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Articles avec #les creations de nebal tag

Trois pistes

Publié le par Nébal

Hop, voici donc trois ébauches de morceaux faites à l'arrache sur un tracker à la con, mais que j'aime bien quand même, avec le recul, et souhaite travailler un peu. Je les avais déjà diffusées il y a de cela quelque temps sur la page Facebook du blog, mais il me semble qu'il est bien temps de les rappatrier ici.

 

Comme d'habitude, tout retour est le bienvenu, y compris si c'est pour me jeter des cailloux.

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"J" (version originale)

Publié le par Nébal

J

 

 

Voici ma première nouvelle achevée. J'avais 17 ans, je crois... et ça se sent. En fait, malgré ses deux publications en son temps (d'abord dans une expo d'art, ensuite dans un fanzine), je doute que ce soit encore lisible aujourd'hui. Mais le thème continue de me parler, alors que j'ai presque deux fois l'âge que j'avais au moment de sa rédaction. Et, des fois, me prend l'envie de la réécrire... Je ne sais pas si ça en vaudrait le coup. Mais, en attendant, voici le texte original, tel quel. Oui, vous pouvez pouffer.

 

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                François était sur le point de s’assoupir quand la sonnerie de son fax le tira brusquement des limbes. Il se leva lentement, les yeux brouillés, pour retirer la feuille de la machine, et manqua de tomber en franchissant les longs cinq mètres qui l’en séparaient : il avait trop bu, comme d’habitude... Au prix d’un effort surhumain, il parvint malgré tout à son but, et lu le message : un simple J, c’était tout. Putain, le réveiller à minuit pour ça... François déchira la feuille, sans chercher à en déterminer sa provenance, et revint s’asseoir à son bureau, où l’attendait un pack de thé glacé. Il s’en servit un verre, et le but lentement. Sa gorge était dans un sale état, aussi la fraîcheur du breuvage lui fit bien mal, dans un premier temps, avant de lui donner la force nécessaire pour fuir Morphée et ses bras enjôleurs. Une cigarette suivit, et François s’affala dans son fauteuil, d’où il alluma sa chaîne hi-fi : le schuffle l’emmena sur l’un de ses morceaux favoris de Nine Inch Nails, Something I Can Never Have. Une belle oeuvre d’art, qui décrivait bien son attitude en cet instant. Depuis quelque jours, François se cantonnait dans un rôle de maniaco-dépressif et nihiliste à tendance suicidaire qui lui convenait à merveille.

            Il faut dire que, ces derniers jours, la vie du prometteur François Yanek ne lui avait réservé que trop peu de bonnes surprises. Il s’était fait plaqué, était atteint d’un méchant syndrome de la page blanche, et d’une envie terriblement rassurante mais ennuyeuse de ne rien faire, à l’exception de boire et de fumer. Cela faisait bien trois jours maintenant que François était un véritable zombie, ce que tant son corps que son amour propre avaient du mal à supporter. François avait désormais envie d’arrêter les conneries, tout de suite, là, maintenant, et de se remettre à bosser. Ses “nombreux” fans attendaient de lui un nouveau chef-d’oeuvre, et il ne pouvait pas les décevoir.

            Il vira donc son écran de veille d’un vif coup de souris, et se retrouva devant cette satanée page blanche, le seul spectacle que lui prodiguait son logiciel de traitement de texte depuis des lustres.

            Bon.

            Et maintenant ?

            L’inspiration ne venait décidément pas.

            François se leva à nouveau, retira le CD, en mit un autre (toujours ce vieux Trent), et monta le son : tant pis pour les voisins, pour un artiste tel que lui, faut ce qu’il faut, et la méthode “Poppy Z. Brite” lui avait été profitable dans le temps. Lui, un artiste. Ca le faisait doucement rigoler, désormais. Oh, le jeune François dont les maisons d’édition s’étaient arraché le premier opuscule, lui ne rechignait pas à se flatter d’être un artiste. Mais l’épave qu’il était désormais se rendait bien compte de la futilité de cette dénomination.

            François n’était ni Rimbaud, ni Burroughs : il ne se défonçait pas la gueule pour produire de l’art, ça n’avait jamais donné de bons résultats avec lui. Non, c’était une fin en soi, un moyen comme un autre de s’occuper, de se la péter, aussi : certaines jeunes filles crédules chaviraient sous le regard terne d’un cadavre ambulant en quête des Paradis Artificiels. Il le savait, il en avait profité. La principale différence, déjà, c’est que Rimbaud et Burroughs se défonçaient avec classe. Lui, ses maigres ressources le poussaient à chercher l’inspiration dans les packs de kro, ce qui déjà le faisait nettement moins.

            François n’avait aucun talent, il le savait désormais. Et le succès de son Baron ne tenait qu’au fait que cette navrante resucée de Dracula était sortie en même temps que le film de Coppola, et à sa mince atmosphère imprégnée de vaudou. Le public était énorme pour de telles conneries. Baron était même entré dans les best-sellers, aux côtés de Mary Higgins Clark et de Stephen King. Mais son éditeur l’avait endoffé, et François n’avait reçu que très peu des dividendes escomptés. Une vague période de grosse tête avait suivi cette “consécration”, pour tomber bien vite. Question de mode, sans doute...Dans son genre, il avait établi une sorte de record : passer en moins de six mois du statut d’espoir à celui de has-been.

            Page blanche, donc. Il s’agissait désormais de la remplir.

            François farfouilla un moment dans un pack de 24, et finit par trouver, au milieu de nombreux cadavres, une bière intacte. Il l’ouvrit, en but une bonne gorgée, et se lança. Enfin, essaya de se lancer...

            Oh, les idées ne lui manquaient pas forcément. Il avait toujours eu une imagination débordante, ainsi qu’un don certain pour recycler les vieux mythes de la littérature fantastique et gothique. Seulement, il lui fallait un déclic, ce qu’un autre que lui aurait pu se permettre d’appeler un éclair de génie. Le personnage du vampire l’avait toujours fasciné, et il maudissait Anne Rice d’avoir eu les mêmes idées que lui, mais vingt ans auparavant. Il avait une fâcheuse tendance à être inconsciemment un plagiaire. Mais que dire de plus sur les vampires. Anne Rice, Stephen King, Poppy Z. Brite, Tanith Lee, Richard Matheson, entre autres avaient déjà dit tout ce qui pouvait être dit au sujet du vampire, et avec un brio dont François se sentait incapable. Exit le vampire, donc.

            Alors quoi ? Goules, harpies, chimères, zombies, extra-terrestres, maniaques avec une tronçonneuse ? Tout ça ne l’intéressait pas vraiment. Il y avait bien là matière à écrire une belle merde qui fournirait de quoi survivre encore quelque temps, mais bon... Il commença malgré tout à écrire, se disant que le choix du monstre terrible se ferait au fur et à mesure, en fonction de l’ambiance qui se dégagerait de ses textes.

 

SANS TITRE

par François Yanek

 

            Hum... un début prometteur, ne put s’empêcher de penser François.

            Il resta pensif un moment, fixant l’écran de ses yeux fatigués, et jetant de temps en temps un coup d’oeil à sa bibliothèque, qui fourmillait de séries noires fantastiques et SF, ce que les critiques appellent poétiquement des “oeuvres alimentaires”. La pertinence du terme fit sourire François, mais d’un sourire empli de tristesse. Tout, dans sa maison, semblait lui rappeler qu’il était un raté. Il chassa vite cette pensée et se mit à pianoter.

 

La maison semblait entourée d’une aura malsaine. C’était une évidence pour Nancy, et elle en fit la remarque à Paul dès leur arrivée. Elle avait du mal à concevoir une vie de famille dans cet endroit lugubre et isolé au coeur d’une forêt perpétuellement embrumée... Paul, lui, était charmé.

 

            Ah Ah ! Alors, Baron a trouvé son successeur !

            Franchement, non.

           

            Fichier - Quitter - “Voulez-vous enregistrez les changements dans nouveau document.wps ?” - Non

           

            François éteignit son ordinateur, se crama une dernière clope en attendant la fin du CD, et alla se coucher. Une nuit qui promettait d’être sans rêves ni cauchemars : il n’avait même plus l’inspiration pour ça. Son inconscient était mort, un fantôme pitoyable au milieu du charnier de neurones qui constituait son cerveau avachi par la bière.

 

 

7 : 00

 

                Ce fut à nouveau le fax qui réveilla François. Cette nuit avait été bien courte, mais il avait l’habitude de ce train de vie, et n’eut pas trop de difficultés à se lever, même si une sérieuse gueule de bois lui taraudait le crâne. Il n’était donc guère frais et plutôt d’humeur maussade quand il prit la feuille et y vit un nouveau J , immense au milieu d’une feuille diaphane.

            Alors, de deux choses l’une : ou bien, un petit comique avait décidé de lui pourrir la vie, ou bien il avait un ange gardien désireux de faire de lui un honnête travailleur, un grand écrivain. Hélas pour François, il ne put avoir la réponse à cette question de suite, étant dans l’impossibilité de retrouver l’expéditeur du mystérieux message.

            J.

            François ne comprenait pas. Et il n’était guère en état d’y réfléchir. Pas avant un bon petit déjeuner, en tout cas.

           

            L’avantage de dormir tout habillé, c’est que l’on ne perd pas un temps fou le matin à choisir ses fringues de la journée, et c’est toujours ça de gagné. François n’eut qu’à enfiler une veste, et il était fin prêt à quitter son havre de paix et de débauche pour le monde de tous les jours, dans une quête mystique de croissants. Ainsi fit-il donc, d’autant plus qu’il était tenaillé par la faim, n’ayant rien mangé depuis deux jours (son état était trop lamentable n’aurait-ce été que pour passer une commande). Tout juste se passa-t’il un peu d’eau fraîche sur le visage, et il était parti.

            Son appartement était pas trop mal situé. Un cinéma à deux blocs, une supérette à un, un bureau de tabac et, surtout, “Marcel Marcel” juste en face.

            Marcel Marcel, était son boulanger. Des parents dotés d’un étrange sens de l’humour et d’un mépris total des sarcasmes qu’auraient à encourir leur fils étaient responsables de ce nom ridicule, que le boulanger avait accepté tant bien que mal, jusqu’à en faire une marque de fabrique. Il était bon, le pain de Marcel Marcel, et ses croissants étaient pas mal non plus. C’était sa femme Ginette qui tenait la caisse, comme si tous les noms ridicules issu du passé ouvrier parisien étaient faits pour s’entendre. La Ginette était l’archétype de la ménagère de (plus ou) moins de cinquante ans : elle parlait de la météo, était aimable avec tout le monde, mais n’aimait pas trop les Arabes, même si elle ne savait trop pourquoi. La Ginette était très fière d’avoir un exemplaire dédicacé de Baron, même si, bien sûr, elle ne l’avait jamais lu : trop de sexe, trop de sang, et trop peu de bons sentiments pour cette bonne femme bien élevée. Cela ne l’empêchait pas de dire à qui voulait bien l’entendre que François Yanek était le meilleur écrivain du monde en plus d’être son voisin, en tout cas le meilleur qu’elle connaissait (il aurait été plus juste de dire le seul).

            La joie de vivre de la Ginette était légendaire. Aussi François sursauta-t’il d’étonnement lorsqu’il vit le sourire de la caissière disparaître brusquement à son entrée dans le magasin. Quoi, il avait la braguette ouverte ? Non, ça devait être autre chose, sinon comment expliquer l’attitude de cette cliente, qui le fuyait comme un pestiféré et s’empressa de quitter le magasin, passant la porte telle un avion supersonique ? François décida de faire comme si rien n’était, comme à son habitude lorsqu’il ne comprenait pas quelque chose.

            -Bonjour, madame Ginette, vous allez bien ?

            -Oh... Oui, monsieur Yanek... très bien... oui...

            Comment ? Par encore une seule remarque sur ce maudit temps qui se dégrade avec l’effet de serre et toutes les fusées qu’ils envoient dans l’atmosphère et si c’est pas malheureux tout çà mon bon monsieur ?

            -Euh... Deux croissants, SVP.

            Pendant qu’elle s’affairait dans son étalage, François osa un vague “sale temps, non ?”, et eut pour toute réponse un nerveux “les fusées... les fusées... euh... Je vous le met sur votre compte, monsieur Yanek.”.

            Alors qu’elle lui tendait la poche, une larme roula sur sa joue. “Excusez-moi”. Et elle se retourna, sortant un énorme mouchoir, dans lequel elle éclata en sanglots. François lui tapota sur l’épaule, tentant de la réconforter. Il n’était guère doué pour ça. Il lui demanda ce qui se passait, si il pouvait faire quelque chose, si elle avait perdu un être cher...

            -Non, monsieur Yanek, mais ça ne saurait tarder, hélas... Partez maintenant, je vous en prie, monsieur Yanek...

            Il partit sans lui tourner le dos, et s’empressa de retourner dans son appartement déguster ses croissants. Pour lui, l’incident était déjà clos : après tout, cela ne le concernait pas...

 

12 : 00

 

                Il n’avait rien pu écrire de la matinée. Il comatait purement et simplement devant son ordinateur quand son fax s’enclencha à nouveau.

            J.

            Encore une fois.

            François débrancha le fax et se prépara des pâtes.

 

            En mangeant son plat du pauvre (pâtes au sel, beuh...), François pensait à tout et à rien : à son chef-d’oeuvre en préparation (ou du moins à l’excuse bidon qu’il devrait sortir à son agent pour lui faire croire en l’existence du bijou en question), à la conjoncture économique, à Elfie, à la vanité d’être artiste, à Elfie...

            A Elfie...

            Et oui, il l’aimait encore, bien qu’en gros macho, il prétendait ne pas croire en l’amour, vanité inventée par l’homme, et surtout par les religieux, pour légitimer la sexualité, trop animale, trop sale en elle-même pour être admirable et saine selon les critères de la morale. Enfin, macho n’est peut-être pas le mot. François avait un profond respect des femmes, et n’avait rien d’une brute misogyne. Mais c’était une image qu’on lui avait souvent attribuée. Image grotesque. François ne faisait pas que respecter les femmes, il les aimait, mieux, il les admirait. Il aurait aimé être une femme. Non pas qu’il eut été homosexuel. Non. La vérité était qu’il détestait les hommes pour leur violence, leur brutalité, leur vulgarité, leur laideur, leur football. Les femmes, elles, étaient belles, douces, délicates. Oui, il aurait aimé être une femme. Mais une lesbienne. François se rendait parfaitement compte de la naïveté manichéenne de ce raisonnement, mais il n’arrivait pas à penser autrement.

            Elfie l’avait plaqué il y a trois jours, et François n’arrivait pas à s’y faire. Elle lui manquait terriblement. Elle était la femme de ses rêves. On dit toujours ça, bien sûr, mais là, cela semblait bien être la réalité : elle était belle et intelligente, cultivée, de bon goût, chaleureuse et tendre, décoincée sans être vulgaire pour autant, une militante de la cause des femmes et de bien d’autres, mais qui ne tombait pas dans les dérives d’un stupide féminisme à tout prix, extrémiste au point d’en devenir une autre forme de sexisme. Un rêve. Et les rêves sont les antithèses de cauchemars tels que François dans ses mauvaises passes, et la dialectique fonctionne peut-être en philosophie, mais pas dans la vie quotidienne. François était devenu insupportable aux yeux d’Elfie, un gamin capricieux, un fouteur de merde, et pire que tout, un égocentrique : or Elfie, qui portait bien son nom, était bien un de ces petits lutins affectueux et resplendissants qui ont besoin de tendresse, cette tendresse que la canette de bière ambulante qu’était devenu François ne pouvait plus lui prodiguer.

            Elfie avait joué un rôle décisif dans sa vie d’auteur. C’était elle, en juge impartial et parfaitement fiable, qui avait fini par le persuader que Baron était une vraie merde. Mais elle croyait en lui. Dans les lignes maladroites de son premier roman, elle avait trouvé un génie qui ne demandait qu’à se révéler, et elle encouragea donc François en ce sens. Elle ne jurait que par Houellebecq, Despentes, John King, Irvine Welsh... et François se sentait un nain face à ces géants. Il n’avait jamais cru en lui. Déjà, c’était un conseil d’ami qui l’avait poussé à contacter des éditeurs pour Baron. Sans lui, le manuscrit aurait fini à la poubelle, comme toutes les autres nouvelles qu’il écrivait lors des cours de philo, pendant que son prof s’extasiait sur Descartes et Bachelard. Une oeuvre très prolifique, mais à jamais perdue. François se dit qu’il aurait bien besoin de cours de philo.

            Mais pour l’heure, son con de prof, il s’en foutait. Il voulait appeler Elfie, lui dire qu’il avait changé, qu’il avait arrêté de boire (pieux mensonge), qu’il s’était remis à écrire, mais qu’il avait besoin d’elle, qu’elle était sa muse.

            Il n’avait jamais rien pu écrire quand ils vivaient ensemble. Et pourtant, François était très sincère lorsqu’il pensait cela.

            Alors il l’appela.

            “Bonjour ! Vous êtes bien chez Elfie ! Je ne suis pas là pour le moment, mais vous pouvez me laisser un message après le bip sonore sauf si vous êtes un trou du cul du nom de François Yanek, auquel cas je vous conseille le suicide. 3-2-1... BIIIP !

            Sympa.

            “Elfie, c’est François. Il faut qu...” CLIC.

            A peine avait il commencé à parler, à peine avait-elle eu le temps de reconnaître sa voix qu’elle avait raccroché. François avait des injures sexistes plein la tête.

            Inutile de rappeler.

            François s’alluma une clope, et se remit à écouter Nine Inch Nails. Hurt. Sans doute le morceau le plus déprimant, mais aussi le plus beau qu’il connaissait. Une merveilleuse ballade, fragile et délicate, et son final apocalyptique, ces trois notes de guitare saturée iconoclastes, et les ambiances oppressantes qui suivaient. Un chef-d’oeuvre. Le rêve de François avait toujours été d’écrire quelque chose qui serait de cette perfection, qui aurait cette force unique, quelque chose qui transporterait le lecteur loin, très loin de tout ce qu’il avait pu lire auparavant. Un rêve, encore un...

           

            François s’attela ensuite à son ordinateur. Non pas qu’il voulut soulager ses frustrations sur un quelconque “http://www.chiennenchaleur.com”, ce n’était pas vraiment son genre, et ce n’était pas pour une question de sexe qu’il avait appelé Elfie. Non, il voulait avant tout parler à quelqu’un. Thierry, par exemple. Cet agoraphobe forcené ne sortait jamais. Il faisait donc un confident parfait pour François, d’autant plus que ce Thierry était parfaitement au courant de ses problèmes étant lui-même un pseudo-écrivain en manque d’inspiration.

 

            François : Ya quelk1 ?

            Thierry : A ton service. 1 problM ?

            François : Besoin 2 parler.

            Thierry : Suis la pour ça.

            François : Reçois D fax avec D “J” dessus. C toi ?

            Thierry : Nan. Chui prolo. Pas 2 fax. C bizarre... Grave ?

            François : Pense pas. Elfie me manque.

            Thierry : Bourre-toi la gueule.

            François : Mauvaise réponse.

            Thierry : Dsolé. Pas envie parler 2 ça.

            François : OK. Te comprends.

            Thierry : Ca avance ton bouquin ?

            François : Yes. ID en Bton.

            Thierry : C quoi ?

 

            Même sur un écran d’ordinateur, un silence peut être éloquent.

 

            Thierry : T la ?

            Thierry : Youhou !

 

            François ne se sentait pas la force de mentir.

 

            François : Dsolé. Ai menti. Pas d’ID. Page blanche totale.

            Thierry : Navré. Même problème. Peut peut-être s’aiD mutuellemt ?

            François : OK. Veux Horreur. C quoi qui te terrifie le + ?

            Thierry : “Toute marche, irrésistible et mystérieuse, vers un destin”. Le grand HPL.

            François : C vague...

            Thierry : Nan. C riche. Nuance.

            François : Sinon ?

            Thierry : 1 zombie nécrophile qui tue D infirmières à chaque nuit 2 Walpurgis et se fait traquer par 1 exorciste bouddhiste non-violent ?

            François : Tu te fous 2 ma gueule ?

            Thierry : Ouais.

            François : S1pa. Tchao.

 

            “Toute marche, irrésistible et mystérieuse, vers un destin”. C’est vrai que c’est terrifiant. N’empêche, c’est vague. François se sentait pas beaucoup aidé. Il se dit qu’une histoire telle que celle du zombie nécrophile lui permettrait d’arrondir ses fins de moi, mais il était désormais, depuis Elfie, un auteur avec de l’amour-propre. Pas question de se salir. Son prochain ouvrage serait son chef-d’oeuvre.

 

15 : 00

 

                Rien. Il n’avait strictement rien fait depuis sa conversation avec Thierry. Encore cette foutue page blanche, qu’il avait rempli par provocation avec la phrase de Lovecraft. Mais l’inspiration ne venait toujours pas. Alors François enfila sa veste en cuir, et sortit faire une promenade du côté du Champ de Mars. Auparavant, celle-ci était quotidienne, mais cela faisait un petit moment que François n’était pas sorti de chez lui, un bon mois sûrement.

            Le parc était ravagé par la tempête. François se souvint qu’au lendemain de celle-ci, le spectacle était tout bonnement apocalyptique. Jamais le parc n’avait été aussi beau selon les critères de François : la Tour Eiffel, grande idole industrielle, au milieu d’un champ de ruines végétal. La scène avait quelque chose de surréaliste, de visionnaire aussi : à quoi pourra bien ressembler Paris dans cinquante ans ? François avait toujours été pessimiste, et ce n’était pas près de changer.

            Des touristes partout, venus admirer la grande dame de fer. François était toujours étonné par la vérité de certains clichés les concernant : les provinciaux ébahis, les Japonnais, d’une rigidité militaire, qui photographient tout, les Américains en pays conquis...

            Les Américains étaient les pires. Et François était mort de rire en matant un couple et leur gosse, des bons rednecks du fin fond de l’Alabama, venus à Paris principalement pour visiter Eurodisney, dont ils revenaient à coup sûr : une vraie caricature. Imaginez-vous un peu le gamin avec sa salopette, son sac-banane et son chapeau Mickey (bon, c’est un gamin, on l’excuse), la mère, obèse, avec une odieuse chemise à fleur et un bob et un pantalon moulant (Beuh...), mais surtout, le père : l’archétype du buveur de bière, avec sa chemise à carreau ouverture sur un marcel taché, et rendu encore plus ridicule par sa stupide casquette Dingo (celle avec les grandes oreilles). C’était monstrueusement risible. Mais François déchanta quand il entendit de quoi retournait leur conversation, quand il entendit le gamin dire à sa mère d’une petite voix flûtée à l’accent nasillard : “Look mum, he’s got a J”.

            Le gamin pointait François du doigt.

            -Mummy ! See ! Look at that man, overthere ! He’s got a J. What does it mean, mum ?

            La mère ne répondit rien, mais le père le regarda d’un air mauvais :

            -Shut up ! You mustn’t say when you see somebody who’s got a J. It’s very bad.

            -But...

            -We go now...

            Mais le gamin, têtu comme le sont les gamins en général, surtout quand on ne leur fournit aucune explication, n’avait pas dit son dernier mot. Et, alors qu’ils s’en allaient, il continua de fixer François de ses petits yeux rieurs, et se mit à chantonner “He’s got a J ! He’s got a J !” sur un air de comptine, jusqu’à ce que son père lui foute une baffe, qui le fit éclater en sanglots.

 

            Putain.

            PUTAIN !!!

            CA VEUT DIRE QUOI, “J” ? CA VEUT DIRE QUOI ? QU’EST-CE QUI M’ARRIVE ?

 

18 : 00

 

                Le retour fut particulièrement éprouvant. François se sentait épié, le regard de la foule parisienne pesait de tout son poids sur son dos fragile. Il ne s’en était pas rendu compte auparavant, mais désormais cela lui crevait les yeux : depuis ce matin, les gens étaient bizarre. Du moins, quand ils entraient en contact avec lui. La boulangère, ce matin, les touristes... le monde entier, oui ! Et ce J. Qu’est-ce qu’il pouvait bien signifier ? Pourquoi revenait-il sans cesse depuis ce matin ? François avait l’impression d’être dans un de ses écrits. Un des plus mauvais.

            Il rasa les murs, fuyant la masse et son jugement, allait dans les ruelles les plus sombres, dans les nombreux déserts de Paris. Il fit des détours, nombreux, pour fuir, et pour tenter de trouver une explication rationnelle à ce J, mais non, rien. Il n’y arrivait pas. Il hurlait intérieurement, littéralement, son affolement était indescriptible. Il avait toujours eu une vie tranquille, sans surprise. Et avait toujours souhaité que cela change. C’est toujours mauvais, un souhait, quand ça se réalise...

            Il avait beaucoup marché. Il était à peu près dix-huit heures quand il arriva à son appartement. Essoufflé par son excursion (il avait plusieurs fois couru, se sentant inexplicablement menacé par la foule), il gravit lentement l’escalier, et faillit hurler quand il arriva sur le palier.

            Trois hommes. Ils étaient là, devant sa porte. Ils l’attendaient, de toute évidence. Un grand blond, à l’allure de top-model, avec un sourire ultra-brite, du genre de ceux qu’on ne croit possible que dans les publicités et les sitcoms, vêtu d’un smoking qui détonait sur le papier-peint pourri de l’immeuble. Avec un noeud-papillon (Il y a encore des gens pour en porter ?). A ses côtés, un petit vieux décrépi avec des lunettes, vêtu lui d’une tenue beaucoup plus traditionnelle, costume de ville classique du cadre sup classique. Et comme tel, il regardait sa montre en permanence. “Il est dix-huit heures, monsieur”, dit-il à Ultra-Brite, lequel ne répondit que par un sourire encore plus large. Le troisième type était différent. Grand, baraqué, un imperméable. Froid. Le genre de type dont on ne sait rien à première vue, si ce n’est que, quand on le cherche, on le trouve. “Il ne devrait plus tarder, maintenant”, dit Ultra-Brite. Aucun commentaire des deux autres.

            Ils n’avaient pas encore vu François, qui se replia dans un coin sombre. Pour une fois, il bénissait ce foutu concierge de n’avoir pas changé les lampes.

            Que faire ? Il n’allait pas rester ici toute la nuit. Fuir ? Pour aller où ! Et pourquoi, après tout ? Ces types-là étaient peut-être (étaient sûrement) des admirateurs, ou bien des représentants d’une maison d’édition intéressée par son travail. Allons ! Des types qui attendent sur le palier, il n’y a que dans les mauvais films qu’ils veulent du mal. François prit son courage à deux mains, et s’avança vers sa porte comme s’il n’y avait personne sur son chemin.

            A peine avait-il fait un pas qu’Ultra-Brite lui adressa un sourire inhumain :

            -Monsieur Yanek, enfin ! Nous vous attendions.

            Sans déconner ?

            -Vous désirez, monsieur... Monsieur ?

            -Vous offrir un verre.

            Le salaud n’avait pas voulu dire son nom, comme s’il cherchait volontairement à plonger un peu plus François dans la psychose.

            -C’est à dire que...

            -Vous n’allez pas nous faire l’affront de refuser, j’espère ? Oh, ne vous en faites pas, nous n’en aurons pas pour longtemps. Juste le temps de papoter en sirotant un demi...

            François se dit qu’il n’aurait guère été judicieux de refuser. Ainsi donc, il accompagna ses trois visiteurs dans un bar pas très éloigné, assez miteux, genre PMU. Il avait craint un moment qu’ils ne le forcent à monter dans une voiture, que ce soit un enlèvement. Mais il écarta bien vite cette idée stupide : il n’y avait de toute façon personne qui aurait payé une rançon pour lui. Non, voilà trois gars bien sympathiques qui m’offrent un verre, et c’est tout, se dit le François rationnel. Mais il serait faux de prétendre qu’il était rassuré pour autant. Il craignait d’un instant à l’autre que ces types lui disent qu’il avait un gros J de tatoué sur la gueule. Tiens, à propos, eux ne me regardent pas d’un air bizarre. Bof. J’ai du halluciner.

            Le type baraqué se prit un demi, le vieux un café, et Ultra-Brite un Martini, de même que François. Le patron était un vieux poivrot en phase terminale de sa cirrhose, et le lent fonctionnement de ses synapses entraîna un retard inopportun dans son servie, mais bon : les boissons arrivèrent, et elles n’étaient pas mauvaises.

            Jusque là, personne n’avait dit un mot. Ultra-Brite se contentait de sourire , le vieux regardait sa montre, et l’autre ne fit que chausser ses lunettes noires (à la tombée de la nuit, c’est malin, se dit François, qui détestait les types qui se façonnaient un style), puis resta bras croisés, tête baissée. A l’arrivée des consommations, ce fut, fort logiquement, Ultra-Brite qui attaqua la conversation :

            -Alors, monsieur Yanek...”. Il s’interrompit pour laper son Martini. “Parlez-nous de vous, monsieur Yanek, je vous en prie. Quand je parle affaires, j’aime savoir avec qui je traite.

            François se sentait chez le psychanalyste. Allongez-vous sur le divan, et parlez-moi de votre enfance... Ce qu’il fit, pensant lasser bien vite Ultra-Brite, et l’amener sur un autre sujet. Peine perdue : celui-ci buvait ses paroles. Il en redemanda même, voulant des anecdotes croustillantes, sur les plus grands moments de la courte vie de François.

            -Et voilà..., dit ce dernier à la fin de son récit. Si vous me disiez ce que vous me voulez, maintenant ?

            Ultra-Brite s’apprêtait à répondre, mais le vieux le regarda d’un air furibond : “C’est pas encore l’heure !”.

            L’heure de quoi ? François détestait les emplois du temps, les vies chronométrées. Il avait une furieuse envie de se lever, au revoir messieurs et merci pour tout, et de rentrer dans son appart reprendre une vie normale selon ses critères très personnels de la normalité. Mais un coup d’oeil en direction du grand gars l’en dissuada. Plus la soirée avançait, plus le Martini lui dégommait les neurones, et plus François se mettait à voir en lui un Terminator.

 

20 : 00

 

                Les consommations s’enchaînaient, alors qu’Ultra-Brite ne cessait d’en demander plus à François, dont le discours devenait de plus en plus incohérent. Son interlocuteur nageait maintenant au tréfonds de son inconscient, et François lâchait tout : Elfie, les artistes, Baron, Nine Inch Nails, son sentiment d’être un parasite... Le sourire d’Ultra-Brite s’amenuisait au fur et à mesure pour se changer en un air de sollicitude. Il devenait un confident, un ami sûr.

            Au cinquième Martini, François s’arrêta enfin. Il n’avait aucune notion de l’heure qu’il pouvait bien être, et s’en foutait. Il avait fini par apprécier la compagnie d’Ultra-Brite, et ne prêtait plus aucune attention à ses taciturnes compagnons. Il y eut alors un blanc assez prolongé, de ceux qui traduisent une gêne profonde. Puis Ultra-Brite retrouva son sourire, et proposa d’un ton enjoué d’offrir le resto à François, lequel accepta sans y réfléchir. Le vieux paya les consommations, et ils s’en allèrent, prenant le métro jusque dans les quartiers rupins, où Ultra-Brite avait visiblement réservé une table dans un établissement de renom, du genre de ceux où François dînait couramment il y a un an, et qu’il ne pouvait plus se permettre, même exceptionnellement, dorénavant. La collation fut somptueuse, et François se demandait comment il avait pu faire pour vivre auparavant en mangeant ce qui semblait n’être que des déchets face à ces oeuvres d’art culinaires. Il y avait toujours un blanc, toutefois. Mais au bout d’un moment, quand vint le plat de résistance, le vieux leva les yeux de sa montre et fit un petit signe de la tête à Ultra-Brite, lequel prit la parole :

            -Monsieur Yanek, j’aimerais encore savoir certaines choses. Euh... êtes-vous croyant ?

            -Hein ?

            -Croyez-vous en Dieu, en Allah, où qui que ce soit ?

            -Ah... euh, je dirai non, à première vue. Je ne suis peut-être pas un athée véritable, mais disons que quand je m’adresse à un être supérieur, c’est que j’en ai vraiment besoin, et je ne colle jamais d’étiquette sur cet être, ou ces êtres, si ça se trouve. Mais ce n’est peut-être pas du déisme pour autant. La plupart du temps, j’ai tout de même tendance à nier toute existence divine, même si je n’en ferais pas un combat philosophique.

            -Ah... c’est intéressant. Oui, oui, oui. Et... croyez-vous au destin ?

            -Sans plus. Je dirai plutôt que je crois au hasard, à un enchaînement de circonstances qui nous définissent. Mais votre question m’étonne ; si je ne crois pas en Dieu, il me semble difficile de croire en même temps au destin...

            -Oui... oui, on peut voir ça comme ça, c’est vrai...

            -Enfin, des fois, bien sûr, comme tout le monde, je me laisse bercer par des illusions. Quand Baron est sorti, j’étais persuadé d’avoir une destinée extraordinaire, d’être voué à l’écriture et de devoir la révolutionner. Cette idée m’est bien vite sortie de la tête. Non, je conçois plutôt le destin comme un monstre, de ceux qui errent dans mes écrits : je n’y crois pas, mais ça me fait peur.

            -Pourquoi donc ?

            -Vous ne trouvez pas ça terrifiant de savoir que, quoi que vous fassiez, vous ne pouvez rien changer à votre avenir ? Le malheur des prophéties : à mon avis, Nostradamus, s’il croyait en ce qu’il écrivait, devait être sacrément perturbé et dépressif. Je me rappelle que, quand j’étais gamin, quand j’ai lu Oedipe Roi, j’en ai fait des cauchemars. Oui, Lovecraft avait raison...

            -Pardon ? Ah, oui. Je vois ce dont vous voulez parler : “Toute marche, irrésistible et mystérieuse, vers un destin”...

            -Tout à fait.

            -Alors, vous pensez que, même si la vie est faite d’un hasard certain, on peut en décider plus ou moins ?

            -Oui, si on réagit à temps. Si on voit les signes, si on les interprète correctement...

            -Pour quelqu’un qui ne croit pas en Dieu, je vous trouve bien mystique.

            -Ah ! Cela doit être mon côté auteur de fantastique. Je nage dans le mystique et le surnaturel en permanence, même si je n’y crois pas, et cela finit par déteindre sur mon attitude, sans doute...

            -A propos... vous écrivez, en ce moment ?

            -Oui, oui. J’ai plein d’idées, et ma prose est en constante amélioration.

            C’est à ce moment là que François se rendit compte que, pour une fois, le vieux s’était intéressé à la conversation : il avait émis un petit rire. François rougissait de son mensonge, et se rendait bien compte qu’Ultra-Brite non plus ne l’avait pas cru, même s’il ne le fit pas remarquer. François ne savait plus où il en était, il avait perdu le contrôle, et avait le désagréable sentiment de se contredire à tout bout de champ.

            Un blanc, à nouveau, qui se prolongea jusqu’à la fin du repas.

 

22 : 00

 

                Le vieux laissa de quoi payer le repas sur la table, et se leva sans dire un mot, bientôt suivi par Ultra-Brite, François et Terminator. Ils prirent à nouveau le métro, en sens inverse, et retournèrent au bar miteux d’auparavant, désormais presque désert, y prendre encore quelques verres. Aussi inconcevable que cela puisse sembler, l’état du tenancier semblait s’être aggravé entre temps. Mais François n’y prêta guère attention, il hallucinait bien depuis ce matin : sans doute son isolement prolongé avait-il fait naître en lui un sentiment d’agoraphobie qui l’avait rendu un brin parano. Un gros brin.

            -Rien de mieux qu’un bon digestif, déclara Ultra-Brite de son ton jovial qui n’exaspérait maintenant plus du tout François, lequel ne répondit pas pour autant : ce n’était pas une question, après tout...

            Chacun avait devant lui un Armagnac de plutôt bon tonneau, mais seul Ultra-Brite semblait réellement le déguster. François avait trop bu, la notion même de plaisir semblait complètement inconnue au Terminator, et le vieux était de plus en plus obsédé par sa montre. Ultra-Brite reprit la parole :

            -Moi, j’y crois, au destin. Et j’ai vu le votre, monsieur Yanek. C’est celui d’un grand.

            -Merci. Je n’y crois pas pour autant.

            -Oh, vous devriez ! Vous ne pouvez pas savoir la chance que vous avez, et je peux vous assurer que cette journée va changer votre vie du tout au tout : fini, les considérations bassement matérielles. Fini, les problèmes de sexualité. Fini, fini, fini.

               

23 : 59

 

                Ils sortirent tardivement, et se dirigèrent vers le logis de François. Il était bien bourré, maintenant, mais pas du genre à brailler des chansons obscènes. Il était plutôt morose, perdu. Le vieux était de plus en plus nerveux. Presque devant la porte de l’immeuble de François, il s’arrêta brusquement, et leva la main droite, doigts écartés, gardant les yeux fixés sur sa montre. Tout le cortège s’arrêta. Il abaissa un doigt, puis un deuxième, puis tous les autres, tel un métronome. En même temps, Terminator sortait un flingue d’une taille surréaliste de son imperméable.

            -H.

            Il tira sur François à bout portant.

 

24 : 00

 

                Le corps sans vie de François Yanek tomba mollement dans l’indifférence générale, alors que sa trinité de bourreaux s’en allaient, satisfaits, Ultra-Brite souriant de plus belle.   

 

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Quand Nébal faisait mumuse avec un tracker

Publié le par Nébal

Quand j’étais jeune et innocent, parallèlement aux divers groupes auxquels je participais en tant que bassiste, et par la suite également, je m’amusais à composer des trucs divers et variés sur un tracker tout con (c’était bien avant que je m’essaye à Cubase ou Reason ou que j’aie un clavier Midi…). La nostalgie s’est emparée de moi (une fois de plus), et j’ai eu l’idée saugrenue de faire écouter aux plus masochistes d’entre vous ce que ça pouvait donner. C’est d’un intérêt très variable, il y a du « sérieux » et du franchement débile, enfin, bref… Hop.

 

Blop : je crois que c’est le dernier morceau (inachevé, bien sûr) que j’ai fait sur le tracker ; ça se sent, je crois, et je continue de bien aimer ce trip hop.  

 

Breaking : juste un break, donc, je n’ai jamais réussi à construire un morceau autour, et l’ai toujours regretté…

 

Chic Freak : un morceau disco complètement stupide et d’un mauvais goût certain… mais c’est en le faisant que j’ai eu l’idée d’Esteem ; ça me fait toujours rire, mais j’ai un humour pathétique. Contient un sample de C’est arrivé près de chez vous.

 

 

 

City : un de mes premiers morceaux. C’est tout con, mais alors vraiment tout con, mais pas si pire, trouvé-je…

 

Damaged : ça aussi, c’est du vieux… Au départ, je crois que, saisi par la mégalomanie, j’ai voulu tenter de faire un truc à la Aphex Twin – c’est évidemment foireux. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’en fait je voulais faire du breakcore sans savoir que ça existait. La première partie est probablement à jeter, mais j’aime bien le dub mélancolique de la fin (même si la basse sonne comme une merde).

 

Esteem : une tentative de faire dans le metal indus mâtiné de dub. Je continue de bien aimer l’intro et le riff… Contient des samples de Daria.

 

Forever : un morceau electro-indus que j’avais écrit quand j’étais vraiment très déprimé… Je l’ai testé à plusieurs tempos, celui-ci est le moins pire, je pense. J’en ai sabré la voix pour épargner votre santé mentale. Contient un sample (très trafiqué…) de Fear Factory.

 

Forever (D-ve rmx) : le citoyen D-ve m’a donc fait l’honneur d’un remix métallique pour ce morceau ; la voix est restée, du coup…

 

Hymn : un morceau stupide, très big beat (et notamment Fatboy Slim, je suppose). Contient des samples de Daria et de Sacré Graal.

 

I Think I Need Some Help : une tentative de disco-punk de très mauvais goût, mais qui me faisait bien marrer. Contient des samples de Punish Yourself.

 

Indochine 2003 : tiens, y a la date, là, du coup… Un morceau idiot, « hommage » tant à Indochine qu’à John Carpenter.

 

Movie : je suis incapable de qualifier ce truc, mais il avait plu à certains ; je continue de bien aimer.

 

Nice Stoned Werewolf Surfing In The Clouds Of The Outer Space : particulièrement crétin, celui-ci. Contient des samples d’un film de loup-garou que je sais plus lequel c’est, ainsi que de Morrowind.

 

Not At All : une tentative de metal indus ; l’intro fait très Rammstein, je sais…

 

Schizophrenia : mon seul morceau de commande, pour un film du citoyen Captain Spaulding. J’aime bien la rythmique (voire la basse, des fois). Contient des samples de Massacre à la tronçonneuse… et de Bugs Bunny.

 

Sometimes : un de mes premiers morceaux, trip hop mélancolique tout bête.

 

Squeele : une intro industrielle. Contient un sample de Délivrance.

 

Test : une intro qui n’a débouché sur rien… Contient un sample du Rocky Horror Picture Show.

 

This Chainsaw Was Designed Especially For You : une berceuse, à l’évidence. Contient des samples de Massacre à la tronçonneuse.

  

Workinprogress : une tentative plus pop que d’habitude. Le refrain est à chier, le reste correct, je crois. J’aime bien l’accélération finale.

 

Allez-y, jetez-moi des cailloux.

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Black Mambo

Publié le par Nébal

 

 

Quand j'étais jeune et insouciant (j'étais à la fac, mais je ne sais plus en quelle année au juste), j'avais passé une annonce complètement débile pour tenter de monter un groupe (débile) plus ou moins dans la mouvance disco-punk. Un guitariste et une chanteuse avaient répondu (j'ai hélas oublié leurs noms...). L'expérience a vite pris l'eau, essentiellement par ma faute, et on a juste eu le temps d'enregistrer ça sur mon PC (le guitariste et votre serviteur).

 

Nostalgie...

 

Entre 17 et 25 ans en gros, j'avais aussi écrit pas mal de morceaux, dans des genres très variés, sur un tracker tout con. Je les ai toujours. S'il y en a parmi vous que ça intéresse (je n'y crois pas trop, mais bon...), je les chargerai peut-être un de ces jours.

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"L'Examen" dans "La Tête à l'Être", n° 6

Publié le par Nébal

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Hop, ma nouvelle « L’Examen » se trouve au sommaire de La Tête à l’Être n° 6, qui se télécharge librement ici.

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"Le Tunnel"

Publié le par Nébal

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Un vieux cauchemar...

 

Je ne sais pas ce que je faisais à P… Elle y était sans doute pour quelque chose. Elle était là, elle aussi, en tout cas. À gambader, insouciante, sur le bitume à moitié fondu de la Station. Souriante. Un air de bonheur inaltérable que je ne pouvais m’empêcher de trouver malsain.

Moi ? Je ne sais pas. Oh, ça devait aller, j’imagine. Après tout, elle était là. Pas pour moi, bien sûr, enfin… on se comprend. Pas grave : elle me motivait, d’une manière ou d’une autre. Oui, j’étais heureux, sans doute.

 

Couleurs magnifiques. Un ciel bleu pur, sphérique, infini, comme on n’en imagine qu’au cœur du désert. Soleil brillant, aveuglant. Et, tout autour de la Station, un vert étincelant, lumineux, rafraîchissant. La Station se trouvait au cœur d’une clairière de beaux arbres centenaires, noueux et vigoureux. Pas un souffle de vent. Pas un bruit.

Si, pourtant ; la Station. Une eau étrangement translucide suintait le long des poteaux métalliques. Il avait été impossible de fermer certains des robinets, qui gouttaient lentement. L’eau s’infiltrait partout, creusant le bitume. Un peu de rouille. Et ce bruissement incessant, comme le murmure d’une rivière.

Un tableau assez enchanteur. La Station ne me paraissait pas déplacée. Mais elle, non, elle n’était pas de cet avis ; elle faisait avec, cependant. Elle sautillait dans les flaques, comme une gamine ; d’autres fois, elle marchait le long de l’écoulement comme sur une poutre ; elle avançait sur la pointe de ses pieds nus, les bras tendus, avec une fausse maladresse qui ne faisait qu’ajouter à sa grâce.

Elle souriait.

De temps à autre, elle m’adressait un regard, qu’un autre que moi, plus habile, plus volontaire, aurait sans doute décrit comme « coquin ». Je me contenterai de « pétillant ». Ses yeux noirs limpides reflétaient les scintillements de l’eau. C’était comme un champ d’étoiles.

Je baissais les yeux.

Mains dans les poches. La tête dans les épaules. Je tanguais sur mes deux jambes, comme un gamin fautif.

Elle se mit à tourner autour de moi, d’un air niaisement inquisiteur ; puis, retrouvant son sourire : « On y va ? »

Où ça ? On est bien, ici. Comme ça. Non ?

D’un geste brutal, elle indiqua le sud. Bras tendu, doigt pointé, air décidé. Un éclat de lumière sur le vernis rouge sang de son ongle, qu’elle fait onduler à la manière d’un serpent que l’on charme.

Je regardais dans la direction qu’elle indiquait.

 

Il y avait ce tunnel. La lumière s’en extrayait violemment. Il avait la forme d’un prisme, quelque chose d’antique… d’égyptien, peut-être. Mais…

Il se trouvait au sommet du talus. Ce que j’avais d’abord envisagé comme une clairière, m’apparaissait désormais bien mieux comme étant un cratère, dont il semblait l’unique ouverture. On y accédait par une étrange roche poreuse, une sorte d’éponge parsemée d’alvéoles. Un peu comme un amoncellement visqueux de prises d’escalade.

Trois, quatre mètres, peut-être.

Elle s’en approcha. Je la regardais s’éloigner.

Elle se retourna d’un bond.

« Alors, tu viens ? »

Oui.

Je m’avance lentement. Elle commence déjà à gravir le talus. De l’eau s’écoule du tunnel, ruisselle sur la paroi. Une eau limpide. Etrangement. Ses mouvements sont précis, prudents et réfléchis. Elle atteint bien vite le tunnel. Elle s’assied sur le rebord, et balance lentement ses jambes. Je la regarde d’en bas. Elle :

« Alors, tu viens ? »

Oui.

J’ai envie de demander : « Pourquoi ? » Je me tais.

Je pose la main sur la paroi. Elle est poisseuse. Contact répugnant. Je retire ma main.

Elle pousse un soupir, que je ne peux m’empêcher de trouver méprisant. Et reste là, assise, à balancer ses jambes. Détourne les yeux. Promène son regard : la Station, les arbres, le ciel. Le soleil. Et se met à siffler.

Je la regarde. J’attends. Elle va peut-être redescendre ?

Non.

« Allez, viens ! »

Elle me sourit. Se relève. S’agenouille. Me tend la main. Ses lèvres marquent un pli, elle m’adresse un clignement d’œil.

Elle sourit.

Je pose la main sur la paroi. Un soupir. J’entame l’escalade.

Je ne cesse de glisser. L’eau, partout. Contact visqueux. Aucune prise solide. L’eau. Elle se déverse de plus en plus, je crois. Main droite, ici ; lever la jambe droite. Là, un appui. Oui.

« Un petit effort ! »

Oui, oui. J’arrive. Un petit effort. Un mètre. Rien, ou presque.

Allez.

« Bravo ! »

clapclapclapclapclap

Un sourire. « On y va ? »

Oui.

J’arrive enfin au sommet du talus. Me relève lentement. Je suis maladroit. Je tombe presque. Chancelle. Mes jambes me portent à peine.

 

Je regarde au fond du tunnel. Lumière blanche, aveuglante. Parois lisses et propres. Ocres.

Je me tourne vers elle ; je transpire un peu.

Un sourire. Elle pose sa main sur mon épaule.

« Là-bas. Tu verras. C’est super. »

« On y va ? »

Oui.

Elle passe devant. Un pied de chaque bord, les bras penchés en avant, comme pour saisir. L’eau s’écoule sous elle.

Je la suis lentement, collé contre la paroi.

Le tunnel est plus long que je ne le pensais. Nous marchons longtemps. Elle saute d’un trottoir à l’autre. Puis le tunnel se rétrécit. Nous avançons voûtés. Elle garde son sourire de gamine. De temps à autre, se retourne, et : « Ça va ? »

Ha-han.

Et elle reprend sa marche.

L’eau, toujours. Limpide. Ruisselante. Les parois amplifient le son.

Le tunnel se rétrécit.

Elle se met à quatre pattes. Avance. Je la suis.

L’eau. Le son.

Son sourire.

Elle avance et je la suis.

Le tunnel se rétrécit.

Encore.

Encore.

Encore.

 

Elle se met à ramper. Toujours, au loin, cette lumière aveuglante. Mais de plus en plus réduite à un halo, une auréole autour d’elle. Eclipse, couronne.

Elle sourit.

Je me mets à ramper. Devant moi, elle avance. Sourire. Je le sais. Je ne peux plus le voir, mais je le sais.

Sourire.

L’eau. Lumière blanche aveuglante, loin si loin trop loin.

Elle avance.

Plus de trottoirs. Nous rampons dans l’eau. Relever la tête, vite. L’eau baigne mes lèvres. Je me cogne la nuque contre la paroi. Poreuse. Visqueuse. Répugnante.

Elle avance.

Le tunnel se rétrécit.

Encore.

Encore.

La paroi. J’étouffe. J’étouffe.

Stop.

 

Elle s’arrête. L’eau ruisselle le long de son corps, le long de ses bras, de ses jambes. Et :

« De toute façon, il faut continuer. »

J’étouffe. J’étouffe. Écoute-moi ! J’ÉTOUFFE !

Mais pas un son ne sort de ma bouche.

La paroi s’effrite contre ma nuque. Coincé entre la roche et l’eau. Je ne peux plus avancer.

« Il faut avancer ! »

Je ne peux pas. Je ne peux pas.

« Tu sais, au point où on en est, on aura plus vite fait d’arriver au bout du tunnel que de s’en retourner. »

J’étouffe.

« De toute façon… »

Soupir.

« De toute façon, le tunnel est trop étroit pour que tu te retournes. Tu ne peux pas faire marche arrière. »

Elle sourit.

Me retourner. Impossible. Coincé entre la roche et l’eau. Alors… Oui, ramper à reculons ! Allez ! ALLEZ !

Non.

C’est impossible.

« Il faut avancer. Tu n’as pas le choix. Moi, en tout cas, j’avance. »

Elle reprend son chemin.

La suivre, oui. Avancer encore.

Encore.

Si elle peut le faire, pourquoi pas moi ? Avancer, oui.

Mais il y a l’eau. Et la paroi, ocre, qui s’effrite.

Je ne peux pas.

J’étouffe.

Elle est déjà loin devant. La lumière découpe sa silhouette, halo de blancheur. Nulle autre lumière dans le tunnel.

Il n’y a plus que l’eau, et la roche. Poussière. Visqueux. Répugnant.

Je ne peux plus respirer.

Et, au loin, sa voix :

« Tu ne peux pas faire marche arrière ! »

Non.

Un dernier souffle, hurler.

 

« Non. »

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"Fan" (première partie)

Publié le par Nébal

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La première partie d’une nouvelle de SF – mêlant space opera et pastiche d’Arthur C. Clarke – entamée en 2007… et jamais terminée. En voici donc environ le premier tiers, ou la moitié – difficile à dire… N’hésitez pas à me donner votre avis : est-ce que ça vaut le coup que je continue, ou bien je laisse tomber ?

 

Un chaos d’étoiles glacées faussement immobiles, impassibles devant l’intrusion incongrue de l’éclaireur du Centaure. Dans la perfection de ce vide au parfum d’éternité, le vaisseau tranchait par sa hideur toute fonctionnelle, vulgaire amas de tôle zébrée, sans grâce, impur. Humain.

À son bord, le lieutenant Soman ouvrit lentement les yeux, rassuré par le froid signal sonore de l’ordinateur de vol qui témoignait de la réussite du saut. Cela faisait bien longtemps maintenant qu’il effectuait ce genre de missions, et le voyage hyperspatial, porté par les nécessités du conflit, ne présentait alors plus guère de danger. Mais le brusque vacillement de la réalité, le transport instantané du point a au point b, dans un consternant flou visuel, n’en restait pas moins une expérience passablement étrange, à même d’ébranler les certitudes les mieux ancrées, et jamais le lieutenant Soman n’avait pu se départir de cette sensation de mort passagère qui accompagnait chaque saut. On ne lui demandait guère d’être au fait des subtilités de la théorie scientifique, et les savants pouvaient bien dire ce qu’ils voulaient, désigner ce phénomène par tel ou tel terme… « Trou de ver », « espace courbe », qu’est-ce que ça voulait dire ? S’agissait-il seulement de cela, d’ailleurs ? … Soman n’avait jamais fait preuve d’une grande rigueur pour appréhender ces phénomènes. Restait que l’on pouvait tout aussi bien parler de téléportation, à ce stade ; pour lui, il s’agissait bien de la désintégration soudaine de tout son être, dispersé dans le vide quelque part au-dessus du QG de Josaphat, pour se recomposer miraculeusement à plusieurs années-lumières de là, aux abords d’une quelconque exo-planète froide et stérile. Disparition anodine, puis génération spontanée. Enfin, ça y ressemblait, en tout cas, et c’était bien suffisant.

C’était déstabilisant. Un peu grisant aussi, un vague sentiment d’omnipotence. Et il en allait de même pour sa mission ici. Le lieutenant Soman, qui, aux environs du Centaure, n’était rien de plus qu’un soldat au milieu d’autres soldats, tout dévoué à la pérennité du groupe, se retrouvait maintenant investi de la fonction d’ambassadeur de la vie, au milieu de cette solitude glacée. En débarquant soudainement dans ce système, je vois ce que personne n’a vu avant moi. Et peut-être personne d’autre que moi ne le verra-t-il jamais. Comme si ce système avait été créé pour mes seuls yeux. Non, mieux encore : comme si c’était moi qui avais généré ce gracieux ballet de planétoïdes. Moi, Other Soman. Dieu.

Son estomac se dénouait progressivement. Esquisse de sourire. Il agita sa main droite dénuée de poids vers le tableau de bord, et pressa doucement l’écran de navigation. Le bip maladif du transfert hyperspatial s’interrompit, et la cabine se retrouva plongée dans le silence le plus total. Puis une carte tridimensionnelle du système apparut en crépitant sur l’holoproj, entre ses jambes. Une croix blanche figurait son éclaireur, à bonne distance de l’étoile double au centre de la représentation. Soman observa un moment la carte quasi immobile, puis entreprit de la faire pivoter. Il pouvait saisir n’importe quelle zone de la représentation à cet effet ; cependant, avec une puérilité jubilatoire, il pointa du doigt la géante gazeuse qui occupait le troisième rang depuis l’étoile double, et lui donna une légère impulsion vers la gauche ; le système holographique se mit alors à tourner lentement, comme une toupie fatiguée, et Soman retira son doigt, avant de l’agiter avec une emphase grotesque, à la manière de la baguette d’un chef d’orchestre. Je dirige la musique des sphères ! Et de fredonner un air populaire, aux accents patriotiques, et manquant quelque peu de dignité. Le Centaure éternel, plus vite et plus loin, tada-da-dam…

Sourire, soupir.

« Bon, au boulot. »

Il activa la commande vocale en pressant un bouton vert sur sa gauche.

« Destination. »

Le mouvement de la carte s’inversa, l’angle de vue se modifia, avec un léger zoom. Puis un point bleu apparut à l’extrême limite du système, à l’emplacement d’une planète naine, d’une taille comparable à celle de Cérès. Un trait bleu pointa le corps astral, et indiqua sa dénomination, telle qu’elle figurait dans les archives des astronomes de Josaphat : 2604JHF72. Ils avaient toujours manqué de poésie. À leur décharge, il fallait cependant reconnaître que les planétoïdes qui faisaient l’objet de leurs recherches étaient assez nombreux pour subjuguer l’imagination la plus fertile. Cela faisait bien longtemps que les anciennes mythologies terriennes avaient été épuisées, et il fallait trouver d’autres désignations. Aussi, depuis une vingtaine d’années, les Autorités du Centaure avaient-elles décrété que tout nouveau planétoïde serait baptisé par l’officier chargé de l’installation de la Porte. Le volumineux index des corps astraux, constamment mis à jour, pouvait être consulté dans les banques de données de l’éclaireur, afin d’éviter les redondances. Et une commission de censure veillait pour supprimer les désignations trop fantaisistes, devenues moins fréquentes avec la multiplication des sanctions disciplinaires.

Il était d’usage, pour le « découvreur », d’enregistrer un bref discours de baptême qui figurerait dans les archives centrales de l’Académie centaurienne. Il était à vrai dire peu probable que quiconque prenne un jour la peine de l’écouter ; même pas la commission de censure, qui ne jugeait que le nom, et ne perdait son temps à décrypter le message qu’en cas de doute sérieux sur les intentions du pilote (mais peut-être qu’un historien ou un sociologue, un jour…). Quoi qu’il en soit, les Autorités approuvaient cette pratique, suggérée par les psychologues de l’armée, et qui donnait aux lieutenants de la flotte un vague sentiment de puissance, l’impression un peu mesquine de rentrer dans l’histoire ; en fait, plus prosaïquement, une raison de continuer le combat.

Soman prit les commandes et conduisit son vaisseau en orbite autour de la planète naine, ce qui ne prit que quelques minutes. Il y jeta à peine un coup d’œil : corpuscule insignifiant, à la surface bleu-cendré désolée, constellée de cratères. La routine. Il savait de toute façon déjà comment il allait l’appeler ; peu importait, dès lors, qu’elle fût géante ou minuscule, gazeuse ou solide, rouge ou mauve ou verte à pois jaunes… Une brève consultation de l’index lui confirma que ce nom n’avait pas déjà été attribué.

Il s’éclaircit la voix.

« Enregistrement de l’acte de baptême. »

Un point rouge clignotant apparut à l’intérieur de son casque-écran, suivi de la représentation de son souffle sous forme d’ondes. Il attendit un instant, puis :

« Other Soman, lieutenant de la flotte centaurienne, pilote de l’éclaireur J02-15, né sur Morus, le 53/10/57 C.Col. (23 décembre 2577 C.T.). Fils unique de Bo Soman et de Ther Soman, née Vinal, tous deux officiers de la flotte. Par et pour Dieu, le Système du Centaure et les Autorités. À tous ceux qui pourront écouter ce message, salut. »

Pfff… Pause, inspiration.

« Nous sommes… le 25 mai 2605 C.T., et les Autorités m’ont chargé d’installer une Porte sur le planétoïde 2604JHF72, découvert par la station d’observation Horizon en orbite autour de Josaphat, capitale actuelle du Système du Centaure. En application du décret… euh… C.S.2582-322, article 1-1-4, il m’incombe de baptiser cette planète naine du système Victoire. »

Nouvelle pause. Bon, bon, bon.

« C’est… c’est un honneur rare, une charge importante et belle, et j’entends bien procéder avec tout le sérieux nécessaire. Subjugué par la beauté de cet astre (mon cul) qui ne manquera pas d’être utile à l’effort militaire du Centaure (mon cul), j’ai spontanément (mon cul) décidé de lui donner le plus beau des noms : Fan. »

Il épela : « F-A-N ».

« En hommage à la sublime, la divine, la terriblement bien foutue Fan Komiter, qui a bien voulu prendre le nom de Soman le 13 mai dernier, à la chapelle Notre-Dame-de-la-Conquête, sur Morus. À toi, ma belle. Je t’offre une planète. »

Il conclut l’enregistrement sur un gros baiser mouillé.

« Fin de l’enregistrement. Relire. »

Mouais. Bon, ben, on va faire avec, hein. Je suis désolé, ma douce, je t’aurais bien volontiers attribué un sublime joyau, avec de l’eau à l’état liquide dessus tant qu’on y est, mais c’est toi qui as insisté pour que je donne ton nom à la première caillasse sur laquelle je serais chargé de poser une Porte. Alors, moi, je veux bien, hein… Mais je crois franchement que t’aurais pu tomber sur quelque chose de mieux que cette petite merde.

Il hésita, ayant un peu envie de reprendre l’enregistrement, et de baptiser la planète, je sais pas, moi, « Vengeance Bleue », ou tout autre connerie patriotique sans âme que l’on pond d’habitude en semblable circonstance. Mais non, ça ne se faisait pas. Elle savait, de toute façon. Et puis elle était capable de demander une preuve dès ce soir. Soman sourit en anticipant le simulacre de honte de sa jeune épouse, s’entendant qualifier dans ce message officiel de « terriblement bien foutue ». Sa moue de gamine outrée, ses beaux yeux bruns faussement furibonds, et puis son grand sourire éclatant quand elle se jetterait dans ses bras. Tu as de la chance, lieutenant, tu sais, ça ? Un peu mon n’veu.

Il se tourna à nouveau vers la planète.

Vers Fan.

Ce joli nom n’était décidément rien d’autre. Il ne suffisait pas à faire de l’astre minuscule une beauté, quelque chose d’utile, ou tout simplement de respectable. Ce n’était jamais qu’un vulgaire caillou bleuté, vérolé, d’un intérêt stratégique pour le moins limité a priori.

Mais les Autorités n’étaient pas de cet avis, obnubilées qu’elles étaient par l’imminence d’un bombardement de Josaphat. Elles comptaient bien appliquer la même tactique qui avait prévalu quand les néo-bakouniniens avaient anéanti Jizo, puis Gabriel, et enfin Loki. D’où l’installation des Portes sur toutes ces planètes, naines y compris, qui permettraient l’évacuation en quelques heures de la majeure partie de la population de Josaphat, par transport hyperspatial.

À l’ouverture des Portes, celles-ci sont franchies par une armée de robots-ingénieurs qui vérifient succinctement la sécurité de la zone à l’aide de leurs scanners, puis installent en une vingtaine de minutes une base viable pouvant abriter plusieurs milliers d’individus pendant environ deux mois ; on procède ensuite à l’évacuation en donnant la priorité aux Autorités, puis aux cadres de l’armée, puis au clergé, puis aux fortunes, etc., et en priant le Christ-roi de faire tenir le bouclier le temps nécessaire. La population du Centaure, dont la discipline assure généralement le succès de l’opération, se trouve alors dispersée sur des centaines de planètes, comme autant de canots de sauvetage. La Fédération, généralement, n’en bombarde pas moins la planète capitale afin de prohiber tout retour ; mais elle est alors exposée à une riposte de la flotte centaurienne… Difficile de déterminer un vainqueur dans ce genre de batailles mégalomanes, se disait souvent Soman, mais il se reprenait toujours : NOUS gagnons. À chaque fois. Bien sûr. Pas une fuite : une retraite. Effectuée en bon ordre.

Nous gagnons.

Bien sûr.

Le calme une fois revenu, les Autorités, évacuées d’un bloc sur une seule planète (et généralement une naine), contrôlaient la sûreté du réseau, puis révélaient par une transmission hyperspatiale cryptée utilisant elle-même le système des Portes (ce qui empêchait toute interception et permettait une communication instantanée – variante de l’ansible) l’emplacement de la nouvelle capitale ; une flotte d’exploration était envoyée pour sécuriser la zone et installer de nouvelles Portes, permettant le transfert de l’ensemble des habitants en l’espace d’une ou deux semaines. Dès lors, la nouvelle capitale était parfaitement sûre… du moins jusqu’à ce que l’ennemi la localise (ce qui arrivait relativement vite) et reconstitue une force suffisante pour l’écraser (et ça…).

Mais ce qui était vrai pour la capitale l’était un peu moins pour les autres planètes du Système, faute d’infrastructures et de protection réellement efficiente, et les néo-bakouniniens le savaient fort bien ; les pertes étaient nécessairement nombreuses. On ne pouvait en outre exclure le transport d’une partie de la population dans une zone tombée sous le contrôle de la Fédération, même si les probabilités, du fait du nombre inimaginable des planétoïdes équipés de Portes, étaient assez limitées ; seules les Autorités, transportées en bloc, pouvaient précéder leur transfert d’une mission de reconnaissance orbitale s’ajoutant à la brève inspection des robots-ingénieurs, tandis que tous les autres corps de la société étaient volontairement disséminés à travers la galaxie, au petit bonheur ; si une Porte tombait à ce moment précis sous le contrôle de la Fédération, le robot chargé de l’emprunter en dernier la détruisait instantanément, pour garantir la sûreté du réseau et notamment des transmissions cryptées, mais sacrifiant du même coup plusieurs milliers de citoyens.

Cependant, le véritable problème, pensait Soman, étaient que leurs ennemis, fort logiquement, faisaient la même chose… et les éclaireurs des deux camps se croisaient ainsi sans cesse, métaphoriquement s’entend, afin d’équiper les nouveaux planétoïdes de leurs propres Portes et de détruire celles de l’ennemi ; l’exploration était toujours à refaire. Et c’était également pour cela que l’on ne pouvait pas pré-programmer les Portes, ni installer d’avance des bases permanentes sur ces planètes d’évacuation, les effectifs étant de toute façon trop limités, dans les deux camps, pour en assurer la protection ou surveiller les Portes ennemies ; paradoxalement, seul le hasard total et l’improvisation pouvaient garantir la survie du plus grand nombre.

Quoi qu’il en soit, des systèmes entiers étaient détruits par les forces de l’un ou l’autre camp, tandis que les Autorités, rouges ou blanches, parvenaient sempiternellement à s’enfuir, pour reprendre le combat dans une meilleur posture. Et la guerre, ainsi, durait depuis près de 160 ans maintenant ; seule la destruction systématique des planètes recensées aurait pu mettre un terme à cette stratégie, mais aucun des deux partis ne semblait prêt, heureusement, à envisager cette forme de suicide.

Tout cela était un peu déprimant. Mais le lieutenant Soman jugeait nécessaire de se remémorer tous ces points chaque fois qu’il partait en mission, même pour la plus minuscule des planètes. Après tout, Fan accueillera peut-être les Autorités ?… ce qui nous ferait une belle jambe, ouais.

Bah.

Poursuivons le combat.

Il lança le scan de la planète, qui serait très rapide. Dix minutes, tout au plus. Les données défilaient sur son visuel tête haute, hermétiques ; elles pourraient être utiles aux astronomes de Josaphat, mais lui n’y comprenait rien. Seule la dernière phase du scan l’intéressait vraiment : la détection d’anomalies à la surface, indéniablement artificielles ; une Porte de la Fédération, en d’autres termes.

Bip.

« Et merde. Putains de Baks. »

Il interrogea l’holoproj sur la situation géographique de l’anomalie. Une représentation tridimensionnelle de la planète apparut, et se mit à pivoter. Puis une flèche rouge flotta dans l’air, désignant un endroit aux environs de l’équateur ; un cratère parfaitement sphérique, plus profond que les autres. La Porte se trouvait exactement en son centre.

La Porte ?

Soman fut envahi d’un doute.

Il prit à nouveau les commandes, afin de se placer en orbite géostationnaire à la verticale de l’anomalie. Le vaisseau s’y rendit presque instantanément, sans un bruit.

« Zoom sur l’anomalie. »

L’holoproj s’exécuta. Et de toute évidence, ce n’était pas une Porte. Quant à dire ce que c’était… Le scan exhaustif indiquait une construction en argent, haute d’environ 15 mètres au maximum, et occupant une surface de près de 300 m², en forme de trapèze.

Nom de Dieu, c’est quoi ce bordel ? Qu’est-ce qu’ils ont encore été inventer ?

Une goutte de sueur perla sur le front du pilote.

« Mode combat. »

De nouvelles commandes apparurent instantanément, ainsi qu’un radar tridimensionnel, sur sa droite. Aucun vaisseau ennemi. Mais la structure inconnue pouvait présenter un danger.

En même temps, si c’était une batterie de défense orbitale de nouvelle génération, cela ferait un moment que le lieutenant Other Soman aurait rejoint son Créateur, non ?

Il respira un grand coup, et redevint plus professionnel. Il y avait des protocoles à suivre.

Il indiqua à son ordinateur de vol les coordonnées d’un point situé à environ un kilomètre à l’ouest de la structure. Bientôt l’éclaireur se posa sans grâce à l’endroit indiqué.

 

La fine atmosphère de Fan était irrespirable, et la gravité très faible. Rien de très surprenant à cela. La combinaison du lieutenant Soman lui permettrait de survivre dans cet environnement hostile pendant environ quatre heures, soit bien plus que le temps nécessaire pour installer une Porte et faire sauter une installation ennemie. Rien au-delà : il n’était pas du rôle des éclaireurs de la flotte de se livrer à de plus amples explorations. Raison de plus pour ne pas perdre de temps. Mais Soman voulait d’abord en savoir un peu plus sur cette anomalie, avant d’installer la Porte. Il n’était pas assez compétent pour reprogrammer le robot-ingénieur afin de déterminer si l’installation présentait un quelconque danger, pouvant compromettre l’utilisation de Fan en tant que planète d’évacuation temporaire. N’ayant guère le choix, il sortit donc de son appareil pour se livrer à une reconnaissance de visu, qu’on tendait depuis longtemps déjà à juger parfaitement hypothétique ; et lui-même n’avait pas pensé autrement jusqu’à ce jour.

Une mince couche de poussière bleue se souleva quand Soman posa le pied sur le sol, et retomba lentement, comme un perce-neige. Il se tint debout une minute, près du sas, jetant un œil à droite à gauche, et « contemplant le paysage ». De bien grands mots ! Un vide atone, aux teintes mornes, dénué de vie comme de charme ; un enfer froid, ridé, aux parois striées d’étranges ombres doubles, à peine discernables. Et, là-bas, vers l’est, l’anomalie, qui luisait légèrement à la faible lumière de la plus proche étoile ; Soman ne pouvait en distinguer que le sommet à cette distance, le reste de la construction disparaissant dans le cratère et la courbure de l’astre, mais l’évidence de cette destination n’en était pas moins flagrante.

Il se mit en route, peinant dans un premier temps à s’adapter à la faible pesanteur, bien plus déstabilisante que le vide total. Ses longs pas maladroits trahissaient son statut d’étranger en ces lieux. Il n’y avait ici personne pour le voir, mais le lieutenant Soman n’en ressentit pas moins une certaine honte, à imaginer le spectacle disgracieux qu’il offrait. Puis ses pas se firent plus réguliers, de même que sa respiration.

Il arriva enfin, au bout d’une vingtaine de minutes, à la lisière du cratère où se logeait l’artefact, et fit une pause, ébahi.

« Nom de Dieu ! »

On eût dit le portique en ruine d’un temple grec. Cinq colonnes argentées de style dorique, et de hauteur inégale. Mais… non, le terme de « ruine » n’était guère approprié : cette impression d’inachevé était délibérée ; les colonnes, à leur sommet, étaient coupées de biais, comme au laser, et toujours selon le même angle d’environ 40 degrés. Pas d’érosion. La structure avait été conçue de la sorte, et était restée intacte jusqu’à ce jour ; et il y avait fort à parier qu’elle resterait toujours ainsi. Le lieutenant Soman, à cette distance, savait déjà que la surface de ces colonnes serait parfaitement lisse. Il subodorait en outre que la construction entière était faite d’un seul bloc.

Il reprit son chemin, descendant à l’intérieur du cratère en empruntant une faille sur sa gauche qui serpentait le long de la paroi, tel un rudimentaire escalier en colimaçon. Il put dès lors entrapercevoir de nouveaux éléments de la structure, que lui cachait jusqu’à présent la grande colonnade. Il comprit que ce qu’il avait vu, à l’extrémité ouest de la construction, correspondaient à la base du trapèze. Au delà, la surface argentée était parsemée de petits blocs lisses et coupés à angle droit, comme autant de colonnes en devenir, de grosseur et de hauteur inégales, dispersées au hasard. Le sol était balafré d’étranges motifs géométriques, de rainures plus ou moins parallèles qui, à cette distance, semblaient figurer un improbable circuit imprimé, ou… non, plutôt un de ces jardins de pierres que l’on trouvait jadis sur Terre, se corrigea Soman, subjugué par l’impression de pureté qui se dégageait de ce chaos métallique volontairement imparfait. À l’autre bout du trapèze, il commençait maintenant à distinguer un nouveau portique, de trois colonnes cette fois, et probablement un peu plus élevé que celui de la base.

Il marqua un temps d’arrêt une fois arrivé au fond du cratère. Désireux d’avoir une vue d’ensemble un peu plus claire, Soman alluma sa lampe frontale, à l’autonomie limitée.

Et faillit tomber à la renverse.

« Nom de… »

Le rai de lumière parcourait la structure au niveau du sol. Et c’est ainsi, qu’à travers les ombres des colonnades, Soman aperçut pour la première fois les buissons et les fleurs. Il y avait de ces jeunes pousses anarchiques un peu partout à l’intérieur de la structure, qui ondulaient comme dans un léger vent. Leur teintes éclatantes tranchaient sur le bleu du cratère, le gris de l’artefact et le noir de l’espace. Quelques buissons d’un beau vert vigoureux s’appuyaient contre les portiques, tournés vers le centre du cratère ; et, de-ci de-là, surgissaient des fleurs fantastiques, tulipes et roses rouges et jaunes, vives et resplendissantes, entourées d’une sorte de mince halo blanchâtre, de forme vaguement sphérique, à peine discernable. Tous ces végétaux semblaient jaillir du sol métallique.

« C’est incroyable ! » ne cessait de répéter le lieutenant Soman, comme un mantra. « C’est incroyable ! »

Il avançait lentement, comme dans un rêve, en direction de l’anomalie, le souffle coupé et la sueur au front, avec dans les yeux un éclat de fascination enfantine. Ce n’est que lorsqu’il fut à une dizaine de mètres du sol argenté qu’il se rendit compte d’une étrangeté supplémentaire.

Le scan n’avait pas fait mention de ces plantes. La découverte d’une forme de vie, nécessairement, aurait du déclencher une alerte, mais l’éclaireur n’avait strictement rien repéré de la sorte. Or, et Soman ne pouvait en douter, il s’agissait bien là de plantes authentiques, vivantes, et non d’imitations. Pourquoi sont-elles là, comment subsistent-elles dans cette atmosphère irrespirable, comment poussent-elles dans ce monde sans eau, sur ce sol d’argent… Soman n’en savait rien ; mais il ne pouvait nier le fait : ces plantes étaient bien là, réelles, vivantes. Comment, dès lors, expliquer le silence de l’ordinateur ? Aussi improbable que cela put sembler, seule une solution pouvait encore être envisagée.

Ces plantes étaient apparues depuis le scan.

L’intellect de Soman se mit à fonctionner à toute allure, brassant les questions les plus folles et les réponses hypothétiques et improbables, dans une quête stérile et dénuée de méthode pour la compréhension de cette absurdité. Puis quelques interrogations spécifiques se firent plus pressantes, jusqu’à l’obnubiler totalement et le plonger dans un incommensurable effroi.

Si ces plantes sont apparues depuis le scan, cela veut-il dire que leur apparition n’est pas due au hasard ?

Ces plantes ne sont-elles apparues que pour moi ?

La structure a-t-elle conscience de ma présence ?

A-t-elle spontanément fait pousser ces plantes pour moi ?

Et si oui, pourquoi ?

Et si ce n’est pas elle, alors…

Qui ?

Ou quoi ?

Le lieutenant Soman, dans un mouvement nerveux, s’empara de son arme, qui reposait jusqu’à présent dans un étui sur sa cuisse droite. Il braqua le phaser droit devant lui, dans le vide, le tenant de ses deux mains tremblantes, crispées sur le déclencheur. Il se retourna subitement, craignant une quelconque menace dans son dos, et pointa ainsi alternativement chaque point du cratère.

Il n’y avait rien.

Il se calma progressivement, en fredonnant Le Centaure éternel d’une voix d’abord chevrotante, puis plus virile ; mais il ne rangea pas son arme pour autant.

Il allait reprendre son exploration quand, soudain, une faible brise agita les buissons dans sa direction, le prenant de court ; Soman discerna un de ces halos blanchâtres, qui jaillit du vide et le transperça à toute vitesse, poursuivant son chemin vers l’ouest en formant un vague tunnel de poussière en suspension.

À nouveau pris de panique, Soman braqua son arme sur la source du phénomène et lança une salve, sans aucun effet ; puis il se retourna, et tira au hasard, de part et d’autre, sans plus de succès. La respiration haletante, il consulta les données de son visuel tête haute, craignant que le halo ne l’ait contaminé d’une manière ou d’une autre. Mais ses fonctions vitales étaient parfaitement correctes ; simple tachycardie due à la peur.

Klick.

Le bruit fit sursauter le lieutenant Soman. Il venait de derrière lui, du centre de la structure. C’est impossible ! Il ne peut pas y avoir de bruit ici ! Je n’ai même pas entendu les détonations de mon arme ! Mais…

Klick.

Klick klick.

Klick klick klick klick klick klick klick kli...

À mesure que le bruit accélérait et grandissait, l’arythmie du cœur de Soman devenait inquiétante. Les yeux grand ouverts, le front baigné de sueur, il se tourna lentement, comme un automate rouillé, vers le centre du cratère.

Une nouvelle structure apparaissait ; elle semblait se construire toute seule, à une vitesse effarante, dépassant les réalisations les plus stupéfiantes des robots-ingénieurs les plus perfectionnés.

Klick klick klick klick klick klick klick kli...

L’argent s’élevait dans le vide, en adoptant une forme parfaite, dans laquelle il semblait se couler tel un liquide, sauf que... Non, il s’agissait bien d’argent solide, mais qui s’empilait progressivement, ne formant pourtant qu’un seul bloc, non pas scellé à la structure antérieure, mais faisant indéniablement partie d’elle. Génération spontanée, pensa encore Soman, qui, tétanisé par cet ahurissant spectacle d’excroissance solide, se retrouvait dans l’impossibilité d’adopter une quelconque réaction, de panique comme de sang-froid. Mais c’est absurde ! C’est n’importe quoi !

Puis le bruit cessa. Au centre du cratère, à quelques mètres du lieutenant Soman, se dressait maintenant une nouvelle colonne, plus haute et plus large que toutes les autres, et cette fois surmontée d’un disque légèrement rebondi. Soman pensa tout d’abord à une sorte de champignon. Puis la réalité se fit jour, progressivement, alors qu’un nouveau bruit se faisait entendre au sommet de la réalisation. Un bruissement léger, cristallin.

Non.

Non, c’est impossible.

Il lui fallut pourtant se rendre à l’évidence quand l’eau, pure, limpide, se mit à ruisseler des rebords du bassin, dans une chute d’une vingtaine de mètres tissant un rafraîchissant rideau liquide tout autour de la colonne. Soman remarqua alors que le sol au pied de… de la fontaine s’était légèrement affaissé, formant un second bassin, un peu plus large que celui du sommet, venant accueillir cette pluie artificielle. Ce bassin fut vite rempli, et l’eau excédentaire évacuée par un système de conduites qui la répartissait dans les fines rainures du sol de la structure, laquelle prenait dès lors d’autant plus l’allure d’un improbable jardin égaré dans le vide glacé de Fan.

Soman s’agenouilla sur le sol argenté et prit son casque à deux mains, mimant absurdement une stupéfaction bien réelle. Mais qu’est ce que… Les pensées s’accumulaient au fond de son crâne, dans un chaos de formes vides parasitant toute logique. Il avait le sentiment de perdre pied, de devenir fou. Un moment, il développa un vain espoir, ouf-ce-n’était-qu’un-mauvais-rêve (puis je me redresse, en sueur, et me blottis contre Fan et…), comme dans les récits plus ou moins horrifiques qu’il affectionnait dans son enfance. Mais la dure réalité du sol argenté de la structure, le bruissement limpide de la fontaine, le vague scintillement des étoiles dispersées dans le ciel au-dessus du planétoïde, tout enfin soulignait la futilité de cette échappatoire. Et bientôt la lumière vint achever ce sinistre tableau.

C’était à vrai dire presque imperceptible, et Soman mit un bon moment avant de s’en rendre compte. C’était pourtant indéniable : la luminosité devenait plus forte. Et cet éclairage n’était pas naturel. Les deux étoiles du système Victoire étaient bien trop lointaines pour dégager Fan de son obscurité perpétuelle. La lumière venait de la structure. D’où exactement, cela Soman ne pouvait le dire ; il n’y avait alentour aucune source lumineuse marquée, mais c’était pourtant comme si le jour se levait, réservant ses rayons au « jardin ». Bientôt le pilote put éteindre sa lampe frontale, qui commençait à faiblir, mais était déjà devenue inutile. Il se retrouva ainsi en plein jour, dans une sphère de lumière prenant la fontaine pour centre.

Il s’assit contre le bassin, et tenta de reprendre ses esprits. Pourtant, le spectacle qui l’entourait ne facilitait guère la réflexion. Les causes et les conséquences de tous ces étranges phénomènes étaient insaisissables. Seul un point lui paraissait certain :

« Ceci n’est pas l’œuvre des Baks. »

Silence. Puis il éclata de rire. Sans blague ? Il resta ainsi quelque temps, à se tordre entre deux rainures, secoué de spasmes hilares. Bravo, mon lieutenant, bravo… Puis il s’allongea sur le dos, fixant le ciel béant au-dessus de lui. Il reprit son calme. Fit le vide. Et poursuivit :

« Ceci n’est pas l’œuvre des Baks. Bien. Alors, qui a fait ça, et pourquoi ? »

Il soupira. Il y avait trop d’inconnues. Une race extraterrestre ? Jamais, jusqu’à présent, les éclaireurs du Centaure n’avaient rencontré de formes de vie intelligentes dans leurs longs périples à travers la Voie Lactée. Il y avait bien de ces planètes abritant une vie végétale fort développée ; on trouvait régulièrement des formes bactériennes, élémentaires ; sur Morus, on avait même trouvé quelques animaux plus complexes, des sortes de mammifères, de rongeurs plus précisément (et d’un goût exquis !) ; et de même sur quelques autres planètes. Mais la vie intelligente semblait être le privilège de la Terre. Les prêtres du Christ-roi n’en avaient jamais douté : Dieu a créé le monde pour l’homme, et l’homme à Son image, bien sûr ; chaque nouvelle phase d’exploration en apportait, par défaut, une preuve supplémentaire. Il y avait pourtant toujours de ces savants qui doutaient, qui ne pouvaient se limiter à cet argument que seule la foi pouvait soutenir. Ils étaient peu nombreux dans le Centaure, certes, où ils passaient à peu de choses près pour des hérétiques, mais il y en avait, qui se faisaient discrets, simplement. Quant aux scientifiques baks, de toute évidence, ils ne pouvaient accréditer cette vision des choses ; quant à savoir ce qu’ils en pensaient exactement…

Et lui, le lieutenant Other Soman, qu’en pensait-il, au juste ? Il se rendit compte qu’il ne s’était jusqu’alors jamais posé la question. Qu’en pensait-il ?

Des extraterrestres, peut-être. Mais cela viendrait soulever beaucoup trop de questions, pensa-t-il, et il ne put manquer de remarquer ce que cette objection avait de lâche. Le plus simple était encore de croire que la structure (« le jardin »), comme toutes choses, était l’œuvre de Dieu. Peut-être Dieu m’a-t-Il choisi, pour une raison qu’il n’appartient qu’à Lui de connaître. Peut-être tout ceci est-il une épreuve que Dieu m’impose. Peut-être…

Il y eut un grand bruit, provenant de l’ouest. Soman ne voulut pas, tout d’abord, reconnaître ce dont il s’agissait. Puis il fut bien obligé d’admettre que ce son ne lui était pas inconnu.

Une explosion.

En provenance de…

« NON ! »

Il se releva avec difficultés, transi d’angoisse, et faillit se casser la figure : la gravité avait changé, elle était désormais comparable à celle de Josaphat ! Sa combinaison, par voie de conséquence, était devenue plus lourde, encombrante. Il voulait se précipiter vers son éclaireur, bondir dans la faible pesanteur de Fan, qui aurait dû lui permettre d’arriver à destination en quelques pas ; mais c’était devenu impossible. Il ne pouvait que marcher maladroitement, comme un vieillard, hésitant à chaque pas.

« Non. Non. Non. Non. Non… »

Puis un mince espoir le reprit, quand il quitta la sphère du jardin. La gravité diminua brutalement, et son dernier pas le fit presque s’envoler. Quand il toucha à nouveau terre, il s’arrêta un instant, puis reprit sa route, avec une détermination farouche ; mais cette gravité trop faible, se rendit-il compte, ne lui facilitait pas nécessairement la tâche : sa course était hésitante, il manquait trébucher à chaque bond.

Il continua ainsi un moment, puis s’arrêta net. Le tunnel de lumière blanchâtre qui s’était précédemment enfui vers son vaisseau revenait lentement vers lui, et il transportait quelque chose. Oui, il y avait bien quelque chose qui flottait dans le vide, entouré de cet étrange halo diaphane, et s’approchait lentement de lui, avant de s’arrêter à hauteur d’yeux, à un mètre environ.

« Non… »

C’était une plaque de métal vaguement carbonisé, dont la provenance ne pouvait faire aucun doute.

On y lisait l’immatriculation du vaisseau, « J02-15 », en grands caractères noirs.

Soman s’agenouilla, désespéré. Et furieux. Il avait le sentiment que le halo blanchâtre (qui disparaissait maintenant dans la vaste sphère du jardin) n’avait agi ainsi que pour le narguer. Il se sentait si faible, si insignifiant… Ce n’était pas juste. Pourquoi ? Et pourquoi lui ? Il eut envie de maudire Dieu, si c’était bien Lui qui lui infligeait cette épreuve. Et il se reprit aussitôt, craignant que cette simple arrière-pensée n’entraînât instantanément une nouvelle catastrophe.

Mais rien ne se produisit. Et le lieutenant Soman reprit le chemin du jardin, avec sur son visage tous les stigmates de la tristesse. Il avait envie de pleurer.

Pourquoi revenir ici, se demanda-t-il tandis qu’il posait le pied sur le sol argenté du jardin, à nouveau sous le coup de la pesanteur josaphatienne. Et pourquoi pas ? Le vaisseau, de toute évidence, n’était plus. Il ne servait à rien de poursuivre dans cette direction. Ici, peut-être apprendrait-il quelque chose ? Peut-être comprendrait-il enfin ce que l’on attendait de lui ? Il ne pouvait se résoudre à la certitude de sa mort prochaine. Et se mit dès lors à rationaliser, pensant à voix haute, comme pour se rassurer.

« Bon. Je suis sur Fan. Mon vaisseau a été détruit par… Mon vaisseau a été détruit. Je ne peux donc quitter la planète. Mais les Autorités savent que je suis ici. Et… elles ne peuvent se permettre de perdre bêtement un de leurs pilotes. Bien sûr. Elles enverront donc une nouvelle équipe de reconnaissance. Les vaisseaux se placeront en orbite autour de Fan. Une escadrille de combat, sans doute ; on supposera que ce sont les Baks qui ont empêché mon retour. Mais il y aura aussi nécessairement un éclaireur, qui fera un scan de la planète. Et qui trouvera l’anomalie. Et la présence de formes de vie. Alors ils viendront ici, et me trouveront. Et nous repartirons vers Josaphat. Et les scientifiques et les prêtres auront matière à réfléchir, voilà. »

Il s’assit contre le bassin, un triste sourire aux lèvres. Il savait que ce scénario, pour plausible qu’il était, présentait des failles. Et il n’était pas certain de survivre jusqu’à l’arrivée des vaisseaux. Il se passait ici trop de choses, et trop vite. Aussi bien pouvait-il mourir dans les secondes qui suivraient, et dans l’ignorance la plus totale des circonstances de sa mort. Et même si aucun autre événement ne venait se produire, même si Fan, pour une raison ou une autre, « l’épargnait », et permettait en outre aux vaisseaux de sauvetage de se poser et de repartir (putain, ça fait beaucoup…), il faudrait de toute façon qu’ils se dépêchent ; il n’en avait plus que pour (il regarda sa jauge, sur son bras gauche)… environ deux heures.

« Bougez-vous, les mecs… »

Dès lors, il se mit à regarder le ciel, dans l’espoir de voir apparaître subitement un vaisseau de ses compatriotes. Mais rien ne se produisit.

Autour de lui, le jardin ne connaissait plus aucune évolution.

Les minutes s’égrenèrent, affreusement longues dans l’incertitude de l’attente, et si fugaces en même temps, jusqu’à ce que…

Je n’en ai plus que pour dix minutes.

Le lieutenant Soman perdit alors tout espoir. Il s’agenouilla, posa les mains au sol, nauséeux. Et il ne se retint plus. Tout stoïcisme l’avait abandonné. Rien, personne, ici, ne pouvait l’empêcher de pleurer. Et il sanglota ainsi, le visage ruisselant de souffrance, avec dans la voix les trémolos d’un enfant malade. Et toujours ce seul mot qui revenait, entre deux éclats de désespoir : « Fan… Oh, Fan… Fan… » S’adressait-il à sa jeune épouse, qu’il ne reverrait plus ? Ou suppliait-il encore la cruelle planète naine qui le retenait prisonnier, la priant de le laisser s’échapper ? Il ne le savait trop, ne pouvait de toute façon penser. Il s’attendait, d’un instant à l’autre, à revoir défiler des images de sa vie, comme on disait que cela se produisait au seuil de la mort. Mais il ne voulait pas mourir ! C’était injuste ! Pourquoi ?

« Fan… Oh, Fan… »

Il s’écroula sur le sol, tapant frénétiquement du poing contre le rebord du bassin, et ne se rendit compte de rien quand un incompréhensible mouvement du vide autour de lui rompit les sécurités de son casque. Le bruit de l’air comprimé s’échappant le dégagea de ses lamentations. Il ne voulait pas mourir.

« Non ! NON ! Mon Dieu, NON ! »

Il pouvait respirer.

L’air, autour de lui, était respirable.

Le choc de cette découverte stoppa immédiatement les larmes. Mais Soman ne pouvait se résoudre à croire qu’il était toujours vivant. Sans doute épuisait-il en ce moment-même ses dernières réserves d’oxygène, et le manque d’air le faisait-il halluciner, ou quelque chose comme ça… Pourtant…

Le jardin, comme pour assurer Soman qu’il était bien vivant, se rappela à lui. Il entendait à nouveau, et plus clairement qu’avant, le bruissement de la fontaine ; il entendait son poing cogner contre le bassin. Il ôta son casque, et le jeta devant lui (il rebondit sur quelques mètres – clang, clang clong – puis s’arrêta dans une rainure) ; Soman se passa une main gantée sur le visage, frotta ses joues, ses lèvres. L’air, autour de lui, était respirable. C’était un fait. Et il était aussi d’une température agréable.

Soudain, sous ses yeux, et sans que rien ne vint le toucher, son casque se replia sur lui-même et implosa, dans un bruit de tôle froissée. Et toutes les attaches de sa combinaison se défirent, comme si le jardin le déshabillait. Soman se débarrassa de cette lourde armure désormais superflue, et en rassembla les divers éléments en un tas hétéroclite à deux pas de lui. Ils furent promptement déchirés, sans que Soman ne put comprendre ce qui arrivait au juste. Puis tous les déchets se mirent à flotter en l’air… avant de disparaître à une vitesse effarante en direction du sud. Soman les perdit bientôt de vue.

Il avait conservé son arme. Il entreprit de se rendre là où les déchets avaient disparu. Son uniforme, sans la combinaison, était agréable à porter dans cet étrange environnement ; Soman n’éprouvait aucune difficulté pour marcher, et baignait dans une agréable douceur. Il se mit à courir.

Et suffoqua presque instantanément. L’air était redevenu glacial et irrespirable, la pesanteur extrêmement faible ; il était pourtant toujours à l’intérieur du jardin ! Soman parvint à faire marche arrière, et tout redevint comme avant. Il reprit sa respiration, lentement, puis s’assit par terre.

Et il comprit alors en partie ce qui lui était arrivé, en observant un buisson près de lui. Le buisson était entouré d’une sorte de sphère blanchâtre. Et moi aussi, comprit Soman. J’ai autour de moi une de ces sphères, à l’intérieur de la plus vaste sphère du jardin ; je ne comprend pas très bien le rôle de cette dernière, mais c’est bien la sphère qui m’entoure personnellement qui me permet, je ne saurais dire comment, de respirer et de marcher dans une gravité josaphatienne. C’est elle qui me maintient en vie.

Il plissa les yeux. Et distingua effectivement le halo qui l’entourait. Il avait pu bouger, pourtant, dans un premier temps. La sphère n’était donc probablement pas immobile. Avec maintes précautions, Soman se releva, et marcha lentement vers le bassin. Oui, la sphère l’accompagnait. Il continua ainsi quelque temps, dans diverses directions, et la sphère le suivait toujours, où qu’il aille.

Est-ce parce que je suis allé trop vite ?

Il se mit à courir autour du bassin. La sphère le suivait toujours. Il accéléra sans aucune difficulté, allant désormais bien plus vite que lorsque la sphère l’avait abandonné. Ce n’était donc pas une question de vitesse.

Il se rendit à nouveau à l’endroit où il s’était mis à suffoquer quelques minutes plus tôt, et la sphère était toujours là. Et au-delà, de même.

Elle ne l’abandonna finalement que lorsqu’il tenta de sortir du jardin, et donc de la plus vaste sphère.

Bon. Je sais maintenant où se situe la frontière. Si la sphère a disparu, tout à l’heure, c’est parce que mon action « lui » semblait inappropriée. En m’abandonnant, elle m’a interdit de poursuivre. Je ne suis donc pas libre de faire ce que je veux. Tant que ce que je fais ne déplait pas à la sphère, ou à celui qui la contrôle, je ne risque rien ? C’est ça, hein ?

Il s’assit. Il ne voulait pas réfléchir davantage à tout ce mystère. Il avait mal à la tête. Et commençait à comprendre que les Autorités n’enverraient pas de vaisseau sur Fan pour le récupérer, quelle qu’en soit la raison. Il avait passé un certain temps à « tester » la sphère autour du bassin, plus de deux heures, probablement. Et aucun vaisseau n’était apparu.

Il aurait dû mourir il y a plus de deux heures.

Pour les Autorités, il était sans doute déjà mort. Ou porté disparu, ce qui revient à peu de choses près au même.

Ils avaient dû dire à Fan qu’il était mort…

Il ne voulut plus y penser.

Peut-être…

« NON ! », hurla-t-il. « Non ! On arrête tout ! Je ne veux plus penser à rien ! J’en ai assez ! Je chercherai à comprendre plus tard. Maintenant, ce que je voudrais, c’est… »

Il s’interrompit, abasourdi. Il n’en croyait pas ses yeux. Et il se mit à rire, d’abord dans un murmure un peu idiot, puis dans un crescendo hystérique de folie furieuse, étendu sur le sol, les bras repliés sur ses côtes qui le martyrisaient tellement il riait.

Devant lui, sur une table qui ne se trouvait pas là deux minutes plus tôt, une assiette était remplie à déborder d’un appétissant déjeuner.

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"L'Examen"

Publié le par Nébal

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Un vieux truc…

 

Peu de temps après notre arrivée dans la grande cour froide et grise, on nous fit former des groupes de cinquante personnes. La méthode de classement semblait quelque peu anarchique : les cinquante premiers à être descendus formaient le premier groupe, et ainsi de suite ; on ne cherchait pas à nous trier par affinités, par âge, que sais-je ? Non, rien de tout cela.

Pour ma part, j'étais descendu parmi les derniers, à mon habitude : je répugne aux contorsions qui me permettraient de me faufiler entre les masses sombres des autres. Aussi, j'attendais, patiemment, que les autres sortent du bus. C'est ainsi que je vis les premiers groupes se former au travers de la vitre, tandis que j'étais plus ou moins confortablement installé à l'arrière du véhicule, sur un siège en faux cuir rebondi. Cinquante par cinquante, je les vis donc s'engager dans le grand bâtiment gris, la démarche rendue maladroite par le gel, tandis que je restais bien au chaud à ma place.

Il me fallut pourtant sortir, ainsi que les autres, ce à quoi je me résignai dans un soupir, sortant mollement de ma tanière pour affronter le froid. La plupart des bus étaient déjà partis, le mien était un des trois derniers. Il ne restait plus grand-monde. Cependant – était-ce dû au hasard ou bien à un savant calcul de notre  administration ? – nous parvînmes malgré tout à former deux groupes de très exactement cinquante personnes, et nous dirigeâmes à notre tour vers le grand bâtiment gris. Quand il nous vit passer, le pas pressé et le souffle court – il devait bien y avoir une raison expliquant pourquoi nous avions été parmi les derniers à descendre –, le garde principal, un homme de forme quasi cubique, nous adressa un sourire narquois : « Les derniers seront les premiers ! ». Perfide. Mais cela ne suscita guère de réactions parmi mes semblables. Tous, nous avions sans doute l'habitude de ce genre de taquineries ; en tout cas, moi, il y avait longtemps que je ne m'offusquais plus de ce genre de remarques. Je connaissais ma valeur, pour sûr, quand ce minable garde ne savait rien ni de moi ni de ma vie ; il pouvait donc parler : moi, je savais où j'allais. Et, après tout, ce n'était pas la première fois que j'étais confronté à un examen.

 

L'aspect intérieur du bâtiment me surprit. D'extérieur, en effet, on eût dit un bâtiment scolaire typique : austère, morne, laid... fonctionnel, en somme. Je m'attendais à déambuler dans de froids couloirs de béton et de brique, aux murs lépreux et fissurés, sous des plafonds à moitié défoncés par le temps. Mais, bien au contraire, nous entrâmes dans un endroit très différent, riche d'une décoration subtile et sobre, aux couleurs apaisantes. Le hall, à vrai dire, me fascina littéralement, et quelques regards jetés alentour me persuadèrent vite que je n'étais pas le seul à éprouver cette surprise. D'instinct, notre groupe s'était arrêté juste après avoir franchi l'entrée, laissant juste l'espace nécessaire pour fermer la lourde porte qui nous cloîtra dans cette bonne chaleur que nous n'espérions guère trouver en ces lieux. Un petit toussotement du garde, grossier et explicite, nous incita toutefois à reprendre notre marche. Je déchantai rapidement : nous poursuivîmes notre route par des couloirs tels que je les craignais, et regrettâmes bien vite l'accueillante apparence du hall. Je ne savais pas s'il fallait y voir un indice pour notre examen, mais notais machinalement ce fait dans un coin de ma cervelle.

« Allons, allons ! Dépêchez un peu ! L'examen va bientôt commencer, veuillez gagner vos places », se mit à brailler une surveillante hors d'âge, caricaturale au possible. Le garde qui accompagnait notre groupe acquiesça du menton, et nous allâmes ainsi à marche forcée jusqu'au bout du couloir, où une flèche nous indiquait la salle d'examen.

« Allez ! Prenez place ! Les tables comportent chacune une étiquette portant nom, prénom, date et lieu de naissance. Mais dépêchez donc ! »

Je ne m'attendais pas à cela. Comment avaient-ils pu avoir le temps de préparer et disposer les étiquettes correspondant à notre groupe ? Ou bien savaient-ils déjà que le destin, ou ce que vous voudrez, exigeait que nous soyons précisément de ce groupe ? Y avait-il une fatalité qui faisait que moi, BONNET Bertrand 25 mai 1982 AUCH, ainsi qu'il était indiqué sur une table à ma gauche, je sortirais parmi les derniers, ferais partie du dernier groupe et aboutirais finalement à cette table précisément ?

« Allez ! »

Je laissai là mes interrogations et pris place, ainsi que mes comparses. L'examen allait bientôt commencer.

Je jetais un œil sur la salle dans laquelle nous nous trouvions : grise, froide. Fonctionnelle. Cinquante tables y étaient disposées avec une rectitude toute géométrique, au milieu desquelles circulaient trois examinateurs, invariablement grands, moustachus, et l'air sévère. Un tableau noir, au fond, attira mon regard. Je tentai, par jeu, de discerner quelque chose, un quelconque dessin, dans les traces laissées par de précédents usages, mais rien. En fait, il semblait authentiquement vierge. Sur chaque mur était poinçonné un planisphère, généralement dépassé. En tout cas, toutes ces cartes faisaient encore mention de l'Union soviétique. Rien d'autre, en fait. Et c'est bien ce que je trouvais angoissant dans cette pièce, où nous n'avions que la lumière artificielle de quelques néons vacillants pour nous éclairer : nulle fenêtre ne donnait sur l'extérieur, aussi triste fut-il. Je m'attendais à une longue baie vitrée, sale, et à des rideaux métalliques à moitié baissés, mais non. Des murs, rien que des murs, aux teintes sombres, et ornés de ces seuls planisphères. N'eussent été les tables, nous aurions fort bien pu imaginer nous trouver dans un quelconque parking souterrain.

 

« Allez, au travail ! », firent soudain, tous en chœur, les trois examinateurs se partageant la surveillance de notre salle. Et tous de se mettre à écrire. Quant à moi, prenant mon temps, je m'appliquais pour indiquer sur ma feuille mes nom, prénom, date et lieu de naissance. De mon écriture la plus soignée, et soulignée de rouge, j'inscrivais donc, en haut et à gauche de ma copie, BONNET Bertrand 25 mai 1982 Auch. Et j'attendais qu'on me distribue le sujet.

Un des examinateurs me regarda, hagard. Me tournant à gauche, à droite, je vis tous mes camarades absorbés par leur travail. On ne leur avait pas davantage distribué de sujet, mais ils écrivaient tous, très vite, avec une aisance que plus d'un semblait même trouver inhabituelle. Mes oreilles tendues captaient de toutes parts de petits gémissements de joie, des marques de complaisance ou d'autosatisfaction, voire des soupirs de dédain pour la facilité du devoir.

Je ne comprenais pas. Que devais-je faire ? Quel était l'objectif de ce devoir ? Quel était le sens de tout ceci ? Je commençais à paniquer, et, en sueur, à tressauter sur mon siège, inquiet, affolé, quémandant une aide quelconque aux examinateurs, que je suppliais de mes yeux de chien battu : que fallait-il faire ?

Quatre heures s'écoulèrent ainsi, puis la sonnerie survint. Tous les autres se levèrent comme un seul homme et rendirent leur copie. Je restais immobile.

Je n'avais pas écrit une ligne. Sur ma copie, on lisait seulement – et ça n'en devenait que plus absurde – BONNET Bertrand 25 mai 1982 AUCH.

 

La salle avait été désertée. Ne restait plus qu'un examinateur. Il se pencha sur moi, tapota mon épaule de sa règle en bois. Je relevai la tête vers lui. Dans un demi sourire, et sans même lire l'étiquette sur ma table ou sa reproduction sur ma copie, il fit : « Eh bien, M. BONNET ! (Il appuya fortement sur les deux syllabes, faisant sonner le double « n ».) Il semblerait que vous ayez échoué à l'examen ! Assumez-en donc les conséquences, que vous connaissez j'imagine ? »

Il fit un signe de tête à l'attention du garde, qui était resté dans l'angle près de la porte. Celui-ci s'avança vers moi, me fit me lever d'un geste brusque, et me raccompagna dans le couloir long, gris et froid. Nous ne passâmes pas par le hall, mais par une sortie de secours (j'entendais au loin les cris de joie de ceux qui avaient été reçus à l'examen). J'aboutis ainsi dans une nouvelle cour, aussi froide que la première, dans laquelle attendait un unique bus.

Je fus seul à y prendre place.

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"Anadyomène"

Publié le par Nébal

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Le ridicule ne tue pas ? Ben on va voir… Ce qui suit, à l’origine, était une commande (je n’ai pas pu l’achever à temps, pour diverses raisons), et était censément « érotique ». Perso, je trouvais que le porno, c’était plus rigolo. Et puis j’aime beaucoup Sade, alors… Sachant en outre que l’exercice est fort délicat, je voulais savoir si j’en étais capable ; c’est que le risque est grand, à écrire des scènes de boules, de sombrer dans le ridicule achevé… Bien évidemment, je ne sais toujours pas ce que ça vaut. J’ai fait tourner cette nouvelle auprès de plusieurs lecteurs (que je remercie tous), et les retours ont été très divers ; il y a eu à peu près autant de positif que de négatif… Je vous laisse donc juges. N’hésitez pas à me jeter des cailloux le cas échéant.

 

Il fallait qu’ils soient quatre, bien entendu.

Pour les deux premiers, pas de problème : Dieter et Michel se connaissent depuis des années, et ont sans doute développé ensemble le projet. Probable que c’est le publicitaire belge qui a le premier soulevé l’idée ; après tout, le bonhomme n’est pas sans culture, là où je n’imagine pas vraiment Dieter lire autre chose que ses webjournaux financiers. Michel Debruijn se pique même d’être un poète, mais, bon… disons que ses cours de marketing et son réel talent pour vendre de la soupe aux chômeurs n’en ont pas exactement fait un Baudelaire.

Ce type n’a de toute façon aucun goût. Même pour ce qui est des femmes. Avec son pognon, ce con pourrait avoir ce qui se fait de mieux, mais non, non, lui, y veut des grosses, des truies, comme lui, quoi. Monsieur aime carrer sa petite queue flasque dans des gros culs. Venez pas me sortir des trucs genre « callipyges », tout ça. Non, quand je dis « gros culs », c’est : « gros culs ». Et même des très gros culs. Genre à s’y noyer, à crever étouffé dans les bourrelets. Quand il nique, du coup, c’est à peu près aussi bandant qu’une partouze d’hippopotames, en plus bruyant et spongieux. Ça fait blob huileux.

Les goûts, les couleurs, d’accord. N’empêche, jamais compris ce que Dieter pouvait trouver à ce blaireau. Parce que, faut pas croire, à l’intérieur, c’est pas mieux. Sorti de ses séances de brainstorming, il est d’un con… Non, je vois pas.

Dieter, quand même, c’est autre chose. Ce type m’épate, franchement. La classe ultime, toujours, en costard dans les soirées branchouilles mais-prenez-donc-un-muffin, ou à poil en train de limer, pareil. Pourtant, je peux vous dire qu’un mec à poil, ça perd vite de son charisme, hein, j’en ai assez vus, je peux témoigner. Mais lui, non. Même à plus de cinquante piges. La classe ultime. Toujours. Même quand il balance la purée, il a pas l’air d’un con, et ça, c’est une performance. Non, y a pas : la rigueur germanique, c’est peut-être une idée reçue, mais, avec lui, ça colle.

Mais, faut dire, je suis peut-être pas objectif : ce type m’a toujours fasciné. Mais arrêtez vos conneries, je sais que vous, c’est pareil. Putain, DIETER GLASS, merde ! Le requin de la finance le plus vorace qu’on ait jamais vu. L’homme le plus pété de thune depuis que la thune existe. Sa gueule de star en photo partout, au volant d’une caisse à tomber, et/ou en train de tripoter la plus sublime pétasse tout juste majeure du moment, comme ça, tranquille. Et toi, tout pouilleux dans ton clapier pourri, tu vois ça et tu baves. C’est tout. Tu peux rien faire d’autre. Même pas gueuler que c’est trop injuste, parce qu’au fond de toi, tu sais que c’est ça, la justice.

Mais là… Putain, quand son régiment est arrivé sur la station… Honnêtement, ça faisait des années que j’avais pas eu une gaule pareille. Ses pisteurs avaient ramassé aux quatre coins du système ce qui se fait de plus bandant. De toutes les couleurs, de toutes les tailles, de tous les âges. Des jambes interminables, solides, galbées. Des seins parfaits, des gros bien ronds bien durs aux petits tétons qui pointent à peine, en passant par les intermédiaires qui fondent dans la main. Des culs bien fermes, bien relevés, des petits qu’on pète, d’autres plus, comment, ouais, voluptueux, voilà, des où on s’agrippe de toutes ses forces, et qui semblent en redemander toujours plus, des culs faits pour baiser, quoi. Et une anthologie de jolies chattes, des blondes, des brunes, des rousses, des touffues, des rasées, des menues, des béantes, mais bien roses, bien ciselées ; je m’y voyais déjà, dans ces vagins moites et dévoreurs, tout confort, raide comme jamais ; et malaxant du clito fébrile, lapant et mordillant à même les lèvres rougies…

Mais après Dieter, bien sûr. À tout seigneur tout honneur.

 

Le troisième, ça a été un peu plus délicat, mais ils ont fini par dénicher un beau spécimen. Ah ! Le Général Wu. Alors lui… Bon, vu de loin, c’est jamais qu’un pédé cuir SM de plus. Une petite moustache ridicule, un peu nabot, tout sec. Un cliché sur pattes. Mais le truc c’est qu’il a poussé le cliché vraiment très loin. Surtout lors des « événements taiwanais », comme ils disent. Fallait le voir, commandant son Usine à Taipei, massacrant tout stoïque l’élite du Guomindang avec des raffinements de cruauté bien à la manière des Niaks. Et il a personnellement défoncé le cul de chacune de ses victimes avant ça. Enfin, non, j’exagère : les mecs seulement. Ce type déteste les femmes. Loin de l’exciter, elles le répugnent, et lui font un peu peur, je crois. Enfin, en tout cas, sa bite fait pas la fière devant une beauté à poil, ça, je peux vous le dire. Un peu comme une anti-érection. Alors il se contente de les massacrer. Mais faut voir comment ! Une imagination sidérante, des fantasmes pas croyables. Dans la station, du coup, il a souvent fait le metteur en scène ; Michel pouvait bien gueuler, déçu d’avoir perdu son rôle, les autres avaient de toute façon compris qui était le génie dans cette histoire.

Faut dire, là, il disposait en plus des gadgets de Richard, alors qu’à Taipei, fallait faire dans l’artisanal.

Richard… cet abruti…

Bon, là, faut que je vous explique. Ils en étaient à trois, il en manquait plus qu’un. Indispensable, à en croire Michel. D’après lui, la logique aurait voulu qu’on choisisse le dernier parmi les religieux. Alors ils ont cherché, au Vatican comme à La Mecque, au Texas et au Tibet. Mais rien de bien chouette. C’est qu’on en était plus au XVIIIe, là. Depuis la grosse réaction fondamentaliste de 2001-2030, les fanatiques pullulaient, pour qui le cul c’était le mal. Mais je veux dire, pas qui se contentaient de le prétendre, hein, comme ceux d’avant : non, ces cons-là le pensaient vraiment, et trouvaient Dieu en ne baisant pas. Je vous jure. Impensable de les ramener sur la station, qu’est-ce qu’ils auraient bien pu y foutre… Littéralement… Ouais, vous me direz, y avait des exceptions. Bien sûr. Mais rien que du banal chiant à mourir. Des curés pédos qui s’assumaient pas, des mollahs à la tête des commandos « mariant » les dissidentes du Califat salafiste d’Asie centrale, des gourous néo-babs partouzeurs… Nan, pas moyen de ramener ces types-là dans la station. Question d’amour propre.

Y’en a un pour lequel ils ont hésité, quand même. Un curé de Loudun persuadé d’être la réincarnation d’Urbain Grandier, ça ne s’invente pas. Un néo-caïnite fourreur de nonnes, avec beaucoup d’imagination. Un type plutôt sympa, je dois dire. Mais complètement malade, aussi. Au début, quand Dieter l’a approché, ça s’annonçait plutôt bien. Mais peu de temps après, alors qu’on se préparait tous pour le projet, ce dingue s’est mis en tête que l’histoire devait « se répéter ». Et tout ça a fini dans une grande orgie planifiée par ses soins, trois jours de baise non-stop dans le couvent, et à la fin ses adoratrices, sur ses ordres, l’ont torturé, lui éclatant les membres à la masse, lui perçant la langue, puis le brûlant encore vivant. La Mère sup’ n’a pas pu s’empêcher de mettre son grain de sel, une touche de grec : alors qu’il était cuit à point mais encore conscient, elles l’ont sorti du bûcher, l’ont déchiqueté façon bacchantes, et l’ont bouffé. Mais ça, vous en avez entendu causer, ça a fait du bruit, à l’époque.

N’empêche, c’était la merde. Ils commençaient à désespérer de trouver leur dernier comparse. Dieter, à la limite, se disait que trois libertins, ça pouvait le faire, mais non, non, Michel n’en démordait pas, il fallait que ce soit quatre. Et comme Dieter n’a jamais rien pu refuser à Michel… Mais là, le Général – qui, mine de rien, connaissait lui aussi ses classiques – a fait une remarque déterminante. Il a dit, et on pouvait pas vraiment lui donner tort, qu’il n’y avait pas de raison pour que le dernier soit un religieux au sens strict. Qu’on pouvait adapter. Et là, un peu perfide, il a noté que ça avait de toute façon déjà été fait, vu que, parmi les trois déjà sélectionnés, si l’on trouvait bien un financier et un militaire, le parlementaire avait été remplacé par un publicitaire (suivez son regard…), autrement dit une variante moderne du, euh, « manieur de mots », je crois qu’il a dit. Là, le Belge pouvait pas rétorquer grand chose. L’idée, quoi, c’était que la religion à son tour pouvait être adaptée. Debruijn a fait remarquer que le Général, qui avait réussi le tour de force d’être un coco fanatique dans la Chine du XXIIe siècle, pouvait rentrer dans cette catégorie, alors, mais l’autre, loin d’être blessé, se contenta de sourire, « voilà, c’est ça ». Mais, ayant déjà pris le rôle du militaire, et constituant en outre – ainsi que son camarade belge l’avait si brillamment démontré à l’instant – une exception, il suggérait d’aller voir ailleurs.

Bref, fallait déterminer la religion du XXIIe. Évidemment, tout le monde a répondu d’abord le fric, mais là, c’était le même souci, rapport à Dieter. Alors Dieter a proposé le cul. Logique, après tout. Mais fallait trouver quelqu’un tirant son pouvoir du cul. Pour Dieter, ça ne pouvait être qu’une femme. Là, c’est Wu qui a opposé son veto. Mais Michel n’était pas emballé non plus, ça s’éloignait trop de la source… Le Général a alors dit : la science. L’idée a plu ; après tout, après la crise fonda, on était en plein néo-positivisme, avec des réseaux et des nanos partout et, alors qu’on n’osait même plus y croire quelques décennies plus tôt, des vaisseaux habités et des colonies à travers tout le système. Bien vu, mon Général.

Donc, fallait trouver : 1°) un homme ; 2°) sans scrupules ; 3°) représentant la science et/ou la technologie ; 4°) doté d’un immense pouvoir ; 5°) et hyper chaud de la bite.

C’est comme ça qu’on en est arrivé à Richard.

 

Eh ouais. Richard Campbell. Qui d’autre ? Ça me scie un peu que vous ayez pas tilté plus tôt… Et que les autres n’y aient pas pensé de suite. Enfin, non, d’ailleurs. Ça, je peux comprendre. Le truc, c’est que vous, moi, les petits, on connaît Richard Campbell que par la façade, on voit le génie de l’informatique et de la RV, l’inventeur de la quasi-totalité des systèmes d’exploitation employés de nos jours et des interfaces homme-machine. Eux, par contre, avaient été amenés à le connaître déjà plus intimement, et se doutaient qu’il risquait d’y avoir un problème. Ils ont pesé avantages et inconvénients, ont débattu pendant plusieurs mois, puis sont allés le voir dans son Xanadu lunaire. Je ne sais pas exactement ce qui s’y est dit, je n’étais pas avec eux alors, mais déjà sur la station, à préparer le séjour. Du coup, j’étais sur place quand Richard est arrivé avec son régiment.

Vingt-quatre petites Japonaises à couettes, entre huit et seize ans, dans des uniforme d’écolières. Terrorisées, en larmes. Pêchées direct dans les bidonvilles coréens où s’étaient réfugiés les rares survivants de la Submersion du Japon, et rhabillées par ses soins, comme dans ses fantasmes de sale gosse élevé aux vieux mangas de cul. Dans son genre, ça aurait pu être un esthète, et c’est après tout ce que ses plus fameuses inventions, les tout public et les autres, laissaient croire. Le problème, c’est que son discours collait pas. Ce type était capable de conceptualiser la perversion, de l’enrichir et de la sublimer par ses inventions, mais ça l’empêchait pas, par ailleurs, d’être qu’un gros con de bouffeur de chattes basique, un obsédé lambda, « sans finesse » (Debruijn), « sans classe » (Glass), « sans dignité » (Wu). En tout cas dès l’instant que c’était sa bite à lui qu’était en jeu.

Impressionnant, le contraste. Quand les autres ont débarqué avec leurs régiments, c’était toujours un spectacle… beau, à sa manière. Même le Belge avec ses truies. Y’avait toujours quelque chose de… de surréaliste, de dantesque, dans ces troupes apeurées marchant au pas, encadrées par les fouteurs en uniforme, le fouet à la main, au son du Requiem de Mozart (ouais, perso, je trouve que c’était un peu abusé, là, mais bon…). Là, non. Le problème, c’était pas les filles, à croquer, malgré leur uniforme à la con. Et les fouteurs non plus, on connaissait notre rôle. Mais l’Angliche avait remplacé Mozart par une j-pop infecte, aussi vieille que ses mangas moisis. Et, là où les trois autres étaient restés stoïques durant la procession, lui, déjà, ne tenait plus en place. Il bavait, sautait partout, échappant rires gras et borborygmes obscènes. Ridicule, avec sa dégaine de rock-star à l’ancienne vaguement bedonnante.

À un moment, il s’est approché de moi – il m’avait reconnu, tu parles –, m’a saisi par l’épaule, et m’a braillé à l’oreille : « Moi j’les aime comme ça tu vois les petites putes avec des petits trous des tout petits trous faut qu’elles soient étroites hein qu’elles soient étroites des petites fentes moites qui coincent des petites fentes parfumées bien étroites surtout hein et que ça leur fasse mal ces putes qu’elles pleurent qu’elles piaillent qu’elles couinent les petites salopes les bouffeuses de bites ah ça leur fait mal hein mais en fait elles aiment ça les chiennes et moi moi avec mon mandrin énorme je les perfore je les ruine je les éventre je leur arrache la chatte je leur fouille les intestins de mon gros gland bien rouge bien luisant qu’elles ont poli hein avec leurs mignonnes petites langues bien roses bien humides de salopes mais surtout faut qu’elles soient étroites les chiennes des moules bien fines des petits trous du cul bien lisses et vierges faut qu’elles soient vierges parce c’est encore plus étroit comme ça et ça leur fait encore plus mal les petites putes mais plus elles en chient et plus je jouis et plus je les fais jouir en même temps parce qu’elles aiment ça les salopes avec leurs petits trous. »

J’ai rien répondu. Mais j’ai compris subitement qui m’avait écrit mes dialogues pendant toutes ces années.

En tout cas, il a pas pu se retenir plus longtemps. Il a chopé la première qui passait – treize ans, je dirais, joli petit cul, grands yeux mouillants de bourgeoise opérée –, et l’a plaquée cash contre le tarmac. Les autres, avant, avaient joué le jeu, en attendant le début des festivités, putain… Mais lui, non. Il a ordonné aux trois fouteurs les plus proches de la maintenir à quatre pattes, et m’a dit d’approcher : « Vazy Vinz’ profite je veux qu’elle te suce qu’elle suce le grand Vinz’ qu’elle engloutisse ton énorme bite de nègre. » Il a saisi la main droite de la gamine et l’a ramenée sur ma queue, l’obligeant à me caresser à travers le fin tissu synthétique de mon fute. Je vais pas vous mentir : j’ai durci radical. Mais bon, ça faisait trois mois qu’on préparait le séjour sans fourrer, aussi. J’ai failli exploser d’entrée, oui !

Et il continuait : « Allez pute défroque le nègre défroque le grand Vinz’ et suce-le suce sa grosse bite de nègre. » La fille chialait, mais elle pouvait difficilement faire autre chose qu’obéir. Elle a défait ma braguette, et s’est mise à me branler maladroitement. « Pompe-le pompe pute salope ! » Il la prit par le menton, lui ouvrit la bouche de force, tordant ses lèvres dans un rictus bandant, et la précipita sur ma queue. « Suce suce suce suce ! » Pas habile, la môme, mais quelque part tant mieux, ça me changeait des hardeuses. J’étouffais ses sanglots de mon pénis, ses larmes ruisselaient sur mes couilles ; on ne l’entendait plus vraiment gémir avec l’autre con qui hurlait à côté : « Ouaiiiiiiiiiiiiiiiiiiis vazy comme ça petite pute bouffe la bite du nègre hein tu aimes ça avoue salope oh putain je vais te défoncer la chatte je vais te faire jouir pétasse ramoner ta petite chatte de salooooooope. »

Il en pouvait plus. Il a jeté son blouson en cuir dans un râle, a réussi par miracle à se dézipper tout seul, révélant un calbute à l’hygiène douteuse, à peine bosselé, et en dégainant bientôt une petite zigounette maronnasse et mollassonne. « Puteputeputepute ! » Après, il a arraché la petite culotte de la gamine, lui a tout d’abord calé un doigt, lui martyrisant la moule de sa main brutale, et ensuite l’a pénétrée dans un hurlement. C’était pas grand chose, mais, la fille, ça lui a quand même fait comme un choc, ouais. Dans un réflexe, elle s’est dégagée de ma bite et a poussé un cri de pure douleur. Richard, les yeux exorbités, l’attrapa par les cheveux et la repoussa violemment contre mon gland : « SUCE-LE SALE PUTE ! » Elle me reprit dans sa bouche, tandis que l’autre ahuri, beuglant et suant, lui retroussait sa jupette bleue pour mieux exhiber son charmant petit cul, qu’il saisit bien vite à pleine mains. « PUTESALOPEPUTEPUTESALOPE ! » Le pouce gauche triturant son petit anus rose et rond, il la fessait sauvagement de la main droite en hurlant. Très vite, après un crescendo expédié virant dans un aigu ridicule, il retint son souffle, se tut l’espace d’une seconde puis explosa dans un « RHAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! » interminable, les yeux exorbités, avant de s’effondrer, la queue à l’air déjà méchamment ramollie. La fille saignait. Elle avait arrêté de me sucer. Elle pleurait, gémissait, de douleur, de honte, de peur. Campbell étant perdu dans son monde, ne prêtant plus attention à rien, je remis mon pantalon et la relevai, la faisant réintégrer les rangs. Ses « copines » étaient terrifiées.

On attendit quelques minutes. Puis il éclata de rire, toujours couché sur le tarmac : « Putain les mecs comment ça va être trop bien ! »

Abruti.

 

En plus, ce type avait un sens de l’humour déplorable (eh, c’était un informaticien, à la base). Je ne l’ai appris que plus tard, mais il avait tanné les autres pour que la station soit sur Uranus, vous voyez le topo… Les autres ont refusé, bien sûr. La station devait se trouver sur Vénus.

Il y avait la symbolique, déjà. Mais l’essentiel était probablement la vitesse de rotation très faible : la planète met environ 243 jours terrestres pour tourner sur elle-même, en sens rétrograde, alors qu’elle ne met que 224,7 jours terrestres pour tourner autour du Soleil. Une journée vénusienne est donc plus longue qu’une année vénusienne. Et, plus généralement, une journée vénusienne, c’est long. Très long. Du coup, 120 journées vénusiennes équivalent à environ 29 160 journées terrestres, soit environ 80 années terrestres. Nos richissimes libertins disposant des techniques de rajeunissement cellulaire les plus efficaces mettant l’immortalité à leur portée, et étant en mesure de renouveler régulièrement leur cheptel, ils disposaient ainsi d’une véritable utopie sexuelle hors du temps, une retraite idéale dont le Divin Marquis lui-même n’eut pas osé rêver.

Plus précisément, ils décidèrent d’installer la station dans l’hémisphère nord, à l’est du plateau d’Ishtar Terra, sur les contreforts du mont Maxwell, préférant la symbolique sumérienne du mariage sacré d’Inanna à la redondance du plateau équatorial d’Aphrodite Terra. Ben oui.

Restait à nommer la station. On proposa bien entendu Silling (et Richard, bêtement, Sodome), mais Michel eut une autre suggestion : Anadyomène. Le communiquant sut trouver les mots pour convaincre, jouant tant sur l’image de la déesse-planète jaillissant au milieu des flots de merde, de sperme et de sang, que sur la fameuse rime de Rimbaud : la station se devait d’être « belle hideusement d’un ulcère à l’anus ». Ça a plu.

 

Bon, évidemment, dans ces conditions, il a fallu procéder à quelques adaptations. Si le règlement draconien de Silling a été repris à peu près mot pour mot, les patrons s’étaient déjà entendus pour se libérer de la structure progressive en quatre étapes : vous voyez un type comme Richard patienter 20 ans pour fourrer sa prochaine collégienne ? Même pas la peine d’y penser. Alors ils ont décidé d’adopter un plan sur dix jours terrestres, procédant par accumulation, et renouvelé 2916 fois :

1er jour : purs spectacles, sans attouchements ; l’onanisme est autorisé d’office, néanmoins, de même que le masochisme solitaire.

2ème jour : scatophilie, urophilie, etc. Il fut décidé d’un commun accord que ça serait plus amusant en apesanteur. Le Justine resta en orbite autour de Vénus à cet effet.

3ème jour : masturbations collectives, etc. Ah, et zoophilie, aussi.

4ème jour : fellations, etc.

5ème jour : pénétration vaginale (y compris pour le Général, qui a pris sur lui ; mais j’y reviendrai).

6ème jour : pénétration anale.

7ème jour : pratiques sadiques n’entraînant pas de véritables séquelles.

8ème jour : pratiques sadiques entraînant des blessures légères.

9ème jour : pratiques sadiques entraînant des blessures graves (amputation, énucléation, émasculation, etc.).

10ème jour : pratiques sadiques entraînant la mort.

Il va de soi que le dixième jour était celui où siégeait le Tribunal. Ce rythme accéléré impliquait en outre de renouveler régulièrement le cheptel. Il fut donc décidé que les quatre régiments seraient intégralement dissous et remplacés tous les cent jours terrestres, aux bons soins des agents des libertins à travers le système. Le centième jour, après l’arrivée du cargo de « renforts », tout le monde se rendrait donc sur le Justine pour une gigantesque orgie s’achevant inévitablement dans un bain de sang.

Par ailleurs, en dépit des protestations (inévitables) de Michel, il fut décidé que l’on se passerait des dissertations philosophiques entrecoupant nécessairement les expériences sexuelles, afin de s’en tenir à l’essentiel. Mais on choisit tout de même d’avoir recours aux conteuses sadiennes, chargées de divertir par leurs récits les libertins exténués et de veiller à la conduite du cheptel : on choisit à cet effet trois « duègnes », des Françaises, ramassées non pas dans des bordels mais dans les rédactions des principaux webmagazines féminins de Paris, et un garde-chiourme pour les éphèbes du Général (un séminariste espagnol ; finalement, il y eut donc bien un religieux sur Anadyomène). Ceux-là, de même que les fouteurs et les divers domestiques (cuisiniers, médecins, pilotes, etc.), bénéficiaient également du Traitement. En principe.

Une dernière précision sur le calendrier : comme je l’ai déjà dit, il procédait par accumulation. Euh… prenons par exemple le cinquième jour : les libertins pouvaient monter des spectacles, branler et se branler, sucer et se faire sucer, accéder au Justine, etc., jusqu’à la pénétration vaginale incluse, la « nouveauté » du jour. Mais les activités des jours suivants leur étaient interdites, et entraînaient des châtiments (de type 7 et 8 uniquement, bien entendu). Dans l’ensemble, ils se plièrent volontiers à cette règle pimentant le jeu, même si Richard (évidemment…) eut un peu de mal, mais j’y reviendrai. Le problème, cependant, est que ce calendrier était largement hétérosexuel. Trois des convives étaient en effet essentiellement hétéro, mais le dernier était « purement » homo, et les cheptels avaient été constitués en conséquence : trois régiments féminins, et un masculin (et non un vaste troupeau mixte, comme dans le bouquin). Néanmoins, il y avait les fouteurs. Il fut donc décidé que l’orientation sexuelle n’influerait pas sur le calendrier, chacun des libertins pouvant adopter alternativement ou (et ce fut ce qui arriva très vite) en même temps une sexualité hétéro et/ou homo. Le Général y compris. C’était évidemment le cinquième jour qui posait problème, dans son cas : mais, en échange d’une priorité dans l’usage des fouteurs, le Général valida le règlement, et, à l’occasion, il fut bien amené à baiser des femmes, pour la forme.

 

Le premier jour, on a tout d’abord procédé aux cérémonies de mariage. Dieter a épousé Kate, la fille de Richard ; 15 ans, métisse nippo-anglaise, assez jolie, complètement conne ; avec un père pareil, tu m’étonnes… Richard, lui, a épousé la fille de Michel, Pauline ; une fille superbe, étrangement à l’opposé de son gras du bide de père ; limite anorexique, en fait : à voir ses poignets, on aurait cru une Palestinienne tout juste libérée d’un camp de concentration ; mais très jolie : 16 ans, beaux yeux verts, belle rousse à bouclettes très miam, avec des petits seins bien fermes ; elle tirait la gueule, par contre : là encore, tu m’étonnes… Mais bon, en dehors de la lune de miel, on pouvait se douter que Campbell ne la malmènerait pas trop, il avait des préférences bien établies. Wu avait adopté une fille pour l’occasion ; destinée à Michel, donc bien grasse : Peï, Chinoise velue suintante, 32 ans, répugnante. Quant à Wu, ben, il a épousé le fils de Dieter, Hans : 14 ans, grand blond assez barraque ; il allait prendre cher, celui-là.

L’après-midi, visite guidée (par Michel, bien sûr) d’Anadyomène. On est parti de la grande salle, là où auraient lieu la plupart des réjouissances. Décor baroque cliché au possible, saturé de dorures et de tapisseries, des coussins partout, une estrade centrale pour les conteuses. Depuis la salle, on accédait aux quatre alcôves des libertins, que chacun avait décoré à sa manière : Richard avec ses putains de posters holo extraits d’hentai ou figurant des starlettes d’une antique j-pop, Wu avec des estampes et une fausse cheminée, Michel façon salle de torture médiévale (re-tu m’étonnes), Dieter sobre et classe, blanc-gris, rien qui dépasse.

Après, on est passés dans la médiathèque, en fait aussi grande que la « grande » salle. Même si Anadyomène avait pour but de retourner aux vraies sensations, on y trouvait des trésors impressionnants, en guise de stimulants et d’inspirations, disons : une collection exhaustive ou presque de littérature et de bande-dessinée érotique et pornographique, avec quelques merveilles dans le tas ; tout Sade notamment, bien sûr, avec une belle collec’ de manuscrits originaux, dont celui des 120 Journées de Sodome, sous forme de bande minuscule, déroulée dans un grand panneau mural. Des films, aussi ; des vieux, des holos, des RealPorn™… En fait, seul le catalogue informatisé était cette fois directement accessible, à cause de la masse des documents disponibles ; mais il y avait tout un assortiment de robots pour aller chercher dans les réserves ce qu’on désirait. Côté musique, plein de choses simplement connotées, mais aussi une palanquée d’enregistrements de Sex Muzak™, cette variante de la musique concrète qui avait eu tant de succès auprès des « pervers socialement corrects » du milieu du XXIe ; beaucoup de merde dans le tas, mais quelques trucs intéressants, aussi. Et enfin des jeux vidéos et autres programmes divers et variés, dont bien sûr les créations RV ésotériques de Campbell, qui ont beaucoup fait pour sa fortune, toute la série des Gonzo™ : le GonzoGonzo™ de base, et tous les modules, BabyGonzo™, BoboGonzo™, BozoGonzo™ (dingue le nombre de types qui fantasment sur les clowns), BuboGonzo™, GarboGonzo™, GoboGonzo™, GozzoGonzo™ (très imaginatif, celui-là, impressionnant), HoboGonzo™, HomoGonzo™, HypnoGonzo™, JesuGonzo™, MaoGonzo™ (spécial Wu, celui-là), MasoGonzo™, MondoGonzo™, NaziGonzo™, NegroGonzo™, PedoGonzo™, SadoGonzo™, ScatoGonzo™, ZooGonzo™, j’en passe et des meilleurs… dont DomsoGonzo™, qu’est-ce que vous croyez !

 

Ah ouais, mais c’est vrai, je me suis pas présenté. Enfin, faut dire, je sais pas si c’est nécessaire. Quelque part, on doit être intimes ; en fait, y a même beaucoup de chances pour que je vous ai déjà fait le cul. C’est que j’en ai pété, des culs, des milliers, des millions, même. On a dit de moi que j’étais la plus grande star du porno depuis que le porno existait ; enfin, la plus grande star masculine, en tout cas, ça relativise.

Bon, donc, Vincent Domso. Ouais, c’est un nom de merde, mais c’est pas moi qui l’ai choisi. Dans l’industrie du porno, on a toujours fait preuve d’un goût douteux pour les jeux de mots les plus pathétiques, c’est pas moi qui vais vous l’apprendre. À l’origine, j’étais juste Vincent Laffont. Un paumé comme y’en a plein, trop pauvre pour étudier, trop noir pour bosser. C’est pour ça que j’ai commencé à me vendre, bien sûr. J’en étais pas spécialement fier, mais j’avais pas le choix. Et les bourgeoises et les bourgeois payaient bien, ça leur plaisait bien, de se faire un bamboula ; à l’époque, ça avait quelque chose d’un peu pervers, mais juste un peu. C’est comme ça qu’après quelques années je me suis mis au porno. On m’avait filé des contacts, j’étais plutôt beau gosse, barraque et bien membré. Vu qu’on me demandait jamais que d’être une bite sur pattes, le reste n’avait aucune espèce d’importance. Au début, j’étais juste dans des machins amateurs anonymes, vous savez, une chambre ou une piscine, et vas-y, fourre. Oral, vaginal, anal, éjac’ faciale. Répétitif.

Je ne comptais déjà plus mes scènes quand Campbell m’a repéré ; et ça, ça a été ma chance ; parce que du coup, j’ai été le premier fouteur RealPorn™. Et ça a été le début de la gloire. Tout à coup, je n’étais plus une bite entrevue en gros plan, mais Vincent Domso, le grand Vinz’, le gode ultime, l’amant idéal, toujours au top, le colosse noir interactif, tantôt soumis comme un esclave, tantôt dominateur ; doux et tendre ou violent et brutal, selon les programmes : à vous de choisir. Vous êtes Domso, ou vous vous faites baiser par Domso : c’est vous qui voyez, vous pouvez même changer de sexe. J’étais la star masculine des trois premiers RealPorn™ : le romantique Pour vous, Mesdames, le soumis en costume Je t’appartiens, le brutal Domso t’encule. Les trois ont envahi les foyers du monde entier en même temps, et rencontré un immense succès ; c’était plus le cybersexe à la papa, là, avec les combinaisons inconfortables et les sensations que seul un puceau ou un nostalgique pouvait comparer à la baise. Non, là, d’un seul coup, c’était du vrai sexe. C’est comme ça que je me suis fait le monde : les femmes au foyer délaissées, les gamines rêveuses, les homos refoulés, les assumés en manque, tous, tous, tous ; et, bien sûr, y en a eu plein pour me défoncer le cul par procuration, pour me fouetter, me battre, me tuer, même. Mais moi, je m’en portais pas plus mal, j’avais de la thune, je faisais des plateaux holoTV… Pouvais pas me plaindre. Ça a continué comme ça une dizaine d’années, avec une trentaine de titres par an. Vers la fin, je faisais même dans le « prestige », voire dans le « vrai cinéma », mais bon, ça n’a pas vraiment marché. La relève était là et, si j’avais participé aux premiers Gonzo™ qui ont sonné le glas du boulard traditionnel, si j’en avais même un à mon nom, le public a ensuite voulu passer à autre chose.

Alors, quand Dieter m’a contacté pour servir de fouteur sur Anadyomène, je n’avais pas grand chose à perdre. Et puis, après tout, on me proposait de faire ce pour quoi j’étais le meilleur… la seule chose que je savais faire…

 

… J’en étais où, là ? Ah, ouais, la visite.

Bon, honnêtement, j’ai aucune envie de vous faire le détail des installations, et j’imagine que Michel, de son côté, s’en occupera très bien. Je vais en rester au plus intéressant. Et après la grande salle et la médiathèque, ça veut dire le Justine. Un vaisseau comme un autre, en apparence. Mais sa particularité, c’était d’avoir sa propre « grande salle », totalement hermétique et coupée du reste du vaisseau, spécifiquement prévue pour des orgies en apesanteur. Évidemment, dès le deuxième jour, les libertins s’en sont donnés à cœur joie, flottant hilares au milieu des sphères de pisse et de sperme agitées de vaguelettes, et des étrons mousseux résultant d’une alimentation spécialement étudiée.

Mais ce ne fut qu’au terme du premier cycle que le Justine fut véritablement étrenné. Sur les instructions de Michel, Richard avait concocté des bonbons anisés à base de poudre de cantharide : il s’agissait de faire une variante outrancière et en apesanteur de l’affaire de Marseille. Certaines de ces gélules, d’un coloris rouge, étaient destinées aux libertins, à leurs conjoints et aux fouteurs ; faiblement dosées, elles n’avaient qu’un léger effet aphrodisiaque. Mais les autres, les noires, destinées aux régiments à éliminer, étaient volontairement surdosées. Les effets ne tardèrent pas à se manifester : tous furent pris d’affreuses douleurs abdominales et de vomissements, certains émettant des urines sanglantes ; les gitons de Wu étaient atteints d’un priapisme pathologique et douloureux, l’urètre irrité et le gland gonflé. L’orgie ne fut qu’une longue suite de hurlements et de pleurs. Puis certains commencèrent à mourir de la surdose. Ceux-là avaient de la chance : les survivants se virent appliquer sur l’ensemble du corps des reliquats de la poudre de cantharide qui leur brûlèrent la peau et les yeux dans une constellation d’ampoules. Après quoi les cadavres furent évacués dans l’espace, « nouveaux satellites morbides de la cruelle Vénus » (c’est de Michel, hein).

 

C’est alors que, Pauline et moi, on a baisé pour la première fois. Je l’avais remarquée qui me zyeutait, pendant l’orgie ; délaissée par son crétin de mari qui s’amusait à pénétrer par à-coups les sphères de pisse sanguinolente et les plaques de vomi semi-liquide, tout en pétrissant le cul de sa fille, occupée à déféquer sur Michel, qui se faisait sucer par Wu, etc. , etc. Moi, j’enculais une gamine du régiment de Dieter, alors qu’il lui entaillait les seins à chaque gémissement ; elle gémissait beaucoup. Je niquais professionnellement, sans y prendre le moindre plaisir, mes yeux vagabondant à travers le délire qui m’entourait. Et puis je me suis fixé sur Pauline, qui me regardait, les yeux pétillants, voltigeant près du plafond. Elle se caressa les lèvres de l’index, mima un « chut » complice, puis entreprit de se masturber, sans me quitter des yeux, miaulant doucement son plaisir solitaire. Elle plongea soudain dans ma direction et me dégagea de la gamine (Dieter ne tarda pas à prendre le relais, jouissant dans son cul tout en lui enfonçant les yeux dans leurs orbites sanglantes).

Pauline me repoussa contre une paroi, passa ses mains sur mon torse ruisselant, puis descendit lentement sur mon sexe, qu’elle branla avec tendresse. Ce n’était déjà plus la même chose ; à l’instant où ses doigts frôlèrent ma queue, un plaisir comme je n’en avais pas ressenti depuis des années m’envahit. Dans un réflexe, je l’incitais à me masturber plus frénétiquement, dévoré par le désir, mais elle m’immobilisait et continuait avec une lenteur infinie et délicieuse. Puis elle me prit délicatement dans sa bouche, sa langue parcourant mon gland, agitée de mouvements subtils. Quand elle m’engloutit enfin, je faillis jouir illico. Mais elle se retira aussitôt dans un sourire, et comprima fermement mon sexe à la base du gland. Une douleur mêlée de plaisir me paralysa pendant quelques secondes qui me parurent des siècles.

Sans desserrer son emprise, elle remonta lentement contre mon torse, qu’elle excita de la pointe sensible de ses petits seins. Elle évita tout d’abord mes brutales tentatives de baisers, se contentant de me caresser les joues de ses boucles rousses. Ses cuisses étonnement galbées montaient et descendaient contre mes reins, tandis qu’elle frottait mon gland encore douloureux contre son pubis. Je parcourais son corps si délicat, si frêle, de mes mains qui ne m’avaient jamais paru aussi grossières, me délectant de ses discrets gémissements, du contact infime de nos poitrines, du parfum entêtant de sa crinière qui ondoyait sous mes yeux. Nos lèvres s’unirent enfin dans un mouvement synchrone d’une infinie lenteur, d’une infinie douceur. D’une soudaine impulsion contre la paroi, elle se rehaussa quelque peu, puis redescendit lentement sur ma queue. Je la pénétrai comme dans un rêve, et m’abandonnai à ses volontés, au langoureux frémissement de ses hanches. De ses doigts arachnéens, elle guida mes mains sur sa poitrine menue, sur sa taille de guêpe, sur ses fesses fermes et autoritaires. Elle se cabra dans un ralenti effarant, les yeux clos et les lèvres fines plissées par la jouissance, et saisit mon crane chauve qu’elle ramena contre ses seins. Nous accélérâmes indiciblement nos délicats va-et-vient, et ses gémissements se firent plus sonores, plus exigeants, plus voraces, jusqu’à éclater, terribles, dans une extase commune, une jouissance dévastatrice, un râle blanc.

Pauline…

C’était la première fois. Certainement pas la dernière. On a remis ça dès qu’on a pu, variant les expériences, et c’était toujours neuf, toujours beau, toujours fort. Putain, pour un peu, j’aurais presque cru que c’était l’amour.

 

Mais bon, y’avait Richard. Et ce con foutait le bordel. Il était incapable de jouer le jeu, de se plier aux règles savamment élaborées par Michel, sans parler de l’atmosphère souhaitée par les trois autres libertins. Chaque jour, il fallait qu’il fasse une connerie : déjà, il tenait à fourrer tous les jours, obligé ; on pouvait user de toutes les sanctions à son encontre, rien à faire, la zigounette à monsieur réclamait sa dose de pilou-pilou.

Et puis des trucs plus gênants : un J3, BLAM ! il explose une de ses putes d’une charge dans le vagin (« Juste pour voir… ») ; une autre fois, on l’a retrouvé, le lendemain de l’arrivée des « renforts » (!), avec déjà six cadavres dans son alcôve – il les avait tuées au gode-perceuse.

Invariablement, son « régiment » ne tenait pas jusqu’au bout. Alors il demandait des « prêts » ; quand c’était pour une petite baise, comme ça, en passant, les autres n’y voyaient pas d’inconvénients, bien sûr… de toute façon, on n’avait jamais été trop regardant à cet égard. Mais quand Richard commença à leur rendre des macchabées en parlant de les « rembourser » plus tard, ils finirent par considérer que trop, c’était trop, et que, décidément, ils avaient misé sur le mauvais cheval.

 

Un soir, après l’orgie, Dieter vint me trouver dans la salle de repos des fouteurs. Visage de marbre, yeux froids et perçants. Il me fixa un moment, s’approcha de moi lentement, me saisit par l’épaule, et, dans un murmure, au creux de mon oreille :

— Vincent. Choisis trois de mes hommes. De confiance. Puis rejoins-moi à mon bureau. » Il raffermit sa prise. « Discrètement. »

Une caresse, une tape amicale, et il s’en alla.

J’étais pour le moins perplexe. Jamais auparavant Dieter ne s’était comporté de la sorte. Oh, il n’était pas rare qu’un libertin vienne réclamer les services d’un ou de plusieurs fouteurs, mais pourquoi faire tant de mystères ? Ce n’était pas dans les habitudes du bonhomme. Mais j’avais l’obéissance dans le sang. J’attendis quelques instants, puis fis part de ces instructions à trois types que je savais fiables et discrets – leurs noms importent peu.

Nous nous rendîmes dans le bureau de Dieter à travers les couloirs déserts d’Anadyomène. Quand j’ouvris la porte, surprise : Dieter était en compagnie de Michel et de Wu. Il nous fit signe d’entrer et de fermer la porte derrière nous. Tandis que les libertins, en peignoir de soie, sirotaient une liqueur, nous nous mîmes spontanément au garde-à-vous. Et, comme par hasard, ce fut Wu qui prit la parole :

— Messieurs, nous avons un problème. Un grave problème.

Il nous expliqua, sans couper les cheveux en quatre, qu’ils en avaient plein le cul de Campbell, et qu’ils avaient décidé de s’en débarrasser. Tout simplement. Nous, on devait s’emparer du gazier, discretos, l’embarquer à bord de la navette, nous rendre dans le Justine, et participer à son « juste châtiment ».

Campbell lui-même avait installé dans Anadyomène un système de caméras qui nous permit de surveiller sa chambre, et d’attendre le moment adéquat pour nous y pointer. Ce gros con ronflait la bave aux lèvres, affalé sur son pieux, tandis que Pauline, encore éveillée, était affalée dans un coin de la pièce. Je lui fis « chut » de la main, et elle me regarda, l’air étonnée, mais sans moufter. Tous les quatre, nous nous installâmes autour du lit. Puis, au top, chacun s’empara, qui d’un bras, qui d’une jambe. Campbell se réveilla aussitôt. Et – on peut lui reconnaître ça – il comprit très vite ce qui lui arrivait. «  NON ! NON ! NON, ARRÊTEZ, LES MECS, DÉCONNEZ PAS, ARRÊTEZ, JE FERAI TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, ARRÊTEZ, PROMIS, ARRÊTEZ, JE FERAI TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, JE FERAI PLUS DE CONNERIES, ARRÊTEZ, MERDE, JE ME TIENDRAI À CARREAU OH MERDE PUTAIN NON FAITES PAS ÇA LES GARS NON FAITES PAS ÇA JE VOUS EN PRIE ARRÊTEZ JE VOUS JURE… »

Ad nauseam. Tout le temps qu’on trimballait ce gros con dans les couloirs jusqu’à la navette. Il se débattait, se tortillait comme une véritable anguille, mais rien à faire : nous quatre, on était plutôt du genre colosses, et on tenait bien notre bestiau. Qui n’avait de toute façon nulle part où aller.

Et puis il y avait Pauline. Elle a eu un temps de retard, puis s’est mise à nous suivre, une couverture sur les épaules ; elle s’est précipitée à mes côtés, et n’a cessé dès lors de me harceler de questions : « Où est-ce que vous l’emmenez ? Vincent ? Vincent, s’il te plait, dis-moi ! Où est-ce que vous l’emmenez ? Qu’est-ce que vous allez lui faire ? Je… Je peux venir ? Je peux venir avec vous ? Je peux le faire souffrir ce gros fils de PUTE ? S’il te plait ! Laissez-moi venir avec vous ! Où est-ce que vous l’emmenez ? Je veux venir avec vous, je veux voir crever ce gros PORC, cette MERDE, cette RACLURE ! » Elle ne s’interrompait que pour lui cracher à la gueule.

J’en avais plein les oreilles, putain.

Dieter, Michel et Wu nous attendaient, stoïques, devant la passerelle de la navette. Ils nous firent signe d’embarquer Campbell, ce que nous fîmes promptement et sans ménagement. Pauline se tourna alors vers eux, se jetant successivement dans les bras de chacun, mais elle se vit refuser l’accès à bord. « C’est une affaire d’hommes », finit par lui dire son père d’un air d’autorité qui ne lui allait guère. Elle lui jeta un œil noir, mais ne dit rien, et s’en retourna. Les trois libertins prirent place à bord du vaisseau, aux côtés de Campbell hurlant, maintenu de force dans ses sangles, et nous décollâmes pour l’orbite de Vénus, tandis que Wu donnait par radio des instructions pour maîtriser les hommes de Campbell, juste au cas où.

Ce dernier hurlait toujours de plus belle lors du rendez-vous avec le Justine. Et il n’en avait pas fini. Ses trois comparses lui avaient mitonné un joyeux programme ; ils prirent cependant la peine de le bâillonner, le temps de lui lire rapidement les motifs de sa condamnation et la sentence de mort qui s’ensuivait (ce fut bien entendu Michel qui s’en chargea), mais voulurent par la suite se délecter de ses cris de terreur et de souffrance mêlées.

Cela commença gentiment par un viol collectif, chaque fouteur et chaque libertin y passant tour à tour. Il s’agissait plus, dans les circonstances, d’une humiliation que d’autre chose ; d’ailleurs, ils ne tardèrent pas à lui chier dessus pour conclure cette première étape du supplice. Wu marqua ensuite Campbell au fer rouge, puis Michel le fouetta sur le cul, en le sodomisant à nouveau pour la peine, avant de le fouetter sur les jambes puis sur le torse ; Dieter se mit alors à inciser la victime avec un scalpel, et lui « agrandit » ainsi l’anus et la bouche.

Ils laissèrent alors retomber Campbell pantelant, sanglotant, le bâillonnèrent à nouveau, et Michel reprit la parole :

— Nous venons de nous livrer sur ta personne à une petite adaptation de la première étape du supplice dit « de l’enfer », qui conclut les récits de la quatrième partie des Cent Vingt Journées de Sodome. Las, ce supplice particulièrement raffiné exige normalement la, hum, « participation » de quinze victimes… et tu es seul. Nous avons hésité. Pour l’étape suivante, nous aurions pu inventer nous-mêmes un supplice, bien sûr ; ou tirer au sort une des propositions du Divin Marquis… mais il nous a semblé, en définitive, que le plus judicieux était encore de te laisser choisir. » Il chaussa ses lunettes, et s’empara d’un exemplaire du célèbre ouvrage, qui ne le quittait jamais ; il retrouva presque instantanément la page voulue, s’éclaircit la voix, et entama la lecture :

«  Le premier supplice est une roue sur laquelle est la fille – c’est de toi qu’il s’agit, Richard –, et qui tourne sans cesse en effleurant un cercle garni de lames de rasoir où la malheureuse s’égratigne et se coupe en tous les sens à chaque tour ; mais comme elle n’est qu’effleurée, elle tourne au moins deux heures avant que de mourir.

« Le 2. La fille est couchée à deux pouces d’une plaque rouge qui la fond lentement.

« 3. Elle est fixée par le croupion sur une pièce de fer brûlant, et chacun de ses membres contourné dans une dislocation épouvantable.

« 4. Les quatre membres attachés à quatre ressorts qui s’éloignent peu à peu et les tiraillent lentement, jusqu’à ce qu’enfin ils se détachent et que le tronc tombe dans un brasier.

« 5. Une cloche de fer rouge lui sert de bonnet sans appuyer, de manière que sa cervelle fond lentement et que sa tête grille en détail.

« 6. Elle est dans une cuve d’huile bouillante enchaînée.

« 7. Exposée droite à une machine qui lui lance six fois par minute un trait piquant dans le corps, et toujours à une place nouvelle ; la machine ne s’arrête que quand elle en est couverte. Quelle imagination, mes amis ! Concevoir ceci, à la veille de la Révolution ? Quel génie !

« 8. Les pieds dans une fournaise ; et une masse de plomb sur sa tête l’abaisse peu à peu, à mesure qu’elle se brûle.

« 9. Son bourreau la pique à tout instant avec un fer rouge ; elle est liée devant lui ; il blesse ainsi peu à peu tout le corps en détail. Moui, classique…

« 10. Elle est enchaînée sous un pilier à un globe de verre, et vingt serpents affamés la dévorent en détail toute vive.

« 11. Elle est pendue par une main avec deux boulets de canon aux pieds ; si elle tombe, c’est dans une fournaise.

« 12. Elle est empalée par la bouche, les pieds en l’air ; un déluge de flammèches ardentes lui tombe à tout instant sur le corps.

« 13. Ah, j’aime beaucoup celui-ci : Les nerfs retirés du corps et liés à des cordons qui les allongent ; et, pendant ce temps-là, on les larde avec des pointes de fer brûlantes.

« 14. Tour à tour tenaillée et fouettée sur le con – on s’arrangera – et le cul avec des martinets de fer à molettes d’acier rouge, et, de temps en temps, égratignée avec des ongles de fer ardents.

« Et enfin 15. Elle est empoisonnée d’une drogue qui lui brûle et lui déchire les entrailles, qui lui donne des convulsions épouvantables, lui fait pousser des hurlements affreux, et ne doit la faire mourir que la dernière ; ce supplice est un des plus terribles. Comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences, hein, Richard », conclut Michel en refermant d’un coup sec son Sade.

— Quant à la suite, elle ne concerne que nous », glissa Wu.

— Fais ton choix », ajouta Dieter, d’un air étrangement compatissant. « Tu as tout le temps du retour sur Anadyomène pour cela. Mais attention, Richard, choisis, et choisis bien : si, une fois là-bas, tu ne nous donnes pas de réponse, tu tâteras tour à tour des quinze supplices. »

Michel se pencha sur la masse informe et gémissante de l’informaticien, lui donna son exemplaire de Sade ouvert à la bonne page, lui ébouriffa les cheveux et retourna s’asseoir avec les autres.

De retour sur Anadyomène, Campbell, qui n’avait cessé de sangloter et de demander grâce, n’avait pu se résoudre à choisir.

Sa mort a été constatée par les médecins au treizième supplice. Les libertins jouirent tour à tour dans le cadavre ruisselant de sang, mutilé, brûlé… On n’y reconnaissait presque plus rien d’humain.

 

Il fallait qu’ils soient quatre.

Michel n’en démordait pas. Le problème restait donc posé.

Que faire ? Interrompre les festivités, retourner sur Terre, recommencer l’interminable quête d’un quatrième partenaire idéal ? Pour les libertins, c’était devenu impensable. Même Michel concédait ce point. On en était donc à une véritable impasse.

Le lendemain, l’ambiance était pour le moins morose dans la station. Les duègnes ne parvenaient pas à distraire les libertins, qui n’avaient pas non plus la tête à baiser. Le débat reprenait ; quand j’arrivais dans la grande salle, ils en étaient là :

— La religion ? Manuel ?

— Vous n’y pensez pas ! C’est un garde-chiourmes, rien d’autre !

— Quoi, alors ?

— Le cul.

— Le cul, oui, mais qui, comment, pourquoi ?

— …

Leurs regards se posèrent sur moi.

Merde.

Ce fut Wu qui le suggéra le premier :

— Domso.

— Domso ? » Michel.

— Domso… » Dieter.

— Domso ! Mais... mais il n’est pas de notre classe ! », lança Michel, visiblement tétanisé à l’idée que je puisse devenir son égal.

— Certes », concéda Dieter. « Mais tu avoueras qu’en fait de prince du cul, on trouveras difficilement mieux que notre cher Vincent Domso. Domso… oui, l’idée me paraît intéressante… Qu’en penses-tu, Vincent ? »

Merde.

Merde merde merde.

— Eh bien, monsieur… euh… messieurs… c’est-à-dire que… c’est un honneur, et… mais… je ne suis pas certain de… monsieur Debruijn a sans doute raison et…

— Ah !

— Je ne reconnais pas là le grand Vincent Domso », dit Wu.

Je baissais la tête, l’air coupable et affligé. Mais Wu reprit la parole :

— Mais je sais que le grand Vincent Domso est là, quelque part. Et ces questions de classe sociale ne sont d’aucune importance à mes yeux.

Merde.

Dieter prit à son tour la parole :

— Je suis d’accord avec le général. Pour être un homme d’argent, je n’en suis pas moins un homme qui s’est fait tout seul. Je sais reconnaître le talent où il se trouve. Nous cherchons un fouteur de talent ; Vincent Domso est le plus grand fouteur de tous les temps.

Michel ne put rien rétorquer : Dieter avait parlé. Tous trois se tournèrent à nouveau vers moi. Je sentis qu’ils attendaient de moi une réponse :

— Eh bien… messieurs… si telle est votre volonté… Je ne peux que m’incliner, mais… euh… j’ai tellement longtemps été confiné dans les rôles d’exécutant que je ne sais trop si la, euh, la prise de décision, eh bien… euh…

— Cela s’apprend, cher ami », me dit Dieter dans un grand sourire. « Et je crois que quelqu’un qui vous est cher pourrait à cet égard vous être d’un grand secours. »

Je le regardai d’un air éberlué. Il éclata de rire :

— Vous croyez sérieusement que nous n’avons pas remarqué votre petit jeu ? Il faut vous marier, mon ami ! Et votre très chère Pauline – il me fit un clin d’œil – est, eh bien, « disponible » depuis peu.

Il se tourna vers Michel.

— Et je sais de source sûre qu’il s’agit là d’une jeune fille intelligente et sans scrupules, parfaitement adaptée à votre situation.

Et, à moi :

— Sans compter qu’elle baise bien.

— Divinement, monsieur.

Michel s’interrogea :

— Mais… en fait de Domso… ne cherchez-vous pas à remplacer Richard par… par une sorte de… de « dyarchie », ce qui nous ferait cinq libertins au lieu de quatre ?

Et Wu :

— Je suis pour Domso. Mais n’est-ce pas là confier un rôle trop important à… une femme ? », dit-il d’un air dégoûté.

Dieter les foudroya du regard :

— Domso nous rejoint. Il épouse Pauline. Nous sommes quatre. L’affaire est réglée.

Et, effectivement, c’est ainsi que l’affaire fut réglée, et que votre serviteur prit place aux côtés de Dieter, Michel et Wu parmi les seigneurs d’Anadyomène.

 

Au début, ça m’a fait vraiment bizarre : commander les « régiments », choisir, prendre des initiatives, tout faire selon mon bon plaisir, et non plus selon les ordres d’un réal ou d’un patron… Non, franchement bizarre. Perturbant. Un peu effrayant, aussi. Tout d’abord, on ne peut pas dire que j’y ai vraiment pris du plaisir. Et puis c’est venu, petit à petit.

Grâce à Pauline, essentiellement. Elle était toujours là pour moi. Pour me guider, m’aider ; pas me donner des ordres, ni choisir à ma place, mais juste… je sais pas. Qu’elle soit là, ça changeait tout. Et puis, elle, au moins, elle avait de l’imagination. Moi, ça a jamais été trop mon truc ; mais alors elle… une vraie littéraire, pas comme son imposteur de paternel.

Je me souviens encore de la nuit de noces. Une pure nuit de jouissance ininterrompue. C’est con, hein, à la base, ça aurait dû être une nuit comme les autres, mais… Déjà, y avait… Vous savez… On était juste tous les deux, dans l’alcôve. Personne autour. Pas un bruit. Rien que nous deux, comme deux amoureux, ou deux amants qui prétendent l’être. Dans une lueur bleutée, très douce, diffuse. Et elle, très tendre… si tendre…

Vous savez, j’en n’ai jamais vraiment eu l’habitude, moi, de la tendresse. Dans le porno, c’est pas exactement ça qu’on est censé vendre au client. Et avec les autres meufs, déformation professionnelle oblige… pis c’était ce qu’elles attendaient du grand Vinz, de toute façon. Là… putain, là, c’était autre chose.

Déjà, tout le prélude. Ce qu’on zappe dans les films. Là, c’était long, si long. Et doux… de légères caresses, presque timides – il y a du jeu de rôle dans tout ça –, les lents mouvements des jambes, les cheveux qui s’égayent sur les poitrines, couvertes de baisers. Une mamelle saisie délicatement, la main redescendant lentement le long des hanches, tandis que la bouche vient se poser contre l’aréole, effleurée de la langue. Les gouttes de sueur qui perlent à la gorge, saisies au passage pour un tendre baiser dans le cou. Les soupirs, les gémissements, qui se perdent dans la nuit, qui se chuchotent à l’oreille, qui se murmurent comme autant de secrets. Et puis, peu à peu, les mouvements de l’amour qui se font synchrones, les mains qui s’égarent entre les cuisses, les caresses intimes, les délicieux frissons ; ses doigts qui viennent se poser sur mon sexe, délicatement, le frôlant à peine ; mes doigts qui taquinent s

on entrejambe déjà humide, s’aventurent en elle dans un spasme. Les jeux se prolongent, dans une jouissance subtile que je n’avais jamais fait qu’entrevoir. Elle est si belle, les yeux mi-clos et brillants, un sourire enfantin plaqué aux lèvres…

 

Au bout d’un moment, elle se met à m’embrasser le torse, puis redescend contre mon pénis, qu’elle engloutit voracement de sa bouche aux lèvres finement dessinées. Elle se retourne, et m’offre son sexe ; je m’empare de ses fesses délicieuses, et lape avidement. C’est si bon… Tous deux, régulièrement, nous devons nous interrompre, tant la jouissance est forte.

Puis elle se retire et, n’y tenant plus, autoritaire, elle m’enfourche, m’enserrant de ses cuisses, me plaquant contre le lit, sa crinière dansant contre mon front. Je la saisis par les hanches, fragile à briser, et serre de toutes mes forces ; elle se cabre aussitôt dans un cri suraigu. Mes mains remontent contre sa poitrine, pétrissent ses seins superbes, puis s’emparent de sa gorge et serrent à nouveau ; elle se plaque contre moi, remuant des hanches et des fesses dans un crescendo hystérique ; puis elle s’empare de mes mains, les serre à son tour, se redresse, et jouit ; je sens son plaisir dans ses doigts, si fins, qui emprisonnent mes vulgaires pognes de brute.

Nous roulons sur le côté : cette fois, c’est moi qui prend l’initiative. De la main droite, derrière l’épaule, je la plaque contre le lit ; de la gauche, doucement, je redescends le long de ses hanches jusqu’à ses fesses, et m’empare de sa jambe. Je la pénètre tendrement, mon torse allant et venant contre ses merveilleux petits seins. Je la couvre de baisers dans le cou, me régale de ses gémissements et de ses soupirs au creux de mon oreille. Puis je me redresse et la saisis par les hanches, jambes bien écartées ; j’accélère le mouvement ; ses mains cherchent tantôt à m’agripper, tantôt s’emparent des draps dans un râle. Elle jouit à nouveau, et je retombe doucement sur elle.

Je me retire et lui laisse le choix des armes. Elle vient s’accrocher aux barres du lit, et me présente son magnifique petit cul. D’un doigt, elle m’indique son vagin. Je la caresse un instant, puis la pénètre à nouveau. Le finale est plus brutal, mais non moins merveilleux. Nous atteignons l’orgasme en même temps, dans un hurlement simultané à réveiller les morts. Et nous nous effondrons l’un à côté de l’autre. Elle a les nerfs à vif ; je m’amuse à lui souffler dans le cou et le long du dos, ce qui lui provoque d’irrépressibles crises de fous rires.

Ce n’était que le début de la nuit. Je vous épargne la suite. Comme le disait en substance Sade lui-même – dans La Philosophie dans le boudoir, je crois –, au bout d’un moment, l’action devient répétitive… Mais quel bonheur…

 

Les libertins avaient vécu environ une année terrestre avec Richard (quand même !). Avec moi, et grâce au traitement, nous avons poursuivi notre chemin sans problème pendant cinquante-trois ans. Cinquante-trois années de jouissance, de torture et de meurtres, en toute impunité. Comme je vous l’ai déjà dit, au début, ça m’a fait bizarre, mais j’ai fini par y prendre goût.

 

Et puis il y eut la Catastrophe.

Elle a frappé sans prévenir. Aujourd’hui encore, on ne sait pas, au juste, ce qui s’est passé. Simplement, entre deux cargaisons de « renforts », nous avons perdu tout contact avec la Terre.

Nous ne gardions pas le contact en temps normal. À quoi bon ? Comme si la politique ou les catastrophes climatiques pouvaient nous intéresser… Il suffisait bien d’être tenu au courant des avancées technologiques à chaque changement de « régiment », par nos agents à travers le système…

Mais cette fois-ci, il n’y eut pas de « renforts » au centième jour. Ce qui chamboulait tout. On a essayé de contacter nos agents sur Terre, naturellement : rien. Contacter nos autres agents à travers le système était plus délicat, mais nous y parvînmes : ce sont eux qui nous ont appris que toute liaison avec la Terre avait cessé, de manière générale. Des expéditions avaient été envoyées depuis les stations du système, et toutes avaient renvoyé les mêmes rapports : des cadavres, partout. Pas une seule trace de vie humaine, rien. La Terre avait rendu l’âme, pour une raison que nous ignorons toujours. Sans doute un virus très très méchant. On a préféré ne pas vérifier.

Évidemment, pour nous, ça posait quelques problèmes. Dans ces conditions, il était impensable de continuer à procéder comme nous l’avions fait jusqu’alors : les stations du système solaire et les colonies martiennes et des lunes de Jupiter et de Saturne ne permettaient certainement pas de subvenir à nos besoins. Quant aux exoplanètes, elles étaient bien évidemment hors de portée… Alors il fut décidé de garder « intact » le cheptel que nous avions – enfin, ce qui en restait –, de gommer du tableau les pratiques sadiques trop violentes (et a fortiori celles entraînant la mort) et de faire bénéficier tout le monde du traitement, que nous pouvions produire en quantité suffisante pendant une période assez longue.

Très franchement, nos victimes n’y ont pas vraiment gagné au change…

 

Et nous voilà rendus aujourd’hui. Cela fait très exactement 378 années terrestres qu’Anadyomène a ouvert ses portes. Les orgies et les tortures ont continué tout ce temps, sans que jamais personne ne s’en inquiète. L’utopie sexuelle de Dieter, Michel, Wu et ce con de Richard s’est avérée un franc succès au-delà de toute espérance. Nous autres, les libertins d’Anadyomène, faisons partie des derniers rescapés de l’espèce humaine. Belle ironie, non ? Ou peut-être pas. Peut-être y a-t-il une certaine logique derrière tout ça, après tout. Peut-être Anadyomène n’est-elle autre chose qu’une illustration de la prospérité du vice, et du caractère fondamentalement mauvais de la nature humaine… Mais je laisse ça à Michel, je suis sûr qu’il vous en parlera mieux que moi. Ou Pauline. Oui, Pauline, plutôt…

378 ans…

Nous n’avons plus de quoi produire le traitement. Le processus de sénescence va bientôt s’enclencher, et, comme vous le savez sans doute, il est particulièrement brutal quand on a usé et abusé du rajeunissement. D’ici quelques semaines, tous, ici, à ce compte-là, nous ne serions plus que des loques humaines, vieillards cacochymes semi-liquides, infects, répugnants. Cette idée nous est insupportable. Aussi avons-nous décidé d’en finir en beauté.

Ce soir, nous allons liquider le cheptel, comme au bon vieux temps.

Demain, les fouteurs, les duègnes, bref, le personnel.

Après-demain, les époux et épouses.

Pauline…

Et puis ce sera notre tour.

 

Mais nous avons voulu laisser un témoignage. D’où l’enregistrement de ces fichiers. Nous nous sommes dits qu’un jour, peut-être, une expédition en provenance d’une exoplanète retournerait au berceau de l’humanité, et explorerait ses environs ; trouverait enfin Andyomène. Et qu’il serait… instructif de savoir ce qui s’y est passé.

Alors voilà. Vous savez tout. Vous savez ce qui s’est passé dans cette station vénusienne perdue, pendant 378 années, putain, la bonne blague ! Ah !

Et vous savez quoi ?

Je ne regrette rien.

D’ailleurs, j’ai encore une chose à vous dire.

Vous m’entendez ?

ALLEZ TOUS VOUS FAIRE FOUTRE !

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"32 Seconds", de Kanzel

Publié le par Nébal

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Ah, la nostalgie, citoyens…

 

Quand Nébal était jeune et innocent, entre autres choses, il faisait de la musique. De la basse, en l’occurrence. Mal, mais c’est pas grave, la basse, personne l’entend. J’ai donc joué dans plusieurs groupes avec des potes, notamment un groupe de metal dont je crois que toute trace a disparu (?), puis, au lycée, un groupe de pop, Kanzel (mais c’était quand même de la pop accordée en si, hein) (ben oui, à l’époque, on écoutait Korn, j’avais une cinq cordes, et Xavier, le guitariste, une sept cordes…).

 

La nostalgie m’a pris (donc), et j’ai eu l’idée saugrenue de partager avec vous ces quelques émois adolescents. C’est que, il y a de ça pas loin de 13 ans (oh putain le coup de vieux…), l’on avait enregistré (chez un type, en un après-midi, quasiment à la première prise malgré les pains, dans des conditions très garage punk…) une démo, 32 Seconds. Avec l’accord des autres membres du groupe, j’en ai chargé tous les morceaux sur YouTube. Voici donc, pour le plus grand plaisir de vos oreilles ébahies, l’intégralité de l’album.

 

01 – Not Enough

 

02 – Crazy Valentine

 

03 – 32 Seconds

 

04 – Belive It’s Free

 

05 – Maretlb Kar Cbodoga

 

06 – Abyssal Child

 

07 – Sexy TV Refreshing

 

08 – [Ghost Track : À nous les filles / Not Enough Pt. 2 / À nous les filles (reprise)]

 

Putain, j’ai envie de refaire de la zik, moi…

 

Nostalgie…

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