Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

"Les Tours de Samarante", de Norbert Merjagnan

Publié le par Nébal

Les-Tours-de-Samarante.jpg

 

MERJAGNAN (Norbert), Les Tours de Samarante, Paris, Denoël – [Gallimard], coll. Folio Science-fiction, [2008] 2011, 393 p.

 

Je ne sais pas pourquoi, je me suis d’emblée méfié de ce bouquin. De manière complètement irrationnelle sans doute, et que je serais en tout cas bien en peine d’expliquer, je l’ai senti mal dès sa sortie en Lunes d’encre en 2008. Ce qui explique (?) d’ailleurs pourquoi je n’en avais pas fait l’acquisition à l’époque. Mais voilà : récemment, un sympathique personnage m’a filé la suite de ce roman, Treis, altitude zéro, alors que ce premier tome venait de sortir en poche. Je me suis dit, du coup, que je n’avais pas vraiment, si tant est que j’en aie jamais eu, de raison de ne pas le lire. Allez, zou, j’achète, et je lis.

 

 

Enfin, j’essaye. Autant le dire de suite, ce fut terriblement laborieux. À un point tel, à vrai dire, que je me sens obligé de remonter au sinistre Monde des Ā de Van Vogt pour évoquer un refus d’obstacle similaire. Mais j’y reviendrai…

 

Bon, là, en principe, je devrais résumer brièvement l’histoire de ce roman. Mais, problème : pour des raisons qui deviendront bientôt évidentes pour tous, je n’y ai quasiment rien panné. Je me suis même demandé, en préparant ce compte-rendu, si je n’allais pas recourir au détestable expédient si commun dans la blogosphère consistant à reproduire la quatrième de couverture, ce qui m’aurait pas mal simplifié la vie. Mais bon.

 

Nous sommes… euh, quelque part, à un moment donné (113 ans avant le Seuil, qui doit marquer un bond radical dans l’évolution humaine : hop, singularité, transhumanisme, toussa). Le roman se situe essentiellement dans la cité de Samarante, dominée par six tours, et entourée par l’Aliène, une sorte de vaste désert qui fleure les carrières post-apo.

 

Trois points de vue (pour l’essentiel) nous seront proposés pour visiter ce monde où les idées fusent, les bonnes comme les mauvaises (mais là encore, j’y reviendrai), mais qui n’en a pas moins un certain fond « old school », pas forcément désagréable d’ailleurs. Tout d’abord, Cinabre, une « préfigurée » (comprendre : créée en labo pour une tâche précise, quand bien même mystérieuse), qui fréquente en temps normal les salons bobo-artisteux, mais se retrouve sans que l’on sache trop pourquoi avant un bon moment avec des tueurs aux trousses, tueurs dont le caractère « officiel » n’est en rien rassurant. Il y a ensuite Triple A, un jeunot vaguement simplet en quête d’une mère et qui rêve d’escalader les tours, lequel va se trouver comme de bien entendu transfiguré par son périple initiatique. Il y a enfin Oshagan, un guerrier furtif de l’Aliène, porteur d’armes uniques en leur genre, et dévoré par le besoin de vengeance.

 

Évidemment, ces trois-là sont (plus ou moins) amenés à se rencontrer, et, par une suite de coïncidences, se trouveront éminemment liés dans le gros bordel qui va tomber sur Samarante. Mais ça, quand bien même on s’en doute évidemment dès le départ, ça n’arrivera que très tardivement dans le roman, qui joue pendant un long moment de son hermétisme.

 

En temps normal, voilà qui n’est pas du genre à me rebuter. Au contraire, même : j’apprécie souvent d’être largué en immersion dans un univers qui me dépasse, pour en comprendre les tenants et aboutissants au fur et à mesure, sans que l’on me prenne par la main.

 

Mais ici ça n’a pas marché. Parce que trop, c’est trop.

 

 

Et parce que du coup je me suis fait chier comme un rat mort, enfin non, plus encore (vu que le rat, lui, il est mort). J’ai mis un temps fou à lire ce livre. J’ai même failli – j’ai honte de le dire – l’abandonner en cours de route, ce qui ne m’arrive normalement jamais, même pour les pires daubes (et, malgré tout, je ne crois pas que Les Tours de Samarante entre dans cette catégorie). Je me suis forcé, en fait – en me répétant que si j’étais arrivé au bout de La Cité infernale, il n’y avait pas de raison pour que je ne fasse pas de même avec le présent truc…

 

Mais quel ennui ! Très franchement, je ne parvenais pas à en lire plus de dix pages sans m’endormir. C’était radical – je me suis trouvé un bon somnifère, du coup. Un moment, j’ai mis ça sur le compte des circonstances, me disant que peut-être, en ce moment, je n’y arrivais tout simplement pas… Mais dans la mesure où je me suis enquillé hier La Nuit du Jabberwock de Fredric Brown en une seule soirée, il faut bien que je me rende à l’évidence : c’est ce bouquin, là, qui ne fonctionnait pas. Sur moi en tout cas.

 

Un ennui sans nom… Ou peut-être que si, mais ça pourrait donner une impression de méchanceté, or je n’ai malgré tout pas véritablement envie d’être méchant… Mais voilà : cet ennui, j’aurais envie de le qualifier de vanvogtien, en remontant, encore une fois, au Monde des Ā, qui m’avais fait exactement le même effet. Et peut-être en partie pour les mêmes raisons : un déluge d’idées, plus ou moins intéressantes et plus ou moins originales, qui tombent sur la gueule du lecteur dans le bordel le plus total. D’où, en ce qui me concerne en tout cas, le sentiment d’être complètement perdu, de ne pouvoir se raccrocher à rien, et, en définitive, de s’emmerder veugra.

 

Alors, certes, il y a bien une différence : contrairement au détestable AEVV, Norbert Merjagnan n’écrit pas véritablement ou totalement comme une pine. Pourtant, la forme non plus ne m’a pas séduit dans ce roman. Le style est atrocement bavard et jargonneux, souvent en décalage avec le fond, et il en fait des caisses ; un peu comme du Barbéri ou du Gibson, la fluidité en moins (ce qui fait un sacré moins).

 

Aussi, quel ennui ! Je me répète, je sais. Mais je ne vois pas vraiment quoi dire de plus. J’imagine que je pourrais trouver révélateur que ces farceurs de sénateurs du lundi aient remis à ce livre le (aha) Nouveau Grand Prix de la science-fiction française 2008, mais révélateur de quoi, je préfère ne pas trop m’engager sur ce terrain…

 

Allez, n’en jetez plus, je me suis fait suer de la première (quasiment) à la dernière page, et c’est tout ce que je peux retenir de ces Tours de Samarante. Comme quoi, ma méfiance instinctive, une fois n’est pas coutume, avait quelque chose de fondé. Et malgré l’offre, je crois que Treis, altitude zéro, ça sera sans moi.

CITRIQ

Voir les commentaires

"La Genèse", de Robert Crumb

Publié le par Nébal

La-Genese-copie-2.jpg

 

CRUMB (Robert), La Genèse, [The Book of Genesis Illustrated by Robert Crumb], texte français établi par Lili Sztajn, Paris, Denoël, coll. Graphic, 2009, 219 p.

 

Une fois n’est pas coutume, je pensais (à tort) que ce compte rendu de ma lecture de l’adaptation de la Genèse par Robert Crumb risquait d’être plus court que d’habitude. En effet, l’histoire, vous la connaissez déjà… Ou vous devriez la connaître. La foi n’a rien à faire ici. Au risque de me répéter, en dépit de mon agnosticisme (ou peut-être à cause de lui ?), je n’en considère pas moins que toute bonne bibliothèque se doit de contenir une Bible (et probablement un Coran aussi). C’est tellement fondamental pour notre culture que l’on ne peut pas faire totalement l’impasse dessus, et, si je n’en réclame pas ainsi, bien évidemment, la lecture complète et une connaissance parfaite, il me semble que l’on doit toujours avoir ces textes sacrés sous la main, au moins à titre de références à consulter ponctuellement, comme un dictionnaire. Pour ma part, je n’ai jamais pu lire l’Ancien Testament en entier (j’ai toujours calé sur les Nombres…). Mais mes études comme mes lectures m’ont souvent amené à consulter les Écritures. Et je pense très sincèrement que l’on se doit d’avoir lu au moins la Genèse et l’Exode (et tant qu’à faire le Cantique des cantiques, parce que c’est bô…), pour ce qui est de l’Ancien Testament, et les Évangiles pour ce qui est du Nouveau.

 

Mais je m’égare. Nous parlons ici de la seule Genèse, adaptée très fidèlement par Robert Crumb : « Moi, R. Crumb, l’illustrateur de ce livre, ai, au mieux de mes aptitudes, fidèlement retranscrit chaque mot du texte original. » Et c’est vrai : voilà une version très complète de la Genèse (en fait, j’étais loin de me souvenir de tout ce qu’elle contient, et me demande si j’en ai déjà lu une version aussi riche…). On peut s’étonner de cet engouement du pape (si j’ose dire) de la BD underground américaine pour le premier livre de la Torah… En effet, on a plutôt connu le papa de Fritz the Cat, Mr. Natural, Snoid et toute une palanquée de BD avec des femmes à gros cul, porté sur la subversion. Or, ici, aucune intention de détournement (mais plein de femmes à gros cul quand même) : Crumb adapte fidèlement la Genèse, sans porter de jugement (du moins dans le texte : il y a une préface et des notes en fin d’ouvrage où il se permet, à juste titre, d’émettre quelques opinions personnelles, que ce soit sur le caractère humain et non divin de la Genèse, ou, thèse plus problématique à mon sens – j’y reviendrai –, sur le patriarcat et le matriarcat).

 

Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est une parfaite réussite. Crumb m’avait déjà bluffé avec son indispensable Kafka (avec David Zane Mairowitz) : son trait gras si caractéristique, et volontiers expressionniste, m’avait paru d’une parfaite adéquation pour conter la vie de Kafka et illustrer certains passages de ses œuvres les plus fondamentales. Même chose ici : aussi étonnant que cela puisse paraître à première vue, Crumb était probablement le meilleur auteur que l’on pouvait souhaiter pour illustrer la Genèse ; notamment parce que, en en faisant une bande dessinée, cet auteur pour adultes n’édulcore rien pour autant ; et son dessin a quelque chose de cru, de spontané, qui fait de cette Genèse une œuvre mise à nu, dont les innombrables personnages, entre dessin réaliste et très légère caricature, ressortent selon les cas embellis ou enlaidis, bref, sublimés, par le crayon d’un auteur qui s’est de toute évidence beaucoup documenté et livré corps et âme à son travail.

 

Quelques mots, malgré tout, sur le fond. Notons déjà que Crumb a illustré toute la Genèse, mais alors vraiment toute : ceux qui pensaient couper aux innombrables généalogies qui la parsèment en seront pour leurs frais. Non, vous saurez tout, tout, tout sur la Genèse. Et si l’auteur n’émet pas de jugement – il est trop respectueux de ce texte vénérable pour cela, et affiche dès le départ ses intentions de fidélité –, le lecteur, lui, se trouve probablement dans une autre position, plus souple. Ce qui suit n’engage donc que moi, l’agnostique portant sur l’athéisme, faut-il le répéter…

 

Mais si, ainsi que je l’ai rapporté plus haut, j’ai toujours considéré la connaissance de la Genèse, entre autres, comme fondamentale, je dois cependant dire que ce texte m’a toujours perturbé au plus haut degré. Ni grande épopée comme les anciens mythes et légendes (en dehors des premiers chapitres, disons de la Création au Déluge), ni ouvrage mêlant ouvertement histoire et « philosophie » comme la majeure partie du Nouveau Testament, la Genèse détonne, pour un texte sacré (et sans doute sa survie au fil des siècles, contrairement aux vieux mythes mésopotamiens, ainsi que le note d’ailleurs Crumb lui-même, n’en est-elle que plus remarquable). On s’étonne régulièrement, dans cette chronique d’un peuple de bergers, de (disons-le) l’immoralité qui s’en dégage. Les personnages bibliques sont souvent peu recommandables, à vrai dire : généralement menteurs et lâches, parfois pires encore, ils n’inspirent guère le respect et l’admiration. Lieu commun : Dieu lui-même n’échappe pas à ce jugement, tant il se montre jaloux, injuste et exigeant (très humain, finalement…). Sur des pages et des pages s’accumulent ainsi forfaits et autres vilenies, dont le sens profond échappe à première vue, et a fortiori la dimension édifiante… On pourrait évoquer bien des exemples en ce sens, mais vous les connaissez déjà pour la plupart, inutile donc de m’étendre sur le sujet.

 

Un point, cependant, me paraît mériter d’être souligné, et c’est, à mes yeux en tout cas – Crumb développe une analyse assez différente dans ses notes –, l’effroyable misogynie de cette introduction au Pentateuque. Je passe sur Ève et la pomme, hein… Mais, au-delà, les personnages féminins, malgré leurs gros culs, sont souvent particulièrement détestables : femmes jalouses, portées sur le mensonge et l’escroquerie, toutes plus ou moins obsédées, elles laissent une image guère flatteuse de la moitié de l’homme (dont elles ne sont après tout, hein, que le produit d’un os surnuméraire…). Pour Crumb, il faut voir dans ces anecdotes (notamment celles portant sur la stérilité ou l’astuce, qui revient par trois fois, consistant à faire passer son épouse pour sa sœur) un sous-texte traduisant une sorte de lutte originelle, ou plus exactement une ancienne cohabitation, entre traits patriarcaux et matriarcaux, avant que les premiers ne prennent définitivement le dessus, surtout dans les versions les plus tardives du texte. Si ce point de vue n’est pas inintéressant, j’avoue cependant qu’il me laisse assez sceptique… mais laisserai à chacun le soin d’en juger.

 

Quoi qu’il en soit, voilà une très belle et très précieuse adaptation de la Genèse, par un grand nom de la BD contemporaine. Une œuvre surprenante à maints égards, mais, et c’est là une certitude, réalisée de main de maître.

CITRIQ

Voir les commentaires

"Notes de ma cabane de moine", de Kamo no Chômei

Publié le par Nébal

Notes-de-ma-cabane-de-moine.jpg

 

 

KAMO NO CHÔMEI, Notes de ma cabane de moine, [Hôjô-Ki], traduit du japonais et annoté par le Révérend Père Sauveur Candau, postface de Jacqueline Pigeot, [s.l.], Le Bruit du temps, [1212, 1968] 2010, 80 p.

 

Il est des livres qui sont comme autant de refuges, où l’on aime à se ressourcer régulièrement, et plus particulièrement quand la vie se montre dure. Le Hôjô-Ki de Kamo no Chômei, grand classique de la littérature japonaise datant du début du XIIIe siècle, en fait indubitablement partie. Depuis ma découverte de ce court texte magistral dans la folle période où je m’étais pris de passion pour le Japon et sa culture, je n’ai cessé d’y revenir. Aujourd’hui, ces Notes de ma cabane de moine, dans la traduction du Révérend Père Sauveur Candau, constituent la troisième édition que j’en consulte – après ma découverte de ce chef-d’œuvre dans une anthologie de la littérature japonaise chez Picquier, puis ma relecture dans l’édition de René Sieffert sous le titre – plus connu, me semble-t-il – Les Notes de l’ermitage.

 

Kamo no Chômei était le fils d’un prêtre shintoïste de la cour impériale, en une période particulièrement troublée (ce fut par exemple de son vivant qu’eurent lieu les événements rapportés par le Heike monogatari, autre grand classique de la littérature japonaise, qui dort depuis bien trop longtemps dans ma commode de chevet). Mais il était de rang inférieur, et sa vie ne fut guère qu’une suite de frustrations, quand bien même on le tint semble-t-il de son vivant déjà pour un grand poète et un bon musicien. En 1204, âgé d’une cinquantaine d’années, et après bien des dépits et des rancœurs, il décida de devenir moine bouddhiste (dans la tradition amidiste) et de se retirer du monde ; il se bâtit alors un petit ermitage, où il acheva ses jours, se consacrant quotidiennement à la prière, à la contemplation… mais aussi, toujours, à la poésie et à la musique, passions qui ne le quittèrent jamais, et qui marquèrent sans doute une limite à sa volonté pourtant certaine de détachement. En 1212, il écrivit donc son œuvre la plus célèbre, le Hôjô-Ki, qui devait assurer sa renommée jusqu’à nos jours.

 

Le Hôjô-Ki est un très bref texte (une trentaine de pages environ ; il est ici complété par une postface au moins aussi longue, et tout à fait passionnante, de Jacqueline Pigeot), que l’on peut tout naturellement découper en deux parties. Après un très célèbre préambule qui ne manque pas d’évoquer Héraclite – « La même rivière coule sans arrêt, mais ce n’est jamais la même eau. De ci, de là, sur les surfaces tranquilles, des taches d’écume apparaissent, disparaissent, sans jamais s’attarder longtemps. Il en est de même des hommes ici-bas et de leurs habitations. » –, l’ermite nous narre les diverses catastrophes qui ont frappé la capitale, Kyôto, de son vivant ; étrangement (ou pas), il n’évoque quasiment pas les troubles politiques pourtant très importants à son époque, mais préfère se consacrer essentiellement aux catastrophes d’origine naturelle – incendies, tremblements de terre, famines, épidémies. De cet émouvant constat de la précarité de la vie et des créations humaines (les habitations en tête, ce thème court à travers l’ensemble du texte) découle la seconde partie du Hôjô-Ki, sorte d’autobiographie spirituelle, dans laquelle Kamo no Chômei nous décrit son ermitage et son mode de vie.

 

Le Hôjô-Ki, s’il s’inscrit bien dans une histoire (nationale et personnelle) qu’il peut être utile de connaître pour mieux l’appréhender, n’en est pas moins fondamentalement une œuvre à portée universelle. Sa philosophie, avouons-le, n’a sans doute rien de bien original, y compris pour des Occidentaux : j’ai déjà mentionné Héraclite, mais on pourrait également évoquer l’ataraxie des épicuriens, dans un sens, ou peut-être plus encore les stoïciens ; Jacqueline Pigeot cite également l’Ecclésiaste et les Essais de Montaigne, et l’on pourrait sans doute multiplier encore les références de ce genre. Le constat de la précarité de la vie humaine, l’apologie du détachement et de l’érémitisme : voilà qui parle au-delà des philosophies et des spiritualités, et au-delà des siècles.

 

Mais la grande force du Hôjô-Ki, au-delà de son contenu philosophique, réside probablement dans son incroyable beauté formelle. Kamo no Chômei y fait la preuve de son talent à chaque phrase, parfaitement ciselée, et qui fait toujours mouche. Ce sommet de la prose japonaise est d’une époustouflante splendeur, que ce soit dans la descriptions des atrocités pesant sur l’humanité ou dans la description apaisée de la nature entourant l’ermitage. Ce balancement, orchestré de main de maître, s’accompagne de réflexions touchantes, émises avec une concision et une intensité qui frôlent la perfection.

 

Et c’est sans doute pourquoi, au-delà du constat désabusé de la condition humaine – auquel on ne peut qu’adhérer – et du réconfort que l’ouvrage suscite peut-être paradoxalement, je ne cesse d’y revenir. Oui, le Hôjô-Ki, dans sa tristesse comme dans sa sérénité, est un ouvrage qui fait du bien ; et ce d’autant plus qu’il constitue un monument d’écriture, magnifiquement rendu par les différents traducteurs (la langue du Révérend Père Sauveur Candau est tout à fait élégante, et cette traduction est peut-être, si ce n’est la plus riche et précise – ici, la palme revient probablement à René Sieffert –, la plus « équilibrée » que j’ai pu lire).

 

Mais comment doit-on envisager cette œuvre à deux visages, certes complémentaires, mais débouchant pourtant sur des sentiments opposés, quand bien même aussi forts les uns que les autres ? Dans la conclusion de sa postface, Jacqueline Pigeot évoque deux jugements émis par des lecteurs français. Michel Revon, qui en a livré la première traduction intégrale, dit ceci de Kamo no Chômei et de son chef-d’œuvre : « Son charmant écrit, si dénué de toute prétention, n’en devient pas moins un exposé magistral de la sagesse pessimiste. » Mais Paul Claudel porte un autre regard : Chômei « nous a laissé de ses années de contemplation un mémorial plein de fraîcheur et de sentiment que l’on pourrait comparer aux livres de l’Américain Thoreau ». J’adhère sans réserve aucune à ces deux opinions, témoignant de la richesse secrète de ce petit bijou de littérature et de philosophie.

 

Et, de toute évidence, ce n’est probablement pas là la dernière fois que je me régale à la lecture du Hôjô-Ki : chaque fois que le malheur frappe, quelle qu’en soit la cause, la sagesse de l’ermite nippon s’impose ; et l’on se prend, comme lui, à rêver d’une retraite loin des hommes, loin de tout, où l’on pourrait fuir le flot incessant et impétueux des affaires humaines pour se livrer tout entier à la contemplation sereine de la beauté, celle de la nature indomptable comme celle des œuvres humaines, éphémères pour la plupart, mais parfois immortelles comme ce petit texte postulant pourtant dès la première ligne la précarité de toutes choses ; ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette merveille émouvante et stimulante qu’est le Hôjô-Ki.

CITRIQ

Voir les commentaires

Jacques

Publié le par Nébal

Jacques.JPG

 

Par le passé, il m’est arrivé à plusieurs reprises de rédiger sur ce blog de brefs billets nécrologiques ; quelques lignes, probablement maladroites et sans doute convenues, mais néanmoins sincères, pour évoquer diverses personnalités disparues que je ne connaissais évidemment pas, mais que j’admirais pour une raison ou pour une autre.

 

Je n’aurais jamais cru avoir à le faire pour un ami, qui plus est de ma génération.

 

Mais voilà : Jacques Mucchielli s’est éteint le samedi 26 novembre dernier, et c’est insupportable.

 

Ce bref article que je lui consacre aujourd’hui me rongeait depuis un certain temps déjà – j’ai un peu honte de le dire, mais j’y songeais avant même son décès, que je voyais percer à l’horizon, même si le déni m’empêchait d’y croire totalement. Je ne voulais cependant pas être celui qui annonce, et craignais en outre de passer pour – ou pire encore, d’être effectivement – un vulgaire charognard. Mais la nouvelle de ce départ prématuré s’est diffusée très vite – trop vite, peut être ? Nous sommes à l’heure des réseaux sociaux et, comme on le sait, la rumeur court plus vite que la lumière…

 

Aujourd’hui, dès lors que la nouvelle a été rendue par la force des choses « officielle », je me sens tenu d’évacuer ma tristesse et ma frustration, ma colère aussi, dans cette note ; on pourra, j’imagine, me taxer d’exhibitionnisme bloguesque, y voir un certain manque de pudeur, peut-être, et regretter le temps où l’on savait garder ces choses pour soi. J’avoue ne pas être certain moi-même de la pertinence et de l’opportunité de cet article. Mais il y a cette compulsion qui me pousse à écrire, pour moi dans un premier temps, pour d’autres ensuite, à expulser cette horrible réalité à laquelle j’ai encore du mal à me faire : Jacques Mucchielli n’est plus. Et, si j’ai pu écrire quelques lignes en hommage à des gens que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam, qu’en est-il pour cet homme que je voyais régulièrement ? Peut-être suis-je en train de me chercher des justifications, je ne sais pas…

 

Je n’aurai pas l’outrecuidance de me qualifier de « proche », nombreux sont ceux qui méritent ce titre bien autrement que moi. Mais j’ai bel et bien perdu un ami. Quelqu’un avec qui j’ai eu la chance de déconner comme de travailler (bon, d’accord, un peu plus déconner que travailler…), et que j’aimais et admirais profondément, comme j’admirais son œuvre en construction : quelques nouvelles en solo ici ou là – je pense notamment à son très bel hommage à Ballard dans le Bifrost consacré à cet auteur – et, bien sûr, ce qu’il avait écrit en collaboration avec Léo Henry, Yama Loka Terminus et Bara Yogoï, et plus puisque affinités.

 

Les mots me manquent. Je n’ai pas envie de verser dans les excès de l’éloge funèbre, exercice de style jamais bien éloigné des larmes de crocodile – j’avoue quant à moi être complètement asséché devant ce deuil, le premier à frapper dans mon entourage, et ne sais trop qu’en penser. Je ne sais pas véritablement comment exprimer ma tristesse – je n’ai jamais été très doué pour ça, c’est le moins qu’on puisse dire…

 

Mais il y a plus ; il y a ce sentiment, irrationnel j’en ai bien conscience, de révolte devant ce que je ne peux qualifier que d’injustice ; car ce décès est d’autant plus choquant qu’il vient frapper trop tôt, et de la plus stupide des manières. Aussi ai-je envie, quelque part, de pasticher Michael Bishop dans son Requiem pour Philip K. Dick :

 

Las, Jacques Mucchielli n’est plus

Dieu va prendre mon pied au cul

 

C’est un peu vain, je sais. Mais quand même. C’est qu’il me manque, cet enfoiré de Corse.

 

Toutes mes condoléances à sa compagne, sa famille et ses proches.

 

 Si long, Jacques…

Voir les commentaires

"La Cité infernale", de Greg Keyes

Publié le par Nébal

La-Cite-infernale.jpg

 

KEYES (Greg), La Cité infernale, [The Infernal City (An Elder Scrolls Novel)], traduit de l’américain par Guillaume Le Pennec, Paris, Fleuve Noir, [2009] 2011, 349 p.

 

Nébal est un con, certes, mais c’est aussi un faible, ce que le présent compte rendu démontrera à qui en douterait encore. Et Nébal, accessoirement (ou pas, ici), est aussi un fan de la série de jeux vidéos The Elder Scrolls ; s’il a peu pratiqué Arena, arrivant un peu tard pour ça, il a pris son pied sur Daggerfall, Morrowind, Oblivion, et aujourd’hui Skyrim (mais ça je vous en parlerai plus en détail prochainement, en principe). Et un des atouts de cette série, c’est son univers, dans l’ensemble pas très original (Morrowind excepté), mais foisonnant comme peu de jeux vidéos osent se le permettre (à vrai dire, pour rivaliser, il n’y a guère que les Fallout, et encore…). Une partie du plaisir dans les Elder Scrolls consiste à s’imprégner de cet univers, par la conversation ou la lecture. Et si je n’irais pas jusqu’à dire que Tamriel n’a plus de secrets pour moi – c’est loin d’être le cas –, je connais néanmoins suffisamment cet univers pour m’y retrouver et en apprécier la richesse et la cohérence.

 

Aussi, quand, l’autre jour, j’ai croisé dans une librairie mal famée ce roman « tiré du jeu vidéo The Elder Scrolls », j’ai senti comme un petit tiraillement en direction du porte-monnaie ; et le nom de Greg Keyes, qui, contrairement à l’usage le plus répandu en matière de novélisations de jeux vidéos ou de jeux de rôle, n’est pas un complet inconnu, a achevé de me persuader de lire la chose, en me disant que peut-être…

 

Ben non.

 

Quel con !

 

Mais ne brûlons pas les étapes, et commençons par dire quelques mots de « l’histoire » (un bien grand mot…). Celle-ci se déroule 45 ans après la crise d’Oblivion, qui a mis fin à la dynastie des Septim et plongé l’Empire dans la décadence, nombre de provinces faisant sécession. L’empereur actuel, Titus Mede, a multiplié les efforts pour retrouver la grandeur d’antan, mais on en est bien loin… Aussi peut-on dire qu’à Tamriel, c’est le bordel. Et un événement supplémentaire ne va faire qu’accroître ce bordel généralisé : l’apparition de la cité flottante Umbriel, qui annihile toute vie sur son passage, et crée tant qu’à faire des armées de morts-vivants…

 

Nous suivrons (vaguement) trois points de vue face à ces tragiques événements. Le plus important, et de loin, est celui de l’alchimiste brétonne Annaïg, qui vit dans le Marais Noir, et est toujours à la recherche de l’aventure, ce que son ami argonien Mere-Glim traduit par : « les ennuis ». Suite à un artifice peu vraisemblable mais fort commode, nos deux « héros » se retrouvent à bord d’Umbriel, et vont en découvrir petit à petit l’étrange fonctionnement, Annaïg depuis les cuisines (si), où son talent pour mélanger des trucs et des machins fait des ravages, et Glim dans le puisard, là où tout commence et tout finit.

 

Parallèlement, nous nous intéresserons (…) au sort du prince héritier de l’Empire, ce jeune couillon d’Attrebus. Celui-ci vit dans un rêve de chanson de geste, et, bien sûr, à peine est-il au courant de l’existence d’Umbriel qu’il décide de s’armer pour courir sus au bidule. Bien sûr là encore, il tombe dans une embuscade qui l’oblige à ouvrir un peu les yeux sur sa triste condition de débile profond dont tout le monde abuse, et ne doit son salut qu’à l’intervention du mystérieux Sul, un mage dunmer ivre de vengeance, qui a lui aussi des comptes à régler avec Umbriel.

 

Enfin, de temps en temps, quand l’auteur ressent le besoin de noircir quelques pages à ce sujet pour arriver au quota final, nous suivrons (mais alors à peine) Colin, un assa… pardon, un espion au service de l’Empire, qui enquête sur la disparition d’Attrebus.

 

 

Quelle merde.

 

On voit difficilement ce que l’on pourrait sauver de cette catastrophe généralisée, marquée au sceau du foutage de gueule le plus éhonté. Car, oui, s’il est une certitude quand on a fini (et on se demande bien comment) ce bousin, c’est que Greg Keyes se moque comme de sa première chaussette tant de l’univers des Elder Scrolls que de ses amateurs. Les emprunts à l’univers créé par Bethesda sont minimalistes et généralement totalement artificiels, les quelques références que l’on croise ici ou là donnant l’impression d’avoir été hâtivement insérées pour donner un semblant de fond à une « intrigue » mal branlée du début à la fin. À ce compte-là, la conclusion du roman est tout à fait remarquable : elle est bâclée à un point tel que cela en devient franchement insultant… On sent vraiment l’écrivain « professionnel » qui remplit son quota en se foutant de tout, et notamment de ses lecteurs-vaches à lait.

 

L’espace d’un instant, j’ai cru trouver un semblant d’intérêt dans quelques idées développées à la hâte sur le fonctionnement d’Umbriel (qui se passe donc très bien de Tamriel) ou dans le portrait acide du prince Attrebus. Mais ce n’était qu’une illusion vite dissipée… Il faut dire que le ton puéril au possible (là encore, ça sent le foutage de gueule pur et simple) et le style navrant – le bousin est écrit avec les pieds, et visiblement traduit à l’arrache – n’arrangent rien à l’affaire, pas plus que les traits d’humour terriblement lourdingues qui parsèment l’ensemble, confirmant que Greg Keyes se moque de sa licence comme de ses fans. L’amateur des Elder Scrolls ne retirera absolument rien de cette chose, dans laquelle il ne reconnaîtra pas l’univers qu’il a appris à chérir ; quant au simple lecteur de fantasy, il trouvera plus certainement son bonheur ailleurs, à vrai dire presque n’importe où : même la plus putassière des épopées de big commercial fantasy a probablement plus d’intérêt, dès l’instant que l’auteur fait un minimum d’effort pour construire une intrigue qui tient la route ; car ici, ce n’est évidemment pas le cas. 350 pages pleines de vide, où rien, absolument rien, ne convainc et n’éveille au-delà d’un instant l’intérêt du lecteur consterné… ou con tout court, ainsi que votre serviteur, qui ne s’est que rarement senti aussi insulté à la lecture d’un livre.

 

Passez votre chemin, fuyez cette merde comme la peste. Mieux vaut écrire ses propres histoires en Tamriel au travers des jeux des Elder Scrolls, et de loin : même le personnage le moins cohérent donnera prétexte à des intrigues plus palpitantes et mieux foutues. Quant à l’univers, vu comment il est traité ici, on fera bien de s’abstenir de lire cette mauvaise blague cynique au sens le plus vulgaire, et de se contenter des éléments glanés à travers les jeux ou le ouèbe. Car c’est véritablement criminel que de massacrer ainsi une licence et d’écrire ou publier pareille insulte au bon goût et à l’intelligence.

 

Alors évidemment, j’aurais dû m’en douter… Mais rappelez-vous : Nébal est un con, et un faible. Si seulement ça pouvait lui servir de leçon…

CITRIQ

Voir les commentaires

"The City & the City", de China Miéville

Publié le par Nébal

 

MIÉVILLE (China), The City & the City, London, Pan Books, 2009, 372 p.

 

La vie est injuste, il y en a qui ont tout pour eux. Tenez, China Miéville par exemple. Le bonhomme avait su me séduire avec les deux premiers tomes de son « cycle du Bas-Lag », Perdido Street Station et plus encore Les Scarifiés. Aussi, d’autres titres de cet auteur au nom improbable n’ont pas manqué de rejoindre ma volumineuse commode de chevet : en français, Le Concile de fer, bien sûr, et Lombres ; mais aussi, sur un coup de tête, en anglais, Looking for Jake, Kraken et The City & the City, qui va nous retenir aujourd’hui, et dont la traduction française vient tout juste de sortir au Fleuve Noir.

 

Vouloir lire Miéville en anglais était sans doute quelque peu audacieux, et peut-être plus particulièrement pour ce livre-là (dont je ne savais rien avant d’en entamer la lecture ; j’avais juste vérifié qu’il ne s’inscrivait pas dans le « cycle du Bas-Lag ») ; j’avoue, j’ai dans un premier temps galéré, notamment quand je me suis trouvé confronté à des néologismes saugrenus, exprimant des concepts perturbants a priori même pour qui lirait ce livre dans sa langue natale, que ce soit en VO ou en VF (je n’ai entendu dire que du bien de cette traduction, mais ce constat semble se vérifier). C’est que ce roman, bien plus court que ce à quoi Miéville nous a habitués, repose en définitive sur une idée fabuleuse, mais un brin difficile à saisir de prime abord.

 

Nous sommes à Besźel, une ville autonome fantasmée de l’Europe de l’Est, aux portes de l’Orient. Et, en dehors de cette donnée géographique imaginaire, tout commence comme un « simple » polar. Le cadavre d’une femme est retrouvé, et l’inspecteur Borlú de l’Extreme Crime Squad est chargé de l’enquête. Rien que de très banal, on le voit. Problème : il semblerait que le meurtre n’a pas eu lieu à Besźel, mais à Ul Qoma, cité rivale de la première, ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés diplomatiques.

 

Mais Ul Qoma n’est pas tout à fait une simple voisine de Besźel : non, les deux cités sont en fait, plus que juxtaposées, superposées. Elles se partagent des rues, des édifices, etc. Mais les deux villes se haïssent, et leurs citoyens ont pour ordre de ne pas voir (« to unsee », rendu en français ai-je cru comprendre par « éviser ») ce qui appartient à l’autre ville. Ne pas obéir à cette injonction constitue un crime des plus graves, « Breach », géré par l’autorité du même nom, qui use et abuse d’un pouvoir discrétionnaire dans sa mission de séparation des deux villes.

 

Idée absolument géniale, et que China Miéville met en scène de main de maître. Une idée absurde, aussi, au sens kafkaïen, mais évidemment lourde de sens, notamment politique.

 

Borlú entame donc son enquête à Besźel, tout en étant persuadé que, le meurtre ayant probablement eu lieu à Ul Qoma, « Breach » va se charger de l’affaire. Mais, par une brillante astuce, ce ne sera pourtant pas le cas. Et notre inspecteur de devoir poursuivre son travail, d’abord dans sa ville natale… et ensuite à Ul Qoma, où, pour lui, tout est à l’envers. Il s’intéressera notamment de près au diverses factions politiques qui s’opposent sur la division entre Besźel et Ul Qoma, les nationalistes partisans acharnés de la distinction comme les unificationnistes désireux de rassembler les deux villes et de mettre fin à cette situation absurde. Avec toujours la menace orwellienne de « Breach » sur ses épaules… et peut-être plus particulièrement quand il en viendra à envisager l’existence d’une troisième cité, secrète, entre les deux autres.

 

Polar palpitant et rythmé, construit comme le légendaire et improbable « bon thriller », conspirationnisme à la clé, The City & the City est une merveille à tous les points de vue. Vrai mélange des genres dans lequel aucun n’est méprisé au détriment des autres, c’est le type même d’ouvrage interstitiel qui me réjouit particulièrement en ce moment. On est scotché par l’intrigue, et bluffé par les idées mises en œuvre par China Miéville, des idées brillantes comme peu le sont, dingues et pourtant parfaitement cohérentes. Ce nouveau délire urbain fascine à chaque page, et, pour paraphraser la critique du Guardian reproduite en couverture, c’est aussi intelligent qu’original.

 

À vrai dire, je cherche en vain ce que l’on pourrait reprocher à ce roman, qui m’a pleinement convaincu de la première à la dernière page (ou, plus exactement, dès que j’ai pu comprendre le jeu entre « unseeing » et « Breach », la division subtile entre Besźel et Ul Qoma). Le style, d’un abord parfois délicat pour le néophyte dans mon genre, est d’une efficacité remarquable, les personnages sont bien élaborés et très humains, l’intrigue est passionnante, le fond plus encore… Rien à jeter dans The City & the City, décidément. Citons encore la presse, le Los Angeles Times : « Si Raymond Chandler et Philip K. Dick avaient un enfant élevé par Kafka, ce pourrait être The City & the City. » J’approuve le slogan, et, si je connais peu (non, pas, en fait…) Chandler, les noms de Dick et de Kafka me paraissent, une fois n’est pas coutume, employés ici à bon escient ; ces deux auteurs figurant parmi mes préférés, vous comprendrez que je ne tarisse pas d’éloges sur cet extraordinaire nouveau roman de China Miéville, décidément un des auteurs d’imaginaire les plus intéressants à l’heure actuelle.

 

 Lisez-moi cette merveille, et plus vite que ça !

Voir les commentaires

"Pathfinder : Bestiaire" + "Bestiaire 2" + "Bestiaire : Les Classiques revus et corrigés"

Publié le par Nébal

Pathfinder---Bestiaire.jpg

 

Pathfinder---Bestiaire-2.jpg

 

Pathfinder---Bestiaire---Les-Classiques-revus-et-corriges.jpg

 

Pathfinder : Bestiaire

Pathfinder : Bestiaire 2

Pathfinder Univers : Bestiaire : Les Classiques revus et corrigés

 

Alors ça, ma bonne dame, oui, je suis tout à fait d’accord avec vous, c’est bien beau d’avoir un beau donjon. Mais encore faut-il le peupler ! C’est que les aventuriers réclament en beuglant bastons contre des bestioles improbables et rencontres étranges et marquantes avec d’autres créatures franchement chelou. Qu’il s’agisse de convertir du gobo en XP ou de se prendre la branlée du siècle face à un dragon, de baver sur les nymphes ou de trembler d’admiration mêlée d’effroi devant… allez, un dragon, encore, une partie du travail du MJ de Pathfinder, comme autrefois avec ce bon vieux Donj’, consiste à mettre en scène toute une palanquée de bébêtes parfois communes, parfois saugrenues, et, pour ce faire, il a besoin d’un bestiaire complet. Histoire de varier un peu tout ça (parce que les joueurs peuvent en avoir vite marre des gobos comme des dragons). Eh bien, ma bonne dame, Black Book nous offre (enfin, nous vend, faut pas déconner non plus) à ce jour non pas un, ni même deux, mais bien trois bestiaires pour Pathfinder ! Oui, trois ! Ce qui en fait, des monstres, des animaux et compagnie. Près de 700 bébêtes différentes en deux livres, à vrai dire (car, oui, le troisième, bien plus fin, est d’un genre un peu différent, mais j’y reviendrai).

 

Le Bestiaire, comme son nom l’indique, est l’outil de base, en tant que tel indispensable. Plus de 350 créatures, des aasimars aux zombies, en passant par… des gobos et des dragons, oui, certes, mais il y a tellement d’autres choses dedans, enfin ! Disons-le tout net, des trois livres que je vais évoquer aujourd’hui, c’est là le seul dont il me paraît difficile de se passer. Et il contient bien assez de choses pour pouvoir faire l’impasse sur les deux autres, même s’ils ne sont pas inintéressants ou véritablement superflus pour autant. Seulement, il faut bien partir des fondamentaux, et c’est ce que nous propose ce volumineux ouvrage, tout en couleurs et abondamment illustré (une illustration par page pour le bestiaire proprement dit, c’est-à-dire pour la quasi-totalité du livre). Chaque créature se voit présenter de la même manière : nom, brève entrée en matière, FP, quelques données générales (XP, DV, alignement, etc.), défense, attaque, caractéristiques, écologie, description. Chaque créature est ainsi déterminée sur une page, le plus souvent, ou parfois une demi-page ; on rencontre également des groupes de créatures occupant plusieurs pages, avec une entrée en matière générale (archons, azatas, démons, diables, dragons, etc.). Clair et beau, le Bestiaire remplit parfaitement son office, et se lit (ou se parcourt) avec un certain plaisir, voire un plaisir certain. Il se conclut enfin sur des appendices indispensables et très bien faites : créer un monstre, évolution des monstres, glossaire, PJ monstrueux, dons pour monstres, compagnons d’armes monstrueux, compagnons animaux ; suivent des listes fort pratiques (par type, par FP, par milieu, variantes, capacités spéciales, rôle), avant de finir sur les inévitables (ou bien ?) tables de rencontres. Un bien bel ouvrage.

 

Le Bestiaire 2, comme son nom l’indique assez, doit être envisagé comme un complément du Bestiaire, plus que comme un supplément à part entière. Il décrit ainsi, sur un  format comparable, plus de 300 nouvelles créatures, des aalips aux zombies juju, généralement plus originales que celles que fournit le Bestiaire, mais aussi, sans doute, moins communes. Obéissant aux mêmes règles que son prédécesseur, il en reproduit les qualités. Et s’il n’est (donc) pas indispensable, il ne manque pas d’intérêt pour autant ; à cet égard, j’ai particulièrement apprécié les nombreux développements venant enrichir la cosmogonie de Pathfinder (Inévitables, etc.).

 

Reste enfin, dans la gamme « Univers » (encore appelée, comme l’originale, « Chronicles », à l’époque), notre dernier volume, incomparablement plus court que les deux qui précèdent, et sous couverture souple, cette fois, mais toujours tout en couleurs : le Bestiaire : Les Classiques revus et corrigés. Rien de nouveau à proprement parler ici, ce n’est pas le but ; au contraire, il s’agit de revenir sur les monstres les plus communs, ceux que les joueurs ont déjà rencontrés bien des fois, pour leur donner un peu plus d’épaisseur et rendre leur rencontre toujours plus enrichissante. Ce petit ouvrage d’une soixantaine de pages se consacre donc à dix créatures on ne peut plus banales dans les jeux de rôle d’heroic fantasy : les gnolls, les gobelins, les gobelours, les hobgobelins, les hommes-lézards, les kobolds, les minotaures, les ogres, les orques et les trolls. Chacune de ces espèces se voit consacrer six pages, détaillant, après une vue d’ensemble généralement assez brève, leur écologie, leurs habitat et société (religion, lois, relations avec les autres…), leur rôle possible ou probable dans une campagne, leurs trésors, leurs variantes, leur répartition dans le monde de Golarion (plus précisément dans le cadre de la mer Intérieure, en fait), une liste de noms masculins et féminins, et enfin seulement leurs caractéristiques techniques, accompagnées de nouveaux développements sur leur tactique (avant le combat, pendant le combat, moral). Alors, certes, ce Bestiaire : Les Classiques revus et corrigés n’a certainement rien d’indispensable, et on n’y trouvera pas forcément grand-chose de terriblement original. Reste qu’il s’agit à la base d’une bonne idée en tant que telle, et bien exécutée : le livre est d’une lecture très agréable, et se révèle tout à fait passionnant. J’émettrais un seul bémol : une tendance, parfois, à faire dans l’humour un peu lourdingue, ce dont un MJ, à mon sens en tout cas, se passe généralement allègrement (il a des joueurs pour ça) (hélas).

 

 Au final nous avons donc trois beaux suppléments, bien traduits et édités (ce qui, dans le monde du jeu de rôle, mérite toujours d’être souligné), qui contiennent bien des horreurs et des ridicules, des classiques du genre (empruntés au folklore ou à des auteurs, Lovecraft inclus, au passage) aux plus spécifiquement golariennes. On y découvre une faune (et parfois une flore…) d’une richesse indéniable, et une cosmogonie tout à fait enthousiasmante. Mission accomplie, donc.

Voir les commentaires

Pub copinage : "L'Apocalypse des homards", de Jean-Marc Agrati

Publié le par Nébal

L-Apocalypse-des-homards.jpg

 

AGRATI (Jean-Marc), L’Apocalypse des homards, Evry, Dystopia Workshop, 2011, 312 p.

 

Hop.

Voir les commentaires

Pub copinage : "Matricia", de Charlotte Bousquet

Publié le par Nébal

Matricia.jpg

 

BOUSQUET (Charlotte), Matricia, Saint Laurent d’Oingt, Mnémos, coll. Icares, 2011, 271 p.

 

Hop.

Voir les commentaires

"La Complainte du paresseux", de Sam Savage

Publié le par Nébal

La-Complainte-du-paresseux.jpg

 

SAVAGE (Sam), La Complainte du paresseux. Histoire principalement tragique d’Andrew Whittaker, réunissant l’ensemble irrémédiablement définitif de ses œuvres complètes, [The Cry of the Sloth], traduit de l’américain par Céline Leroy, Arles, Actes Sud, [2009] 2011, 254 p.

 

De Sam Savage, j’avais bien aimé le premier roman, Firmin, « autobiographie d’un grignoteur de livres », au propre comme au figuré ; un récit doux-amer, tantôt drôle, tantôt tragique, et en tout cas fort bien troussé. Une belle réussite, même si je n’irais pas jusqu’à qualifier ce roman de « phénoménal », comme le fait – ben tiens – la quatrième de couverture de La Complainte du paresseux ; suffisamment belle, néanmoins, pour que je me jette sans trop d’hésitations sur ce nouvel opus, dans lequel on retrouve les thèmes de Firmin, mais avec plus d’éclat peut-être. Quoi qu’il en soit, comme son sous-titre interminable l’avance, il s’agit bel et bien, au fond, d’une histoire tragique ; mais en attendant, on se marre bien (j’avais dit il y a peu m’être beaucoup amusé à la lecture d’Avance rapide de Michael Marshall ; peut-être suis-je particulièrement bon public en ce moment, mais ce second roman m’a cette fois vraiment – littéralement – fait rire aux éclats…).

 

La Complainte du paresseux se présente sous la forme d’un recueil de l’ensemble de la production « littéraire » (au sens large, ce qui inclut surtout de la correspondance, mais aussi des petites annonces et des listes de courses…) d’Andrew Whittaker sur quatre mois, à l’époque de « la clique à Nixon ». Andrew Whittaker vit (mal, et ça va de pire en pire) en percevant les loyers de « locataires de basse qualité » pour des immeubles délabrés. Mais il vit pour la littérature : il est en effet, outre un auteur en devenir, le rédacteur en chef de la revue Mousse, revue que personne ne lit ou presque, mais pour laquelle il se bat contre vents et marées.

 

Andrew Whittaker ne manque ni de courage ni d’ambition. Mais voilà : c’est un raté. Un être pathétique, plus qu’à son tour ridicule, et qui est passé à côté de sa vie. Largué par sa femme Julie, qu’il abreuve néanmoins toujours de ses lettres, il végète dans une demeure en déménagement permanent, et nous offre avec ce livre un portrait tragicomique de sa misérable petite personne.

 

Car Andrew Whittaker ne se contente pas d’être un raté, ce dont témoignent les extraits lamentables (encore que de moins en moins, mais au début c’est vraiment dur…) de ses tentatives romanesques. C’est aussi un personnage infiniment odieux, mesquin, hypocrite, arrogant, bref, détestable en tous points. Et ceci, nous le découvrons principalement au travers de ses très nombreuses lettres à divers correspondants à travers les États-Unis, de son trou perdu de Rapid Falls à New York ou San Francisco. En effet, s’il n’est guère doué pour la fiction, Whittaker est un épistolier redoutable ; pas que cela le rende moins ridicule ou plus sympathique, au contraire : c’est surtout quand il se montre particulièrement abominable que sa plume fait mouche. Et il ne rate pas une occasion, que ce soit auprès de ses locataires, de « ses » auteurs, de la rédaction de la revue « concurrente », etc. : avec lui, le pire est le meilleur. Et le lecteur de se marrer comme une baleine.

 

Ou peut-être plutôt comme une hyène… Il faut dire que tout cela sent le sapin. Derrière la façade odieuse, Andrew Whittaker est à l’évidence un être fragile, que nous voyons sombrer petit à petit dans la plus terrible des dépressions, caractérisée par tous ses symptômes. Misérable dans tous les sens du terme, le rédacteur en chef de Mousse inspire tantôt le mépris, tantôt la pitié.

 

Et, au final, on se met à bien l’aimer, ce salaud magnifique. On s’identifie (en tout cas, je me suis identifié…) remarquablement à lui, dans ses vices, ses obsessions et ses innombrables échecs ; l’empathie que parvient à susciter Sam Savage principalement à travers ces lettres est tout à fait étonnante, mais indéniable. À vrai dire, au fur et à mesure que l’on avance dans le roman, le rire, s’il est toujours présent, devient de plus en plus jaune. Et le lecteur de se sentir un peu coupable devant toutes les avanies rencontrées par ce triste sire au bout du rouleau. On ressent le désespoir du correspondant, sa solitude insupportable, on vit de l’intérieur sa tragique déchéance…

 

Cruellement drôle. Voilà ce qu’est La Complainte du paresseux : un roman où l’on rit de bon cœur, mais où l’on souffre en même temps. Un torrent d’émotions contradictoires, d’un éclat surprenant. Sam Savage sait avec brio distiller le rire comme la pitié au détour d’une phrase en apparence anodine. Aussi son roman est-il plus que recommandable, et meilleur encore que Firmin à mon sens (ce n’est qu’en apparence qu’il se montre moins subtil). Une très belle confirmation, s’il en était besoin et comme disait l’autre, que l’humour est la politesse du désespoir.

CITRIQ

Voir les commentaires