"Nord", d'Imminent Starvation
IMMINENT STARVATION, Nord.
Tracklist :
01 – Nor
02 – Tentack One
03 – Lost Highway (Exit)
04 – Oise
05 – Of
06 – Ren
07 – Vni
08 – Arles
09 – Ire
10 – Parle
11 – Please
Après avoir laissé s’exprimer ce matin la mélodie dans ce qu’elle a de plus pur avec Arcade Fire, j’ai envie, ce soir, de laisser la place au bruit dans ce qu’il a de plus sévère. Parce le bruit, ma bonne dame, c’est la vie. Et en matière de bruit, Imminent Starvation, aka Imminent, c’est-à-dire le Belge une fois Olivier Moreau, en connaît un rayon. Son projet devint rapidement une des entreprises phares du label allemand ant-zen, et contribua pour le moins à lui donner sa coloration spécifique power noise, et/ou indus rythmique, et/ou techno-indus (tout cela étant la même chose, ou peu s’en faut). Entendez par-là que nous faisons ici dans la musique électronique répétitive, violente et bruitiste, machinale et ultra-saturée, qui perturbe quelque peu les oreilles et agite un tantinet les neurones ; pas exactement de l’euro-dance, en somme… mais rien à voir non plus avec de quelconques abominations thunderdomesques ou pseudo-hardcore : ici, on fait dans la musique extrême, radicale, et résolument indépendante. Et accessoirement (ou pas) très, très noire.
Imminent Starvation, donc (oui, moi non plus je ne suis pas hyper fan de ce nom…), a signé deux albums chez ant-zen, plus une poignée de LP. Nord, dont je vais vous entretenir ce soir, est le second de ces albums, le plus achevé à mes oreilles, et le dernier des derniers du projet, du moins sous le nom « Imminent Starvation » : pour la petite histoire, une fois l’enregistrement achevé, Olivier Moreau a détruit sa table de mix et en a réparti les pièces comme suppléments de l’édition limitée de l’album, et c’est depuis qu’il a pris le simple nom d’Imminent (et qu’il a enregistré notamment avec Synapscape, autre projet intéressant dont je vous causerai peut-être un jour). Fini, Imminent Starvation. A pu. Mais restent les enregistrements anciens. Et ma foi, il y avait du bon, là dedans.
Un jour prochain, je vous parlerai peut-être du reste (et en premier lieu de Human Dislocation, qui contenait déjà quelques belles perles), mais, parce que la chronologie, c’est de la merde, concentrons-nous aujourd’hui sur Nord. On admirera déjà l’élégance et la sobriété de l’artwork, comme souvent chez ant-zen. Puis on mettra la galette dans le mange-disque, et on s’excusera d’avance pour les voisins.
On fera bien, parce qu’ils vont en chier, les pauvres, et ce dès le début. Olivier Moreau attaque en effet très méchamment avec le vrille-crâne et anti-mélodique au possible « Nor » ; la rythmique – si l’on excepte un quasi-kick tenant à peu de choses près du glitch – se fonde sur des bruits d’alarme recoupés : ça commence vite, fort et mal ! Un délice, vous l’aurez compris. Un morceau génialement et douloureusement hypnotique.
Les voisins n’ont guère le temps de souffler… puisqu’on enchaîne immédiatement sur le morceau le plus bourrin de l’album et de loin, le monstrueux et quasi gabber « Tentack One ». Un véritable hymne techno-indus que celui-ci, avec son pied terrible et sa rythmique d’usine inépuisable. Dans le genre, je n’ai personnellement jamais entendu mieux, à part peut-être (et je dis bien : peut-être…) chez Converter. En attendant, les voisins souffrent. Tant pis pour eux, mouhahahaha.
Allez, soyons gentils avec eux, pour une fois ; de toute façon, en fait, après ce début très rude, le pire est passé, et de loin : si la suite réserve encore quelques beaux moments de bruit, elle se révèlera souvent bien plus atmosphérique, ménageant derrière les rythmiques saturées une place pour de discrets claviers éthérés. C’est d’ailleurs à peu de choses près le cas immédiatement avec l’hypnotique « Lost Highway (Exit) » (NB : pardon pour l’illustration stupide et qui n’a effectivement rien à voir…), une des variations de l’auteur sur ce titre, surtout à mesure que l’on approche de la fin du morceau.
Suit « Oise », répétitif et très saturé mais finalement assez calme. Ça s’écoute bien, en tout cas…
« Of », ensuite (oui, Olivier Moreau aime bien les titres courts), est un morceau relativement lent, presque indus death (du moins par rapport à ce qui précède…), assez tripant en tout cas. Mais sympathique, sans plus.
La suite est bien plus intéressante, avec le grinçant « Ren » aux sonorités étranges et au pied saturé vagabond, construit sur un canevas atmosphérique d’une complexité à laquelle Olivier Moreau ne nous avait pas habitués jusqu’à présent. Un des morceaux les plus marquants de l’album, à n’en pas douter.
On passe alors à « Vni », qui rejoue la carte du machinal hypnotique avec brio. Les claviers en fond sont bien tripouille, la sauce prend très bien. On se laisse bercer par les vagues industrielles ; et, si si, ma bonne dame, c’est agréable. Ben oui.
Après quoi « Arles » remet les boites à rythmes en avant (ben oui, on fait ici dans l’indus rythmique, ne l’oublions pas), pour un résultat nettement moins bruitiste que les premiers exemples du genre sur l’album, mais néanmoins fort sympathique, a fortiori quand les claviers se mettent de la partie en fond sonore. Il y a là un petit côté tribal ma foi pas désagréable… Le tout est à la fois (légèrement) agité du bulbe et planant, bref : très bon.
« Ire », qui porte bien son nom, est un long morceau qui ré-accélère subitement le rythme, et nous rappelle qu’on n’est pas là pour rigoler. Ce qui se révèle malgré tout salutaire. Même si, là encore, quelques (discrets) claviers interviennent pour mélodiser (j’adore néologiser…) un peu tout ça… De toute façon, le résultat global est brillant, et donne une fois de plus un bien beau morceau de power noise, tout à fait réjouissant.
Après quoi « Parle » calme à nouveau un peu le jeu, pour retourner au machinal hypnotique de la plus belle eau. Un morceau aussi planant (à sa manière rythmée et saturée…) qu’il est glauque, ce qui n’est pas peu dire.
Ne reste plus que « Please », brève conclusion indus death (et donc dénuée de rythmique), portée par ce leitmotiv répété sans fin : « Please contact us, we are your friends! » Si vous le dites…
Le bilan est donc clair, me semble-t-il : ce Nord est tout simplement un sommet en son genre, et probablement la production la plus aboutie d’Olivier Moreau (du moins de celles qui sont parvenues à ma connaissance ; mais il est vrai que cela fait dix ans maintenant…). Album emblématique d’une certaine culture et du label ant-zen, il est un must-have pour tout amateur de power noise. Et il constitue aussi à mon sens une très bonne introduction à la musique « post-industrielle », puisqu’il paraît que c’est ainsi qu’il faut la désigner selon les puristes. Si cet article a pu attiser la curiosité de quelques-uns d’entre vous, bah j’en serais fort content ; sinon, bah m’en fous : j’continuerai quand même, na !