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"Les Langages de Pao", de Jack Vance

Publié le par Nébal

 

VANCE (Jack), Les Langages de Pao, [The Languages of Pao], traduit de l’américain par Brigitte Mariot, [Paris], Denoël – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1958, 2002, 2004] 2008, 261 p.

 

Un petit Jack Vance de temps en temps, ça ne se refuse pas (ou alors il faut y mettre les formes). Ayant entendu dire beaucoup de bien de ces Langages de Pao, je ne pouvais pas les laisser traîner indéfiniment dans mon étagère de chevet…

 

Mais attention : Vance « atypique », on l’a souvent dit, et c’est vrai. On ne retrouvera en effet qu'assez peu, dans ce roman ancien, l’exotisme et la précision ethnologique du Cycle de Tschaï ou des Chroniques de Durdane, par exemple (sous cet angle, Les Langages de Pao se rapproche probablement davantage des « Alastor », notamment). Alors, du Vance sans ce qui fait l’intérêt de Vance ? Pas sans ce qui fait ses défauts, hélas : pour faire vite, l’intrigue est passablement inepte, le héros creux quand il n’est pas agaçant, l’écriture purement fonctionnelle, médiocre moins. Aïe.

 

Et pourtant, Les Langages de Pao est un roman fort sympathique, qui, s’il n’est pas un chef-d’œuvre et s’il est même bourré de défauts, vaut plutôt le détour. Tout simplement (?) parce que ce space opera repose sur une idée géniale, qui soulève des questionnements bien plus profonds qu’il n’est d’usage chez Vance.

 

Posons le cadre. La planète Pao est habitée par une société inconcevablement unie, mais aussi extrêmement conservatrice, ce qui la rend peu propice à l’innovation comme à l’initiative. Le seul homme à avoir une véritable individualité sur cette planète est son dirigeant, le panarque ; les autres se contentent d’obéir aux ordres et aux traditions millénaires. Mais quand le panarque est assassiné au cours d’une intrigue de palais, qui voit le seigneur Bustamonte évincer l’héritier légitime Béran Panasper, alors âgé de neuf ans, Pao sombre progressivement dans une terrible crise. En effet, son mode de pensée en fait une victime toute désignée des Brumbos, un peuple belliciste qui lui extorque tribut sur tribut : Pao ne peut tout simplement pas faire la guerre.

 

Aussi Bustamonte contacte-t-il les hyper-individualistes et savants « sorciers » de la planète Frakha pour trouver une solution à la crise. Sur les conseils du trouble seigneur Palafox, un vaste projet d’ingénierie sociale est engagé : il s’agit, sur une vingtaine d’années, de modifier l’état d’esprit des Paonais pour les rendre aptes à la guerre, mais aussi au commerce, à l’industrie, etc. Pour ce faire, on usera de la linguistique, en créant de nouveaux langages de toute pièce. En effet (p. 135) :

 

« Le langage sous-tend le schéma de la pensée, l’enchaînement des différents types de réactions qui suivent les actes.

 

« Aucune langue n’est neutre. Toutes contribuent à donner une impulsion à l’esprit des masses, certaines avec plus de vigueur que d’autres. Je vous le répète, nous ne connaissons pas de langue « neutre » ; aucune n’est supérieure à une autre, même s’il arrive qu’un langage X soit mieux adapté à un contexte qu’un langage Y. Si nous allons plus loin, nous remarquons que tout idiome induit dans l’esprit des masses un certain point de vue sur le monde. Quelle est la véritable image du monde ? Existe-t-il un langage qui l’exprime ? Premièrement, nous n’avons aucune raison de croire que la véritable image du monde, si tant est qu’elle existe, puisse être un outil très utile ou efficace. Deuxièmement, aucun standard ne nous permet de la définir. La Vérité est contenue dans l’opinion préconçue de celui qui cherche à la définir. Toute organisation d’idées, quelle qu’elle soit, présuppose un jugement sur le monde. »

 

Or ce jugement peut être biaisé par la langue, celle-ci définissant pour une bonne part les comportements. Le projet proprement révolutionnaire de Palafox, en l’espace d’une génération, va totalement chambouler les us et coutumes de Pao : en modifiant la langue, en passant de la langue unique des Paonais aux langages spécialisés, on leur permettra ainsi de résister aux Brumbos et à tous ceux qui pourraient lui nuire. Mais il va de soi, Pao étant ce qu’elle est, que ce projet ne sera pas sans susciter une franche hostilité : les habitants, farouchement conservateurs, risquent de résister à cette forme d’aliénation, ou plus exactement d’instrumentalisation, venant mettre à mal toutes les traditions…

 

Mais Palafox a un autre atout dans son jeu : il a sauvé la vie de Béran Panasper et l’a emmené avec lui sur Frakha. Le panarque légitime grandit ainsi dans un monde aux antipodes du sien, tiraillé entre raison et tradition, individualisme et communautarisme, liberté et nécessité…

 

On le voit, Les Langages de Pao soulève des questions d’une richesse et d’une profondeur rares chez Jack Vance (et ce quand bien même la forme se montre assez peu habile). Le projet d’ingénierie sociale des langues de Pao est un bel exemple de ces idées folles qui génèrent le sense of wonder, mais pour une fois sur une base de sciences sociales. Le questionnement linguistique, finalement, n’est guère qu’esquissé, hélas, et de manière très théorique (dommage, d’ailleurs : dans les rares passages – notes de bas de page, etc. – où Vance se penche sur des aspects pratiques, c’est particulièrement passionnant), mais il autorise une ample réflexion de nature à la fois politique et philosophique tout à fait enrichissante.

 

Ce qui n’empêche par ailleurs pas Les Langages de Pao d’être en même temps un divertissement très correct, et certainement pas un pénible quasi-essai. Le roman, bref et rythmé, très coloré (voire kitsch…), se dévore en quelques heures, avec un plaisir constant (sauf peut-être vers la fin, par ailleurs un tantinet nauséabonde, et vraiment trop peu crédible…).

Un roman bancal, donc, et parfois un brin décevant, mais en même temps d’une originalité et d’une richesse qui en justifient amplement la lecture. Et un bon Vance. « Atypique », oui, mais qui vaut le détour.

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"Les Sophistes", de Theodor Gomperz

Publié le par Nébal

 

GOMPERZ (Theodor), Les Sophistes, Les Penseurs de la Grèce. Histoire de la philosophie antique, tome I, livre III, chap. V, VI, VII, traduction [de l’allemand] d’Auguste Raymond, introduction d’Olivier D’Jeranian, Houilles, Manucius, coll. Le Philosophe, [1893-1902, 1908] 2008, 148 p.

 

Aaaaaaaah, les sophistes ! Ces mal-aimés figurent décidément parmi mes penseurs fétiches, ce qui ressortait déjà assez, j’imagine, de l’abominablement scolaire (et parfois terriblement maladroit…) mémoire que je leur avais consacrés en Master 1 Science politique. Du coup, de temps à autre, j’aime bien y revenir, et la publication de ce petit ouvrage aux éditions Manucius ne pouvait donc me laisser indifférent.

 

Les Sophistes ne constitue pas une étude à part entière. Sous ce titre, ce bref volume contient en fait la réédition (après un siècle !) de trois chapitres de l’œuvre essentielle de Theodor Gomperz, Les Penseurs de la Grèce. Histoire de la philosophie antique. Autant dire que nous ne sommes pas exactement à la pointe de la recherche en la matière. Cela dit, cet opuscule n’en a pas moins un intérêt « documentaire » certain, en ce qu’il s’agit probablement d’une des premières et des plus lucides tentatives de réhabilitation (intellectuelle, oui, mais pas que) de Protagoras et de ses collègues, après deux millénaires de calomnies et d’idées reçues, dont le grand responsable est à n’en pas douter Platon.

 

Gomperz, ici, s’il retient sans doute les leçons de Hegel (sa manière d’envisager Socrate et les socratiques, parallèlement aux sophistes, me semble en témoigner), se place avant tout dans la lignée positiviste dont Grote est le plus éminent représentant. Il ne croit donc pas véritablement à l’existence d’un « mouvement sophistique », d’un corps de doctrine partagé par les penseurs auxquels on a donné ce titre. Pour lui, ce qui caractérise le sophiste, c’est avant tout qu’il est un professionnel de l’enseignement, à la fois intellectuel et artisan, participant d’un vaste mouvement de rationalisation dont il n'est qu’une des manifestations : c’est ainsi qu’il les envisage à bon droit comme incarnations de « l’esprit du siècle », parallèlement aux médecins hippocratiques (souvent assimilés aux sophistes) et aux historiens tels notamment Thucydide (L’IMMENSE Thucydide, sur lequel l’influence de la sophistique n’est plus à démontrer), et qu’il les montre également préfigurant à certains égards les philosophes des Lumières ou les utilitaristes anglais du XIXe siècle.

 

Le premier des trois chapitres de ces Sophistes s’intéresse essentiellement à ces questions d’ordre général, et notamment aux attaques de Platon, longuement et honnêtement disséquées. Mais il nous livre également le bref portrait de trois des plus importants sophistes… en prenant peut-être parfois certains témoignages un peu trop au pied de la lettre. Il dégage tout d’abord la figure de Prodicos, moraliste et lexicologue (et Gomperz montre bien ce que cette dernière activité a de fondamental, en dépit des railleries de Platon bêtement reprises depuis) ; puis celle d’Hippias, l’encyclopédiste ; enfin celle d’Antiphon, pour lequel il manque toutefois de documents (si je ne m’abuse, les fragments les plus importants d’Antiphon, en rapport notamment avec la controverse nomos-physis, n’ont été découverts qu’au cours du XXe siècle ; au passage, le débat sur l’identité du sophiste ne ressort pas une seule fois de ces quelques lignes). Mais il me paraît intéressant de voir Gomperz, contemporain et ami de Freud, s’attarder sur ce philosophe méconnu qui, il y a 2500 ans, avait développé un « art d’ôter le chagrin » parallèlement à une méthode « d’interprétation des rêves »… ce qui en fait bien un étonnant précurseur de la psychothérapie et de la psychanalyse.

 

Les deux chapitres suivants, plus complexes (mais non véritablement arides, la plume de Gomperz est simple et élégante), s’attardent sur les deux plus fameux sophistes, et en premier lieu Protagoras d’Abdère. Gomperz rend justice à cet immense penseur, battant en brèche les moqueries (la fameuse conversation juridique avec Périclès, ainsi qu’il le montre, n’a rien de ridicule…), et livrant une analyse pointue, notamment, des deux plus célèbres fragments protagoréens, celui concernant l’existence des dieux, et, surtout, la doctrine de l’homme-mesure (et il montre déjà avec talent que cette doctrine ne saurait être envisagée comme un hyper-subjectivisme, à la manière du Théétète de Platon, mais selon une logique que Dupréel qualifiera ultérieurement de « conventionnalisme sociologique » ; notons cependant le parallèle avec la phénoménologie – mais là, je ne peux guère m’étendre, béotien de moi…).

 

Gomperz traite ensuite de l’orateur Gorgias de Léontini, mais, étrangement, s’il accorde bien évidemment de l’importance à l’enseignement rhétorique du Sicilien et aux quelques exemples dont on en dispose, il considère cependant qu’il n’est pas l’auteur de l’Éloge d’Hélène et de la Défense de Palamède, et ne s’attarde finalement guère sur le kairos. Dès lors, cet ultime chapitre consiste avant tout en une longue et complexe étude de l’œuvre la plus provocatrice de Gorgias, son Traité du non-être, où, contre les Éléates, il démontre que rien n’existe, que si quelque chose existait on ne pourrait pas le savoir, et que si on le savait on ne pourrait pas le communiquer…

Un petit ouvrage intéressant et d’un abord aisé, mais qui a indubitablement vieilli, ou, plus exactement, qui est largement dépassé aujourd’hui : la recherche sur les sophistes, malgré les conservatismes, a tout de même progressé au cours du XXe siècle ; on trouvera aisément des « introductions » plus complètes (Gilbert Romeyer-Dherbey, Jacqueline de Romilly…) et des essais autrement plus riches (Mario Untersteiner, William Keith Chambers Guthrie, George Briscoe Kerferd, Barbara Cassin…). Reste un témoignage historique non négligeable sur la réhabilitation des sophistes, d’une lecture agréable qui plus est…

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"60 Jours et après", de Kim Stanley Robinson

Publié le par Nébal

 

ROBINSON (Kim Stanley), 60 Jours et après, [Sixty Days and Counting], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Dominique Haas, [Paris], Presses de la Cité, [2007] 2008, 571 p.

Hop, ma chro de ce (très mauvais) dernier tome de la « trilogie climatique » de Kim Stanley Robinson est à lire (ou pas) sur le beau site du Cafard Cosmique.

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"Récits de la Grande Explosion", de Julia Verlanger

Publié le par Nébal

 

VERLANGER (Julia), Récits de la Grande Explosion, postface de Xavier Dollo, Paris, Bragelonne, coll. Les Trésors de la science-fiction, [1958, 1976, 1979-1980] 2008, 567 p.

Hop, ma chro de ce deuxième volume de l’intégrale des œuvres de Julia Verlanger est à lire (ou pas) sur le beau site du Cafard Cosmique.

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"Le Chasseur et son Ombre", de George R.R. Martin, Gardner Dozois & Daniel Abraham

Publié le par Nébal

 

MARTIN (George R.R.), DOZOIS (Gardner) & ABRAHAM (Daniel), Le Chasseur et son Ombre, [Hunter’s Run], traduit de l’anglais (États-Unis) par Fabienne Rose et Jean-Daniel Brèque, Paris, Bragelonne, coll. Bragelonne SF, [2004] 2008, 310 p.

Ma chronique figurait sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.

 

 

Six mains pour écrire, quatre pour traduire (celles, émérites, de Jean-Daniel Brèque et de Fabienne Rose) : c’est à croire que Le Chasseur et son Ombre entend rentrer dans le livre des records, catégorie roman choral. À l’origine, il y avait une novella, Shadow Twin, publiée sur scifi.com par George R.R. Martin (celui du Trône de fer), Gardner Dozois, éditeur, auteur et 15 fois primé au Hugo (un record), et le nettement moins connu Daniel Abraham. « La réunion de ces trois talents est l’équivalent littéraire d’un supergroupe de rock ! », nous dit la quatrième de couv’. Certes, mais reste à voir ce que donne cette collaboration sur la durée.

 

Le Chasseur et son Ombre, dont les premières pages reproduisent une carte, indique bien vite la couleur : nous sommes ici en plein planet opera, du genre classique, et ne prétendant à rien d’autre qu’au divertissement.

Dans cet univers, l’Humanité n’a pu bénéficier du voyage interstellaire que par l’entremise de « généreuses » races extraterrestres plus développées. C’est ainsi qu’elle a finalement essaimé à travers la galaxie.

 

Parmi les colons de la planète São Paulo, qui comme son nom l’indique, a connu majoritairement une immigration latino-américaine, nous faisons la connaissance de Ramon Espejo, originaire du Mexique, et aujourd’hui minable prospecteur indépendant, écumant le nord sauvage de la planète, infesté de chupacabras, dans l’espoir d’y faire fortune. Un bon point, très vite : Ramon Espejo est un anti-héros comme on les aime, un loser un tantinet crétin, passablement beauf, et macho jusqu’au bout des santiags. « Peut-être Dieu l’a-t-il voulu pauvre, sinon Il ne l’aurait pas fait si mauvais. »

Ramon est bien une brute au front bas, qui, au cours d’une énième baston suivant une énième cuite dans un énième bar pouilleux, a malencontreusement tué un diplomate étranger, sans trop savoir pourquoi. Du coup, en plus d’une énième engueulade de sa colérique Elena, Ramon se retrouve avec la police aux fesses, une police rendue d’autant plus nerveuse que la victime est un gros ponte et que les extraterrestres démiurgiques doivent bientôt rendre une visite en forme de bilan de la colonisation sur São Paulo.

Ramon fuit donc les pandores dans le nord de la planète, poursuivant (maladroitement) son travail comme si de rien n’était. Mais il joue décidément de malchance : bien loin de trouver un précieux gisement à même d’assurer ses vieux jours, il découvre par hasard un refuge caché abritant une mystérieuse race extraterrestre... qui a tôt fait de le réduire en esclavage, et de le contraindre à se lancer dans une frénétique chasse à l’homme. Et... on n’en dira pas plus. Si ce n’est qu’à poursuivre sa proie, Ramon va être amené à se poser bien des questions à même de changer sa vie.

Le roman adopte dans un premier temps une tonalité assez clairement humoristique, et se montre plutôt efficace. Ramon est un minable tellement antipathique qu’il en devient un personnage très sympathique. Action bien menée, rythme enlevé, dialogues souvent bien vus. L’incompréhension entre Ramon et ses maîtres extraterrestres suscite bien des scènes amusantes. Le cadre, en outre, n’est pas déplaisant, avec son atmosphère latino-américaine finalement assez originale.

Puis le ton change, et, si le roman reste avant tout un divertissement porté sur l’aventure, sorte de survival science-fictif et exotique (dans une veine qui n’est pas sans rappeler Jack Vance par moments), il devient cependant de plus en plus grave. La rupture doit-elle être mise sur le compte de la multiplicité des auteurs ? C’est fort possible. Mais hélas, si les questions qui sont posées sont loin d’être inintéressantes (identité, communication et compréhension, justice...), elles tendent par contre à se montrer répétitives, assez superficielles, parfois artificielles, et à nuire finalement au rythme du récit. Ainsi, après avoir débuté sur les chapeaux de roues comme le bon divertissement foutraque et léger, mais efficace et réjouissant, que l’on était en droit d’attendre, Le Chasseur et son Ombre, à se montrer plus sérieux, perd progressivement de sa fougue et de son intérêt, jusqu’à ne susciter qu’un ennui léger, une attention défaillante mais polie. Dommage...

 

Roman déséquilibré, Le Chasseur et son Ombre peine à convaincre totalement, se perdant un peu entre le divertissement léger et efficace des premières parties, et la plus grande ambition des pages suivantes, qui le dessert plus qu’autre chose. Le « supergroupe » succombe ainsi plus ou moins aux défauts récurrents de ce genre de réunions alléchantes à première vue, mais souvent décevantes à l’arrivée. On le regrettera d’autant plus que la première moitié environ du roman constitue un planet opera tout à fait sympathique, doté d’un chouette personnage et ne manquant pas de bonnes idées...

 

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"L'Heure et l'ombre", de Pierre Jourde

Publié le par Nébal

 

JOURDE (Pierre), L’Heure et l’ombre, Paris, L’Esprit des péninsules – Pocket, [2006] 2008, 246 p.

 

J’en aurais mis, du temps, avant de lire du Pierre Jourde.

 

(Oui, je sais, je commence un compte rendu sur trois comme ça, mais bon, voyez plutôt.)

 

En fait, je crois bien que, la première fois que j’en ai entendu parler, c’était à l’époque de la sortie de L’Heure et l’ombre (justement) chez L’Esprit des péninsules. Je me souviens d’une critique élogieuse dans Bifrost (même si L’Heure et l’ombre n’a franchement rien à voir avec les littératures de l’imaginaire, en-dehors d’une ou deux métaphores ici ou là), qui m’avait fait franchement envie, et noter le nom de la bête dans un coin.

 

Et, en bon béotien, ce n’est qu’ultérieurement que j’ai entendu parler de Festins secrets, et surtout de La Littérature sans estomac et du Jourde & Naulleau. On en parlait en bien, hein ; mais, sur moi, ça a fait un peu l’effet contraire. Pas seulement parce que Naulleau s’est révélé récemment pour le bouffon puant qu’il a toujours été, je m’en tiens au seul Jourde. Mais voilà : j’ai lu certains critiques (sur le Cafard, notamment) dresser volontiers, en se fondant sur ces deux ouvrages railleurs (que je n’ai pas lus, hein, n’oubliez pas : je ne parle toujours que d’a priori), le Valeureux Jourde Défenseur de la Vraie Littérature contre le Pathétique Houellebecq et son Commerce Inepte (les autres cibles, je m’en tape). Or, j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, moi, j’aime beaucoup Houellebecq ; certes, je n’ai aucune envie pour autant de lire son étrange compromission récente avec le sinistre BHL (mais qu’est-ce qui lui est passé par la tête ?), mais il n’en reste pas moins que je me suis jusqu’à présent régalé avec tous ses romans, et par-dessus tout l’excellentissime La Possibilité d’une île.

 

Autant dire qu’en ce qui me concerne, ces critiques-là m’ont fait l’effet d’une fâcheuse publicité négative, et que j’en ai probablement retardé d’autant plus ma découverte de Jourde. Certes, cette opposition – plus ou moins fondée – m’intriguait en même temps, et je pouvais y trouver une raison supplémentaire de tenter l’expérience… Mais voilà : je craignais que ces débats stériles ne laissent un peu trop s’exprimer mes préjugés, et m’empêchent de jouir pleinement de la lecture de Jourde. Aussi ai-je préféré laisser couler l’eau sous les ponts. Et ce n’est que tout récemment que, tombant par hasard sur la réédition de L’Heure et l’ombre en poche, je me suis décidé à franchir le pas.

 

J’en ai donc entamé la lecture, et le début m’a franchement séduit.

 

Ici, mes très chers lecteurs, vous vous attendez, je suppose, à ce que je batte ma coulpe, à mon habitude : mes préjugés étaient stupides, Jourde c’est bon, mangez-en, etc. Les plus fidèles d’entre vous (s’il y en a) me l’ont vu faire des dizaines de fois.

 

Mais là, non.

 

Alors peut-être est-ce bien la faute à mes préjugés. Peut-être, aussi, la rogne qui me saisit habituellement à la période des fêtes et dans mon exil dordognais avec JT imposé a-t-elle joué un rôle. Ah, et ne pas oublier que le cocktail Effexor-Abilify, c’était une très mauvaise idée, qui m’a foutu sur les nerfs comme c’est pas permis.

 

Mais voilà : après un (long) premier chapitre très convaincant, L’Heure et l’ombre m’a franchement déçu. Je ne suis pas certain de pouvoir le qualifier pour autant de mauvais, ce roman surprimé. Mais de « pas pour moi », sans aucun doute. Parce qu’il ne s’est pas contenté de me décevoir : il m’a également profondément ennuyé et profondément énervé. À tel point que je doute de renouveler l’expérience avant longtemps, voire de la renouveler tout court (étrange idée bien typique de mon masochisme mesquin)…

 

Bon.

 

Tentons d’expliquer pourquoi donc.

 

Dans ce bref (mais pas assez) roman, nous suivons donc un narrateur en quête de son amûûûûûûûr d’enfance, version Absolu. Celle qui ne parle qu’aux moins de 15 ans, ou aux plus de 40, s’il y flotte des grumeaux de nostalgie : ça tombe bien. Par un jeu de coïncidences improbables, le narrateur se voit ainsi ramené à ses souvenirs de Saint-Savin, minable station balnéaire de sa jeunesse plus ou moins dorée, et à la mignonne Sylvie. Dans un premier temps, avant que l’amûûûûûûûr ne rentre vraiment en scène, c’est assez intéressant. Quand le narrateur laisse la parole à sa compagne (à l’expression tout aussi anachroniquement précieuse, mais ça passe encore, et confère au roman une atmosphère pas désagréable), on se prend volontiers au jeu. Belle description d’un petit village de la France profonde, de cette mystérieuse petite fille, et de son plus mystérieux encore somnambule et amnésique de père. Puis les éléments se mettent en place et, de réminiscences en sauts temporels, le narrateur reprend le devant de la scène. Et c’est alors que cela devient très pénible. Jusque-là, pourtant, c’était fort bon ; j’y retrouvais un peu l’atmosphère délicieusement bizarre qui me parle tant chez un Paul Auster, par exemple (rappelez-vous – ou pas –, j’avais lu Dans le scriptorium quelques jours plus tôt…), ou, plus vraisemblablement ici, chez d’autres auteurs dont tout critique qualifié vous fera la liste exhaustive.

 

Et puis ça ne marche plus. Et le ton du roman (« naturalisme inversé » ?) m’a de plus en plus horripilé. Voilà un fait rare : j’ai envie de balancer à l’encontre de ce roman de ces adjectifs un peu bêtes que généralement je préfère laisser à d’autres. Mais j’ai bel et bien trouvé ce roman puant, de suffisance et de parisianisme ; et, parallèlement, insupportablement – putain, j’ai honte – bourgeois et réac, que ce soit dans le fond ou dans la forme. Tandis que les pages défilent, le roman – d’un auteur qui aime bien se regarder écrire –, au travers de ses réflexions sur le temps, etc., prend finalement, quoi qu’on ait pu en dire, des allures de quasi-essai (si pas pamphlet) prétentieux et creux, médiocrement et bêtement railleur, d’une hypocrisie et d’une fatuité rares.

 

Ah, c’était mieux avant…

 

Ah, la province…

 

Ah, aujourd’hui on n’a plus d’écrivains…

 

Ah, l’amûûûûûûûûr…

 

Ah, les plats cuisinés…

 

Ah, le rap…

 

Ah, les enfants d’aujourd’hui…

 

J’en passe et des pires.

 

Il y a probablement de la mauvaise blague, là-dedans, ce qui, en temps normal, ne me déplaît pas. La tonalité pompidolo-giscardienne est après tout appropriée pour les éléments les plus antiques du récit. Et la plume contournée de l’auteur, toute en épate et Valeurs Majuscules, s’accorde à merveille à la médiocrité à la fois bourgeoise et néo-romantique (mélange fatal) de ses personnages. Exercice de style, alors ? Peut-être. L’Heure et l’ombre a bien à mes yeux quelque chose d’un mauvais roman du XIXe, totalement dénué de la moindre originalité, qui aurait mal digéré les romantiques, les naturalistes et les décadents, pour n’en retenir que les pires travers, et qu’on aurait ultérieurement aseptisé par une louche de Kulture démonstrative toute contemporaine, exégèse de Proust incluse.

 

Visiblement, il y en a plein pour aimer.

 

Bon.

Je n’en suis pas.

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"Alone contre Alone", de Thomas Géha

Publié le par Nébal


GÉHA (Thomas), Alone contre Alone, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2008, 230 p.

 

En 2009, vu que Gaza et Sarko, la logique veut que l’on parle de plus en plus de post-apocalyptique. Et ça tombe bien : je viens tout récemment de lire Alone contre Alone, l’épisode ultime de la saga de Thomas Géha en hommage à La Terre sauvage de Julia Verlanger. Avec des vrais morceaux de France dévastée écumée par de valeureux guerriers solitaires dedans.

 

Après le sympathique mais encore un peu « amateur » A comme Alone (et la nouvelle « L’Ère du Tambalacoque » – mais peut-être vaut-il mieux la lire après Alone contre Alone, ainsi que je l’ai fait ?), c’est avec plaisir que nous retrouvons notre hexagone ravagé, ses Rasses infréquentables et ses fiers Alones tels Pépé et Grise. Au tout début du roman, ceux-ci et leurs potes se la coulent douce sur une île où – mirac’ ! – ils ne manquent de rien, et personne ne vient les faire suer. Ce qui ne peut évidemment pas durer : une bande de tueurs finit par débarquer pour leur chercher des noises. Or ce commando ne s’en est pas pris à eux par hasard : il y a de la vengeance dans l’air, le sieur Argento n’ayant pas apprécié que Pépé se taille avec sa Grise à la fin de l’épisode précédent… en le laissant pour mort.

 

Impossible, dès lors, de rester sur l’île. Mais Pépé et Grise n’entendent pas davantage faire peser cette menace toute personnelle sur les épaules de leurs amis Gaby et Flo, et le petit groupe doit donc se séparer. Mais, pour les Alones, ce n’est que le début d’une complexe aventure riche en mauvaises (et parfois moins mauvaises) rencontres, dont, entre autres, des pirates, des archéologues, des lapins qui parlent, des ninjas matrixeux et des arbres mégalomanes. Avec à la clef un épique duel Alone contre Alone, déterminant pour l’avenir de l’humanité. Rien que ça.

 

Effectivement, si Alone contre Alone a gardé bien des aspects de son prédécesseur, et notamment un certain côté picaresque parfaitement approprié mais qui le rend difficilement résumable, sa plus grande ambition ne fait très vite aucun doute. À vrai dire, à ce stade, ça pète même les yeux… Certes, il ne s’agit une fois de plus « que » d’un roman se voulant simplement (simplement !?) divertissant, mais l’auteur a indéniablement gagné en métier. Les hésitations et maladresses notamment stylistiques d’A comme Alone sont largement de l’histoire ancienne (on peut bien renacler ici ou là, mais c’est dans l’ensemble très honnête, et en tout cas bien meilleur), le ton est autrement plus assuré, et les idées sont davantage canalisées, certaines valant franchement le détour (les Arkéos, le Tambalacoque…).

 

Mais, pour autant, Alone contre Alone n’a heureusement en rien perdu de la fraîcheur et de la spontanéité jubilatoire d’A comme Alone. Et c’est du coup avec plaisir que l’on se replonge dans cet univers « à la Verlanger », guère original, certes, mais néanmoins fort bien campé, avec ce qu’il faut de bruit et de fureur à chaque page. D’autant que ce court roman, de même que le premier, bénéficie d’un atout de taille qui le rend encore plus sympathique : il sait ne pas trop se prendre au sérieux. En témoigne assez son héros Pépé, tantôt brute épaisse survirile, tantôt loser sympathique et gentiment couillon…

 

Et cette fois encore, mais avec infiniment plus d’adresse, Thomas Géha profite de son excursion post-apocalyptique pour multiplier gags savoureux et références parfois improbables, clichés énormes et clins d’œil plus ou moins hermétiques. Le roman, qui pioche allègrement dans tout ce que la culture populaire peut nous offrir de plus réjouissant, est ainsi placé sous le double signe de l’humour et de la simplicité, ce qui ne le rend que plus rafraîchissant et efficace.

 

Bon, évidemment, il n’est pas question ici de « GrrrrrrrraaaAAAaaande Litthérathure » : Alone contre Alone est un beau morceau de SF populaire, un roman de gare bref et intense, qui ne vise qu’à donner au lecteur quelques heures de plaisir un brin régressif. Mais il y arrive parfaitement. Alors que demande le peuple ?

 

« Une suite ? »

 

Ben, a priori, c’est mort. Et sans doute vaut-il mieux, effectivement, éviter de pousser le bouchon trop loin…

Maintenant, que ce soit dans ce registre ou un autre, j’espère que Thomas Géha nous prépare d’autres bonnes choses. Parce que ces deux petits romans, avec leurs défauts, m’ont bel et bien satisfait. Si la progression de l’auteur, d’ici à la prochaine parution, se fait aussi sensible qu’entre ces deux premiers volumes, m’étonnerait pas qu’on tienne là quelque chose de franchement intéressant…

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Bonne année !

Publié le par Nébal



« Et bonne santé ! »






« Vous allez en chier, mais, moi, ça va. »

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"Les Morts concentriques", de Jack London

Publié le par Nébal

 

LONDON (Jack), Les Morts concentriques, textes choisis et présentés par Jorge Luis Borges, [s.l.], FMR – Panama, coll. La Bibliothèque de Babel, [1948, 1973, 1975, 1977-1978] 2008, 145 p.

 

Chose promise, chose due : retour sur la Bibliothèque de Babel avec cette fois un petit recueil consacré à Jack London. Une fois de plus, il ne s’agit pas toujours (pas vraiment ?) de fantastique à proprement parler ; mais, à la différence du recueil consacré à Chesterton, Les Morts concentriques, au travers de ses cinq nouvelles, est une occasion de choix pour envisager l’auteur du Talon de fer (classique que je n’ai pas lu, honte sur moi) dans une large palette de genres et de styles.

 

Car Jack London saurait difficilement être cantonné à un unique registre, et, au cours de sa vie brève et aventureuse, il s’est exercé dans bien des domaines différents. Pour dire les choses comme elles sont : il est loin de n’être que l’auteur de L’Appel de la forêt (bouquin non négligeable, cela dit : en ce qui me concerne, je crois bien que c’est mon premier grand souvenir de lecture). Les Morts concentriques en témoigne assurément.

 

Décortiquons donc un peu la bête, en commençant par la nouvelle titre, « Les Morts concentriques » (pp. 17-39 ; nouvelle autrefois traduite littéralement sous le titre « Les Favoris de Midas »). Pas de fantastique à proprement parler, non, mais à coup sûr une ambiance horrifique, dans cette sorte de thriller avant l’heure nous racontant du point de vue bourgeois le terrible chantage organisé par une société secrète anarchiste. La nouvelle est d’autant plus efficace qu’elle sait conserver une certaine ambiguité avec cette question du point de vue, et est indubitablement inspirée du terrorisme anarchiste de la fin du XIXe siècle. Un récit sombre et glaçant sur la violence politique, annonciateur d’une horreur inéluctable si les deux camps continuent à se traiter ainsi par le mépris ; triste prophétie du XXe siècle débutant, terrible et remarquable.

 

On passe à tout autre chose (ou bien ?) avec « L’Ombre et la chair » (pp. 41-67), puisqu’il s’agit cette fois d’une nouvelle de science-fiction, basée sur la thématique de l’invisibilité. Mais c’est à nouveau une histoire d’affrontement, entre deux rivaux qui se ressemblent trop pour ne pas se haïr. De là à en tirer à nouveau un sous-texte politique…

Les trois dernières nouvelles, quoique variées, ont néanmoins ceci de commun qu’elles jouent la carte de l’exotisme, voire de l’ethnologie (le point de vue étant généralement celui de l’indigène, traité avec le mépris que l’on sait par le blanc « civilisé ») ; ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait quel grand voyageur fut London. On connaît, notamment, ses aventures en Alaska, et les deux nouvelles suivantes empruntent ce cadre on ne peut plus authentique.

 

Il y a tout d’abord « La Loi de la vie » (pp. 69-81), texte très poétique nous contant les derniers instants d’un vieillard. On ne parlera guère de « récit » pour cette prose très picturale, et belle assurément.

 

« La Face perdue » (pp. 83-107), tout en conservant ce cadre, retrouve cependant l’atmosphère d’horreur et de violence des « Morts concentriques », puisque tout y commence par une horrible scène de torture. Le point de vue est celui de la prochaine victime, un Polonais exilé, et quelqu'un de tout sauf recommandable… On retrouve avec plaisir et effroi l’ambiguité de la première nouvelle dans cette réussite incontestable.

 

Mais le bijou du recueil est probablement sa conclusion, « La Maison de Mapouhi » (pp. 109-146), nouvelle qui emprunte cette fois un cadre polynésien. Une fable à la fois burlesque et cauchemardesque, drôle et terrifiante, plus fantastique que tout ce qui a précédé, et décrivant avec un talent rare les pérégrinations d’une perle incomparable passant de main en main tandis qu’un ouragan surnaturel menace de submerger une île. Notons, au passage, un très beau personnage féminin, dans une conclusion tout simplement parfaite.

Vous l’aurez compris : Les Morts concentriques m’a bien davantage convaincu que L’Œil d’Apollon. C’est l’époque des bonnes résolutions, paraît-il : je comptais déjà me remettre à Borges ; mais il va aussi falloir que je prolonge l’expérience de la Bibliothèque de Babel, et que je me remette à Jack London… ou plutôt que je m’y mette, puisqu’il s’agit bien là d’un remarquable exemple de ces auteurs que l’on croit connaître, mais dont on ne sait finalement rien ou presque.

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La Vérité sur les femmes...

Publié le par Nébal


… et sur la sexualité, telle qu’elle ressort du Malleus Maleficarum (traduction d’Amand Danet). Morceaux choisis.

 

I, VI : Qu’en est-il des sorcières qui se livrent aux démons ?

 

« Certains docteurs donnent cette raison : Il y a, disent-ils, trois éléments dans la nature des choses : la langue, l’ecclésiastique et la femme, qui ne savent pas tenir juste le milieu en fait de bonté et de malice.

 

« […] De la malice des femmes parle beaucoup l’Ecclésiastique : Il n’y a pire venin que le venin u [sic] serpent, il n’y a pire haine que la haine d’un ennemi (d’une femme). J’aimerais mieux habiter avec un lion ou un dragon qu’habiter avec une femme méchante… (Et il conclut) : Toute malice n’est rien près d’une malice de femme. D’où Chrysostome parlant sur le texte de Matthieu (Il n’est pas sage de se marier) : La femme, qu’est-elle d’autre que l’ennemie de l’amitié, la peine inéluctable, le mal nécessaire, la tentation naturelle, la calamité désirable, le péril domestique, le fléau délectable, le mal de nature peint en couleurs claires. D’où, puisque la renvoyer est un péché et qu’il faut la garder, alors notre tourment est fatal : ou bien commettre un adultère en la répudiant, ou bien vivre dans des disputes quotidiennes. Tullius Cicéron aussi dit dans ses Rhétoriques : Les nombreuses passions de l’homme le conduisent chacune à leur vice ; mais une seule passion conduit les femmes à tous les vices ; à la base de tous les vices des femmes il y a la jalousie. Sénèque, dit aussi dans ses Tragédies : la femme, ou elle aime ou elle hait, il n’y a pas de troisième (voie). Une femme qui pleure est un mensonge : deux genres de larmes dans les yeux de femmes en même temps, les unes pour la douleur, les autres pour la ruse. Une femme qui pense seule pense à mal.

 

« […] D’où les blâmes que l’on peut lire, on peut les interpréter comme des attaques contre la concupiscence de la chair, la femme étant comprise comme le signe de la concupiscence, selon le dicton : J’ai trouvé la femme plus amère que la mort et la femme bonne soumise à la passion de la chair.

 

« Certains assignent d’autres raisons encore au fait que plus de femmes que d’hommes soient engagées dans la superstition. La première, c’est qu’elles sont plus crédules. D’où, comme le démon cherche surtout à corrompre la foi, il les attaque en priorité. En effet celui qui a la confiance facile montre sa légèreté, dit l’Ecclésiastique. La deuxième raison, c’est que les femmes sont naturellement plus impressionnables et plus prêtes à recevoir les révélations des esprits séparés. D’où, quand elles usent bien de cette aptitude, elles sont très bonnes ; autrement elles sont très mauvaises. La troisième cause enfin, c’est qu’elles ont une langue bavarde : ce qu’elles apprennent dans les arts magiques, elles le cachent avec peine aux autres femmes leurs amies ; et parce qu’elles sont faibles, elles cherchent un moyen de se venger plus facilement en secret par des maléfices. D’où l’Ecclésiastique encore : J’aimerais mieux habiter avec un lion ou un dragon qu’habiter avec une femme méchante. Toute malice n’est rien près d’une malice de femme. Et on pourrait ajouter : inconstantes dans l’être, elles le sont dans l’action.

 

« […] Mais puisqu’aux temps modernes la perfidide (de sorcellerie) se trouve plus souvent chez des femmes que chez des hommes, comme l’expérience l’enseigne ; nous qui cherchons à mieux fixer la cause, nous pouvons dire, complétant ce qui a été dit : parce qu’elles sont déficientes dans leurs forces d’âme et de corps, il n’est pas étonnant qu’elles songent davantage à ensorceler ceux qu’elles détestent. Pour ce qui est de l’intelligence et de la compréhension des choses spirituelles, elles semblent d’une nature différente de celle des hommes : c’est un fait appuyé par l’autorité et la raison, avec maints exemples dans l’Écriture. Térence dans Hécyre dit : Les femmes sont presque comme des enfants par la légèreté de la pensée. Et Lactance dans ses Institutions : En dehors de Thémeste, est-ce qu’une seule femme a jamais appris la philosophie ? Et le livre des Proverbes ose dire comme pour décrire une femme : Un anneau d’or au groin d’un pourceau : une femme belle mais dépourvue de tact. Or de cela, la raison naturelle, c’est qu’elle est plus charnelle que l’homme : on le voit de par ses multiples turpitudes. On pourrait noter d’ailleurs qu’il y a comme un défaut dans la formation de la première femme, puisqu’elle a été faite d’une côte courbe, c’est-à-dire d’une côte de la poitrine, tordue et comme opposée à l’homme. Il découle de ce défaut que comme un vivant imparfait, elle déçoit toujours. Ainsi Caton peut dire : quand elle pleure, elle travaille à tromper. Et on le voit dans (le cas de) la femme de Samson : l’assaillant de tous côtés pour savoir le problème posé par lui à ses congénères philistins, dès qu’il le lui eut exposé elle le leur révéla et ainsi le trompa. On le voit déjà dans (le cas de) la première femme : par nature elle a une foi plus faible ; au serpent qui l’interrogeait pour savoir pourquoi ils ne mangeaient pas de tous les arbres du paradis, elle répondit : Nous pouvons manger… sauf du fruit au milieu du jardin… de peur de mourir. Par là elle se révélait en train de douter et de ne pas avoir la foi aux paroles de Dieu. L’étymologie d’ailleurs du nom le démontre : Femina vient de Fe et minus, car toujours elle a et garde moins de foi.

 

« […] Pour ce qui est d’une autre puissance de l’âme, c’est-à-dire de la volonté naturelle : lorsqu’elle hait quelqu’un qu’elle a d’abord aimé, alors elle brûle de colère et d’impatience ; comme les vagues de la mer sont sans cesse en ébullition et en mouvement, ainsi elle est totalement en fureur. Bien des autorités font allusion à cet aspect. D’abord l’Ecclésiastique : Toute malice n’est rien près d’une malice de femme. Et puis Sénèque dans ses Tragédies : Nulle force, ni celle de la flamme, ni celle du vent furieux, nulle menace pas même celle du trait brandi n’est si redoutable que celle d’une épouse répudiée brûlante des feux d’une jalouse haine. On le voit aussi dans la femme qui accusa faussement Joseph et le fit emprisonner parce qu’il ne voulut pas consentir à un adultère criminel, selon la Genèse. Réellement la cause principale qui contribue à la multiplication des sorcières, c’est ce duel pénible entre les femmes mariées et non mariées et les hommes.

 

« […] Voilà pourquoi Valère raconte que Phoronée, roi des Grecs, dit à son frère Léonce : Pour un bonheur parfait rien ne m’aurait manqué, si m’avait toujours manqué une femme. Et Léonce répondant : Comment une épouse peut-elle faire obstacle au bonheur ? Il dit : Les maris le savent tous. Socrate lui aussi, interrogé pour savoir s’il fallait épouser une femme, répondit : Si vous n’en prenez pas, vous serez seul ; votre race va s’éteindre ; un étranger héritera de vous. Mais si vous le faites, ce sera l’inquiétude perpétuelle, les querelles amères, les reproches sur la dot, la pesanteur sur les relations, la langue bavarde de la belle-mère, le cocufiage, l’arrivée d’enfants douteux. Et il parlait en orfèvre : car, dit Jérôme contre Jovinien : Ce Socrate eut deux épouses, qu’il supporta avec beaucoup de patience, sans pouvoir se libérer de leurs humiliations et de leurs clameurs amères. D’où, un jour qu’elles criaient contre lui, il sortit de la maison pour fuir leurs insultes ; mais alors qu’il était assis devant la porte, elles jetèrent sur lui des eaux sales. Philosophe, il ne s’en troubla pas pourtant, disant : Je sais qu’après le tonnerre vient la pluie. On raconte aussi d’un autre dont la femme était tombée dans un fleuve, que cherchant le cadavre pour le sortir de l’eau, il marchait à contre-courant. On lui demanda pourquoi. Il répondit : Cette femme durant sa vie alla toujours contre mes paroles, mes gestes, mes ordres ; alors maintenant qu’elle est morte, je cherche à contre-courant au cas où jusque dans la mort elle aurait gardé la même habitude. De même en tout cas que pour le premier défaut (d’intelligence) elles en viennent plus facilement à renier la foi, ainsi de par le second, c’est-à-dire ces affections et passions désordonnées, elles cherchent, mûrissent et infligent diverses vengeances, soit par les sorcières, soit par tous autres moyens. Alors il n’est pas étonnant qu’il existe tant de sorcières de ce sexe.

 

« […] Sur cette domination des femmes, écoutez encore Tullius (Cicéron) dans ses Paradoxes : Est-il libre celui à qui sa femme commande, lui impose lois, préceptes et ordres ; lui interdit de faire ce qu’il désire ; celui qui ne peut ni n’ose plus refuser quand elle commande quelque chose ? Quant à moi je pense qu’il faut l’appeler non seulement un esclave mais le pire des esclaves, même quand il sort de la plus noble famille. Et voici encore Sénèque avec sa Médée (furieuse) : Pourquoi hésiter, ô mon âme ? Suis ton heureux élan. Combien cette partie de la vengeance, qui te réjouit tant, est peu de choses auprès du reste. Là il apporte des éléments montrant que la femme ne veut pas être gouvernée mais suivre son instinct même pour sa perte. On le lit par ailleurs de ces nombreuses femmes qui par amour ou par chagrin se sont suicidées de ne pouvoir exercer leur vengeance. Jérôme commentant Daniel, le raconte de Laodicée, femme d’Antiochus, roi de Syrie. Jalouse de le voir ainsi aimer davantage Bérénice, son autre épouse, elle fit d’abord tuer Bérénice et sa fille par Antiochus, puis elle s’empoisonna. Pourquoi ? Pour ne pas dépendre du roi mais de son instinct. D’où la juste réflexion de Chrysostome : Ô mal pire que tous les maux, la femme mauvaise, qu’elle soit riche, qu’elle soit pauvre. Si en effet elle est épouse d’un riche, elle ne cesse nuit et jour d’exciter son mari par des paroles insidieuses, méchamment jalouses et violemment importunes. Si par contre elle est femme de pauvre, elle ne cesse de l’inciter à la colère et à la dispute. Si elle devient veuve, alors elle prend sur elle de regarder chacun de haut alentour et l’esprit d’orgueil lui donne toutes les audaces. Cherchant bien, nous trouverons que presque tous les royaumes du monde ont été bouleversés à cause des femmes. Le premier royaume heureux s’il en fut, le royaume de Troie, à cause du rapt d’une femme, Hélène, fut détruit et des milliers de Grecs tués. Le royaume des Juifs subit bien des massacres à cause de la méchante Jézabel et de sa fille Athalie, reine de Juda, qui avait fait mourir les fils de son fils pour régner elle-même à sa place ; l’une et l’autre périrent. Le royaume des Romains souffrit de grands maux à cause de Cléopâtre, reine d’Égypte, la pire de toutes les femmes. Et ainsi des autres… Il n’est pas étonnant alors si le monde souffre encore de la malice des femmes.

 

« Enfin pour ce qui est du désir charnel de leur corps : d’où procèdent tant de maux innombrables pour la vie humaine ? À juste titre nous pourrions dire avec Caton d’Uttique : Si le monde pouvait être sans femmes, nous ne vivrions jamais sans les dieux. Car réellement : s’il n’y avait pas la malice des femmes, même en ne disant rien des sorcières, le monde demeurerait encore libre d’innombrables périls. Valère écrit à Rufin : Tu ne sais pas que la femme est une chimère, mais tu dois le savoir. Ce monstre prend une triple forme : il se pare de la noble face d’un lion rayonnant ; il se souille d’un ventre de chèvre ; il est armé de la queue venimeuse d’un scorpion. Ce qui veut dire : son aspect est beau ; son contact fétide ; sa compagnie mortelle.

 

« Écoutons encore ceci au sujet d’une autre de ses particularités, la voix : Menteuse par nature, elle l’est dans son langage ; elle pique tout en charmant. D’où la voix des femmes est comparée au chant des Sirènes, qui par leur douce mélodie attirent ceux qui passent et les tuent. Elles tuent en effet car elles vident la bourse, elles enlèvent les forces, elles contraignent à perdre Dieu. D’où Valère dit encore à Rufin : Quand elle parle, c’est un délice mais douloureuse est la faute : la fleur de Vénus est la rose, car sous sa pourpre il y a beaucoup d’épines. Comparez les Proverbes : Plus onctueuse que l’huile est sa parole, mais l’issue en est amère comme l’absinthe. Et de même au sujet de sa démarche, son port, son maintien : là c’est la vanité des vanités. Il n’y a nul homme au monde qui travaille à plaire au Dieu de bonté, autant qu’une femme ordinaire s’ingénie par ses vanités à plaire aux hommes. On a là-dessus un exemple dans la vie de sainte Pélagie quand, vouée au monde, elle parcourait Antioche en tenue extravagante. Un saint père, du nom de Nonnus, la vit et commença à pleurer, disant à ses compagnons que durant toute sa vie il n’avait jamais été aussi ardent pour plaire à Dieu… Finalement à ses prières elle se convertit. Voilà celle qui fait se lamenter l’Ecclésiaste – et aussi l’Église à cause de l’immense multitude des sorcières : Je trouve la femme plus amère que la mort ; car elle est un piège et son cœur un filet ; et ses bras des chaînes. Qui plaît à Dieu lui échappe, mais le pécheur y est pris. Plus amère que la mort, c’est-à-dire que le diable dont le nom est la mort (peste), selon l’Apocalypse ; car même si le diable conduisit Ève au péché, c’est Ève qui séduisit Adam. Et puisque le péché d’Ève ne nous aurait pas conduits à la mort de l’âme et du corps, s’il n’avait pas été suivi de la faute d’Adam à laquelle l’entraîna Ève et non le diable : on peut donc la dire plus amère que la mort. Plus amère que la mort encore : car celle-ci est naturelle et tue seulement le corps ; mais le péché qui a commencé par la femme tue l’âme la privant de la grâce et entraîne ainsi le corps dans la peine du péché. Plus amère que la mort aussi : car la mort corporelle est un ennemi effrayant mais manifeste, la femme au contraire est un ennemi charmant et dissimulé. C’est pourquoi, plus amer et plus dangereux, ce piège n’est pas seulement celui des chasseurs mais celui des démons. Les hommes en effet ne sont plus seulement captifs de leurs désirs charnels les voyant et les entendant, avec leur visage qui est un vent qui brûle et leur voix qui est un serpent qui siffle selon Bernard ; mais encore (elles attirent) par les maléfices d’innombrables hommes et bêtes. Leur cœur est appelé un filet, car inscrutable est la malice qui règne dans leur cœur ; leurs mains sont des liens, car là où elles les posent pour le maléfice, là avec la complicité du diable elles réalisent ce qu’elles entendent.

 

« Concluons donc : Toutes ces choses (de sorcellerie) proviennent de la passion charnelle, qui est en (ces femmes) insatiable. Comme dit le livre des Proverbes : Il y a trois choses insatiables et quatre qui jamais ne disent « assez » : le shéol, le sein stérile, la terre que l’eau ne peut rassasier, le feu qui jamais ne dit assez. Pour nous ici : les lèvres du sein. D’où pour satisfaire leur passion elles « folâtrent » avec les démons. On pourrait en dire davantage, mais pour qui est intelligent il apparaît assez qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que parmi les sorciers il y ait plus de femmes que d’hommes. Et en conséquence on appelle cette hérésie non des sorciers mais des « sorcières », car le nom se prend du plus important. Béni soit le Très-Haut qui jusqu’à présent préserve le sexe mâle d’un pareil fléau : Lui en effet qui en ce sexe a voulu naître et souffrir, lui a aussi accordé le privilège (de cette exemption). »

 

[…]

 

II, I : Quelqu’un peut-il être à ce point protégé par les bons anges qu’il ne puisse être « maléficié » par démons et sorciers ?

 

« Donnons cependant quelques exemples de la manière dont les bons anges parfois protègent des hommes justes et saints, spécialement en cette matière de pulsion génitale. Voici par exemple ce qui arriva au saint abbé Sérénus, dont parle Cassien en ses Conférences : Celui-ci, ardent pour la chasteté intérieure de l’esprit et du cœur, s’appliquait infatigable à des oraisons de jour et de nuit, accompagnées de jeûnes et de veilles. Il s’aperçut un jour qu’en lui, par la grâce de Dieu, toutes les ardeurs de la concupiscence étaient éteintes. Alors enflammé d’un plus grand zèle pour la chasteté, usant des mêmes moyens, il demanda au Dieu tout-puissant que la chasteté de l’homme intérieur s’étendit à l’homme extérieur par un don de Dieu. Or finalement un ange vint à lui dans une vision nocturne, qui lui ouvrit le ventre, arracha de ses entrailles une tumeur brûlante, la jeta au loin puis remit ses viscères en place et lui dit : voilà que les aiguillons de la chair sont maintenant retranchés ; sache que tu as obtenu aujourd’hui la parfaite pureté de l’âme et du corps demandée par toi, au point de n’être plus sujet dorénavant même à ce mouvement naturel qui se produit chez les enfants en bas âge et à la mamelle. De même le bienheureux Grégoire dans ses Dialogues parle du bienheureux abbé Equitius : « Cet homme, dit-il, durant sa jeunesse avait été très troublé par la provocation de la chair ; mais les affres mêmes de la tentation le rendirent plus ardents dans la pratique de la prière. Or une nuit, où par de continuelles prières il implorait de Dieu un remède en ce domaine, un ange lui apparut et fit semblant de le châtrer ; et il lui sembla que par cette vision il avait perdu toute sensibilité dans ses organes génitaux. Et depuis ce moment il fut aussi étranger à la tentation que s’il n’avait plus de sexe en son corps. Et voici l’heureux avantage : fort de la vertu de cette « castration », lui qui, jusque-là, avait eu autorité sur des hommes, par la grâce du Dieu tout-puissant il commença à en avoir sur les femmes ». De même encore, dans les Vies des Pères, recueillies par le saint homme Héraclide dans on livre intitulé Paradis, il est fait mémoire d’un saint Père et moine nommé Héli : Celui-ci par miséricorde rassembla trois cents femmes dans un monastère et se mit à les diriger. Au bout de deux ans, dans la trentième année de sa vie, tenté dans sa chair, il s’enfuit au désert. Là, jeunant et priant deux jours, il disait : « Seigneur Dieu, ou fais-moi mourir ou libère-moi de cette tentation. » Sur le soir il s’endormit ; et il vit (en songe) venir à lui trois anges, qui lui demandaient pourquoi il s’était enfui du monastère des vierges ; et par pudeur il n’osait répondre. Les anges lui dirent donc : « Si tu étais libéré, ne retournerais-tu pas à ta charge auprès de ces femmes ? » Il répondit : « Oui, de bon cœur. » Alors, une fois reçu de lui le serment qu’ils lui avaient demandé, ils le châtrèrent : l’un semblant lui tenir les mains, l’autre les pieds et le troisième lui enlever les testicules avec un rasoir. Les choses ne se passaient pas en réalité, mais il lui semblait que c’était ainsi. Puis comme ils lui demandaient s’il se sentait guéri, il répondit qu’il se sentait très soulagé. Aussi le cinquième jour il retourna vers les femmes en pleurs. Et pendant les quarante ans où il vécut encore, il ne sentit plus jamais l’étincelle de sa première tentation. Enfin, nous lisons que ne fut pas le moindre bienfait reçu par le binheureux Thomas, Docteur de notre Ordre. Ses frères l’emprisonnèrent à cause de sa volonté d’entrer dans l’Ordre ; et pour le séduire ils lui envoyèrent une prostituée somptueusement vêtue et parée. Dès qu’il l’eut vue, le docteur courut au foyer, saisit un tison embrasé, et expulsa de sa prison la porteuse du feu de la passion charnelle. Il se prosterna dans une prière pour le don de la chasteté et il s’endormit. Deux anges lui apparurent alors disant : « Voici que, de la part de Dieu, nous te ceignons de la ceinture de chasteté qui ne pourra plus être rompue par aucune attaque, qui ne s’acquiert pas par les mérites d’une force humaine, mais est donnée comme un don de Dieu seul. » Il sentit alors la ceinture, c’est-à-dire le frottement de la ceinture et se réveilla en criant. Par la suite il se sentit doté d’un tel don de chasteté qu’il eut horreur de toute luxure, qu’il ne pouvait parler à des femmes sans nécessité et qu’il jouit d’une chasteté parfaite. »

 

[…]

 

II, I, VII : Comment les sorcières savent enlever aux hommes le membre viril.

 

« Dans la ville de Ratisbonne, un jeune homme avait une lsiaison avec une jeune fille. Quand il se mit à vouloir la quitter, il perdit son membre viril sous l’effet de quelque sortilège au point de ne plus avoir à toucher et à voir qu’un corps « aplati ». Anxieux à ce propos, il s’en alla dans une taverne acheter et boire du vin. S’asseyant un moment, il se mit à parler avec une femme pour Ni [sic] raconter en détail la cause de sa tristesse, jusqu’à lui montrer sur son corps ce qu’il en était. Astucieuse, elle demanda s’il suspectait quelque femme. Lui dit oui, donnant le nom de la femme et racontant ce qui s’était passé. Elle alors : Si pour la décider à te rendre la santé, la gentillesse ne suffit pas, il faut user de quelque violence. Aussi le jeune homme au crépuscule se posta sur la route par où la sorcière avait l’habitude de passer ; quand il la vit, il se mit à la prier de rendre la santé à son corps. Elle se déclara innocente et affirma ne rien savoir de son affaire. Alors se jetant sur elle, il lui passa un torchon autour du cou et se mit à serrer en disant : « Si tu ne me rends pas la santé, tu périras de mes mains. » Elle qui ne pouvait plus crier, se mit à noircir et son visage se tuméfiait : « Libère-moi, dit-elle, et je te guérirai. » Le jeune homme desserra le nœud et la pression ; la sorcière le toucha alors de la main entre les cuisses, disant : « Tu as ce que tu désires. » Comme il le racontait ensuite, le jeune homme avait parfaitement senti, avant même de s’en assurer par la vue et le toucher, que son membre lui était rendu rien que par le toucher de la sorcière. C’est un exemple semblable qu’avait coutume de raconter un père vénérable du couvent de Spire, connu dans l’Ordre pour sa science et l’honorabilité de sa vie : Un jour, dit-il, pendant que j’entendais les confessions, un jeune homme s’approcha et au cours de la confession il affirma en se lamentant qu’il avait perdu son membre viril. Le père manifesta sa surprise et en voulait pas croire si facilement sur parole – le sage estime que croire facilement est le signe d’un cœur léger. Mais, ajoutait-il, j’en ai eu la preuve, car je ne vis rien quand le jeune homme écartant ses vêtements me montra l’endroit. Il me sembla alors de bon conseil de lui demander s’il soupçonnait une femme, qui eut pu lui jeter pareil sort. Le jeune homme me dit qu’il en soupçonnait une, mais qu’elle était absente et vivait à Worms. Je luis dis : Et moi, je t’invite à aller la trouver le plus vite possible et à essayer de ton mieux de l’amadouer par des paroles aimables et des promesses. Ce qu’il fit. Peu de jours après, il revint me remercier se disant guéri et ayant tout récupéré. Je le croyais sur paroles, mais il m’en fit la preuve de nouveau évidente à mes yeux. » »

 

[…]

 

II, II, I : Des remèdes de l’Église contre les démons incubes et succubes.

« Pour ce qui est de l’ensorcellement des hommes : des démons incubes et succubes, il existe trois genres : chez celles qui se livrent volontairement aux démons incubes comme font les sorcières – les hommes ne se livrent pas si volontiers aux succubes, car cette pratique leur est plus en horreur en vertu de cette vigueur naturelle de la raison par laquelle les hommes sont supérieurs aux femmes […] il y a dans la ville de Coblence un pauvre homme qui est ensorcelé de cette manière devant sa femme, l’acte vénérien que les hommes ont coutume de faire avec les femmes, il est en mesure de le répéter un grand nombre de fois  et ni les instances ni les cris de sa femme ne peuvent l’empêcher de recommencer. Après une ou trois fois il a ces mots : Nous allons encore recommencer ! Pourtant à ce moment-là il n’y a aucune personne présente visiblement sous lui. Et il arrive qu’après un nombre incroyable d’essais le pauvre homme se retrouve prostré par terre démuni de toutes forces. Quand il a récupéré quelque peu, on lui demande comment cela lui arrive et s’il y a une personne sous lui. Il a coutume de répondre qu’il ne voit rien mais qu’il est si « obsédé » qu’il ne peut s’abstenir (de pareil excès). »
 

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