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"Final Fantasy IV : The Complete Collection. Final Fantasy IV et Les Années suivantes"

Publié le par Nébal

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Final Fantasy IV : The Complete Collection. Final Fantasy IV et Les Années suivantes (PSP)

 

Final Fantasy étant probablement la série de RPG nippons la plus connue, sans doute n’est-il guère utile d’en dire beaucoup ici en guise de présentation générale. Je me contenterai donc de noter que Square Enix a ressorti de ses paniers plusieurs des plus vieux titres de la gamme pour la PSP, et que, ma foi, pour être résolument old school, ces jeux m’ont quand même plutôt amusé. C’est ainsi que je me suis lancé dans l’aventure de Final Fantasy et Final Fantasy II, avec un certain plaisir. Ces deux jeux terminés, j’attendais que ressorte le troisième épisode… mais c’est finalement le quatrième qui est reparu, dans une édition collector plus complète que jamais, dans la mesure où elle comprend, et en français s’il vous plaît, trois jeux en un : Final Fantasy IV, Les Années suivantes, et un Interlude inédit pour faire le pont entre les deux. Chouette.

 

Dans Final Fantasy IV, le joueur incarne (pour l’essentiel) Cecil. Au début du jeu, celui-ci est un chevalier noir, et le commandant de la flotte royale d’aéronefs de Baron, les Ailes Rouges. Au nom du roi de Baron, et plus ou moins malgré lui, il multiplie les exactions, de même que son ami et rival Kaïn (deux personnages que l’on retrouve dans Dissidia duodecim [012] Final Fantasy). Puis la lumière se fait, et, au cours d’une attaque tragique, Cecil décide plus ou moins de changer de camp : il entame alors une longue quête de rédemption, qui l’amènera à affronter le charismatique Golbez, lequel tient véritablement les rênes du pouvoir à Baron (NB : les joueurs de Dissidia ont ici un fâcheux spoiler…).

 

Une histoire qui ne casse pas trois pattes à un chocobo : c’est décidément du classique. Ça pourrait ne pas être gênant… si le ton d’ensemble, renforcé en cela peut-être par les dialogues en français, n’était pas aussi insupportablement niais. Retournements de situation ultra prévisibles, fausses morts en pagaille, méchants qui deviennent gentils avant de redevenir méchants mais en fait non parce que tout le monde est gentil… Insupportable, vous dis-je.

 

Côté réalisation, rien à redire. On fait du neuf avec du vieux, mais c’est plutôt agréable à l’œil, et les sorts comme les invocations sont plutôt jolis. La musique est également correcte.

 

Pour ce qui est des principes de jeu, on retrouve les grands classiques de Final Fantasy (avec donc moult rencontres aléatoires), mais c’est avec ce jeu que j’ai été pour la première fois confronté au fameux système ATB. Au début, j’avoue avoir été un peu agacé par ce système de jauge, y préférant le système classique de tour par tour permettant de prendre son temps et de mûrir soigneusement chaque décision. Mais on s’y fait, et cela apporte il est vrai un plus grand dynamisme aux combats.

 

Mais voilà : même si j’ai fini le jeu, dans l’ensemble, je me suis fait un peu chier tout du long, notamment à cause de cette niaiserie généralisée, d’une pénibilité rare.

 

Du coup, j’ai à peine commencé l’Interlude, ultra dirigiste et encore plus niais (si !)… et n’ai même pas souhaité jeter un œil à Les Années suivantes, jeu dans lequel on incarne les enfants des héros de Final Fantasy IV (pour ce que j’en ai compris), et que je n’espère pas meilleur sous cet angle.

 

Ce jeu a dans l’ensemble reçu des notes bonnes à excellentes un peu partout. Mais quant à moi, je ne peux que vous faire part d’une cruelle déception. À réserver aux joueurs les plus jeunes, ou aux fanatiques jusqu’au-boutistes de la saga Final Fantasy. N’étant ni l’un ni l’autre, je me suis affreusement ennuyé (c’est rare que je lâche un jeu de rôle comme ça). Vous êtes prévenus…

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"Alien : No Exit", de Brian Evenson

Publié le par Nébal

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EVENSON (Brian), Alien : No Exit, [Aliens™ No Exit], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, [Paris], Le Cherche-Midi, [1986, 2008] 2011, 326 p.

 

Quoi comment ? Un roman « d’Alien » par Brian Evenson ? LE Brian Evenson d’Inversion, de La Confrérie des mutilés et de Père des mensonges ?

 

 

‘tendez voir.

 

 

Non, il y a bien écrit « Brian Evenson » sur la couverture, et pas « Alan  Dean Foster » ou que sais-je. Et il y a bien un Alien dessus aussi, à savoir le plus chouette monstre inventé par le cinéma contemporain, tout au long d’une série remarquable de par sa qualité (je rappelle aux étourdis qu’elle ne comprend que trois épisodes).

 

Alors, le mélange des deux…

 

Bon, ça sent le livre écrit pour payer ses impôts. Mais comme j’aime beaucoup Brian Evenson, et que j’adore « Alien », ma curiosité perverse m’incite à tenter l’expérience.

 

Entamons.

 

 

Ouh putain.

 

Ça commence quand même très mal… Comme une grosse merde, aurais-je déjà envie de dire…

 

 

Mais persévérons.

 

 

Tiens, ça s’améliore. Sans atteindre des sommets, ça se lit bien jusqu’à la fin, comme un divertissement honnête, bien que l’on puisse légitimement préférer la première moitié du roman, malgré son début calamiteux, à la seconde, où l’action prend le pas sur le polar SF que l’on lisait jusqu’alors.

 

Bon. On peut bien en parler, donc.

 

Le roman se situe semble-t-il un bail après les films (on n’y verra aucune mention de Ripley, au passage), et sans doute, d’après ce que j’ai cru comprendre, après les comics publiés par Dark Horse. Entendre par là que la menace constituée par les Aliens est connue, qu’elle a consisté en une véritable invasion, qui a été repoussée.

 

Anders Kramm était un employé de la Compagnie, Weyland-Yutani, spécialisé dans les enquêtes sur les Aliens et dans leur élimination subséquente. Ça s’est mal fini pour lui (début du roman, ridicule) : pour avoir appliqué d’un peu trop près les directives de la Compagnie, Kramm a perdu sa femme et sa fille aux mains des Aliens, et vécu un véritable cauchemar, seul dans une ruche pendant près d’une semaine, épisode tragique qui ne cesse de le hanter. Pour fuir ce souvenir, Kramm, qui claque la porte de Weyland-Yutani, décide de se faire cryogéniser au service d’une petite entreprise (ce qui est très con, mais passons).

 

Trente ans plus tard, il est réveillé. La petite entreprise a été rachetée par Planetus, le principal rival de Weyland-Yutani. Les deux compagnies se partagent l’exploitation et la terraformation de la planète C-3 L/M. Or un incident s’est produit là-bas, qui ressemble fort à une incursion alien. Les sept (et non douze, comme le dit la couverture ; le chiffre n’est bien entendu pas innocent…) scientifiques de la base de Weyland-Yutani, six hommes et un androïde, ont été tués, et les hommes ont été retrouvés le sternum perforé, comme si un chestbuster en avait jailli. Mais il y a quelque chose qui cloche dans tout ça, et qui fait penser à une mise en scène… Pour son plus grand malheur, Kramm, secondé par Frances Stauff de Planetus, mène l’enquête. Et, inévitablement, cela va le conduire à affronter son plus grand ennemi : ses propres cauchemars.

 

Bon.

 

Ainsi que je l’ai déjà dit, ça commence vraiment très mal, et on craint le pire en lisant la (heureusement) fort courte première partie du roman. On ne reconnaît pas ici Brian Evenson, et on peut à bon droit redouter la quasi-novélisation de bas étage. Puis ça s’améliore : la phase « enquête » du roman est tout à fait sympathique, et contient quelques passages où l’on reconnaît davantage l’auteur de La Confrérie des mutilés (dont une très charmante scène de torture). Et finalement, on se prend au jeu.

 

Oh, ça ne vole jamais bien haut, c’est quand même un peu écrit avec les pieds – on sent que le bonhomme ne s’est pas foulé, et qu’il a probablement, en même temps, visé un public plus jeune que pour ses autres romans – et sans doute traduit itou (on trouve quelques perles assez croquignoles, m’étonnerait que Héloïse Esquié, qui avait fait du bon travail sur Père des mensonges si je ne m’abuse, se soit trop foulée elle aussi, et je doute que le roman ait été relu avec sérieux).

 

Mais ça se lit. Comme un honnête divertissement, finalement pas pire qu’un autre. Les amateurs « d’Alien » – et plus encore d’Aliens, le deuxième épisode réalisé par James Cameron, c’est surtout à celui-là qu’Alien : No Exit fait penser – ne seront probablement pas déçus du voyage, premières pages exceptées, même s’ils pourront très légitimement rechigner devant quelques punchlines pas toujours nécessaires et un humour parfois lourdingue, mais en même temps très hollywoodien. Tiens, voilà, « hollywoodien » : c’est sans doute le terme qui caractérise le mieux ce roman, riche en clichés et n’hésitant pas à faire étalage de la vacuité de ses personnages (a fortiori ceux qui ne sont là que pour nourrir les vilaines bébêtes, bien sûr, et qui ont « victime » écrit sur le front). Mais finalement, comme un blockbuster correct, avec un peu de bière et de pop-corn, ça passe.

 

Mais c’est quand même pas très glorieux, et, surtout, ça ne permet en rien de juger du réel talent de Brian Evenson. Ses admirateurs risquent de déchanter, s’ils s’attendent à quelque chose de très personnel, à une véritable relecture de la mythologie « Alien » par ce brillant écrivain. À ceux qui veulent véritablement juger le travail d’auteur de Brian Evenson, on ne conseillera bien entendu pas ce roman « professionnel » : qu’ils se précipitent plutôt sur les excellents La Confrérie des mutilés et Inversion. Mais si vous êtes prêts à placer 19 € (quand même) dans un pur divertissement façon « roman de gare », alors pourquoi pas… Ça casse pas trois mâchoires à un Alien, mais ça a au moins le mérite de respecter la mythologie de la chose. Pas terrible, donc (franchement pas terrible, même), mais pas scandaleux non plus. Médiocre, quoi, au sens strict.

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"L'Affaire du chevalier de La Barre", de Voltaire

Publié le par Nébal

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VOLTAIRE, L’Affaire du chevalier de La Barre, précédé de L’Affaire Lally, édition établie et annotée par Jacques van den Heuvel, Paris, Gallimard, coll. Folio 2€, [1975, 2008] 2010, 113 p.

 

Toulouse oblige, l’affaire Calas, j’en ai bouffé. Mais je ne pouvais qu’avouer mes lacunes en ce qui concernait les autres affaires dans lesquelles s’était impliqué (ce connard de) Voltaire, et notamment les deux qui font l’objet du présent petit ouvrage. De l’affaire Lally, je ne savais absolument rien, si ce n’est que le fils du condamné, le constituant Lally-Tollendal, s’était battu pour obtenir la réhabilitation de son père, et y était finalement parvenu (mais je ne savais pas que Voltaire était du combat). Quant à l’affaire du chevalier de La Barre, plus célèbre, je n’en savais que ce qu’indique le blason de la couverture ; j’ai eu l’occasion de découvrir ici que la réalité était plus complexe, même si non moins scandaleuse.

 

Commençons donc par l’affaire Lally. Thomas-Arthur, comte de Lally, d’origine irlandaise, fut envoyé lors de la guerre de Sept Ans comme lieutenant général pour organiser la défense des établissements français de l’Inde, et notamment Pondichéry. Hélas pour lui, privé de moyens et d’hommes, ce personnage d’un caractère ombrageux et expansif se fait beaucoup d’ennemis, et ne parvient pas à mener à bien sa mission : il est amené à capituler devant les Anglais en 1761. Débute alors un flot d’accusations à l’encontre du lieutenant général, bien vite soupçonné de trahison et de lèse-majesté, mais aussi de concussion, d’exactions, etc. Ramené en Angleterre avec 2000 prisonniers, Lally, sur parole, est relâché pour se rendre en France et faire face à ses accusateurs, affirmant haut et fort son innocence… et ne s’attirant que davantage de foudres ce faisant. Il est aussitôt embastillé (1762), mais devra attendre bien longtemps son procès, qui, à sa grande surprise, le déclarera coupable et le condamnera à la peine de mort. Il faut dire que le rapporteur devant le Parlement de Paris n’était autre que Pasquier, que l’on aura l’occasion de retrouver… Lally est condamné le 6 mai 1766, et décapité en place de Grève le 9 suivant.

 

Commence alors le long travail de réhabilitation, mené principalement, donc, par Lally-Tollendal et par Voltaire, qui y consacre des passages de son Siècle de Louis XV, et, surtout – c’est ce qui est ici reproduit – de ses Fragments historiques sur l’Inde et sur la mort du général de Lally. L’ardent polémiste y défait avec brio toute l’accusation, et montre assez combien Lally était innocent de tout ce qu’on lui avait reproché, et avait servi dans cette histoire ni plus ni moins que de bouc émissaire. Finalement, le 26 mai 1778, quatre jours avant sa mort, Voltaire apprend que le Parlement de Bourgogne avait révisé la sentence du Parlement de Paris, et l’arrêt sera cassé à l’unanimité en 1781.

 

L’affaire Lally est un bel exemple de l’implication de Voltaire dans les affaires judiciaires de son temps, et constitue un triste cas de ce que l’on appellera par euphémisme une « erreur judiciaire », laquelle, chose rare, sera reconnue et cassée. Trop tard, évidemment… Car le combat que mène Voltaire dans l’affaire Lally, comme dans l’affaire Calas et celle du chevalier de La Barre, est aussi un combat contre la peine de mort, dans la lignée du traité Des délits et des peines de Beccaria, dont il fut un zélé propagandiste, et que l’on retrouvera bientôt.

 

Passons donc à l’affaire du chevalier de La Barre, qui fut à peu près contemporaine de la précédente. Je n’en savais donc – ou croyais en savoir – que ce qui figure sur la couverture, à savoir que ce jeune homme fut supplicié « pour n’avoir pas salué une procession », ce qui constitue assurément un scandale bien pire que les affaires Calas et Lally, pour lesquelles, à la limite, on comprendrait l’usage de la peine de mort. Ici, un fait minime à l’évidence entraînait donc une peine encore plus sévère ! Le rapporteur de cette affaire devant le Parlement de Paris fut à nouveau Pasquier, et il n’est sans doute pas anodin de noter qu’il avait également joué ce rôle dans l’affaire Damiens – le supplice du régicide est entré dans l’histoire, scandalisant l’Europe déjà à l’époque, et marquant toujours nos esprits, a fortiori depuis que Michel Foucault s’en est servi en guise d’ouverture de son indispensable Surveiller et punir

 

Mais la réalité de l’affaire dite du chevalier de La Barre – s’il fut le seul exécuté, il n’était pas le seul prévenu – est donc un peu plus compliquée. Tout commence en fait en août 1765, par la mutilation d’un crucifix se trouvant sur un pont, à Abbeville. Les bonnes gens de la ville en sont outrées, et l’on recherche les coupables. Trois jeunes gens, mineurs, faisaient des cibles toutes désignées – le chevalier de La Barre, donc, mais aussi les nommés Moisnel et d’Étallonde. Une cabale s’est en effet montée contre eux – mais sans doute ici le témoignage de Voltaire est-il à prendre avec des pincettes –, arguant de nombreux actes d’impiété, dont le fait de ne pas s’être découvert devant une procession (ce n’est qu’un des éléments à charge, et non le principal chef d’accusation). On peut à bon droit supposer que La Barre et ses camarades, à la fois esprits forts bien dans le genre du Siècle et gamins pas très malins, se sont en effet rendus coupables d’un certain nombre de ces faits (même si Voltaire, appelant pourtant La Barre « jeune fou », essaye bien sûr de le nier). Mais, au prix de vices de procédure scandaleux, ces simples présomptions d’impiété sont rattachées à la mutilation du crucifix, et les magistrats d’Abbeville condamnent le chevalier de La Barre – non Moisnel, qui a avoué tout ce qu’on voulait ; quant à d’Étallonde, il avait pris la fuite – à être supplicié tel un empoisonneur et un parricide ! Le Parlement de Paris, sous la pression de Pasquier encore une fois, confirme contre toute attente (et à l’indignation de nombre d’avocats) le jugement d’Abbeville, par quinze voix contre dix. Le chevalier de La Barre est torturé et supplicié le 1er juillet 1766.

 

Voltaire s’empare de l’affaire. Il faut dire qu’il avait directement été mis en cause, dans la mesure où l’on avait dénoncé l’influence pernicieuse de mauvaises lectures sur le chevalier de La Barre, dont celle du Dictionnaire philosophique (Voltaire nie en être l’auteur… l’ouvrage sera à cette occasion condamné à être brûlé). Là encore, le combat pour la réhabilitation sera long, mais finira par aboutir – dans un sens seulement : la grâce royale sera accordée – un peu tard, seul d’Étallonde peut en profiter… – en octobre 1788 et entérinée par la Grand-Chambre du Parlement de Paris le 2 décembre de la même année.

 

Cette affaire a tout du scandale. Rarement le droit comme la justice auront autant été bafoués en France. Et c’est ce que Voltaire entreprend de démontrer, en usant de tous les moyens, les plus justes comme les plus troubles (il fera par ailleurs de d’Étallonde son protégé, et le recommandera notamment au roi de Prusse Frédéric II, qui en fera un de ses officiers). Plusieurs documents, ici regroupés, en témoignent, mais surtout une Relation de la mort du chevalier de La Barre, signée « M. Cassen, avocat au conseil du roi », et prenant la forme d’une lettre adressée au marquis de Beccaria. L’indignation suinte de ces pages vigoureuses, de même que des lettres qui suivent (adressées à diverses personnalités, rois, nobles et philosophes) et, enfin, du Cri du sang innocent, signé d’Étallonde, et qui tente d’obtenir la grâce royale en juillet 1775 (elle sera donc refusée).

 

L’affaire dite du chevalier de La Barre est un témoignage particulièrement consternant des errances du Siècles des Lumières en matière de religion : réactionnaire au possible, viciée du début à la fin, elle semble provenir d’un autre temps, de la pire des périodes d’obscurantisme. À vrai dire, même dans une semblable période, on a du mal à comprendre comment La Barre aurait pu être condamné au supplice : les accusations à son encontre sont toutes plus farfelues les unes que les autres – on va jusqu’à le dire sorcier, tel Urbain Grandier et compagnie (voyez ma note sur La Sorcière de Michelet) ! Et quand bien même les actes d’impiété reprochés seraient établis – ce qui n’est après tout pas impossible, loin de là (de même qu’on a pu à bon droit s’interroger sur la culpabilité réelle de Calas, sans remettre en cause pour autant le côté scandaleux de l’affaire) –, on ne comprend pas comment des faits aussi minimes ont pu entraîner une peine aussi sévère et, disons-le, barbare. Que reproche-t-on au chevalier de La Barre ? On ne peut établir qu’il a mutilé le crucifix du pont d’Abbeville (et quand bien même, être supplicié pour cela !) ; alors on fait feu de tout bois… au mépris de la justice et de la raison.

 

Des affaires dont s’est mêlé Voltaire, celle du chevalier de La Barre est donc probablement la plus révoltante. Ce petit livre, aussi, témoigne de ce que l’obscurantisme le plus barbare peut ressurgir au moment où l’on s’y attend le moins, et là où on ne l’attend pas. Une lecture salutaire, donc, en ces temps d’intolérance…

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"Là où dansent les morts", de Tony Hillerman

Publié le par Nébal

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HILLERMAN (Tony), Là où dansent les morts, [Dance Hall of the Dead], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Danièle et Pierre Bondil, Paris, Rivages, coll. Noir, [1973, 1986] 2006, 249 p.

 

Là où dansent les morts est le deuxième roman consacré par Tony Hillerman à ses flics Navajos (à l’époque, le seul lieutenant Joe Leaphorn, déjà fabuleusement charismatique, comme une sorte de « force tranquille »), et, celui-là, je suis à peu près sûr d’en avoir entendu parler il y a de ça un bail : ce beau titre me disait quelque chose, et je pense qu’il figurait sur la bibliographie que nous avait recommandée mon excellent professeur d’ethnologie juridique, comme une manière ludique de s’initier à l’ethnologie. Ce serait à bon droit, en tout cas : déjà, à l’époque, Tony Hillerman, dans la lignée d’Arthur Upfield, mêlait à ses intrigues policières un arrière-plan ethnologique remarquablement fourni et tout à fait passionnant. En fait, des romans que j’ai pu lire de cet auteur jusqu’à présent, c’est probablement celui où l’ethnologie a le plus d’importance. Et je ne vais certainement pas m’en plaindre, dans la mesure où c’est ce « plus » incontestable qui me séduit chez cet auteur de polar, genre qui ne m’avait jamais vraiment enthousiasmé jusqu’alors, mais que je suis amené à découvrir petit à petit en compagnie de Joe Leaphorn, Jim Chee et compagnie.

 

Le roman se déroule aux environs du village de Zuñi, habité par les Indiens du même nom, qui ne s’entendent guère avec les Navajos des alentours, du fait d’une haine ancestrale qui mettra quelques bâtons dans les roues du lieutenant Joe Leaphorn. Celui-ci est pourtant amené à enquêter dans cette région, ainsi que toute une panoplie de représentants de la loi émanant de diverses institutions concurrentes (FBI et DEA compris), du fait des circonstances mystérieuses d’une double disparition. Le jeune Dieu du Feu Zuñi (c’est-à-dire Ernesto Cata, l’adolescent chargé d’incarner son rôle lors de prochaines festivités) a en effet disparu, laissant derrière lui une trace de sang ; le lendemain, c’est son ami Navajo George Bowlegs, que tout le monde s’accorde à considérer comme un peu fou, qui prend la fuite. Est-il responsable de la mort de Cata ? A-t-il vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir ? Et pourquoi a-t-il attendu le lendemain pour fuir, dans tous les cas ? Joe Leaphorn se met sur la trace du jeune Bowlegs, âgé de 14 ans, et entend bien mettre la main sur ce Navajo désireux de « devenir Zuñi » au plus tôt.

 

Pour ce faire, il ne dispose guère de pistes : le père de Bowlegs est un alcoolique indécrottable, son petit frère Cecil n’est guère loquace. Restent, en sus des Navajos (que Bowlegs ne fréquentait pas) et des Zuñis (qui ne se montrent guère coopératifs), deux « tribus » d’un genre bien particulier qui pourraient lui être d’un précieux secours : des anthropologues d’un camp de fouilles voisin qu’aimaient à fréquenter les deux adolescents, et une petite communauté de hippies (« die, hippie, die ! ») qui s’est installée sur la réserve Navajo, dans un hogan que l’on dit hanté.

 

Mais il s’agit de faire vite : si Bowlegs n’est pas le tueur, alors il y a fort à parier que ce dernier – un esprit vengeur ? – est sur ses traces… Et s’engage ainsi une impitoyable et haletante chasse à l’homme dans les montagnes enneigées de la région de Zuñi, chasse à l’homme qui pourra conduire Joe Leaphorn « Là où dansent les morts », c’est-à-dire aux Paradis selon les Zuñis…

 

Là où dansent les morts a remporté l’Edgar (prix du meilleur roman policier publié aux Etats-Unis) en 1973, et on ne s’en étonnera pas : c’est un vrai petit bijou de roman noir. Ce livre, court mais dense, est en effet passionnant et pertinent de bout en bout. S’il ne brille pas par les qualités stylistiques, il est néanmoins d’une lecture remarquablement fluide, et l’on tourne les pages sans même s’en rendre compte ; les personnages sont par contre fort bien campés, Joe Leaphorn en tête, et l’on ne peut que s’intéresser à leur sort ; l’enquête, enfin, est astucieuse, et débouche sur une conclusion étonnante et tout à fait satisfaisante (j’ai souvent du mal avec les conclusions des polars, mais là j’applaudis des deux mains) (il faut dire que d’une seule, c’est pas évident).

 

Mais ce qui fait bien entendu la force de Là où dansent les morts, et sa singularité, c’est l’imbrication extrême de l’ethnologie dans la trame policière : ce roman est une passionnante plongée dans la mythologie Zuñi (pour l’essentiel, mais on pourrait dire qu’il s’agit de mythologie comparée), mais aussi dans le lointain passé des Amérindiens, du fait des fouilles des anthropologues auxquelles on assiste. Les développements ethnologiques sont savoureux, sans jamais sombrer dans un pénible didactisme, d’autant qu’ils sont dans un sens mis en abîme, et servent indéniablement le propos policier : nulle gratuité n’est à craindre dans ce roman où le moindre mot est pesé.

 

Savamment construit, enthousiasmant et enrichissant du début à la fin, Là où dansent les morts est pour le moment le meilleur roman de Tony Hillerman que j’ai pu lire. En tout cas, il m’a donné sacrément envie de poursuivre l’aventure. Je n’ai donc pas fini de vous parler de cet auteur tout à fait remarquable…

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"Le Silence de l'Espace", de Tommaso Pincio

Publié le par Nébal

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PINCIO (Tommaso), Le Silence de l’Espace, [Lo spazio sfinito], postface de Luca Briasco et Mattia Carratello, traduit de l’italien par Éric Vial, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2002] 2003, 206 p.

 

Acheté lors d’une séance de dédicace de Tommaso Pincio dans la toute nouvelle toute belle librairie Charybde, cela faisait un moment que Le Silence de l’Espace me faisait de l’œil. On n’avait en effet pas tari d’éloges sur ce court roman sorti directement en poche, à vue de nez totalement délirant comme je les aime.

 

Jugez plutôt. Nous sommes en 1956, et la conquête de l’espace est d’ores et déjà une réalité (à moins que…) : il y a des bases sur la Lune et sur Mars, et on trouve des contrôleurs orbitaux chargés par de grande compagnies telles Coca-Cola ou Walt Disney de vérifier que rien d’incongru ne vient encombrer leur parcelle de Vide. Un certain Jack Kerouac, qui n’est absolument pas un écrivain (encore qu’il lui arrive de composer des haïkus), mais bel et bien un paumé, s’engage ainsi en tant que contrôleur orbital pour Coca-Cola, et part pour neuf semaines dans l’espace, après avoir signé une décharge auprès du chef des contrôleurs pour la célèbre boisson gazeuse, un certain Arthur Miller.

 

Parallèlement, sur Terre, l’ami de Kerouac Neil Cassady tombe follement amoureux d’une caissière de librairie (pardon, une orientatrice) aux lèvres miroir, une certaine Marilyn Monroe. Persuadé que le code du livre acheté par Kerouac correspond à son numéro de téléphone, il multiplie les appels en direction d’une maison sur une cascade, où végète et s’ennuie une certaine Norma Jean Mortensen, épouse du susdit Arthur Miller qu’elle déteste, et qui n’a (bien évidemment) rien à voir avec Marilyn Monroe.

 

Nous suivons en parallèle ces deux trames, et accompagnons Jack Kerouac dans sa confrontation au Silence de l’Espace (encore que…) étrangement dénué d’étoiles, et Neil Cassady et Norma Jean Mortensen dans leur étrange amourette téléphonique. Et des historiens, pour des raisons qui nous échappent, tentent de reconstruire précisément les événements en question, « l’affaire Kerouac », qui est tout autant « affaire Cassady ».

 

On l’aura compris, nous ne sommes pas ici en présence d’un space opera classique. Et malgré la date des événements et l’utilisation de figures célèbres, cliché du genre, on n’avancera pas non plus le terme d’uchronie. Car ces Kerouac, Miller, Monroe, Burroughs, Dean, Grant, etc., ne sont à l’évidence pas ceux que nous connaissons. À bien des égards, ces noms célèbres ne sont que des façades, des masques, qui viennent déstabiliser le lecteur, qui croît reconnaître ces icônes des années 1950, quand il s’agit en fait de tout autre chose. Tommaso Pincio joue ainsi sur les apparences (de même qu’il livre une apparence de science-fiction) pour mieux égarer son lecteur, qui se retrouve pris au piège de ses préconçus, et est amené, bien malgré lui, à déconstruire et reconstruire ces figures.

 

Tout cela donne un roman effectivement délirant, souvent drôle, mais, pourtant, ce n’est probablement pas le sentiment qui domine à la lecture de ce Silence de l’Espace. La solitude de Kerouac, la vacuité de l’amourette téléphonique, le sort inconnu (et peut-être tragique) de Marilyn Monroe, tout cela induit insidieusement une certaine mélancolie chez le lecteur, une fois de plus pris au piège des apparences : à lire la quatrième de couverture, on ne s’attend certainement pas à ça…

 

Peut-on alors parler de détournement, ou plus généralement de situationnisme ? Probablement. Tout cela sent fort La Société du spectacle, et je rejoins Éric Holstein sur ce point. Je me montrerais toutefois moins sévère que lui. Certes, l’histoire est franchement anecdotique, et l’on peut trouver que les procédés comme le fond (?) du roman témoignent d’une certaine « branchitude » que l’on peut à bon droit trouver agaçante. Pourtant, le fait est que ce Silence de l’Espace, servi par une plume alerte et inventive, se lit fort bien. Et je me suis pour ma part pris au jeu de Tommaso Pincio ; je ne suis pas certain que le roman soit d’une grande profondeur, peut-être est-il un peu prétentieux à cet égard, mais il m’a néanmoins semblé intéressant dans sa démarche, et – surtout – je n’ai pu le lâcher une fois entamé. Dès lors, je pourrais difficilement prétendre qu’il s’agit d’un mauvais roman…

 

Non, Le Silence de l’Espace est clairement une lecture de qualité, et mérite bien qu’on y consacre un peu de son temps. Simplement, j’avouerai qu’il m’a semblé moins bon que ce que l’on avait pu m’en dire, et je ne lui confèrerai pas un caractère indispensable. Et si j’ai aimé ce court roman, j’espère être davantage convaincu par Cinacittà, récemment sorti chez Asphalte. On verra bien.

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"Les Compagnons de l'Ombre", t. 1, de Jean-Marc Lofficier (éd.)

Publié le par Nébal

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LOFFICIER (Jean-Marc) (éd.), Les Compagnons de l’Ombre, 1, textes de Matthew Baugh, Bill Cunningham, Terrance Dicks, Win Scott Eckert, Serge Lehman, Jean-Marc Lofficier, Xavier Mauméjean, Brad Mengel, Sylvie Miller & Philippe Ward, Kim Newman, John Peel, Chris Roberson et Robert Scheckley, traduits par Jean-Marc Lainé, Stéphan Lambadaris, Jean-Marc Lofficier, Sylvie Miller et Sarah Millet, illustrations de Fernando Calvi, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche – Noire, [2005] 2008, 296 p.

 

Les Compagnons de l’Ombre est une série d’anthologies dirigées par Jean-Marc Lofficier, reprise hexagonale des Tales of the Shadowmen que le même Lofficier dirige outre-Atlantique, dans sa maison Black Coat Press, dont Rivière Blanche est une extension ultérieure. Il s’agit, pour les auteurs, de jouer à « inventer de nouvelles aventures pour leurs héros préférés », dans un projet qui ne manque pas, les crossovers étant au rendez-vous (euphémisme !) de rappeler La Ligue des Gentlemen Extraordinaires du Divin Alan Moore (dans ce présent volume, la nouvelle de Sylvie Miller & Philippe Ward « Les Ferrets invisibles » y fait nécessairement penser), ou, plus récemment, La Brigade chimérique. D’autant que, pour ce qui est de ce premier volume, la plupart des aventures se déroulent à Paris, avec des personnages souvent de création française : l’occasion de découvrir ou redécouvrir tout un patrimoine pré-super-héroïque, à base d’Arsène Lupin, de Fantômas, de Judex, du Nyctalope, et j’en passe. Mais les héros étrangers ne manquent bien entendu pas pour autant à l’appel, Sherlock Holmes en tête. Quoi qu’il en soit, et autant le dire de suite, c’est avec délectation que l’on se plonge dans cet univers étourdissant riche en castings de luxe, qui fleurent bon les pulps et les serials.

 

Outre la réjouissante préface de Jean-Marc Lofficier (« Mémoires d’un ex-Compagnon de l’Ombre »), on trouvera dans ce premier volume très francophile 22 nouvelles, de taille très variable, allant de la « short-short » (Jean-Marc Lofficier lui-même en signant la plupart, en guise de nouvelles intercalaires, avec une habileté tout à fait remarquable, l’exercice étant périlleux) à la novella. En fin de volume, un « générique » – fort utile – permet de mieux entrevoir les abondantes références utilisées dans chacune d’entre elles.

 

Il serait sans doute vain de vouloir détailler ici l’ensemble des textes composant cette anthologie on ne peut plus enthousiasmante (a fortiori pour ce qui est des « short-short »). Je me contenterai donc de quelques notes concernant les nouvelles qui m’ont le plus marqué.

 

La première, « Le Masque du monstre » de Matthew Baugh, est une parfaite introduction au recueil, et en détermine les grandes lignes : la distribution est pour le moins exceptionnelle – le monstre de Frankenstein, Judex, un jeune Maigret pas encore commissaire, les frères Kramm, Jules de Grandin… – et le récit à la hauteur ; cette longue nouvelle se déguste un sourire complice aux lèvres, authentique plaisir sans doute un brin régressif, comme l’ensemble du recueil, mais qu’est-ce que ça fait du bien !

 

Je relèverai également « Les Anges de la Musique » de Kim Newman (dont il faudra décidément que je lise Anno Dracula et ses suites un de ces jours), nouvelle totalement farfelue mais ô combien réjouissante où le Fantôme de l’Opéra dirige une Agence de « drôles de dames », ayant maille à partir avec des automates hoffmanniens. Irréprochable et très drôle.

 

John Peel, avec « Le Tortionnaire au grand cœur », fait se rencontrer le Chevalier Dupin et le comte de Monte-Cristo, qui livrent ensemble bataille aux Habits Noirs. Pas mal du tout, notamment dans les passages qui se présentent le plus ouvertement comme des pastiches de Poe.

 

On notera par la suite un « cycle » de nouvelles mettant en scène Arsène Lupin et Sherlock Holmes. Ici, je dois dire que, n’étant un grand connaisseur ni de l’un ni de l’autre, j’ai parfois (souvent ?) été un peu largué par les allusions. Cela ne m’a cependant pas empêché d’apprécier un certain nombre de ces textes, dont – bien sûr ? – « Bonjour chez vous ! » de Xavier Mauméjean, courte nouvelle dans laquelle Sherlock Holmes est prisonnier du Village… Mais je pourrais aussi noter « Arsène Lupin arrive trop tard » de Jean-Marc Lofficier, nouvelle essentiellement épistolaire, rocambolesque comme il se doit, et très efficace, quand bien même un tantinet prévisible.

 

Cette prévisibilité, on la retrouve pour « Les Ferrets invisibles » de Sylvie Miller & Philippe Ward ; un peu trop, cette fois, sans doute, même si ça se lit.

 

Mais j’y ai largement préféré « L’Œil d’Oran » de Win Scott Eckert et « Le Meurtre de Randolph Carter » de Jean-Marc Lofficier, deux nouvelles ayant un fond lovecraftien (alors, forcément…), mais totalement délirantes, la première n’hésitant pas un seul instant à emprunter pour toile de fond La Peste de Camus (!), la seconde, très drôle, offrant le premier rôle à Hercule Poirot, dont la sagacité légendaire se retrouve opposée à quelques fameuses figures empruntées à l’œuvre du « reclus de Providence ».

 

 Au final, si tout n’est pas exceptionnel, le bilan est néanmoins très largement positif : ce premier volume des Compagnons de l’Ombre est une réussite incontestable, réjouissante de bout en bout, à la fois ludique et érudite. Un très bon moment de lecture (et accessoirement une mine pour les MJ du jeu de rôle de La Brigade chimérique…). J’espère que les volumes ultérieurs sont aussi bons ; parce que si c’est le cas, on peut d’ores et déjà me compter comme fan.

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Synthèse : "Le Bureau des Sabotages", de Frank Herbert

Publié le par Nébal

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HERBERT (Frank), L’Étoile et le fouet, [The Whipping Star], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guy Abadia, Paris, Robert Laffont – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1969-1970, 1973, 1989] 2010, 218 p.

 

HERBERT (Frank), Dosadi, [The Dosadi Experiment], traduit de l’américain par Guy Abadia, Paris, Robert Laffont, coll. Ailleurs & Demain, [1977, 1979] 2002, 327 p.

 

Ma chronique synthétique se trouve dans le Bifrost n° 63, dans le guide de lecture consacré à Frank Herbert (pp. 153-155).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 On regroupe sous le titre générique de « Bureau des Sabotages » deux romans de Frank Herbert situés dans le même univers et ayant le même héros, le décidément très finaud Jorj X. McKie : L’Étoile et le fouet (The Whipping Star, 1970) et Dosadi (The Dosadi Experiment, 1977). À les regarder de (très) loin – à s’en tenir par exemple aux résumés des intrigues –, on pourrait n’y voir que de palpitants avatars science-fictifs de romans d’espionnage à la « Mission impossible ». Mais, bien évidemment, Frank Herbert a d’autres choses à nous dire ; et sous le divertissement – car divertissement il y a – on dégage sans peine des thématiques bien plus profondes, qui font tout le sel de ces deux romans, et ont préservé tout leur intérêt jusqu’à aujourd’hui. Dont une préoccupation de choix, qui traverse les deux romans, mais n’en exclut pas d’autres à l’occasion : la communication.

 

 Prenons les choses dans l’ordre, et commençons donc par L’Étoile et le fouet. Nous sommes dans un lointain futur. L’humanité a essaimé dans les étoiles, et rencontré bien des races extraterrestres : elles forment ensemble la Co-sentience. Les distances intersidérales ont été abolies par les mystérieux « couloirs S’œil » des Calibans, eux-mêmes des entités extraterrestres défiant largement la compréhension. Or les Calibans – et donc leurs couloirs – se mettent à disparaître progressivement, plongeant la Co-sentience dans le chaos. Bientôt, il n’en reste plus qu’une, qui se fait appeler Fanny Mae, liée par contrat à une certaine Mliss Abnethe… qui la fait régulièrement fouetter.

 

 Problème : pour des raisons qu’il serait bien trop complexe de résumer ici, si Fanny Mae, en tant que dernière Calibane, « meurt » (le terme est inadéquat, mais on y vient), la Co-sentience entière – ou plus précisément tous ceux qui, au moins une fois, ont eu recours aux Calibans – disparaît avec elle. Les petits plaisirs sadiques de Mliss Abnethe risquent donc de provoquer des génocides en cascade…

 

 C’est pourquoi le BuSab fait appel au saboteur extraordinaire Jorj X. McKie. Pour résoudre cette épineuse question, il lui faudra tout d’abord prendre contact avec Fanny Mae. Et c’est alors que les difficultés commenceront : Fanny Mae n’est pas hostile, elle est même plus que bienveillante à l’égard de McKie, mais les modes de communication humain et caliban sont à peu de choses près incompatibles ; même avec la meilleure volonté du monde, ces deux êtres si différents doivent multiplier les tours et détours pour parvenir à se mettre d’accord sur la moindre notion qui nous semblerait relever de l’évidence.

 

 Et c’est le tour de force de Frank Herbert que d’avoir su rendre ces difficultés dans ce roman (et de Guy Abadia de les avoir transposées en français). Un de nos informateurs dont nous tairons le nom nous a assuré que L’Étoile et le fouet avait jadis été adapté en pièce radiophonique ; rien d’étonnant à cela, à vrai dire, tant le texte s’y prête. Le roman est en effet presque intégralement dialogué. Non pas parce que l’auteur ne sait pas écrire autre chose que des dialogues – il suffit d’ouvrir un autre livre de Frank Herbert pour s’en assurer ; nous ne sommes donc pas, contrairement aux apparences, dans le cas d’une certaine SF old school à la Heinlein ou Asimov qui abusait du procédé –, mais parce que les dialogues et leurs implications forment le cœur même du roman. Le moindre mot est pesé, balancé, toutes ses nuances sont savamment décortiquées… mais, malgré tout, le courant ne passe pas forcément. Ce qui n’empêche pas le compte à rebours de tourner (tic, tac, tic, tac…).

 

 Le résultat, très déstabilisant au premier abord – cette forme particulière rebute presque nécessairement dans un premier temps, que ce soit pour des raisons stylistiques ou en raison de l’hermétisme général des conversations entre McKie et Fanny Mae –, devient bientôt fascinant, et c’est avec avidité, les yeux grand ouverts devant la maestria de l’auteur, que l’on dévore ce livre finalement assez court mais incroyablement dense. Rarement le fond aura autant été en adéquation avec la forme dans un roman de science-fiction. À la fois divertissant et intelligent, L’Étoile et le fouet fait partie de ces courts bouquins de SF qui apportent bien plus qu’ils ne promettent, qui débordent littéralement d’idées, et dans lesquels le style – puisqu’il s’agit bien de ça, en définitive –, loin d’être aux abonnés absents, est d’autant plus travaillé qu’il se retrouve mis en abyme. On peut avancer l’expression « chef-d’œuvre », elle ne sera pas usurpée.

 

Dosadise situe probablement un cran en-dessous : moins original dans la forme comme dans le fond, moins renversant, moins « prends ta grosse baffe dans ta gueule », en d’autres termes, il n’en reste pas moins du plus grand intérêt. Résumer l’intrigue de ce roman très riche, très dense, très complexe, tient de la gageure… Contentons-nous de poser que l’on y retrouve Jorj X. McKie, toujours agent d’élite du BuSab, mais aussi légiste extraordinaire gowachin, et qu’il va de nouveau se trouver confronté à une affaire aux proportions apocalyptiques (encore qu’à une échelle moindre que dans L’Étoile et le fouet) : il devra se rendre sur la planète Dosadi, laquelle ne compte qu’un seule ville, Chu, où s’entassent quatre-vingt-dix millions de Gowachins et d’Humains, maintenus dans l’ignorance de l’existence du reste de la Co-sentience en raison d’une expérience menée par une cabale de Gowachins. Les conditions de vie y sont terribles, et la révolte gronde, notamment menée par la fascinante Keila Jedrik.

 

Dans ce roman très cryptique et éprouvant – on conseillera de prendre son temps pour le lire, et de bien s’accrocher, ça ne coule pas tout seul –, Frank Herbert nous plonge dans une intrigue politico-judiciaire d’une complexité et d’un machiavélisme diaboliques. Ce qui, en soi, vaut déjà le coup, et soulève bon nombre de problématiques passionnantes, sur la liberté, la justice, la violence, etc.

 

Mais on retrouve également le thème de la communication, abordé de deux manières différentes. Il y a tout d’abord la perception dosadie : sur la planète expérimentale règnent d’une part les modes de communication non verbale, et d’autre part l’économie de moyens en matière de communication verbale ; d’où des descriptions précises des attitudes et comportements et de leurs implications, mais aussi des dialogues extrêmement laconiques, qui se révèlent tout aussi déroutants que les circonvolutions de L’Étoile et le fouet ; McKie, qui a besoin d’un temps d’adaptation pour acquérir cette perception bien particulière, est ainsi tout d’abord accusé d’être trop « lisible » (il reportera bientôt cette critique sur les non-Dosadis) et, parallèlement, « d’enfoncer les portes ouvertes »…

 

Mais, à l’opposé, en fin de course, Dosadi nous présente aussi une réjouissante et surréaliste satire de la justice avec la judicarène gowachin, véritable petit théâtre de l’absurde judiciaire mêlé de koan zen, où toutes les valeurs sont retournées. Par exemple, « les coupables sont innocents. Par conséquents, les innocents sont coupables. » Ce qui n’empêche pas l’arsenal judiciaire de se déployer dans les plaidoieries et interrogatoires des légistes, dont McKie : effets de manche, pure rhétorique, artifices procéduraux… Et quand la perception dosadie et la politique s’en mêlent, vous imaginez à quel point cela peut devenir complexe… et passionnant.

 

Dosadi, roman cryptique et dense, s’il n’est pas aussi bluffant que son prédécesseur, ne manque donc pas d’intérêt pour autant. Grand livre de science-fiction politico-judiciaire (un genre à lui tout seul ?), il vaut amplement le détour.

 

« Le Bureau des Sabotages » n’a certes pas l’ampleur du cycle de « Dune » ; mais, en seulement deux romans, il se montre d’une densité et d’une richesse peu communes, qui en font une des plus grandes réussites de Frank Herbert.

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"Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons", de Jasper Fforde

Publié le par Nébal

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FFORDE (Jasper), Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons, [The Last Dragonslayer], traduit de l’anglais par Michel Pagel, Paris, Fleuve Noir, coll. Territoires, [2010] 2011, 294 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 63 (pp. 102-103).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Pour inaugurer sa nouvelle collection « Territoires », destinée au public « young adults » (puisque c’est comme ça qu’on dit, paraît-il), le Fleuve Noir aurait pu tomber plus mal : Jasper Fforde, que l’on connaissait jusqu’à présent en France pour sa géniale et indispensable série des aventures de Thursday Next, voilà bien un nom qui inspire confiance, et qui donne assurément envie d’y jeter un œil (bien plus que la couverture, terne et inadéquate au possible…). Voyons donc ce qui se cache derrière ce titre à rallonge (plus explicite que le The Last Dragonslayer original, mais bon…).

 

 « À une époque, j’ai été célèbre. On a vu ma tête sur des T-shirts, des badges, des tasses à thé et des posters. J’ai fait la Une des journaux, je suis passée à la télé, et j’ai même été invitée au Yogi Baird Show. Le Quotidien des Palourdes m’a proclamé « L’adolescente la plus remarquable de l’année » et j’ai été élue femme de l’année par Mollusque-Dimanche. On a deux fois essayé de me tuer, on m’a menacée de la prison, j’ai reçu seize demandes en mariage et j’ai été déclarée hors la loi par le roi Snodd. Tout cela, et plus encore, et en moins d’une semaine.

 

 « Je m’appelle Jennifer Strange. »

 

 XXIe siècle. Mais dans une Grande-Bretagne différente. Nous sommes dans les Royaumes Désunis, plus particulièrement au royaume d’Hereford. Dans ce monde-là, il y a encore de la magie (et une curieuse obsession pour le massepain, mais c’est une autre histoire). Il y a encore de la magie, donc. Mais plus des masses ; et le respect pour le sacerdoce s’est perdu… Aussi les quelques mages encore dotés de pouvoirs se voient-ils contraints d’offrir leurs services pour des tâches a priori peu glorieuses : transport d’organes en tapis volants, réparation d’installations électriques, etc. Kazam est une des entreprises gérant ces affaires. En l’absence – momentanée, bien sûr – de son fondateur le Grand Zambini, Kazam est gérée par l’enfant trouvée Jennifer Strange – bientôt seize ans, et serve. Elle est un peu jeune, certes, mais comme elle est à peu près la seule à avoir toute sa tête dans cette maison de dingues, elle ne se débrouille pas trop mal.

 

 Et puis, tout à coup, l’énergie sorciérique se met à connaître des pics d’intensité qu’on n’avait plus connus depuis fort longtemps. Et tout cela semble coïncider avec la dernière prophétie en date, selon laquelle le dernier dragon des Royaumes Désunis, Maltcassion, qui, ça tombe bien, vit dans la dragonie d’Hereford, doit mourir le dimanche suivant. De la main d’un tueur de dragons, forcément, puisque seul un tueur de dragons peut pénétrer les frontières de la dragonie.

 

 Le titre français lâchant le morceau – mais, de toute façon, on s’en doutait un peu –, on peut bien le dire ici : par un étrange concours de circonstances, Jennifer Strange se trouve hériter du titre de dernière tueuse de dragons, et se voit donc confier ladite tâche glorieuse, peut-être, mais très certainement dangereuse.

 

D’autant que cela lui pose un problème de conscience : elle n’a pas vraiment – non, pas du tout – envie de le tuer, ce dragon. Déjà, parce qu’elle craint, ce faisant, de faire disparaître la magie pour de bon, pour des raisons qu’elle ne parvient pas très bien à s’expliquer elle-même ; ensuite et surtout, parce qu’elle se rend compte que ledit Maltcassion est une créature noble, érudite et intelligente, et que, pour le moment en tout cas, il n’a pas brisé le Pacte : elle n’a donc aucune raison de le tuer, et d’accomplir la prophétie !

 

Mais on la presse de toutes parts. Des milliers de personnes s’amassent aux frontières de la dragonie, désireuses de s’accaparer ces terres dès que le dragon aura rendu son dernier souffle. Et le roi Snodd, son ennemi de toujours le duc de Brecon, et les grandes entreprises des Royaumes Désunis (voire un car de Danois trahis par leurs rollmops) sont de la partie…

 

Au début, on a un peu peur : on sent en effet que Harry Potter est passé par là, et on craint de voir Fforde succomber à son tour à la tentation du clonage… Mais, heureusement, cette impression disparaît assez vite, et on retrouve bientôt le ton joyeusement délirant et bourré d’inventivité de l’auteur, bien que dans une veine plus « gentille », dirons-nous, que pour les Thursday Next – on sent tout de même la différence de public –, mais qui peut également faire penser à du Pratchett honnête.

 

Le roman, très court – 300 pages mais en gros caractères – se dévore, passées les premières pages un peu douteuses, avec un plaisir constant. Léger et drôle sans jamais être creux, il offre à n’en pas douter un bon divertissement, bref mais tout à fait honorable.

 

Seulement voilà, c’est un peu le problème. Non, Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons n’est pas un mauvais roman ; on peut même dire, en desserrant un peu les dents, qu’il est plutôt bon… Mais de la part de Jasper Fforde, le fait est que l’on peut se sentir en droit d’en attendre davantage. Plus d’exubérance, de folie, de style, de sens, de double sens ; de tout ce qui a fait qu’on a tant aimé les Thursday Next (et plus si affinités). Mais, ici, même si on ne s’ennuie pas, même si – oui – on passe un bon moment, on a quand même un peu l’impression d’un auteur, certes talentueux, mais qui livre le minimum syndical.

 

Du Fforde moyen sera toujours largement meilleur que la plupart des sorties habituelles en fantasy, « jeunesse » ou pas. À ce compte là, nul doute que Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons sortira du lot, et constituera – par exemple – un cadeau de choix à votre ado préféré(e) (en attendant de lui refiler les Thursday Next), que vous pourrez lui piquer à l’occasion. Ce qui n’empêche pas une déception relative…

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"Imprésario du troisième type", de John Scalzi

Publié le par Nébal

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SCALZI (John), Imprésario du troisième type, [Agent To The Stars], traduit de l'anglais [américain] par René Baldy, Nantes, L'Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2005] 2011, 411 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 63 (pp. 93-94).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

 EDIT : Hop :

 

On a découvert John Scalzi avec le tout à fait recommandable Le Vieil Homme et la guerre et ses suites ; des romans ne brillant pas forcément par l’originalité, mais d’une lecture agréable, bien ficelés sur le fond, témoignant d’une certaine aisance pour la forme, et ne manquant pas d’humour, qui lui avaient valu la reconnaissance du public et l’avaient amené en lice pour le prix Hugo. Ce n’était toutefois pas là sa première tentative romanesque. John Scalzi s’était en effet attelé dès 1997 à la rédaction de cet Imprésario du troisième type (on préfèrera le titre original, Agent To The Stars) en tant que « roman test » : il s’agissait de voir s’il était capable d’écrire un roman. La réponse lui semblant positive, il a mis son livre en partage sur Internet en 1999, en invitant les lecteurs à lui envoyer un dollar s’il leur plaisait. Cinq ans et quatre mille dollars plus tard, l’auteur pria les internautes de cesser leurs envois d’argent. Puis le roman fut publié en édition limitée en 2005, avant d’être repris en 2008.

 

 C’est donc en fait le premier roman de John Scalzi qu’édite aujourd’hui L’Atalante, sous une couverture – moche – d’un Paul Kidby qu’on a connu plus inspiré (pour Terry Pratchett, en l’occurrence), couverture qui donne le ton : il s’agit ici clairement d’un roman de SF humoristique. La lecture confirme vite cette première impression, et l’on ne peut s’empêcher, très tôt, de penser à des classiques du genre, dans la lignée desquels ce roman entend s’inscrire, tels Martiens, go home ! de Fredric Brown ou peut-être plus encore Planète à gogos de Frederik Pohl et C.M. Kornbluth, la dimension satirique étant clairement affichée. Cibles désignées : Hollywood et le monde des agents artistiques.

 

 Tom Stein est un jeune imprésario aux dents longues, travaillant pour le redouté Carl Lupo ; il a déjà à son actif quelques réussites non négligeables, la plus importante étant Michelle Beck, une greluche dont il a fait une star, à tel point qu’il parvient à négocier pour elle un cachet de douze millions de dollars pour son prochain film, un quelconque navet de science-fiction. Peu importe, à ce compte-là, que ladite star ne sache pas jouer et ait le Q.I. d’une huître… Le problème est que l’ex-pom pom girl a des ambitions « artistiques », et qu’elle aimerait décrocher un rôle « sérieux », à savoir celui d’une Juive rescapée de la Shoah et devenue militante des droits civiques après son arrivée aux Etats-Unis, héroïne d’un biopic intitulé Les Heures noires

 

 Mais, dans l’immédiat, Tom Stein a une autre affaire sur les bras, et non des moindres : son patron le pousse en effet à devenir l’agent des Yherajks, des extraterrestres à l’apparence de blobs qui ont découvert l’humanité à travers les séries télévisées – ce qui explique leur humour lamentable – et qui, outre leur allure peu engageante, ont le fâcheux défaut de puer atrocement. Pour éviter une réaction de rejet de la part de l’humanité, les Yherajks ont besoin de préparer le terrain, et c’est à cet effet qu’ils contactent Carl Lupo, puis, par son intermédiaire, Tom Stein, afin de les représenter sur Terre et d’aménager la rencontre entre les deux espèces dans les meilleures conditions possibles. C’est ainsi que Tom Stein se trouve hériter du Yherajk Joshua, afin de lui servir de guide et de réfléchir avec lui en secret à cet épineux problème. Ce qui lui impose de lâcher la plupart des artistes qu’il représente, sa nouvelle tâche l’occupant peu ou prou à plein temps ; mais voilà qui ne manque pas de susciter la curiosité d’un journaliste particulièrement persévérant travaillant pour un pathétique torchon hollywoodien, ce qui ne pouvait pas tomber plus mal…

 

La satire est corrosive et efficace, et l’on retrouve dès ce premier roman bon nombre des éléments qui ont fait le succès de John Scalzi, notamment cette écriture d’une rare fluidité qui amène le lecteur à faire défiler les pages comme si de rien n’était, sans que jamais la moindre lassitude ne s’installe. À ce compte-là, on peut bien d’ores et déjà qualifier Imprésario du troisième type de divertissement plus qu’honnête.

 

Pourtant, le livre déçoit, et son statut de « roman test » ressort régulièrement. On fermera gentiment les yeux sur quelques gags lourdingues ici ou là, notamment ceux versant plus ou moins dans le scato ; dans l’ensemble, le roman reste assez drôle, et ne déshonore pas ses prestigieux modèles. Le problème est ailleurs, relevant davantage de la construction romanesque : le livre prend au fil des pages un tournant, peut-être pas « inattendu », les indices ne manquant pas, mais qui ne coule pas forcément de source, et introduit un peu plus de gravité dans le propos ; en soi, l’idée n’est pas mauvaise, mais sa réalisation laisse davantage à désirer : on a un peu l’impression d’un roman fait de bric et de broc, construit au fur et à mesure, avec une adresse variable, jusqu’à une conclusion nécessairement hollywoodienne et donc confondante de naïveté (vraie ou fausse, on laissera au lecteur le soin d’en juger). Le roman se perd un peu dans ses différentes trames, qui semblent ne se rejoindre qu’au prix d’artifices de narration (hollywoodiens, certes) plus ou moins bienvenus, ce qui nuit à la suspension d’incrédulité. Et si l’on ne s’ennuie pas à la lecture de cet Imprésario du troisième type, on ne peut néanmoins s’empêcher d’émettre régulièrement des réserves sur tel ou tel procédé, et on garde une fois la dernière page tournée un léger arrière-goût d’inachevé, une impression mitigée, hésitant entre les qualités indéniables du roman et ses défauts tout aussi frappants.

 

Pas terrible, donc ; un divertissement pas franchement mauvais, mais ne s’élevant que rarement au-dessus de la médiocrité, et sur lequel on pourra faire l’impasse sans trop de remords. En attendant – une fois de plus – que John Scalzi nous livre enfin un roman un peu plus ambitieux que ce qu’il a produit jusqu’alors : il en a très certainement les moyens, et quelques passages de cette première tentative en témoignent déjà ; mais il se fait attendre, le bougre.

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Synthèse : "Chronique des Rivages de l'Ouest", d'Ursula K. Le Guin

Publié le par Nébal

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LE GUIN (Ursula K.), Dons, [Annals of the Western Shore: Gifts], traduit de l’anglais [États-Unis] par Mikael Cabon, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2004] 2010, 219 p.

 

LE GUIN (Ursula K.), Voix, [Annals of the Western Shore: Voices], traduit de l’anglais [États-Unis] par Mikael Cabon, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2006] 2010, 282 p.

 

LE GUIN (Ursula K.), Pouvoirs, [Annals of the Western Shore: Powers], traduit de l’anglais [États-Unis] par Mikael Cabon, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2007] 2011, 414 p.

 

Ma chronique synthétique se trouve dans le Bifrost n° 63 (pp. 87-90).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

  

 EDIT : Hop :

 

Ces dernières années, délaissant – pour un temps ? – ses incontournables cycles de « Terremer » et de « l’Ekumen », Ursula K. Le Guin a livré une nouvelle trilogie de fantasy avec « Chronique des Rivages de l’Ouest », composée de Dons (Pen/USA Award 2005), Voix et Pouvoirs (prix Nebula 2008) ; ce qui fait tout de même une belle brochette de récompenses, a fortiori si l’on y rajoute le prix Locus ô combien mérité remporté par l’excellentissime Lavinia, paru en début d’année chez le même éditeur. Pour ceux qui en douteraient, il semblerait donc que l’auteur de La Main gauche de la nuit a encore bien des choses à nous dire…

 

 « Chronique des Rivages de l’Ouest », à l’origine, a été vendue comme une série de littérature « jeunesse » ; ce que traduisent assez ces abominables couvertures flashouilles (et par ailleurs mensongères) et, au dos, la mention « Pour tous lecteurs à partir de 14 ans ». On notera cependant, outre cet âge relativement élevé (nous sommes donc plutôt dans la catégorie « young adult »), que L’Atalante a choisi de ne pas insister sur cette dimension « jeunesse », et de publier ces trois volumes dans « La Dentelle du cygne » ; ce qui apparaît particulièrement justifié à leur lecture, tant on peut légitimement se demander s’ils sauront séduire un jeune public : certes, les récits sont focalisés sur le parcours initiatique de trois adolescents (les romans peuvent d’ailleurs se lire indépendamment les uns des autres, même si le « héros » du premier joue un rôle non négligeable dans les deux suivants), mais le ton très contemplatif et sérieux de l’ensemble, ainsi que l’absence quasi totale « d’action » au sens le plus vif du terme (le terme de « chronique » renvoyant ici à la biographie et à la micro-histoire, celle du quotidien, et non aux beaux gestes des cycles épiques), en réserveront sans doute la lecture à un public peut-être plus âgé, finalement, que celui de la trilogie originale de « Terremer », déjà bâtie sur un moule assez semblable. Pas dit que les plus jeunes s’y retrouvent, donc. Ce qui est certain, c’est que les adultes auraient bien tort de s’abstenir de lire cette série en se basant sur cette seule catégorisation ; car Ursula Le Guin, tout en se pliant à sa manière aux contraintes de l’exercice « jeunesse », prend bien soin de ne jamais rabaisser son lecteur, mais au contraire de l’élever en l’amenant à réfléchir de lui-même sur des sujets graves et sérieux, dont l’actualité ne saurait faire de doute ; tendance qui se dessine de plus en plus nettement au fil du cycle, jusqu’à culminer avec la réflexion politique et éthique de Pouvoirs, qui s’inscrit dans la droite lignée des Dépossédés et de Quatre Chemins de pardon (pas ce que l’auteur a produit de pire, donc…).

 

 Les Rivages de l’Ouest ne sont véritablement décrits qu’en creux, quand bien même chaque roman se voit précéder d’une ou plusieurs cartes. On ne saurait donc se livrer à une présentation globale, ainsi que pour « Terremer ». Notons juste que cet univers de fantasy est passablement réaliste : pas de bestioles étranges, ici (à une exception près, assez anecdotique), et le surnaturel n’y intervient que très rarement (ce qui, là encore, rebutera peut-être les plus jeunes lecteurs), généralement sous la forme de « dons » ou « pouvoirs » de nature plus ou moins magique ou spirituelle, dont bénéficient – ou souffrent – les principaux protagonistes du récit.

 

L’essentiel de l’action de Dons se concentre dans les collines des Entre-Terres. Là vivent des fermiers, qui sont tous autant de sorciers, ayant hérité de leur lignage un « don » particulier. Orrec dispose ainsi du pouvoir de destruction : il peut « défaire » tout et n’importe quoi, y compris le vivant. Un pouvoir qui le terrifie tant qu’il a choisi de ne pas en faire usage, en se « mutilant » : il s’est « aveuglé » à l’aide d’un bandeau sur les yeux. Car il est réputé avoir l’Œil sauvage, et peut-être bien l’Œil fort… Ce court roman nous rapporte ainsi les souvenirs d’Orrec, de sa plus tendre enfance à ce que l’on appellera son « émancipation », si ce n’est l’âge adulte. On le suit donc dans ses jeux innocents avec son amie Gry, et dans sa vie de famille avec ses parents Canoc et Melle, la citadine enlevée il y a bien longtemps. Car les fermiers se font parfois pillards, et leur vie, déjà passablement rude, est faite de tensions régulières, débouchant parfois sur les guerres privées. Les chefs de clans, les « brantors », négocient ainsi des alliances et des mariages de raison, et leurs domaines sont autant de petits fiefs sans suzerain supérieur. Les Entre-Terres connaissent une forme d’anarchie continuelle, dont les habitants se satisfont la plupart du temps, mais qui peut avoir des conséquences cruelles. Ursula Le Guin, dans ce court roman, se montre toujours aussi douée pour inventer et décrire par le menu des sociétés complexes et crédibles. Un cadre de choix pour développer une thématique initiatique passionnante, où domine la question du libre-arbitre, fondamentale pour l’ensemble du cycle. Et on y retrouve tout ce qui a toujours fait le talent de l’auteur, son sens du détail, sa pertinence anthropologique, sa subtilité dans l’émotion, son talent pour la caractérisation des personnages… et une certaine atmosphère indéfinissable, bucolique et sauvage, particulièrement réussie.

 

Voixadopte pour sa part un cadre urbain, la cité portuaire d’Ansul, et laisse la première place à une jeune fille, Némar. Ansul était autrefois réputée pour sa bibliothèque et son université. Mais tout cela a changé avec la conquête de la ville par les Alds, adorateurs du dieu ardent et unique Atth, qui n’ont que mépris pour les femmes, et, surtout, voient dans les livres l’œuvre des démons. Après avoir pris la ville, ils ont anéanti la bibliothèque et instauré un régime de terreur. La résistance n’est guère que symbolique ; il s’en trouve quelques-uns pour sauver des livres, et les amener à Galvamand, la Maison de l’Oracle, où ils savent qu’ils seront en sécurité. Car Galvamand possède une bibliothèque secrète, et Némar sait tracer dans l’air les lettres qui ouvrent la porte de cette caverne au trésor. Mais si les Alds méprisent les livres, ils raffolent des poètes ; aussi accueillent-ils chaleureusement le célèbre Orrec Caspro. Le Gand des Alds attend du poète qu’il récite pour lui les chants guerriers de son peuple, mais les habitants d’Ansul n’ont aux lèvres qu’un poème de la composition même d’Orrec, qui a nom « Liberté »… Sorte de Fahrenheit 451 transposé dans un univers de fantasy, Voix est un vibrant réquisitoire contre les intégrismes les plus obscurantistes. Mais, contexte oblige, on avouera qu’il paraît cibler tout particulièrement les tendances les plus radicales de l’islamisme, et en premier lieu celui des Talibans. La révolution libératrice ayant en outre plus ou moins un déclencheur extérieur, il est difficile de ne pas faire le lien avec l’actualité. Avec tout autre auteur qu’Ursula K. Le Guin, cela aurait pu sentir passablement mauvais… Mais nul excès de manichéisme n’est à craindre dans ce livre d’une profonde humanité et d’une grande justesse, riche en belles et complexes figures. L’identification avec les personnages est quasi instantanée, et, si le récit n’est finalement guère épique en dépit de son contexte révolutionnaire, on se prend néanmoins d’enthousiasme pour la cause des Ansuliens, leurs subtils débats politiques quant aux fins et aux moyens, et, par-dessus tout, pour ces personnages si humains, avec leurs faiblesses…

 

Pouvoirs, enfin, prolonge et achève ces réflexions sur la liberté, l’identité, le savoir, et les relations complexes que ces notions entretiennent. Le narrateur est cette fois Gavir, un jeune esclave de la Cité-État d’Étra, qui n’a jamais véritablement connu la liberté – il a été enlevé tout enfant – et se contente dès lors volontiers du statu quo. Mais de graves événements vont survenir, qui vont amener l’enfant des Marais, doté d’une mémoire prodigieuse et de facultés prophétiques, à fuir ses maîtres et à faire le difficile apprentissage de la liberté, en même temps qu’il cherchera à définir son identité. Long et douloureux périple – qui tient de l’exode ou de la diaspora –, qui l’amènera à croiser nombre de personnages hauts en couleurs, dont un charismatique émule de Spartacus et de Robin des Bois, et à remettre en question tout ce qu’il croyait savoir ; car la réalité et l’apparence ne font pas toujours bon ménage, et la liberté, la vraie liberté, n’est pas chose si répandue de par les Rivages de l’Ouest. Bien plus long que les deux romans précédents, Pouvoirs est tout aussi réussi, et en reproduit les qualités. On notera cependant que c’est, des trois volumes, celui dont la dimension « initiatique » est la plus affichée, et donc – paradoxalement ? – celui dont les traits « jeunesse » sont les plus sensibles, ce qui ne nuit en rien à l’intérêt du livre, toujours aussi juste et profond ; mais on ne peut s’empêcher de penser, à la lecture de cet ultime volume, aux Dépossédés et à Quatre Chemins de pardon, et on reconnaîtra que, malgré son prix Nebula, Pouvoirs, qui en est un prolongement « allégé », pourrait-on dire, ne soutient pas la comparaison, sans être déshonorant pour autant.

 

Quoi qu’il en soit, avec « Chronique des Rivages de l’Ouest », Ursula K. Le Guin livre à nouveau une brillante trilogie, avec son intelligence coutumière, et les amateurs de la dame ne seront certainement pas déçus du voyage. Chaque volume, pris indépendamment, est du plus grand intérêt, et, si l’on n’osera pas dire que l’on y atteint les sommets des meilleurs volumes de « l’Ekumen » ou de Lavinia – c’est que la barre est placée très haut –, on passe néanmoins à chaque fois un excellent moment dans cet univers « réaliste », propice à la réflexion éthique et politique. Dons, Voix et Pouvoirs sont donc à recommander, au-delà des considérations d’âge, à tous ceux qui apprécient la fantasy subtile et intelligente, bien loin des clichés de la big commercial fantasy lobotomisante et sans âme.

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