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La Galaxie en flammes, de Ben Counter

Publié le par Nébal

La Galaxie en flammes, de Ben Counter

COUNTER (Ben), La Galaxie en flammes, [Galaxy in Flames], traduit de l’anglais par Julien Drouet, Nottingham, Black Library, coll. The Horus Heresy, [2006-2007] 2014, 414 p.

 

La Galaxie en flammes est le troisième tome de la série « L’Hérésie d’Horus », posant les bases de l’univers flamboyant de Warhammer 40,000. Il est dû à un troisième auteur, Ben Counter prenant le relais de Dan Abnett et Graham McNeill, pour apporter – du moins j’en ai l’impression – un semblant de conclusion à une première étape du cycle. En effet, l’hérésie se manifeste ici bien plus qu’auparavant – dans le premier tome, c’était tout juste si l’on pouvait déceler chez le Maître de Guerre Horus une pointe d’arrogance dans les dernières pages, et, dans le second, si le personnage devenait beaucoup plus détestable, cela n’avait cependant pas encore grand-chose à voir avec les atrocités que ce salaud commet ici, d’autant que la soumission aux Puissances de la Ruine commence à y être timidement évoquée, qui transforme la rébellion déjà honteuse en hérésie à proprement parler…

 

C’est d’ailleurs à la fois l’atout et la limite de ce troisième volume : les manigances d’Horus y prennent des proportions apocalyptiques, génératrices de tableaux épiques qui font leur petit effet (takata-boum !), mais, dans un sens, cela va tellement loin que l’on a un peu de mal à y croire, outre que les camps des « gentils » et des « méchants » y sont plus limpides qu’auparavant…

 

Tout repose en effet sur le regroupement de quatre légions – du jamais vu – pour se lancer à l’assaut du monde séditieux d’Isstvan III. Mais c’est qu’Horus a une idée derrière la tête, bien au-delà de la simple reconquête d’un monde qui a basculé dans la sédition anti-impériale (pas la sienne, certes…). En effet, cet assaut cataclysmique sera surtout pour lui l’occasion d’une massive et effroyable « Nuit des Longs Couteaux » ; l’assaut permettra de faire le tri entre les Space Marines rénégats qui marchent dans les pas du Maître de Guerre, et les loyalistes qui gardent leur fidélité à l’Empereur sur Terra…

 

Parmi ces derniers, on retrouve bien sûr Loken, personnage central des deux premiers volumes, mais aussi son camarade Torgaddon ; ce sont les deux membres du Mournival qui s’étaient (un peu trop tard…) opposés à la guérison mystique d’Horus dans un temple de Davin ; face à eux, Abaddon et Aximand ont pris le parti du Maître de Guerre, et l’affrontement fraternel deviendra ici inéluctable.

 

Un autre membre de l’Astartes est à mentionner, et c’est Saul Tarvitz, des Emperor’s Children, qui accomplit ici des exploits d’un héroïsme aussi bluffant qu’improbable ; c’est à vrai dire probablement la figure la plus admirable dans toute cette histoire vibrant de fureur et de haine, riche en explosions et massacres…

 

Restent enfin les commémorateurs et autres civils – ceux qui ont survécu à la purge du deuxième volume… – rassemblés autour de la « Sainte » Euphrati Keeler, dont la gloire se répand dans la flotte depuis qu’elle a manifesté des pouvoirs mystiques semble-t-il en provenance directe de l’Empereur lui-même, dont le culte se diffuse progressivement – plus que jamais interdit, cependant, Horus y voyant désormais une opposition directe à son autorité. Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’une nouvelle purge soit engagée, parallèlement à celle, dantesque, que subissent les légionnaires de l’Astartes dans les combats traîtres d’Isstvan III…

 

La Galaxie en flammes résonne ainsi des accusations de traîtrise et de rébellion, dans tous les sens, chaque camp accusant l’autre, dans les termes les plus vifs, de sédition. Un brin de machiavélisme en prime dans les rangs des partisans d’Horus « justifie » les pires atrocités… et l’on se retrouve dès lors pris dans une intrigue bien plus manichéenne qu’auparavant. Loken, Tarvitz, Euphrati Keeler, etc., sont des héros unilatéraux ; en face, on ne trouve plus que de l’ordure, des brutes assoiffées de sang, d’Angron à Abaddon, des adeptes fanatiques du Chaos tel Erebus, ou encore de lamentables soldats frustrés dans leurs ambitions, qui entendent bien profiter du changement de donne pour gagner les galons qu’ils sont persuadés de mériter, à l’instar du pathétique Lucius, jadis proche camarade de Tarvitz, mais dont il figure désormais l’envers le plus sordide.

 

Plus takata-boum que jamais, ce troisième volume riche en explosions et bastons titanesques remplit son objectif de divertissement passablement brutal, en se montrant du coup moins « subtil » (oui, le terme est un peu fort…) que les deux précédents. Cela reste cependant une honnête bourrinade, qu’on lit sans déplaisir, voire avec une sorte de fascination perverse devant les avanies infligées par le Maître de Guerre aux « gentils » de l’histoire…

 

Suite des opérations : La Fuite de l’Eisenstein, de James Swallow.

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Accelerando, de Charles Stross

Publié le par Nébal

Accelerando, de Charles Stross

STROSS (Charles), Accelerando, [Accelerando], traduit de l’anglais par Jean Bonnefoy, [?], Piranha, coll. Incertains Futurs, [2005] 2015, 560 p.

 

Ma chronique se trouvera dans le prochain Bifrost

 

Mais, en attendant, vous pouvez déjà entendre Gérard Abdaloff en causer ici.

 

EDIT : La critique de Bifrost est en ligne, ici.

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Le Royaume de Lankhmar, de Fritz Leiber

Publié le par Nébal

Le Royaume de Lankhmar, de Fritz Leiber

LEIBER (Fritz), Le Royaume de Lankhmar, [The Swords of Lankhmar], traduit de l’américain par Jacques de Tersac, Paris, Temps Futurs – Pocket, coll. Science-fiction, [1968, 1982] 1987, 316 p.

 

Cinquième volume du « cycle des Épées », Le Royaume de Lankhmar est (relativement) le plus long, et c’en est par ailleurs, sauf erreur, le seul roman. Et peut-être est-ce tant mieux, car, autant le dire de suite, je n’ai pas été très convaincu, cette fois ; j’ai même un peu peiné à la lecture de cette aventure trop longue et plutôt ennuyeuse…

 

Pourtant, ça commençait plutôt bien. Au tout début, nous retrouvons (évidemment) Fafhrd et le Souricier Gris, mais ils sont cette fois bien vite aux ordres de Glipkerio Kistomerces, le dirigeant de Lankhmar (notons au passage que, s’il y a décidément beaucoup de Lankhmar dans Ankh-Morpork, Glipkerio Kistomerces, un peu couillon, est par contre aux antipodes du Patricien Vétérini, autrement charismatique). Et, comme souvent finalement, ils ne tardent pas à prendre une fois de plus la mer : ils ont en effet été chargés d’escorter une volumineuse cargaison de grain, occupant plusieurs bons navires, à destination du seigneur Movarl-des-Huit-Cités : les cargaisons précédentes ont en effet disparu corps et biens pour une raison inconnue…

 

Bien des suppositions sont faites quant aux raisons de ces disparitions – et l’on peut un temps suspecter l’activité de dragons, il y en a même un qui a été dressé par… un Allemand (ils sont partout). Mais la vraie raison est ailleurs, ce que l’on devine très tôt dans la mesure où, parmi les passagers de la petite flotte lankhmarienne, se trouve la belle Hisvet, accompagnée de sa servante Frix, et, surtout, de douze rats blancs étonnament intelligents, capables de bien des prouesses. Ce qui rappelle bien sûr la légende sur les treize rats à même de commander à tous les rats – légende qui se décline pour tous les animaux, treize chats, treize chiens, treize chevaux, etc. Des rats sur un bateau chargé de grain, de toute façon ? Oui, on se doute qu’Hisvet – fille d’Hisvin, le plus grand marchand de grain de Lankhmar… – a quelque rôle à jouer dans cette histoire.

 

Et, à terme, nos héros devront faire face à une tétanisante invasion de rats, bien destinés à prendre le pouvoir à Lankhmar, et bientôt dans le monde entier… Même si, d’ici là, Fafhrd et le Souricier Gris se seront une fois de plus séparé, seul le second – qui n’a jamais aussi bien porté son nom – se trouvant tout d’abord dans la métropole, en attendant le retour providentiel de son comparse barbare. Et, dans l’ombre, les deux doivent faire appel (ou bien est-ce l’inverse ?) à la magie de Sheelba et Ningauble…

 

On l’aura compris à la lecture de ce bref résumé : Le Royaume de Lankhmar, en dépit des nombreux drames causés par les rats aussi voraces qu’ambitieux, s’inscrit clairement dans le registre le plus léger, et même humoristique, du cycle. Au début, tout cela marche plutôt bien… mais l’histoire, hélas, se traîne en longueur, et j’ai fini par renâcler à la lecture de ce roman, comme jamais auparavant dans les nouvelles (parfois fort longues, pourtant) composant les quatre premiers volumes du « cycle des Épées ». À force de répétitions, en effet, le récit lasse ; et ce d’autant plus qu’il est assez largement prévisible. Si l’on s’amuse bien, au tout début, devant les avanies du Souricier Gris confronté à la bêtise politique de Glipkerio Kistomerces et à la fourberie menaçante des rats de Lankhmar, ça ne dure pas éternellement, et l’on en vient à tourner les pages dans une accumulation de soupirs…

 

Une dimension du roman m’a plus particulièrement ennuyé, et c’est la libido exacerbée de nos deux héros. Certes, cela n’a rien de neuf : Fafhrd et le Souricier Gris ont régulièrement été présentés comme des coureurs de jupons ; dans l’avant-propos du premier volume, Fritz Leiber lui-même expliquait l’importance relative du sexe dans son cycle riche de fantasmes, ce qui me paraissait probablement exagéré jusqu’à présent. Mais, ici, les minauderies d’Hisvet et de Frix m’ont vite ennuyé, la drague façon « gros lourds » de Fafhrd et du Souricier Gris plus encore ; et quand ce dernier s’en est allé chercher l’amour chez les rattes (inévitablement ?) et le premier chez les vampires transparents avec l’étonnante Kreeshkra, c’est la lassitude qui l’a emporté chez moi…

 

Il y a bien des bonnes choses malgré tout dans ce roman : la Plaie Ratière de Lankhmar offre quelques beaux tableaux cauchemardesques, et l’humour de l’ensemble, parfois, fait mouche. Mais pas assez souvent, sans doute… Et, au final, Le Royaume de Lankhmar m’a fait l’effet d’un roman médiocre, étirant plus que de raison une histoire assez quelconque, qui aurait peut-être pu, en concentré, livrer une nouvelle ou novella correcte, mais qui ne tient pas la route dans ce format sans doute guère approprié au cycle. Bon, tant pis…

 

Prochaine étape : La Magie des glaces.

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Warhammer 40,000

Publié le par Nébal

Warhammer 40,000

Warhammer 40,000, Games Workshop, 2014, 3 vol., [n.p.] + 127 p. + 208 p.

 

J’imagine que c’était fatal : quand je me suis lancé dans la série « L’Hérésie d’Horus » (voyez mon compte rendu sur L’Ascension d’Horus, où je causais de mon rapport aux jeux de Games Workshop), j’ai immédiatement ou presque été pris de l’envie de rejeter un œil au jeu Warhammer 40,000 – sans me faire trop d’illusions sur la possibilité d’y jouer effectivement (même si, peut-être, dans un centre Games Workshop… Bon, on verra).

 

À vrai dire, cela faisait de toute façon longtemps que j’avais envie de me relancer dans un wargame à figurines, ou du moins un jeu tactique. J’avais essayé vaguement X-Wing, mais sans être très convaincu (d’autant qu’il est abominablement cher, encore plus que Warhammer 40,000, et sans en avoir la beauté…). J’avais fureté ici ou là en quête d’autres jeux… Mais j’ai finalement jeté mon dévolu sur ce gros machin très populaire, dont j’ai toujours apprécié l’univers.

 

Même si celui-ci a pas mal changé depuis mes vieux souvenirs, j’en ai l’impression tout du moins : le Chaos est ici central, dans son opposition aux innombrables forces de l’Imperium de l’Humanité ; les extra-terrestres à proprement parler, les Xenos, à commencer par les Orks et les Eldars, mais aussi mes chouchous les Tyranides extra-galactiques, prennent beaucoup moins de place dans le background (je note par contre deux factions xenos dont je n’avais jamais entendu parler auparavant, les Nécrons et l’Empire Tau). Bon, pas bien grave, il y a de toute façon amplement de quoi faire… Et si je dois commencer à monter une armée (on verra, donc), il y a bien des chances pour que ce soit des Tyranides (j’ai vu qu’une boite de base les opposait aux Blood Angels…).

 

Cet ensemble de base sous forme de coffret comprend trois très beaux livres à couverture rigide. Le premier, Une galaxie en guerre, vise à présenter au mieux, et en long et en large, le « hobby » Warhammer 40,000, puisque telle est l’expression consacrée. On insiste en effet ici sur les trois dimensions de ce hobby : le jeu, certes, mais aussi la collection et la peinture (chose pour laquelle je n’ai jamais été doué, c’est rien de le dire… mais bon : là encore, on verra…). À bien des égards, il s’agit d’un outil promotionnel, mais remarquablement bien fait, et qui présente les différentes factions – avec des historiques – à grand renfort de somptueuses photographies de corps d’armée minutieusement peints. Ça en jette vraiment, et donne d’autant plus envie de se lancer dans la chose – même si, là encore, la peinture maison risque d’être moins convaincante…

 

Le deuxième livre, Dark Millenium – cette fois illustré par des dessins, non des photos –, présente le background du jeu, et est comme de juste tout à fait fascinant. Et fascisant, oui : à vrai dire, l’Empire humain de 10 000 ans est encore pire que ce que l’on pouvait croire, et on peut légitimement avoir du mal à considérer ses forces comme étant les « gentils » dans cet univers – même si le Chaos est probablement pire, et les Xenos pas vraiment meilleurs… Un vrai régal, en tout cas, qui introduit bien tout en donnant l’envie d’en savoir encore davantage – et donc de se précipiter sur les Codex

 

Le troisième livre, enfin – c’est le plus gros –, contient Les Règles du jeu, et est là encore abondamment et joliment illustré (photographies essentiellement). Il contient tout le nécessaire pour se lancer dans une partie, encore que de façon abstraite puisqu’il n’y a pas les caractéristiques des différentes figurines (se reporter pour cela aux différents Codex). Les règles de base sont – relativement à la complexité globale du jeu – assez simples et claires, même si certains points méritent sans doute qu’on s’y attarde. On note également un gros chapitre consacré aux différents types d’unités, et s’attardant notamment sur les différentes sortes de véhicules. La fin de l’ouvrage s’intéresse quant à elle aux nombreuses règles spéciales, qui font de chaque unité ou presque quelque chose de résolument unique. Il faut sans doute, avant de se lancer dans une partie, synthétiser tout cela et élaborer des fiches récapitulatives pour ses différentes unités, bien sûr ; mais l’essentiel est bien que l’on a envie de s’y mettre très vite, et de lancer ses figurines à la conquête de la galaxie…

 

Ce coffret warhammer 40,000 remplit donc parfaitement son objectif. Très beau, il fait sacrément envie, en sachant mettre en lumière tout ce qui fait la spécificité enthousiasmante de ce « hobby ». Je ne sais pas encore si je vais m’y mettre véritablement, mais je vais en tout cas en lire davantage. Prochaine étape, du coup : le Codex : Tyranides

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Onze Rêves de suie, de Manuela Draeger

Publié le par Nébal

Onze Rêves de suie, de Manuela Draeger

DRAEGER (Manuela), Onze Rêves de suie, [s.l.], Éditions de l’Olivier, 2010, 196 p.

 

Figure atypique du post-exotisme (pour ne pas dire énième avatar d’Antoine Volodine…), Manuela Draeger a longtemps livré des œuvres pour la jeunesse à l’École des Loisirs (et j’avoue être un peu curieux de ce que ça peut donner…). Onze Rêves de suie, cependant, est un roman « adulte », paru aux Éditions de l’Olivier. Et si ses « héros » sont pour l’essentiel des enfants, il n’a effectivement pas grand-chose à voir avec le cœur de cible habituel du pseudonyme – et de même pour ce qui est des contes le parsémant, d’ailleurs. À vrai dire, l’alias mis à part, on est bien ici en plein dans l’univers de Volodine, et ceux qui – comme moi – n’ont peu ou prou tâté du post-exotisme que via cette figure tutélaire (ma seule exception jusqu’ici était les Slogans de Maria Soudaïeva), ne seront pas dépaysés.

 

Nous sommes donc quelque part dans une Europe de l’Est fantasmée, naturellement post-soviétique – après la Première Union soviétique, mais aussi après la Deuxième, alors bon. Dans la grisaille des ghettos bétonnés, les pogroms à l’encontre des Ybürs sont encore assez fréquents. Nos héros sont des enfants, donc ; ou des adolescents, à la limite. Ils vivent dans un orphelinat, tassés les uns sur les autres, au milieu d’un bloc urbain borgne. Parmi leurs occupations fétiches – en-dehors de l’école imposée et pas toujours au mieux –, il y a les contes que leur narre la Mémé Holgolde, qui entend bien faire leur éducation prolétarienne au travers des histoires désabusées de l’éléphante Marta Ashkarot – qui erre inlassablement dans un monde quasi vidé de ses habitants hominidés. Et puis il y a la Bolcho Pride, interdite comme de juste – les autorités persécutent la doxa marxiste jusque dans ses épanchements les plus festifs, sachant bien qu’ils n’ont rien d’innocents –, mais à laquelle participent tous les enfants, chaque année, avec leurs costumes amoureusement préparés, à la mesure de leurs slogans.

 

Cette année, pourtant, la Bolcho Pride se passe mal ; à vrai dire, elle est même catastrophique… Les enfants ont en effet eu l’idée saugrenue de pénétrer dans un bâtiment interdit, bientôt dévoré par les flammes. Et ils n’en sortiront pas vivants. Cette incendie fatal a en même temps quelque chose d’une apothéose, ou d’une apocalypse peut-être (au sens originel de révélation) : les enfants, les victimes, en viennent à s’unir dans une entité collective, où les souvenirs de chacun sont revécus par tous, dans un état de conscience altéré. Et autant le dire de suite : à mon sens, le premier chapitre, à moins qu’il ne s’agisse de la première nouvelle, d’Onze Rêves de suie, fait partie des plus belles pages du post-exotisme (ou du moins de celles dont j’ai pu me régaler…).

 

Par la suite, on alterne ainsi ces souvenirs des enfants – souvent tragiques, et empruntant la voix d’Imayo Özbeg (primus inter pares ?) – et les contes de la Mémé Holgolde sur l’éléphante Marta Ashkarot. Ces contes sont pour le moins déstabilisants, de par leur côté contemplatif autant que désabusé notamment (ils ne ressemblent en rien à ce que l’on a pour habitude de qualifier de « contes »), teinté d’une sorte d’humour noir, à froid, évoquant là encore des paysages d’apocalypse (mais au sens plus moderne, cette fois, de fin d’un monde).

 

J’avoue cependant que ce sont bien les chapitres consacrés aux enfants et à leurs souvenirs qui m’ont le plus séduit dans Onze Rêves de suie, tant ils abondent en images fortes et personnages marquants en dépit de leur anonymat ou de leur banalité apparente. Ainsi, après avoir été exclus de l’école, de l’odyssée d’Imayo Özbeg et Rita Mirvrakis dans la longue rue interdite des Vincents-Sanchaise, en quête d’une tante inconnue et peut-être morte (si tant est qu’elle ait jamais existé), alors que la guerre frappe de nouveau sans prévenir, sous la forme de bombardements aléatoires.

 

Dans ces pages précieuses, la langue si poétique à sa manière d’Antoine Vo… pardon, de Manuela Draeger élabore de puissants tableaux riches en émotions et d’une plume sonore lorgnant vers la perfection, au-delà des contraintes formelles que l’on devine ici ou là – par exemple, des répétitions rythmant la narration d’une musicalité implacable.

 

Et c’est ainsi que l’on tourne les pages d’Onze Rêves de suie avec une délectation empreinte de fascination morbide, où l’espoir d’un monde plus juste, cet espoir porté par les enfants sur le point de disparaître dans les flammes, subsiste contre vents et marées, contre les diktats des puissants et la bêtise des miliciens ; espoir infime, presque systématiquement contredit par un sens de l’histoire qui n’a décidément pas grand-chose de marxiste et ne semble offrir pour consolation que le silence des tombes à venir, espoir qui reste là cependant. Contre le fil de la plume, ménageant le chaud et le froid. N’en déplaise à Marta Ashkarot ?

 

« — Bah, dit l’éléphante. C’est qu’une légende. Il n’y a plus personne dans la région depuis belle lurette. Plus de révolutionnaires, plus de résistantes héroïques, plus rien.

 

« — Sois pas défaitiste, dit Irina Wu. Autrefois, les défaitistes, on les collait au mur.

 

« — Il y a même plus de murs, fit remarquer l’éléphante.

 

« — Si c’est que ça, on les reconstruira, promit Irina Wu. »

 

Un livre aussi étonnant que beau, donc. Profondément touchant dans son authentique poésie, générateur d’images fortes, tantôt déprimant, tantôt enthousiasmant, toujours juste. Manuela Draeger confirme ainsi son importance dans le courant du post-exotisme. Va falloir que je creuse tout ça…

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Tables rondes de la Necronomi'Con lyonnaise (4 et 5 juillet 2015)

Publié le par Nébal

Tables rondes de la Necronomi'Con lyonnaise (4 et 5 juillet 2015)

Les 4 et 5 juillet derniers, c’était la Necronomi’Con, à Lyon, première convention autour de Lovecraft en France, et c’était bien sympathique, ma foi.

 

ActuSF a mis en ligne les enregistrements des tables rondes qui y ont eu lieu, vous trouverez ça ici.

 

(Pour ma part, je suis intervenu dans les deux dernières, sur le jeu de rôle et le cinéma.)

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L'Île des morts, de Mosdi & Sorel

Publié le par Nébal

L'Île des morts, de Mosdi & Sorel

MOSDI & SOREL, L’Île des morts, Grenoble, Vents d’Ouest, coll. Les Intégrales, 2009, 240 p.

 

Oui, c’était bien là une bande dessinée que je comptais lire depuis pas mal de temps. Parce que j’aime bien le graphisme de Sorel (surtout perçu à travers les couvertures qu’il avait réalisés pendant un temps pour le collection « Lunes d’encre » de Denoël), et parce que j’avais entendu dire que son contenu était passablement lovecraftien, ce qui s’est vérifié à la lecture du Guide des comics lovecraftiens de Patrice Allart, quand bien même il ne mentionnait cette œuvre qu’en passant. Aussi, quand je suis tombé sur cette intégrale à bas coût lors de la Necronomi’Con, tiens tiens, je me suis dit qu’il était bien temps de m’y mettre.

 

Tout part de la fascinante série de tableaux intitulés L’Île des morts et peints par Arnold Böcklin entre 1880 et 1886 – une bonne idée eu égard à la thématique. On s’excite beaucoup autour de ces tableaux, la rêverie morbide originale étant bientôt entachée de suspicions plus noires et dangereuses – pour ne pas dire indicibles, of course –, ainsi qu’un jeune peintre français vient à le découvrir assez rapidement, lui qui se retrouve plongé dans une sombre et complexe cabale.

 

Et…

 

Le problème, c’est que je ne peux pas vous raconter la suite, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Car je n’y ai rien panné, mais alors rien du tout.

 

Enfin, pas tout à fait… Je peux bien témoigner, au minimum, du contenu lovecraftien de la chose, indéniable et affiché – ne serait-ce qu’au travers d’une session d’invocation de Grands Anciens, mentionnant Cthulhu et R’lyeh, mais sans doute plus encore, au-delà de ce passage très voyant, par ces sortes de goules au Père Lachaise et, essentielle, la tentative d’un vieux sorcier pour revenir du monde des morts via ses descendants, à la Joseph Curwen dans L’Affaire Charles Dexter Ward ; et puis, bien sûr, il y a cette ambiance globale, à base de cultistes déments et de livres interdits… Sous cet angle, donc, le contrat est rempli…

 

Mais ça ne change rien à l’essentiel, qui est que je n’y ai rien panné ou presque. Et, du coup, que je me suis horriblement ennuyé à la lecture de cette bande dessinée qui avait tout pour me plaire, mais s’est avérée terriblement décevante.

 

Le graphisme de Sorel est beau, indéniablement, et d’une singularité digne de bien des éloges. L’Île des morts séduit l’œil, et c’est déjà pas mal. Il n’en reste pas moins que la construction, la mise en page, rendent l’action un peu (et même plus qu’un peu) fouillie. Certes, en faisant quelques petits efforts et en ménageant son attention, cela ne devrait pas être insurmontable…

 

Le scénario de Mosdi, cependant, n’arrange rien à l’affaire. Car lui aussi m’a paru extrêmement confus. On passe sans cesse du coq à l’âne, comme si l’on était contraint d’obéir à la logique alambiquée des rêves. Ce qui serait certes tout à fait à propos… mais foire ici, à mon sens en tout cas, en témoignant plus d’une certaine maladresse que de tout autre chose. On se perd dans les protagonistes, et on doit perpétuellement s’y reprendre à deux fois pour comprendre qui dit quoi et fait quoi, sans garantie d’y parvenir. Mais peut-être ne puis-je parler ici qu’en mon nom propre, certes : Nébal est un con…

 

Il y a cependant une chose qui me paraît aller bien au-delà de ma petite personne et de mes défaillances !! Et c’est le texte ! Car… oui ! le texte use et abuse de points d’exclamation ! Ils sont presque systématiques ! Et c’est pénible… très pénible !! Et ça n’arrange rien ! La bande dessinée en est d’autant plus illisible !!

 

Et, accessoirement, tout cela m’a paru assez arrogant et prétentieux, sans en avoir les moyens…

 

Reste quoi, du coup ? Un artbook de Guillaume Sorel, dans un sens. Car, oui, c’est joli. Que le graphisme soit un peu confus, si on aborde L’Île des morts pour le seul plaisir des yeux, ça ne pose finalement plus de problème… Mais en tant que bande dessinée, ça n’a pas marché à mes yeux, la dimension narrative étant ratée. Je me suis ennuyé tout du long (enfin, quand je ne pestais pas sur les points d’exclamation !), et ce fut une bien triste déception…

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Les Faux Dieux, de Graham McNeill

Publié le par Nébal

Les Faux Dieux, de Graham McNeill

McNEILL (Graham), Les Faux Dieux, [False Gods], traduit de l’anglais par Julien Drouet, Nottingham, Black Library, coll. The Horus Heresy, [2006, 2008] 2014, 415 p.

 

Suite de la monumentale série « L’Hérésie d’Horus », située dans l’univers facho-bariolé de Warhammer 40,000 (et qui le fonde à bien des égards). Dans ce deuxième tome qu’est Les Faux Dieux, Graham McNeill poursuit sur les bases développées par son compère Dan Abnett dans L’Ascension d’Horus. Et si ce précédent volume tenait à bien des égards du prologue, avec un Horus bien loin de se vautrer dans l’hérésie jusqu’aux toutes dernières pages (où l’on voyait tout juste le Maître de Guerre rebaptiser ses Luna Wolves en Sons of Horus, vague présage de la suite), la donne change largement dans Les Faux Dieux, avec son assez joli climax en fin de volume, « à suivre… ».

 

Nous n’en sommes cependant pas encore là. En attendant cette grande révélation qui n’en est pas une et pour cause, Graham McNeill nous concocte un divertissement sympathique, reprenant pour l’essentiels les points de vue du premier tome. Le Space Marine Loken y joue donc un grand rôle, figure d’intégrité, de loyauté et, dans un sens, de pondération, qui tranche régulièrement sur la brutalité débile et beuglante de ses camarades de l’Astartes. Ceux-ci, en effet, ne cessent d’émettre d’éloquents témoignages de leur bêtise toute militaire, renforcée d’une bonne dose de puérilité… Loken est un peu plus fréquentable, même s’il se montre à l’occasion un peu couillon aussi. En tout cas, Loken flaire des choses qui ne lui plaisent guère, notamment en rapport avec la loge des Space Marines, sorte de Maçonnerie présageant du futur Culte Impérial, ou se compromettant dans une servilité à l’égard du Maître de Guerre Horus qui ne vaut guère mieux. Et il s’interroge notamment sur le rôle joué par le Word Bearer Erebus dans les événements en cours (je ne spoile rien, Erebus a écrit en gros « PUTAIN DE BATARD DE TRAÎTRE » sur son casque)…

 

Lesdits événements tiennent pour l’essentiel dans le retour de la Légion sur la planète Davin, précédemment visitée lors de la Grande Croisade. Ce devrait donc être en toute logique un monde fidèle à l’Imperium de l’Humanité, hein ? Ben non : parce que le gouverneur qu’avait laissé Horus sur place a trahi. C’est rien de le dire : Horus le prend mal, c’est une insulte personnelle tout autant qu’une critique éloquente de sa compétence et de ses choix… Alors Horus décide d’aller fritter la gueule au félon, réfugié sur la lune de Davin, et de le faire à la tête de sa Légion ; ce qui, oui, est d’une connerie monumentale… Et bien évidemment, tout cela tourne mal, et Horus est gravement blessé. Les médecins de la flotte n’arrivent pas forcément à grand-chose, la vie du primarque est menacée… et la Loge, sur les conseils moisis d’Erebus, succombe aux superstitions locales, en confiant le soin du Maître de Guerre à un étrange temple de Davin…

 

Horus lui-même, du coup – et à la différence de ce qui s’était produit dans le précédent tome –, est cette fois lui-même un personnage point de vue. Le Maître de Guerre, jusqu’alors une figure épique, aussi charismatique qu’admirable, se montre ici plus humain, affligé de doutes, commettant plus qu’à son tour des erreurs, résultant généralement de son arrogance et d’une sorte d’ambition frustrée, qui pourrait paraître étrange de la part d’un si puissant personnage, mais, comme disait l’autre, « le pouvoir absolu corrompt absolument »… On sait bien, donc, dès le départ, qu’Horus va faire une grosse boulette, et succomber aux murmures du Warp – on n’identifie pas encore les dieux du Chaos, même si un joli spécimen démoniaco-tentaculaire fait son apparition, combattu par la foi d’une commémoratrice…

 

Les commémorateurs, donc, sont le troisième point de vue essentiel des Faux Dieux. Et ces artistes et intellectuels – souvent imbus d’eux-mêmes, mais ils sont loin d’être les seuls dans ce cas – développent des politiques dépassant largement leur fonction, qu’il s’agisse de faire dans la Lectio Divinitatus, donc, ou dans la subversion poétique… On se doute que tout ne va pas très bien se passer pour eux.

 

On se doute de pas mal de choses, à vrai dire, à la lecture des Faux Dieux… mais, dans un sens, ça fait partie du plaisir. Et, par ailleurs, Graham McNeill parvient malgré tout à créer la surprise à l’occasion. Encore une fois, pour toutes ces raisons, le climax final est tout à fait convaincant.

 

Alors, certes, on y retrouve bon nombre de défauts déjà présents dans L’Ascension d’Horus ; ça ne brille pas exactement par le style, et la traduction est de toute évidence, euh, « critiquable »… Mais ça constitue bien, malgré tout, un divertissement tout à fait honorable, dans un très bel univers. Ma nostalgie takata-boum est pleinement comblée.

 

Suite : La Galaxie en flammes, de Ben Counter.

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Épées et sorciers, de Fritz Leiber

Publié le par Nébal

Épées et sorciers, de Fritz Leiber

LEIBER (Fritz), Épées et sorciers, [Swords Against Wizardry], traduit de l’américain par Jacques de Tersac, Paris, Temps Futurs – Pocket, coll. Science-fiction, [1968, 1982] 1986, 252 p.

 

« Cycle des épées », tome 4. L’occasion de retrouver ces aimables crapules de Fafhrd et le Souricier Gris pour de nouvelles aventures riches en hauts-faits héroïques et basses mesquineries. Épées et sorciers comprend quatre nouvelles, de taille très variable ; mais deux novellas dominent l’ensemble du recueil, la dernière en constituant à elle seule la moitié…

 

« Dans la tente de la sorcière », qui introduit brièvement le volume en quelques pages, n’a à vrai dire pas grand intérêt ; en fait, l’aventure du « Quai des Étoiles » y a déjà commencé, et il ne s’agit guère que d’une scène d’exposition tournant vite à la baston, au-delà d’une aimable satire de la superstition via la prophétie rimée de ladite sorcière, qui en impose nettement moins que Sheelba ou Ningauble.

 

Autant passer directement au « Quai des Étoiles », donc. Fafhrd et le Souricier Gris, interpellés par un message bienvenu promettant la découverte d’un trésor incomparable, se rendent, benêts qu’ils sont, dans les montagnes du Septentrion, peu ou prou la terre natale de Fafhrd, afin d’y escalader le Quai des Étoiles, montagne inaccessible et pétrie de légendes – on dit que c’est de là que les dieux ont lancé les étoiles dans le ciel, d’où son nom… Mais leur quête s’avère bientôt plus compliquée qu’une simple partie d’alpinisme… car ils ne sont pas les seuls à avoir été opportunément avertis de l’existence d’un butin à rafler. C’est ainsi dans une véritable course au trésor que se lancent tous ces personnages, une course sans foi ni loi, où tous les moyens sont bons pour l’emporter. Et, sans surprise, il pourrait bien se cacher un étrange dessein imprévu dans cette quête… car la montagne est habitée, et l’on compte bien réclamer quelque chose à nos héros avant qu’ils accèdent au sommet ; une chose dont ils pourraient volontiers se départir, d’ailleurs, mais il y a plusieurs méthodes pour la récupérer…

 

La novella, à mon sens, vaut surtout pour son ambiance assez délicieuse, notamment lors de l’arrivée de Fafhrd et du Souricier Gris au pied des montagnes, et dans les séquences de pur alpinisme, étrangement, qui sont très bien rendues. La rencontre avec les habitants du Quai aurait tout pour être savoureuse, elle l’est à certains égards, mais, se montrant nettement moins subtile – c’est rien de le dire –, elle m’a un peu moins convaincu… Cela reste cela dit une bonne novella du « cycle des épées ».

 

Côté saveur, j’ai tout de même nettement préféré la nouvelle de transition « Les Deux Voleurs de Lankhmar », où l’on retrouve temporairement la cité emblématique, et qui s’inscrit nettement dans la veine la plus humoristique du cycle. Fafhrd et le Souricier Gris, qui tendent à nouveau à se séparer, y cherchent des receleurs pour leur butin du Quai, et, comme de juste, se font pigeonner, « les deux voleurs de Lankhmar » n’étant bien évidemment pas ceux que l’on pourrait naïvement croire. Car nos héros, décidément, tendent à perdre tous leurs moyens devant un joli jupon à froisser… Amusant et très sympathique.

 

Le gros morceau, néanmoins, et qui fait le principal intérêt de ce quatrième tome, c’est « Les Seigneurs de Quarmall ». Une partie de cette novella avait été écrite en 1936, à l’origine, par Harry Otto Fischer ; et, des années plus tard, Fritz Leiber a construit tout un récit de Fafhrd et du Souricier Gris pour achever ce qui avait été laissé en plan, avec la bénédiction du premier auteur. Et cela donne un récit parfaitement cohérent, qui s’intègre à merveille dans le cycle. Quarmall tient du « donjon » tel qu’on l’envisagera ultérieurement dans les jeux de rôle de fantasy, et en premier lieu dans Donjons & Dragons. Cette forteresse est en effet essentiellement souterraine, riche en tunnels glauques et bourrés de pièges mortels. Il faut dire qu’elle est le théâtre d’un affrontement impitoyable entre ses seigneurs : le vieux maître Quarmal a en effet maille à partir avec ses deux fils, Hasjarl le brutal et Gwaay le taciturne, qui ne songent qu’à s’entretuer, afin qu’il n’en reste plus qu’un pour dominer le donjon. Mais dans les traditions – il y a des règles à respecter… Quoi qu’il en soit, ces différents membres d’une même famille sont entourés de sorciers passant leur temps à balancer des sortilèges sur le rival, et à protéger leur maître contre les tours de magie qui le visent. Mais Hasjarl recrute en outre Fafhrd pour se débarrasser de son encombrant de frère, tandis que Gwaay, comme de juste, porte son dévolu sur le Souricier Gris pour la même tâche (effet classique de la séparation des deux lascars ; dans un sens, c’est une reprise en plus brutale et violente de leur relation à Sheelba et Ningauble…). Et, accessoirement, nous sommes dans le « cycle des épées » : il y a donc en outre des jupons à froisser, qui viennent un peu tout compliquer…

 

« Les Seigneurs de Quarmall » est clairement une excellente novella, et Fritz Leiber a su achever le texte pour qu’il s’intègre au mieux dans son cycle ; je crois même que c’est – pour l’instant en tout cas – un de mes récits préférés de l’ensemble (mais probablement derrière « Jours maigres à Lankhmar », quand même). Aventure pleine d’astuces, riche en personnages hauts en couleurs mais malgré tout terriblement humains et en rebondissements imprévus, « Les Seigneurs de Quarmall » a un côté visionnaire, mais constitue aussi une jolie satire politique, tout en conservant une essentielle dimension de divertissement baroque ; on a rarement fait aussi bien, dans ce format, en matière d’heroic fantasy (ou sword’n’sorcery, comme vous voudrez).

 

Épées et sorciers constitue donc à nouveau une belle réussite, même si la longue dernière novella phagocyte un peu l’ensemble. Très chouette, globalement. Suite avec Le Royaume de Lankhmar

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La Nature des choses, de Lucrèce

Publié le par Nébal

La Nature des choses, de Lucrèce

LUCRÈCE, La Nature des choses, [De rerum natura], traduit [du latin] et présenté par Chantal Labre, Paris, Arléa, coll. Poche – Retour aux grands textes – Domaine latin, [1995] 2014, 312 p.

 

Lucrèce a pour lui de ne pas être grec (en ce moment, ça vaut mieux) ; mais il a surtout livré ce qui constitue à mon sens le plus grand joyau de la philosophie antique, avec son De rerum natura, fascinant poème philosophique, la principale – et presque la seule, à vrai dire – exposition des principes de la philosophie d’Épicure, loué à chaque livre comme le plus sage des hommes, qui a combattu les ténèbres et révélé la lumière à l’homme, en le délivrant notamment de la crainte de la mort. Ce qui n’est pas rien. Aussi, en dépit de son titre « physicien », renvoyant aux plus anciens des Présocratiques, La Nature des choses se révèle un exposé plus vaste, où la physique et la métaphysique débouchent sur l’éthique. Lucrèce, aussi, n’est peut-être pas un grand « créateur » (ou, du moins, on peut lui contester ce titre), lui qui expose avant tout Épicure, en remontant à ses influences antérieures tels Leucippe et Démocrite. Pourtant, La Nature des choses séduit et étonne de par la modernité de ses conceptions (atomistes et matérialistes), ce qui suffit déjà à en faire un livre unique en son genre ; mais si l’on y ajoute la forme poétique, toujours à la rescousse du fond, et qui transcende le texte en œuvre d’art aussi belle que profonde, on ne peut que s’avouer tétanisé devant l’incroyable habileté du texte, sa puissance phénoménale, sa subtilité, sa perfection même.

 

Je l’avais déjà lu, il y a de ça… longtemps. Et j’avais été conquis, déjà, par cette merveille. Un citoyen s’étant fait l’écho de cette nouvelle traduction, j’ai été pris de l’envie irrépressible de le lire à nouveau, avec un regard probablement plus mature (si, un peu, quand même). Et bien m’en a pris, puisque j’ai à nouveau été fasciné par la portée de ce classique.

 

Je crois me souvenir que Voltaire, cité dans la première édition que j’avais lue, disait de Lucrèce qu’il était grand poète mais piètre philosophe, ou quelque chose comme ça… Une histoire d’hôpital et de charité, ou de poutre et de paille. Car Lucrèce – à la différence de l’Arouet –, tout autant qu’un grand poète qui a fait suer des générations de latinistes (« Suave, mari magno… »), était bien un grand philosophe, aussi habile à la démonstration d’un système rigoureux qu’à son exposition lumineuse. Et son ouvrage, qui prend donc la forme d’un poème, dédié à l’ami Memmius, présente un système du monde unique en son genre, quand bien même il emprunte pour une bonne part à des doctrines plus anciennes. Le De rerum natura, seul en son genre, a traversé les siècles, ce qui est d’ailleurs un tantinet étonnant au vu de son contenu plus qu’à son tour blasphématoire…

 

Lucrèce part d’hypothèses foudroyantes, qui chamboulent tout ce que la philosophie antique – et notamment celle des « Physiciens » – prétendait. Un postulat essentiel affirme ainsi, dans un monde infini, l’infini de la matière, mais aussi l’existence du vide. Car seul le vide peut autoriser le mouvement des atomes. Deuxième intuition phénoménale, donc : la réalité est construite d’atomes, corpuscules infimes, aux formes diverses, dont on peut avoir une idée en observant les particules s’agitant dans un rai de soleil. Or il faut que ces atomes se meuvent, et la perception, notamment – d’une importance extrême aux yeux des épicuriens, car on ne peut se fonder que sur nos sens pour interpréter le réel –, résulte des mouvements des atomes qui se heurtent. Mais les atomes connaissent du coup un mouvement bien particulier, et fondamental dans la philosophie de Lucrèce : c’est la « déclinaison », le clinamen, qui génère les autres mouvements, et rend seul la vie possible. Et ce n’est pas la moindre merveille du De rerum natura que de placer ce clinamen au centre d’un système aux implications certes physiques et métaphysiques, mais aussi éthiques, cette déviation entraînant (au terme d’une démonstration que, je plaide coupable, je serais bien en peine de reproduire) la possibilité du libre-arbitre.

 

Ces considérations scientifiques étonnamment avancées décrivent effectivement La Nature des choses, avec un brio jamais constaté auparavant. Or c’est bien ici la nature le maître-mot. Et cette nature se passe des dieux. Lucrèce a beau faire quelques allusions ici ou là (à Vénus, notamment), il n’en reste pas moins que sa philosophie est agnostique, et tend vers l’athéisme. Nul besoin des dieux, ici, pour expliquer les phénomènes les plus étranges (ainsi les « météores » du dernier livre, qui sont tout autant les tremblements de terre, les éruptions volcaniques ou les épidémies – très fortes dernières pages, passablement abruptes, du poème philosophique, qui pour le coup ne manquent pas d’évoquer l’immense Thucydide – mon chouchou chez les Grecs) : ils trouvent tous leur raison d’être dans la nature, et donc dans le jeu incessant des atomes de matière à travers le vide.

 

L’ambition essentielle de Lucrèce – et donc à l’en croire de son maître à penser Épicure – est en effet de libérer l’homme de la peur et des superstitions qu’elle entraîne. Ce qui n’en fait pas pour autant un auteur « optimiste » (le dernier livre, notamment, est éloquent à cet égard) ; et il faut bien évidemment, en abordant le De rerum natura, se libérer des connotations improbables et stupides que des siècles de dénigrement et de mauvaise foi ont accolé à l’épicurisme : si le sage épicurien vit pour le plaisir, celui-ci, cette ataraxie, consiste en l’absence de douleur, et pas en un hédonisme sans frein (dommage ?).

 

Mais l’important, ici, est donc que les superstitions n’ont pas lieu d’être – et les dieux rentrent bien dans cette catégorie. La nature, observée par la science – par les sens, donc, mais il faut néanmoins faire attention aux « simulacres » et aux interprétations erronées de l’esprit –, explique tout, sans qu’il soit besoin de recourir à un plan déterminé, un « dessein intelligent » si j’ose dire. La nature progresse certes à tâtons, fait des erreurs, mais suscite d’elle-même à terme une harmonie dans l’évolution. Et, pour expliquer les phénomènes, bien loin de s’en tenir à une cause unique de l’ordre de la foi, Lucrèce recourt continuellement à des hypothèses multiples, scientifiques, et pas forcément exclusives les unes des autres – démontrant par là même que le recours à la superstition a quelque chose d’absurde.

 

La peur de l’homme génératrice de mythes se fonde essentiellement sur la terreur qu’il éprouve devant la mort. Lucrèce entend l’en libérer, en démontrant qu’il n’y a pas d’âme immortelle, et donc pas de jugement post-mortem conduisant le dévot dans un paradis et le méchant dans les enfers – pas plus qu’il n’y a de métempsycose, d’ailleurs. Cependant, la matière, pour être infinie dans l’univers, n’en est pas moins soumise aux cycles naturels de la vie et de la mort : oui, le corps – et l’âme avec – est amené à périr ; mais cette mort « rend » des atomes qui susciteront la vie ailleurs : harmonie de la nature, une fois de plus.

 

Aussi le sage épicurien, n’ayant plus à craindre le trépas et libéré des frissons que lui imposent les « météores », peut-il élaborer une éthique concrète, qui lui assurera, sinon le bonheur, du moins l’absence de douleur. Et c’est sans doute en cela que La Nature des choses dépasse toutes les œuvres antérieures de la philosophie antique (celles dont on a connaissance, du moins…) : il résulte de cette observation minutieuse de la nature un véritable système du monde, cohérent et rassurant en tant que tel.

 

La postérité de Lucrèce est énorme, bien sûr. Au fil des siècles, bien des penseurs se sont référés à cet ouvrage hors-normes (de manière parfois paradoxale : Chantal Labre évoque ainsi des philosophes très chrétiens, tels Bossuet ou Pascal, piochant çà et là dans le poème impie…). Sans doute les matérialistes des Lumières s’y sont-ils souvent référés, et ceux qui les ont suivi de même – et parfois des scientifiques plus que des philosophes (et peu importe que, dans le détail, certaines intuitions de l’auteur se soient avérées fausses : il faut bien évidemment remettre ici les choses dans leur contexte, il y a plus de 2000 ans de cela… et se prendre la baffe qui va avec).

 

Oui, La Nature des choses est une œuvre exceptionnelle, un livre rare et d’autant plus précieux, à vrai dire sans doute un des livres les plus importants de l’histoire des lettres. La philosophie y est aussi profonde que belle, aussi implacable que libératrice – et dès lors nécessaire.

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