonheur, individuel comme collectif, doit primer sur les supposés impératifs de la production. Non, nous dit Russell, on n’est pas heureux en travaillant (ou alors prouvez-le, globalement s’entend). Celui-ci est une contrainte ; une nécessité, sans doute, mais fâcheuse, et qu’il s’agit de considérer comme telle, en l’abaissant au minimum inévitable, ce que nous permet la modernité. C’est déjà bien.

 

Quant à moi, si j’approuve sans réserve le message du philosophe – et apprécie à sa juste mesure son humour –, j’aurais bien envie d’aller plus loin, de chanter « Sois fainéant » avec Coluche : « Gagner ta vie ne vaut pas l’coup, attendu que tu l’as déjà. » Oui, on a autre chose à foutre que de travailler : s’instruire, comme le souhaite Russell, oui ; participer à la vie de la Cité aussi, sans doute (il rappelle l’exemple grec, certes fondé sur l’esclavage) ; mais aussi se réjouir du plaisir où qu’on le trouve (j’admets être un abject hédoniste), dans le loisir « pur », ou même la glande assumée.

 

Laissez-moi donc rêver d’une utopie à la Lafargue, d’une véritable « civilisation des loisirs », où le travail serait enfin (ou de nouveau) ramené à sa juste place.

 

Sur ce, je retourne me coucher.

 

 

Ou « travailler ». Ou chercher du boulot.

 

Monde de merde…

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"Le Baron perché", d'Italo Calvino

Publié le par Nébal

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CALVINO (Italo), Le Baron perché, [Il Barone rampante], traduction de l’italien par Juliette Bertrand, revue par Mario Fusco, Paris, Gallimard, coll. Folio, [1957, 1960, 2001, 2002] 2012, 399 p.

 

Deuxième volet (et peut-être le plus célèbre) de la « trilogie héraldique », ou « Nos Ancêtres », d’Italo Calvino, après  Le Vicomte pourfendu et avant Le Chevalier inexistant, Le Baron perché me faisait de l’œil depuis un sacré moment déjà. Un livre précédé par une réputation plus qu’élogieuse, c’est rien de le dire… et ça m’a sans doute quelque peu posé problème. Mais ne brûlons pas les étapes.

 

L’action débute en 1767, à Ombreuse, alors sur le territoire de la République de Gênes. Côme Laverse du Rondeau, âgé de douze ans, se rebelle contre son baron de père qui exigeait de lui qu’il mange des escargots. Et pour bien signifier son refus, le jeune Côme monte dans l’yeuse du jardin. C’est ainsi qu’il deviendra une figure pour le moins pittoresque, puisqu’il fait le serment de ne plus jamais toucher le sol, se promenant d’arbre en arbre tel un homme sauvage et s’arrangeant pour vivre ainsi sans avoir besoin de redescendre. Le temps passant, il deviendra baron à son tour, le baron perché (dans tous les sens du terme ?), sans jamais renier sa promesse.

 

Son petit-frère Blaise, dans ses vieux jours, nous conte l’histoire de ce noble excentrique, des premiers jours passés dans les arbres à la vieillesse et la mort. Et il en ressort un conte philosophique très voltairien dans la manière, mais qui est aussi l’occasion – et c’est là à mon sens l’intérêt essentiel de ce Baron perché – d’un hommage façon mise en abyme à une sorte de « long » XVIIIe siècle archétypal, de la réaction seigneuriale aux guerres napoléoniennes, en passant par l’apogée des Lumières et la Révolution française. En effet, s’il vit dans les arbres, Côme ne rejette pas pour autant tout contact avec la société. Ce rebelle jusqu’au-boutiste, ersatz inattendu du « bon sauvage », lit énormément, correspond avec Diderot et Rousseau, écrit des essais philosophiques, prend parti pour la Révolution… et assiste, si l’on ose dire, à sa chute.

 

(Donc, non, Wikipédouille, le fait que l’action se situe à cette époque et en ce lieu n’est certainement pas « anecdotique »…)

 

Un livre précédé par sa réputation, disais-je. Un chef-d’œuvre annoncé. Et c’est sans doute ce qui explique pourquoi, au cours de ma lecture et immédiatement après, j’ai été un brin (juste un brin, mais un brin tout de même) déçu. Je ne saurais prétendre en effet avoir dévoré avec le même enthousiasme Le Baron perché que Si par une nuit d’hiver un voyageur ou  Le Vicomte pourfendu, mes deux seules lectures calviniennes jusqu’alors ; je m’étais régalé à chaque fois, mais, ici, je me suis un peu ennuyé pendant un bon moment (en gros la première moitié du roman, correspondant à l’enfance de Côme, à ses jeux et ses amours, et à l’organisation pratique de sa vie dans les arbres ; quand le baron perché se confronte à l’histoire, de suite, en toute logique, ça m’a nettement plus parlé).

 

Bien évidemment, je n’en déduirai pas pour autant que Le Baron perché est un « mauvais roman », ce qui serait absurde. Non, c’est bien, Le Baron perché, et même très bien (évidemment !) : c’est astucieux, indéniablement intelligent, parfois drôle, parfois émouvant, toujours bien vu, cohérent dans son absurdité apparente… Un beau conte philosophique, à n’en pas douter, qui sait édifier son lecteur tout en le distrayant, avec toujours une certaine légèreté dans le ton qui me paraît déjà typique de l’auteur. C’est aussi, bien sûr, merveilleusement écrit (et traduit, sans doute).

 

Avec le recul – encore léger, je n’ai fini ce livre qu’hier –, je confesse que les qualités remarquables de ce roman prennent de plus en plus d’importance face à ses défauts supposés. Et le fait est que j’ai aimé ce livre, que je suis heureux de l’avoir lu, et que je sens que ce sera d’autant plus vrai au fur et à mesure que les jours passeront. Peut-être, alors, n’en conserverai-je que tout le brillant, « oubliant » autant que possible les quelques bémols que j’ai pu émettre.

 

En l’état, cependant, je me sens quelque peu contraint, donc, de faire part d’une déception, toute relative mais non moins réelle. J’attendais sans doute trop de ce livre ; du fait de mes précédentes lectures de l’auteur, qui furent autant de plaisirs imparables, et de la réputation plus que flatteuse entourant ce célébrissime Baron perché, j’envisageais avec impatience de me prendre une nouvelle claque littéraire ; mais ce ne fut longtemps qu’un léger soufflet du bout des doigts (cette métaphore est nulle, j’en suis bien conscient, mais je fait ce que je peux…) ; il m’a fallu attendre que le roman se mette véritablement en place, et cela m’a paru un poil trop long. Après, bien sûr, je me suis effectivement régalé… Mais de là à en faire le chef-d’œuvre que l’on dit ? L’honnêteté m’en empêche. J’aurais sans doute pu me contenter de faire à mon tour dans l’éloge inconditionnel (après tout, vous êtes sur un blog, vous avez l’habitude…), gommant mes sensations pour mieux aller dans le sens du courant, mais non…

 

Alors voilà : c’est bien, Le Baron perché ; c’est très bien, même. Mais ce n’est pas pour autant la merveille que j’attendais, du fait de tous les éloges entourant ce (trop ?) célèbre roman. Je vous encourage bien entendu à le lire, ça vaut amplement le détour, et c’est bien évidemment très au-dessus (aha) du lot ; il n’en reste pas moins que, des trois romans de Calvino que j’ai eu l’occasion de lire jusqu’à présent, c’est incontestablement celui qui m’a le moins séduit immédiatement (mais le temps va jouer, je le sens déjà).

 

On se retrouvera prochainement pour conclure la trilogie avec Le Chevalier inexistant.

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"Le Mercenaire", de Mack Reynolds

Publié le par Nébal

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REYNOLDS (Mack), Le Mercenaire, [Mercenary], traduit [de l’américain] par Hélène Bouboulis, traduction révisée par Dominique Bellec, Congé-sur-Orne, Le Passager clandestin, coll. Dyschroniques, [1962, 1980] 2013, 139 p.

 

Passablement séduit par l’expérience de  La Tour des damnés de Brian Aldiss, j’ai décidé de remettre le couvert des « Dyschroniques » avec ce Mercenaire de Mack Reynolds, auteur dont je n’avais strictement jamais entendu parler, mais qui a semble-t-il connu un certain succès outre-Atlantique, notamment avec une série de romans dérivée de cette novella de 1962 (laquelle, rassurez-vous, se suffit à elle-même ; on peut à vrai dire trouver douteuse l’idée de l’étaler ainsi…). La quatrième de couverture, laconique comme toujours, laissait supposer un bel échantillon de science-fiction politique de la plus belle eau, bien dans la ligne éditoriale des « Dyschroniques » ; et ça s’est vérifié, autant le dire de suite.

 

Un futur proche (fin du XXe siècle ou début du XXIe, a priori). Face à l’Union soviétique toujours debout, le monde occidental a vu la division entre les classes s’accentuer, jusqu’à devenir à peu de choses près une société de castes (Supérieurs, Intermédiaires, Inférieurs, divisées chacune en trois sous-catégories). Et les gouvernements y ont largement été supplantés par les entreprises (la quatrième de couverture parle de « multinationales », mais c’est plus général à mes yeux), qui, nouvelles féodalités, se livrent des guerres privées pour solder leurs conflits d’intérêts ; des guerres encadrées et surveillées par (ce qui reste de) l’État, mais qui n’en font pas moins de nombreuses victimes, pour la plus grande joie des spectateurs (généralement des Inférieurs) abrutis de tranks. Toutefois, pour éviter une escalade qui pourrait dégénérer avec l’Union soviétique – laquelle envoie ses inspecteurs en Occident –, ces affrontements militaires obéissent à des règles strictes et, notamment, les belligérants ne doivent pas faire usage d’armes postérieures à 1900…

 

Nous sommes aux États-Unis (si tant est que cela veuille encore dire quelque chose). Joe Mauser est un mercenaire, qui, de Sous-Inférieur, a gravi les échelons de la hiérarchie sociale à la force du poignet, jusqu’à devenir un Intermédiaire (la société n’est donc pas totalement figée, comme une authentique société de castes, mais, si l’ascension sociale reste possible en théorie, elle est néanmoins très difficile, et implique de passer soit par la Religion, soit par l’Armée, tout un programme…). Et il fait encore preuve d’ambition : mû par son seul égoïsme (bien compréhensible cela dit), Joe Mauser compte bien profiter de la guerre entre Transports Aspirotube et Aéroglisseur Continental pour devenir un Supérieur. Telle est sans doute la raison qui explique pourquoi il rejoint les rangs des Transports Aspirotube du baron Haer, que tout le monde donne perdants dans le conflit imminent. En effet, Joe Mauser a un plan qui pourrait bien changer radicalement la donne, même face à un stratège aussi renommé que Stonewall Cogswell… Mais il ne le livrera pas gratuitement.

 

Qu’on ne s’y trompe pas, cependant : si la mystérieuse astuce de Joe Mauser (à vrai dire plus ou moins convaincante…) fournit la trame de cette novella, par ailleurs plutôt bien ficelée, l’important est ailleurs, dans le substrat politique, économique et social qui encadre l’intrigue. La légère touche d’absurde et de grotesque de ces guerres « à l’ancienne », qui justifie le plan de notre mercenaire de héros, n’enlève rien à la critique cinglante qui sous-tend l’ensemble du texte (je ne m’engagerai pas, si j’ose dire, pour les romans ultérieurs), critique hélas passablement pertinente. Certes, nous ne connaissons pas aujourd’hui ces guerres privées, mais on peut très légitimement les envisager comme la métaphore d’un capitalisme agressif dont nous faisons les frais tous les jours, et qui tend bel et bien à minimiser le rôle des gouvernements ; et si notre société n’est pas aussi officiellement engagée dans la voie de l’immobilisme des castes institutionnalisées que dans Le Mercenaire, nul n’est besoin de faire son Bourdieu pour constater les méfaits de la reproduction sociale… La caricature – dans tous les sens du terme, puisqu’il s’agit bien d’une « charge » – n’exagère donc qu’à peine, et le déprimant tableau envisagé en 1962 par Mack Reynolds reste, au-delà de l’effondrement du bloc de l’Est, d’une actualité indéniable.

 

Novella astucieuse et palpitante, mais aussi critique sociale mordante, Le Mercenaire, malgré ses quelques défauts (le discours est tout de même passablement appuyé, notamment), constitue donc un bel échantillon d’une science-fiction politique idéale, aussi intelligente que divertissante. On n’en fera pas un chef-d’œuvre, mais c’est néanmoins une lecture qui ne manque pas d’intérêt. Encore une belle trouvaille des « Dyschroniques », donc.

 

EDIT : Public chéri, Gérard Abdaloff en parle ici.

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"Lettres d'Innsmouth", de H.P. Lovecraft

Publié le par Nébal

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LOVECRAFT (H.P.), Lettres d’Innsmouth, suivi de Défense de « Dagon » et de Un mari nommé H.P.L. par Sonia H. Davis, [Uncollected Letters ; In Defence Of « Dagon » ; The Private Life Of H.P. Lovecraft], textes réunis et traduits [de l’américain] par Joseph Altairac à partir des trois volumes composés et annotés par S.T. Joshi, introduction de Joseph Altairac, postface de Christian Bonnefous, illustrations de Jason Eckhardt, Amiens, Encrage, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, [1985-1986] 1989, 174 p.

 

J’entame enfin, avec ces Lettres d’Innsmouth, la lecture des « Cahiers d’études lovecraftiennes », que j’ai pu me procurer grâce à des gens bien. Et pour ce premier volume, la parole est pour l’essentiel donnée à H.P. Lovecraft lui-même, puisqu’il s’agit de la traduction de trois brochures publiées aux États-Unis par S.T. Joshi (qui est, rappelons-le, probablement ZE spécialiste de Lovecraft à l’heure actuelle).

 

Le contenu de cet ouvrage pourrait à première vue paraître disparate, mais est en fait, étrangement, assez cohérent ; il s’en dégage en effet, non seulement un portrait du Maître de Providence jusque dans son intimité, mais aussi une évocation de sa participation au mouvement du « journalisme amateur » et surtout une ébauche, voire davantage, de sa philosophie, farouchement rationaliste, matérialiste et athée.

 

Les Lettres d’Innsmouth (Uncollected Letters), réunies au travers de publications en revue, sont cependant assez diverses, et peuvent probablement être scindées en trois ensembles. Nous trouvons tout d’abord des lettres adressées à des journaux, magazines et fanzines, d’un intérêt variable ; j’en retiens surtout pour ma part – sans surprise ? – les lettres adressées à Weird Tales (et publiées dans la revue), parmi lesquelles figure celle, très célèbre, qui accompagnait les cinq premiers textes (dont « Dagon ») envoyés au célèbre pulp. C’est en tout cas un moyen d’en apprendre davantage sur les goûts de Lovecraft, et un témoignage éloquent tant de sa personnalité épistolaire que de son abondante correspondance. Suivent de nombreuses lettres rédigées dans le cadre du « journalisme amateur », instructives sur cet engagement (avec moult querelles « politiques ») mais sans doute moins intéressantes, faute de vraiment saisir ce que cela pouvait représenter au juste. Le grand moment, cependant, se trouve à la fin de cette brochure, au travers de longues lettres dans lesquelles Lovecraft expose à un de ses correspondants sa philosophie rationaliste, matérialiste et athée, donnant au passage quelques conseils de lecture. C’est tout à fait passionnant, et nous amène directement à la Défense de « Dagon ».

 

(Je noterai juste, avant d’en arriver là, un point qui m’a paru intéressant, et finalement assez peu soulevé dans ce que j’ai pu lire pour l’instant à propos de Lovecraft : si l’auteur est connu pour sa fiction « rationaliste », il se montre néanmoins, dans ces lettres, très sceptique à l’égard de la science-fiction naissante, qu’il distingue résolument de la science à proprement parler – il va jusqu’à traiter Gernsback d’escroc… Pour un auteur que l’on classe traditionnellement « entre fantastique et science-fiction », pour reprendre le titre du célèbre article de Gérard Klein dans le  Cahier de l’Herne consacré à Lovecraft, c’est tout de même à noter, me semble-t-il).

 

Nous passons donc à la Défense de « Dagon », rassemblement de trois lettres en forme d’essais qui dépassent largement le seul texte mentionné dans le titre. Dans « La Parole est à la défense ! », « La Défense revient à la barre ! » et « Le Mot de la fin », Lovecraft détaille en effet l’ensemble de sa théorie esthétique (du moins celle des années 1920-1921) et, surtout, expose sa philosophie (rationaliste, matérialiste et athée, donc, oui, je sais, je me répète) de manière argumentée, au travers d’une vigoureuse polémique. Ces trois lettres furent écrites dans le cadre du « Transatlantic Circulator », sorte de « cercle de lecture » issu du « journalisme amateur » et qui, comme son nom l’indique, réunissait auteurs américains et britanniques. Lovecraft y répond aux critiques adressées à ses textes, et en premier lieu « Dagon » (mais pas uniquement). Il y défend une esthétique de « l’art pour l’art », ne rechignant pas à citer (à juste titre) Oscar Wilde dans sa fameuse préface au Portrait de Dorian Gray. Mais le gros de ces trois « essais » est constitué par une polémique avec un certain Mr. Wickenden, pour sa part idéaliste et théiste convaincu, qui n’avait semble-t-il pas mâché ses mots pour critiquer la philosophie sous-jacente de Lovecraft. Or ce dernier se montre ici (malgré quelques bévues) un polémiste brillant et plus que convaincant. C’est tout à fait passionnant, et très instructif (et ça m’a davantage parlé, à titre d’exemple, que le  Pourquoi je ne suis pas chrétien de Bertrand Russell, que j’avais évoqué il y a peu).

 

La troisième brochure n’est cette fois pas de Lovecraft lui-même, mais de Sonia H. Greene (Davis), qui fut brièvement son épouse. Dans Un mari nommé H.P.L. (The Private Life Of H.P. Lovecraft), elle rapporte ses souvenirs de sa relation avec son époux, avant, pendant et après leur mariage. Ce texte, fort décousu (et du coup d’une lecture parfois un brin pénible), répond à quelques erreurs tôt colportées sur la vie intime de Lovecraft, et notamment ses soucis financiers. Un texte instructif malgré sa lourdeur, dressant un portrait d’autant plus convaincant qu’il ne se montre finalement guère sensationnaliste du pôpa de Cthulhu. On notera au passage que Madame Lovecraft y évoque le racisme et l’antisémitisme de son époux, notamment à la fin de la brochure (censément consacrée à Samuel Loveman, mais c’est bien Lovecraft qui est au centre de ses préoccupations).

 

Reste enfin la postface de Christian Bonnefous, « Entre ciel et terre », sur laquelle je n’ai finalement pas grand-chose à dire. Je ne suis pas vraiment d’accord avec l’auteur quand il trouve Lovecraft mal à l’aise dès l’instant qu’il s’agit pour lui d’exposer sa philosophie autrement que dans ses fictions. Je lui accorde cependant que la vision que Lovecraft avait de la Grèce antique est critiquable, et probablement davantage encore ses références à Nietzsche.

 

Au total, voilà un ouvrage tout à fait intéressant, fort instructif, qui satisfera pleinement les amateurs (je doute qu’il puisse viser un plus large public, toutefois). Une bonne entrée en matière pour ces « Cahiers d’études lovecraftiennes » dont j’attends beaucoup.

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RIP Daniel Darc

Publié le par Nébal

 

 


 

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"Unknown Pleasures", de Peter Hook

Publié le par Nébal

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HOOK (Peter), Unknown Pleasures. Joy Division vu de l’intérieur, traduction [de l’anglais] de Suzy Borello, [Marseille], Le Mot et le reste, coll. Attitudes, [2012] 2013, 380 p.

 

Les habitués de ce blog interlope connaissent probablement, à force, ma passion pour Joy Division, et au-delà pour la scène musicale mancunienne (mais pas vraiment New Order, bizarrement – ou pas). En témoignent plusieurs de mes comptes rendus :  Manchester Music City de John Robb,  Control d’Anton Corbijn,  24 Hour Party People de Michael Winterbottom… Rien d’étonnant, dès lors, à ce que je me sois procuré il y a quelque temps de cela le précédent livre de Peter Hook (Hooky pour les intimes), le bassiste de Joy Division et New Order, à savoir L’Haçienda, la meilleure façon de couler un club. Pas encore lu, cependant (mais ça ne devrait pas trop tarder). Mais, depuis, le même éditeur a publié un autre livre de Hooky, dont le principe me parlait encore davantage ; et c’est donc finalement de cet Unknown Pleasures retraçant la brève carrière de Joy Division que je vais vous entretenir aujourd’hui.

 

Une carrière brève, oui – quelques années à peine, et seulement deux « véritables » albums, dont un posthume –, mais ô combien déterminante pour la suite des événements ! Rares sans doute sont les groupes qui, à l’instar de Joy Division, ont eu un tel caractère révolutionnaire. Avec le quatuor mancunien, c’est toute une page de la musique alternative qui a été écrite et – hélas – si vite tournée. Groupe phare de la scène post-punk anglaise, Joy Division a eu très tôt une influence considérable, et on ne compte pas les formations contemporaines se revendiquant à plus ou moins bon droit – et parfois jusqu’au pastiche pur et simple… – de cette prestigieuse signature du légendaire label Factory. Et – bien sûr, on ne saurait faire l’impasse là-dessus – ce caractère éphémère et l’aura entourant Ian Curtis et son suicide ont tôt fait de ranger Joy Division dans la catégorie fourre-tout des groupes « cultes »…

 

Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’on ait tant écrit (ou filmé) sur Joy Division. Mais les membres survivants du groupe – New Order, donc – se sont longtemps montrés relativement discrets sur la question. Aujourd’hui, avec ce livre, Peter Hook vient donc rompre le silence. Et on a pu le lui reprocher : en préparant ce compte rendu, je suis tombé sur un article de Libération qu’un citoyen m’avait signalé, cassant du sucre sur le dos du bassiste, accusé de capitaliser sur le passé et de se balader impudiquement avec un cadavre sous le bras… De quoi refroidir les ardeurs. Mais, autant le dire de suite, j’ai trouvé cet article – lu après le livre, donc – parfaitement crétin (et je ne vous parle même pas du titre, tellement Libé…). Me semble en effet que, au-delà de certaines entreprises que l’on peut certes trouver douteuses de Peter Hook (ou de Bernard Sumner, d’ailleurs) à l’égard de son premier groupe, cet Unknown Pleasures est non seulement légitime, mais peut-être même à certains égards salutaire – pour son auteur comme pour les fans : œuvre de catharsis et retour au réel (dans une certaine mesure, j’y reviens de suite), le livre de Hooky participe à certains égards de la légende, mais, à d’autres, vient aussi lui apporter quelques rectifications bienvenues, qui auront probablement de quoi surprendre les amateurs.

 

Cependant, il s’agit d’un livre de souvenirs, et – en tant que tel –, Peter Hook nous le déclare d’emblée, il contient sans doute davantage sa vérité que la vérité. Et on peut parfois se demander si le bassiste n’a pas fait sien l’adage de John Ford (de même que Michael Winterbottom dans  24 Hour Party People, qui le revendique) : « When the legend becomes facts, print the legend. » Ceci étant, dès que l’on a bien conscience de cet aspect, la lecture d’Unknown Pleasures balaie préjugés et préventions, et devient bien vite un régal.

 

Un livre de souvenirs, donc. Qui remonte en fait bien avant Stiff Kittens/Warsaw/Joy Division, puisque Peter Hook s’étend dans les premiers chapitres sur sa vie antérieure à sa carrière musicale, petite enfance incluse. Ce qui, étrangement – ou pas –, est déjà tout à fait intéressant. Mais la rencontre de Barney/Bernard Sumner (avec lequel, depuis la fin de New Order, Peter Hook entretient des relations plutôt houleuses, ce qui ressort parfois ici…), puis de Ian Curtis lors du troisième – si je ne m’abuse – concert des Sex Pistols à Manchester (le premier, rendu célébrissime, est également évoqué), débouche rapidement sur la carrière musicale commune de ces protagonistes.

 

À mille lieues des connotations « arty » que se traîne le groupe a fortiori depuis le suicide de Ian Curtis, Peter Hook dépeint le quotidien d’une bande de branleurs passablement crétins (leurs innombrables « farces » sont sans doute très rock’n’roll, mais surtout consternantes), issus de la classe ouvrière britannique, et qui ont décrété unilatéralement qu’ils feraient de la musique en plein dans l’éphémère explosion du punk anglais. Mais Joy Division (troisième nom du groupe, donc) sortira bien vite de cette ornière sans véritables lendemains pour se constituer un son très personnel, et deviendra ainsi une (la ?) figure essentielle du post-punk britannique.

 

Peter Hook rapporte l’histoire tumultueuse du groupe au travers de moult anecdotes souvent croustillantes, parfois véritablement hilarantes. Joy Division a en effet accumulé les bêtises et autres contre-performances au cours de sa brève carrière, et Hooky revient sur tout cela avec le sourire désabusé d’un ancien combattant, pas peu fier de ses faits d’armes (il déploie régulièrement dans le livre une arrogance typique de la pop anglaise, et ne cesse de rappeler à quel point ils avaient de bonnes chansons – en même temps, ce n’est certainement pas moi qui vais prétendre le contraire…), mais aussi lucide sur les ambitions démesurées et les maladresses de ces gamins terribles qui devaient pourtant changer la face du monde musical. Réputation nazillone, concerts foireux tournant aux bastons d’ivrognes, conflits divers et variés entre les membres du groupe et leur entourage (dont le génial mais invivable producteur Martin Hannett), « farces » stupides (donc), problèmes de van (Hooky, conducteur, y revient sempiternellement), concurrence difficile avec les autres groupes, mais aussi amitiés et émulation… Tout y passe, dans un style oral et gouailleur, très agréable à la lecture, et magnifiquement servi par la traduction au poil de Suzy Borello. Les concerts et les enregistrements sont décortiqués, parfois chanson par chanson (Unknown Pleasures et Closer sont ainsi disséqués). Et tout cela est véritablement passionnant, et très enthousiasmant aussi.

 

Jusqu’à un certain point, bien sûr. On connaît, après tout, la fin tragique du groupe… Mais Peter Hook – à rebours de ce que je craignais un brin, je l’avoue – ne fait pourtant pas dans le pathos. Son portrait de Ian Curtis, pour être nécessairement émouvant, sonne juste, et casse un peu le mythe « arty » qui colle à la peau du chanteur. Cependant, chaque ligne qui lui est consacrée entre forcément en résonance avec son suicide, et Hooky, sans complaisance, rapporte l’aveuglement des trois autres membres de Joy Division et de leur entourage sur l’état de leur chanteur (le bassiste avoue ainsi n’avoir jamais prêté attention à ses paroles jusqu’à ce qu’il soit trop tard, par exemple ; et il est vrai qu’à les lire a posteriori…). Ses difficultés conjugales (voyez Control), qui n’ont sans doute pas peu joué, sont bien entendu évoquées, mais j’en ai surtout retenu pour ma part le terrible tableau de ses crises d’épilepsie à répétition, de plus en plus fréquentes et graves à mesure que les concerts s’enchaînaient (sur un rythme qui m’a paru complètement hystérique)… À la lecture d’Unknown Pleasures, et ce malgré le côté souvent drôle du récit de Hooky, on a l’impression d’un jeune homme entraîné sur une pente fatale, d’une histoire qui ne pouvait que mal finir… Mais Peter Hook n’en rajoute pas ; et, non, décidément, je n’ai pas l’impression qu’avec ce livre il se trimballe avec le cadavre de Ian Curtis sous le bras : il rapporte les faits, tels qu’il les a vécus. Ni plus ni moins.

 

Aussi ne faut-il pas tenir compte des vilenies des esprits chagrins : Unknown Pleasures. Joy Division vu de l’intérieur est un livre passionnant, qui se dévore comme un bon roman, mais avec, malgré tout, un certain parfum d’authenticité (avec les bémols précédemment évoqués) qui participe pour beaucoup à son charme. Une lecture évidemment indispensable pour les nombreux fans de la légendaire formation mancunienne, et qui saura probablement aussi séduire au-delà (c’est tout le mal que je lui souhaite).

 

On retrouvera dans quelque temps Hooky sur ce blog interlope, avec L’Haçienda, la meilleure façon de couler un club.

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"Le Cycle d'Hastur", de Robert M. Price (dir.)

Publié le par Nébal

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PRICE (Robert M.) (dir.), Le Cycle d’Hastur, [The Hastur Cycle], traduit de l’anglais par Anne Vétillard, Montigny-les-Metz, Oriflam, coll. Nocturnes, [1997] 2000, 378 p.

 

Retour, après une longue interruption, sur les anthologies de lovecrafteries dirigées par Robert M. Price et publiées en français (approximatif, la traduction est une fois de plus au mieux médiocre, et souvent indicible…) dans l’éphémère collection « Nocturnes » d’Oriflam, avec un volume bancal, mais qui n’en est pas moins d’un certain intérêt. Plus que jamais, et Robert M. Price insiste sur ce point dans sa préface « La Mythologie d’Hastur », Lovecraft, avec toute son originalité qu’il n’est pas question de nier, est ici à bien des égards un maillon dans une longue chaîne. Aussi ce volume fait-il la part belle aux précurseurs du Maître de Providence (et c’est, autant le dire de suite, son aspect le plus intéressant).

 

Mais on peut aussi d’ores et déjà noter le caractère foncièrement « bancal » de ce volume (qui n’en est pas moins, jusqu’à présent, celui qui m’a le plus convaincu dans cette collection). En effet – et cela ne rend que plus absurde la suggestion derlethienne, rejetée par Lovecraft, de qualifier l’ensemble des lovecrafteries de « Mythe d’Hastur » (pour une raison que l’on verra plus loin) –, le seul texte de Lovecraft ici retenu, « Celui qui chuchotait dans les ténèbres », n’évoque qu’en passant Hastur (lieu ou dieu ? la réponse varie selon les textes) et tout ce qui va avec, ce qui n’a donc aucunement un caractère central…

 

Aussi, au-delà de la distinction un peu forcée entre « précurseurs » et « continuateurs », qui ne se montrerait guère pratique en définitive, c’est bien trois ensembles de textes que l’on peut constituer : les premiers traitent de la mythologie d’Hastur, etc., sans nécessairement tenir compte de Lovecraft (et pour cause, ces textes étant généralement antérieurs… mais pas tous) ; les seconds tournent autour de « Celui qui chuchotait dans les ténèbres », et n’entretiennent que peu de liens avec la mythologie d’Hastur, etc., voire aucun ; les troisièmes, enfin, constituent la mythologie d’Hastur, etc., à proprement parler, et font parfois œuvre de syncrétisme.

 

Le premier ensemble est de très loin le plus intéressant de ce volume. C’est qu’on y trouve de fort belles plumes (enfin, je dis ça, mais la traduction étant ce qu’elle est, broumf…), des écrivains majeurs qui livrent des textes généralement très convaincants. Tout commence avec deux nouvelles d’Ambrose Bierce, qui définissent le « lexique » hasturien : la première, « Haïta le berger », est une jolie fable bucolique et mélancolique, dans laquelle Hastur est une divinité pastorale, sans connotation particulière ; la seconde, « Un habitant de Carcosa », complète le vocabulaire thématique : on y voit apparaître la cité morte de Carcosa, on y évoque le prophète Hali, et l’on y mentionne Aldebaran et les Hyades, qui sont vues dans le ciel ; l’ambiance est remarquable, dans [SPOILER] cette histoire de fantômes où le narrateur découvre qu’il est mort (déjà !). Le deuxième grand auteur de cet ensemble est bien évidemment Robert W. Chambers, maillon essentiel dans cette chaîne, surtout pour  Le Roi en Jaune, bien sûr (les deux textes ici repris en sont tirés), mais on pourrait aussi évoquer, même si le lien est moins direct,  Yue Laou. Le faiseur de lunes. Comme mon compte rendu du  Roi en Jaune était pour le moins lapidaire (et donc merdique), je peux me permettre de détailler ici quelque peu les deux nouvelles qui en sont tirées. « Le Réparateur de réputations » est une anticipation barrée, qui prend place à New York en 1920 ; dans ce fascinant récit, aussi original que déroutant, apparaît le thème essentiel pour nous de la pièce de théâtre Le Roi en Jaune, qui rend fou ceux qui la lisent ; mais ce n’est qu’un aspect de cette excellente dinguerie, évoquant entre autres des centres officiels de suicide et une improbable dynastie impériale américaine… Absolument génial. « Le Signe jaune » est une nouvelle beaucoup plus classique, mais néanmoins bien ficelée, confrontant un peintre décadent et son modèle au hideux gardien d’une église… Belle atmosphère. Après ces quatre textes de « précurseurs », on passe aux « continuateurs », qui ne passent donc pas nécessairement par la case Lovecraft. Une merveille, tout d’abord : « Le Fleuve des songes nocturnes » de l’excellent Karl Edward Wagner. Une détenue s’évade lors d’un accident de bus ; elle trouve refuge dans une maison isolée, où elle prend l’identité de Cassilda (on retrouve d’autres noms empruntés à Chambers) et fait la lecture du Roi en Jaune pour la maîtresse de maison… Une superbe nouvelle sur la folie, qui finit en gros délire sado-maso : j’adore. Plus anecdotique, James Blish livre avec « Plus de lumière », pour l’essentiel, une version de la pièce Le Roi en Jaune, supposée écrite par Chambers et communiquée par Lovecraft (Hastur y est un lieu) ; c’est correct, amusant disons, mais sans plus.

 

Le deuxième ensemble s’ouvre avec une influence fondamentale de Lovecraft, à savoir Arthur Machen. « Le Roman du sceau noir » est une intéressante variation sur le « Petit Peuple », branche oubliée de l’évolution, foncièrement cruelle. Le lien avec H.P. Lovecraft peut paraître ténu, mais il est pourtant revendiqué, dans un sens, dans « Celui qui chuchotait dans les ténèbres » (avec les autres récits de Machen sur le « Petit Peuple » – voir  Le Cycle de Dunwich), excellente nouvelle, véritable classique du Mythe, qui est pour le coup, tout de même, bien plus originale, et ne saurait donc être réduite à cette filiation. Je ne reviens pas sur les détails de ce texte (au pire, jetez un œil sur mon compte rendu de sa rigolote adaptation cinématographique, The Whisperer in Darkness) ; on notera par contre que Hastur, etc., ne sont qu’à peine cités (ce qui ne fait que confirmer le caractère bancal de ce recueil). Après quoi Richard A. Lupoff livre avec « Notes sur l’affaire Elizabeth Akeley » une suite à la célèbre nouvelle de Lovecraft, qui prend place une cinquantaine d’années plus tard ; on notera qu’Akeley y est « volontaire », et non une victime ; le côté amusant de la chose est qu’elle se situe dans le milieu des sectes et de l’ufologie… mais c’est quand même franchement pas terrible. « La Mine sur Yuggoth » est un des premiers textes de Ramsey Campbell publiés par Derleth : quête d’immortalité et mineurs crustacés… C’est très mauvais. Reste enfin « Atterrissage sur Yuggoth » de James Wade, très courte nouvelle adaptant Lovecraft au cadre des années 1970 (ici, en l’occurrence, une anticipation d’un vol habité à destination de Pluton à la fin du XXe siècle…) ; au mieux anecdotique…

 

Le troisième ensemble est le plus court, et c’est sans doute tant mieux… On commence inévitablement avec August Derleth, et sa nouvelle « Le Retour d’Hastur » (qu’il était en train d’écrire quand il fit la suggestion évoquée plus haut, tout s’explique…) ; on y trouve hélas déjà le gloubi-boulga derlethien habituel (dieux bons, panthéon élémentaire, abus de références lovecraftiennes mal digérées…), et la conclusion est franchement ridicule ; d’ici là et malgré tout, c’est une série Z « honnête » (disons qu’on aurait pu craindre pire)… Le meilleur texte (ou le moins mauvais…) de cet ensemble est probablement « Celui qui festoie de loin » de Joseph Payne Brennan, certes banal mais amusant et correctement écrit… On y note une allusion aux Whateley, ce qui nous renvoie au Cycle de Dunwich. Et le recueil de s’achever avec Lin Carter et « Les Guenilles du Roi », titre générique regroupant trois brefs textes syncrétiques : « Litanie pour Hastur » est un ensemble de quatre mauvais sonnets, sur lesquels on pourra allègrement faire l’impasse ; « Histoire de Carcosa sur Hali » constitue le plus intéressant de ces « Guenilles du Roi » : il s’agit d’un court fragment « mythologique » tournant principalement autour du nécromancien Hali et de la malédiction d’Hastur (un peu lourd, mais correct) ; reste enfin « Le Roi en Jaune, une tragédie en vers », « révision » de l’adaptation de James Blish évoquée plus haut, d’un intérêt passablement douteux.

 

Comme tous les autres volumes de la collection qu’il m’a été donné de lire pour l’instant, Le Cycle d’Hastur est donc extrêmement inégal ; mais, si les « continuateurs » sont le plus souvent au mieux médiocres (avec une exception de taille pour Karl Edward Wagner, certes), les « précurseurs », ici abondamment représentés, sont tous fort intéressants. Aussi ai-je dans l’ensemble plutôt apprécié cette lecture, instructive et assez stimulante malgré son côté bancal. À suivre…

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"L'Echafaud ou l'excentrique monsieur Céraste", de Gérald Duchemin

Publié le par Nébal

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DUCHEMIN (Gérald), L’Échafaud ou l’excentrique monsieur Céraste, Vic-la-Gardiole, Le Chat rouge, coll. Rouge et noir, 2003, 150 p.

 

On m’a offert ce (très) petit livre.

 

Je ne sais pas s’il faut en déduire quelque chose, mais je l’ai en tout cas lu sans me poser trop de questions. Et, je puis le dire d’ores et déjà, avec un plaisir non dissimulé. Reste maintenant à en parler, ce qui s’annonce guère évident. Puisque, en somme, il va s’agir de se livrer à une critique de la critique de la critique.

 

En effet, monsieur Céraste, plus connu sous le nom de l’Échafaud, est critique littéraire de son état. Après des études calamiteuses (des années pour avoir son bac, section philosophie – erreur –, puis des années pour avoir son DEUG de Droit – nouvelle erreur) et un mariage qui ne le fut pas moins, monsieur Céraste, qu’on surnommait alors, entre autres, Waterloo en raison de sa prédisposition pour l’échec (mais toute défaite n’est-elle pas aussi une victoire ?), monsieur Céraste donc, ce raté magnifique, trouve enfin sa voie. Si le journalisme politique ne lui a pas davantage réussi que le reste (il était pourtant hautement qualifié puisque, à l’instar des autres journalistes, il parlait de choses qu’il ne comprenait pas), il en va en effet tout autrement de la critique. Un talent qu’il s’est découvert en griffonnant dans les marges d’ouvrages empruntés dans une bibliothèque londonienne, ce qui lui valut – outre son exclusion – sa première lectrice passionnée en la personne de la bibliothécaire.

 

C’est que l’Échafaud, puisque tel est son nom de plume dans les pages du journal bien nommé L’Infâme, a un talent rare pour déceler, jusque dans les meilleures livres, les failles les plus secrètes, et témoigne d’un mordant, d’une virtuosité assassine pour pourfendre écrivains goncourisables et autres écrivaillons en quête de reconnaissance, qui en font bientôt la bête noire des auteurs (faut-il y mettre un « H » majuscule ?) et de leurs éditeurs. D’où une succession de scandales et de procès, qui font sa joie. L’excentrique monsieur Céraste, qui vit dans une maison hantée (il fait peur au spectre) et ne se déplace qu’en corbillard, rencontre ainsi le succès qui l’a fui toutes ces années. Il se constitue un vivier de fans et un autre d’adversaires, et se régale de leurs chamailleries. Ses ouvrages, reprenant ses pages les plus vigoureuses, rencontrent même un franc succès. Et l’Échafaud d’éreinter, de flageller, avec une maestria toujours renouvelée.

 

Monsieur Céraste a donc tout du critique idéal : raté, aigri, d’une mauvaise foi sans pareille, incapable d’apprécier ce qui est bon tant il aime à dénoncer le mauvais (quitte à l’inventer ; ou, si le livre est bon – mais est-ce seulement possible ? –, à s’en prendre directement à l’auteur), l’Échafaud est aussi terrible que grotesque.

 

Seulement voilà : le vilain personnage va en définitive, au travers de ses écrits au vitriol, se révéler salutaire pour la littérature. Comme quoi, hein…

 

Portrait jubilatoire et grinçant d’un critique littéraire qui rencontre d’autant plus le succès qu’il se montre odieux, le court texte de Gérald Duchemin (a-t-il été victime d’un monsieur Céraste ?) est un régal nécessaire, qui comblera les attentes de tous les plumitifs, de quelque côté de la barrière qu’ils se situent.

 

D’ailleurs, Léa Silhol a beaucoup aimé, ce que je ne peux m’empêcher de trouver très rigolo.

 

Écrit dans un style précieux et désuet, mais qui n’en est pas moins impeccable, L’Échafaud ou l’excentrique monsieur Céraste ne saurait en effet être limité à une critique de la critique (même s’il y a – beaucoup – de ça, bien entendu). Au final, c’est tout le monde de l’édition, et même au-delà celui plus vaste de la littérature, qui en prend pour son grade. L’auteur, au travers de son salaud de héros, tire sur tout ce qui bouge, et même ce qui ne bouge plus, avec un plaisir d’autant plus communicatif qu’il se trouve malsain. Et c’est ainsi avec joie que l’on lit ces brèves pages, et que l’on se rend coupable de complicité d’assassinat littéraire de critiques, écrivains, éditeurs et universitaires. C’est délicieusement méchant, d’une mauvaise foi évidente et d’autant plus appréciable, et – pardon – tellement vrai…

 

Que l’on se reconnaisse avant tout dans le personnage de l’Échafaud ou dans ses innombrables victimes importe peu au final. Ce tout petit texte fort drôle frappe juste, et fort. On se délecte de tant de méchanceté et d’aigreur, comme à la lecture d’une critique négative joliment tournée ou d’un bon roman ; c’est sans doute que L’Échafaud ou l’excentrique monsieur Céraste est les deux.

 

On m’a offert ce livre, donc.

 

Et je ne sais toujours pas s’il faut en déduire quelque chose.

 

Mais je remercie le généreux donateur pour cette friandise des plus appréciables. Et rêve à mon tour d’un Comité de soutien pour la prolifération des cancres, institution sans doute nécessaire, et d’un authentique monsieur Céraste, qui saurait aller au bout de son talent sans jamais s’égarer.

 

PS : Un truc, quand même : Molière, c’est vraiment de la merde.

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