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"Limbo", de Bernard Wolfe

Publié le par Nébal

WOLFE (Bernard), Limbo, [Limbo], traduit de l’anglais [Etats-Unis] par Alex Grall, préface de Gérard Klein, LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1952, 1954-1955] 2001, 437 p.

 

J’aurais mis le temps, mon cher Tétard. Certes, certes. Je plaide coupable. Mais ça y est : j’ai enfin lu ce roman dont tu n’as cessé (toi parmi d’autres, d’ailleurs) de me vanter les mérites. Et je peux d’ores et déjà te remercier, parce que cet unique roman de son auteur était ma foi fort bon.

 

Limbo, donc. Tout commence avec le docteur Martine, spécialiste de la lobotomie préfrontale (très en vogue à l’époque). Celui-ci, après la Troisième Guerre mondiale et son holocauste nucléaire, a trouvé refuge sur une île au large de Madagascar, sur laquelle il vit depuis 18 ans, inconscient de l’évolution du monde extérieur… ou de ce qu’il en reste. Là, il continue de pratiquer son art au bénéfice supposé des indigènes, qui usent de cette opération pour le moins radicale depuis des siècles afin de chasser les excès d’agressivité et de tonus…

 

Mais voilà qu’un jour débarquent d’étranges individus sur l’île des Mandunji : des « fausses-pattes », aux membres coupés et remplacés par d’impressionnantes prothèses. Le docteur Martine, à ce spectacle, est pris par une subite impulsion : il doit quitter l’île, même s’il ne sait pas trop pourquoi. Il s’embarque donc pour l’Hinterland, qui a remplacé les Etats-Unis après la Troisième.

 

Et c’est ainsi qu’il découvre la société Immob. Ici, on pratique le pacifisme intégral, en se faisant couper les membres. PAS DE DÉMOBILISATION SANS IMMOBILISATION ! Et ATTENTION AU ROULEAU COMPRESSEUR ! Le nouveau monde a bâti tout un système philosophique, riche en astucieux slogans sempiternellement assénés (mais vides comme le sont tous les slogans…), et mêlé de philosophie morale, de cybernétique, de sémantique générale et de dianétique. Un cauchemar lumineux, une utopie grinçante et caustique qui laisse Martine – et le lecteur – pantois.

 

Surtout quand le bon docteur découvre qu’il est bien malgré lui à l’origine de cette folie politique, ses élucubrations privées ayant été reprises à bon compte par d’inopportuns manipulateurs à double face…

 

La quatrième de couverture, et Gérard Klein dans sa préface, empruntant aux slogans Immob, le martèlent : Limbo est un grand roman d’humour noir, et un classique. Effectivement. On a rarement lu utopie (ou anti-utopie, comme on voudra) aussi riche et intelligente, en dépit (ou en raison ?) de son postulat en apparence absurde. Le plus fort étant qu’on parvient à y croire… Bernard Wolfe n’a rien négligé dans son système, ce qui ne l’empêche pas pour autant de se lézarder.

 

En effet, quand Martine débarque en Hinterland, la société du pacifisme intégral ne se montre pas forcément si pacifique que ça. Et si les jeunes gens, toujours volontaires pour se faire amputer, attendent avec joie les prochaines olympiades, symbole de l’efficacité du système, les troubles ne manquent pas pour autant : comme d’habitude, les pro-pros et anti-pros s’opposent (se faire poser des prothèses, n’est-ce pas un dévoiement de la philosophie de Martine ?), mais, surtout, des relents de guerre froide ressurgissent, avec les accusations mutuelles d’impérialisme, entre l’Hinterland et l’Union Orientale, pourtant également Immob… Le pacifisme sera bientôt mis à rude épreuve. Et Martine, jouant le rôle de l’étranger dans une utopie qu’il a pourtant contribué à créer par ses mauvaises blagues, sera notre guide mi narquois mi horrifié dans cet enfer plus que jamais pavé de bonnes intentions.

 

La société Immob, redécouverte par Martine, est ainsi passée au crible de son analyse, et tous ses aspects sont envisagés, des plus théoriques aux plus bassement (?) matériels. Pour le lecteur, c’est une expérience à la fois jubilatoire et terrifiante, et l’on rejoindra volontiers Gérard Klein comparant Limbo au grand film de Stanley Kubrick Docteur Folamour, un peu plus tardif. L’intelligence du propos est saisissante, et son humour terriblement efficace. Autant d’arguments qui font effectivement de Limbo un classique, à la lecture indispensable.

 

Certes, on peut bien pinailler sur quelques points (je pense notamment au traitement de la sexualité, étrangement daté et un brin pénible), ou s’interroger sur la dimension véritablement « romanesque » de ce quasi-essai philosophico-politique (avec quelques rebondissements plus ou moins bienvenus, mais participant de l’atmosphère générale d’absurdité).

Mais le fait demeure : Limbo est un grand livre, assez unique en son genre ; une superbe réflexion sur le masochisme et l’utopie, qui, dans l’ensemble, a conservé aujourd’hui la majeure part de sa salutaire impertinence. Un livre que devraient lire tous les militants de quelque cause que ce soit, ça leur ferait les pieds (aha)…

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"Axis", de Robert Charles Wilson

Publié le par Nébal

WILSON (Robert Charles), Axis, [Axis], traduit de l’anglais (Canada) par Gilles Goullet, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [2007] 2009, 388 p.

 

Voilà bien un roman que j’attendais comme le Messie. Normal : il s’agit de la « suite » (on y reviendra) de l’excellentissime Spin, à n’en pas douter un des meilleurs romans de SF de ces dernières années, dûment récompensé par le prix Hugo, et probablement la meilleure vente du genre en France depuis l’excellentissime également Hypérion de Dan Simmons (ce qui remonte un peu, tout de même…). Un succès mérité pour un roman foisonnant, bourré d’idées science-fictives géniales, mais qui ne négligeait pour autant ni le style ni l’humanité. Bref : un chef-d’œuvre, comme on aimerait en lire plus souvent. Axis part donc avec un sacré handicap, tant son prédécesseur avait mis la barre haute…

 

Mais revenons un peu en arrière. Spin débutait par une scène d’anthologie : la disparition des étoiles. Pour des raisons mystérieuses, la Terre s’y retrouvait enchâssée dans une étrange barrière qui la séparait du reste du système solaire. Mais cette séparation se voyait en outre doublée d’un étrange phénomène temporel : au-delà de la barrière, le temps s’écoulait à une vitesse folle, des millions d’années s’écoulant en l’espace de quelques minutes terriennes… Nous suivions trois personnages confrontés à ce phénomène pour le moins déstabilisant, et pouvant décider à terme de l’extinction de l’humanité.

 

J’éviterai d’en dire davantage, au cas où certains n’auraient encore pas lu ce roman. Restent pourtant deux points à préciser, fondamentaux pour Axis (attention les gens, donc). Tout d’abord, l’expérience martienne, qui eut entre autres pour conséquence la découverte d’une véritable pierre philosophale, un traitement de rajeunissement autorisant un « Quatrième Âge » pour l’humanité… vite devenu illégal. Enfin, une ultime intervention des Hypothétiques, les mystérieux créateurs de la barrière, qui ont placé dans l’océan Indien un portail vers un monde vierge, Equatoria, semble-t-il modelé spécifiquement à destination de l’humanité.

 

Axis se déroule sur Equatoria, une trentaine d’années après la fin de Spin, avec – principalement… – de nouveaux personnages (même si les renvois au premier tome en rendent la lecture indispensable ; et pourquoi se priver, de toute façon ?). Le Nouveau Monde a été largement colonisé. Parmi ces nouveaux pionniers, nous en suivons essentiellement deux : Lise Adams, fausse journaliste à la recherche de son scientifique de père, fasciné par le Quatrième Âge et les Hypothétiques, et mystérieusement disparu voilà quelques années, et son ancien amant Turk Findley, pilote de son état, aventurier et baroudeur qui plus est. Un 34 août (si, si), ils se retrouvent, de même que l’ensemble de la population d’Equatoria, confrontés à un étrange événement : une pluie de cendres mystérieuses, qui semblent formées de débris de machines – de débris des Hypothétiques ? –, suscitant parfois à l’arrivée de nouveaux phénomènes tout aussi incompréhensibles. Bien évidemment, on sent derrière cette curieuse pluie la main des Hypothétiques. Mais que signifie-t-elle et quelles seront ses conséquences à plus ou moins long terme ?

 

Le jeune Isaac aussi a été confronté à la pluie de cendres. Mais il se pourrait bien que cet enfant hors-normes, élevé à l’ouest de Port-Magellan, la capitale d’Equatoria, par une communauté hors-la-loi de Quatrièmes Âges, soit directement lié au phénomène. Son chemin croisera bientôt celui de Lise et de Turk : tout semble bel et bien lié…

 

Axis, à l’instar de son illustre prédécesseur, ne manque pas d’idées science-fictives géniales. Mais l’intrigue se situe à un tout autre niveau, plus microcosmique. Les personnages, très humains, sont à nouveau placés au centre du canevas et, plus que les phénomènes mystérieux – générateurs cela dit de très belles séquences –, ce sont les réactions de ces individus qui intéressent Robert Charles Wilson.

 

A priori, ce nouveau roman dispose donc des atouts qui avaient hissé Spin au rang de l’excellence. Pourtant, cette fois, la sauce prend moins bien… La faute, sans doute, à une intrigue construite à la manière d’un thriller, avec plus ou moins de réussite. Je plaide coupable : ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer en ces pages, les thrillers ne m’ont jamais botté ou presque. Hélas, Axis ne fait que confirmer cette règle : j’ai eu du mal à m’intéresser aux déboires de Lise et de Turk, d’autant que le rythme de l’histoire ne se montre guère haletant (l'atmosphère étant plutôt à la mélancolie). C’est d’autant plus regrettable que les bonnes idées ne manquent pas, que certaines scènes, teintées d’apocalypse, sont absolument superbes, et que la plume de l’auteur leur fait honneur. Axis est à l’évidence un bon roman, et regorge de pépites science-fictives (un peu en retrait, cela dit) et humaines. Mais le fait demeure : le thriller qui est censé lier la sauce se révèle, à mes yeux en tout cas, plus ennuyeux qu’autre chose, d’autant qu’il ne lésine pas sur les clichés. En outre, les personnages, s’ils restent très humains, m’ont semblé plus ternes et plus « téléphonés » que le beau trio au cœur de Spin

Dommage… mais, sous cet angle,
Axis ne soutient pas la comparaison, inévitable même si à plus ou moins bon droit, avec Spin. Un roman victime de la malédiction des suites, qui, sans être fondamentalement mauvais, ne se montre pas la hauteur de ce que l’on était en droit d’attendre… Un bon roman, sans doute, mais guère plus, et en tout cas pas un chef-d’œuvre, loin de là ; et il y a fort à parier que nombre des admirateurs de Spin seront déçus par cette séquelle un peu bancale. Rien de dramatique, mais c’est tout de même un peu triste…

Cela dit, cela ne m’empêchera bien évidemment pas de me jeter sur le troisième tome, Vortex, dès sa sortie française ; mais en espérant que Robert Charles Wilson saura relever le niveau, après ce tome intermédiaire – tome de transition dans l’œuvre de l’auteur ? – finalement guère satisfaisant.

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"La Cité nymphale", de Stéphane Beauverger

Publié le par Nébal

BEAUVERGER (Stéphane), La Cité nymphale, Paris, La Volte – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2006] 2009, 425 p.

 

Où l’on conclut une trilogie, après le très bon Chromozone et le moins bon mais tout à fait correct Les Noctivores. Retour donc dans le monde post-post-apocalyptique de Stéphane Beauverger (j’aime bien doubler les « post- », ça sonne plus funky… et ici, ça me semble approprié). La Cité nymphale, en bonne conclusion, rassemble les fils et personnages des deux volumes précédents pour un final qu’on imagine haut en couleur. Sauf que… mais on y reviendra.

 

C’est tout d’abord Cendre, le garçon génétiquement modifié, que nous retrouvons. Celui-ci a trouvé refuge dans la Parispapauté, alternative à la communauté synthétique des noctivores omniprésents. Là, il est devenu le Sauveur, celui qui conduit les anciens noctivores à la rédemption. Mais, en éliminant le virus Chromozone qui les infecte, il tue l’hôte par la même occasion… une solution pour le moins radicale.

 

Alors que la routine commence à s’installer dans la Parispapauté, celle-ci reçoit la visite d’un importun : le Roméo, traître jusqu’à la moelle, vient réclamer l’asile, et argue d’un danger menaçant la communauté parisienne. Le pape Michel charge alors Lucie, garde du corps et compagne de plus en plus réticente de Cendre, d’aller chercher de l’aide en Bretagne, auprès des farouches Keltiks.

 

Et pendant ce temps, un homme – vite identifié, mais bon, chut, chut, au cas où… – attend sur une plage… tandis qu’un mystérieux tueur accumule les sauts de conscience et déplacements en x, en y et en z vers sa cible.

 

On retrouve dans La Cité nymphale une bonne part de ce qui faisait la réussite des précédents volumes. Les personnages sont complexes et attachants, la trame bien ficelée, le style très fluide (plus que dans les tomes précédents, d’ailleurs) et en même temps assez savoureux… et pourtant, La Cité nymphale m’a un peu déçu. Bizarre, bizarre… Mais le problème vient peut-être de ce que l’élément de surprise et la singularité de Chromozone se sont épuisés en chemin. Les Noctivores ressemblait déjà davantage à un roman post-apocalyptique des plus classiques, malgré quelques bonnes idées ici ou là. Avec La Cité nymphale, ce constat se vérifie hélas une fois de plus…

 

Entendons-nous bien : La Cité nymphale n’est pas un mauvais roman. Il se lit très bien, et on ne saurait véritablement lister de fâcheux défauts. Tout au plus pourrait-on considérer certains rebondissements un peu gratuits et finalement médiocres, encore que la relative « banalité » de certains dénouements ne soit pas inintéressante en tant que telle ; on notera d’ailleurs qu’en fait de final « haut en couleur », on ne trouve pas forcément grand chose ici de pyrotechnique, mais plutôt, à mes yeux en tout cas, une certaine mélancolie généralisée lorgnant vers le dépit et l’à-quoi-bonisme, ce qui peut surprendre, mais est finalement plutôt bien vu. Ah si, on pourrait peut-être trouver qu’en certaines occasions, quelques coupes auraient pu être utiles… ou, à la limite, rechigner devant certaines expérimentations stylistiques – les brefs chapitres consacrés au tueur. Mais c’est à peu près tout, et il n’y a là rien de rédhibitoire.

 

Le seul véritable problème de La Cité nymphale, à mes yeux, c’est finalement son caractère anodin. En concluant la « trilogie Chromozone », il n’apporte pas grand chose aux deux volumes précédents, et, en voulant rassembler tous les fils du cycle, il se montre parfois un peu brouillon, voire légèrement agaçant, et en tout cas pas à la hauteur des attentes du lecteur.

 

Mais c’est sans doute que ces attentes sont élevées : la trilogie dans son ensemble reste une lecture tout à fait enthousiasmante, et, depuis, Stéphane Beauverger a confirmé tous les espoirs que l’on pouvait placer en lui avec le très bon Le Déchronologue. Assurément, la « trilogie Chromozone » faisait déjà de lui un auteur à suivre.

Mais La Cité nymphale tient un peu du « passage obligé », sympathique mais sans brio, honnête mais un peu terne – en dehors de deux, trois scènes assez brillantes, mais qui ne font que ressortir davantage ce manque d’éclat global. Pas mauvais, non ; mais pas génial non plus. Un roman un tantinet médiocre, en somme, au sens strict. Rien de honteux, et l’on en conseillera malgré tout la lecture à ceux qui ont lu et aimé les deux précédents volumes : il serait dommage de s’arrêter en chemin… Mais on reconnaîtra en même temps que l’auteur est capable de faire bien mieux. Ce qu’il a brillamment démontré depuis. Ouf.

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La Brigade Chimérique, t. 1, de Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess & Céline Bessonneau

Publié le par Nébal

LEHMAN (Serge), COLIN (Fabrice), GESS & BESSONNEAU (Céline), La Brigade Chimérique, t. 1, Nantes, L’Atalante, coll. Flambant neuf, 2009, 48 p.

Ma chronique se trouvait sur le défunt Cafard cosmique... La revoici.

 

 

 

On connaissait déjà Serge Lehman et Fabrice Colin scénaristes de bandes dessinées. Leur association nous vaut aujourd’hui une œuvre ambitieuse et un tantinet iconoclaste : La Brigade Chimérique se présente comme une tentative française (oui, oui) de comic super-héroïque. Un programme audacieux et pour le moins alléchant.

 

Très vite – dès le titre ? –, une référence vient immédiatement en tête : la fameuse Ligue des gentlemen extraordinaires d’Alan Moore et Kevin O’Neill. Serge Lehman et Fabrice Colin ont en effet trouvé leurs héros tout prêts dans la littérature et le cinéma de l’entre-deux-guerres (et sa réalité…). Pas nécessairement dans la seule culture populaire : de Zamiatine à Kafka en passant par Fritz Lang et Jacques Spitz, c’est tout un pan de la culture européenne (en science-fiction et en fantastique) qui sert ici de source d’inspiration.

Mais le ton se montre assurément plus grave (et moins ouvertement « fun ») que dans le comic de Moore : les auteurs nous décrivent rien de moins que « la fin des super-héros européens », dans une Europe en proie au totalitarisme (« Nous Autres » à Moscou, le Docteur Mabuse à Métropolis, Gog à Rome, la Phalange en Espagne), et à la veille de basculer dans une nouvelle guerre mondiale. Les autres pays sont également dominés par les super-héros « nés sur les champs de bataille de 14-18, dans le souffle des gaz et des armes à rayons X » ; mais ils ne sont pas forcément beaucoup plus fréquentables… Les alliances se dessinent déjà, définissant l’avenir de l’Europe… et de ses super-héros.

Ce premier tome (d’une série de six, à parution « accélérée » – les tomes 2 et 3 sortiront en septembre et octobre) comprend deux épisodes, dont un prologue (« Mécanoïde Curie », tout un programme, suivi de « La Dernière Mission du Passe-muraille »…). On ne cherchera pas à les résumer ici, tant le risque serait grand de déflorer excessivement l’histoire. En effet, après avoir dévoré ces deux aventures bien trop brèves (et relativement denses), on en veut encore… Les auteurs savent incontestablement nous accrocher, à la manière des meilleurs feuilletonistes, et concluent chaque épisode sur un cliffhanger de bon aloi. Un bon point pour eux. Mais on peut s’interroger sur la pertinence du format choisi, à mi-chemin entre comics (au fascicule, pas en TPB…) et BD franco-belge. Or, même s’il est triste d’en arriver à ces comptes d’apothicaire, 11 € pour 48 pages, certes passionnantes, c’est un peu cher, tout de même… Surtout si l’on reste, en définitive, un peu sur sa faim.

On fait cependant confiance aux auteurs pour nous régaler dans les épisodes suivants, tant ils ont placé la barre haute dès ce premier volume. L’histoire est belle et bien intrigante – pour ne pas dire encore un peu (trop ?) floue… –, et les personnages hauts en couleur, « surhumains » ou non. En outre, à l’instar de la fameuse bande dessinée d’Alan Moore précitée, le plaisir du lecteur se double d’un jeu de piste de références plus ou moins cryptiques, merveilleuse occasion de faire des découvertes enrichissantes. Sur le plan du scénario, rien à redire ou presque.

Pour ce qui est du graphisme, on se permettra de se montrer plus réservé. Le trait de Gess et son sens de la mise en page évoquent Mike Mignola avec beaucoup d’à propos. Cependant, on est loin de la maestria de l’auteur d’Hellboy, et ce dessin se révèle en définitive souvent un peu fade…

 

Le bilan reste néanmoins tout à fait satisfaisant, le seul véritable « défaut » (si c’en est un) étant la brièveté du volume. On attend la suite avec impatience. Preuve que cette tentative de comic super-héroïque à la française est une belle réussite.

 

EDIT : J'ai depuis chroniqué l'intégrale.

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Echos de Cimmérie, de Fabrice Tortey (dir.)

Publié le par Nébal

TORTEY (Fabrice) (dir.), Échos de Cimmérie. Hommage à Robert Ervin Howard. 1906-1936, Paris, L’Œil du sphinx, coll. La Bibliothèque d’Abdul Alhazred, 2009, 318 p.

Ma chronique était sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.

 

 

 

Plus de soixante-dix ans après la mort de l’auteur, l’actualité howardienne en France est pour le moins chargée : après les rééditions entreprises chez Bragelonne par l’excellent Patrice Louinet (les intégrales de Conan et de Solomon Kane, auxquelles il faut ajouter Le Seigneur de Samarcande), suivies du volume de la « Bibliothèque rouge » consacré à Conan sous la direction de Simon Sanahujas, voilà que les éditions de L’Œil du Sphinx nous proposent à leur tour une impressionnante somme sur Robert E. Howard, sous la direction de Fabrice Tortey.

 

L’ouvrage, inévitablement orné d’une couverture signée Frank Frazetta, s’ouvre comme il se doit sur des articles biographiques, à l’iconographie abondante. On en retiendra surtout le très long texte (environ 90 pages) de Fabrice Tortey, érudit et passionnant, qui fait enfin le point sur la vie et l’œuvre du barde de Cross Plains. Les autres communications biographiques sont plus anecdotiques : on ne s’arrêtera guère sur les deux brefs articles de Glenn Lord (ce qui n’enlève rien à la qualité exemplaire de ses travaux). Christopher Gruber évoque ensuite rapidement la pratique de la boxe par Howard, tandis que Rusty Burke livre un article, pointilleux à l’extrême, visant à établir les circonstances exactes du suicide de R.E.H., et surtout l’existence ou non d’une hypothétique « lettre de suicide ».

Suivent deux fragments narratifs et deux poèmes de Robert E. Howard, tous inédits, offerts — bonne idée — en version bilingue. Avouons-le, cependant : ils ne s’adressent qu’aux howardiens forcenés… On notera néanmoins, dans le premier de ces textes (« Sous l’éclat impitoyable du soleil… »), la passerelle établie entre les textes « lovecraftiens » de Howard (par le biais du fameux Unaussprechlichen Kulten) et l’Âge Hyborien (on aura l’occasion d’y revenir ultérieurement).

Après un portfolio en couleur reprenant des illustrations pleine page de Jean-Michel Nicollet et Philippe Druillet (initiative bienvenue, mais d’un d’intérêt variable, disons ; et reconnaissons que l’on aurait bien pris un peu de rab de Frazetta…), s’ouvre la partie consacrée aux études howardiennes. Après un bref article anecdotique de Don Herron, c’est tout d’abord le style de l’auteur qui est disséqué. Simon Sanahujas s’intéresse à la construction des récits howardiens et aux influences de l’auteur, dans un article passionné mais qu’on pourra trouver un tantinet bancal. On lui préférera probablement la communication d’Argentium Thri’ile consacrée essentiellement à l’art de la description chez Howard, tout à fait intéressante.

Si le bref article de Donald Sidney-Fryer sur la dimension « pionnière » de l’œuvre d’Howard ne retient guère l’attention, il n’en va pas de même du suivant, dû à la plume de Patrice Louinet, et qui s’intéresse au thème de la royauté dans l’œuvre howardienne, à travers les personnages de Kull, Bran Mak Morn et Conan. Pierre Favier s’interroge ensuite sur l’éventuelle dimension shakespearienne de la nouvelle « Kings of the Night », tandis que Rodolphe Massé tente, avec plus ou moins de réussite, une lecture « spirituelle » de l’œuvre howardienne, en s’appuyant notamment sur la première nouvelle consacrée à Conan, « Le Phénix sur l’épée ».

Suivent deux textes consacrés à la figure de Solomon Kane. Le premier, signé Patrice Allart, ne convainc guère, tant il adopte des allures de paraphrase des textes howardiens. De manière paradoxale, il ne suscite véritablement l’intérêt du lecteur qu’en évoquant les réécritures et continuations par d’autres auteurs qu’Howard… Après quoi, sa liste de « plagiats » et sa « filmographie rêvée » sont trop subjectives pour emporter l’adhésion. On y préférera l’article (un peu trop court, peut-être ?) d’Olivier Legrand sur le racisme dans Solomon Kane, honnête et salutaire mise au point.

Le thème du racisme reste très présent dans les deux passionnants textes qui suivent, et qui confrontent Howard à son éminent confrère et correspondant H.P. Lovecraft. Dans un premier temps, Michel Meurger nous régale, à son habitude, avec un article au titre alléchant (« Des rites impies de sadisme et de sang. Le réveil de l’archaïque chez Howard, Lovecraft et Vere Shortt »), même s’il frôle allègrement le hors-sujet (dans la mesure où l’on retient surtout l’évocation de « l’inconnu » Vere Shortt, dont l’œuvre antérieure à « L’Appel de Cthulhu » de Lovecraft et au « Monolithe noir » d’Howard présente de saisissantes ressemblances avec ces deux fameux textes)… Dans un second temps, Patrice Allart se rattrape de sa précédente communication en s’attardant heureusement sur le « club des aventuriers » d’Howard, petit cycle plus ou moins volontaire de nouvelles au parfum lovecraftien.

Avant de se conclure comme il se doit sur d’imposantes bibliographies, Échos de Cimmérie comprend deux autres textes qui s’intéressent davantage à la réception de l’œuvre howardienne en France. Joseph Altairac se penche ainsi sur le rôle de Jacques Bergier dans la découverte de l’auteur de par chez nous (un article assez amusant, notamment du fait des nombreuses approximations dont Bergier était semble-t-il coutumier…), tandis que Quélou Parente et Fabrice Tortey interrogent brièvement François Truchaud, le traducteur historique d’Howard.

 

Le bilan, malgré quelques baisses de régime ici ou là, est très largement positif. Échos de Cimmérie est un très bel ouvrage et une somme passionnante et érudite, qui ravira à l’évidence tous les amateurs d’Howard. Un ouvrage tout à fait remarquable et du plus grand intérêt, sur un auteur de légende que l’on n’a pas fini de redécouvrir…

 

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"Tancrède", d'Ugo Bellagamba

Publié le par Nébal

BELLAGAMBA (Ugo), Tancrède. Une uchronie, Lyon, Les Moutons électriques, coll. La Bibliothèque voltaïque, 2009, 255 p.

 

Cela faisait un petit moment déjà que je voulais lire quelque chose (une fiction, s’entend ; côté essais, ça va, notamment l’excellent Solutions non satisfaisantes co-écrit avec Eric Picholle) d’Ugo Bellagamba. Pensez donc : un historien du droit qui écrit de la science-fiction ! Aussi La Cité du soleil et Le Double Corps du roi (co-écrit avec Thomas Day) avaient-ils intégré depuis quelque temps déjà mon étagère de chevet. Las, l’actualité prenant les devants, je n’ai toujours pas eu l’occasion de lire ces deux ouvrages… Je devais donc me contenter de deux nouvelles, une lue dans Bifrost et qui ne m’avait pas parlé plus que ça, et la belle allégorie d’Appel d’air. C’est mince, et ça ne permet pas vraiment de juger du travail de l’auteur. Heureusement, il y a peu, Ugo Bellagamba a fait l’actualité avec ce Tancrède. Cette fois je n’avais aucune excuse… Alors hop, et plus vite que ça !

 

Tancrède, donc. Une uchronie, nous précise le sous-titre. Et un court roman qui prend l’apparence de mémoires du chevalier normand Tancrède de Hauteville, mémoires débutant avec la première Croisade. Tancrède accompagne son oncle Bohémond de Tarente, et répond avec lui à l’appel lancé par Urbain II au concile de Clermont. Le jeune chevalier prend la route de Jérusalem, avec en tête bon nombre de préjugés sur les « Grecs » perfides et efféminés, et les Infidèles nécessairement barbares… Mais les premières batailles ont tôt fait de le faire changer d’avis sur bien des points, et Tancrède, de valeureux Croisé qu’il s’imaginait, de devenir bientôt apostat… et de se battre contre ses coreligionnaires pour instaurer un Orient uni dans la foi et la justice.

 

Une uchronie, effectivement. Tancrède, ici, et sans trop en dire, n’est pas exactement le modèle de chevalier que l’on suppose habituellement. Et l’uchronie repose bien essentiellement sur sa destinée singulière, qui est le point focal de la divergence. Ce qui ne manque pas de rappeler un article d’Ugo Bellagamba, intitulé « L’Acteur historique dans les récits de science-fiction », auquel il faut probablement ajouter « L’Instrumentalisation de l’histoire dans la pensée politique de Charles Renouvier ». En témoignent ces quelques mots de la postface (pp. 237-238 ; c’est l’auteur qui souligne)

 

« [Tancrède] incarne une science-fiction qui place au cœur de son propos non pas la physique, par exemple, mais l’histoire elle-même, entendue comme science. Il explore des hypothèses dont la vraisemblance n’est pas le critère premier de formulation. La question pertinente n’est donc pas de savoir si les faits décrits dans mon récit auraient pu effectivement avoir lieu. Ni si le prince Normand nommé Tancrède de Hauteville aurait pu effectivement jouer le rôle historique que je lui attribue. Chaque lecteur raisonnablement cultivé sait que ce n’est pas le cas. La vraie question est de savoir comment ce long et complexe passé, commun à l’Orient et à l’Occident, comment tout ce matériau culturel, cultuel, géopolitique et sociétal, accumulé par les chercheurs et distillé par les enseignants sur les causes, le déroulement et la portée des Croisades, et tout particulièrement de la première, comment cette histoire donc, peut nous fournir, par le détour de l’imaginaire, une grille de lecture idoine pour appréhender notre présent dans sa complexité. Pour le vivre pleinement, en refusant la bipolarisation simpliste que l’on nous propose dans ces remparts de papier et dans ces discours contingents qui ne protègent que la bêtise et n’alimentent que la peur du changement. La toile de fond historique de Tancrède, au maillage serré, n’est que le support d’une aventure humaine récurrente : celle de la prise de position, d’abord psychologique, puis en actes, de l’individu par rapport à un contexte de crise donné. »

 

Certes, certes, et, à adopter cette « grille de lecture idoine », Tancrède est sans doute une réussite. Du moins voit-on aisément ce que l’auteur entend nous dire au travers de son histoire, et peut-on abonder dans son sens. Mais, au risque de me montrer « impertinent », puisque, à en croire l’auteur, là n’est pas la question, j’avoue avoir été rebuté par les éléments décrits dans la première partie du paragraphe… Effectivement, et il n’y a aucune incertitude à cet égard, le « lecteur raisonnablement cultivé » a du mal (le mot est faible) à croire au rôle historique de Tancrède tel qu’il est décrit ici. On sait même que ce rôle est plus qu’improbable, impossible. Et, n’en déplaise à l’auteur, cela vient poser un grave problème tenant à la suspension de l’incrédulité : en lisant ce roman, je n’arrivais pas à croire en ce personnage de Tancrède, pour le coup « trop imaginaire », « trop construit », et encore moins au rôle qu’il était amené à jouer. Et, du coup, ça coinçait un peu… justement parce qu’il s’agit d’une uchronie, et donc d’une science-fiction prenant l’histoire pour fondement. Alexandre Dumas, si je ne me trompe, disait qu’on pouvait « violer l’histoire pourvu qu’on lui fasse de beaux enfants ». Certes, certes, et le romancier, à bon droit, ne s’était pas gêné pour cela ; ses successeurs, quels qu'ils soient, auraient tort de s'en priver... Pourtant, il me semble que l’exercice uchronique, peut-être justement en raison de son point de départ, ne se montre véritablement convaincant que s’il s’appuie sur un minimum de plausibilité, qui, ici, fait défaut… Et cela me semble vrai de la science-fiction en général, qui est souvent d’autant plus intéressante qu’elle se montre plausible, malgré son postulat d’imagination « pure ». Un genre littéraire dans lequel, au moins autant que dans les autres, mais peut-être plus encore, la vraisemblance est bien, sinon le, du moins un des critères premiers de formulation… Certes, il est bien des exceptions, a fortiori, et c'est logique, dans la littérature utopique... à laquelle Tancrède se rattache en définitive. Je le concède volontiers ; mais voilà, dans ce cas précis, la sauce n'a pas pris en ce qui me concerne, cette ambiguïté sous-jacente m'a paru difficilement surmontable...

 

Aussi avouerais-je avoir été quelque peu déçu par ce Tancrède, mais peut-être « abusivement », dans le sens où ce n’était pas le roman que j’attendais : il témoigne d’une conception de l’histoire qui n’est sans doute pas la mienne, et procède d’une volonté d’instrumentalisation que j’avoue avoir trouvée un peu lourde.

 

Ce n’est certes pas un mauvais roman pour autant : malgré ce souci qui ne sera de toute façon pas rédhibitoire pour tous les lecteurs, il reste un moment de lecture assez bref et plutôt plaisant, et qui a même tendance à se bonifier au fil des pages (justement alors que l’histoire devient de plus en plus improbable et utopique, sans doute, ce qui vient renforcer la position de l’auteur… mais sans pour autant gommer, à mes yeux, la gêne suscitée par l’invraisemblance du postulat).

 

Mais il est hélas d’autres soucis qui viennent parasiter le plaisir de lecture : le style, ainsi, connaît à l’occasion quelques ratés (anachronismes, tournures un peu lourdes, répétitions), et la « posture » adoptée par l’auteur ne convainc guère, dans le sens où l’on n’a pas l’impression de lire des mémoires datant des XIe et XIIe siècles, même « modernisées ».

Tancrède
, et ce malgré le long travail de l’auteur et la longue maturation de ce texte, flagrants, m’a donc un peu déçu. Ce n’est pas un mauvais roman, je ne regrette pas de l’avoir lu, mais l’impression demeure. Cela ne m’empêchera certainement pas de lire à nouveau des œuvres d’Ugo Bellagamba, bien au contraire même. Mais ce n’est certes pas la brillante uchronie que j’attendais ; un roman pas désagréable, mais aussi un tantinet déconcertant, et en définitive (et paradoxalement ?) un peu anodin, à mes yeux tout du moins. Dommage…

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Trop tard...

Publié le par Nébal

Il s’est passé bien trop de temps depuis ma lecture de ces quatre bouquins pour que je sois encore en mesure d’en faire des comptes rendus corrects. Adonc, une fois n’est pas coutume, je vais me contenter de notules lapidaires. Désolé…


 

SILLIG (Olivier), Bzjeurd, Paris, L’Atalante – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1995] 2000, 191 p.

Un monde autre, peut-être de fantasy, peut-être post-apocalyptique (il y a quelques indices en ce sens), peut-être les deux. Bzjeurd rentre chez lui à travers les limbes, pour découvrir son village anéanti et toute sa population massacrée. Il devient alors un cavalier du deuil, et entame sa quête de vengeance en se rendant dans la mystérieuse forteresse de Kazerm. Commence alors pour lui un long périple qui l’amènera à devenir son ennemi…

Eh bien heureusement qu’on ne doit pas juger les livres à leurs couvertures, fouyayaye ! Parce que là, en l’occurrence, on passerait à côté de quelque chose de vraiment très bon. Un roman très fort, qui séduit par son épure et son extraordinaire économie de moyens. Le style est d’une sobriété et d’une élégance rares, et ce court roman passablement allégorique se dévore. Merci aux cafards et au libraire qui ont fait de la propagande pour ce petit bouquin, car il le vaut bien.

 


 

 

DISCH (Thomas), Sur les ailes du chant, [On Wings of Song], traduit de l’américain par Jean Bonnefoy, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, [1978-1979] 1980, 380 p.

 

Un futur proche. Une Amérique ultra-conservatrice (et visionnaire…). Dans ce monde-là, chanter est mal vu ; car chanter, c’est avoir peut-être l’occasion de voler, et ainsi de s’évader… Daniel Weinreb veut voler. Ce livre est en quelque sorte sa biographie…

 

Un chef-d’œuvre, tout simplement. Un livre bourré d’idées, mais où les éléments relevant proprement de l’imaginaire sont comme en retrait. Une transfiction, diraient certains… Une petite merveille en tout cas, séduisante de par sa justesse et son inventivité. Mille mercis au citoyen Tétard pour ce très beau cadeau.



 

 

 

DENIS (Sylvie), Pèlerinage, Ris Orangis, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, [1991, 1998, 1999, 2004] 2009, 149 p.

 

On m’a régulièrement vanté les qualités de nouvelliste de Sylvie Denis, et je croyais me souvenir de deux ou trois lectures allant dans ce sens. Je me suis donc jeté sur ce petit volume des éditions ActuSF. Las, ce fut une bien triste déconvenue : sur ces cinq nouvelles, seule une (« Le Zombie du frère » ; mais rien à voir avec les sympathiques bestioles romériennes) m’a paru présenter le moindre intérêt. Le reste ne brille ni par le style, ni par les idées. Un recueil médiocre, et une déception à la hauteur des espoirs que j’avais placés dans ce petit volume…

 


 

 

VONNEGUT Jr (Kurt), Le Breakfast du champion, ou Adieu lundi bleu !, [Breakfast of Champions], illustré par l’auteur, traduit de l’américain par Guy Durand, [1974] 1976, 344 p.

 

L’histoire d’une rencontre déterminante, celle de l’écrivain de science-fiction raté/génial Kilgore Trout (Dieu que j’aime ce personnage…), et du vendeur de voitures (entre autres) à moitié fou Dwayne Hoover. Et une magnifique virée à travers l’Amérique.

Celui-là, ça faisait un moment que je courais après… Et me voilà réconcilié (sans surprise…) avec Kurt Vonnegut après la déception causée par Un Homme sans patrie. Le Breakfast du champion est un sale petit chef-d’œuvre, qui se rapproche du niveau d’excellence d’Abattoir 5. Un vrai régal de la première à la dernière page que ce roman au ton délicieusement naïf (et émaillé d’illustrations à l’avenant) et littéralement bourré d’idées toutes plus géniales les unes que les autres. Et, pour le coup, un vrai pamphlet sur l’Amérique, mille fois plus intéressant et pertinent que les radotages d’Un Homme sans patrie. Une merveille, à lire à tout prix.

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"Orbitor", de Mircea Cartarescu

Publié le par Nébal


CĂRTĂRESCU (Mircea), Orbitor
, [Orbitor (Aripa Stîngà)], traduit du roumain par Alain Paruit, Paris, Denoël – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1996, 1999] 2002, 428 p.

De temps en temps, j'aime bien me laisser guider dans mes choix de lecture. Ainsi, l'autre jour, alors que je me trouvais dans une infââââââme librairie parisienne, je me suis tourné vers le jeune N..., et lui ai demandé de faire le vendeur, de me conseiller un livre vers lequel je ne me serais probablement pas tourné de moi-même. Le jeune homme s'empara prestement et avec la souplesse d'un PETIT CHAT d'
Orbitor de Mircea Cărtărescu, ouvrage qu'il me présenta ainsi (sans même me traiter de PUTE) : « C'est bien, y'a pas d'histoire, c'est bien. » Après avoir tourné un regard nauséeux et perplexe en direction de la couverture plutôt, euh, voilà, oui, je me mis à lire le résumé. Le jeune N... m'interrompit bien rapidement, et à très juste titre : « Ça dit que d'la merde ! » Et il me sélectionna un passage, excellent certes, et qui acheva de me convaincre, mais que je peux bien désigner aujourd'hui comme pas représentatif du tout du contenu global du bouquin (le fourbe).

 

Faut dire, et c'est à la décharge de l'invraisemblable quatrième de couv', cet Orbitor n'est pas évident à résumer. En fait, il est même irrésumable. S'agit-il d'ailleurs vraiment d'un roman ? On est en droit d'en douter. Et, en tout cas, et ce en dépit de la collection, ce n'est pas de la essèfeuh (scandale !), mais bien plutôt le genre de bouquin fou et inclassable que l'on qualifiera à la suite de Francis Berthelot de « transfiction » (je croyais d'ailleurs me souvenir, sans certitude aucune, qu'Orbitor figurait dans les suggestions de lecture de la Bibliothèque de l'Entre-Mondes ; j'ai eu l'occasion de le vérifier depuis).

 

Mais alors qu'est-ce donc que cet Orbitor ? Difficile à dire. Mélange étrange d'autobiographie onirique, de saga familiale fantasmée (tournant essentiellement autour de la mère de l'auteur, comme de juste), de poème théologico-philosophique (ça, c'est pour les quelques passages chiants), d'ode sinistre à Bucarest (quand on ne s'égare pas à la Nouvelle-Orléans...), et d'hallucination généralisée, portée sur le chromatisme, et notamment les teintes jaunâtres...

 

Le jeune Mircea nous entretient ainsi de bien des choses au long de son « roman » d'auto-analyse, et, succombant à la logique des rêves, il passe sans vergogne du coq à l'âne, multipliant les récits enchevêtrés et interrompus, s'imbriquant les uns dans les autres, pour constituer une somme aussi aride que fascinante, a fortiori quand l'auteur se dégage du réel pour nous égarer dans un monde imaginaire riche en merveilles et cauchemars, infesté de fantasmes féminins et de papillons fabuleux.

 

Le style de l'auteur est à l'avenant. Chatoyant, subtil, adepte du mot rare et du chromatisme diffus, il est d'une beauté incontestable, mais qui a à l'occasion de quoi faire peur, tant l'auteur aime à se perdre (et à perdre son lecteur) dans les phrases et les paragraphes interminables, accumulant les propositions dans un délire verbal à deux doigts de la logorrhée.

 

Autant dire qu'Orbitor est beau. Mais lourd. Mais beau. Mais lourd. Mais beau. Ad lib., ou ad nauseam. Un « roman » particulièrement exigeant, en somme, d'un hermétisme parfois terrifiant, mais pourtant fascinant de long en large. Tout sauf une lecture de plage, quoi. Un livre qui se mérite, mais le jeu en vaut amplement la chandelle, tant, sous le vernis rebutant, se dissimule un vrai beau morceau de littérature contemporaine, fantasque et d'une originalité indéniable, à vrai dire totalement unique en son genre.

 

Un livre « fou », ainsi que l'auteur lui-même aime bien le désigner, quand il se met en scène en train de l'écrire ; un livre presque illisible, nous dit-il aussi. Certes, certes. Mais avant tout un très beau livre, et c'est bien là tout ce qui importe.

 

Alors merci, jeune N..., pour cette excellente suggestion. Orbitor est typiquement le genre de livre à côté duquel je serais passé en temps normal. Il valait pourtant assurément le détour. Effectivement, « c'est bien, y'a pas d'histoire, c'est bien ». Mais peut-être n'ai je dit moi aussi, à mon tour « que d'la merde »...

 

Quoi qu'il en soit, j'avoue que je me ferais bien quelque chose d'un peu plus léger, maintenant, cela dit, parce que bon, hein, oh...

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"Le Vent de nulle part", de J.G. Ballard

Publié le par Nébal

BALLARD (J.G.), Le Vent de nulle part, [The Wind from Nowhere], traduit de l'anglais par René Lathière, Tournai, Casterman, coll. Autres temps, autres mondes, [1962] 1977, 214 p.

 

Le Vent de nulle part est, si je ne m'abuse, le premier roman de l'immense et récemment disparu J.G. Ballard, et par la même occasion la première de ses quatre apocalypses. Toutefois, si Le Monde englouti, Sécheresse et La Forêt de cristal ont été il y a peu réédités chez Denoël dans la collection Lunes d'encre, ce n'est pas le cas de ce volume-ci, du fait même de la volonté de l'auteur, qui l'a semble-t-il plus ou moins renié. La légende, il est vrai, veut que ce roman ait été écrit très vite, et ne soit pas à la hauteur des suivants... Cela dit, ce n'était pas suffisant pour me dissuader de le lire. Dégotant le roman plus ou moins par hasard dans une excellente librairie parisienne, j'ai – sans surprise – vite craqué, acheté et lu la chose.

 

Adonc. Cette fois, c'est le vent qui conduit l'humanité à sa perte. Un vent terrible, qui ne cesse de souffler, et de gagner en vitesse. Bientôt, la Terre se retrouve en proie à un prodigieux ouragan permanent, toujours plus dévastateur. Le vent impitoyable lacère les immeubles, anéantit les villes et emporte et déchire les humains désespérés qui se risquent à l'extérieur.

 

L'humanité trouve alors refuge dans les sous-sols... pour un temps. Mais elle doit alors faire face à la famine et à la maladie... Et il y a pire : dans ce monde en fin de droits, le plus impitoyable ennemi de l'homme reste peut-être l'homme lui-même...

 

L'histoire du Vent de nulle part, un brin décousue, nous est rapportée par une poignée de ces réfugiés, parmi lesquels on retiendra notamment le docteur Donald Maitland et le commandant de submersible Lanyon. Ce seront nos guides – comme toujours assez passifs, mais peut-être un peu moins que d'habitude... – au sein de cette terrible apocalypse, et c'est à travers leurs yeux que l'action se dessinera, faite de cauchemars sans nom, de l'improbable espoir d'une chute du vent, et du mystère représenté par la tour Hardoon.

 

Eh bien autant le dire de suite : si Le Vent de nulle part est un roman parfois un peu bancal dans sa construction et si sa fin, abrupte, peut laisser un peu sceptique, ce n'en est pas moins une lecture tout ce qu'il y a de recommandable. Certes, on n'atteint jamais ici la puissance, la richesse et le profondeur du Monde englouti ou de La Forêt de cristal, mais il n'en reste pas moins que Le Vent de nulle part vaut à mon sens bien Sécheresse.

 

L'air de rien, J.G. Ballard nous a concocté avec ce roman qu'il aurait semble-t-il souhaité voir oublier un cauchemar saisissant, très visuel, évoquant le meilleur du cinéma-catastrophe. Si l'action se montre à l'occasion un brin répétitive, et si le style se montre encore un peu terne, on se laisse dans l'ensemble prendre par le récit de l'auteur, qui sait régulièrement nous concocter quelques très belles scènes cataclysmiques, qui marquent durablement. Et c'est d'ailleurs peut-être, des quatre apocalypses, le roman où Ballard a su le mieux nous dépeindre une humanité aux abois, sombrant progressivement dans le désespoir le plus total.

 

Rien d'exceptionnel, peut-être (encore que...), mais assurément rien de honteux. N'en déplaise au principal intéressé (qui est mort, hein, alors, bon), Le Vent de nulle part vaut toujours aujourd'hui d'être lu, et ne nuit en rien à la qualité globale de l'œuvre de celui qui fut à n'en pas douter un des plus grands écrivains du XXe siècle.

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"Zoé", de John Scalzi

Publié le par Nébal


SCALZI (John), Zoé
, [Zoe's Tale], traduit de l'anglais [américain] par Mikael Cabon, Nantes, L'Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2008] 2009, 378 p.

 

Si l'on en croit sa couverture, Zoé serait donc le « quatrième roman du Vieil Homme et la guerre ». Mais faut le dire vite ; on pourrait tout aussi bien dire « troisième et demi ». En effet, l'histoire de Zoé, les amateurs de John Scalzi la connaissent déjà, dans la mesure où il s'agit de celle de La Dernière Colonie, le troisième roman du cycle. Seul change véritablement le point de vue : au lieu de John Perry, c'est cette fois sa fille adoptive Zoé qui nous raconte sa version des événements.

 

Rappelons-en brièvement l'histoire : le commandant Perry et sa femme le lieutenant Sagan sont contactés par l'Union Coloniale pour prendre la tête d'une nouvelle colonie pendant les fatidiques premières années de son existence. Mais cette colonie, déjà, est d'un genre particulier : il s'agit en effet de la première colonie « de seconde génération », puisque les colons ne proviennent pas de la Terre, mais de planètes déjà colonisées par celle-ci. Enfin, cette colonie de Roanoke va très vite se retrouver au cœur d'un complexe imbroglio politique opposant l'UC au Conclave, une vaste alliance extraterrestre ; et les colons de Roanoke, dans cette affaire, ne sont bien que des pions, éminemment sacrifiables...

 

L'histoire nous est donc contée cette fois du point de vue de Zoé. Par voie de conséquence, les personnages principaux changent : outre la narratrice adolescente, nous suivrons ainsi essentiellement ses « gardes du corps » obins Pirouette et Cacahuète (les liens entre Zoé et les Obins sont au cœur du roman, et constituent sans aucun doute ses meilleurs moments), et ses jeunes camarades Gretchen, Enzo et Magdy.

 

Le changement de point de vue destine probablement Zoé plutôt à la jeunesse. Mais on y retrouve bien ce qui caractérisait les précédents romans de John Scalzi : ça se lit tout seul, c'est très fluide, ça ne manque ni d'humour ni d'idées. C'est à nouveau un bon divertissement... mais un peu frustrant : je continue de penser que John Scalzi pourrait aisément passer du stade du « sympathique » au « passionnant ». Mais ce n'est pas encore le cas ici.

 

Pris indépendamment, Zoé est donc sans conteste un bon roman de divertissement, peut-être un cran inférieur à La Dernière Colonie, cela dit. Mais vaut-il vraiment le détour pour autant ? Ici, hélas, j'aurais tendance à répondre par la négative : nous avons bien déjà lu tout cela, et le changement de point de vue, si l'on excepte les derniers chapitres, n'apporte pas grand chose de neuf... On peut donc franchement s'interroger sur l'intérêt de ce quatrième opus. Et, si je n'en regrette pas la lecture, je ne saurais pour autant la recommander véritablement aux amateurs des trois précédents volumes.

 

Constitue-t-il alors une bonne porte d'entrée pour découvrir le cycle, a fortiori pour un jeune lecteur ? J'en doute : la lecture des trois premiers volumes (disons des deux premiers...) me paraît tout de même fortement recommandée... Sous cet angle à nouveau, l'intérêt de ce Zoé me laisse donc assez perplexe encore une fois.

 

Non, finalement, même si j'en ai apprécié la lecture, je ne peux pas recommander ce Zoé, « quatrième » roman bâtard, qui n'apporte rien ou presque. Un chroniqueur plus méchant dirait même qu'on frôle l'escroquerie...

 

Maintenant, j'aimerais bien voir John Scalzi s'attaquer à quelque chose d'un peu plus costaud...

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