"Surface de la planète", de Daniel Drode
DRODE (Daniel), Surface de la planète, Paris, Hachette, coll. Le Rayon fantastique, 1959, 254 p.
Où l’on continue la découverte des classiques de la science-fiction française de la période 1950-1980, avec ce livre rare (deux éditions seulement, sauf erreur) qui me faisait de l’œil depuis un certain temps déjà – j’en avais entendu causer, en tout cas, même si je ne sais plus précisément comment –, mais qui m’est apparu comme une lecture indispensable à cause de la thèse de Simon Bréan sur La Science-fiction en France. J’ai finalement trouvé la première édition de cette antiquité – dans un état, je vous raconte même pas – et m’en suis prestement emparé, en entamant presque aussitôt la lecture. Ce qui était sans doute une mauvaise idée : parce que, du coup, je l’ai lu en parallèle du fente à bulleux Enig Marcheur de Russel Hoban, roman avec lequel il partage – avec une sacrée longueur d’avance, certes – quelques points communs ; sauf qu’à la comparaison, il souffre un peu… Mais j’y reviendrai.
Ceci dit, qu’est-ce qui m’a poussé à faire l’acquisition de cette vieillerie, me direz-vous ? C’est simple : d’après Simon Bréan, il s’agissait visiblement là d’un OVNI – pardon, OLNI – dans le champ de la science-fiction française de l’époque, et qui fut accueilli comme tel ; d’une part, il reçut immédiatement le prix Jules Verne ; d’autre part, il se fit recevoir plutôt fraîchement par la critique (nombreux développements sur un article de Fiction assez catégorique), même s’il s’en trouvait pour le défendre (dont Gérard Klein, qui réédita donc le roman en Ailleurs & Demain). C’est que, avec Surface de la planète, on est bien loin de la traditionnelle « SF à papa » qui faisait alors les grandes heures du Fleuve Noir « Anticipation ». Le roman – le seul de son auteur, ai-je cru comprendre – est a priori d’une ambition sans commune mesure, notamment – pierre de touche récurrente dans l’histoire du genre – sur le plan stylistique. On a pu dire de Surface de la planète qu’il mêlait science-fiction (plus exactement la variante post-apocalyptique) et Nouveau Roman. Ce qui a paru plus ou moins pertinent, et a plus ou moins convaincu.
Nous sommes « en 3850 après l’Hydrogène ». L’humanité – du moins la majeure partie de ce qu’il en reste – s’est réfugiée dans des souterrains, où elle bénéficie du Système : les individus sont séparés les uns des autres, vivant chacun en autarcie dans une cellule ; s’ils peuvent communiquer entre eux par le biais du phone, ils passent néanmoins la majeure partie de leur existence parfaitement seuls, à bouffer les tablettes nutritives que leur fournit un distributeur automatique, seul moyen de découper le temps, et à se plonger dans la Vision, sorte de réalité virtuelle avant l’heure qui les introduit dans des souvenirs du temps d’avant, leur faisant incarner d’autres vies.
Mais, un jour – dès le début du roman, en fait (« Ainsi venait de se détraquer le distributeur de tablettes, et celles-ci sortaient du mur en jaillissement continu », première phrase) –, le Système connaît des dysfonctionnements à répétition. La – courte – première partie de Surface de la planète, à la troisième personne, nous présente un certain nombre d’individus baignant dans le Système et la Vision, mais qui sont bientôt contraints de quitter leurs cellules du fait de ces dysfonctionnements, et de prendre le chemin de la Surface – une poignée d’entre eux tout du moins.
Puis l’on passe à la seconde partie, qui occupe tout le reste du roman, et est cette fois à la première personne. Le narrateur anonyme fait partie de ces individus ayant regagné la Surface de la planète. À certains égards – au début tout du moins –, il en est même le meneur, multipliant les initiatives quant à ce qu’il faut faire dans cet environnement hostile accablé par le Soleil. Mais bien vite, plus ou moins contraint, plus ou moins par choix, il se retrouve seul, à errer sans véritable but à la Surface. Il y fera un certain nombre de rencontres : on notera ainsi celle d’une communauté d’évadés du Système comme lui, avec un chef, ce qui ne lui sied guère, puis (surtout ?) celle d’un natif de la Surface aux discrètes mutations et à la politesse déstabilisante – car il y eut bien des rescapés pour ne pas s’enfoncer sous terre dans le Système. Il découvrira aussi un environnement étrange, aux dangers parfois imprévisibles – ainsi ces zones dangereuse tombées sous la coupe d’un Réseau bidimensionnel (ici, je n’ai pu m’empêcher de penser, avec un peu d’avance, au gigantesque Stalker des frères Strougatski), dont le narrateur semble persuadé qu’elles sont vouées à s’étendre jusqu’à englober tout. Mais, pour l’essentiel, son errance a tout de même quelque chose d’absurde et de désabusé, voire nihiliste, jusqu’à la conclusion ambiguë et, dans un sens et de manière toujours aussi anachronique, dickienne avant l’heure.
On le voit, du moins je l’espère, à la lecture de ce résumé : Surface de la planète, s’il présente une trame relativement classique (ou qui l’est devenue depuis…), contient bon nombre d’éléments de fond fort intéressants, et parfois visionnaires.
Cependant, c’est surtout la forme qui retient l’attention. Le roman témoigne d’une grande ambition stylistique, sans doute rare à l’époque de sa rédaction. Il tient parfois, dans les digressions du narrateur, du poème en prose, vaguement surréalisant, impression renforcée par des jeux de mise en page divers et variés. Mais ce qui frappe surtout – et a un peu parasité ma lecture, donc, puisque le parallèle avec Enig Marcheur est ici flagrant –, c’est sa manière de triturer le langage, de multiples façons, pour constituer une véritable langue du futur. Rien d’aussi extrême que le parlénigm, non ; mais l’oralité s’écrit, sous forme de raccourcis (« ia » pour « il y a », « dla » pour « de la », etc.), et l’auteur multiplie en outre les mots-valises (sans donner une impression de jargon SF pour autant) ou encore les brusques changements de registre, ponctuant une écriture dans l’ensemble assez soutenue, et usant parfois de mots rares, par des percées de familiarité. Tout cela est aussi déstabilisant qu’intéressant, et, à nouveau, visionnaire.
On comprend donc fort bien le choc qu’a dû constituer Surface de la planète à sa parution en 1959. Ce roman ne ressemblait probablement à rien d’autre alors, et avait une bonne longueur d’avance. Pourtant, arrivé à ce point, et tout en reconnaissant les multiples qualités dont le roman de Daniel Drode fait preuve, et qui sont indéniables, je ne peux qu’avouer ma déception (relative). En effet, malgré toutes les bonnes idées dont il fait preuve, le fait est que je l’ai trouvé passablement chiant, ce roman visionnaire… Si la première partie m’a énormément parlé, de même que le début de la seconde, j’avoue m’être assez vite lassé des digressions philosophico-pouétiques du narrateur et de son errance sans but teintée de vague à l’âme ; ce qui fait assurément partie du projet, mais ne m’a pas séduit. Passé l’enthousiasme de la première moitié du roman, en gros, je me suis donc plutôt ennuyé à la lecture de ce roman pourtant court.
Il faut dire que la « concurrence » n’arrangeait rien à l’affaire : j’ai donc lu ce livre en parallèle d’Enig Marcheur, et ce dernier, publié une vingtaine d’années plus tard il est vrai, l’a emporté haut la main dans mon estime ; avec le roman de Russel Hoban, nous sommes véritablement en présence d’un chef-d’œuvre qui, trente ans plus tard, n’a rien perdu de son intérêt, et garde toujours quelque chose de singulier et visionnaire (d’autant qu’il se montre à bien des égards plus extrême). Surface de la planète, de son côté, m’a fait l’effet d’une œuvre d’avant-garde, en tant que telle bourrée de qualités, mais qui n’a pas su conserver l’intemporalité qui fait les chefs-d’œuvre tels qu’Enig Marcheur : en fait, ainsi que cela a été souvent noté, rien ne vieillit aussi vite que l’avant-garde, et Surface de la planète en témoigne…
D’où ma déception relative. Objectivement, Surface de la planète est sans doute un bon roman ; en son temps, sa singularité en faisait même sans doute un très bon roman, largement au-dessus du lot. Je ne nie certes pas son caractère visionnaire, l’astuce dont il fait preuve, le soin rare apporté au style, ou encore l’intelligence de l’ensemble. Mais voilà : d’une part pour des raisons qui ne tiennent qu’à lui, d’autre part du fait de la « concurrence » mal placée avec Enig Marcheur, le roman de Daniel Drode, avec toutes ses qualités que je n’ai aucunement l’intention de remettre en cause, m’a ennuyé. Aujourd’hui, il ne constitue plus à mon sens qu’un intéressant témoignage de ce que la science-fiction la plus avancée pouvait produire à la fin des années 1950 ; en tant qu’objet d’étude, il est fascinant ; mais sa lecture aujourd’hui, pour l’amateur lambda, ne présente qu’un intérêt très relatif.
"Le Vampire de Ropraz", de Jacques Chessex
CHESSEX (Jacques), Le Vampire de Ropraz, Paris, Grasset – LGF, coll. Le Livre de poche, [2007] 2008, 90 p.
Je ne sais pas si je dois m’en féliciter ou m’en plaindre (probablement le premier choix), mais mes libraires de prédilection (que je ne nommerai pas pour ne pas nuire à leur réputation) sont toujours de bon conseil et savent ce qui est à même de me plaire. C’est ainsi qu’ils m’ont fortement recommandé la lecture du Vampire de Ropraz, de l’écrivain suisse Jacques Chessex. On comprendra pourquoi à la lecture de ce délicieux extrait :
« Cadavre violé. Traces de sperme, de salive, sur les cuisses dénudées de la victime. Et la mutilation la plus sanglante apparaît dans son horreur.
« La main gauche, coupée net, gît à côté du cadavre.
« La poitrine, cisaillée à coups de couteau, est profondément charcutée. Les seins ont été découpés, mangés, mâchés, et recrachés dans le ventre ouvert.
« La tête, aux trois quarts séparée du tronc, y a été enfoncée après que des morsures très repérables et visibles ont été pratiquées en plusieurs endroits : le cou, les joues, l’attache de l'oreille.
« Une jambe, la droite, et la cuisse droite elle aussi, sont hachées jusqu’au pli du sexe.
« Le sexe a été découpé, prélevé, mastiqué, mangé, on en retrouvera des restes recrachés, poils pubiens et cartilage, dans la haie dite du Crochet, à deux cents mètres au-dessus de la forge.
« Les intestins pendent hors de la bière. Le cœur a disparu.
« Il est certain que le dément a extrait le corps de la fosse pour procéder à son aise. Il y a une poignée de longs cheveux et deux larges flaques de sang, en partie absorbées par la neige, près de la tombe profanée.
« L’horrible besogne accomplie, le repas bestial terminé, le corps de la jeune martyre a été réajusté au cercueil, à sa place dans la fosse béante. »
Ambiance. Et bon appétit, bien sûr !
Alors, oui, certes, ça ne pouvait que me parler. Pensez donc ! Nécrophagie, Nécrophilie, zoophilie, pédophilie, inceste, viols en tout genre, etc. N’y manque guère que la coprophagie, mais ça va, j’ai mangé assez de caca pour toute ma vie en lisant Sade (auquel le dernier roman de Chessex semble d’ailleurs rendre hommage ; il a du coup été récompensé par le prix Sade, mais bon, depuis que j’ai appris que Christine Angot l’avait eu, je me méfie un peu).
On nous dit en page de garde que Le Vampire de Ropraz est un « roman ». Mais c’est un très (très !) court roman, et qui est semble-t-il fondé sur un fait réel, du genre qu’affectionnent les machins type Le Nouveau Détective et autres trucs bourrés de crimes atroces en gros titres racoleurs. Pourtant, ça ne se passe pas dans l’Oise, mais en Suisse, dans le Vaudois. Et ça commence donc, plus précisément, à Ropraz.
Nous sommes en 1903. La jeune et (nécessairement) pure Rosa Gilliéron, fille du juge de paix, meurt d’une méningite. Jusqu’ici, rien que de très normal, sans doute. Mais voilà : deux jours après son enterrement, on retrouve sa tombe profanée, et… ben, je vous renvoie à l’extrait plus haut (lisez-le une deuxième fois, vous savez que ça vous fera du bien).
Stupéfaction et scandale devant le crime abominable ! Très vite, on se met à parler d’actes de « vampirisme », et les journaux craignent que « le vampire de Ropraz » frappe à nouveau. On cherche, on dénonce, on ne trouve rien. Et le vampire se fait oublier quelque temps.
Et puis, un peu plus tard, coup sur coup, PAF ! Dans deux autres villages, nouvelles profanations de sépultures et mêmes actes constatés (avec de subtiles variantes dont je vous passerai le détail). C’est nécessairement le fait du vampire de Ropraz ! La panique s’empare plus que jamais des habitants de la région, qui craignent que l’ignoble criminel ne s’en prenne à des jeunes filles vivantes !
Et puis on trouve le coupable idéal. Charles-Augustin Favez, de son nom. Garçon de ferme, pris en train de baiser une vache (le fermier se méfiait, plusieurs de ses bêtes portaient les traces d’attentats de ce genre et avaient été mutilées là où il faut). De toute évidence, c’est lui ! Après tout, une jeune fille morte et une vache vivante, c’est presque pareil. On s’empare du jeune déviant, du « vampire », et on le met en prison en attendant son jugement.
Je vais arrêter là mon résumé, histoire de ne pas tout lâcher (…) dans ce compte rendu. Mais la suite est à l’avenant, un vrai régal pour pervers polymorphes.
Jacques Chessex nous rapporte donc cette histoire au plus près, s’en faisant le chroniqueur, à l’aide d’un style parfaitement approprié, dont je ne saurais trop dire s’il est très épuré ou très écrit (à cet égard, j’ai parfois pensé à Pierre Michon, mais le format très court comme l’approche y sont sans doute pour beaucoup, probablement plus que la plume à proprement – ou salement – parler).
Et c’est une plongée fascinante tant dans l’univers des fantasmes décadents de la bourgeoisie d’alors (comme de celle d’aujourd’hui sans doute, mais bon) comme dans celui de la « misère sexuelle » de la ruralité suisse, avec ses petites hontes, ses choses dont il ne faut pas parler, surtout pas. Un double univers jumeau, fait de violence aveugle et d’obsessions qui en disent long. Perpétuelle oscillation entre les cris des foules réclamant l’exécution du vampire (cela faisait longtemps que l’on n’avait plus exécuté personne dans la région) et le non-dit de la « crasse primitive ».
Le vampire, lui, on en parle. Mais c’est un personnage sacrément intéressant que ce Favez, et qui n’a décidément rien pour lui, le pauvre : placé tout petiot dans une famille qui abuse de lui, peu sociable et capable de violentes crises de colère, il « sent » le vampire, en effet ; mais est autant une victime qu’un bourreau. Les meilleurs moments du roman sont probablement ceux où l’auteur abandonne l’extériorité comme le style de la chronique judiciaire pour se placer dans les pensées de Favez en geôle – là, c’est vraiment très fort –, et notamment quand il reçoit les visites d’une mystérieuse dame en blanc soudoyant le gardien…
Maintenant, n’exagérons rien : en dépit du ton adopté dans ce compte rendu – j’avions point pu m’en empêcher… –, il me semble que l’on trouvera sans trop de difficultés plus « salé », et Le Vampire de Ropraz n’est pas un catalogue d’atrocités, bestialités et autres scènes de cul glauque, mais une étude fort bien vue des mentalités campagnardes d’alors, notamment dans leur rapport à la sexualité (nécessairement) déviante. Et non, ça ne soulève pas vraiment l’estomac (enfin, le mien, en tout cas, ça va).
Mais je n’en ferai pas non plus une lecture indispensable : c’est un peu court, jeune homme, et sans doute un peu sec. Ça n’en est pas moins très intéressant. Oui, ces libraires pervers ont été de bon conseil, et je les remercie donc. Un de ces jours, je vais peut-être approfondir l’œuvre de Chessex, il peut y avoir des choses fort intéressantes, là dedans.
Sur ce, je boufferais bien une cramou… un cassoulet.
"Enig Marcheur", de Russell Hoban
HOBAN (Russell), Enig Marcheur, [Riddley Walker], traduit du riddleyspeak (Anterre) par Nicolas Richard, préface de Will Self, postface de Russell Hoban, [s.l.], Monsieur Toussaint Louverture, [1980] 2012, 288 p.
Je suie dans les An Nuit jusqu’au coude. Aux des parts je voull pas fer ce conte rendu en parlénigm parce queue cest un peu de mauve égoût et queue jai pas le tas lent du rat ducteur Nicolas Richard qui a fait entrave aïl ex tradinaire que Père Sonne pensé que cété pot cible à vent. Aussi cest un peu fer d’un pari de la bile. Mais voilà jeu panse con peut pas parler d’Enig Marcheur de face on Père Tinente autre ment quand parlénigm parce queue ça change tout dans les fissions la forme et le fond et tout comme. Alors bon je vais sayer. Eum dis que çava pas être fissile mais queue magret tout il le faut. Part donnez moi si cest une mauve aise ydée je vois pas comme ment faire sans ça.
Alors bon Enig Marcheur cest un Rom An pot stable et tique qui est déjà vieux mais qui été raie puté un traduisible. Mais grasse à Nicolas Richard et Monsieur Toussaint Louverture on là en faim en français par don en parlénigm. Il faut laid rhum mercier parce queue cest vraiment très bon et an plus cest très beau avec toutes ces jaques et ou ces rats bas. Alors mer si Nicolas Richard et Monsieur Toussaint Louverture vous êtres ganrrs et forts et beaux.
Ça se passe long tant à près le Grand Boum en Anterre dans la région de Cambry. Sauf à Ram où cest le Mine Stère les gens sont des fermiers ou des nomades en foul. Enig Marcheur est un jeu nomade qui 2vient un homme aux des buts du Rom An parce queue il a 12 ans. Cest le fils du contac et quand son père meurt trait vite il 2vient contac lui aussi. Un contac ça fait des révêls en transe à près les spec tac des maris honnêtis du Mine Stère sur Eusa. Le spec tac rat conte l’histoire d’Eusa sur le Grand Boum. Tout le monde connaît ça mais cest jamais pareil et la révêl tout comme. Mais la première révêl d’Enig se passe mâle et la foul n’est pas contente.
Et pis il y a la Meute de Cul Brûlé cest des chiens avec un chef noir qui suiveur tout le tant Enig bise à Rom An. Un jour les chiens tuent un autre homme de la foul et les gens aiment an corps moins Enig parce queue il a rien fait. Alors quand Enig trou veut dans la bouyass un pentin que plus tard il à prendra être Plichinel il des cides de par tir parce queue autre ment il pour raie pas le garder. Cest comme ça que Enig se mais à part courir l’Anterre. En quelques jours il fera bi1 des rangs contre et sur tout il va des cider d’écrire tout ça.
Et ça donne Enig Marcheur qui est donc une sorte de journal qui parle du Grand Boum d’Eusa et du corps de la feurée et de la pyèr et tout. Cest une quête ni sciatique plaine de pro fessiers de raies flexions sur le tant d’à vent le tant près an et le tant à venir. Cest trait untel les gens trait riche je dirais même file au zoo Fik si ça fusée pas un peu preuh.
Mais cest vrai queue cest pas un Rom An fissile à lyre. Alors d’abord il y a le parlénigm cest un peu rebut tant dans les premières pages mais on si fait et sur tout cest pas grat8 cest vrai ment un lent gage du futur qui fait sens. Si ça demende des elfes forts aux des buts on se prend vite au jeu et ça donne une fission 10férente des choses et donc cest utile.
À près le Rom An est quand même air mes tiques parce queue Russell Hoban n’explique ri1 ou plus tôt cest Enig qui explique et il a un mot de pansée tel ment 10férent dune autre comme con prend pas tout. Et cest là que Enig Marcheur est vrai ment raie uzi. Cest un Rom An du futur écrit dans la langue du futur et dans la pansée du futur. Aussi cest tout sauf dix tactiques. Il y a des seins bols con comme prend pas magret les mots d’Enig tout simplement parce queue ce qui est naturel pour Enig ne laid pas pour nous. Mais cest vrai ment trait un trait sang et si ça rang le Rom An aube se cure ça le rang aussi an corps plus riche et face nan. Cest note amant vrai pour ce qui est de la mite au logis avec Eusa et Adom le Ptitome et le corps de la feurée et la pyèr et le Grand Boum et tout. On des couvres comme ça tout un monde de la manne hier la plus frontale et cest ex tradinaire et élec citant. Cest la miel heure science-fission pot cible dans un sans.
Et en plus ce qui est fou cest que Enig Marcheur avec le parlénigm est pour tant bi1 et cris. Et même trait bi1 et cris. Le Rom An est vrai ment trait beau que ce soie dans le fond ou dans la forme. Certes haines scènes sont traits et mouvantes et aussi drôles en même tant comme le premier spec tac de Plichinel par Bonparley. Cest d’ailleurs un su Père Perd Son Âge et dos trop si comme Lachévêque de Cambry. D’autres pas sages sont traits durs mais cest nord mâle dans un monde pot stable et tique cest l’avis. Et cest tout jour Père Tinent et untel les gens et beau.
Cest peu de dire queue j’ai été con qui par Enig Marcheur. Cest un Rom An fable bulleux et con peut compère à auc1 nôtre tant il est sanglier dans la forme comme dans le fond. Cest le genre de l’ivre qui chant jeu l’avis et le regard con porte sur la lis tes ratures. On né plus pas raye à près lavoir lu. Aussi j’or raie an vie de dire que cest probable ment le miel heure Rom An de science-fission pot stable et tique que j’aie jamais lu. 2vant Un cantique pour Leibowitz, 2vant La Route, 2vant Plop et tous les autres aussi. Alors vous or raie con pris qu’il vous faut lire Enig Marcheur cest tes normes et donc un dix pensable.
"L'Empire du Baphomet", de Pierre Barbet
BARBET (Pierre), L’Empire du Baphomet, Paris, J’ai lu, 1977, 157 p.
ATTENTION : ce compte rendu va débuter par une longue phase « 3615 MyLife », pour reprendre l’expression obsolète consacrée. Vous êtes prévenus.
…
Aaaaaaaaaaaaah, les Templiers ! Je partage avec bon nombre d’imbéci… de gens une bizarre et pourtant si commune passion pour le fameux et mystérieux ordre de moines-soldats, de sa création par Hugues de Payns (ici orthographié « Payn ») à la mort sur le bûcher du dernier Grand-Maître Jacques de Molay… et au-delà, mouhahaha.
Cette lubie doit remonter, je suppose, à ma lecture et relecture quand j’étais tout minot de L’Histoire de France en bande-dessinée, qui était alors mon œuvre de prédilection et décida de bien des choses au cours de ma vie ; cette histoire « à l’ancienne », riche en anecdotes édifiantes, m’a fait une forte impression, et j’en conserve encore aujourd’hui bien des souvenirs, sous forme d’images marquantes ; pour ce qui est de l’histoire du Temple, j’en retiens surtout deux : la mort de Guillaume de Beaujeu le 8 mai 1275 à Saint-Jean-d’Acre en défendant la Tour Maudite, et plus encore la malédiction prononcée par Jacques de Molay en 1314 sur le bûcher de l’île aux Juifs (aujourd’hui le square du Vert-Galant, au bout de l’île de la Cité, où je vais de temps à autre faire mon pèlerinage). Déjà, cette première lecture m’avait étrangement enthousiasmé pour les Templiers et le mystère de leur procès (affaire lancée en 1307 par Philippe le Bel), et de tout ce qui s’ensuit : la malédiction, donc, mais aussi le fameux « trésor », la survivance éventuelle chez les Francs-Maçons, etc. Où l’ésotérisme vient assez rapidement se mêler à l’histoire…
L’étape suivante, ce fut inévitablement Les Rois maudits de Maurice Druon, saga constituant à mes yeux le roman historique par excellence, et que j’ai dévorée et re-dévorée (d’ailleurs, je tenterais bien un jour une troisième lecture… faut voir).
Et puis il y eut, cette fois, le thriller ésotérique par excellence, ou pas tellement il est hors-catégorie et surclasse avec élégance, finesse et érudition toutes les abjectes soupes qui affichent cette étiquette, à savoir Le Pendule de Foucault d’Umberto Eco, là encore dévoré et re-dévoré (et là aussi, peut-être qu’une troisième lecture…). Il y a tout, dans ce roman, le plus sérieux comme le plus absurde, mêlé avec un brio narratif sans pareille par l’auteur du Nom de la rose. Et ce fut en ce qui me concerne le point d’orgue de mon obsession templière : je me mis à lire tout et n’importe quoi dès l’instant que ça parlait du Temple (y compris les plus douteuses des publications : je me souviens notamment d’une revue bidon liée aux Rose-Croix de l’AMORC, lui-même lié au sinistre Ordre du Temple Solaire…), et fis à l’occasion quelques pèlerinages, déjà ; aujourd’hui encore, mon porte-clefs, acheté il y a des années à Domme, représente le sceau des Templiers (oui, celui avec les deux tarlouzes sur un seul canasson).
C’est bête, une passion. Qu’est-ce que j’ai pu lire comme conneries sur le Temple, à cette époque ! Et, au final, la question se pose toujours, dans un sens : coupables ou non-coupables, les moines-soldats ? Adoraient-ils vraiment l’étrange divinité appelée « Baphomet » ? C’est peu probable, certes ; le procès des Templiers, peut-être le premier exemple de ces grands procès politiques qui m’ont tant intéressé, tient à bien des égards de la mascarade judiciaire orchestrée par Philippe le Bel et son fidèle Guillaume de Nogaret, avec la complicité plus ou moins volontaire du pape Clément. Les accusations de ce genre, de même que celles de sodomie, étaient un lieu commun de l’époque. De même, le fameux « trésor caché » n’a très probablement jamais existé. Quant à la survivance du Temple, au-delà de certaines revendications maçonniques ou rosicruciennes pas vraiment crédibles, elle est de toutes façons attestée dans d’autres pays européens, où l’Ordre, loin de subir le triste sort qui fut le sien en France, se contenta à peu de choses près de changer de nom… Je suis bien conscient de tout cela, mais la fascination reste… même si je ne suis plus aujourd’hui à même de lire n’importe quoi sur le sujet.
Ou presque…
FIN DU 3615 MYLIFE.
Aussi, il était inévitable qu’un jour ou l’autre je lise L’Empire du Baphomet de Pierre Barbet, souvent présenté comme un « classique » de la science-fiction française (mais on aura l’occasion d’y revenir…), et dont je me souvenais avoir lu une chronique rigolote chez l’ami cafard Yossarian. La lecture récente de La Science-fiction en France de Simon Bréan m’a décidé à sauter le pas, et j’ai sorti le court roman de ma commode de chevet où il prenait la poussière dans sa réédition chez J’ai lu (sous une couverture comme d’hab’ indicible de Caza ; le roman a été originellement publié au Fleuve Noir « Anticipation »).
L’histoire commence en octobre 1118 en France. Le chevalier Hugues de Payn, lors d’une chasse en solitaire, fait une étrange découverte : celle d’un vaisseau spatial échoué sur notre bonne vieille Terre… À son bord, une étrange créature d’apparence démoniaque, de la race des Baphomets. Ladite créature bénéficie (donc) d’une technologie très avancée, a fortiori pour un chevalier français du début du XIIe siècle. Et elle propose à Hugues de Payn d’en bénéficier, en échange de vivres lui permettant de subsister jusqu’à ce qu’elle puisse réparer son vaisseau… Hugues, d’abord un peu méfiant devant la bestiole cornue, accepte le marché (très vite…), et se plie à ses volontés : c’est ainsi qu’il crée un ordre de moines-soldats, destiné à terme à régner sur un empire sans pareil, le Baphomet lui en a fait serment. Longtemps, l’extraterrestre se contente d’aider le Temple en lui fournissant d’amples réserves d’or, et des statuettes à son effigie qui sont en fait des appareils de communication.
Mais les choses changent en 1275, alors que le Grand-Maître est Guillaume de Beaujeu (voir plus haut). Cette fois, le Baphomet fournit au Temple des « grenades atomiques », armes d’une puissance sans commune mesure, capables à elles seules de bouleverser le cours des batailles. C’est ainsi que Guillaume et ses compagnons, bien loin de finir leurs jours lors du siège de Saint-Jean-d’Acre, font une sortie et écrasent littéralement l’armée pourtant bien plus nombreuse de Baïbars.
Mais ce n’est pas fini : encouragé par le Baphomet, Guillaume de Beaujeu se lance dans une gigantesque entreprise de conquête, qui l’amènera à batailler bien au delà de la seule Terre Sainte, en Mésopotamie, puis jusqu’en Cathay, sous la domination du légendaire Qoubilaï Khan (là encore, j’adopte l’orthographie de l’auteur) ! Et de constituer ainsi un empire tel que la Terre n’en a jamais connu, plus vaste encore que celui du païen Alexandre le Grand… Mais Guillaume se méfie quelque peu du Baphomet… et à juste titre.
Voilà, en gros, pour le pitch. On pourra donc qualifier, après un départ relevant de l’histoire secrète, L’Empire du Baphomet d’uchronie. Mais, en pratique, on pourrait tout aussi bien le résumer par un seul mot : BASTON ! Ça se latte du début à la fin ou presque (et c’est du coup un peu lassant, même sur une aussi courte distance). On va de bataille en bataille, avec de temps à autre (heureusement) quelques conseils de guerre et, surtout (c’est le plus intéressant), des discussions « scientifiques » (ou alchimiques…) concernant la nature et l’utilisation des objets fournis par le Baphomet et la possibilité, éventuellement, de les reproduire. Car Guillaume ne bénéficie pas d’un stock illimité de grenades atomiques… Pour le reste, Barbet applique de manière très professionnelle un schéma récurrent : on-se-lance-dans-une-entreprise-folle, les-difficultés-s’accumulent-et-ça-geint-dans-les-rangs (notamment avec les personnages supposés gouailleurs que sont les frères Tholon), la-bataille-décisive-s’engage-mal, mais-ouf-grâce-aux-armes-du-Baphomet-et-à-une-brillante-stratégie-les-Croisés-l’emportent. Répétitif, donc.
Ce qui n’empêche pas L’Empire du Baphomet d’être plutôt rigolo et, malgré tout, distrayant, surtout si l’on est bon public. Mais bon, faut pas pousser mémé dans les orties : je me souviens d’un fil édifiant d’ActuSF où ledit roman était qualifié de « chef-d’œuvre de la science-fiction française », c’est quand même n’importe quoi. Au mieux, L’Empire du Baphomet est un roman de gare honnête ; au pire, il a tout de même quelque chose d’un peu (un peu ?) ridicule, a fortiori aujourd’hui (le roman a pris un coup de vieux), notamment du fait de son accumulation de clichés, de ses personnages bien falots, de son style médiévalisant guère convaincant (sans parler de l’accent suisse à couper au couteau d’Otto de Granson, chef des croisés anglais, et des populasseries de deux des trois Tholon…) et, surtout, oui, j’y reviens encore, de sa trame ultra-prévisible car ultra-répétitive.
Quant à la fin, c’est peu de dire qu’elle n’est pas satisfaisante (mais les contraintes de publication au FNA n’y sont sans doute pas pour rien), tant elle relève à la fois de la queue de poisson et du deus ex machina. Et le roman appelle de toute évidence une suite, Croisade stellaire, si j’ai bien tout compris. Je ne sais pas si je la lirai un jour, c’est peut-être un peu de la perversion…
…
Mais en même temps, si y a des Templiers dedans…
…
GLOIRE AU BAPHOMET !
"Les Braves Gens ne courent pas les rues", de Flannery O'Connor
O’CONNOR (Flannery), Les Braves Gens ne courent pas les rues, [A Good Man Is Hard To Find], traduit de l’anglais [États-Unis] par Henri Morisset, [Paris], Gallimard, coll. Folio, [1953-1955, 1963, 1981] 2010, 277 p.
Je ne peux que déplorer mon ignorance crasse, et confesser que je ne savais rien de Flannery O’Connor jusqu’à une date très récente. Je n’en avais même jamais entendu parler (honte, honte sur moi). Heureusement, Jérôme Noirez est là, qui a eu le bon goût de faire figurer ce recueil de dix nouvelles qu’est Les Braves Gens ne courent pas les rues dans sa sélection en tant que libraire invité à Charybde. Sa présentation m’a paru plus qu’alléchante, et je me suis donc empressé de faire l’acquisition du précieux petit volume (de même que des Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon, dont je vous causerai un de ces jours).
Flannery O’Connor (1926-1964) est donc une auteure sudiste. C’est rien de le dire : ses textes, en tout cas ceux figurant dans ce recueil, fleurent bon le Sud profond, très profond, mais alors vraiment très très profond, le Sud un peu intemporel des bouseux bigots d’une pauvreté désespérante et des bons nègres au large sourire amateurs de pastèque. On a pu qualifier son style, ai-je lu sur Wikipédouille, de « southern gothic ». En tout cas, c’est d’une plume virtuose, incroyablement douée pour la caricature, le grotesque et le tragicomique, qu’elle dépeint le quotidien misérable et aussi atroce qu’hilarant de ses personnages bourreaux/victimes.
Et c’est méchant. C’est délicieusement méchant.
Oh, oui.
J’aime. J’adore, même.
Flannery O’Connor dissèque le Sud et sa mythologie avec un brio rare. Elle a un don unique pour enregistrer et témoigner des bassesses, des mesquineries, des hypocrisies et autres vilenies en tout genre. La lecture de ses nouvelles, aussi, est parfaitement réjouissante, et en même temps fort édifiante (le fait qu’elle fut catholique n’y est peut-être pas étranger). En quelques mots bien choisis, elle dresse des portraits inoubliables de gens de peu, campe des décors mi-bucoliques, mi-sordides, d’une richesse de sensations impressionnante dans leur vacuité, et livre, « avec un humour implacable, une fantaisie grinçante jusque dans le tragique et l’horreur » (je cite la quatrième de couverture, une fois n’est pas coutume).
C’est grinçant, oui. C’est cruel, même. Et qu’est-ce que c’est bon ! Vous l’aurez sans doute compris, à la lecture de cette introduction riche en orgasmes répétés, mais disons-le franchement : Les Braves Gens ne courent pas les rues est de très loin un des meilleurs bouquins que j’ai lus cette année. Je ne remercierai jamais assez le sieur Noirez pour ce choix des plus pertinents.
Ceci étant, décortiquons. Le recueil s’ouvre (donc) sur « Les Braves Gens ne courent pas les rues » : une famille avec grand-mère bigote et nostalgique et gamins infernaux part en vacances en Floride, alors que les journaux annoncent qu’un tueur en série vient de s’évader et rôde dans la région. Et sur qui pensez-vous que la petite famille va tomber, après un épique accident de la route ? Gagné. C’est délicieux de gouaille, de bêtise et (donc) de méchanceté.
Dans « Le Fleuve », un gamin est gardé pour la journée par une nounou très portée sur les choses de la religion, et qui l’emmène voir un prédicateur, dont le gamin prétend porter le même prénom ; mais il n’a jamais été baptisé, et donc n’existe pas ! Et de la blague découlera une fin aussi superbe qu’horrible.
Suit « C’est peut-être votre vie que vous sauvez » : manœuvres, morale et philosophie de comptoir entre un charpentier errant et manchot, une vieille femme et sa fille affligée de toutes les tares. Très bien, forcément.
Histoire de faire dans le bluffant, on enchaîne sur « Un heureux événement ». C’est, à peu de choses près, l’histoire d’une femme pas très sympathique qui éprouve des difficultés à monter un escalier. C’est tout (ou presque)… et c’est génial.
« Les Temples du Saint-Esprit », ce sont deux idiotes pouffant sans arrêt, élevées dans un couvent ; se pose la question cruciale : comment s’en débarrasser, le temps d’une journée ? Le tout vu pour l’essentiel à travers les yeux d’une petite fille.
Un texte particulièrement hilarant ensuite, avec « Le Nègre factice » : un vieil homme et son insolent de petit-fils, bouseux comme c’est pas permis, font une virée en ville (là où il y a… des nègres !). Est-ce le premier ou le second voyage ? Les comparses se disputent beaucoup à ce sujet. Mais peu importe : les péripéties de ces deux intrus paumés dans le décor urbain sont bien marrantes.
Suit « Un cercle dans le feu », où une propriétaire fermière, sa domesticité et sa petite fille doivent faire face à l’arrivée de trois gamins particulièrement intenables. Réjouissant.
Dans « Tardive Rencontre avec l’ennemi », un vieux bouc de 104 ans, vétéran de la guerre de Sécession et d’autres entre-temps, fait général lors d’un gala, doit parader pour la remise du diplôme de sa petite-fille. Pour ce qui est de la conclusion, tout est dans le titre… Splendide.
Et l’on retrouve ensuite des « Braves Gens de la campagne » : deux vieilles biques imbéciles accumulent les lieux communs avec une virtuosité tout à fait remarquable, tandis que se noue une idylle nécessairement sordide entre un jeune vendeur de bibles campagnard et une philosophe athée unijambiste (eh oui). La fin est inéluctable, c’est très méchant, c’est un régal.
Les Braves Gens ne courent pas les rues s’achève enfin (non, déjà ? mais, euh !) sur « La Personne Déplacée », de loin le plus long texte du recueil : une famille d’immigrés polonais arrive dans une ferme, et suscite bientôt l’hostilité des autres employés, moins performants, comme de la propriétaire (pourtant bien satisfaite dans un premier temps par l’efficacité de son nouvel employé), jusqu’à un dénouement nécessairement tragique ; un texte aussi drôle que répugnant de bêtise raciste et xénophobe, et toujours d’une grande actualité dans son traitement du discours anti-immigrés ; un chef-d’œuvre dans le chef-d’œuvre.
Vous l’aurez compris (re…) : la lecture de Les Braves Gens ne courent pas les rues ne se contente pas d’être recommandable, elle est impérative. C’est à se demander comment j’ai pu faire sans jusque-là… De mon côté, je vais probablement tâcher de mettre la main sur d’autres textes de la grande dame des lettres américaines. Du vôtre, ben, vous savez ce qui vous reste à faire, non ?
Et merci, merci, merci, monsieur Noirez.
"Naissez, nous ferons le reste !", de Patrice Duvic
DUVIC (Patrice), Naissez, nous ferons le reste !, Paris, Pocket, coll. Science-fiction, 1979, 152 p.
La lecture récente de la thèse de Simon Bréan m’a donné envie de farfouiller un peu dans les classiques de la science-fiction française des années 1950 à 1980, que j’avoue, dans mon inculture crasse, fort mal connaître. Aussi, je vais en lire un certain nombre dans les semaines qui arrivent, après avoir fait quelques expéditions bouquinistes. Il en fallait bien un pour commencer ; et, plus ou moins au hasard (enfin, pas totalement non plus : le thème m’intéressait particulièrement, et le livre avait l’avantage d’être très court), c’est tombé sur Naissez, nous ferons le reste ! de Patrice Duvic (le deuxième roman de son auteur, et un des plus tardifs de la période considérée, donc).
Il y a le père, Paul Temmequine (aha ; ce n’est pas le seul jeu de mot naze ou la seule allusion un peu lourde du roman, hélas sans doute), et la mère ; et très vite, il y a aussi leur enfant, un bébé-éprouvette bien sûr, Bichou. On n’accouche plus, dans le futur plus ou moins proche du roman de Patrice Duvic ; en lieu et place, on achète des enfants aux hôpitaux. Bichou est ainsi un Hôtel-Dieu (un bon choix, d’après le médecin de famille). On ne découvrira véritablement les raisons de ce changement drastique que vers la fin du roman, aussi vais-je fermer ma gueule sur ce point.
Mais la conséquence essentielle apparaît très vite, et il est donc possible de l’évoquer : c’est que, dans Naissez, nous ferons le reste !, les humains comme le reste sont soumis à un savant programme « d’obsolescence calculée » pour satisfaire les besoins de l’économie. Ils sont donc produits avec des « pièces » (des organes, en l’occurrence) déficientes, ce qui implique « réparations » diverses et variées et éventuellement remplacement à terme, pour le plus grand bonheur des industriels (et donc notamment de ces salopards de parasites de la pharmacie) comme des politiques et des syndicats. Le père, par exemple, en fait les frais qui, à 28 ans, a déjà le foie qui déraille (il faut dire qu’il s’énerve pour un rien, le bonhomme).
Naissez, nous ferons le reste ! a donc tout de la dystopie, mais versant farce politique grinçante (je n’ai pu m’empêcher, sous cet angle, de penser à Planète à gogos, dans la filiation duquel le roman de Patrice Duvic me semble bien s’inscrire). Et le roman est à cet égard outrancier, pratiquant volontiers la caricature à gros traits, ce que son postulat en apparence absurde, mais parfaitement logique dans l’univers du roman, dénote déjà assez. L’humour domine, donc ; mais un humour foncièrement noir, ou plus encore jaune (comme le visage du père en situation de stress ; le foie, comprenez-vous…).
Ce qui fonctionne plus ou moins. Parfois, c’est assez franchement too much, et du coup un peu lourdingue (sans même parler, comme cela a été noté plus haut, des multiples allusions et clins d’œil qui parsèment le roman, rarement à bon escient). D’autant que Naissez, nous ferons le reste est dans un sens un roman « par défaut », qui, en maintes occasions, voire l’essentiel du temps, tourne avant tout au pamphlet virulent, décortiquant les malheurs de la société un par un. Ce qui se montre plus ou moins convaincant (j’avais déjà exprimé mes réserves, mais de manière bien plus franche, quant à ce procédé, en traitant il y a de cela un bail de La Zone du dehors d’Alain Damasio, nettement moins rigolo il est vrai…). D’autant que ça se montre peut-être parfois un peu réac et sent quelque peu la théorie du complot, tout de même.
Mais, dans l’ensemble, et ces quelques réserves mises à part, ça marche. On se marre pas mal à la lecture du roman de Patrice Duvic, en grinçant des dents, donc, mais oui, c’est plutôt drôle, et plutôt bien foutu. Et – surtout – en dépit du point de départ qui paraît exagéré, mais on est donc dans le registre de la caricature et c’est bien légitime, c’est atrocement pertinent. Et ça fait donc autant peur que rire. La société peinte par l’auteur fait terriblement penser à la nôtre, de ses publicités ciblées à ses obsessions économiques venant parasiter tous les autres aspects de la vie publique. Quelques scènes, à cet égard, sont particulièrement édifiantes ; j’avoue avoir une certaine prédilection pour celles de débats télévisés, plus vraies que nature, et surtout celle, digne de la pire télé-réalité (à supposer qu’il y en ait une de meilleure…), qui décide du sort d’une grève dans l’usine du père, à coups de sondages en direct : IL Y A TOUJOURS MOYEN DE SE METTRE D’ACCORD.
Roman cinglant et efficace malgré ses quelques défauts, Naissez, nous ferons le reste ! est donc une brève lecture qui vaut le détour, et qui montre que, oui, au-delà des plus « pures » ambitions prospectivistes (auxquelles je n’ai jamais véritablement cru), il est des fois où la science-fiction, même en jouant du registre si dangereux de la caricature, peut se montrer d’une pertinence presque prophétique. Ce qui n’est pas vraiment rassurant le plus souvent, et certainement pas ici… Si vous voulez rire jaune en analysant notre société contemporaine, Naissez, nous ferons le reste ! est donc une lecture de choix. C’est triste, passé les quelques sursauts d’hilarité, mais c’est indéniable.
"L'Homme dont toutes les dents étaient exactement semblables", de Philip K. Dick
DICK (Philip K.), L’Homme dont toutes les dents étaient exactement semblables, [The Man Whose Teeth Were All Exactly Alike], traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Gratias, Paris, J’ai lu, [1984] 2012, 443 p.
Nouvelle tentative auprès des romans dits « de littérature générale » de Philip K. Dick, après l’expérience passablement désastreuse de Sur le territoire de Milton Lumky, que j’avais été incapable d’achever. Mais bon : on est un petit fan ou on ne l’est pas, hein. Alors je me suis risqué, malgré tout, à la lecture de cet Homme dont toutes les dents étaient exactement semblables (sacré titre, tout de même)… et je ne l’ai pas regretté, dans la mesure où c’était incomparablement plus intéressant ; pas exceptionnel, non, sûrement pas, mais assez sympathique, tout de même, et très lisible.
Nous sommes à Carquinez, dans le Comté de Marin, Californie, une zone rurale habitée par un mélange hétéroclite de gros fermiers et de petits bourgeois, généralement très conservateurs. Le roman se focalise pour l’essentiel sur deux couples. Tout d’abord, Leo Runcible, qui est juif en plus d’être un agent immobilier cupide, ce qui fait beaucoup pour un seul homme, et sa femme Janet, bobonne pochtronne vouant une admiration sans faille à son époux. Ensuite, Walt Dombrosio, une sorte de designer, et sa dynamique épouse Sherry, issue d’une bonne famille et qui aimerait bien porter la culotte.
Un jour, Walt a l’idée saugrenue d’inviter à dîner à la maison… un NÈGRE. Scandale ! La petite communauté n’y est pas habituée, et ça jase très vite ; surtout, ça fait rater une vente à Leo Runcible, aussi raciste que les autres, mais qui s’emporte contre des amis auprès desquels il était sur le point de parvenir à ses fins, mais qui sont rebutés à l’idée d’habiter un endroit où pourraient se trouver des Noirs… Fascistes ! Lui, il a fait la guerre contre les nazis ! Mais ça ne l’empêche pas de passer un savon téléphonique à Walt, rendu responsable de l’échec de sa vente, et c’est le début d’une guéguerre stupide et interminable entre les deux hommes, qui atteindra son apogée lorsque Leo trouvera dans sa propriété des ossements étranges, qui pourraient bien appartenir à un homme de Neandertal, chose inouïe en Amérique. D’où le titre.
Cependant, si l’affrontement des deux hommes constitue la trame du roman, ce dernier événement, pour important qu’il soit, est assez tardif. Le roman se centre surtout sur l’étude de caractères, ces deux couples rongés par la mesquinerie et l’égoïsme. Des personnages éminemment dickiens, Walt au premier chef, qui joue au petit artisan dans son garage, est aussi paranoïaque qu’incohérent, et d’un sexisme à faire peur (ou plutôt, le plus souvent, sourire…).
Suite à une dénonciation de Leo, Walt s’est vu temporairement retirer son permis, pour conduite en état d’ivresse ; or il travaille à San Francisco… C’est donc sa femme qui doit le conduire tous les jours, ce qu’il vit déjà assez mal. Mais les choses s’aggravent quand Sherry se met en tête, du coup, de trouver elle-même un travail. Quoi ? Une épouse, travailler ? Ce n’est pas son rôle ! La femme est là pour faire la cuisine et des enfants, c’est l’homme qui travaille ! Mais Sherry arrive à ses fins, et tout dégénère, jusqu’à un mémorable « viol domestique » qui tient de la basse vengeance. Le couple se déchire ainsi stupidement, pour le plus grand plaisir du lecteur (un peu sadique, et probablement un chouia décontenancé par l’état d’esprit foncièrement rétrograde dont font preuve les personnages du roman, qui sent son époque).
Et, sans être brillant, n’exagérons rien, c’est très amusant. Contrairement à Sur le territoire de Milton Lumky, qui revendiquait pourtant ce caractère, L’Homme dont toutes les dents étaient exactement semblables est un roman fort drôle, porté par des personnages aux petits oignons malgré leurs incohérences typiquement dickiennes.
On y trouve en outre – sans surprise, et ça fait partie de l’intérêt de la chose – bien des éléments qui caractériseront la production science-fictive de l’auteur (à vrai dire, ce roman a lui-même une très légère touche SF, avec cette histoire d’homme de Neandertal). C’est donc très flagrant pour ce qui est des personnages, Walt en tête (jusqu’à sa position quant à l’avortement, qui nous rappelle une des pires nouvelles de Dick, bien plus tardive), mais pas seulement. L’atmosphère générale de paranoïa virant facilement à la monomanie et/ou à la dépression est également assez symptomatique. Et l’on trouve, ici ou là, des allusions qui font « tilt ».
Je n’irai pas jusqu’à recommander franchement ce roman, faut pas pousser mémé dans les orties sauf si elle le demande, mais, pour ma part, en bon dickien fanatique, et contrairement à mes craintes premières, je me suis bien marré. On n’est certainement pas en présence d’un chef-d’œuvre, mais L’Homme dont toutes les dents étaient exactement semblables, pour un « litt’ gén’ » dickien, reste tout à fait honorable, et n’a rien de honteux. Plutôt une bonne pioche, donc, et j’en suis le premier surpris. On verra bien ce qu’il en sera des autres, même si là, mon scepticisme revient en force…
"Utopiales 12", de Jérôme Vincent (dir.)
VINCENT (Jérôme) (dir.), Utopiales 12, préface de Roland Lehoucq & Ugo Bellagamba, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2012, 288 p.
Jusqu’à présent, j’ai toujours pris dans l’ensemble beaucoup de plaisir à la lecture des anthologies officielles des Utopiales publiées par ActuSF. Les noms à l’affiche pour cette édition 2012 étant pour la plupart passablement alléchants, je me suis en toute logique précipité dessus – enfin, pour en faire l’acquisition, j’avoue avoir un peu retardé ma lecture du fait de l’établissement scientifique de ma commode de chevet… Mais ça y est, j’ai lu la bête.
Et je suis furieux.
Oh, pas pour tout, certes… Mais prenons les choses dans l’ordre, ça sera plus simple.
On ouvre le bal avec la préface de Roland Lehoucq & Ugo Bellagamba, « Origines » : à vrai dire, ça fait déjà un peu peur, dans la mesure où le programme affiché a l’air passablement régressif… Ceci étant, il est vrai que l’anthologie fait une assez large place à l’enfance. Mais là, comme ça, ça refroidit un peu l’enthousiasme premier ; pour une préface, c’est ballot…
Hélas, les choses ne s’arrangent pas avec la première nouvelle du recueil, due à Pierre Bordage, auteur dont la production ne m’a jamais attiré (et la seule nouvelle que j’en avais lu auparavant, justement dans une anthologie des Utopiales, m’avait paru désastreuse), et ce n’est certes pas « Origo » qui va me faire changer d’avis : c’est une nouvelle au thème très ambitieux (une expédition internationale en route pour le Big-Bang, grosso merdo), mais d’une niaiserie pénible qui vient tout foutre en l’air ; un texte clairement pas à la hauteur de son sujet, quoi.
Et ça ne s’arrange toujours pas avec Sara Doke, laquelle, avec « Fae-space », mélange space-op’ et féerie ; pourquoi pas, hein ? Sans être l’idée du siècle, ça pourrait donner quelque chose d’intéressant… Sauf que non. Ce n’est pas franchement mauvais, c’est juste sans intérêt aucun.
Là, je dois dire que j’ai commencé à avoir franchement les boules : cette anthologie, partie sur des bases aussi calamiteuses, allait-elle faire mentir la bonne image que j’avais des précédentes ?
Ben, en partie. Mais, une fois de plus, n’allons pas trop vite.
Car heureusement survient immédiatement un Vrai Grand Auteur, qui relève le niveau comme c’est pas permis (enfin, si, c’est permis ; ça devrait même être permis plus souvent), en l’occurrence Robert Charles Wilson, qui nous livre avec « L’Observatrice » la très jolie histoire de la relation entre une narratrice adolescente et l’astronome Hubble, prenant pour prétexte les enlèvements par les « petits gris ». Diablement futé, aussi profond qu’émouvant : irréprochable.
Nancy Kress, dans « La Finale », nous conte l’histoire d’un élève surdoué qui veut se débarrasser des « pensées parasites », et, devenu chercheur, obtient des résultats sur une jeune fille qui joue aux échecs ; mais cela ne va pas sans causer quelques soucis… Pas mal, pas mal du tout même ; ça m’incite à faire monter L’Une rêve, l’autre pas dans ma Pile à lire d’Urgence. Je note cependant, même si c’est vraiment histoire de pinailler, que la traduction aurait sans doute bénéficié d’une ou deux couches de relecture supplémentaires. Mais bon.
On passe ensuite à Laurence Suhner, qui, jusqu’à présent, ne m’avait jamais totalement convaincu. Mais « La Chose du lac », nouvelle très typée pulp avec un vol mystérieux et un avatar lovecraftien de Nessie dans le lac Léman, m’a paru bien plus satisfaisante que ce que j’avais pu en lire jusqu’à présent. Amusant, plutôt bien écrit, pas mal du tout.
Puis vient la rock-star de cette édition des Utopiales, à savoir Neil Gaiman. Le prestige du monsieur, la brièveté de sa contribution, et bien entendu mon pessimisme généralisé, me faisaient redouter le fond de tiroir. J’avais bien tort : « « Et pleurer, comme Alexandre » » est une nouvelle courte, certes, mais efficace et drôle, sur le curieux métier de « désinventeur ». L’est fort, ce Gaiman, décidément. Une petite perle en son genre.
Et puis on retourne de par chez nous, et c’est de nouveau la merde… « La Fin de Léthé » de Claude Ecken, sous son titre qui justifierait la tonte s’il y avait une justice, est une histoire d’Alzheimer lourde comme pas possible, avec du pathos à la louche, hors-sujet qui plus est. Très décevant, c’est rien de le dire.
On respire à nouveau (enfin, façon de parler, bien sûr) en s’exilant temporairement de l’autre côté des Alpes avec Tommaso Pincio : dans « Petite Excursion à l’endroit des atomes », on trouvera avec plaisir une classe de CP radioactive dans une Italie « optimiste » à la Silvio et (donc ?) néo-fasciste (bien sûr que c’est de la SF !). Très bien.
Après quoi Laurent Queyssi & Xavier Mauméjean signent enfin (!) la première (et dernière…) bonne nouvelle française de l’anthologie. « En attendant demain » nous narre avec brio la très belle histoire, débutant dans l’Espagne franquiste, d’un petit garçon qui a des visions du futur. Putain, ça fait du bien.
Et puis, et puis…
Du calme, Nébal, du calme.
Et puis vient « RCW » d’Ayerdhal, le plus long texte du recueil et de loin… et celui qui m’a rendu furieux. J’avoue sans peine que je redoutais cette nouvelle à plus d’un titre. D’abord et avant tout, parce qu’il s’agit d’une novella « hommage » à Roland C. Wagner, qui nous a tragiquement quittés cette année ; certains d’entre vous le savent peut-être : j’ai eu, sur les forums et sur ce blog miteux, plus qu’à mon tour, hélas, l’occasion de batailler avec ledit auteur ; n’empêche que la nouvelle de son décès prématuré m’a collé une vilaine baffe et, quand j’ai eu la possibilité comme le courage de lire ce qui avait été écrit à ce sujet, j’ai eu du mal à retenir une larme (croyez-le ou non, peu m’importe). Il était sans doute inévitable de lui rendre hommage lors de cette édition des Utopiales, et je veux bien croire que, sur le moment, cela fut très émouvant. Mais Ayerdhal (auteur dont je n’avais lu auparavant qu’une seule nouvelle, qui m’avait paru très moyenne) s’est donc collé à la tâche fort délicate de l’hommage funèbre dans cette anthologie, au travers d’une longue novella reprenant pas mal les « Futurs Mystères de Paris ». En farfouillant sur le ouèbe, je n’ai lu que des éloges à propos de ce texte, jugé émouvant, juste, toussa, patin-couffin. Et là, je ne comprends pas. Certes, Nébal est un con (je me tue à vous le rappeler) ; certes, je ne suis pas le mieux placé pour parler d’hommage à Roland C. Wagner. Mais vous ne m’empêcherez pas de penser que, bordel, il y avait sans doute meilleur moyen de lui rendre hommage que de faire ressurgir ses pires délires parano-forumesques dans une pathétique charge contre Serge Lehman ! J’ai trouvé ce long texte d’une lecture extrêmement pénible, affligeant, puant, pathétique. J’en suis ressorti furieux, et j’ai encore du mal à me calmer les nerfs. Je ne comprends pas l’enthousiasme pour ce machin lamentable et idiot (j’exclus bien évidemment l’hypothèse du suçage de boules éhonté, ça ne se pratique pas sur la blogosphère, voyons…). Je reste convaincu que, non seulement c’est foireux, mais qu’il n’y avait probablement pas moyen de faire pire. Aussi, je ne félicite pas Ayerdhal, loin de là, et pas davantage les éditions ActuSF pour avoir publié cette merde qui ne fait honneur à personne. Il semblerait donc que je sois le seul à le penser, mais j’en ai rien à foutre, et j’assume.
…
Calme, Nébal, calme.
Tirons le bilan : côté estranger, tout va bien, c’est toujours aussi bon que d’habitude ; côté français, à l’exception de Laurent Queyssi & Xavier Mauméjean, donc, c’est au mieux sans intérêt, au pire désespérant de connerie. Bref : on a lu mieux dans les anthologies des Utopiales d’ActuSF, en ce qui me concerne en tout cas (mais comme ailleurs on a dit beaucoup de bien de ce recueil, j’imagine que c’est ma faute).
Et je suis sur les nerfs, là.
Ça faisait longtemps qu’une lecture ne m’avait pas aussi prodigieusement agacé. Quelque part, ça relève de la performance. Bon, je vais lire un truc mieux que l’ayerdhalerie avant de me coucher ; ça va pas être dur à trouver.
"Elephant Man", de Frederick Treves
TREVES (Frederick), Elephant Man, [Elephant Man], traduction de l’anglais et postface d’Anne-Sylvie Homassel, Paris, Les Éditions du Sonneur, coll. La Petite Bibliothèque, 2011, 68 p.
Bon. Vous avez nécessairement tous vu le film de David Lynch Elephant Man, son deuxième long-métrage et – horreur glauque – un Lynch compréhensible, mais néanmoins très bon (et superbement interprété). C’est bien. Moi aussi. Et, du coup, peut-être par un certain voyeurisme bien compréhensible (on aura sans doute l’occasion d’y revenir), j’ai voulu en savoir plus sur cet étrange et fascinant personnage historique que fut John Merrick – ou plutôt Joseph Carey Merrick, de son vrai nom. J’ai quelques vagues souvenirs d’un documentaire sur ce freak entre les freaks et les causes de ses difformités passées dans la légende. Mais j’avais aussi envie de lire un témoignage d’époque, en l’occurrence celui du docteur Frederick Treves, celui qui a sorti l’Homme-Éléphant de sa misère noire pour lui donner enfin une vie à peu près humaine. Chance : les Éditions du Sonneur ont publié l’an passé dans leur Petite Bibliothèque ce récit hors du commun. Bon, c’est un peu cher (6,50 €) pour une lecture pliée en une demi-heure (sans se presser), mais on ne va pas faire la fine bouche (d’autant que traduction et postface de l’indispensable Anne-Sylvie Homassel). Alors hop.
Elephant Man n’est qu’un extrait des souvenirs du chirurgien Frederick Treves (1853-1923), mais c’est à n’en pas douter la pièce de choix. Une histoire vraie, donc, passablement étrange, et qui nous est confiée sur le mode édifiant, quasiment celui d’une parabole. Le distingué médecin commence par nous raconter comment, en 1884, il a fait la rencontre de Joseph Carey Merrick, lors d’une « représentation privée » ; fasciné par l’odieux spectacle qui se présentait à lui, Treves demanda à son « propriétaire » – le bon docteur n’en envisage qu’un seul, représentation idéalisée de l’exploiteur – de lui confier Merrick pour des examens approfondis.
Deux ans plus tard, après une malheureuse « tournée » sur le continent, où son exhibition a été interdite pour indécence de même qu’en Angleterre, Merrick se retrouve seul et en proie au désarroi le plus total ; son aspect pour le moins insolite suscite à peu de choses près une émeute, mais il n’a personne à qui se livrer… Personne, sauf le docteur Treves, dont la carte figure parmi ses rares possessions. Treves obtient de son hôpital – qui n’accepte normalement pas les incurables, ce qu’est Merrick de toute évidence – un petit appartement dans lequel il va installer le ci-devant Homme-Éléphant, et lui permettre d’avoir une vie à peu près normale.
Treves se donne tout naturellement le beau rôle dans cette histoire – et sans doute, à bien des égards, est-ce justifié. Il n’en livre pas moins Merrick à la visite de spectateurs d’un nouveau genre, des ladys moins portées sur l’indignation et davantage sur la commisération… Voyeurisme, là encore ? Peut-être. Mais la condition de Merrick – malgré quelques autres visites non désirées, celles-ci… – s’en retrouve sensiblement améliorée (même si l’instructive postface, se fondant sur des travaux récents, relativise le sort horrible de notre héros avant l’intervention de Treves).
Il est alors possible pour le docteur de dresser un portrait fort émouvant – attention, c’est du concentré – de son « patient » : un jeune homme qui a beaucoup souffert, et a quelque chose d’un enfant dans son état d’esprit, mais qui n’en est pas moins doté d’une grande sensibilité, exacerbée notamment à la lecture de romans sentimentaux – les femmes lui ont toujours fait beaucoup d’effet –, qu’il avait tendance semble-t-il à prendre au pied de la lettre.
On a l’impression, à la lecture de ces quelques pages, que le chirurgien écrit la larme à l’œil, et celle-ci pointe plus qu’à son tour chez le lecteur complice. Il faut dire qu’il ne lésine ni sur le pathos, ni, de manière plus générale, sur le touchant, dressant un tableau terriblement poignant de la vie de Joseph Carey Merrick, de l’enfer des foires à sa « rédemption » ultime, jusqu’au jour où – et là il devient vraiment difficile de retenir un sanglot – il meurt, pour avoir tenté de dormir comme un homme « normal ».
Récit émouvant, donc, mais aussi édifiant, dressant un parallèle entre la vie de Merrick et Le Voyage du pèlerin de John Bunyan, explicitement cité dans les dernières lignes. Le texte du docteur Treves a ainsi une dimension profondément chrétienne, et volontiers didactique. Ce qui pourrait rebuter, mais non : le caractère poignant l’emporte. Et s’il est sans doute bon de ne pas tout prendre au premier degré dans le témoignage du chirurgien – la postface nous aidant à faire le tri –, il n’en reste pas moins que cette courte lecture, comme les meilleures, laisse un souvenir durable, et touche directement au cœur.
Sortez vos mouchoirs…