"Bad Moon Rising (+ Flower - Halloween - Satan Is Boring - Echo Canyon)", de Sonic Youth
SONIC YOUTH, Bad Moon Rising (+ Flower – Halloween – Satan Is Boring – Echo Canyon)
Tracklist :
01 – Intro
02 – Brave Men Run (In My Family)
03 – Society Is A Hole
04 – I Love Her All The Time
05 – Ghost Bitch
06 – I’m Insane
07 – Justice Is Might
08 – Death Valley ’69 (W. Lydia Lunch)
09 – Satan Is Boring
10 – Halowe’en
11 – Flower
12 – Echo Canyon
Poursuite de la rétrospective Sonic Youth avec Bad Moon Rising, le deuxième « véritable » album du groupe après l’excellent mais encore très marqué No Wave Confusion Is Sex. Entre les deux albums, pourtant séparés par une brève période de temps (Bad Moon Rising est enregistré fin 1984 et sort début 1985), le groupe a quasiment opéré un saut quantique : il semble avoir découvert que les guitares pouvaient servir à autre chose qu’à faire des bruits bizarres, qu’on pouvait jouer des riffs avec, voire – ô étrangeté ! – des mélodies. Mais on ne parlera pas de compromissions pour autant : Bad Moon Rising, pas plus que son prédécesseur, n’est un album facile ; Sonic Youth reste un groupe alternatif, à l’avant-garde de la recherche sonore ; simplement, il commence à faire ça avec un peu plus de maturité, sans doute.
Quelques petites niouzes côté pipole (je sais que vous en raffolez, bande de voyeurs) : Thurston Moore et Kim Gordon se sont mariés peu de temps avant l’enregistrement de l’album. Vous vous en foutez ? Vous avez bien raison. Plus intéressant : c’est au cours de la tournée qui le suit immédiatement (et qui verra l’enregistrement des morceaux complétant le CD) que le jeune Steve Shelley intègre le groupe à la batterie (c’est Bob Bert qu’on entend sur l’album) ; le quatuor est désormais au complet, et le groupe gardera cette base jusqu’à aujourd’hui (ce qui n’exclura pas la présence occasionnelle de membres supplémentaires, mais on aura l’occasion d’y revenir). C’est également à l’occasion de la sortie de cet album que l’Anglais Paul Smith crée le label Blast First pour distribuer le disque en Europe, ce qui marque le début d’une longue collaboration.
Mais parlons maintenant musique, et commençons à décortiquer la bête. Où l’on commence par une « Intro » fort brève, dont les arpèges nous font clairement comprendre que le groupe a évolué depuis Confusion Is Sex, donc.
Et d’enchaîner sur « Brave Men Run (In My Family) », qui, avec son riff simple mais néanmoins efficace, confirme cette première impression, quand bien même le bruit a (heureusement) toujours son mot à dire, et, quand Kim Gordon prend le chant, les atmosphères du premier album se rappellent à notre bon souvenir. Le morceau se conclut d’ailleurs sur une étrange boucle industrielle…
… qui fait l’enchaînement avec « Society Is A Hole », un morceau plus lent et hypnotique, au chant un peu incantatoire sur fond légèrement bruitiste. Assez réussi.
Puis on enchaîne, sans transition, sur le bien plus long mais toujours assez mou « I Love Her All The Time »… qui confirme en tout cas que les Sonic Youth, s’ils ont découvert les joies de la composition, ne sont pas pour autant devenus de grands chanteurs. Mais on y retrouve avec plaisir quelques déflagrations soniques qui commençaient à se faire rares, et sont d’autant plus les bienvenues qu’elles se mêlent judicieusement au reste.
Suit « Ghost Bitch », qui s’ouvre sur un larsen et retrouve plus clairement les ambiances sombres, bruitistes et avant-gardistes de Confusion Is Sex. On aurait à vrai dire envie de qualifier le morceau d’industriel par certains aspects. Très réussi.
Enchaînement sur « I’m Insane » (désolé, la vidéo coupe un peu brusquement…), là encore un morceau aux sonorités étrangement (ou pas) industrielles, mais avec un soupçon de mélodie en sus, et la voix de Lee Ranaldo. Répétitif, hypnotique, tout à fait intéressant, sans être exceptionnel pour autant.
« Justice Is Might », très court, sur lequel on enchaîne immédiatement, s’inscrit lui aussi plus ou moins dans la continuité de Confusion Is Sex ; mais il s’agit plus d’une conclusion à la « trilogie » entamée par « Ghost Bitch » et dont « I’m Insane » constituait la pièce centrale qu’autre chose.
Et arrive (enfin ?) le chef-d’œuvre, avec l’exceptionnel « Death Valley ’69 (W. Lydia Lunch) », sans doute un des premiers tubes du groupe, et j’irais jusqu’à dire, déjà, un de ses meilleurs morceaux. Comme le titre l’indique, Lydia Lunch de Teenage Jesus & The Jerks joue l’invitée, tandis que le clip, si je ne m’abuse, a été réalisé par Richard Kern. Ici, on a déjà du pur Sonic Youth, dans son versant le plus pêchu, avec un riff imparable, et une superbe montée à filer des frissons au plus impassible des auditeurs. Une petite merveille, incontestablement la pièce de résistance de Bad Moon Rising… et par ailleurs sa conclusion.
En effet, les morceaux qui suivent ont été enregistrés ultérieurement, lors de la tournée qui a suivi la sortie de l’album (et, au passage, ils sont mal indiqués sur la pochette…). On commence avec « Satan Is Boring », pièce de pure expérimentation basée essentiellement sur une voix trafiquée et la batterie, assez austère dans un premier temps, tandis que la fin ramène une fois de plus à Confusion Is Sex. Dispensable.
« Hallowe’en », plus abordable – sans qu’on puisse parler de compromission pour autant, loin de là… – et mélodieux, est aussi incomparablement plus intéressant, mais aussi un peu frustrant : on y sent l’amorce de quelque chose de plus grand…
« Flower » revient quant à lui clairement à la No Wave de Confusion Is Sex, avec une indéniable réussite. Un très bon morceau, simple et efficace.
Reste enfin le bref « Echo Canyon », simple collection d’effets sonores. Pas vraiment un morceau, et rien à en dire…
Bad Moon Rising n’est probablement pas un très grand album de Sonic Youth. Outre qu’il pâtit d’une production un peu inégale (et notamment un peu faiblarde sur sa première moitié), il est encore un peu trop le cul entre deux chaises pour convaincre pleinement. Certes, le groupe y a déjà opéré une évolution impressionnante. Mais il lui restera à compléter son saut quantique avec EVOL et Sister pour devenir pleinement le Sonic Youth que nous connaissons et adorons. Il n’en reste pas moins que Bad Moon Rising contient quelques titres intéressants, et, déjà, une merveille, l’excellent « Death Valley ‘69 » : comme une promesse du meilleur à venir.
Suite des opérations avec EVOL.