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Wraith : Midnight Express

Publié le par Nébal

Wraith : Midnight Express

Wraith : Midnight Express, [Wraith: Midnight Express], White Wolf – Ludis International, [1994] 1996, 109 p.

Midnight Express est le seul supplément de contexte et (surtout) de scénarios pour Wraith traduit en son temps en français (parfois approximatif...) par Ludis. Ce qui lui confère mine de rien un semblant d’importance, notamment en ce que, après un livre de base, un livret de l’écran et un Guide du Joueur qui ne se montraient guère explicites à ce propos, Midnight Express est donc la première (et en français la seule) occasion de voir à quoi peut bien ressembler un scénario de Wraith. Et, hélas, de manière guère enthousiasmante…

 

Le Midnight Express est… eh bien, une sorte de train fantôme – littéralement : assemblé à partir de wagons dans lesquels des gens sont morts ; ce qui lui donne une allure très hétéroclite : un luxueux wagon restaurant du Simplon Orient-Express peut y côtoyer un fourgon à bétail employé par les nazis pour convoyer des Juifs vers les camps d’extermination…

 

Quoi qu’il en soit, le Midnight Express est le meilleur moyen de voyager dans le Monde des Ombres et à travers la Tempête, en y incluant Stygia : il n’est pas seulement ponctuel (où que vous vous trouviez, c’est à minuit que le train entre en gare), il est aussi remarquablement fiable – un très bon moyen de traverser la Tempête sans crainte… ou sans trop de crainte, parce que, dans les six scénarios composant ce recueil, ça merde systématiquement, et ça merde gros, dans la Tempête, bon…

 

Mais la fiabilité du Midnight Express tient aussi à sa neutralité : conçu par les Passeurs, et dirigé par l’un d’entre eux, du nom de Nicholas, le Midnight Express ne relève d’aucune faction – ce qui en fait un lieu de rencontre appréciable : dans les wagons, la Hiérarchie, les Renégats, les Hérétiques, peuvent se croiser et négocier dans l’ombre, uh uh… même si, là encore, les scénarios s’avèrent en fait passablement bourrins et bastonneux sous cet angle : on y négocie à l’arme-relique.

 

Reste que la raison d’être du Midnight Express, aux yeux des Passeurs, consiste à sélectionner des voyageurs pour un « autre voyage » : celui de la Transcendance – Nicholas et ses employés veillent au grain pour repérer qui pourra être sauvé…

 

Tous ces éléments de contexte, bizarrement, sont séparés en deux chapitres diamétralement opposés, en l’occurrence une « Introduction » et un « Appendice ». Une construction étrange et que rien ne justifie… et c’est hélas un des traits récurrents de ce supplément globalement mal conçu – mal « écrit », pas seulement au sens du style (ça, bien sûr...), mais surtout en ce qui concerne l’agencement et l’usage pratique ; chaque scénario ou presque présente ce genre de bizarreries malvenues.

 

Les scénarios, justement – le gros du bouquin. Il y en a six, et, précisons-le au cas où, s’ils empruntent tous (forcément) le cadre du Midnight Express, au moins pour partie, ils sont en dehors de cela totalement indépendants, et ne forment pas une campagne – le supplément avance qu’ils pourraient tous être joués, en les séparant, mais je ne suis pas certain que quiconque en aurait envie…

 

C’est que le niveau est… pas terrible, on va dire. Et cela tient pour une part non négligeable à des éléments déjà avancés : c’est (très) répétitif, c’est le bordel dès qu’on se retrouve dans la Tempête, et, quand les PJ ne combattent pas des hordes de spectres, alors ils se retrouvent en plein milieu des « négociations en terrain neutre » entre la Hiérarchie et les Renégats, qui donc se pougnent en permanence, se prennent en otages, se détournent, se poursuivent, se tourmentent... d’autant plus qu’il y a forcément des spectres et des Côtés Sombres derrière – systématiquement. Et le Monde des Vifs ? Il n’a que très peu d’impact… Il pourrait aussi bien ne pas être là. Alors, finalement, les Thèmes et les Ambiances de L’Art-Du-Conteur, hein… C’est presque à croire que, quand je jouais très bourrinement et même super-héroïquement à Wraith quand j’étais plus jeune, je n’étais pas totalement à côté de la plaque. Aheum.

 

On n’est pas à l’abri d’une bonne idée à l’occasion, hein – le Midnight Express en lui-même étant une de ces bonnes idées. Hélas, j’ai surtout retenu de ce supplément ses plus navrants gâchis…

 

D’ailleurs, pourquoi s’en tenir à l’ordre du supplément, qui n’a pas vraiment de sens, commençons par le plus affligeant de ces gâchis : le cinquième scénario, intitulé « Le Prix de la vengeance ». Sur le papier, c’est incomparablement le plus ambitieux des six scénarios de Midnight Express – en fait, pour le coup, il y a là matière à une campagne, très clairement, et une campagne très typée Monde des Ténèbres (Vampire, notamment), avec des gros morceaux de politique dedans ; par ailleurs, une campagne faisant appel à un thème déjà esquissé dans le livre de base, sauf erreur, et particulièrement horrible (la quintessence du Wraith idéalisé) : l’implication de certaines Ombres cupides dans les guerres les plus horribles du Monde des Vifs (en l’espèce, la Première Guerre mondiale), ces Ombres manipulant les vivants pour les amener à développer des armes et des stratégies toujours plus meurtrières, afin d’assurer à la Hiérarchie, en l’espèce, des contingents toujours plus colossaux d’âmes en peine qui, dans la perspective économique et esclavagiste de Stygia, sont autant de ressources, et rien d’autre ; mais cette influence sur le Monde des Vifs n’en est pas moins une violation de la Loi de Charon… à vrai dire la pire de toutes, et peut-être même la raison d’être de cette prohibition. C’est un très bon sujet – hélas, ce scénario repose sur une motivation totalement défaillante (on chope des Ombres au pif et on leur dit : « J’vous connais pas mais j’vous file dix oboli si vous réglez dans les 48h le plus colossal scandale ayant jamais impliqué les plus hautes sphères de Stygia, et je suis sûr que vous y parviendrez, parce que, hey ! »), et se résume bientôt à une ballade (express) (aha) en train où... on se cogne dessus en permanence, eh, jusqu’à ce que les indices ou les preuves tombent tout cuits dans la gueule de PJ qui n’avaient pas vraiment de raisons de les chercher ni même de les comprendre pour ce qu’ils sont. Il faut y ajouter que ce scénario est de très, très loin le plus mal rédigé dans tout ce supplément – et je ne crois pas que cela relève seulement de la traduction, globalement moins horrible ai-je l’impression que dans le livre de base et le Guide du Joueur : l’ensemble est peu ou prou incompréhensible. Vraiment un sacré gâchis – du genre qui agace plus encore qu’il ne navre.

 

Les autres scénarios ne brillent guère, s’ils mettent moins en colère. On regrettera surtout leur côté convenu, et, souvent, leur manque de véritable enjeu. Un procédé récurrent consiste à balancer les PJ au milieu d’un affrontement entre la Hiérarchie et les Renégats, hop, sachant que les deux camps sont (forcément) manipulés par des spectres et des Côtés Sombres – ainsi dans « L’Ombre d’un doute » et « Course de nuit », et il n’y a pas vraiment grand-chose de plus à dire concernant ces deux scénarios très plan-plan.

 

Proche dans l’esprit, « Prochain arrêt : le néant » s’en tire un peu mieux parce qu’il expose au moins une bonne idée, en figurant un « concurrent » du Midnight Express, un autre train qui, en l’espèce, se fait passer pour lui – et confier aux wagons un Côté Sombre à amadouer est plutôt intéressant, si le reste relève encore un peu de la bourrinade.

 

Je suppose qu’il faut singulariser, même si les liens avec ce qui précède ne manquent pas, « Six-Coups et Feu d’Âmes » : il reprend bien le motif de la baston Hiérarchie-Renégats, mais en le transposant dans un cadre « western de pacotille » assez intéressant, avec de bons PNJ – et, exceptionnellement, des interactions vraiment intéressantes par-delà le Voile. C’est probablement, de ces six scénarios, celui qui fonctionne le mieux – et de loin à vrai dire ; d’autant que c’est aussi le moins dirigiste, il envisage bien des possibilités d’action pour les PJ. Or qu’il soit le plus convaincant de ces scénarios est en soi problématique, car le ton de cette aventure est plus léger et même un brin humoristique/parodique, ce qui n’est pas exactement l’ambiance associée à Wraith de manière générale, hein...

 

Quant à la dernière aventure, « Jeu d’Ombres », c’est un scénario de type « mise à l’épreuve surréaliste », où le Passeur Nicholas confronte les PJ à leurs Côtés Sombres pour déterminer s’ils sont sur la voie de la Transcendance – de manière générale, je ne raffole pas vraiment de ce genre de scénarios oniricopsychosymbolistotruc, et celui-ci me convainc d’autant moins que les « tests » sont trop scriptés et, clairement, impossibles à remporter ; comme les PJ ne sont probablement pas censés atteindre la Transcendance avant un bon moment, ça n’est pas si gênant, mais l’arbitraire imprévisible et incompréhensible des situations les rend plus frustrantes qu’autre chose.

 

Bilan pas fameux, donc, pour cet ultime supplément de la gamme française de Wraith. Le concept du Midnight Express est intéressant, et les deux aides de jeu qui lui sont consacrées sont plutôt correctes. Mais le gros du supplément est occupé par six scénarios globalement pas top top : on peut éventuellement tirer quelque chose de « Six-Coups et Feu d’Âmes » et peut-être aussi de « Prochain arrêt : le néant », et on pourrait essayer de broder sur les bonnes idées du postulat du « Prix de la vengeance » pour en tirer une campagne à la hauteur, mais le reste est nul et il n’est pas dit que ces efforts soient vraiment payants.

 

Mouais, pas fameux...

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Wraith : Guide du Joueur

Publié le par Nébal

Wraith : Guide du Joueur

Wraith : Guide du Joueur, [Wraith: Players Guide], White Wolf – Ludis International, [1994] 1996, 177 p.

JOUEUR/CONTEUR

 

Je reviens à la gamme française de Wraith, antédiluvienne, avec ce Guide du Joueur, qui comprend pas mal d’éléments assez différents, et à vrai dire plus ou moins « du Joueur ».

 

On y trouve en effet aussi bien du matériel technique, soit des règles optionnelles et/ou approfondies, que du background – or ce dernier me paraît quand même à la base plutôt destiné au Conteur, à lui de voir ensuite s’il souhaite en user pour impliquer les joueurs dans un cadre particulier, gardant la mainmise sur ce qu’ils savent au juste de tout cela. Hors concours, le livre s’achève sur une série de brefs essais sur ce que cela signifie de jouer à Wraith, qui mettent l’accent sur tel ou tel point, dans une optique, disons, pas directement applicable en jeu en tant que telle, mais qui fournit des éléments d’inspiration pouvant assez aisément intégrer une Chronique et, mine de rien, l’orienter différemment, de manière plus subtile.

 

Un bric-à-brac hétéroclite, donc – impression renforcée par l’alternance de ces divers types de chapitres, voire au sein même de ces chapitres –, et, sans doute, d’un intérêt variable en tant que tel.

 

CHANGEZ-MOI CE TRADUCTEUR EN OBOLI

 

Mais, avant de se plonger dans l’examen du contenu de ce supplément, une précision s’impose – enfin, dans un sens, parce qu’elle est hélas peu ou prou systématique : la traduction française est tout bonnement ATROCE. C’est moche, maladroit, « littéral » et perclus de faux amis ; c’est confus (notions et termes de jeu sont en roue libre) et tout sauf pratique (ranger les Traits par ordre alphabétique français, c’était impossible ?) ; c’est à côté de la plaque, en somme… et parfois au point de tout gâcher, de rendre la lecture extrêmement pénible. Par chance, j’en ai presque fini avec la gamme française de Wraith, ne me reste plus que Midnight Express, et c’est tant mieux (façon de parler, hein), parce que j’ai plus d’une fois eu envie de balancer ce bouquin par la fenêtre – bon, j’ai eu pitié de mes voisins, quoi…

 

SYSTÈMES EN VRAC

 

Commençons par les données techniques, parce que je tends à croire que ce sont celles qui relèvent le plus de l’idée même d’un « Guide du Joueur ». En cela, les éléments que l’on trouve ici ne sont pas d’une originalité stupéfiante, et correspondent assez largement à ce que l’on peut trouver dans d’autres « Guides du Joueur » du Monde des Ténèbres, même si mon expérience personnelle se limite aux différents avatars de Vampire.

 

Sous l’intitulé « Traits », on trouve diverses choses (rangées n’importe comment au regard de la traduction, donc) – et tout d’abord la règle optionnelle des Qualités et Faiblesses : rien que de très classique à cet égard, et les… qualités et faiblesses de ce système de Qualités et Faiblesses sont globalement les mêmes que dans les autres jeux du Monde des Ténèbres, je suppose : il y a de quoi personnaliser utilement les PJ, c’est alors bienvenu, et il y a en même temps le risque du grosbillisme outré – à Stygia rien de nouveau. Cette menace mise à part, ce système présente peut-être quelques difficultés d’un autre ordre : globalement, il se veut adapté à Wraith, mais avec plus ou moins de pertinence ? C’est qu’il y a souvent, dans ce système, entendu de manière générale pour l’ensemble du Monde des Ténèbres, une dimension « physique » qui ne fait guère sens avec des personnages fantômes – ou pas autant. Et, quand c’est la dimension « sociale » qu’il faut prendre en compte, la société du Monde des Ombres diffère largement de ce qui se trouve de l’autre côté du Voile… L’essentiel est sans doute utilisable, oui, et parfois bien pensé en termes de transposition, mais, dans certains cas, sans doute faut-il bien peser ce que telle Qualité ou telle Faiblesse représente véritablement pour une Ombre, avant de la coucher sur la feuille de personnage.

 

Le reste du chapitre est consacré au listage de « nouveaux » Traits, venant compléter les listes du livre de base. C’est plus ou moins intéressant… Dans l’ensemble plutôt moins que plus. Le plus réussi, à mon sens, ce sont les neuf nouveaux Archétypes du Côté Sombre, abondamment décrits, Tourment inclus ; on trouve aussi de nouvelles Historiques qui peuvent avoir un intérêt, apporter un soupçon d’originalité à un PJ… Le reste, soit de nouveaux Archétypes pour la Nature et l’Attitude et, surtout, de nouvelles Capacités, plein, trop, bof – d’autant que, concernant ces dernières, outre que l’on n’a pas forcément grand besoin de pareil listage de manière générale, mais pourquoi pas, on retrouve surtout le problème mentionné concernant les Qualités et Faiblesses, mais de manière bien plus franche : pas mal de ces Traits ne me paraissent guère faire de sens pour des PJ Ombres.

 

Passé les deux très longs chapitres de background qui forment en définitive le cœur de ce Guide du Joueur, on revient aux règles avec un chapitre intitulé… « Règles ». Et qui est un nouveau fourre-tout dans le fourre-tout global qu’est ce supplément. Là encore plus ou moins intéressant, dans l’ensemble.

 

Et même plus ou moins « Règles » ? On commence en effet par de nouveaux (brefs) développements concernant la géographie du Monde des Ombres – un peu dans l’esprit de ce que l’on trouvait déjà dans le livret accompagnant l’Écran du Conteur, et qui venait déjà « éclairer » le contenu du livre de base sous cet angle ; je suppose que cela traduit bien (si j’ose dire) combien il peut être difficile de se représenter tout cela – une question, en fait, qui se complique peut-être encore dans ce supplément, du fait des longs développements de background consacrés aux divers Royaumes Ténébreux : le système global du livre de base demeure, mais l’application concrète est parfois un brin délicate, voire davantage.

 

Les sections suivantes de ce chapitre sont effectivement plus techniques. On trouve tout d’abord quelques développements sur les capacités innées des Ombres – les différents usages de « Voir la Mort », de « Voir la vie », et des « Sens accrus ». Je suppose que c’est bienvenu : ces aptitudes peuvent avoir leur importance, et le livre de base se montrait peut-être un peu trop lapidaire à leur égard.

 

La partie la plus intéressante à mon sens de ce chapitre porte sur les Entraves et les Passions – plus exactement, sur leur perte, ou leur développement, éventuellement leur acquisition. Par la force des choses, même s’il s’agit bien d’un contenu « technique », le propos a quelque chose d’un peu abstrait, mais ces pages contiennent des remarques, des suggestions, des mises en garde, des exemples, qu’un Conteur devrait avoir en tête (et, oui, probablement un Joueur aussi), dans le contexte d’une Chronique au long cours : ces éléments sont ce qui fait véritablement « vivre » (aheum…) une Ombre – si on ne leur accorde pas suffisamment d’attention, c’est qu’on ne joue pas à Wraith.

 

La dernière section de ce chapitre de « Règles » est bien différente – car très pointue. Elle ne sera dès lors pas utile dans toute Chronique de manière générale, mais pourra s’avérer cruciale dans certains cas – il s’agit en effet d’un système concernant les Ombres et les ordinateurs, et donc le piratage informatique. C’est d’une lecture très amusante – même si, vingt ans plus tard, tout cela paraît extraordinairement préhistorique… Le passage des années a donc probablement amoindri l’utilité concrète de cette section, mais je suppose qu’elle contient toujours suffisamment de bonnes idées pour être adaptée dans un cadre plus contemporain. Ceci d’autant que l’exposé, dans ce supplément trop souvent confus et rendu plus confus encore par une traduction qui ne devrait même pas mériter ce nom, est cette fois étrangement limpide – ce qui vaut d’ailleurs pour la section précédente, consacrée aux Entraves et aux Passions.

 

Reste un dernier (très bref) chapitre « technique », qui porte sur de nouveaux Arcanos – trois, en l’espèce, baptisés Flux, Suggestion et Mnemosynis. Vu de loin, c’est un peu la course habituelle dans le Monde des Ténèbres, avec toujours plus de capacités surnaturelles, mais je suppose qu’il ne faut pas les envisager forcément de la sorte – l’idée est qu’il s’agit d’arts « perdus », extrêmement rares en tant que tels (on avance que les Arcanos habituels peuvent connaître des variantes perdues, par ailleurs, ce qui peut s’avérer intéressant dans l’absolu). Même si les Arcanos dans Wraith n’ont pas le côté super-héroïque des Disciplines vampiriques, etc., il n’est vraiment pas dit que les joueurs devraient y avoir accès – en tout cas pas sans une longue Chronique décrivant comment ils les apprennent. Mais ils peuvent être intéressants chez des PNJ, notamment des Ombres très anciennes (et sans doute très puissantes…). Le plus intéressant ici, à vrai dire, n’est décidément pas dans la technique, mais le background sous-jacent : à titre d’exemple, l’Arcanos Mnemosynis et la Guilde associée sont à même de fournir d’intéressants sujets de scénarios.

 

Le bilan de la partie « technique » de ce Guide du Joueur est donc assez mitigé. J’en retiens en priorité les nouveaux Archétypes du Côté Sombre, éventuellement les nouvelles Historiques, en tout cas le système d’évolution des Entraves et Passions ; à un moindre degré, Qualités et Faiblesses, d’un côté, et informatique vintage, de l’autre, peuvent aussi s’avérer intéressantes, avec quelques précautions et/ou adaptations – le reste est très secondaire, voire inutile.

LÀ OÙ VIVENT LES MORTS

 

Entre ces différents chapitres essentiellement crunch, on trouve deux longs chapitres, bien plus longs, qui relèvent à 100 % du fluff. En tant que tels, ils sont plus ou moins pertinents dans l’optique d’un Guide du Joueur : si le premier de ces deux chapitres pourra, et éventuellement devrait, être lu par les Joueurs, je suis bien plus réservé à cet égard concernant le second, qui me paraît, initialement du moins, devoir être l’apanage du Conteur.

 

Mais, le premier… Me concernant, je crois bien que c’est le moment le plus intéressant/bienvenu de l’ensemble de ce supplément. En effet, il s’agit de décrire « La Société des Ombres » (la société stygienne, s’entend, on y reviendra très vite…) ; sous cet intitulé très vaste et flou, il faut en fait comprendre que l’on va se pencher sur les factions du royaume stygien – la Hiérarchie, les Renégats, les Hérétiques. Et c’est tout à fait bienvenu, parce que le livre de base, finalement, ne se montrait pas très disert à ce sujet : on avait les « grands archétypes » de ces factions (autant de reflets des factions d’autres jeux du Monde des Ténèbres, Vampire notamment), et une idée, dans le cadre de la Hiérarchie, de son fonctionnement… eh bien, « hiérarchique », mais finalement guère plus. L’objet de ce chapitre est d’exposer ce qui constitue le quotidien d’un Hiérarque, d’un Renégat ou d’un Hérétique – finalement, c’est ainsi que l’on sort du stéréotype. D’une certaine manière, l’idéologie ne vient qu’après – avec le flou inhérent aux prétendues « factions » des Renégats et Hérétiques, qui ne sont des groupes uniformes qu’aux yeux des plus brutaux des Hiérarques. Cependant, le chapitre donne de bons aperçus des philosophies possibles de ces divers courants – des idées directement applicables et qui, le cas échéant, montrent que la réalité des faits est bien plus complexe que la description hâtive de « ceux d’en face » par un PNJ nécessairement bourré de préjugés (ce qui valait dans Vampire pour le Sabbat, etc.). On ne trouvera pas ici de « révélations » en pagaille, ce n’est pas le propos – mais de quoi envisager ce que cela signifie qu’être un Hiérarque, un Renégat ou un Hérétique ; c’est donc tout à fait bienvenu.

 

Puis vient un très long chapitre intitulé « Les Royaumes Ténébreux », et qui, à mon sens, devrait donc relever plutôt du Conteur, au moins initialement. Il peut s’avérer très utile, indispensable même, dans une Chronique dédiée, mais ceux qui entendent rester dans le monde stygien n’en auront probablement jamais conscience.

 

C’est qu’il s’agit de décrire les « autres » Royaumes Ténébreux, qui sont donc autant d’alternatives à la fois géographiques et culturelles à Stygia, Charon et compagnie ; mais ils sont par essence mystérieux, et la très grande majorité des Ombres stygiennes ne sait absolument rien ne serait-ce que de leur existence...

 

Le livre de base mentionnait hâtivement qu’il y avait un Royaume de Jade d’inspiration chinoise, et un Royaume d’Ivoire africain, et qu’il y avait eu un Royaume d’Obsidienne mésoaméricain, mais sans en dire davantage. Le Guide du Joueur fournit des développements sur ces trois Royaumes Ténébreux, et complète la liste avec quatre autres : celui des Invisibles pour les Caraïbes (vaudou à donf, forcément), la Cité des Délices d’inspiration indienne, le Royaume d’Argile de l’Australie, enfin La Mer Qui Ne Connaît Pas Le Soleil, d’inspiration polynésienne. Chacun se voit accorder d’assez longs développements, suffisants pour fournir une bonne base de jeu – même si, sauf erreur, un seul de ces Royaumes Ténébreux a été par la suite développé au point d’avoir droit à ses propres suppléments : celui de Jade (deux volumes, en pleine vague asiatique de White Wolf).

 

Ces développements assez approfondis sont à la fois enthousiasmants et agaçants. Enthousiasmants, parce qu’ils offrent des cadres de jeu exotiques, très colorés le cas échéant, et parfois très inventifs. Si le Sombre Royaume de Jade est somme toute « classique », voire « banal » (c’est un avatar extrême du despotisme stygien, avec un cauchemardesque Qin Shi Huang à sa tête) – mais en même temps très carré et suffisamment exotique pour donner envie d’y jouer, avec tout de même quelques idées très intéressantes portant sur le bouddhisme, la situation du Japon, etc. –, d’autres de ces Royaumes s’éloignent bien davantage du « modèle » (aheum… c’est bien le problème) stygien, et acquièrent une personnalité propre tout à fait appréciable – ainsi les Invisibles dans une certaine mesure, le Royaume d’Argile un peu plus, surtout La Mer Qui Ne Connaît Pas Le Soleil. Le cas du Royaume d’Obsidienne étant un peu à part (encore que : il peut fonctionner dans une campagne stygienne comme celui des Invisibles, il y a de quoi faire dans les deux cas), ce sont le Royaume d’Ivoire et la Cité des Délices qui m’emballent le moins – le premier me laisse vraiment très perplexe du fait de certains choix orientés, le second… m’indiffère, je suppose. Mais le reste, oui, est assez enthousiasmant.

 

Mais ces développements sont donc tout aussi régulièrement agaçants – parce que c’est du gloubi-boulga mythologique à la sauce White Wolf ; alors même que l’apport mythologique propre de ces divers Royaumes Ténébreux justifie leur différence, il est bien trop souvent traité par-dessus la jambe, sans vrai respect, et avec une bonne dose de confusions, de raccourcis, de stéréotypes et de préjugés ethnocentriques, pour le moins navrante. Le cas du Royaume d’Ivoire, en dépit de l’intervention des Orishas, a particulièrement de quoi laisser perplexe. Mais d’autres procédés sont également critiquables à cet égard – ainsi, dans le cas des Invisibles, le fait de donner une signification proprement mondedesténèbresque à des notions du vaudou qui ont pourtant une consistance particulière dans notre monde : par exemple, on retrouve ici les termes de Rada et de Petro, mais ils n’ont rien à voir avec les types de loas de notre monde – ce sont les noms de deux Ombres… En outre, le terme « loa » lui-même est employé un peu n’importe comment. Ce n’est qu’un exemple, il y en aurait bien d’autres.

 

Or l’exposé peut en outre se montrer passablement confus – a fortiori, je l’admets, quand le lecteur ne sait rien ou presque du fonds mythologique employé : je devine qu’il y a un sacré potentiel dans La Mer Qui Ne Connaît Pas Le Soleil, mais il m’est difficile en l’état d’en tirer quoi que ce soit de concret. Et comme, dans le cas où le lecteur a au moins une vague idée de la base, les manipulations de la mythologie réelle ont de quoi susciter la méfiance, ce sentiment s’accroît encore pour les Royaumes Ténébreux les plus exotiques…

 

Cerise sur le gâteau, proprement française : la traduction à la ramasse aggrave encore tout cela – concernant le Royaume Ténébreux polynésien, je suis à peu près persuadé que cela a contribué à rendre ces développements plus… obscurs encore à mes yeux ; dans la continuité peut-être de ce qui se produisait pour le Royaume d’Ivoire, à vrai dire – j’ai plusieurs fois eu le sentiment que le traducteur ne comprenait absolument rien à ce qu’il traduisait… D’où un surcroit de confusion qui affecte clairement, aussi, les Invisibles, et, supposé-je, la Cité des Délices – au moins.

 

Il y a, dans ce long chapitre, beaucoup de matière à exploiter – et qui peut donner des trucs très chouettes, j’en suis convaincu. Mais revisiter un peu tout cela s’impose probablement, sur la base de recherches personnelles.

 

JOUER DES MORTS

 

Le Guide du Joueur se conclut sur des textes d’un autre ordre, plus original : sept petits articles, signés, qui sont autant d’essais sur la manière de jouer à Wraith. L’idée est plutôt intéressante, mais le résultat final m’a paru globalement décevant. On y pêche pas mal de banalités, hélas… Ce qui m’a le plus parlé porte sur le Côté Sombre – un aspect de ce jeu aussi inventif que dangereux. Le reste… Non, je n’en ai rien retenu. Et je ne sais toujours pas, lard ou cochon, ce qu’il faut penser de l’article de Chelsea Quinn Yarbro, en particulier…

 

Et ce qu’il faut penser de ce Guide du Joueur, globalement ? Eh bien, je suppose que cela dépend des attentes de chacun… Côté technique, il y a quelques choses pas inintéressantes çà et là, mais qui ne justifient probablement pas l’achat à elles seules. L’essentiel réside à mes yeux dans les deux longs chapitres de fluff – dont un seulement est véritablement destiné « aux Joueurs » ; il est très bon, ceci dit. Le reste est plutôt l’apanage du Conteur – qui a de quoi faire, avec les Royaumes Ténébreux, mais il lui faudra éventuellement reprendre tout ça à sa sauce.

 

En définitive, un supplément pas mauvais, mais tout sauf indispensable – et sans doute un peu médiocre, quand même.

 

Et horriblement traduit.

 

 

Je l’ai déjà dit ?

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Wraith : Le Néant : Écran du Conteur

Publié le par Nébal

Wraith : Le Néant : Écran du Conteur
Wraith : Le Néant : Écran du Conteur

Wraith : Le Néant : Écran du Conteur, White Wolf – Ludis International, [1994] 1995, 24 p. [+ écran quatre volets]

Très vite – car il n’y a pas grand-chose à en dire... La (très limitée) gamme française de Wraith, passé le livre de base, s’est ouverte sur un traditionnel écran, accompagné d’un non moins traditionnel livret, de 24 pages en l’espèce.

 

L’écran quatre volets, côté joueurs… est hélas plutôt moche (François Launet a assurément fait bien mieux depuis) ; si son aspect plastifié est relativement appréciable (mais un peu plus de rigidité aurait été utile), et si le concept de l’illustration est plutôt intéressant, son rendu très « numérique old school », tout particulièrement pour ce qui est des chaînes, n’est pas exactement convaincant – c’est daté et... ben, hideux. Quant à la « fenêtre » du volet tout à gauche, une illustration qui sera reprise dans le Guide du Joueur dont je devrais vous parler prochainement, je ne comprends toujours pas ce qu’elle fait là, vingt ans plus tard.

 

Et côté MJ ? Je suppose que ça fait le job… Mais avec beaucoup de choses liées au combat. Certes, c’est, comme souvent, là où les règles se montrent le plus précises. Mais la baston n’est pas, ou en tout cas ne devrait pas être, une composante si essentielle d’une partie de Wraith

 

Quant au livret, il se montre plus ou moins intéressant. Les quatre premières pages sont les plus pertinentes : elles clarifient des points de règles ou de background qui demeuraient flous dans le livre de base – même si, à ce compte-là, il aurait mieux valu les intégrer directement dans ledit bouquin… Mais, oui, c'est souvent utile.

 

Suivent six pages qui visent à permettre, au plan technique, des crossovers entre Wraith et les trois jeux antérieurs du Monde des Ténèbres (Vampire, Loup-Garou et Mage), notamment en ce qui concerne les Disciplines, les Dons, etc. En fait, cela s’adresse à qui dispose également de ces autres jeux, et voudrait approfondir les choses par rapport au système très simple (simpliste ?) du livre de base. Pour ceux qui aiment, pourquoi pas.

 

Puis nous avons six pages de résumés des Arcanoi, moui, bon.

 

Et enfin, six pages… sur les armes à feu anciennes ? Allons bon… Là encore, ça ne devrait vraiment pas être si important dans Wraith – et en tout cas pas d’une manière aussi pointilleuse ! Cette aide de jeu présente une certaine utilité dans sa première page, qui fait cette remarque intéressante : si votre joueur bourrin a forcément fait en sorte d’avoir une arme à feu pour Relique (ce qui implique sa destruction dans le monde des vivants), qu’en est-il de la poudre et des munitions ? La réponse, c’est la Poussière d’Ombre – encore une trouvaille des artefacteurs stygiens, et de cette merveilleuse économie qui va avec… Passé ceci, et même si, à bon droit, on explique que la présence d’armes anciennes en nombre s’explique par la mort de tant de soldats cramponnés à leurs fusils, un élément d’ambiance effectivement intéressant, les cinq pages qui restent sont un délire ultra-précis façon catalogue dont je ne m’explique vraiment pas l’intérêt…

 

Bref : c’est un écran, et son livret – qui, m’est avis, aurait plutôt gagné à contenir un scénario. Mais à vous de voir.

 

La gamme française de Wraith ne va pas beaucoup plus loin : seulement le Guide du Joueur, et Midnight Express. Je devrais vous en parler un de ces jours – après quoi il sera peut-être temps de passer à une gamme VO autrement abondante, et qui prend la poussière depuis si longtemps dans ma ludothèque…

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Wraith : Le Néant

Publié le par Nébal

Wraith : Le Néant

Wraith : Le Néant, [Wraith: The Oblivion], White Wolf – Ludis International, [1994] 1995, 267 p.

RIEN DE PLUS FASCINANT QUE LA MORT

 

Haut les cœurs, la chronique rôlistique du jour porte sur un jeu qui bat pas mal de records en matière de déprime – au point éventuellement de le rendre injouable ? Faudra forcément y revenir… De manière plus générale, d'ailleurs. Mais... Oui : disons, « pour joueurs avertis ».

 

Wraith : le Néant est le quatrième jeu du « Monde des Ténèbres » classique de White Wolf – après Vampire : La Mascarade, Loup-Garou : L’Apocalypse, Mage : L’Ascension, et avant Changelin : Le Songe. Et on y joue des morts – pas des vampires gogoths et sexy, des vrais morts : des Ombres, des fantômes… Que du fun ! Gobez donc un antidépresseur, mais servez-vous quand même un verre (d’un truc plutôt fort et en vérité pas très bon), mettez en fond sonore un truc chialard à crever, fermez les rideaux, et, vous qui entrez ici, blah blah blah…

 

J’ai un rapport particulier avec ce jeu. Ado, il me fascinait – vu de loin, déjà. Et à l’égal d’un Kult, « étrangement » publié en français (parfois approximatif…) par le même éditeur, Ludis. Deux choses bien extrêmes, et d’un esprit assez voisin au fond, l’idéal pour un ado passablement névrosé amateur de musique triste, triste, triste. Mais si, à l’époque, j’avais finalement laissé Kult dans les rayonnages (au point d’en accroître le fantasme avec les années), je m’étais par contre procuré Wraith, moi qui avais beaucoup, beaucoup joué à Vampire (comme MJ et comme joueur), et un tout petit peu à Loup-Garou (qui ne me parlait pas vraiment, voire pas du tout, par contre). J’avais lu Wraith, ça m’avait fasciné (je crois que le mot n’est pas trop fort), j’avais voulu le maîtriser et… ma foi, ça n’avait pas donné grand-chose. Je m’étais bien amusé à créer une Nécropole toulousaine, mais, au final, nos parties ressemblaient pas mal à celles des diverses déclinaisons de Vampire auxquelles nous jouions, soit un truc vach’ment préten… profond en théorie qui se transformait en bastonnade super-héroïque dans la pratique. Ne me jetez pas la pierre, je sais de source sûre que ça a été la même chose pour tous ceux qui ont joué à Vampire ! Mais c’était encore plus hors de propos avec Wraith – totalement absurde, totalement crétin (même si amusant ; mais ce jeu doit-il être amusant ? C'est un jeu, mais...). Je m’en rendais bien compte, sans rien pouvoir y faire : l’honnêteté impliquerait dès lors de dire que, non, je n’ai jamais joué à Wraith, parce nous sommes passés à côté, plus ou moins consciemment là encore.

 

Mais le jeu me fascinait, oui – dans son principe « inaccessible ». Au point où je me suis procuré, avec les années, la quasi-totalité de la gamme associée (dont la relative abondance m’a surpris, pour un jeu qui a dit-on beaucoup moins « marché » que tous ses cousins de l’Art•du•Conteur©) ; sans jamais la lire… J’ai eu envie d’y remédier – pas forcément dans l’optique d’y jouer (même si ça n’est pas totalement exclu non plus), c’est essentiellement de la curiosité à satisfaire, au niveau des concepts disons, et avec sans doute une certaine dose de masochisme pervers. Tous les dépressifs connaissent ça – ou beaucoup d’entre eux/nous.

 

UN UNIVERS HORRIBLE(MENT BON)

 

À maints égards, Wraith reprend certains poncifs des jeux•de•l’Art•du•Conteur©, dont, outre le système, le côté « c’est l’apocalypse moins deux secondes », etc. En même temps, il s’en éloigne utilement à plusieurs titres, même en usant d’expédients en apparence fort proches – ainsi de ces treize « Arcanos » (j’aurais envie d’écrire « Arcanoi », ça m’écorcherait quand même un tout petit peu moins l’oreille), qui évoquent à vue de nez les Disciplines vampiriques, etc., à ceci près que les Clans, Tribus, etc., ne sont en fait pas de rigueur ici : les Guildes anciennes sont supposées ne plus exister depuis longtemps, et ne plus jouer aucun rôle dans l’organisation du Royaume des Ombres. Par ailleurs, si les « grandes factions » qui régissent concrètement cette organisation, peuvent, vues de très loin, évoquer la Camarilla, les Anarchs et le Sabbat, dans les faits cette assimilation ne tient pas très longtemps, ou pas totalement : c’est encore autre chose. Ce n’est pas si anodin que c’en a l’air, car c’est un des moyens de mettre l’accent sur le personnage et sa singularité, en lui refusant des moules tout prêts – j’y reviendrai, c’est en fait un point essentiel.

 

Mais il nous faut y ajouter une autre différence cruciale : à proprement parler, Wraith ne se déroule pas dans le Mondes des Ténèbres, entendre par-là « sur Terre », mais, pour l’essentiel, dans une sorte de monde parallèle, superposé au monde des vivants, et en même temps séparé de lui par ce qu'on appelle le Voile ; les Ombres voient le monde des vivants (sous des teintes morbides...), mais l'inverse n'est pas vrai (normalement...). Le Royaume des Ombres, donc, est une sorte de « purgatoire » où rôdent les âmes des défunts, ou plus exactement de certains d’entre eux, dans l’attente, soit de la Transcendance qui les libérera totalement, soit de l’Anéantissement… qui est ma foi une autre forme de libération, mais plutôt du genre à terrifier les Ombres : dans Wraith, ce n’est certainement pas parce que vous êtes mort que vous n’avez plus rien à craindre. Cependant, l’âme (…) du jeu réside probablement en fait dans l’interaction entre le Royaume des Ombres et « notre monde ». C’est probablement là que réside l’intérêt majeur de Wraith – et en même temps ce qui le rend si difficile à maîtriser et à jouer.

 

Wraith est donc d’abord un univers : fascinant, très bien conçu, mais pas toujours des plus aisé à appréhender, que ce soit sur le plan métaphysique ou, disons, « géographique » (or le bouquin n’est pas toujours très clair à cet égard – intégrer la Tempête, le Labyrinthe, Stygia et les Rives Lointaines dans un monde qui est d’abord et avant tout le calque du nôtre n’est pas toujours aussi évident que c’en a l’air). Nous sommes introduits dans cet univers par une longue lettre vraisemblablement écrite par un Lord Byron fantomatique à une dame que je suppose être Mary Shelley (mais la traduction française ne s’en embarrasse guère, francisant ici « George » en « Georges »…). Et le tableau qui nous est dépeint est passablement cauchemardesque : c’est celui d’un monde parallèle totalement désespéré et en même temps horriblement cynique – comme si mourir, et être en mesure de voir les vivants mais sans plus pouvoir (normalement…) interagir avec eux, n’était pas déjà assez rude comme ça, le Royaume des Ombres, en fait de purgatoire, s’avère un enfer, une société totalitaire et en même temps anarchique, et où l’esclavage est la règle ; un aspect particulièrement brillant dans ce contexte (comme peut briller ce qui est noir) réside dans… son économie, qui repose sur les âmes ; et ce n’est pas une métaphore : les âmes sont possédées, réduites en esclavage, éventuellement fondues enfin dans les forges de Stygia, pour devenir des artefacts… ou des pièces de monnaie, les Oboli : littéralement, ce que vous avez dans votre porte-monnaie, ce sont les âmes de vos semblables – je vous laisse déterminer s’ils étaient vraiment plus malchanceux que vous. Ce qui est certain, c'est que la Révolution industrielle et le capitalisme dominant ont affecté le Royaume des Ombres comme notre monde, et, les âmes étant une richesse, les Ombres les plus cyniques n'ont pas manqué... eh bien, de capitaliser sur la mort. Littéralement là encore.

 

Un jeu du Monde des Ténèbres ne serait sans doute pas complet sans une dose de « haute politique » et de factions qui s’entredéchirent. Wraith connaît donc quelque chose du genre – mais que l’on ne peut véritablement appréhender qu’à la condition de se pencher sur l’histoire du Royaume des Ombres, qui, comme le Royaume lui-même, se superpose à celle que nous connaissons. Nous avons un excellent guide pour ce faire, même si pas forcément impartial – et que la traduction française… ne francise pas, cette fois, alors qu’il l’aurait fallu. « Herodotus », donc, nous narre les origines de ce monde, et c’est un auteur d’autant plus approprié que tout ceci est très « grec » à la base (ce qui ne vaut bien sûr pas pour la Terre entière ; on évoque rapidement d’autres Sombres Royaumes, celui d’Ivoire pour l’Afrique, et celui de Jade pour l’Extrême-Orient, en mentionnant encore plus rapidement que celui d’Obsidienne, pour l’Amérique, a été anéanti. Le voyage entre ces divers Royaumes est néanmoins présenté comme étant extrêmement compliqué – peu ou prou impossible, en fait. Le Royaume de Jade seul a fait l’objet de suppléments, deux sauf erreur, dans la foulée de ce qui avait été fait avec Les Vampires d’Orient, etc.).

 

La personnalité clef, ici, est un certain Charon – et si l'histoire du nocher originel, toujours dans le jeu de miroirs habituel du Monde des Ténèbres, n’est pas sans évoquer celle de Caïn pour les vampires, etc., elle est à mon sens beaucoup plus intéressante, car elle constitue une belle illustration du triste phénomène voulant que les héros les plus vertueux et les plus altruistes, dès lors qu’on leur confie le pouvoir, deviennent systématiquement d’odieux tyrans ; le trait est poussé très loin ici, car, comme dit plus haut, la Hiérarchie (la faction « officielle » de Wraith, celle qui a été fondée par Charon, l’équivalent de la Camarilla dans Vampire), depuis sa « capitale » de Stygia, s’est progressivement transformée en un régime proprement totalitaire – et avec quelque chose de très fasciste dans l’esprit, que renforce encore l’inspiration romaine de ces institutions, très marquée (sans même parler de l’esclavage et de la « destruction programmée et scientifique » des âmes dans une entreprise, ou plus exactement une imagerie, qui peut sans doute évoquer la Shoah – d’où un certain supplément controversé…).

 

La Hiérarchie se meurt, cependant – surtout depuis que Charon a disparu dans la Tempête lors du dernier grand Maelstrom (des vagues de destruction issues de la Tempête, l'espace indéfini qui sépare et relie les différents Royaumes, le cœur du néant, l’empire des spectres ; l’imminence d’un ultime Maelstrom constitue l’équivalent dans Wraith de la Géhenne de Vampire, etc – « fin du monde moins deux secondes »). L’emprise de Stygia s’amoindrissant, les différentes « Nécropoles » du Royaume des Ombres, qui se superposent aux villes de « notre monde », même si elles sont souvent rattachées à la Hiérarchie en théorie, sont en pratique largement autonomes, ce qui ne contribue pas qu’un peu à l’anarchie généralisée – l’anarchie au sens de chaos et de loi du plus fort. Pas forcément la plus souriante des alternatives au totalitarisme stygien, donc – mais cela dépend, en fait, variant considérablement de Nécropole à Nécropole.

 

Cependant, il existe d’autres « grandes factions », que l’on qualifie globalement de Renégats et d’Hérétiques – mais ces deux « groupes » n’en sont en fait pas, au-delà de la nomenclature de la Hiérarchie, bien pratique, car ils sont constitués d’une infinité de sous-groupes très divers, et éventuellement antagonistes. Les Renégats contestent le pouvoir de la Hiérarchie – mais cela peut aussi bien être par idéal que par intérêt : on trouve parmi les Renégats aussi bien des esclavagistes sans scrupules que des groupes entièrement voués à l’éradication de l’esclavagisme.

 

Les Hérétiques, quant à eux, rassemblent une myriade de sectes, aux idéologies là encore très diverses, qui refusent, pas tant la Hiérarchie dans son principe, que le dogme qu’elle a développé au fur et à mesure de son histoire : ils cherchent à atteindre la Transcendance, notamment en gagnant les Rives Lointaines, des « îles » éparpillées dans la Tempête et qui correspondraient aux divers « paradis » de toutes les fois du monde ; et c’est en cela qu’ils sont perçus comme une menace à éradiquer par la Hiérarchie.

 

Et au milieu de tout ça, les personnages des joueurs.

 

DES PERSONNAGES AU CŒUR DU RÉCIT – ET DES INTERACTIONS AVEC LES VIVANTS

 

Or les personnages, dans Wraith, sont véritablement au cœur du récit. Bon, tous les jeux de rôle le prétendent, avec plus ou moins de sincérité et d’effet – les jeux•de•l’Art•du•Conteur© y sont davantage encore disposés : Vampire, c’est censé être la lutte de la Bête contre l’Humanité, etc. , blah blah blah... Mais c’est trop souvent une façade, et, en définitive, votre Gangrel, là, est bien davantage défini par ses putains de griffes qui font des dégâts aggravés que par sa nièce hippie qui vit dans une caravane et que vous n’allez voir que tous les trente scénarios pour qu’elle vous file du PX ou de la Volonté. Le risque est dès lors grand qu’il se produise exactement la même chose pour Wraith… où ce serait bien plus nuisible encore.

 

Car les personnages Ombres ne sont vraiment pas du tout censés être ce genre de « super-héros » badass. D’ailleurs, les Arcanoi, et en cela encore ils se distinguent des Disciplines, etc., n’ont souvent pas grand-chose de spectaculaire, et seuls quelques-uns ont du potentiel grobillesque – ils sont minoritaires, largement. Comme dans tous les jeux•de•l’Art•du•Conteur©, on noircit des ronds sur la fiche de personnage, et on y passe sans doute un peu plus de temps quand il s’agit des Arcanoi (au passage, je n’ai aucune envie d’approfondir ici la question du système – je me contenterai de dire que cette mécanique, parfois vertement critiquée de nos jours, m’a toujours fait l’effet d’être simple et efficace ; le sentiment demeure après relecture). Cependant, ce qui compte vraiment, dans cette fiche, c’est tout autre chose : des éléments de background personnel qui ont certes des effets très concrets en jeu, y compris au niveau des règles, mais qui sont capitaux à tous les niveaux – oui, c'est ce qui compte vraiment.

 

Il y a certes les Historiques typiques de Vampire, etc., et ce sont globalement les mêmes (outre quelques variations spécifiques aux créatures jouées – par exemple, ici, le Memoriam, soit le souvenir que le défunt a laissé parmi les vivants). Mais deux autres types de traits sont bien davantage importants, et d’une manière qui me paraît autrement fondamentale que dans Vampire ou Loup-Garou (je ne me prononcerai pas pour ce qui est de Mage et de Changelin, que je n’ai pas pratiqués) : les Passions, et les Entraves. Ce sont des sentiments, d’une part, et d’autre part des personnes ou des objets auxquels sont associés des sentiments, qui relient encore l’Ombre au monde des vivants. Et tout est fait, ici, pour déjouer les calculs pénibles des minimaxeurs de service : ces traits sont fondamentaux, mais à la condition d’avoir véritablement du sens pour le personnage. Une entrave n’est pas un contact utile pour dégoter une info, ou une source occasionnelle de points de Volonté, c’est un personnage à part entière, ou un lieu, qui a une signification particulière pour l’Ombre – et si on ne joue pas cela, on ne joue pas à Wraith. Car c’est l’essence même, aux plans éthique et métaphysique, du jeu – et je crois que c’est bien un jeu où on peut parler d’éthique et de métaphysique sans que cela soit une triste et absurde prétention.

 

Le lien avec les Entraves, ainsi que les Passions, sont les premiers éléments de définition des personnages Ombres. Il peut être utile, dès lors, de fonder ces sentiments particuliers au travers d’une scène de Prélude – un dispositif déjà présent dans Vampire, où son intérêt me laissait pour le moins perplexe, mais qui me paraît davantage faire sens ici : il s'agit après tout de jouer la mort même du personnage.

 

Mais, de manière plus générale, il y a quelque chose d’un peu cruel à cet égard, qui est tout autant au cœur du jeu – et que les noms mêmes d’ « Entraves » et de « Passions » expriment : elles relient le personnage au monde des vivants, c’est entendu ; mais on peut le dire autrement : elles sont les obstacles à la Transcendance du personnage.

 

Or il faut y ajouter une dimension peut-être plus cruelle encore, et qui touche plus encore au cœur du jeu, et c’est qu’il est très difficile d’interagir avec ces éléments « terrestres » : les Ombres vivent dans un monde superposé au nôtre, mais, en principe, elles ne peuvent pas interagir avec ce qui se trouve au-delà du Voile – et, selon la Hiérarchie, elles ne le doivent pas, en outre. Les Ombres voient parfaitement le monde des vivants, mais les vivants (normalement...) ne les voient pas. Et c'est une expérience qui doit être frustrante, et même déprimante. En même temps, ces interactions, aussi difficiles ou limitées soient-elles, doivent jouer un rôle central dans le récit ; et c’est bien pourquoi nombre d’Arcanoi visent à contourner les limitations du Voile pour permettre d’interagir avec le monde des vivants – mais dans quelle mesure, et de quelle manière ? Ceci, c’est à la liberté du joueur…

 

… et éventuellement d’un autre. Car on en arrive ici à une des meilleures idées de Wraith, et en même temps une des plus difficiles à jouer : le Côté Sombre. Il s’agit d’une méthode pour dépasser le caractère souvent trop stérile de la lutte entre la Bête et l’Humanité dans Vampire, etc. – que trop de joueurs sans doute négligent totalement. Lorsque l’on crée un personnage dans Wraith, le Conteur (en théorie, mais il peut laisser aussi le joueur en décider, ou un autre joueur) crée en même temps son Côté Sombre, donc – c’est l’autre facette de la personnalité du, euh, personnage, la part de lui qui recherche l’anéantissement dans la Tempête, c’est le Mr Hyde, et bien plus encore. Le Côté Sombre a sa propre fiche (même si bien plus courte), il a ses propres Passions obscures (qui contredisent souvent les Passions du personnage, mais on peut se montrer bien plus subtil que cela), ainsi que des capacités qui lui sont propres, les Barbelures ; il a enfin un score fluctuant d’Angoisse qui, en atteignant un certain niveau, peut lui permettre de soumettre l'Ombre, ses Entraves, ses Passions, à la torture, mais aussi de prendre le pas sur la personnalité « positive » du personnage. Mais, pour gérer ce système, et le rendre plus utile en même temps que plus contraignant, Wraith pose pour principe que le Côté Sombre est joué par un autre joueur, dit le Guide du Côté Sombre. Autour de la table, d’une certaine manière, chaque joueur joue en fait deux personnages – le sien, et le Côté Sombre d’un autre ; son propre Côté Sombre est donc joué par un autre Guide. Cependant, sauf erreur, quand le Côté Sombre l’emporte, cette dissociation cesse – et c’est au joueur « normal » d’incarner son personnage, cette fois emporté par ses passions les plus sombres, et souvent autodestructrices… Le joueur est ainsi amené à interpréter son personnage d’une manière très différente – un beau défi de roleplay ! C’est un système que je trouve très intéressant – il avait par ailleurs un équivalent, mais un peu moins poussé je crois, dans Les Vampires d’Orient. Cependant, il n’est pas forcément aisé à mettre en scène, je le conçois…

 

UN JEU INJOUABLE ?

 

C’est sans doute le principal souci avec Wraith : c’est un jeu fascinant – mais peut-on vraiment y jouer ? Je crois que oui – je veux dire, y jouer vraiment, pas comme mes tentatives ineptes de par le passé… Seulement, cela représente un certain défi, qui ne peut être relevé qu’avec la table adéquate, et en prenant le soin de bien réfléchir au préalable à ce que l’on veut faire au juste.

 

Disons-le : ici, ce livre de base ne nous aide guère. D’un plan un peu chaotique, il manque d’éléments spécifiques pour bien appréhender à quoi devrait ressembler au juste une « vraie » partie de Wraith. On s’en rapproche exceptionnellement dans quelques « exemples », surtout ceux touchant aux Passions et aux Entraves – ceux liés à certains (certains seulement) des Arcanoi également. C’est déjà plus flou en ce qui concerne le Côté Obscur – un des éléments les plus complexes du jeu, pourtant.

 

En toute fin d’ouvrage, il y a bien comme un « mini-cadre » (Little Five Points, un quartier d’Atlanta – la ville entière a ultérieurement fait l’objet d’un supplément, Necropolis: Atlanta, soit l’équivalent de Chicago By Night, etc., pour Vampire… à ceci près que je n’ai pas l’impression qu’il existe pour Wraith d’autres suppléments de cet ordre ?), avec quelques pistes intéressantes, mais l’absence de tout scénario d’introduction, pour le coup, se fait cruellement sentir.

 

Or on ne peut (ou ne doit) sans doute pas jouer n’importe quoi, à Wraith. Même si la plus ou moins haute politique peut être de la partie, comme toujours (« On est manipulés ! On est manipulés ! »), même si on peut ménager ici ou là une petite baston avec des Légionnaires ou des Spectres, comme il vous plaira, le sentiment à la lecture de ce livre demeure que la « vraie » partie se joue ailleurs – dans les rapports des personnages avec leurs Entraves et leurs Passions, d’une part, avec leur Côté Sombre, d’autre part. Mais c’est ici que les éléments manquent pour s’en faire véritablement une idée, matériellement, disons.

 

Et cela peut avoir une autre conséquence : les Ombres des différents joueurs sont supposées constituer un groupe, appelé « Cercle » (équivalent de la Coterie, etc.), mais un véritable scénario commun peut-il véritablement progresser, si les joueurs sont si souvent appelés à l’introspection et aux entreprises toutes personnelles ? C’est sans doute faisable, je veux le croire, mais, oui, cela implique de bien réfléchir à ce que l’on compte faire. Ce qui est en même temps un défi intéressant pour toute la table : en toile de fond, le Conteur fait son Trône de fer fantomatique, mais tel joueur se lance dans une romance à la Ghost, tel autre enquête sur les circonstances de sa mort, encore un autre voit dans son décès un commencement plutôt qu’une fin, par exemple en matière d’activisme religieux, etc. Je m'en tiens à des clichés, ici, parce que c'est plus parlant, mais il y a beaucoup de choses à faire, notamment dans l'optique du drama – le risque étant que la cohérence au niveau du Cercle en prenne un coup au passage.

 

Bien sûr, il y a un autre risque : Wraith est un jeu extrêmement sombre, et l'expérience qu'il propose ne sera pas du goût de tous. Tout le monde n'aime pas réfléchir à la/sa mort, et le Royaume des Ombres est véritablement cauchemardesque ; d'aucuns pourraient même trouver cela de mauvais goût, je suppose, à ces deux égards, même si ce n'est certainement pas mon cas. Mais, oui, c'est à prendre en compte : une partie de Wraith, ce n'est pas (idéalement, toujours) l'exploration d'un donj' de base, ce n'est pas fun comme un jeu d'aventure lambda, et c'est bien plus glauque que le Cthulhu typique, ou, probablement, tout autre jeu du Monde des Ténèbres.

 

Tous ces risques doivent être pris en compte. Mais je crois que ça en vaut la chandelle – et que Wraith, dans son principe, est trop fascinant pour qu’on refuse d’envisager cette expérience.

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