"Allelujah! Don't Bend! Ascend!", de Godspeed You! Black Emperor
GODSPEED YOU! BLACK EMPEROR, Allelujah! Don’t Bend! Ascend!
Tracklist :
01 – Mladic
02 – Their Helicopters’ Sing
03 – We Drift Like Worried Fire
04 – Strung Like Lights At Thee Printemps Erable
Bon, je ne me sentais pas de le faire, ce compte rendu, mais plus j’écoute cet album, et plus je l’aime. Ce qui est très cool. Et m’incite donc à vous en toucher deux mots (‘tain, maintenant que je me suis remis aux productions récentes, entre Liesa Van der Aa, Tame Impala, Trent Reznor / Atticus Ross et ça, je me régale, et j’ai à nouveau envie de chroniquer des disques ; re-cool).
Mais revenons tout d’abord, en guise d’introduction, sur le groupe et sa discographie antérieure. Godspeed You! Black Emperor est probablement le groupe phare de la scène post-rock canadienne comme du label Constellation (et autour de lui gravitent diverses formations également fort intéressantes comme A Silver Mt. Zion Memorial Orchestra ou Set Fire To Flames). « Post-rock », évidemment, ça peut dire tout et son contraire… Il est cependant difficile de qualifier au-delà la musique de GY!BE, qui évoque une multitude d’influences. On se contentera de dire qu’il s’agit d’une musique instrumentale, empruntant tant au rock (passablement progressif / psychédélique) qu’à la musique classique, très légèrement teintée de sonorités concrètes / industrielles, saupoudrée de samples de discussions, etc., et prenant corps sous la forme de longs morceaux (pouvant aller jusqu’à une vingtaine de minutes, et plus si affinités), souvent découpés en mouvements vaguement symphoniques. GY!BE est un groupe passé maître dans l’art de la montée, du crescendo ; c’est sans doute ce trait-là qui caractérise le plus ses compositions, trippantes au possible…
Il y en a une que vous connaissez nécessairement, « East Hastings », qui avait été reprise (en version vraiment, mais alors vraiment, très abrégée…) dans la bande originale de 28 jours plus tard de Danny Boyle ; ce morceau (qui fait en tout 18 minutes) figurait sur le premier véritable album du groupe, f#a#∞, et est assez représentatif des méthodes générales de Godspeed (qui a cependant su évoluer sans se répéter excessivement, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit…). Suivit un splendide EP, Slow Riot For New Zerø Kanada, le bref album (seulement deux titres, pour une durée totale d’environ une demi-heure) avec lequel j’ai découvert le groupe, totalement par hasard, sur une radio indépendante toulousaine, et qui reste à ce jour l’œuvre de GY!BE que je préfère (sans doute à la fois par sentimentalisme et en raison de la brièveté de l’album, qui empêche le moindre sentiment de lassitude, même la plus minime, de s’installer). Il semblerait que ce soit avec ce disque que le groupe ait atteint une certaine notoriété, notamment du fait… d’un certain John Peel, décidément incroyable dénicheur de talents. Puis il y eut les excellents Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven (un double album, le plus long – et peut-être le plus complexe – que le groupe ait jamais produit), et, en 2002, Yanqui U.X.O. (c’est sans doute vers cette époque – je ne m’en souviens plus exactement – que j’ai eu la chance de les voir en concert ; je remettrais bien ça, d’ailleurs…).
Et puis plus rien, les membres du groupe préférant se consacrer à divers projets parallèles.
Zut.
Mais voilà : après dix ans de silence radio (façon de parler, of course…), le groupe annonça la sortie d’un nouvel album, intitulé Allelujah! Don’t Bend! Ascend! Joie ! Joie ! Mais – en ce qui me concerne tout du moins, mais je suppose que je n’étais pas le seul… – une joie teintée d’appréhension : les Canadiens guedins de Godspeed allaient-ils être en mesure de livrer un album aussi brillant que ses glorieux prédécesseurs ? Sauraient-ils se renouveler suffisamment pour que ça en vaille la peine, ou bien se contenteraient-ils de reproduire leurs anciens titres ?
Je plaide coupable : à la première écoute – gratuite –, j’ai aimé cet album, oui, et suffisamment pour prendre la décision de l’acheter, mais sans le trouver transcendant pour autant… Je notais avec un certain plaisir que le groupe, si on retrouvait bien la patte si caractéristique de ses compositions antérieures, avait su y apporter des nouveautés, quelques « prises de risque », relatives mais bien présentes. Mais je n’en pétais pas un orgasme pour autant.
Maintenant, si.
Rhaaaaaaaaaaaaaaaaaa.
Parce que, comme je le disais en introduction, Allelujah! Don’t Bend! Ascend! est un album qui se bonifie à chaque écoute. Je peux bien le dire maintenant : il se montre sans aucun doute à la hauteur des productions antérieures de GY!BE, et contient même, à mon sens, dans son premier titre « Mladic », un des meilleurs moments du groupe.
Allelujah! Don’t Bend! Ascend! est donc constitué de quatre morceaux : « Mladic » et « We Drift Like Worried Fire » sont des morceaux d’une vingtaine de minutes caractéristiques du style antérieur de Godspeed, là où les plus brefs (environ six minutes chacun) « Their Helicopters’ Sing » et « Strung Like Lights At Thee Printemps Erable » lorgnent délicieusement vers le drone, relativement lumineux et ambient pour le premier, plus bruitiste pour le second – c’est pas du Sunn O))), mais y a de l’idée.
Ah, tiens, tant qu’on y est : le « printemps érable » du dernier titre de l’album renvoie à la grève étudiante québécoise de 2012 (y font également écho les bruits de casserole à la fin de « Mladic ») ; Godspeed You! Black Emperor a toujours été un groupe très politisé, très à gauche, et cet album ne déroge pas à la règle (exprimant son mécontentement dans un charmant franglais sur la pochette de l’album).
Essayons d’en dire un peu plus sur les deux longs morceaux. « Mladic », tout d’abord, s’ouvre sur un format relativement ambient avec des violons enchanteurs, bientôt remplacés par des piaillements de guitare. Il offre une première montée qui, après le classique déchaînement rythmique et guitaristique (peut-être un poil moins complexe et un chouia plus bruitiste que d’habitude) finit par devenir vaguement orientalisante, et globalement tout à fait sympathique (avec une rythmique étonnamment enjouée pour du Godspeed). Mais le meilleur est à venir, avec un superbe riff on ne peut plus extatique : un de mes passages préférés de toute la carrière du groupe. Rien de moins ; ça colle une sacrée baffe, et confirme que les post-rockers canadiens, en dix ans, n’ont pas pris une ride.
« We Drift Like Worried Fire » est un morceau dans l’ensemble bien plus sombre, voire carrément noir et oppressant, surtout pour son inquiétante introduction. Comme je les aime ! Il y a mieux pour se remonter le moral, mais on s’en fout, c’est pas le propos. La suite est plus lumineuse (relativement, hein), mais tout aussi intéressante, tandis que la deuxième moitié du morceau retourne au glauquissime et s’achève dans un mélange détonant d’espoir et de mélancolie. L’ambiance tout à fait remarquable de ce morceau en fait une réussite incontestable.
‘tain, pour rédiger ce compte rendu, je me suis écouté l’album trois fois d’affilée et j’en redemande… C’est dire s’il est bon. Cependant, Allelujah! Don’t Bend! Ascend! n’est probablement pas l’album idéal pour découvrir GY!BE (encore une fois, je recommanderais plutôt à cet égard Slow Riot For New Zerø Kanada), d’autant qu’il lorgne un peu sur les terres plus hermétiques de l’excellent également Sings Reign Rebuilder de Set Fire To Flames. Mais ça n’en est pas moins un album remarquable, et qui, chose rare, se bonifie et convainc de plus en plus à chaque écoute. Godspeed n’est donc pas mort, ou plutôt a ressuscité de la plus belle des manières. Soulagement, bonheur, orgasme.
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