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Articles avec #nebal joue a des bons jeux tag

CR Imperium : la Maison Ptolémée (24)

Publié le par Nébal

Nofrera Set-en-isi

Nofrera Set-en-isi

Vingt-quatrième séance de ma chronique d’Imperium.

 

Vous trouverez les éléments concernant la Maison Ptolémée ici, et le compte rendu de la première séance . La séance précédente se trouve ici.

 

Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient donc Ipuwer, le jeune siridar-baron de la Maison Ptolémée, sa sœur aînée et principale conseillère Németh, l’assassin (maître sous couverture de troubadour) Bermyl, et le Docteur Suk, Vat Aills (toutefois, le joueur incarnant ce dernier a dû s’absenter assez tôt, et n'a du coup que très peu joué).

 

I : RÉGLER LA QUESTION

 

[La séance s’est ouverte sur une vision augurale de Németh – mais pas en direct : j’en avais fourni le texte à la joueuse seulement, et quelques minutes à peine avant le début de la séance, délibérément. Je reproduis ce texte ici – sachant donc que seule Németh était alors au courant ; toutefois, elle a plus tard, dans cette séance et la suivante, expliqué sa vision à d’autres personnages, PJ et PNJ.]

 

Où que tu te trouves, tu as une absence – mais pour te rendre dans un endroit que tu connais bien.

 

C’est Memnon, la ville des scientifiques, des artistes, des intellectuels. La ville aux si nombreux monuments – et des monuments de bon goût, aux antipodes de la pompe fastueuse de Cair-el-Muluk. Elle resplendit sous tes yeux. Le ciel est beau, la lumière parfaite, la température est agréable, rien des chaleurs oppressantes habituelles à Gebnout IV : le temps idéal pour faire un peu de tourisme.

 

Et c’est ce que tu fais – mais d’une manière dont tu perçois l’étrangeté sans pouvoir rien y faire… Tes cinq sens réagissent bel et bien à ta situation, mais le spectacle évoque plutôt un film qu’une véritable présence sur place : si l’image est aussi belle, c’est parce qu’elle est d’une certaine manière mise en scène – et tu passes d’un monument à l’autre comme le ferait le spectateur d’un film, un documentaire bien léché mais qui n’en est pas moins promotionnel, destiné à l’édification du touriste potentiel : il faut lui donner envie de venir, et de dépenser.

 

Tu es cette spectatrice, sinon cette touriste. La sensation n’est d’ailleurs pas désagréable – les complots qui t’obsèdent tant ces derniers jours semblent bien lointains…

 

Puis tu vois Ipuwer. Il se tient debout près d’une colonnade : un modèle attendant d’être photographié par quelqu’un qui n’est pas venu ici que pour les vieilles pierres. Impossible de lui parler, et lui-même ne dit pas un mot. Il a l'air plus renfermé que jamais.

 

La nuit tombe, insidieusement – tu n’es pas en mesure d’appréhender le passage du temps.

 

Puis tu avances, mais toujours avec cette impression d’être dans un film – c’est comme si tu suivais une caméra en vue subjective, maintenant. C’est toujours Memnon – tu le supposes – mais pas la Memnon des monuments. Plutôt une sorte de riche quartier résidentiel – oui, tu crois t’en souvenir, tes fonctions t’ont amené à y rendre visite à quelques artistes fortunés ou scientifiques généreusement rémunérés par des entreprises florissantes.

 

Impossible, cela dit, de reconnaître un itinéraire précis – d’autant que le mouvement s’accélère, au point de ne même plus entretenir cette illusion d’humanité : vue subjective ou pas, tu sais que ce n’est pas toi qui progresse, mais que tu assistes à un film. Toujours plus vite...

 

Et le mouvement s’interrompt d’un seul coup, brusquement. Tu es dans un bâtiment, impossible à identifier. Il fait noir. Tu reviens à l’illusion de participer à la scène, et tu allumes la lumière, d’un geste instinctif.

 

À tes pieds, le cadavre égorgé et éventré de Linneke Wikkheiser, baignant dans son propre sang.

 

II : PRÉDISPOSITIONS FAMILIALES

 

[II-1 : Németh, Ipuwer : Ludwig Curtius ; Labaris Set-en-isi, Bermyl] Nous sommes le lendemain matin, par rapport à la conclusion de la précédente séance. Németh souhaite s’entretenir avec Ipuwer – qui a certes livré de frénétiques parties de chéops avec Labaris Sen-en-isi la veille au soir, mais il fait en sorte d’avoir un emploi du temps un peu plus responsable depuis son retour à Cair-el-Muluk. Il ressent néanmoins une certaine fatigue : à son entraînement d’escrime quotidien, où Németh le rejoint, Ipuwer se montre des plus médiocre, et son maître d’armes Ludwig Curtius ne cache pas son mécontentement (et peut-être même une certaine inquiétude ?) ; Ipuwer lui-même n’était de toute façon pas satisfait de sa performance… « Un jour sans ; ça arrive. ». Németh n’est guère plus à l’aise : elle a l’impression qu’il fait étonnamment chaud dans ce palais pourtant conçu pour protéger ses occupants du climat agressif de Gebnout IVIpuwer, quand il voit sa sœur entrer dans la pièce, dit à Curtius, en riant, que c’est là la raison de sa fatigue : des réunions de travail en permanence ! Le maître d’armes ne rit pas, lui – mais n’ose rien dire, se contentant de frémir de la moustache ; il adresse même un regard à Németh, en rien hostile, mais qui évoque une forme de connivence à Ipuwer… Et il réagit à sa manière habituelle : « J’ai raté un épisode entre vous deux, ou quoi ? » Toujours en riant. Curtius, un peu gêné, s’empresse de ranger le matériel… Németh, dans un soupir, lâche à Ipuwer qu’elle n’a pas le temps pour ces enfantillages – elle a l’air un peu énervée et mal à l’aise, et se plaint notamment de cette horrible chaleur… qu'Ipuwer ne ressent pas le moins du monde, mais il n'en fait pas état. Németh insiste : ils ont à discuter. Et à l’ombre ! Ipuwer acquiesce, et invite Németh à le suivre dans ses propres quartiers – en usant des protocoles mis en place par Bermyl pour se protéger des oreilles indiscrètes.

 

[II-2 : Németh, Ipuwer : Taestra Katarina Angelion, Bermyl, Dame Loredana] Németh veut faire le point. Elle dit à Ipuwer qu’elle compte s’entretenir de nouveau avec la Révérende-Mère Taestra Katarina Angelion – pour évoquer notamment avec elle la question des « ressuscités » à la lumière des dernières informations de Bermyl, et savoir ce qu’il en est au juste de l’activité de la Missionaria Protectiva sur Gebnout IV. Ipuwer l’approuve – revenant sur la suggestion de leur mère, Dame Loredana, de « compter leurs alliés ». Ipuwer suppose que les Atonistes pourraient en faire partie. Mais il n’est pas au fait de tous les rapports – qui s’accumulent dans son bureau… Il va préparer son séjour à Memnon, et repenser le rôle de la police sur Gebnout IV ; par ailleurs, il compte optimiser les forces armées de la Maison Ptolémée pour faire face à toute éventualité – il est bien plus à l’aise dans ce domaine « martial » que dans tout autre, Németh le sait, et ça lui convient très bien.

 

[II-3 : Németh, Ipuwer : Linneke Wikkheiser, Dame Loredana] Mais la question du voyage à Memnon intéresse tout particulièrement une Németh quelque peu agitée – et qui, depuis un certain temps déjà, est proprement obnubilée par la présence sur place de Linneke Wikkheiser, après l’incident diplomatique les ayant impliquées toutes deux… et une de ses premières visions depuis que son potentiel de Presciente s’est révélé – celle de la matinée n’ayant fait qu’appuyer encore un peu plus sur cette obsession. Németh hésite… puis décide de se confier : Ipuwer n’est pas un imbécile, sans doute sait-il qu’elle s’est mise à consommer de l’épice ? D’où ce qu’elle qualifiait alors de « rêves », en fait des « visions », et pour le moins troublantes. Ipuwer est passablement stupéfait, mais laisse Németh poursuivre sans lui couper la parole. Cette réaction n’échappe bien sûr pas à Németh : Ipuwer la prendrait-il pour une folle ? Non, non… Il est surpris, c’est tout – mais, à la réflexion, il suppose que cela n’est pas si étonnant : leur mère, la relation ambiguë de Németh au Bene Gesserit… Même si pour Németh il n’y a pas d’ambiguïté : elle n’a jamais voulu avoir de lien avec le Bene Gesserit, elle n’a pas voulu du conditionnement, et elle se méfie de longue date de l’ordre, dont elle n’a jamais suivi les consignes, explicites ou implicites. Németh concède à regret qu’elle avait peut-être des prédispositions, mais n’en démord pas : elle n’a rien à voir avec les sœurs, et ne veut rien avoir à faire avec elles... même s'il lui faut donc revoir Taestra Katarina Angelion ; ça tombe mal... Mais elle n'a fait que suivre les conseils de Dame Loredana ! Et elle peut ainsi aider la Maison Ptolémée ! Ipuwer est sceptique : aider la Maison Ptolémée ? Deux légions de plus, voilà ce qui serait vraiment utile…

 

[II-4 : Németh, Ipuwer : Linneke Wikkheiser, Labaris Set-en-isi, Ludwig Curtius, Bermyl, Elihot Kibuz] Qu’importe : Németh l’affirme, Linneke Wikkheiser à Memnon est un souci de taille, et il est très important qu’Ipuwer s’y rende pour « régler la question ». Ipuwer va préparer tout cela au plus tôt. Il espère faire mieux que ce matin à l’épée… Et Németh, chose rare, se montre alors taquine : peut-être ses dons d’escrimeur cèdent-ils la place à des talents… intellectuels ? « Au sens diplomatique », la reprend Ipuwer avec un sourire. Il sait n’être pas plus doué pour l’hypocrisie que pour les bons mots… Il partira – accompagné par Labaris Set-en-isi (Németh fronce un peu les sourcils, sans rien dire…) et Ludwig Curtius, en guise de garde rapprochée en laquelle il aurait pleinement confiance : Bermyl a bien trop de travail, ses services sont vérolés, et Elihot Kibuz n’est certainement pas fiable…

 

[II-5 : Ipuwer, Németh : Linneke Wikkheiser, Bermyl, Ai Anku] Mais Ipuwer demande alors à Németh de confirmer que ce sont bien ses « visions » qui l’enjoignent à agir ainsi, concernant Linneke Wikkheiser ; c’est bien le cas… Il y a cependant autre chose : les rapports fournis par les services de Bermyl à Memnon, dont Németh ne se satisfait pas – au point à vrai dire où la colère et l’impatience percent sous sa dignité et sa contenance habituelles. Ces rapports demeurent en effet évasifs, trop à son goût : Linneke Wikkheiser est donc à Memnon – dans un quartier résidentiel plus ou moins bohême, en fait avant tout luxueux ; les artistes y sont nombreux, en quête de mécènes, et les scientifiques aussi – mais ceux qui travaillent, contre forte rémunération, pour des entreprises de pointe, pas exactement les académiciens typiques de l’Université engagés dans la recherche fondamentale. Linneke Wikkheiser a rencontré beaucoup de monde depuis son arrivée sur place – artistes et scientifiques, donc (dont aussi des chercheurs de l’Université, cette fois, parmi lesquels Ai Anku, seul nom qui évoque véritablement quelque chose à Németh et Ipuwer) ; elle n’a cependant pas un rôle particulièrement actif autrement – mais ces entretiens semblent d’une certaine manière « professionnels » plutôt que « mondains ». Cependant, on n’en connait pas le contenu exact… On ne lui connait pas d’autres occupations, et elle ne sort guère de sa résidence, où elle reçoit à longueur de journées.

 

[II-6 : Németh, Ipuwer : Linneke Wikkheiser] Németh insiste : rien dans leurs faits et gestes ne doit trahir les « hostiles desseins » qu’ils ont envisagés à l’encontre de Linneke Wikkheiser – qui a cependant de toute évidence prévenu Wikkheim de ce qui s’était passé à Cair-el-Muluk. À vrai dire, si Németh ne s’étend pas sur la question, l’idée rapidement évoquée quelque temps plus tôt d’un poison qui rendrait folle l’arrogante courtisane lui plait énormément…

III : OÙ SONT LES MOUCHARDS ?!

 

[Cette séance était un peu particulière, dans la mesure où il nous est apparu préférable d’aménager une ellipse permettant à la chronique d’avancer plus radicalement – les précédentes séances ayant plus ou moins été au jour le jour. Dans cette optique, j’ai demandé aux PJ, le cas échéant, de m’expliquer quelles « actions longues » ils entreprenaient sur la durée d’une semaine environ ; c’est le cas dans ce chapitre focalisé sur Bermyl.]

 

[III-1 : Bermyl : Elihot Kibuz, Namerta, Ipuwer, Németh] Bermyl est obsédé par l’idée d’être suivi. Plusieurs alertes, ces derniers jours, l’en ont convaincu – et ça angoisse profondément le maître assassin, qui a l’impression d’être battu sur son propre terrain ! L’idée que ses propres services étaient compromis, via Elihot Kibuz probablement, était déjà en soi inquiétante… Mais, pour Bermyl, la surveillance exercée par les « ressuscités », et Namerta parmi eux, est encore un cran au-dessus : ils semblent toujours savoir, avec un temps d’avance, ce qu’il fait et où il va ! Aussi, au fil de ces journées particulièrement incertaines, Bermyl entreprend avec méticulosité de repérer des mouchards qu’on aurait pu lui coller, sur les objets qu’il emploie au quotidien, notamment – balisette incluse. Il y passe beaucoup de temps… Mais non, rien. Ce qui ne le rassure pas : ses ennemis ont alors un réseau, dans tout Cair-el-Muluk, peut-être au-delà ! Des informateurs derrière chaque fenêtre ! Et Bermyl adresse un rapport dans ce sens à ses supérieurs, Ipuwer et Németh.

 

[III-2 : Bermyl] Mais les investigations de Bermyl ne s’arrêtent pas là – quand bien même il doit composer avec la loyauté douteuse de ses services. Il entreprend autant que possible de les reprendre en main, et d’en optimiser les capacités… mais sans vraie certitude que cela soit très efficace.

 

IV : DES CARTES ET LA MÉTHODE

 

[Actions longues là aussi, pour une ellipse d’une semaine.]

 

[IV-1 : Vat Aills : Armin Modarai ; Hanibast Set, Elihot Kibuz, Thema Tena] Le Docteur Suk Vat Aills a décidé de se rendre sur le Continent Interdit, dans la région du Mausolée, pour déterminer si l’intuition du Conseiller Mentat Hanibast Set se vérifierait – la présence sur place permettrait de mieux comprendre les cartes autrement très cryptiques des Atonistes de la Terre Pure. Il compte se rendre là-bas accompagné de son garde du corps Armin Modarai – qu’il avait un temps confié à Elihot Kibuz pour « faire sa formation » (en fait l’espionner…), mais, ces derniers temps, il avait supposé que l’adjoindre au Pèlerinage Perpétuel de Thema Tena pourrait être plus utile… Le Docteur Suk prépare son voyage avec attention, durant les deux jours qui suivent, puis embarque pour le Mausolée.

 

[IV-2 : Vat Aills : Sabah] Arrivé sur place, Vat Aills se met aussitôt au travail, et étudie méticuleusement les cartes de Sabah – cet ensemble complexe où bien des méthodes de cartographie se mêlent, indiscernables quand on n’a pas la clef, mais qui ont forcément une logique, un sens, qu’il s’agit de déterminer. Cela fonctionne un peu comme une grammaire, d’une certaine manière… C’est un travail harassant, impliquant une concentration de tous les instants ; mais les connaissances du Docteur Suk en planétologie et son sens de l'observation lui sont d’un précieux secours… et son travail avance en fait plus rapidement qu’il ne le pensait ! Effectivement : être sur place change la donne – le système n’est pas encore percé à jour, mais il commence à faire sens, au point de devenir concrètement utilisable.

 

V : FEMMES DE POUVOIR

 

[V-1 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Dame Loredana] Németh convoque dans ses jardins la Révérende-Mère Taestra Katarina Angelion – qui est toujours au Palais, et ne s’en est que rarement absentée depuis son arrivée ; elle ne s’est jamais signalée à Németh, mais est disposée à lui parler – ou plus exactement à lui répondre, car elle laisse l’initiative à la sœur du siridar-baron. Németh lui parle de ses entretiens avec Dame Loredana, et ne doute pas que la Révérende-Mère aura bien des choses à lui apprendre. La vieille femme n’en doute pas non plus, et, sans autre préalable, engage Németh à lui parler de ses visions. Németh baisse la tête, mais elle savait très bien qu’elle ne pouvait rien lui cacher à cet égard… Elle se dit étonnée de cette évolution soudaine, et des mécanismes en jeu, qu’elle ne comprend pas très bien. Bien sûr, Taestra Katarina Angelion insiste sur le fait que ce potentiel était en elle, qu’elle l’accepte ou non : l’épice n’a pas provoqué la Prescience, elle lui a seulement permis de s’exprimer. Le don était là – et puissant, suppose-t-elle. Németh suppose quant à elle que cela pourrait expliquer l’intérêt du Bene Gesserit pour sa lignée…

 

[V-2 : Németh : Taestra Katarina Angelion] La tâche n’est guère aisée pour Németh, qui ne sait pas comment narrer ses visions. Peut-être la Révérende-Mère en sait-elle déjà quelque chose ? Non : elle ne sait rien du contenu des visions de Németh, et veut les apprendre de sa bouche. Németh essaye, à reculons : elle a vu l’avenir de la Maison Ptolémée – suppose-t-elle ; son rôle central, aussi, et elle ne nie pas que cela la flatte, elle qui n’a jamais voulu se conformer à l’étiquette de son sexe et de son rang, et a toujours eu davantage d’ambitions. La Révérende-Mère lui adresse un sourire terriblement carnassier (mais pas menaçant)... Németh sait aussi que la question dépasse la seule Maison Ptolémée, comme la Révérende-Mère le lui avait dit… et elle est convaincue qu’elle y jouera sa part – que c’est inévitable et nécessaire. Et Taestra Katarina Angelion, dont le sourire, de manière très improbable, est devenu plus carnassier encore, intervient, cette fois : « Le talent… L’ambition… Une morale passablement pragmatique… Vous auriez fait une excellente Révérende-Mère… » Mais qu’elle aille au fait : ses visions !

 

[V-3 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Linneke Wikkheiser] Németh parle enfin de Linneke Wikkheiser, qui l’obsède ; elle a fait l’objet de plusieurs visions, semblant toutes, à leur manière, témoigner de ce qu’elle est une menace pour la Maison Ptolémée. Il y a eu cet incident diplomatique… La Révérende-Mère le sait. Németh confesse qu’avoir envisagé une alliance avec une Maison si puissante, en raison d’affinités philosophiques supposées, était une erreur – un trop gros morceau. Taestra Katarina Angelion ne la contredit pas. Mais, puisque Németh renâcle à lui dévoiler le contenu exact de ses visions, la Révérende-Mère entend attirer son attention sur quelques faits, indépendamment : déjà, oui – Linneke Wikkheiser est une menace pour la Maison Ptolémée, un danger considérable, colossal même ; mais cela ne concerne que la Maison Ptolémée : ses pires ennemis, que Németh n’ose semble-t-il pas évoquer, constituent une menace de bien plus grande ampleur – et il serait temps que Németh réfléchisse véritablement à ses priorités. Németh dit que c’est qu’elle craignait une alliance entre Linneke Wikkheiser et ses autres ennemis… La Révérende-Mère la reprend sèchement : « Dame Németh, vous ne croyez pas un mot de ce que vous venez de me dire. » Németh se crispe : son invitée insinuerait-elle que son obsession pour Linneke Wikkheiser et la diplomatie de la Maison Ptolémée obscurcirait son jugement ? « Parfaitement. » Mettre la Wikkheiser au premier plan de ses ennemis est absurde. Un adversaire clairement identifié, quand des ennemis bien plus dangereux restent dans l’ombre ? Son expérience la rend formelle : c’est tout au plus une diversion. Németh baisse la tête, résignée.

 

[V-4 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Linneke Wikkheiser] Németh parle cependant de ses deux visions impliquant Linneke Wikkheiser – elle en rapporte le contenu, cette fois : dans la première, Linneke Wikkheiser plaidait avec fougue devant le Landsraad ; dans la seconde, elle était morte, sur Gebnout IV. Taestra Katarina Angelion hausse les sourcils : elle paraît surprise, et cela n’arrive pas tous les jours… Elle a même l’air hésitante ! Puis elle répond : « Je suppose que… cela doit être une question de temporalité… Mais vous vous rendez bien compte… que ces deux futurs sont à première vue incompatibles ? » Németh s’en rend compte, oui ; n’est-ce pas que le futur change en fonction de leurs actes ? La Révérende-Mère émet un faible et guère convaincu « oui »… « Mais, d’une manière ou d’une autre, ce qui est vu doit arriver. Même des visions incompatibles en apparence, les deux sont vraies. » Elle réfléchit, rumine en baissant la tête… Németh insiste sur cette question complexe : les deux visions doivent donc se réaliser ? La Révérende-Mère suppose qu’il y a deux possibilités : soit Linneke Wikkheiser plaide devant le Landsraad, puis, pour une raison ou une autre, revient sur Gebnout IV et y meurt, soit elle meurt d’abord sur Gebnout IV, et, d’une manière ou d’une autre, parvient cependant ensuite à plaider devant le Landsraad. Németh suppose que cela ne serait pas la première fois, dans cette affaire, que des morts ressusciteraient : le Bene Tleilax a déjà fait usage de cette technologie… La Révérende-Mère acquiesce : c’est effectivement possible – et c’est dans cette hypothèse, et seulement celle-là, qu’il pourrait y avoir un véritable lien entre « l’ennemie secondaire » qu’est Linneke Wikkheiser et les « ennemis primaires » à l’échelle de l’Imperium… Mais ça n’en est que plus inquiétant.

 

[V-5 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Namerta, Clotilde Philidor] Németh admet qu’il lui faut expliquer également ses autres visions. La première montrait son père Namerta régnant de nouveau – et cette vision avait d’une manière ou d’une autre été provoquée par Clotilde Philidor. Mais Taestra Katarina Angelion sait que Clotilde Philidor est dotée de puissantes facultés de Prescience ; peut-être la confrontation de leurs deux esprits tournés vers l’avenir a-t-elle suscité cette vision – et ainsi servi, outre le régime d’épice, de catalyseur de la Prescience active de Németh ? Un simple réflexe spirituel, alors ? Peut-être… Németh se demande néanmoins si Clotilde Philidor pourrait à son tour constituer une menace ; la Révérende-Mère n’y croit pas – à tout prendre, elle pourrait peut-être même constituer une alliée de poids… Mais elle n’a guère réfléchi à la question, et va la réévaluer à la lumière de ces nouveaux développements. Németh lui demande si la jeune femme est liée d’une manière ou d’une autre au Bene GesseritTaestra Katarina Angelion répond que non – et sans son masque habituel : Németh est convaincue de sa sincérité à ce propos.

 

[V-6 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Ipuwer, Clotilde Philidor, Anneliese Hahn] Németh ajoute que son frère Ipuwer semble étrangement plus séduit par cette jeune fille effacée, que par la bretteuse intrépide Anneliese Hahn… La Révérende-Mère, sur un ton bizarrement badin, suppose que c’est parce que les contraires s’attirent, et peuvent même s’avérer complémentaires. Est-ce si étrange ? Concernant Anneliese Hahn, Taestra Katarina Angelion doute à vrai dire qu’un homme tel qu’Ipuwer, avec tous ses défauts, trouverait un véritable intérêt à s’unir avec lui-même… et ce même s’il n’est peut-être pas tout disposé à l’accepter. Ceci étant, elle n’est pas là pour discuter affaires matrimoniales, même si, du fait de ses fonctions, cela lui arrive bien sûr plus qu’à son tour.  Les amourettes ne l’intéressent de toute façon guère – et elles ont plus important à traiter.

 

[V-7 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Ipuwer, Taa, Vat Aills, Nofrera Set-en-isi] Németh a une dernière vision à confier – portant sur les secrets du Continent Interdit, sur lesquels elle entend donc lever le tabou (décision prise à la suite de leur précédent entretien). La Révérende-Mère ne réagit pas : Németh comprend que c’est parce que tout ceci, pour elle, tient de l’évidence. Németh lui parle cependant de la colossale tempête de sable – entraperçue également par Ipuwer en excursion avec Taa, puis par Vat Aills depuis l’orbite de la planète. Pour Németh, cela traduit l’implication de la Guilde dans cette affaire. Elle comprend par ailleurs que sa vision, cette fois, avait un caractère plus ou moins métaphorique – avec cette tempête de sable jaillissant dans l’espace et envahissant l’Imperium entier… La Révérende-Mère avait eu quelques échos concernant cette tempête – mais sans doute fallait-il que la Maison Ptolémée l’appréhende d’elle-même. Ce n’est bien sûr pas un phénomène climatique normal, et c’est évidemment destiné à cacher quelque chose – or elle ne sait pas comment pénétrer à l’intérieur. Mais, oui, la Guilde, tout ou partie, est forcément impliquée. Németh dit qu’elle travaillera sur le phénomène avec la planétologue (climatologue et océanologue) Nofrera Set-en-isi.

 

[V-8 : Németh : Taestra Katarina Angelion] Németh demande alors des précisions à la Révérende-Mère concernant le rôle de la Missionaria Protectiva sur Gebnout IV – mais il n’y a pas forcément grand-chose de plus à dire depuis leur dernier entretien : oui, le Bene Gesserit se livre sur la planète à une sorte de « guerre d’ingénierie religieuse » depuis plusieurs millénaires ; oui, les Atonistes de la Terre Pure sont à la base une pure création du Bene Gesserit ; non, ils n’ont pas besoin d’une formation spéciale et d’une technologie de pointe pour concevoir leurs cartes du Continent InterditTaestra Katarina Angelion revient sur l’idée d’une « grammaire ».

 

[V-9 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; le Vieux Radamès] Et concernant les « ressuscités » ? Oui, le Bene Gesserit avait « suggéré » à Németh de se renseigner sur le Vieux Radamès – et peut-être cette suggestion a-t-elle été fatale au « ressuscité », d’ailleurs… Il était une « tentative » de reprendre la mainmise dans cet affrontement d’ingénierie religieuse – un échec, en définitive. Peut-être est-il encore possible de semer la zizanie dans les rangs des « ressuscités », mais il faut alors trouver un autre pion, et la situation risque de se répéter… Mais oui : Németh peut compter sur le soutien de la Missionaria Protectiva – laquelle agit dans l’ombre, cependant.

 

[V-10 : Németh : Taestra Katarina Angelion] Mais, au moment où Németh semblait sur le point de lui donner congé, Taestra Katarina Angelion baisse un instant la tête, puis l’interpelle : « Vous avez fait usage du Tarot de Gollam… » Ce n'est pas une question. Németh le confirme. Et cela lui a-t-il apporté quelque chose ? Qu’en pense-t-elle ? Le Bene Gesserit a l’air de jouer un rôle important… Oui, à l’évidence. Mais encore ? Németh ne comprend pas tout… mais admet que ce tirage l’a plutôt réconfortée : il est possible de faire quelques choses, ils peuvent trouver des alliés, elle a un rôle à jouer ! La Révérende-Mère ne répond pas, et l’entretien s’arrête là, sur les remerciements de Németh.

VI : POLICE PARTOUT

 

[Actions longues, puis entretien plus détaillé.]

 

[VI-1 : Ipuwer : Kiya Soter, Bekenamen, Apries Auletes, Seken-en-ra Sebek] Avant de se rendre à Memnon, Ipuwer entend mettre en œuvre un plan pour optimiser les facultés des forces armées de la Maison Ptolémée en ces temps troublés. Or, en ces matières qui parviennent à l’intéresser, Ipuwer s’avère un gestionnaire et un stratège étonnamment compétents ! Sur la base notamment des écueils qu’il avait pu constater lors de son séjour au Mausolée du Continent Interdit, et en un temps record, il sait prendre les bonnes décisions, très pointues le cas échéant, pour améliorer drastiquement les capacités militaires de la Maison – ou, plus exactement, pour en user au mieux, sans davantage de dépenses ou d’opérations de recrutement.

 

[Concrètement, sur la base des excellents jets d’Ipuwer, la valeur de Guerre de la Maison Ptolémée ne change pas, restant à son niveau relativement faible de 2, mais il a bel et bien atteint l’optimum en matière d’organisation, ce qui, le cas échéant, pourra apporter des bonus non négligeables aux actions militaires de la Maison ; par ailleurs, Ipuwer a ainsi amélioré ses relations avec les autorités militaires de Gebnout IV, tout particulièrement les généraux Kiya Soter (général en chef) et Bekenamen (commandant en chef des troupes d’élite) – le cas du chef de la police, Apries Auletes, est un peu différent (du fait de sa corruption notoire), et Ipuwer va longuement s'entretenir avec lui ; enfin, les Maisons mineures mercenaires ne sont naturellement pas directement sous le contrôle d’Ipuwer, mais, si la turbulente Maison Arat, forcément, ne change pas d’attitude face à cette nouvelle politique, on peut supposer que Seken-en-ra Sebek prend au moins davantage au sérieux le jeune siridar-baron qui ne semblait jusqu’alors briller que par son incompétence.]

 

[VI-2 : Ipuwer : Apries Auletes ; Kiya Soter, Ngozi Nahab] Ipuwer convoque Apries Auletes au Palais de Cair-el-Muluk – le chef de la police monte aussitôt à bord d’un ornithoptère à Heliopolis, où se trouvent ses bureaux. Une fois sur place, il est reçu un peu froidement par Ipuwer, dans le bureau protégé de ce dernier – qui n’a jamais apprécié l’officier corrompu, mielleux, dégoulinant, aux gestes et aux paroles « ralentis » par l’abus de zha… Cela tient même de la répulsion, à ce stade. Ipuwer ne s’en montre que plus formel, et très « boulot boulot » : il n’a pas du tout la même relation avec lui qu’avec Kiya Soter, notamment. Ils font le point sur les statistiques en matière de maintien de l’ordre et de répression ; aussi répugnant soit-il, Apries Auletes n’a rien d’un incompétent – et il sait s’occuper de la sédition de manière brutale, mais ciblée et pertinente. Ipuwer sait par contre que ses rapports concernant la Maison Nahab et son chef Ngozi sont biaisés…

 

[VI-3 : Ipuwer : Apries Auletes ; Bahiti Arat, Németh] Mais Apries Auletes a fait du bon travail, globalement – sachant notamment gérer les zélotes de la Maison Arat à Heliopolis, après les incidents au campement des Atonistes de la Terre Pure ; ce qui l’a amené à s’intéresser plus en détail aux activités de la Maison mineure à Nar-el-Abid, son fief – il ne va pas jusqu’à parler de sédition, mais met par contre l’accent sur les dissensions internes des Arat : Bahiti Arat a probablement perdu du pouvoir, tandis que la faction mettant l’accent sur le rôle d’Isis, mais voyant Németh dans ce rôle, a gagné en influence – et l’idée progresse dans leurs rangs, que le meilleur mariage, pour Ipuwer, serait avec sa propre sœur… Bahiti Arat, dépossédée, a dû bien malgré elle calmer le jeu – mais, en fanatique incontrôlable, elle ne s’est pas privée de dire que, en tant que « marraine des sciences », probablement hostile au Culte Épiphanique du Loa-Osiris, Németh n’a rien d’une Isis « souhaitable ». Pour Apries Auletes, la menace constituée par la Maison Arat est en tout cas pour l’heure « négligeable ». Ipuwer remercie le chef de police pour son efficacité dans l’affaire d’Heliopolis.

 

[VI-4 : Ipuwer : Apries Auletes ; Soti Menkara, Ra-en-ka Soris, Ngozi Nahab] Et concernant Soti Menkara ? Pas grand-chose à dire… Il est notoire qu’elle s’est « rapprochée » de Ra-en-ka Soris pour « faire face » à la Maison Nahab (Apries Auletes sait très bien qu’il est compromis à ce propos aux yeux d’Ipuwer, et ce dernier « sait qu’il sait »). Il est constant, par ailleurs, qu’elle s’active bien plus qu’elle ne le prétend…

 

[VI-5 : Ipuwer : Apries Auletes ; Ngozi Nahab] Ipuwer avance par ailleurs que les rapports du chef de la police ne prennent pas en compte tout ce qui constitue le « marché invisible » de Gebnout IV, crucial pour la Maison Ptolémée, et qui a brassé de grosses sommes ces dernières années – mais Apries Auletes ne répond pas. Plus franchement, Ipuwer lui demande de « transmettre ses excuses pour le dérangement occasionné » à la Maison Nahab – il dit savoir que Ngozi Nahab a toujours été « un vassal dévoué »… Apries Auletes a compris, et transmettra le message.

 

[VI-6 : Ipuwer : Apries Auletes ; « Lætitia Drescii »] Ipuwer rappelle enfin à Apries Auletes qu’il y a une urgence, pour ses services de police : mettre la main sur la fausse « Lætitia Drescii », dont il a un portrait dans son bureau. De bons résultats seront dûment récompensés – mais le chef de la police n’a rien à dire à ce sujet.

 

VII : NÉMETH ET LES SAVANTS

 

[Deux entretiens synthétisés.]

 

[VII-1 : Németh : Taharqa Finh] Németh s’entretient avec l’historien et archéologue Taharqa Finh sur les effets de la levée de l’interdit sur le Continent Interdit. Mais la politique, il s’en moque, ce n’est pas son rayon – que ça passe au mieux avec le Culte Officiel, il s’en fout totalement (et n’a rien d’un diplomate…) : tout ce qui l’intéresse, c’est d’aller sur le terrain (ce qu’il a déjà fait en secret, il le laisse entendre, mais à la lisière seulement du Continent Interdit, et les conditions étaient mauvaises pour accomplir un vrai bon travail…). Németh lui propose de faire partie d’une première expédition « officieuse » sur place ; il accepte bien sûr avec enthousiasme.

 

[VII-2 : Németh : Taharqa Finh] Pense-t-il quand même quelque chose à propos des « ressuscités » ? Ça ne l’intéresse pas vraiment – il vit dans le passé… Par ailleurs, ce n’est pas un sujet discuté en public, par les médias, etc. : il y a bien quelques rumeurs dont il a eu vent, mais guère plus… Ces rumeurs l’ont vaguement intéressé, ceci dit, à la réflexion il ne le nie pas – mais dans la mesure où il pouvait les lier à ses recherches historiques ; il travaille sur les origines du Culte Épiphanique (ce qui ne plait pas aux autorités religieuses, forcément…), et sa dimension animiste originelle, ainsi que ses aspects vaudous : pour lui, c’est là la véritable origine de cette foi – le culte autour d’Osiris ne s’y est agrégé que plus tard, et, depuis, la propagande du Culte Officiel n’a eu de cesse de « diminuer » la dimension vaudou de la religion pour mettre l’accent sur sa dimension « égyptienne ». En ce sens, d’une certaine manière, les « résurrectionnistes » donnent raison à l'historien – il pourrait disserter des heures sur les zombies, etc., mais dans une perspective historique. À l’en croire, la « déviance résurrectionniste » est donc une forme de fondamentalisme – et il sait très bien que le fondamentalisme s’accompagne souvent de fanatisme ; toutefois, ce fondamentalisme-là est original, et a quelque chose de clairement subversif, en cassant l’image du « roi et maître », du dieu « gouvernemental » accaparant tous les pouvoirs… Il semble ne pas vraiment se rendre compte de ce que cette thèse ne servirait pas forcément les intérêts de son interlocutrice ! Mais il peut tenir un discours du même ordre concernant les Atonistes de la Terre Pure… Ce qui donne à Németh ample matière à réflexion, et elle n’y est pas indifférente, mais rien de concret.

 

[VII-3 : Németh : Taharqa Finh] Németh se demande toutefois si l’historien sait ce qu’il en est de l’activité de la Missionaria Protectiva sur la planète… Les échanges sont alors imprégnés de non-dits, d’où ressort l’idée que Taharqa Finh n’est pas dupe : l’apparition spontanée des cultes (le Culte Épiphanique dont il est spécialiste, mais aussi les autres, postérieurs), il n’y croit guère – il y a forcément eu des manipulations en sous-main… Mais, là encore, il s’en tient à la perspective historique, il ne saurait pas faire un cours de « politique religieuse » pour « ici et maintenant ». Németh trouve ces échanges passionnants (et l’enthousiasme du chercheur, au-delà de son image bourrue, est contagieux dès lors qu’il traite de ce qui l’intéresse vraiment), mais n’en tire rien de « pratique », pour l’heure du moins. Toutefois, elle ne doute pas, et le lui dit, qu’il sera d’une grande utilité dans les jours qui viennent – son expérience du désert pouvant d'ailleurs être un atout supplémentaire.

 

[VII-4 : Németh : Nofrera Set-en-isi ; Abaalisaba Set-en-isi, Taharqa Finh] Németh, peu après, reçoit également l’océanologue et climatologue Nofrera Set-en-isi – par ailleurs la cousine d’Abaalisaba Set-en-isi, historien, juriste, diplomate, un des meilleurs atouts de la Maison Ptolémée, avec qui Németh a déjà planifié un autre entretien, sans doute crucial. Nofrera, ainsi que Taharqa Finh, accepte bien sûr elle aussi de faire partie de l’expédition sur le Continent Interdit.

 

[VII-5 : Németh : Nofrera Set-en-isi] Mais Németh lui parle sans plus attendre de la grande tempête de sable du Continent Interdit ; cette révélation ne semble pas spécialement étonner la chercheuse, peut-être même en avait-elle une vague idée auparavant – le point essentiel étant que le climat de Gebnout IV est largement remodelé par les satellites de la Guilde : un phénomène pareil, dans un contexte aussi contrôlé, n’a évidemment rien de naturel, et la Guilde y a forcément sa part – ou une faction de la Guilde, elle n’en sait rien. Plus globalement, Németh lui demande si l’on peut deviner un « grand dessein » dans l’activité climatique de la Guilde – par ailleurs, elle sait que Nofrera n’est pas exactement techno-progressiste, appartenant à une mouvance plutôt écologiste ; mais c’est une bonne scientifique, qui sait par ailleurs très bien que, sans les satellites de la Guilde, Gebnout IV serait proprement invivable… Elle doit donc toujours composer avec les agissements de la Guilde. Mais elle a une crainte : que la Guilde en fasse trop… En fait, cela peut rejoindre sa vague hostilité aux projets d’aménagements fluviaux dont Németh avait fait son cheval de bataille : les deux femmes savent très bien qu’elles ne peuvent tout simplement pas s’entendre sur ce genre de questions… Reste que Nofrera apprécie l’harmonie, l’équilibre : dans un environnement complexe et largement artificiel, la moindre petite modification peut avoir un impact colossal… En fait, sans dire ouvertement les choses – car on ne se montre guère expansif sur des sujets pareils –, elle fait comprendre à Németh ses craintes : sur Gebnout IV, la Guilde contrôle l’écosystème… et peut donc en faire ce qu’elle veut – autrement dit, elle a le doigt juste au-dessus du bouton rouge : c’est seulement qu’il s’agit d’une « bombe climatique », et non d’une bombe atomique… Mais la Guilde dispose donc assurément des moyens de rendre la planète inhabitable – et très vite… La Guilde pourrait ainsi agir délibérément : l’écologie de Gebnout IV dépend d’une volonté ; et c’est donc une menace, directe. Németh lui demande si elle a eu des contacts avec la Guilde, mais pas vraiment – pas avec les instances qui comptent, en tout cas. La Guilde, avance Németh, aurait cependant tenté de la recruter… Nofrera ne nie pas avoir été approchée – par ailleurs, sans être prétentieuse, elle n’a aucun doute sur sa grande compétence… Oui, peut-être a-t-on voulu la recruter, et pour qu’elle se taise ; mais ça n’a rien donné. Ils n’ont pas insisté – en fait, ils ont pris dès lors le parti de l’indifférence : ils la laissent parler, sans jamais lui répondre – elle n’est rien pour les Navigateurs

 

[VII-6 : Németh : Nofrera Set-en-isi ; Thema Tena] Et concernant ses rapports, plus ou moins notoires, avec les Atonistes de la Terre Pure ? Nofrera ne nie pas avoir rencontré Thema Tena à plusieurs reprises, et correspondre avec elle. Mais elle ne se considère pas comme une « religieuse » – elle est trop scientifique pour cela, même si elle est en même temps un peu conservatrice. Mais elle respecte le mouvement des Atonistes. Quand Németh lui suggère de faire office de « diplomate » auprès d’eux, elle ne refuse pas, mais avance qu’elle ne serait pas d’une grande utilité en l’espèce… Autant aller voir directement Thema Tena – et ce, ajoute-t-elle avec un petit sourire de connivence, même si la vieille femme protestera comme d’habitude de son insignifiance, prétendant qu’elle n’est qu’une pèlerine parmi tant d’autres… Dans les faits, c’est bien sûr différent. Mais que penseront-ils de l’ouverture du Continent Interdit ? Nofrera réagit un peu comme Thema Tena qu’elle moquait à l’instant : qui est-elle pour le dire ? Mais, plus sérieusement, les Atonistes se moquent de toute façon déjà de l’interdit… Pour eux, ça ne changera pas grand-chose. À la réflexion, Nofrera suppose que cela pourrait peut-être en ennuyer certains, en fait – il s’agit d’ouvrir à d’autres leur terrain de jeu privé, après tout… À l’évidence, Thema Tena ne raisonne pas ainsi – mais d’autres, peut-être…

VIII : CELLULES MORTES

 

[Entretien synthétisé.]

 

[VIII-1 : Bermyl : Taho] Au cours de la semaine, Bermyl trouve à s’entretenir avec son meilleur agent, Taho. La question du réseau de surveillance déployé par leurs ennemis l’obsède : pour lui, c’est vraiment la question du « contrôle de la ville ». Taho a pu commencer à identifier un semblant de réseau, oui : les « ressuscités » ont, classiquement, une organisation en cellules, qui rend d’autant plus difficile l’appréhension globale du problème. Chaque cellule est centrée sur un « ressuscité » d’une certaine expérience : les « ressuscités » semblent d’abord vivre en petites communautés, puis, une fois « au point », ils essaiment dans la ville pour former leurs cellules et attirer des fidèles.

 

[VIII-2 : Bermyl : Taho ; Namerta, Ipuwer] Il y a eu d’autres apparitions de Namerta, par ailleurs. Mais Taho n’y voit toujours pas une dimension proprement séditieuse – tout au plus, on raille Ipuwer à la manière du « café du commerce »… Ce que Bermyl lui-même avait d’ailleurs constaté. Taho suppose néanmoins qu’il y a eu une évolution – au sens où ce comportement devient de plus en plus la norme : il était déjà répandu avant, mais cela s’accroit probablement. Mais pas d’activité séditieuse autrement. Taho fait d’ailleurs une remarque : l’affaire avait débuté avec « l’attentat », même seulement verbal, d’un fanatique lors de la Grande Fête d’Osiris – mais il n’y a pas eu d’autres comportements du genre depuis, pas le moindre. C’était vraiment un acte isolé – semble-t-il une décision individuelle.

 

[VIII-3 : Bermyl : Taho] La « déviance résurrectionniste » s’est cependant développée, mais pour l’essentiel à Cair-el-Muluk – à Memnon comme à Nar-el-Abid, le mouvement semble avoir du mal à s’installer ; pour des raisons totalement différentes, le cas échéant – et même si Memnon, en tant que foyer d’idées nouvelles, semblait à la base jouer un rôle autrement plus important dans cette histoire ; rien de surprenant par contre à ce que le mouvement ne parvienne guère à prendre pied à Nar-el-Abid, ville sainte verrouillée par le Culte Officiel, la Maison Menkara et la Maison Arat… Par ailleurs on n’a pas trouvé la moindre trace de cette foi nouvelle à Heliopolis. Il est plus difficile de le dire en ce qui concerne les agglomérations fluviales, mais Cair-el-Muluk semble bel et bien constituer désormais le cœur de ce culte « hérétique », et surtout dans ses quartiers pauvres.

 

[VIII-4 : Bermyl : Taho ; Nadja Mortensen] Et Taho a-t-il eu vent d’activités d’agents de la Maison Corrino ? D’autres ont-ils été identifiés, en dehors de la seule Nadja Mortensen ? Non… Même s’il ne fait aucun doute qu’il y en a. En fait, dans cette situation de crise, et la troubadour impériale ayant probablement fait remonter les informations, il est très probable que l’Empire ait envoyé sur Gebnout IV des agents incognito – et des bons, pas du genre à être démasqués si facilement… Par ailleurs, Nadja Mortensen a donc bel et bien quitté la planète, le lendemain de sa discussion avec Bermyl, mais n’est semble-t-il pas rentrée depuis.

 

[VIII-5 : Bermyl : Taho ; le Vieux Radamès] Bermyl revient une dernière fois sur les « ressuscités » : y a-t-il eu d’autres événements du type de l’assassinat du Vieux Radamès ? Des indices peut-être de dissension au sein même de la « branche résurrectionniste » ? Même réponse que pour le scandale au Sanctuaire : pour ce que Taho en sait, c’est là aussi un fait unique.

 

IX : UNE SEMAINE PLUS TARD…

 

[IX-1] [L’ellipse a lieu ici – d’une semaine. Je fais un petit bilan de ce qui s’est passé entretemps, en dehors des seules actions des PJ déjà entrevues au cours de la séance.]

 

[IX-2 : Hanibast Set] [Ce n’est pas encore parfaitement au point, mais le Conseiller Mentat Hanibast Set a commencé à récupérer : cette pause et les soins attentifs qu’il a reçus lui ont permis de reprendre pied. Le Gel du Mentat l’affecte encore, mais sa situation s’améliore et il devrait pouvoir retourner à son travail prochainement.]

 

[IX-3 : Linneke Wikkheiser, Ai Anku] [De manière plus ambiguë, à Memnon, Linneke Wikkheiser a poursuivi ses entretiens, et visiblement noué des liens avec Ai Anku – elles se sont en tout cas vues à plusieurs reprises. Par ailleurs, la Wikkheiser semble commencer, doucement – mais cela ne fait que confirmer qu’elle entend rester encore quelque temps sur Gebnout IV – à développer une activité plus « mondaine ». Ce n’est pas encore tout à fait un discours propagandiste voire séditieux, mais ça commence à y ressembler un peu…]

 

[IX-4 : Németh : Cassiano Drescii, « Cassiano Drescii », Lætitia Drescii] [Cassiano Drescii reste le plus souvent au Palais. Il est bel et bien un écrivain, désormais – il ne donne pas du tout l’impression d’une pose à cet égard, à la différence de l’imposteur précédemment accueilli au Palais. Il est aussi profondément sympathique, à la différence de ce dernier… et sans doute aussi des souvenirs ambigus qu’en avait conservé Németh ? Il a changé... en mieux ! Sa femme Lætitia est des plus discrète, et ne quitte guère le Palais – où elle passe son temps à lire… ou à prétendre de le faire, car elle ne parvient visiblement pas à se concentrer ; à l’évidence, elle s’ennuie profondément…]

 

[IX-5 : Clotilde Philidor, Anneliese Hahn] [C’est un peu la même chose pour Clotilde Philidor, dont l’ennui se lit sur le beau visage. Quant à Anneliese Hahn, elle a continué quelque temps de « s’amuser » avec les gardes du Palais de Cair-el-Muluk, mais l’ennui la gagne elle aussi, elle sort plus souvent du Palais, voire effectue quelques séjours ailleurs sur Gebnout IV.]

 

[IX-6 : Iapetus Baris] [Sur la lune de Khepri, les gardes d’élite envoyés pour « protéger » le marché-franc et garder un œil sur les activités qui s’y déroulent font remonter l’information que Iapetus Baris, le Représentant de la Guilde, a reçu la visite d’émissaires de son ordre – deux Navigateurs. Mais impossible d’en dire plus, pas même de déterminer si c’est « exceptionnel ».]

 

[IX-7 : Ipuwer : Labaris Set-en-isi] En retrouvant Labaris pour qu’ils partent ensemble à destination de Memnon, Ipuwer, jovial, répond enfin à sa question : « Mon cher Labaris, j’ai réfléchi… Le pire ennemi de la Maison Ptolémée ? Je crois que c’est nous-mêmes ! »

 

À suivre…

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Lamentations of the Flame Princess : A Red & Pleasant Land

Publié le par Nébal

Lamentations of the Flame Princess : A Red & Pleasant Land

Lamentations of the Flame Princess : A Red & Pleasant Land, Lamentations of the Flame Princess, 2014, 187 p.

 

RÔLISTES AU PAYS DES MERVEILLES

 

Il y a… Ouch ! Pas loin de deux ans de cela, je m’étais procuré, sur un coup de tête, cet étrange petit bouquin dont tout le monde parlait alors : A Red & Pleasant Land – ou la plus folle des donjonneries, dérivée des aventures d’Alice au pays des merveilles et de l’autre côté du miroir. Au fond, je n’en savais guère plus… Mais, oui, j’étais curieux.

 

Et je n’étais visiblement pas le seul, car on en causait alors vraiment beaucoup ; c’est même allé plus loin que ça : cette plus ou moins autoproduction, plus indé tu meurs (dans d’atroces souffrances), peut-être la plus bizarre excroissance du mouvement OSR (« Old School Renaissance »), a su convaincre et même fasciner bien au-delà du seul lectorat humblement visé à la base – d’où un succès commercial autant que critique (à l’échelle des jeux indé, du moins), mais aussi une belle performance aux ENnies de 2015, où « le truc » a remporté cinq prix, dans un contexte qui pourtant ne lui semblait guère favorable, car porté à récompenser « naturellement » les gros machins.

 

Derrière A Red & Pleasant Land, un homme à tout faire : Zak S., personnage haut en couleurs et iconoclaste, qui s’est semble-t-il fait beaucoup d’ennemis pour les plus mauvaises des raisons – et s’est ainsi retrouvé, bon gré mal gré, au cœur de pas mal de polémiques au sein de la communauté rôlistique américaine (et au-delà sans doute, jusque dans not’ beau pays eud’ chez nous, j’supposions…). Je ne m’étendrai pas davantage sur le sujet – pour la bonne et simple raison que je n’en sais absolument rien. Je ne suis certes pas impliqué dans ce genre de choses, dont les quelques rares échos qui parviennent à franchir mes boucliers, généralement navrants, m’incitent plus que jamais à laisser pisser sans m’en mêler. Ce genre de polémiques à la con, j’ai donné dans le fandom SF, aucune envie de m’égarer encore dans ces bas-fonds trollesques, même bardé de d20.

 

NÉBAL N’Y CONNAÎT RIEN

 

C’est un fait : je ne connais de toute façon rien à tout ça. Outre que je ne ressens pas vraiment de sentiment d’attache à une communauté rôlistique – rien à voir pour le coup avec le fandom SF. Ça ne me facilite d’ailleurs pas la tâche quand il s’agit de noircir des pages de blog sur la base guère assurée de mes retours de lecture rôlistiques – un manque de légitimité…

 

Et encore ! Dégoiser sur telle ou telle campagne de L’Appel de Cthulhu, c’est peut-être vaguement envisageable… Mais quand on creuse dans l’indépendance-ta-mère, que la « théorie rôliste » se met de la partie, et plus encore quand des « mouvements » d’ensemble s’en mêlent à leur tour, je suis largué.

 

Ainsi dans le cas de l’OSR. Je n’y connais rien, et n’y comprends rien. Cette idée de retourner au vieux Donj’, à une certaine simplicité essentielle, n’est sans doute pas aussi réactionnaire qu’on pourrait le croire, et ce mouvement a semble-t-il constitué un vivier foisonnant d’idées… nouvelles – un paradoxe peut-être, ou peut-être pas. Mais pour ce que je crois en savoir, hein. Au-delà...

 

Le fait est que – et là ce sont probablement mes préjugés qui parlent – je ne fais plus dans le donjon depuis, ouf, près de vingt ans (OLD, Nébal, OLD !), et n’ai pas vraiment l’envie de m’y remettre (même si le mot n'est sans doute pas très approprié : même à cet âge-là, je jouais certes à AD&D2, mais les donjons étaient aussi rares que les dragons... J'avoue, en fait, qu'essayer, comme ça, une fois, en tant que joueur, maintenant, peut-être…) ; ce qui ne m’a pas empêché de jeter un coup d’œil à certaines choses qui, après tout, jouent aussi plus ou moins de cette carte, sur un format là encore indépendant (j’avais été très enthousiasmé par ma lecture de Tranchons & Traquons) ou probablement bien moins (bon ressenti aussi à la lecture de Chroniques Oubliées Fantasy) ; par ailleurs, sans être à fond dans la hype, je suppose que j’y suis nettement moins insensible que j’aimerais le croire, ce dont témoignent quelques achats intempestifs, dont justement A Red & Pleasant Land (eh), ou plus récemment Barbarians of Lemuria (et là, a priori, je vais tenter la chose sous peu)…

 

Exemple flagrant : A Red & Pleasant Land étant en principe un supplément pour le jeu OSR Lamentations of the Flame Princess (mais en principe seulement : la part de règles étant ce qu’elle est, A Red & Pleasant Land s’affiche en fait comme un supplément multi-supports, aisé à adapter à votre jeu donjonesque préféré), je m’en étais procuré à la même époque le livre de base, Lamentations of the Flame Princess : Player Core Book : Rules and Magic, et l’avais lu relativement vite.

 

 

Eh, euh, pas compris. Oui, c’est simple, c’est assurément « old school », putain, pas qu’un peu, mais je n’en voyais absolument pas l’intérêt…

 

Peut-être d’ailleurs cette lecture m’a-t-elle incité à repousser celle de A Red & Pleasant Land – bêtement, très bêtement.

 

Mais, tout récemment, on a reparlé de tout cela en Francie. En effet, Black Book (qui, décidément) a lancé un (énième) financement participatif portant sur la traduction française de Lamentations of the Flame Princess, et qui incluait – mis en avant, d’ailleurs – A Red & Pleasant Land ; petit indé ira loin ! Cela m’a rappelé que j’avais cette chose étrange dans ma ludothèque, et qu’il était bien temps pour moi de la lire…

 

UNE ŒUVRE D’ART

 

Et là, il est une chose qui saute à la gueule du lecteur, très vite : ce bouquin EST PUTAIN DE SPLENDIDE !

 

Vraiment. Et pas seulement pour sa finition déjà admirable : petit format, certes, mais hardcover toilé, doré, avec signet, un papier épais et de qualité, et (donc) tout en couleurs.

 

Disons-le : je ne connais pas d’autre livre de jeu de rôle (ou pas que, d’ailleurs) aussi beau et – ça fait vraiment partie du truc – aussi personnel en même temps. On est à mille lieues, et même probablement davantage, de la grosse artillerie putassière de pas mal de jeux de fantasy encore aujourd’hui (même si pas tous, certes, il y a de belles exceptions). On est là devant quelque chose de vraiment beau, bien pensé, inventif, et… intime, d’une certaine manière – singulier, en tout cas. L’expression a souvent été employée, mais le livre le vaut bien : c’est une œuvre d’art – et des meilleures.

 

À kiki la faute ? À Zak S. encore, qui fait décidément tout : les illustrations (abondantes) et les cartes (presque autant) sont toutes de son fait, et le bonhomme a un talent renversant, un style qui lui est propre, et un souci de la cohérence qui lui fait honneur. C’est parfaitement splendide, oui – et cela participe en même temps de l’ambiance du jeu, nonsensique et inquiétante, avec une sorte de touche gothique très à propos… et un goût prononcé pour les nuances de rouge qui noient ce monde « plaisant » dans son propre sang.

 

VOIVODJA

 

A Red & Pleasant Land est plus un cadre de jeu – même avec sa présentation… particulière – qu’une campagne à proprement parler. Zak S. nous y décrit à sa manière un monde fantasque et parfaitement déraisonnable, qui fait péter tous les records en matière d’improbabilité, mais n’en est que plus alléchant.

 

Il s’agit donc de Voivodja – « le lieu de la déraison », « que les dieux ne regardent pas ». Le nom est d’emblée évocateur de quelque Transylvanie transposée, et, oui, comme de juste, on y trouve nombre de vampires – et, comme de juste, les plus puissants de ces vampire s’y livrent une guerre millénaire (à moins qu’elle n’ait commencé qu’il y a deux secondes de cela), et la Voivodja est donc un cadre propice aux intrigues politiques, de l’espionnage et de la diplomatie aux sanglantes bataillées en rien décisives.

 

Ces vampires divers ont des attributs fort classiques, par ailleurs – ils ont comme un problème avec l’eau vive, et se pose aussi la question de leurs reflets dans le miroir… Ce qui change vraiment, c’est que la Voivodja « justifie », d’une certaine manière, ces attributs folkloriques dont le thème vampirique moderne s’est régulièrement passé.

 

Car la Voivodja n’est pas qu’un terrain de chasse vampirique. Ce petit monde anguleux – composé de carrés, oui, et avec des cours d’eau à angle droit –, coupé du reste de tout monde et peut-être accessible néanmoins par tous, est dominé avant tout par la folie et le non-sens. Et si telle vampiresse de haut rang, Elizabeth Bathyscape, est tout naturellement évocatrice de la fameuse comtesse Bathory, sa désignation de « Reine de Cœur » évoque une inspiration tout autre et probablement bien plus fondamentale : en Voivodja, Lewis Carroll passe avant son contemporain Bram Stoker.

 

Dans son Château Cachtice, au nord-ouest, la Reine de Cœur tranche des têtes et joue au croquet – environnée de larbins qui, assurément, « ne sont que des cartes ». Elle livre parallèlement une guerre acharnée au Roi Rouge, Vlad Vortigen, qui préfère quant à lui les échecs – et les miroirs, abondant dans son Château Poenari, au sud-est… à moins qu’il ne faille le considérer comme étant un miroir dans son ensemble.

 

Mais la situation est compliquée par l’arrivée inopinée de deux autres seigneurs vampires, qui observent et complotent, et entendent sans doute à leur tour mettre la main sur la Voivodja entière – avec ses jardins immenses et ses satanés canaux : le Roi Pâle, d’une part – qui a, si j’ose dire, dans sa poche un certain Chapelier Fou –, et la Reine Incolore…

 

UNE HISTOIRE DE REFLETS

 

Bien des reflets dans cette affaire – comme autant d’inspirations inattendues que Zak S. manipule sans vergogne, dans une distorsion du merveilleux carrollien qui a quelque chose de jubilatoirement pervers.

 

Mais justement : qu’est-ce donc que le reflet, et qu’est-ce que l’original ? À supposer que la question ait un sens… ou pas ? Mais, rappelons-nous, Alice elle-même, confrontée à un monde absurde, suppose bien hardiment qu’elle pourrait lui conférer un sens, s'il n'en a pas… Il est vrai qu’elle n’est pas des plus raisonnable.

 

Mais la question du reflet a son importance, oui. Original et reproduction, peu importe si ça se trouve, mais, en tout cas, nous sommes ici du « côté de la guerre », cette « guerre lente » et absurde qui sans doute ne prendra jamais fin. On n’ose guère, du coup, parler la bouche en cœur d’un « pays des merveilles »… ou alors disons d’un « pays de démons et merveilles ». Car la dimension délicieusement nonsensique de cet univers, certes une adaptation très bien vue, très pertinente, des rêveries de la petite Alice, se complique d’un « côté sombre » et violent, qui le rend proprement cauchemardesque et hautement périlleux…

 

Mais l’autre côté du miroir est-il dès lors plus sympathique ? Ce n’est pas dit… car ce « côté calme », si terne et atone, bien loin du chatoiement fantasque du « côté de la guerre », s’avère aussi inquiétant que déprimant – comme un monde qui, d’une certaine manière, ne pourrait tout simplement pas tolérer la vie, le mouvement, le sentiment, la couleur, etc. Il n’est pas exclu que les personnages y fassent un saut de temps à autre… mais sans doute vaut-il mieux pour eux ne pas s’y attarder, sous peine de devenir fous !

 

LE NON-SENS ROI (ROUGE), L’IMPROVISATION REINE (DE CŒUR)

 

Voivodja, donc. Un endroit fascinant et terrible, où le non-sens règne. Il est bien sûr une dimension essentielle de A Red & Pleasant Land, mais aussi la plus difficile à mettre en place à vue de nez – car, si l’endroit n’est pas dément, alors il n’aurait pas spécialement d’intérêt… Mais comment prendre en compte, dans pareil contexte, et rendre dans le cadre d’une session de jeu, l’aléatoire suprême, les distorsions temporelles soudaines, les architectures eschériennes qui compliquent quand même un peu le dungeon crawling et tant d’autres choses bien plus folles encore ? Comment rendre ce non-sens à la fois jouable et enthousiasmant plutôt que frustrant ?

 

En fait, il y a des moyens – que Zak S. nous fournit, avec une intelligence tant du merveilleux carrollien que de la pratique donjonneuse qui permet bel et bien d’aboutir à l’étonnante et enthousiasmante synthèse de A Red & Pleasant Land.

 

Chaque page, à vrai dire, est bourrée d’idées en ce sens : les longues sections de bestiaire et de donjon y sont tout particulièrement propices, peut-être, mais cela va bien au-delà. Et Zak S. dispose d’un outil essentiel du jeu, mais dont il use avec une grande habileté : les tables aléatoires. Il y en a plein ! Certaines, à n’en pas douter, sont « classiques », ainsi celles de rencontres aléatoires, inévitables – sauf que les résultats peuvent être sacrément détonants ! Mais d’autres tables sont plus directement liées aux spécificités du cadre, et abondent en résultats plus fous encore – les taxes exigées par la Maison Pâle à tout bout de champ, les manières idiotes d’entamer la conversation… L’ensemble, abondant, consiste donc en une boite à outils assez phénoménale, permettant d’improviser lieux, rencontres, événements, aventures, etc., en quelques jets de dés, et pour un résultat qui, à vue de nez, est toujours savoureux. Des tables du genre, on en trouve dans bien des jeux sans doute, mais, assez souvent, elles ne m’inspirent guère – je les trouve trop « froides », disons… Elles peuvent avoir leur utilité, mais, en fait d’outils, elles tiennent plutôt de la roue de secours – seule. Alors qu’ici, nous avons la roue, le cric, plein de tournevis, une colombe morte, un petit verre avec un cocktail bleu azur dedans et un petit parasol jaune, ainsi qu’une chauve-souris à lunettes spécialiste de l’opéra moldave en 1453 et revêtue d’un T-shirt dont les motifs psychédéliques peuvent inciter ses compagnons à chanter inlassablement « Si tu vas à Rio » en faisant des sauts périlleux arrières (en cas de jet de sauvegarde raté, bien sûr – sinon ce sont des sauts périlleux de biais).

 

 

Non, rassurez-vous, c’est mieux fait que ça dans le bouquin, beaucoup mieux, incomparablement mieux…

 

Parce que c’est là une autre difficulté essentielle de ce cadre, mais que ces outils, je crois, devrait permettre de dépasser : il ne faut certainement pas, au nom du non-sens et de l’absurde, tomber dans la blague plus ou moins potache. Le sérieux ne doit sans doute pas se montrer trop envahissant, au risque de devenir frustrant, mais il a clairement son rôle à jouer (lui aussi) pour que la partie fonctionne. D’où un exercice d’équilibrisme périlleux et intimidant, mais qui doit s’avérer extrêmement gratifiant s’il est correctement accompli.

 

Parfois, c’est un peu « technique », mais rien d’insurmontable le plus souvent. Comme dit plus haut, même en marquant Lamentations of the Flame Princess sur sa couverture (et en étant édité sous le même label éditorial), A Red & Pleasant Land, ouvertement, se présente comme un cadre de campagne très aisément adaptable à tout jeu – donjonnerie et OSR au premier chef, oui, mais probablement pas que. Je suppose qu’il est même possible d’user de la nouvelle classe de personnage qu’est l’Alice dans un autre système, table d’exaspération incluse…

 

DES CARTES ET DES PIONS – NON, PAS CEUX-LÀ !

 

Mais A Red & Pleasant Land a donc une perspective donjonneuse – qui plaira ou pas, c’est un autre problème, mais c’est, sans ambiguïtés, la proposition de jeu de Zak S. Dès lors, même si son livre contient çà et là des éléments de background et de technique, voire de règles (dont certaines, pour Lamentations of the Flame Princess, donc, qui peuvent être utiles en dehors du seul cadre de A Red & Pleasant Land : combat de masse, par exemple – ça m’a l’air assez bien foutu, d’ailleurs), présentés en tant que tels, il consiste pour l’essentiel en deux grosses sections bien touffues : un bestiaire, et les plans de deux donjons. Pas de scénario, non : les tables aléatoires sont là pour ça, outre les plans de donjons – alors : « Liberté ! » Et/ou : « Démerdez-vous... mais voici quelques choses qui devraient vous aider. »

 

Nous avons donc d’abord un gros bestiaire (une cinquantaine de pages). S’il contient quelques règles « étendues » (en fait, pour l’essentiel, les considérations applicables aux différents vampires de Voivodja), il fonctionne globalement par rubriques simplement présentées dans l’ordre alphabétique, sans faire de distinction entre les PNJ uniques et les PNJ génériques.

 

L’auteur encourage cependant, et c’est bien la moindre des choses, à envisager tout d’abord les quatre saign… seigneurs de Voivodja que sont la Reine de Cœur, le Roi Rouge, le Roi Pâle et la Reine Incolore, car les éléments les concernant peuvent avoir un impact sur leurs larbins, et l’affiliation des bébêtes est une dimension à ne pas négliger. Mais on trouve d’autres PNJ uniques, et d’importance – comme le Chapelier Fou, le Chat de Cheshire ou la Pseudo-Tortue… Tous ont leurs propres motivations, et diverses spécificités plus ou moins techniques mais toujours aisément transposables.

 

Autrement, nombre d’animaux, de morts-vivants, de monstres divers, et peut-être avant toutes choses les serviteurs des différents seigneurs, déclinés sous la forme de cartes de jeu ou de pièces d’échiquier, moyen commode de déterminer leur position dans une hiérarchie stricte et qui a son utilité.

 

C’est un bestiaire : c’est forcément d’une lecture un peu rébarbative. Mais, heureusement, les illustrations splendides de Zak S. sont là, et même, comme de juste, sont tout particulièrement là, qui permettent de faire passer bien plus facilement la pilule.

 

LES DONJONS LES PLUS FOUS

 

La seconde grosse partie du bouquin (là encore une cinquantaine de pages ; on peut éventuellement y ajouter une dizaine de plus, ensuite, aussi visuellement splendides que d’un usage délicat, et portant sur des lieux pas autrement décrits) consiste donc en les plans de deux énoooOOOooormes donjons, le Château Cachtice de la Reine de Cœur et le Château Poenari du Roi Rouge.

 

Et, sans surprise, c’est là que j’ai décroché – parce que les donjons, ce n’est vraiment pas mon monde… Même des donjons pareils, aux cartes étonnantes et belles, et bourrés d’idées toutes plus folles les unes que les autres à chaque pièce ou presque… Il y a des rencontres absolument géniales, des pièges redoutables autant qu'inventifs, des distorsions temporelles soudaines, des géométries eschériennes impliquant des développements abscons sur la gravité…

 

Et ça m’ennuie profondément. Cinquante pages de descriptions de pièces, une par une, c’est beaucoup trop pour ma gueule – et les « monstres errants » dans ce contexte me fatiguent plus encore qu’ils m’ennuient.

 

MAIS… ET MOI, J’EN FAIS QUOI ?

 

D’où problème – mais problème tout personnel : je ne prétends pas que A Red & Pleasant Land est injouable – en fait, la lecture m’incite à croire que c’est parfaitement jouable, étonnamment jouable, oui, mais parfaitement jouable, et ce n’est pas le moindre tour de force de Zak S. dans ce supplément hors-normes. C’est bourré d’idées très bien vues, qui permettent de rendre crédible et cohérent, en plus d’être attrayant, ce grand écart improbable entre Lewis Carroll et Gary Gygax (avec Bram Stoker – et Mark Rein•Hagen ? – au milieu).

 

Simplement, ce n’est pas pour moi : ce n’est pas injouable dans l’absolu, c’est injouable pour moi – même si je ne pense pas être le seul dans ce cas, loin de là en fait : il y a quelques échos assez éloquents, tout de même.

 

Ne pas y voir, donc, une critique contre le travail de Zak S., sur le mode « ça aurait été mieux si tu avais fait ça et pas ça », etc. Je suis intimement persuadé, oui, qu’une autre approche, même sur des bases similaires, m’aurait davantage parlé, mais le fait est que l’auteur avait une proposition de jeu fermement établie et affichée sans ambiguïté – et que je devinais au moins vaguement ; je n’ai pas de légitimité pour lui reprocher d’avoir fait ce qu’il voulait faire, ou, dit autrement, pour lui reprocher de ne pas avoir fait ce qui, moi, m’aurait botté… D'autant que, ce qu'il a fait, dans son registre, il l'a très bien fait.

 

HIT ME (WITH MY AXE), DRINK ME

 

Alors, oui, c’est un peu frustrant – pour moi : parce que j’adore ce cadre, très intelligemment conçu, aussi pertinent qu’improbable, mais sais que je n’en ferai probablement jamais rien : parce que la proposition donjonneuse est intimement liée au développement du cadre de jeu, et sans doute cette cohérence est-elle essentielle.

 

Je pourrais peut-être réfléchir à employer ce contexte fou dans un autre registre – en fait, j’y songe –, mais redoute en même temps que cela ne fonctionne jamais tout à fait parce que la proposition de jeu cohérente serait dès lors d’emblée battue en brèche. Mais j’imagine que ça se tente quand même… en relativisant certes l’utilité du bestiaire et des plans ultra-détaillés des Châteaux Cachtice et Poenari – soit plus de la moitié du livre ! Tout de même…

 

Alors, A Red & Pleasant Land ? Un livre absolument splendide ; un exercice de world-building merveilleux de cohérence sur les bases les plus improbables qui soient ; une intelligence des sources littéraires autant que rôlistiques parfaitement admirable ; et un cadre de jeu dont, hélas, je ne me servirai probablement jamais.

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L'Appel de Cthulhu : Le Rejeton d'Azathoth

Publié le par Nébal

L'Appel de Cthulhu : Le Rejeton d'Azathoth

L’Appel de Cthulhu : Le Rejeton d’Azathoth, héraut de la fin des temps, Sans-Détour, [1986, 2005, 2008] 2013, 301 p.

 

GRANDE CAMPAGNE ?

 

Des « grandes » campagnes pour L’Appel de Cthulhu publiées par Sans-Détour, sur la base des réalisations de Chaosium éventuellement traduites en leur temps chez Descartes, Le Rejeton d’Azathoth (1986 en VO... et aussi chez Descartes, sauf erreur ?) était la seule que je n’avais pas encore lue… ce qui devrait changer bientôt, puisque l’éditeur a lancé un crowdfunding (un de plus…) qui, outre une nouvelle édition du classique Les Masques de Nyarlathotep, porte sur la vieille campagne Les Fungi de Yuggoth, rebaptisée (?) Le Jour de la Bête… sauf que je ne peux pas dépenser à chaque fois une somme pareille, moi.

 

Ceci étant, il ne faut pas se méprendre sur cette notion de « grande campagne » : en fait, Le Rejeton d’Azathoth, même si la pagination a gonflé entre l’édition Descartes et l’édition Sans-Détour, est en fait une campagne plutôt courte ; d’ailleurs, la pagination ne doit pas non plus nous tromper à nous en tenir aux seules éditions Sans-Détour : Le Rejeton d’Azathoth est sans doute une campagne autrement brève que Les Ombres de Yog-Sothoth ou Les Oripeaux du Roi, et d’autant plus, du coup, par rapport aux « monstres » Les Masques de Nyarlathotep, Par-delà les Montagnes Hallucinées ou Terreur sur l’Orient-Express, ou même, dans une catégorie intermédiaire, et de création française, Les 5 Supplices. Concernant Le Rejeton d’Azathoth, on peut tabler, disons, sur une quinzaine de séances standard – bon, pour moi, ça serait probablement davantage… Mais ça reste une taille raisonnable – une campagne à dimension « humaine ».

 

« Grande campagne », alors ? Peut-être malgré tout par son impact de « classique », mais de « classique » demeurant jouable – à la différence, à mon sens, des Ombres de Yog-Sothoth, décidément trop archaïque pour passer encore aujourd’hui. Mais Le Rejeton d’Azathoth est bien une campagne « old school » à maints égards, dimension pas toujours évidente à gérer, et qui impose un travail préparatoire conséquent de la part du MJ. Mais voilà : si, à la lecture, j’ai finalement lâché l’affaire, pour m’en tenir à des lectures récentes, avec Terreur sur l’Orient-Express et Les 5 Supplices, campagnes qui ont fini par me dissuader de tenter quoi que ce soit pour les jouer, Le Rejeton d’Azathoth, avec ses scories, m’a donné envie d’effectuer ce travail – peut-être pas dans l’immédiat, mais je le garde derrière l’oreille. Mais est-ce si étonnant ? Car le travail à fournir n’est en fait pas du tout le même…

 

Pour comprendre cet aspect de la campagne, il faut sans doute au préalable en brosser à gros traits les orientations générales, au moins sous deux angles : la liberté, et la variété.

 

LIBERTÉ !

 

Sur un plan, disons, « technique », mais le terme est sans doute à débattre – entendons seulement par-là que nous pouvons détacher ce plan de la trame scénaristique à proprement parler –, le vieillard qu’est Le Rejeton d’Azathoth semble prendre le contre-pied exact de mes deux lectures les plus récentes en la matière, le classique également Terreur sur l’Orient-Express, et le p’tit jeune Les 5 Supplices. Entendre par-là que le dirigisme marqué de ces deux campagnes, la première forcément sur des rails (aha !), et la seconde parfois scriptée au point où ça en devenait absurde, n’est guère de mise dans Le Rejeton d’Azathoth, campagne autrement libre, et qui me paraît laisser beaucoup, mais alors beaucoup plus de marge aux joueurs.

 

Ce qui se ressent dès la structure même de la campagne : en comptant la brève introduction, celle-ci comprend huit scénarios ; mais si l’on commence nécessairement, passé l’introduction, par le scénario situé à Providence, et si la campagne s’achève nécessairement avec le scénario tibétain, entre les deux, nous avons cinq scénarios « amovibles » (deux aux États-Unis, un « exotique » dans les Îles Andaman, et, particularité notable de la campagne, deux dans les Contrées du Rêve) : rien n’indique que ces scénarios doivent tous être joués et, de manière flagrante, la chronologie peut être chamboulée – mais avec des conséquences à mon sens plus notables que dans les derniers scénarios des 5 Supplices, qui jouaient de manière un peu désespérée et bien trop tardive de cette carte en dernier recours.


Par ailleurs, ces divers scénarios – tous – sont riches d’hypothèses variées ou même contradictoires explicitement envisagées : il n’y a à peu près jamais une « bonne manière » de jouer le scénario qui, du fait de ses implications, deviendrait la « seule manière » de le jouer – ce qui tranche là encore sur les deux campagnes précitées. Les PJ ont vraiment des choix à faire, qui peuvent bouleverser le déroulé du scénario sur le moment, et aussi avoir un impact notable sur la campagne de manière générale.

 

Dimension peut-être accentuée, d’ailleurs… par le caractère très mortifère – VRAIMENT très mortifère – de la campagne. Pour le coup, elle se rapproche de Terreur sur l’Orient-Express, même si j’ai l’impression que c’est encore la catégorie au-dessus ; mais elle ne s’en éloigne que davantage des gentils 5 Supplices. Chaque scénario envisage l’éventualité de la mort d’au moins un PJ – voire de l’ensemble du groupe… mais sans forcément mettre un terme à la campagne pour autant ; c’est en fait un aspect important du travail du Gardien sur Le Rejeton d’Azathoth, rendu d’autant plus nécessaire que ces morts, de la manière dont elles sont envisagées, ne doivent surtout pas être frustrantes : en fait, il est probablement souhaitable qu’un PJ crève ici et un autre là, parce que cela peut déboucher sur des histoires intéressantes – la campagne me paraît conçue de sorte à tirer profit de ces décès.

 

Mais le Gardien a donc beaucoup de travail à fournir – bien au-delà de ce seul cas de figure. Car cette liberté a un prix, et c’est que les scénarios manquent de liant. C’est peu dire… Sans rentrer dans les détails de la trame – mais il me faudra bien le faire par la suite –, le fait est que les PJ n’ont pas forcément de raisons pressantes de quitter Providence pour la Floride, sans même parler des Îles Andaman, pas exactement la porte à côté ; sans doute le Gardien doit-il bien réfléchir à ce problème du liant, d’abord au préalable, ensuite en prenant en compte les personnages et leur background – sur ces bases, sans doute devra-t-il à l’occasion « forcer » un peu les choses, « aiguiller » quelque peu les investigateurs… au risque d’introduire paradoxalement une nouvelle forme de dirigisme dans une campagne censée s’en passer et ne s’en porter que mieux. C’est le gros souci me concernant – mais la campagne est suffisamment intéressante au-delà pour me donner envie d’effectuer ce travail.

 

Noter au passage que les deux scénarios dans les Contrées du Rêve, pour le coup, posent des problèmes d’une nature différente : ils sont plus propices, je crois, à ce « coup de pouce » du Gardien – mais leur ambiance très particulière, pas forcément du goût de tous, relève un peu du « ça passe ou ça casse ».

 

Reste enfin un ultime aspect du travail de préparation à envisager : le Gardien ferait bien de lire, relire et re-relire, etc., les quelques paragraphes dessinant, même de manière abstraite, la menace « mythique » en cause dans la campagne, parce qu’elle est complexe, riche d’implications éventuellement contradictoires, et parce qu’un Gardien pas tout à fait au point à ce sujet risque, à la moindre pétouille, de perdre les PJ au point de rendre la résolution du problème frustrante voire injouable. Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant : beware.

MELTING-POT COSMICO-PULPESQUE


On peut maintenant envisager d’un peu plus près la trame de la campagne. Elle est problématique à plus d’un titre, et pourtant enthousiasmante à mes yeux ; ce qui n’était pas gagné, car, pour dire les choses, Le Rejeton d’Azathoth part dans tous les sens… Au point où cela constitue à la fois la force et la faiblesse de la campagne ; d’où une attention nécessaire à l’orientation du jeu de la part du Gardien, s’il entend conserver le minimum de cohérence nécessaire et non sombrer dans le patchwork cthulien de base – qui n’aurait plus grand-chose à voir avec l’idée même d’une « campagne ».

 

C’est qu’il y a à peu près tout, dans Le Rejeton d’Azathoth – et pour tous les goûts, au risque que le mélange ne soit du goût de personne ?

 

La trame de base est très marquée « horreur cosmique », chose qui m’a bien plu, mais fait aussi intervenir une sorte de deus ex machina en forme de vieux sage indien qui pourra laisser perplexe.


En contrepoint, la campagne ne manque pas d’une certaine dimension pulp, tout particulièrement sensible dans le scénario « exotique » des Îles Andaman, avec des Tcho-Tchos cannibalesEncore que la séance éventuelle de plongée sous-marine dans le scénario en Floride puisse elle aussi avoir son contenu pulp, dans un registre un peu différent. Peut-être certains aspects du scénario dans le Montana devraient-ils être mentionnés ici également, mais, pour le coup, je l’ai vraiment bien aimé, je trouve qu’il parvient à conserver une forme d’équilibre tout à fait appréciable – à charge bien sûr pour le Gardien de conserver cet équilibre dans sa maîtrise, ce qui n’a sans doute rien d’évident… Noter par ailleurs que la trame globale, même sur sa base plutôt « cosmique », ne manque pas de référence pouvant orienter la campagne vers le pulp – de l’Indien zarbi à moitié à poil (non, en fait, non…) à Raspoutine en Tunguska...

 

Avec les scénarios des Contrées du Rêve, la campagne s’éloigne même sur les terres de la fantasy – or, si le scénario « Ulthar et au-delà » adopte une approche qui me paraît pertinente, chatoyante, fascinante, plus lumineuse que la « réalité » sans être exempte d’horreur, le second scénario onirique, « La Quête éternelle », m’évoque presque une parodie semi-donjoneuse et en même temps ultra-linéaire à même de ruiner l’ambiance globale de la campagne (c’est le seul scénario dans ce cas ; si je devais jouer Le Rejeton d’Azathoth, je pense que je ferais l’impasse sur ce chapitre, même s’il contient une ou deux bonnes idées).

 

L’enquête (on peut y adjoindre le « social », plus généralement), par ailleurs, essentielle dans la campagne, peut prendre des formes très différentes : à Providence, nous avons un whodunit très bien conçu, avec une galerie de personnages adroitement pensés et qui ont tous ou presque des squelettes dans leur placard, mais jamais au point d’être unilatéraux – ils sont complexes, ils ont leur vie, leur mode de pensée, leurs faiblesses, leurs remords… C’est assez subtil, et ça m’a beaucoup parlé (j'y vois une certaine mélancolie...). Il y a une part notable d’enquête dans le scénario en Floride, mais dont les implications sont sans doute différentes – parce que la menace pèse directement sur les PJ, et l’horreur est autrement concrète… au point de susciter éventuellement des tableaux gores aux antipodes du cadre globalement feutré de l’enquête à Providence…

 

Concernant l’exploration, outre cas vraiment à part des Contrées du Rêve, qui s’y prête tout particulièrement mais à sa manière, les scénarios du Montana et du Tibet, sans doute aussi celui des Îles Andaman, me paraissent des réussites là encore équilibrées.


Et le « Mythe » ? Il est partout – mais sous toutes ses formes, donc, qui en tant que telles ont déjà été exposées, du « cosmique » au pulp avec plein de paliers entre les deux ; nous sommes donc très loin, là encore, de Terreur sur l’Orient-Express ou Les 5 Supplices, campagnes quelque peu ambiguës à cet égard. Ici, nous avons du Grand Ancien, du culte, des bébêtes diverses et variées, et ce à chaque étape ou presque ; ce qui n’en impose que davantage de réfléchir à la mise en scène, car, si l’ensemble est enthousiasmant et évite le plus souvent la gratuité, la cohérence n’est pas garantie, et il serait sacrément dommage que Le Rejeton d’Azathoth tourne à l’exploration par le menu du bestiaire lovecraftien…


BELLE BÊTE

 

Je ne vais plus tarder à m’enfoncer dans le contenu des scénarios ; mais un dernier aspect d’ordre général doit sans doute être envisagé au préalable, et qui concerne la forme de cette édition chez Sans-Détour.


Elle n’est pas sans défauts – classiques chez l’éditeur… Mais on y a lu bien pire ; globalement, c’est du bon travail. La traduction n’est pas toujours des plus élégante, et les coquilles sont de la partie, mais cela reste relativement raisonnable – ou du moins pas scandaleux. Le plus regrettable, à cet égard, est peut-être une certaine imprécision dans les renvois, et notamment concernant les aides de jeu (il en manque au moins une, d'ailleurs).

 

Visuellement, c’est plutôt agréable. La mise en page L’Appel de Cthulhu V6 by Sans-Détour me fatigue toujours un peu (le peu que j’ai tâté de la V7, avec Les 5 Supplices, me convient davantage), mais le livre est plutôt équilibré, du fait d’un recours globalement pertinent à la documentation iconographique, plus aérée et directement utile que d’habitude, du moins en ce qui concerne les photographies ; on peut davantage pinailler sur les plans, encore que je ne sois pas un acharné de l’usage desdits plans, ou regretter que les cartes géographiques fournies, d’époque, ne soient du coup pas hyper lisibles… Problème que l’on retrouve, classiquement, pour certaines aides de jeu, globalement trop sombres, et tout particulièrement concernant les polices « manuscrites », souvent inappropriées (les mêmes pour des personnages différents, ou des polices différentes pour un même personnage sans que le contexte ne le justifie, des manuscrits qui ne devraient pas l'être, etc.), et parfois chiantes à déchiffrer ; rien de nouveau sous le soleil.


Mais le livre est globalement équilibré et aéré, et du coup d’une lecture agréable ; en fait de suppléments pour la V6, j’ai l’impression que Le Rejeton d’Azathoth est de ceux qui s’en tirent le mieux, et de loin, en fait.

 

Le volume a donc considérablement augmenté entre la version Descartes et la version Sans-Détour – sans pour autant qu’il y ait, comme dans Terreur sur l’Orient-Express, des scénarios supplémentaires ou ce genre de choses. Outre la documentation iconographique et les aides de jeu « matérielles », je suppose que cela tient surtout aux développements introductifs de chaque séquence destinés à fournir des éléments de mise en scène au Gardien – développements le cas échéant empruntés à d’autres suppléments, tels que Terra Cthulhiana et Malleus Monstrorum, du côté de ceux que j’ai lus, ou, pas encore lus, Au cœur des années 1920, Le Manuel des Investigateurs, Le Manuel des Armes et Delta Green : Eyes Only (j'ai encore du boulot, moi...). Ce sont des ajouts bienvenus, qu’il est bien pratique d’avoir ainsi sous la main, et qui, globalement, parviennent à conserver un certain équilibre, en en disant assez sans en dire trop ; je reviendrai sur le détail par la suite.

 

Un regret quand même à cet égard : les deux scénarios des Contrées du Rêve ne bénéficient pas de ce genre de préalables – seulement deux pages « techniques » (et d’un intérêt assez douteux me concernant…) précédant le scénario « Ulthar et au-delà », rien d’autre. C’est d’autant plus dommage à mes yeux que le supplément sur les Contrées du Rêve, sans être indispensable à proprement parler, faisait défaut à l’époque de cette réédition – et encore maintenant ; le crowdfunding n’a eu lieu que bien plus tard, j’y ai participé cette fois, attendons donc de voir ce que ça donnera...

 

Mais, globalement, Le Rejeton d’Azathoth est donc plutôt une belle bête, un livre bien conçu, clair, et d’une lecture agréable.


Je vais maintenant rentrer un peu plus dans le détail de la campagne, en disant quelques mots de l’introduction, de chaque scénario, et de quelques annexes spéciales. C’est le moment fatidique où il me faut planter la balise SPOILERS…

INTRODUCTION DE LA CAMPAGNE

 

Hommage est ici rendu à l’auteur de la campagne, et de bien d’autres suppléments pour L’Appel de Cthulhu : Keith Herber (mort en 2009). Assez touchant, en fait… Il faut peut-être adjoindre à ces « préparatifs » un peu à part la traduction d’un poème de Lovecraft, « Némésis », en forme de prétexte à la campagne (un peu audacieux, pour le coup) ; et, enfin, la reprise des données de jeu (!!!) concernant Azathoth dans le Malleus Monstrorum, parfaitement absurde comme il se doit

 

Puis vient le moment de présenter la campagne dans sa globalité – ou ses intentions. Notons que l’auteur, Keith Herber donc, met de lui-même l’accent sur certains aspects du Rejeton d’Azathoth, dont l’exotisme (un classique de ces campagnes, que je ne suis toujours pas très sûr de bien comprendre, mais passons…), accentué d’une certaine manière par les scénarios des Contrées du Rêve, une particularité moins fréquente des campagnes pour L’Appel de Cthulhu. Un autre aspect est ici mis en avant, qui est donc la « liberté » de la campagne – avec sa chronologie fluctuante... et son liant souvent limité. Bien sûr, cela ne va pas sans poser certains problèmes, et des suggestions sont ici avancées pour les gérer ou contourner, sans doute insuffisantes.

 

Notons aussi que la campagne, dans sa variété, requiert des profils d’investigateurs divers : si le temps libre et les finances relativement confortables sont un plus appréciable de manière générale (pas spécialement les langues, cette fois, en dépit des scénarios « exotiques »), que certains PJ soient en mesure de se battre est fortement conseillé ; se pose aussi la question de l’accès aux Contrées du Rêve – en principe réservé à des PJ dont le score cumulé de SAN et de Mythe de Cthulhu est supérieur ou égal... à 75 ? Soixante-putain-de-quinze ?! Ce qui me paraît tout simplement… dément. Du coup, la campagne elle-même s’accommode en fait de cette règle (pour ne pas dire qu’elle la dissimule hâtivement sous le tapis), et c’est bien compréhensible.

 

Cette introduction fournit aussi quelques renseignements sur la vie quotidienne aux États-Unis en 1927… Mais, pour le coup, c’est nettement moins pertinent à mes yeux que les petites entrées en matière contextuelles des scénarios : à réserver aux acharnés (mais alors vraiment acharnés) de la simulation se voulant réaliste, dans l’ensemble – il y a deux ou trois trucs pas inintéressants, mais on se passera très bien de tout ça. Plus intéressant, on trouve également ici quelques notes sur les événements mondiaux en 1927, ce qui me paraît toujours pertinent ; on peut sans doute étoffer, c’est un peu succinct, mais il faut avant tout réfléchir à ce qui est bienvenu en matière d’ambiance.

 

J’en viens maintenant à l’introduction de la campagne de manière plus concrète.

 

Elle effraie tout d’abord quelque peu par son point de départ on ne peut plus classique. Devinez quoi ? Eh oui : un vieux professeur qui meurt, et qui avait fait un testament… Approche non seulement convenue mais aussi porteuse de quelques difficultés – dans la mesure où seul un des PJ est supposé figurer dans le testament ; en fait, c’est une difficulté essentielle de l’introduction de la campagne, scénario à Providence inclus – à moins de faire jouer l'essentiel du prologue un unique investigateur, à charge pour lui d’impliquer ensuite les autres ? Solution à envisager… Mais l’implication est donc passablement artificielle – a fortiori pour un groupe d’investigateurs. Je suppose qu’il vaut mieux multiplier les liens avec le défunt – ou indirectement, entre PJ, donc ; cette introduction ne les envisage en effet guère… Le risque du lien direct est peut-être aussi de limiter la variété des profils de PJ ? Tout le monde n’a pas une bonne raison de fréquenter un distingué professeur de l’Université Brown… et encore moins de figurer dans son testament. Et si l’on avance la possibilité, via tel ou tel PNJ, d’inclure dans le groupe des personnages éloignés du défunt et plus typés « investigateurs », justement (flics, privés, journalistes…), cela vient à son tour soulever quelques problèmes de crédibilité dans le liant déjà bancal des scénarios… Pourquoi tel personnage, dont la présence à Providence et l’intérêt pour ce qui s’y produit est parfaitement cohérent, partirait-il à Saint Augustine ou, pire, les Îles Andaman, dans le seul but de faire le coursier annonçant la mort du professeur à ses enfants qui ont eu la bougeotte ? Y réfléchir, donc, et avec soin – afin de trouver un certain équilibre « légitimant » la campagne.

 

Mais, pour le coup, je suis volontaire – parce que le pitch de la campagne est vraiment intéressant, même au-delà de son côté fourre-tout. La base est donc cosmique – le Rejeton d’Azathoth, Némésis, est une sorte de spore galactique dont l’arrivée sur Terre pourrait bien provoquer la fin de la planète bleue, et ce sans dimension « morale », bien et mal n’ayant rien à voir avec cette affaire. Mais la perspective est donc bel et bien apocalyptique (une question qu’il faudra se poser à la toute fin et fin de tout…) : nous parlons d’une entité « matérielle », démesurément vieille, à l’échelle d’un univers vaste et indifférent où la Terre et l’homme ne représentent absolument rien… En fait, la trame implique son lot de « pas de bol », d’une manière ironique assez savoureuse.

 

Et cela a son impact sur le bestiaire lovecraftien en jeu : certaines des bébêtes se livrent à un culte (essentiellement les Tcho-Tchos des Îles Andaman), mais tout laisse à croire que l’objet de leur culte n’a que faire de leurs prières et suppliques ; et les autres créatures dans la partie, pour être éventuellement intéressées à l’affaire, ont leur propre agenda – essentiellement les Mi-Gos, qui ont leurs raisons très pragmatiques de souhaiter l’avènement de Némésis, sans pour autant rendre forcément grâces à Azathoth (qui s’en fout complètement, l’Idiot) ou à son fiston en forme de tumeur cosmique ; quant aux Goules, sur Terre ou dans les Contrées du Rêve, elles ont leurs affaires, et ne s’intéressent sans doute guère à Némésis – sans trop faire figure de pièces rapportées pour autant.

 

Tout ceci me plaît énormément. Il en va de même pour quelques « détails » historiques impliqués dans la trame : Raspoutine + Tunguska, forcément, je dis oui !


Un point est plus incertain : le rôle du Père Fantôme, étrange bonhomme d’allure amérindienne que l’on croise régulièrement dans la campagne, et dont on devine assez tôt la dimension de deus ex machina ; le personnage, en tant que tel, doit être manié avec précaution – le risque du grotesque virant au ridicule est toujours présent. Mais l’idée n’est pas si mauvaise, au fond… L’identité du personnage y est pour beaucoup (j’ai placé la balise SPOILERS, je peux y aller comme un porc ! Mais méfiez-vous quand même…) : il s’agit en effet... TA-DAN ! D’Eibon, le vieux sorcier hyperboréen… Il avait de longue date conscience de la menace que Némésis faisait peser sur la Terre, et a usé de sa magie pour s’en prémunir, rôdant à travers les siècles afin de s’assurer que ses défenses tiennent bon (il est douteux que les PJ puissent vraiment s’entretenir avec lui, et c’est peut-être regrettable, car il y a du potentiel dans cette histoire…). Mais le remède n’est-il pas pire que le mal ? Aux investigateurs de le déterminer… et au Gardien de bien peser la question et doser les indices, parce que cette dimension de l’intrigue est donc aussi délicate à gérer que fondamentale…


N’empêche que ce pitch me paraît globalement très enthousiasmant. Et, si le problème du liant n’est pas évident à gérer, les scénarios, par la suite, sont globalement de bonne à très bonne tenue… à une exception près.

 

UNE PRÉSENCE FANTOMATIQUE

 

« Une présence fantomatique » est un très bref scénario d’introduction – avec le souci essentiel d’implication mentionné plus haut : à tout prendre, un unique PJ est concerné.

 

Mais le scénario ne s’ouvre pas pour autant sur une rubrique nécrologique lue dans le journal, suivie tout aussitôt de la convocation par le notaire pour lecture du testament : la campagne choisit de débuter in media res, et fantastique d’emblée, quand le « fantôme » (?) de Philip Baxter apparaît brièvement devant un des PJ ! Lequel, probablement, apprendra sans trop de difficultés la mort de l’estimable professeur, et se rendra à la cérémonie au cimetière – y impliquer les autres PJ peut donc s’avérer plus délicat. Quant à la lecture du testament… A priori, à moins d’avoir multiplié les liens, c’est là encore à un PJ seul que la scène s’adresse.

 

Ledit testament, par ailleurs, est relativement « subtil » – entendons par-là qu’il ne consiste pas en un vulgaire « ordre de mission » : les PJ doivent faire ça, puis ça, etc. Non, ce n'est pas du tout Terreur sur l’Orient-Express.Seul un aspect des dernières volontés de Philip Baxter va dans ce sens, mais de manière bien vue : la mention entre deux eaux, sibylline mais pas trop, des excursions oniriques du défunt, mentionnant la ville d’Ulthar et la jungle de Kled, carte à l’appui…

 

PROVIDENCE, RHODE ISLAND, USA

 

C’est ici que commence vraiment la campagne – pour tous les PJ.

 

Comme tous les scénarios « terrestres » de la campagne, « l’aventure à Providence » s’ouvre sur quelques éléments de contexte, globalement bienvenus : sans être forcément d’une utilité immédiate, les développements sur l’histoire de Providence sont intéressants, et nous avons quelques endroits notables où faire avancer l’intrigue. Dont une hypothèse amusante : jouer « chez Lovecraft », forcément… Le gentleman n’est pas sur place, rassurez-vous, mais il y a peut-être de quoi faire, en travaillant un peu la chose…

 

Ce premier scénario, assez classiquement, joue à fond les cartes liées de l’enquête et du social. Partant du décès suspect de Philip Baxter, il consiste logiquement en une sorte de whodunit bien foutu et enthousiasmant – car, élément essentiel, il fait figurer une kyrielle de PNJ souvent intéressants, car complexes. Nombre d’entre eux ont donc des squelettes dans leurs placards, sans qu’ils soient forcément directement en rapport avec la trame de fond de la campagne ; cependant, ils ne sont pas gratuits pour autant, parce qu’ils participent vraiment de la définition des personnages, et permettent d’appuyer sur la dimension non manichéenne du cadre de jeu autant que de ceux qui y vivent. Le « coupable » de la mort de Philip Baxter en est un très bon exemple : à tout prendre, il n’est pas forcément un mauvais bougre (malgré ses habitudes… particulières…), et il est d’ailleurs dévasté par ce qui s’est produit… Oui, il y a comme une insidieuse mélancolie dans tout ça, et ça me plaît bien !


La vraie piste concernant le décès de Philip Baxter remonte en fait aux Îles Andaman – sans doute faut-il que les PJ le comprennent ici, cela justifiera mieux que tout autre hypothèse leur voyage ultérieur en Inde… De manière plus générale, d’ailleurs, cela aiguillera les investigateurs qui seraient trop timorés et indécis, sur la piste des enfants du mort – et pas seulement la fille coupable. Mais, en l’état, cela passe donc par la découverte de cette très vilaine araignée rôdant dans le grenier du défunt, et qui pourrait encore faire des saletés… C’est amusant, et pertinent.

 

Une réussite, donc, que ce scénario, whodunit aussi efficace que bien vu, et subtil d’une manière très savoureuse.

 

Mais à la fin du scénario se pose donc un problème de taille : le liant avec la suite… Sans doute ne peut-on pas vraiment tout prévoir à l’avance, ici : les PJ, dans leurs choix comme dans leur personnalité et leur culture, doivent guider la suite de la campagne.

 

Rappelons à cet égard que les scénarios suivants, présentés ici dans l’ordre où le livre les expose, ne s’enchaînent pas forcément dans cet ordre en termes de jeu : la chronologie est mouvante, fonction des choix des investigateurs.

GARRISON, MONTANA, USA

 

Nous restons donc pour l’heure aux États-Unis, mais dans un contexte aux antipodes de la Providence feutrée du précédent scénario : le Montana le plus sauvage…

 

C’est un contexte très intéressant, agréablement présenté en introduction. L’endroit est paumé, et très bouseux, mais sans pour autant consister en un décalque de Dunwich et compagnie : il y a là une âme propre, singulière, mais tout aussi pertinente, en plus de faire des vacances… Chacune de ces petites introductions à chaque scénario met l’accent sur au moins un thème qui peut y avoir de l’importance : ici, c’est l’astronomie dans les années 1920, et c’est tout à fait bienvenu et intéressant.

 

Les PJ se rendent en effet sur place, a priori, pour savoir ce qui se passe dans l’observatoire financé par une sorte d’association un brin suspecte dont faisait partie Philip Baxter. S’y trouvent deux astronomes russes, un peu louches forcément… Mais la vraie menace est ailleurs, si elle a sa part « astronomique » : des Mi-Gos qui arrivent à peu près en même temps que les PJ, en quête d’une « graine d’Azathoth » tombée dans la région ! D’où, même discrètement, l’apparition sur place du Père Fantôme – dont la tenue, exceptionnellement, ne dénote pas trop… Mais il y a d’autres bestioles en jeu, plus sympathiques : des Sasquatchs que dorlote une vieille fermière excentrique… et qui savent où se trouvent la « graine », ils ont de très bonnes raisons pour cela.

 

Une réussite : le cadre est beau, les PNJ intéressants, et tout est bel et bien en rapport avec la trame de fond (ce ne sera pas toujours le cas par la suite). Les PJ y sont globalement très libres, et nombre d’hypothèses sont envisagées, car leurs choix peuvent avoir des conséquences cruciales – d’autant que le scénario obéit en principe à un calendrier n’autorisant pas les « sauvegardes rapides » : faire ceci plutôt que cela a ses conséquences, sur lesquelles on ne pourra pas revenir. Cela introduit une tension très à-propos dans la campagne.

 

À noter, cependant : nous ne sommes plus à Providence… Chacun des scénarios « terrestres » de la campagne a un potentiel mortifère marqué : l’hypothèse de la mort d’un PJ, voire de plusieurs, voire de tous, doit être envisagée – les Mi-Gos sont des antagonistes redoutables, et la « graine » a ses propres dangers… Même si, plus tard, ils peuvent devenir des atouts.

 

SAINT AUGUSTINE, FLORIDE, USA

 

Troisième et dernier scénario américain, c’est aussi le moins bon à mon sens ; non qu'il soit mauvais à proprement parler, c'est plutôt qu'il ne s'intègre qu'artificiellement à la campagne : à cet égard, il est l'exact contraire du scénario dans le Montana.

 

On appréciera bien sûr la petite introduction contextuelle, présentant la ville de Saint Augustine et ses environs, faune locale à mâchoires conséquentes incluse. Le thème développé est la plongée sous-marine, et l’usage des scaphandres ; c’est passionnant, certes lié au scénario, mais plus ou moins utile hélas… dans la mesure où cet aspect de l’aventure est passablement gratuit.

 

En fait, c’est le problème essentiel de ce scénario : pris indépendamment, il est bon, voire plus que ça, mais le lien avec la campagne est plus que ténu… En fait, le scénario tient quelque peu de la « fausse piste » ; même si sa conclusion peut avoir un impact sur la suite des événements (au moins le voyage jusqu’aux Îles Andaman).

 

Les PJ sont supposés se rendre en Floride pour rencontrer Colin Baxter, fils du défunt – mais je les vois assez mal en coursiers… Bien réfléchir au liant, là encore, donc (mais il y a une possibilité qui coule de source, voire plus loin).

 

Ledit Colin Baxter est à la tête d’une entreprise de sauvetage en mer, avec son propre bateau ; mais il a aussi une marotte : la découverte de trésors sous-marin… C’est pourquoi il peut inviter les investigateurs à financer sa prochaine expédition, en quête d’un vieux galion espagnol sombré non loin ; ceux-ci (ou l’un d’entre eux ?) pourront alors l’accompagner sous les flots, pour dénicher quelque trésor immergé de longue date ! C’est amusant… mais parfaitement gratuit. Le seul vrai avantage que l’on tire de cet aspect du scénario est donc la possibilité d’emprunter le bateau de Colin pour se rendre aux Îles Andaman. C’est léger… Le scénario envisage bien de situer un temple d’Azathoth immergé non loin du galion, COMME PAR HASARD, mais ça me paraît une très mauvaise idée : au mieux ça n’apporte strictement rien à la campagne (mais alors vraiment, vraiment, strictement rien du tout), au pire ça sonne comme un artifice vraiment grossier…

 

Mais l’essentiel de ce scénario repose sur une tout autre dimension : Colin Baxter y est accusé à tort d’un meurtre ignoble, dont il faut l’innocenter (bonne raison d'impliquer les investigateurs, donc ?). Il est en fait la victime d’un culte cannibale qui a salement merdé, et cherche ainsi à dévier les soupçons ; il faut dire qu’un de ses membres est le chef de la police locale…

 

Indépendamment, ça fonctionne assez bien : l’enquête est intéressante, le cadre assez chouette, les PNJ de bonne tenue. Que le chef de la police soit impliqué de la sorte est un plus appréciable, qui vient de manière pertinente compliquer la tâche des PJ. Le gore n’est pas exclu – dont les PJ peuvent être les victimes, comme de juste : je vous rappelle que la campagne est mortifère, et le culte constitue un antagoniste de taille… peut-être même au point de justifier une alliance de revers avec les Goules locales, qui ne peuvent pas blairer ces pathétiques imitateurs ? Admettons... en faisant attention de ne pas réutiliser le procédé dans les Îles Andaman.


Oui, ça fonctionne bien – mais ça n’a donc peu ou prou aucun lien avec la trame de fond de la campagne, ce que je regrette quand même un peu.


LES ÎLES ANDAMAN, INDE

 

Nous passons ensuite au premier scénario « exotique », et le seul à avoir une chronologie mouvante, puisque le second, dans le Tibet, conclut la campagne.


L’introduction contextuelle est un peu plus longue que d’habitude, car elle envisage en fait deux cadres de jeu : tout d’abord, Calcutta, étape probable des investigateurs (à moins qu’ils n’aient emprunté le bateau de Colin Baxter, auquel cas la halte à Calcutta est facultative) – pour le coup, et au-delà même de ce seul caractère optionnel, ces quelques éléments de contexte ne m’ont pas emballé, car bien trop succincts pour un sujet pareil : ça saute aux yeux dans le « focus » sur l’hindouisme, d’une densité telle pour un sujet si complexe qu’il en devient carrément confus et probablement inutilisable.

 

Par contre, les quelques pages consacrées ensuite aux Îles Andaman sont tout à fait passionnantes ! Il est vrai que c’est un cadre de choix pour un scénario davantage typé pulp : colonie pénitentiaire tropicale, jungle étouffante, autochtones « primitifs » qui ne savent pas faire de feu… et la cerise sur le gâteau, des Tcho-Tchos cannibales (miam !) et des putains d’araignées géantes (brrr…). Avec un focus sur les maladies tropicales et leur traitement – sait-on jamais…

 

Les PJ se rendent sur place pour rencontrer la fille de Philip Baxter, Cynthia. Je suppose qu’il vaut mieux, dans cette optique, qu’ils aient compris qu’elle était impliquée dans la mort de son père – traverser le globe simplement pour dire : « Coucou ! Ton père est mort, au fait... », ça ne tient pas vraiment la route.

 

Ladite Cynthia, missionnaire et médecin, est tombée sous la coupe d’un chaman tcho-tcho. Les investigateurs sur sa piste dans un cadre si hostile auront fort à faire avec des adversaires de poids, les Tcho-Tchos eux-mêmes et des araignées géantes (dont Cynthia elle-même, le cas échéant, après une cérémonie pour le moins éprouvante mais globalement palpitante), voire carrément Atlach-Nacha ! Les connotations pulp de l’aventure ne la rendent donc pas moins fatale : la mort d’au moins un PJ, ici, ne me paraît plus simplement possible… mais carrément probable. Attention à la manière de gérer la chose, donc.

 

...

 

Et en fait, cela va peut-être plus loin : plus encore que face aux Mi-Gos et aux cannibales de Saint Augustine, il y a là un risque non négligeable que le groupe entier y passe. Mais cela peut faire sens – cela peut même s’avérer très intéressant, en fait, à condition de bien gérer la transition : il serait très regrettable d’arrêter la campagne ici… En fait, je me demande si, de manière générale, il ne faudrait pas engager les joueurs, dès le départ, à prévoir (au moins…) un PJ de remplacement – à charge ensuite de déterminer ensemble le passage de relais.

 

Si l’on se sent trop frileux à cet égard, et c'est compréhensible, sans doute faut-il alors envisager, un peu à regret, de faire intervenir une sorte de deus ex machina en la personne des autochtones de l’île – les vrais habitants « primitifs » des Îles Andaman : pour eux, les Tcho-Tchos sont des envahisseurs, en plus d’être détestables et redoutables… C’est un peu un pis-aller, mais je suppose qu’on peut faire avec – c’est peut-être plus prudent, et sans doute bien moins compliqué...

 

Une chose à noter : le scénario, au-delà, envisage une conclusion alternative qui me paraît assez intéressante, où les PJ entrant (les audacieux !) dans la grotte d’Atlach-Nacha... se retrouvent en fait dans les Contrées du Rêve, et plus précisément sur le Plateau de Leng – avec l'ambiguïté, typique dudit Plateau : sa présence semble-t-il simultanée dans le monde onirique et sur la « vraie » Terre… C’est donc un moyen de gagner le Tibet du dernier scénario de la campagne, sans faire le long voyage depuis l’Inde (a priori, mais le point de départ peut varier, fonction d'où sont alors les PJ et de ce qu'ils ont fait) ; la conclusion de la campagne en est un peu altérée, dans ses préparatifs du moins, d’une manière qui peut être intéressante. On n’envisage par contre pas vraiment, sauf erreur, d’user de ce biais pour lier « différemment » les deux scénarios dans les Contrées du Rêve, mais il y a peut-être de quoi bidouiller.

 

Bon scénario, en tout cas, mais attention : il peut vraiment s’avérer fatal, et doit être mûrement réfléchi, dans le cadre de la campagne.

ULTHAR ET AU-DELÀ, CONTRÉES DU RÊVE

 

La suite, dans l’ordre de présentation du bouquin, ce sont les deux scénarios dans les Contrées du Rêve – en fait très différents l’un de l’autre… et de qualité très variable : si le premier est correct, voire plus, le second ne me paraît vraiment pas intéressant…

 

Mais nous en sommes au premier. Comme dit plus haut, il n’y a hélas pas vraiment de mise en bouche contextuelle ici, juste deux pages plus ou moins « techniques » sur les implication des Contrées du Rêve en matière de règles (dont surtout cette exigence du score de 75 en SAN + Mythe de Cthulhu pour y accéder, qui me paraît décidément absurde). Il est donc un peu regrettable qu’en l’absence du supplément sur lesdites Contrées, le scénario ne s’attarde pas plus que ça sur ce cadre même si Ulthar, au moins, bénéficie d’une présentation correcte.

 

Quoi qu'il en soit, les rêveurs gagnent le monde onirique de la manière la plus orthodoxe, avec le long escalier et ses gardiens... qui débouche sur le Bois Enchanté, non loin d'Ulthar, nom mentionné dans le testament de Philip Baxter.

 

Ulthar, donc, y est une grande ville (bizarrement, j’avais toujours en tête un village, quant à moi, ou disons une petite ville...) ; elle a surtout pour intérêt, ici, d’être un des points d’accroche d’une bibliothèque mystique naviguant entre plusieurs cités des Contrées du Rêve (mais ne pouvant pour autant constituer un moyen de transport magique : si on entre dans la bibliothèque à Ulthar, c’est forcément à Ulthar qu’on en sort).

 

On y croise éventuellement, au sortir de la ville, un nouvel ersatz d’araignée géante, la version Leng sans ambiguïté cette fois, mais, pris comme ça, je ne sais pas si c’est amusant ou sans intérêt – faut voir…

 

L’ambiance est bien gérée, et tout cela fonctionne plutôt bien… à condition bien sûr d’avoir des joueurs disposés à faire ce grand écart : c’est le souci, avec les Contrées du Rêve… Mais, me concernant, ça en vaut probablement la chandelle.

 

La suite du scénario me paraît tout de même un peu plus inégale – à vue de nez, du moins. Il est certes logique, dans l’optique de la campagne, de rallier la jungle de Kled dont parlait Philip Baxter dans ses documents testamentaires ; et y retrouver deux personnages « terrestres » sous la forme de leurs avatars oniriques (le « nain difforme » pour le chaman tcho-tcho, mais aussi sa victime… qui n’est autre que Philip Baxter ! Noter, dans ce registre, que le bourgmestre d’Ulthar aussi était une vague connaissance), c’est sans doute bien vu.

 

Par contre, poursuivre le périple dans le seul but de taper la causette à Yibb-Tstll, ça ne m’emballe vraiment pas… Le simple fait de mentionner cette rencontre, en fait, souligne une difficulté non négligeable de la campagne : comprendre vraiment les implications de la venue de Némésis sur Terre, et d’Eibon dans tout ça, ça n’a rien d’évident… or c’est crucial pour mener à bien le dernier scénario. Mais user de cet expédient pour faire le point me paraît un peu grossier – et que l’on retrouve plusieurs scènes exactement similaires dans le second scénario onirique puis dans le scénario tibétain, pour le coup, c’est tout de même bien lourd.

 

Mais si ce premier scénario dans les Contrées du Rêve est finalement sympathique, et joliment dépaysant, il n’en va donc pas de même du second...

 

LA QUÊTE ÉTERNELLE, CONTRÉES DU RÊVE

 

En effet, ce deuxième scénario onirique me paraît… mauvais. D’autant plus en étant inséré dans une campagne globalement de bonne à très bonne tenue. En effet, le « dépaysement » est pour le coup bien trop forcé – et le scénario, en contraste avec la pleine lovecrafterie, tient un peu de la quête donjonnesque… hélas au point où ça en devient caricatural ; c’est d’ailleurs de très très loin le scénario le plus linéaire, et même dirigiste, d’une campagne généralement bien plus libre.

 

D’ailleurs, l’idée même des « Contrées du Rêve » y est d’une certaine manière malmenée, d’emblée : les investigateurs n’y accèdent pas en rêvant, avec l’escalier et patin-couffin, mais en buvant une substance étrange concoctée par un PNJ de la Nouvelle-Orléans dont nous n’avons jamais entendu parler, et dont nous n’entendrons jamais plus parler par la suite. Ah, oui ! Il faut boire ladite potion dans un cimetière… puisque des Goules font alors leur apparition, qui conduisent les investigateurs dans les « Contrées du Rêve » (?) en suivant un de ces longs tunnels que les Goules aiment bien…

 

Pourquoi pas ? En fait, ça peut être amusant…

 

Sauf que non. La suite, hélas, ne me parle vraiment pas. Les trois Goules viennent en effet chercher les investigateurs… pour qu’ils délivrent leur princesse, qui a été enlevée. Ooooooooooh ! Une princesse à délivrer ! Oui, même si c’est une Goule, une princesse reste une princesse. Quant à savoir pourquoi la fiole suscite l'apparition des Goules, pourquoi les Goules confient cette mission aux PJ, et pourquoi les PJ l'accomplissent... J'ai même pas envie de me poser la question, en fait.

 

Et à partir de là… Eh bien, des rencontres – table à la clef (il y en aura aussi une dans le dernier scénario de la campagne, mais autrement pertinente), de la baston, de l’exploration qui n’en est pas tout à fait puisque les PJ sont grosso merdo sur une ligne droite (la carte qui fait des petits détours en pointillés, c’en est presque risible…), c’est terne, c’est plat, ça n’a aucun intérêt.

 

En chemin, les PJ croisent Eibon qui se promène, hop, et qui devrait en jeter, sauf qu’il a pour objet essentiel… de filer aux PJ un artefact (éventuellement de rechange) indispensable pour niquer sa gueule à Némésis à la fin.

 

Et nous avons aussi un « vieux sage de la montagne » qui remplit peu ou pour le rôle de Yibb-Tstll dans le scénario précédent, en répondant aux questions des PJ (contre rémunération douloureuse, certes)procédé qui reviendra une troisième (Francis Wilson) puis une quatrième fois (le diagramme du temple d’Hastur) dans le scénario tibétain !

 

Et là, ça me paraît mettre en évidence un problème de la campagne : décidément, que les joueurs, au-delà des PJ, comprennent bien les implications de la venue de Némésis et de la sorcellerie d’Eibon à son égard, semble n’avoir rien d’évident, alors que c’est capital. Recourir QUATRE fois à ces expédients (voire cinq ? Peut-être faut-il compter aussi la bibliothèque d’Ulthar...), ça fait vraiment béquille, et c’est regrettable ; là aussi, je suppose, il faut que le Gardien travaille, pour bien doser la gestion des indices concernant la résolution de la trame principale, et éviter autant que faire se peut ces expédients. Car cette approche de la campagne ne me satisfait vraiment pas.

 

Un scénario au mieux dispensable, donc, au déroulé inintéressant, et dont les conséquences les plus notables pour la fin de la campagne relèvent du tour de magie grossier. Vraiment dommage…

 

AU CŒUR DU TIBET


Nous en arrivons à l’ultime scénario de la campagne (contrairement aux autres, il doit se trouver à cette position dans le temps – quitte à forcer son démarrage via un télégramme qui aura le bon goût de trouver les PJ où qu’ils se trouvent, mais on fera avec), dans un cadre tibétain très enthousiasmant. La mise en bouche contextuelle, accent mis sur le lamaïsme, est très bien faite et très intéressante. Et puis, bon, y a une photo du Potala, et disons-le : j’aime le Potala. Je kiffe le Potala. Le Potala est cool. Le Potala FTW.

 

 

Pardon.

 

La fiche technique du scénario n’y insiste pas, mais l’exploration a quand même une place importante ici – plus encore que dans le Montana ou les Îles Andaman, davantage dans la manière des scénarios dans les Contrées du Rêve, mais d’une façon « terrestre » qui change tout. À moins que les personnages aient emprunté l’hypothétique passage via le Plateau de Leng envisagé dans le scénario indien, cet ultime chapitre tibétain implique donc tout d’abord un long voyage jusqu’à Lhassa (vraiment long – on compte en semaines, à vue de nez, fonction du point de départ) ; ensuite, après cette halte à la capitale, il faudra monter une deuxième expédition (dans l'urgence !) pour atteindre, dans une région plus désolée et hostile que jamais, le théâtre des tout derniers épisodes de la campagne – confrontant les PJ à Némésis… voire à Azathoth tant qu’on y est.

 

Tu connais l’histoire de Paf l’Investigateur qui voit Azathoth ?

 

Alors c’est Paf l’Investigateur, il voit Azathoth, et paf ! Il perd 1d100 en SAN.


 

Pardon.

 

Exploration, disais-je. Et, comme avancé dans le scénario précédent, cet ultime chapitre a sa propre table de rencontres aléatoires – à utiliser plusieurs fois, en principe. Mais c’est bien, en fait : ce n’est pas du tout une optique baston donjonneuse, c’est plutôt une manière finalement bien vue de rendre palpable le caractère hostile de l’environnement – TRÈS hostile : une avalanche, c’est dangereux…

 

Le scénario fait appel à trois PNJ d’importance, mais d’intérêt variable. Le premier est Francis Wilson, l’auteur du télégramme qui a fait rappliquer les joueurs, et qui, semble-t-il, comprend probablement bien mieux que les investigateurs ce qui se passe au juste ; le bonhomme est compétent (au point si ça se trouve d’avoir ramassé un artefact utile passé sous le nez des joueurs…), mais aussi paniqué : alors que le voyage des investigateurs jusqu’à Lhassa a duré si longtemps, une fois les PJ sur place, il n’y a plus une seconde à perdre ! Pour un final tendu, avec rituel inévitable, et l’apocalypse moins deux secondes… Oups ! Trop tard, zut.

 

Deuxième PNJ essentiel, le mystique tibétain Lha-Bzang – un peu fourbe, et éventuellement croisé dans les Contrées du Rêve… Mf.


Deux PNJ assez clichés, donc – mais le troisième est plus amusant : le camarade Ivan Daryev, du GPU ! Son rôle ambigu, mais tout autant son héroïsme affirmé, en feront le cas échéant un atout de taille pour l’avancement de l’histoire. À l’instar des deux précédents, il est donc éminemment « fonctionnel », mais je crois qu’il y a davantage matière à en tirer quelque chose d’intéressant.


Et nous en arrivons donc à la toute fin de la campagne… Qui est pour le moins exigeante pour les personnages, et implique donc qu’ils aient bien tout pigé de ce qui se passe au juste.

 

Est-elle satisfaisante, cette fin ? Je ne sais pas ; j’ai tendance à croire qu’elle mérite à son tour un certain travail de la part du Gardien pour que tout glisse bien comme il faut – car, à tout prendre, le déroulé des événements n’a rien d’intuitif.

 

J’avoue, d’ailleurs, être un peu décontenancé par ce tunnel qui est en fait un portail (moi, je voyais le rejeton foncer direct vers le noyau de la planète...), ce nouveau diagramme qui accompagne l’arrivée de Némésis (évacuant l’idée d’un phénomène « naturel », aussi démesuré soit-il), et, cause de tout ça sans doute, le fait que Némésis ait en définitive une « personnalité » ; je crois que, sur la base du pitch, je préfèrerais m’en tenir à la « spore cosmique » abstraite et dénuée de conscience et d’intentions – clairement, en fait. Et sans surprise, j’imagine. Cela doit pouvoir s'arranger...

 

Noter que la fin peut prendre plusieurs formes, comme de juste… dont l’une est proprement apocalyptique : pour faire simple, la Terre explose. Boum. Je ne crois pas que ce soit très intéressant, cela dit… Hein… Après, il y a des marges dans la réussite hypothétique des PJ – à tout prendre, la solution « remake de la Tunguska » est sans doute la plus probable ? Une idée amusante, esquissée en marge, consiste à faire intervenir à nouveau les Mi-Gos – qui veulent tout faire péter, certes… Bien y réfléchir. Mais il y a de quoi faire, je crois.

LES PAPIERS D’AZATHOTH

 

Quelques mots, pour finir, sur les annexes de la campagne – des aides de jeu et documents facultatifs, plus ou moins ciblés.

 

Nous trouvons tout d’abord des aides de jeu optionnelles – à distribuer aux PJ selon le bon-vouloir du Gardien. Les citations tirées des « livres du Mythe » ne m’emballent guère : elles sonnent le plus souvent faux. Piocher dans les livres « historiques » peut par contre apporter des développements, au moins d’ordre théorique, intéressants – ainsi sur les âges terrestres et solaires, et les cycles qui vont avec. Les « divagations prophétiques » sont plus utiles, à leur manière… qui n’est peut-être pas, pour moi, celle prévue à la base ? Ce que j’y vois, pour ma part, concerne le MJ, et non les PJ : c’est un moyen de repérer où et quand glisser des indices aux joueurs sur les implications de la campagne ; à utiliser avec modération, sous peine de rendre dirigiste ce qui ne doit pas l’être, mais ça peut être utile. Reste deux pages de coupures de journaux rapportant des événements étranges pas forcément liés à la trame de la campagne, mais que l'on peut souvent y relier ; aussi, les utiliser peut s’avérer périlleux, en multipliant les fausses pistes à l’échelle du globe, mais, pour le coup, avec vraiment de la préparation de la part du Gardien, je suppose qu’il y a moyen, en fait… de « gonfler » un peu la campagne ; comme elle est à la base de taille raisonnable, voire courte pour une campagne de L’Appel de Cthulhu, je suppose que ça demeure envisageable, et que ça pourrait s’avérer enrichissant.

 

Nous avons ensuite une description précise du bateau de Colin et de son équipage (mouais…), et quelques développements supplémentaires sur les dangers de la plongée sous-marine (un mini-passage optionnel de toute façon).

 

Après quoi, quelques index forcément utiles : personnages (avec petit résumé), créatures, ouvrages, sortilèges et artefacts.

 

BILAN

 

Quel bilan, alors ?

 

Positif, en ce qui me concerne – ça fait du bien, après mes deux déceptions de Terreur sur l’Orient-Express et des 5 Supplices

 

La campagne du Rejeton d’Azathoth n’est certes pas sans défauts : old school, même si à un point qui me paraît supportable (comparé aux injouables Ombres de Yog-Sothoth), elle manque de liant, problème à travailler impérativement avant de s’y engager ; c’est un patchwork d’ambiances diverses, voire contradictoires, ce qui pourra être rédhibitoire pour certains (au fond, il est surprenant que cela ne soit pas rédhibitoire pour moi…). L’appréhension de la trame de fond est complexe, et les solutions avancées par la campagne à cet égard ont régulièrement quelque chose de grossier – d’autant plus avec l’accumulation. Enfin, sans que ce soit forcément un défaut, mais il faut le mentionner ici : c’est une campagne très punitive pour les PJ, avec des antagonistes qui ne font pas semblant – il y a aura des PJ morts, ça me paraît inévitable ; il y en aura peut-être même beaucoup… voire le groupe entier à telle ou telle rencontre particulièrement malencontreuse.

 

Mais j’ai bien aimé – voire plus que ça. Si le second scénario des Contrées du Rêve me paraît foireux, tous les autres sont intéressants et bien conçus (même Saint Augustine avec son hors-sujet, ou le scénario tibétain dans ses toutes dernières implications). Le changement d’ambiance peut être radical, oui, mais cela peut aussi être un atout. Campagne de taille « raisonnable », elle ne me paraît pas constituer de ces tunnels rôlistiques périlleux à force de se prolonger en mode mollement automatique. Les cadres de jeu sont beaux, les PNJ généralement intéressants. La trame de fond, enfin, m’intéresse beaucoup dans sa dimension cosmique, même si le dernier scénario, notamment, concède quelques ambiguïtés à ce propos dont je préfèrerais personnellement faire l’économie. Et j’aime beaucoup la liberté des joueurs, et les hypothèses envisagées dans chaque scénario à cet égard, qui justifient assurément le travail du Gardien.

 

Parce qu’il y a vraiment de quoi faire, c’est intéressant, et ça marche – je le crois, du moins, sur la base de cette lecture. Je ne maîtrise pas à L’Appel de Cthulhu en ce moment, mais, si je dois m’y remettre un jour, ça pourrait bien être avec Le Rejeton d’Azathoth...

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CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (06) - conclusion

Publié le par Nébal

CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (06) - conclusion

Sixième et dernière séance du scénario de Fabien Fernandez « Lame, l’arme, larmes », tiré de 6 Voyages en Extrême-Orient. Vous trouverez les éléments préliminaires ici, la première séance , et la précédente séance .

 

Je maîtrisais. Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient Goto Yasumori, la voleuse, Hira Ayano, la montreuse de marionnettes, Kuzuri Hideto, l’apothicaire, et Masasugi Takemura, l’ancien soldat.

 

I : SUR LA ROUTE


[I-1 : Yasumori : Gen] Yasumori est encore sous le choc de sa rencontre avec un fantôme, et le groupe avance plus lentement, à son rythme. Mais, à vrai dire, tous sont pour le moins perplexes, et inquiets quant à l’avenir : la perspective d’affronter une créature aussi puissante et rusée que le kitsune Gen est pour le moins déprimante – mais ils n’ont pas le choix ; l’esprit lui-même le leur a confirmé, en leur adressant, porté par un petit chien en kimono, un faire-part moqueur pour un mariage qui sera célébré dans la forêt de Koryo

 

[I-2 : Yasumori, Takemura, Hideto : Sekine Senzo ; Gen] En chemin, ils échangent, mais de manière somme toute peu constructive, sur les moyens dont ils disposent pour mettre fin à la malédiction. Il y a l’optique martiale : affronter et tuer le kitsune. Mais, parmi eux, seul Takemura est en mesure de véritablement se battre – parce qu’il a été soldat, si c’est dans une autre vie, et parce qu’il a en main un sabre « magique »… celui-là même, en fait, que Gen a maudit. À l’évidence, une approche aussi brutale relève peu ou prou du suicide, et les chances de l’emporter, pour le vieil homme, sont infimes… « Piéger » le kitsune, quel que soit le sort que les aventuriers lui réservent ensuite, s’annonce tout aussi difficile : il est après tout nécessairement rusé, et bien plus qu’eux, ce renard à neuf queues qui sévit depuis des siècles, sinon des millénaires… Ceci étant, ils discutent des méthodes récurrentes colportées dans le folklore, et Hideto, notamment, suppose que préparer un de ces plats aux haricots rouges dont les kitsune raffolent tant pourrait, dans une certaine mesure, les aider… Sinon, jouer de la carte surnaturelle ? Ils ne sont guère religieux – et l’onmyôji Senzo est plus taciturne que jamais : il n’ose certainement pas le dire, mais est bien conscient, ainsi que ses compagnons de route, que le yôkai est largement au-dessus de ses compétences… Faire jouer un esprit contre un autre apparaît impensable – même s’ils passent quelque temps à envisager ce genre d’hypothèses, Hideto s’interrogeant notamment sur les relations entre tanuki et kitsune ; mais ils n’ont de toute façon pas de ces ratons-laveurs aux testicules proéminentes sous la main... Yasumori s’interroge toujours sur les éventuelles affiliations élémentaires de l’esprit – l’eau, le feu… –, mais ils ne savent toujours rien de tout cela, et pas même si cela aurait la moindre utilité…

 

[I-3 : Yasumori, Ayano, Hideto, Takemura : Gen, Shim Na Yung, Someyo, Akiharu, Aki, Yôko, Itô] Pourtant, au fil de la marche, un semblant de plan, d’un ordre différent, commence à s’esquisser : tous ont remarqué que les interventions de Gen, et ce dès l’origine même de la malédiction (son alliance avec la princesse coréenne Shim Na Yung), étaient souvent en rapport avec des mariages ratés – celui entre Someyo et Akiharu, qui devait avoir lieu à Kengo mais a été retardé par la mort d’Aki ; à Hizotachi, le mariage entre Yôko et Itô, annulé du fait de la disparition de ce dernier ; les fiançailles rompues qui ont dégénéré en guerre à Ashiga Tomo ; la jeune femme enceinte laissée à demi morte au bord de la route, avant le village de Sagara ; le couple de fantômes qu’ils ont croisé à peine quelques heures plus tôt… Sans compter bien des ruminations sentimentales à chacune de leurs étapes, qui auraient pu déboucher sur un mariage, mais ne l’ont pas fait… Yasumori, tout particulièrement, y songe – et la charmante et cynique jeune fille, aux motivations incertaines pour les autres, et peut-être aussi pour elle-même, se demande s’il ne serait pas possible de mettre fin à la malédiction en organisant le mariage de Gen… avec elle-même. Séduire le kitsune s’annonce certes difficile, mais elle y croit, bzarrement, et l’idée fait sens pour les autres également – d’une manière ou d’une autre, cette approche, aussi folle soit-elle, paraît plus satisfaisante que toutes les autres… Ayano aussi y songe – mais indirectement : peut-être son art théâtral pourrait-il leur venir en aide ? Se dessine l’idée d’une ample cérémonie, où le mariage de Gen et Yasumori passerait aussi par une représentation théâtrale originale d’Ayano ; les plats à base de haricots rouges chers à Hideto y auraient également leur place… et, en dernier ressort, Takemura serait là, la main sur le sabre maudit. Impossible de définir un plan plus concret pour l’heure, mais, en chemin, tous réfléchissent à cette nouvelle manière d’envisager le problème.

 

II : UNE HALTE DANS LES RUINES

 

[II-1 : Yasumori] Au bout de quelques heures de marche, les aventuriers commencent à discerner, au loin, des traces d’habitation – quelques maisons aux contours vaguement esquissés, surmontées de panaches de fumée : un village dont ils ne connaissent pas le nom, mais qui n’est plus très loin… Mais Yasumori n’en peut plus, littéralement : à vue de nez, il faudra bien deux heures de marche pour arriver à ce village, et elle ne s’en sent clairement pas capable – elle a besoin d’une pause. Les autres veulent bien s’arrêter, d’autant que la malédiction ne les autorise pas à rester trop longtemps dans une communauté humaine, quelle qu’elle soit…

 

[II-2 : Takemura, Ayano] Takemura et Ayano, qui ont les yeux les plus perçants, repèrent des sortes de ruine à proximité, à la lisière des bois de plus en plus omniprésents. Difficile de dire ce dont il s’agissait, mais il y a bien de la pierre – un vieil ermitage, peut-être ? Voire les débris d’un petit sanctuaire antique ? Ils se rendent sur place… et découvrent alors que les lieux sont occupés : surgissent cinq hommes armés, mais de nature bien différente – quatre paysans, en fait, visiblement guère rompus aux armes et terrifiés à l’idée de se battre (trois brandissent maladroitement des sortes de machettes, tandis qu’un archer, qui semble plus sûr de lui, reste en retrait), et sans doute forcés de suivre un rônin d’allure sévère, qui dirige les opérations – peut-être chargé de la défense du village à proximité ? Le rônin, d’un geste de son sabre, donne l’ordre aux paysans d’attaquer – et ceux-ci obéissent, criant pour se donner du courage mais tremblant de tous leurs membres.

 

[II-3 : Takemura, Yasumori, Hideto, Ayano] Deux paysans se ruent sur Takemura, qui s’était le plus avancé ; le vieux soldat en immobilise un sans même y penser, désormais trop blessé pour combattre, mais pas assez pour en mourir. Yasumori, de son côté, a pu blesser un troisième paysan qui s’avançait sur elle en lui logeant une flèche dans le bras. À ce spectacle terrible, témoignage éloquent de ce que la partie est jouée, le deuxième paysan à s’être lancé sur Takemura recule, tétanisé d’horreur, et fuit bientôt le champ de bataille en hurlant. Le rônin est furieux, mais entend conserver sa dignité : il marche sur Takemura d’un pas inflexible ; mais il a trop fixé son attention sur le vieux soldat, le seul qu’il percevait comme une menace – or Hideto et Ayano, le premier avec ses fléchettes empoisonnées, la seconde en s’emparant de pierres qu’elle lui jette à la figure, ralentissent son approche… Sa dignité est une pose : ce samouraï déchu n’est pas homme à se contenir. Excédé, il change de cible : Ayano est la plus proche… Il lui adresse un coup vicieux, que la marionnettiste esquive de justesse ; mais Takemura surgit dans le dos du rônin, et le fend en deux : contre ce combattant-là, il n’a pas retenu ses coups, à la différence de ce qu’il avait fait pour les paysans…

 

[II-4 : Ayano : Gen] Le dernier d’entre eux, l’archer, n’a quasiment rien fait durant le bref assaut : il avait encoché une flèche, était grimpé sur un muret… mais il décide alors de lâcher l’affaire. Littéralement : il jette son arc ! Puis il s’éloigne de la scène du combat en maugréant : « Ces manchots, impossible d’en tirer quoi que ce soit... » Ayano court après lui… alors que les neuf queues du kitsune jaillissent soudain de ses vêtements ! Mais Ayano n’a pas le temps de l’atteindre ; Gen excédé touche nonchalamment un arbre de la main, et disparaît dans le tronc… Toutefois, Ayano prend bien soin d’inspecter l’arbre – et remarque que la magie du kitsune y laisse des traces particulières, qu’elle sera en mesure de reconnaître plus tard, si jamais… Un moyen de pister le renard ?

 

[II-5 : Yasumori, Takemura : Sekine Senzo] Yasumori, quant à elle, est d’autant plus furieuse qu’elle est épuisée. Elle hurle après les arbres, intimant le renard de venir les affronter ; devant l’absence de réponse, elle s’en prend au paysan qu’elle avait blessé et qui s’était écroulé au sol, elle le roue de coups de pied – Takemura la rejoint et fait en sorte qu’elle cesse, mais elle le repousse, agacée, et s’en prend aussi verbalement à l’inutile Sekine Senzo… avant de s’écrouler : elle qui était déjà fatiguée n’en peut tout simplement plus – elle ne succombe pas à une nouvelle crise cardiaque, non, mais s’adosse à un muret, les yeux las, et se tait…

 

[II-6 : Takemura, Hideto : Gen, Tadakiyo] Takemura interroge les deux paysans blessés, tandis que Hideto leur apporte quelques soins – ils savent que ces pauvres fermiers ne représentent pas une menace, de quelque ordre que ce soit. Le paysan le moins atteint, entre deux suppliques geignardes, explique enfin qu’un marchand de saké était arrivé quelques heures plus tôt dans le village tout proche, et avait dénoncé une bande de brigands qui l’aurait agressé – bande qu’il avait décrite précisément : exactement le groupe des aventuriers. Avec le recul, le paysan ne peut qu’avouer que l’idée que ces gens-là, si disparates et si peu martiaux, soient des brigands, était absurde… Mais sur le moment, ils y ont cru. Le rônin engagé pour la protection du village a pris les affaires en mains, et désigné quatre paysans pour l’accompagner et tendre une embuscade aux brigands, qui, à en croire le marchand de saké, ne tarderaient guère à approcher du village. Et concernant l’archer ? C’était un kitsune ! Oui – mais le paysan ne comprend tout simplement pas ce qui s’est passé le concernant : pour lui, pour tous les villageois, c’était simplement Tadakiyo ! Un des leurs, un paysan du village, qui a toujours vécu avec eux, et savait se débrouiller avec un arc – certainement pas un esprit renard… Mais en parlant du yôkai, le paysan est visiblement terrifié – d’une manière toute particulière, et qui appelle sans doute quelques éclaircissements… Il faut aller au village – quel est son nom, d’ailleurs ? Koryo...

III : LE VILLAGE MAUDIT DE KORYO


[III-1] Le petit village de Koryo est d’une extrême pauvreté – rien de commun avec Kengo ou Hizotachi, pourtant guère riches : les pauvres huttes des fermiers suintent littéralement la misère. Les habitants, d’abord méfiants voire effrayés devant l’arrivée des étrangers, commencent à se montrer quand le paysan blessé accompagnant les aventuriers (celui qui était le plus amoché a dû être laissé en arrière, dans les ruines) dit qu’ils n’ont rien à craindre, et que les nouveaux venus ne sont pas les brigands dénoncés par l’imposteur se faisant passer pour un marchand de saké… Un vieil homme d’allure digne même dans la misère, visiblement le chef de la petite communauté, sort de sa demeure guère plus riche que les autres et présente ses excuses aux voyageurs ; quand on lui explique qu’il reste un villageois blessé dans les ruines, il désigne d’un simple geste de la tête deux hommes pour qu’ils aillent s’en occuper.


[III-2 : Yasumori : Sekine Senzo ; Tadakiyo, Gen] Et concernant Tadakiyo ? Le vieil homme, désolé, se rend à une cabane toute proche, dont il ouvre la porte : à l’intérieur gît le cadavre du paysan habile à l’arc… La population de Koryo, qui multipliait les excuses, sombre encore davantage dans le désespoir, plus que dans la colère – leur village est maudit, le « démon » est revenu pour les faire souffrir de ses mauvais tours… Ils font des gestes étranges, qui les désignent comme chrétiens – sans l’ombre d’un doute aux yeux de Yasumori, qui en avait fréquenté à Nagasaki, et de Senzo, qui s’était intéressé, par pure curiosité intellectuelle, aux croyances étranges des barbares européens…


[III-3 : Sekine Senzo ; Gen] Le vieil homme explique aux étrangers que le village de Koryo, de toute éternité, subit périodiquement les méfaits du « démon » qui réside dans la sombre forêt encerclée de collines de l’autre côté des habitations, et qui marque la fin de cette route ; il se fait parfois oublier quelque temps (quelques années du moins dans le cas présent), mais revient toujours, et les paysans en souffrent. Koryo est maudit, oui – un village en proie aux maléfices du renard ; un village, notamment, où l’on ne peut pas se marier… Ceux qui veulent le faire doivent quitter le village pour exécuter la cérémonie dans un lieu qui s’y prête davantage – c’était vrai avant la conversion des fermiers au christianisme, ça l’est toujours depuis, à cet égard rien n’a changé. De ces jeunes qui partent, nombreux sont ceux qui ne reviennent pas – et on ne peut guère les en blâmer, sans doute… Mais d’autres reviennent – et les anciens restent. Pour prix de leur péchés, ils se doivent de perpétuer le village de Koryo – et c’est leur village, c’est celui de leurs ancêtres : les pires maléfices de Gen ne sauraient les en faire fuir ! Senzo, qui connaît donc quelque peu la spiritualité chrétienne, discute abondamment avec le vieil homme – supposant à bon droit que des siècles à subir le joug de Gen malgré les pratiques cultuelles shintoïstes et bouddhistes, voire les exorcismes qui en découlent, ont pu favoriser la conversion de la petite communauté au christianisme… Senzo obtient d’ailleurs confirmation de ce que les ruines où ils se sont battus étaient celles d’un petit sanctuaire où un ermite, il y a quelques siècles de cela, pensait pouvoir affronter les maléfices du renard… et a perdu la bataille. Mais la conversion, en dépit de tous les espoirs qu’elle avait suscités, n’a au fond rien changé, et, si les paysans s’y tiennent, dans le doute, le fait est qu’ils sont plus fatalistes que jamais. L’onmyôji en apprend aussi davantage sur la petite forêt de Koryo, de l’autre côté du village : c’est un forêt maudite, très dense, coincée entre les collines – la lumière du soleil n’y pénètre qu’à peine, et rôdent dans les bois nombre d’esprits, yôkai de toutes sortes et âmes en peine des innombrables victimes de Gen… dont bien des fiancés n’ayant jamais pu se marier, ou des jeunes époux que le malheur a vite frappés, dans la joie même des cérémonies.

 

[III-4 : Gen] La conversation n’est pas à sens unique : à mesure que le vieil homme, parfois appuyé par ses villageois, évoque la malédiction pesant sur le village de Koryo et la vilenie de Gen, les aventuriers jouent franc jeu, et ne cachent rien de leur situation, de leur propre malédiction. Les villageois ne sont pas le moins du monde méfiants : tout les incite à croire chacune des paroles des aventuriers. Du coup, ces derniers expliquent qu’ils ne peuvent pas passer la nuit au village – mais ils ne s’enfonceront certainement pas dans la foret hantée pour l’heure ! Et l’idée de dormir dans les ruines où Gen vient tout juste de se manifester ne les enchante guère… Les villageois les guident jusqu’à une grange inutilisée à mi-distance : c’est là que s’installe le petit groupe.

 

[III-5 : Hideto, Yasumori, Ayano : Sekine Senzo ; Gen, Shim Na Yung] La fin est proche – tous le savent. Ils sont arrivés à Koryo, et ne pourront pas atermoyer. La discussion reprend donc sur les moyens de se libérer de la malédiction de Gen avec la crainte de devoir livrer bataille sur son terrain… Entrer dans la forêt de Koryo leur paraît suicidaire : ils vont donc tenter d’attirer le kitsune en dehors – peut-être dans les ruines, du bon côté du village ? Mais c’est aussi l’occasion, en dernière extrémité, de revenir sur les idées qu’ils avaient développées en chemin : Hideto pourra certes user de ses gâteaux aux haricots rouges (le village est pauvre, mais il y a néanmoins de quoi cuisiner ce genre d’appâts), mais l’idée de Yasumori, tournant autour de son mariage avec l’esprit renard, s’associe aux projets théâtraux d’Ayano, à la lumière des derniers développements. La marionnettiste a beaucoup d’idées, et se met en place un projet de représentation théâtrale, mêlant marionnettes et « vrais comédiens » (eux-mêmes, en fait), qui consisterait dans un premier temps à mettre en scène l’histoire de Gen et de la princesse Shim Na Yung, dans une perspective d’excuses rituelles pour les méfaits causés par les ancêtres des aventuriers, introduisant le moment venu une offre de « réparation » consistant en le mariage du renard avec la charmante Yasumori. Ayano a bien conscience qu’il lui faudra réaliser une prestation extraordinaire – véritablement brillante, dans le texte comme dans l’exécution : le kitsune ne se contentera pas de moins. Mais elle est persuadée que c’est la meilleure carte à jouer, et le petit groupe l’approuve (dont Maître Senzo, tout disposé à l’aider pour rédiger le texte de la pièce – la conjonction de leurs deux éruditions, si différentes, pourrait aboutir à quelque chose d’intéressant !) –, ainsi que les paysans de Koryo quand ils leur font part de leur plan. Ils décident ensemble de jouer la pièce dans les ruines où ils ont survécu à l’embuscade de Gen, choix accepté là encore par les villageois ; ils fixent enfin la date de la représentation à la prochaine pleine lune, ce qui leur laisse quelques jours pour peaufiner le texte et les accessoires : la première du spectacle sera aussi la dernière, ils le savent très bien – ils n’ont pas droit à l’erreur… Mais, tandis que l’heure de la représentation approche, Ayano et Senzo, travaillant sur le texte, après que la première a conçu des marionnettes adaptées, vêtues de kimonos qu’elle a dessiné et conçu en empruntant à ses propres vêtements et à ceux de Yasumori (les paysans de Koryo sont bien trop pauvres pour disposer d’étoffes de qualité), ont la conviction de faire un bon travail – un excellent travail, même...

 

[NB : Les joueurs, jusqu’alors, n’avaient que rarement eu recours à leurs Points de Destin et Points de Personnage (si ce n’est Yasumori çà et là, et Hideto quand il lui avait fallu adresser le message secret à la forteresse d’Ashiga Tomo assiégée), mais ils lâchent tout au fur et à mesure du déroulement de cette ultime séquence ; je ne vais pas tenir le détail des dépenses, seulement mentionner à l’occasion les résultats les plus brillants : or l’élaboration du texte de la pièce par Ayano et Senzo, pour le coup, relève largement de la réussite exceptionnelle, et, par la suite, Ayano se montrera toujours plus que compétente dans la gestion de la mise en scène, que ce soit au stade de la préparation ou en cours même de représentation, quand la tournure des événements lui imposera d’improviser.]

 

[Ellipse de quelques jours, durant la préparation de la pièce, jusqu’à la pleine lune, date retenue pour la représentation.]

 

IV : LE THÉÂTRE À L’ORÉE DES BOIS

 

[IV-1 : Ayano : Gen] Le grand soir est venu. La nuit est tombée, et la pleine lune dégagée éclaire les ruines où a été montée la scène. Outre le dispositif proprement théâtral, d’autres éléments ont été agencés, dont une table riche en victuailles (autant que faire se peut dans le pauvre village de Koryo, qui a néanmoins sacrifié ses réserves dans l’espoir que la pièce de théâtre mise en scène par les étrangers les débarrasse enfin de Gen), comportant entre autres de ces pâtisseries aux haricots rouges dont raffolent les kitsune… Les villageois viennent ensemble pour assister à la pièce, dont l’ouverture ne tardera plus guère ; en fait, au moment précis où Ayano, plus que jamais maîtresse de cérémonie, assurant le récital de la pièce autant que son accompagnement musical et gérant par le menu tous les détails de la mise en scène, commence à se demander s’il ne faudrait pas commencer, Gen fait son apparition… et sans artifices ou déguisement : il apparaît sous la forme d’un renard bipède vêtu d’un kimono anachronique mais de qualité d’où jaillissent ses neuf queues. Il rejoint d’ailleurs le théâtre sans la moindre débauche d’effets spéciaux, se contentant d’arriver « naturellement », à pieds et sans escorte ; seul petit détail incongru à cet égard : il a emporté avec lui une bûche… Arrivé sur place, il adresse quelques signes de tête polis mais narquois aux paysans terrifiés, fait une halte à la table où sont entreposées les victuailles pour razzier les gâteaux aux fruits rouges, dont il se bâfre littéralement, puis, faisant s’écarter deux villageois dont le vieil homme qui dirige la communauté, il prend place entre eux au premier rang, la bûche entre les pattes : le spectacle peut commencer – il le fait clairement entendre entre deux bouchées de gâteaux, équivalent dans ce cadre d’un mangeur de pop-corn dans une salle de cinéma...

 

[IV-2 : Ayano, Takemura, Yasumori, Hideto : Sekine Senzo] Premier acte. Ayano fait des merveilles, déployant tous ses talents d’artiste – car elle est à l’évidence extrêmement talentueuse, bien plus que ce que son statut de marionnettiste ambulante pouvait laisser supposer : elle allie ici au divertissement populaire une qualité de fond digne des plus éminents dramaturges. Le texte conçu avec Maître Senzo coule tout seul, avec naturel, aussi élégant que poignant. La mise en scène est à l’avenant, qui repose aussi sur la disposition de ses compagnons : Ayano dirige le spectacle au centre ; à sa droite se trouvent Senzo et Takemura ; à sa gauche, Yasumori et Hideto. Tous font office de « chœur » des accusés – les descendants endossant les méfaits de leurs ancêtres ; ils ne sont pas des comédiens brillants, quant à eux, mais Ayano les a suffisamment formés pour qu’ils jouent leur rôle dans cette représentation cruciale. Le spectacle est de très bonne tenue – et Ayano sait l’orienter de sorte qu’il implique directement Gen, mais avec subtilité. Le rusé kitsune est sans doute imbattable sur le plan du bluff, mais Ayano se montre très fine dans son propre registre, et cela semble fonctionner : en tout cas, Gen a l’air de plus en plus intéressé, happé même par le récit et sa mise en scène – au point d’avoir abandonné son comportement de rustre gourmand. Ayano a le sentiment que le poisson a mordu à l’hameçon, mais se garde bien de tout triomphalisme prématuré : au contraire, elle sait apporter à la pièce les inflexions qui lui semblent les plus productives pour captiver le plus éminent de ses spectateurs.

 

[IV-3 : Gen : Shim Na Yung] La pièce en arrive au deuxième acte : la mise en place achevée, le récit approche d’un premier morceau de bravoure, son moment le plus périlleux peut-être – la reconstitution des noces de Gen et de la princesse Shim Na Yung… et le meurtre de cette dernière. La tension est palpable – pour tout le monde… Mais Gen a encore des tours dans son sac, et, volonté délibérée de nuire à la pièce ou autre chose, il en perturbe le déroulement en faisant arriver « les siens » en pleine représentation : tout un cortège d’esprits et de fantômes, ses familiers de la forêt de Koryo, complices et victimes, qui arrivent en groupe et s’installent nonchalamment au milieu des paysan apeurés – mais suffisamment contenus pour ne pas fuir en hurlant : le vieux chef de la communauté y a veillé. Pourtant, la scène est aussi folle que terrifiante…


[IV-4 : Takemura, Ayano, Yasumori, Hideto : Gen, Sekine Senzo, « Aki »] Et Gen a pris soin de mêler à ce cortège démoniaque des personnages inédits, destinés à désarçonner les comédiens : Takemura remarque ainsi, parmi la foule, des soldats défunts qui furent ses compagnons d’armes, peut-être ceux-là même qui l’ont incité à prendre sa retraite – autant de morts-vivants dont les blessures fatales marquent l’apparence : là un jeune homme décapité, ici un autre compagnon à la main droite tranchée, un troisième les yeux crevés et ruisselant de sangSenzo, quant à lui, voit le daimyô à la cour duquel il avait longtemps servi – mais qui avait dû mourir par seppuku après qu’il avait rejoint le « mauvais camp » à la bataille de Sekigahara ; le vieux noble a le ventre ouvert, dont jaillissent régulièrement les tripes, qu’il « range » autant que faire se peut à chaque fois, avec des gestes qui auraient été burlesques si le tableau n’était pas si terrifiant. Concernant Ayano, c’est sa défunte sœur Aki qui fait son apparition – la prostituée ivrogne de Kengo, dont le corps porte les stigmates de sa rude vie… et de sa fin tragique, victime de la malédiction du sabre. Yasumori, elle, l’orpheline, revoit ses parents – le couple aimant et souriant qui l’avait élevée, toute petite, à Nagasaki, dans cette époque bénie où elle n’était qu’une enfant comme les autres, dans cette ville qui lui plaisait tant ; Hideto, enfin, remarque immanquablement parmi la foule certains de ses clients « mécontents », parfois, autant le dire, ses victimes… et nombre de chats, ses petits animaux de compagnie, tant aimés, qui l’avaient suivi au fil de ses errances.

 

[IV-5 : Takemura, Ayano : Gen ; Shim Na Yung] La plupart des « comédiens » s’attendaient à quelque mauvais tour de la sorte, et, globalement, ils l’encaissent plutôt bien… Mais Takemura est visiblement perturbé, et Ayano s’en rend compte. Or son rôle sera bientôt crucial dans la pièce : lui qui porte toujours le sabre maudit dans son fourreau est supposé le déposer comme en offrande devant le public – et donc devant Gen – avant la grande scène du meurtre de la princesse Shim Na Yung. Ayano redoute qu’il n’en soit pas capable, ou tente alors de commettre quelque bêtise… Elle improvise : tout en adaptant le texte sur le moment, avec l’aisance des plus grands artistes, elle déambule sur la scène, et, passant devant Takemura, elle lui demande le sabre ; le vieux soldat, livide, comprend bien la raison de cette modification imprévue, et lui donne l’arme maudite, qu’Ayano va déposer devant la scène, à la place prévue.

 

[IV-6 : Ayano : Gen ; Shim Na Yung] La tentative de Gen de perturber le cours de la pièce a donc échoué ; mais le kitsune n’en est que plus impénétrable… Il a l’air d’être captivé par la pièce – ne tenant pas compte du manque de réussite de son intervention. Ayano se demande s’il a compris qu’elle avait improvisé – et si cela doit changer quelque chose à la suite de la représentation… Elle n’a de toute façon pas le choix : avec ses marionnettes, elle « joue » le meurtre de Shim Na Yung, et le désespoir non feint du prince Gen ; elle s’y prend bien, le résultat est aussi émouvant qu’artistiquement bien conçu – le renard ne semble certes pas réagir, mais, plus exactement, c’est qu’il contient l’expression de ses sentiments. Ayano sait cependant qu’elle n’aurait jamais pu faire mieux, de toute façon, et poursuit.

 

[IV-7 : Ayano : Sekine Senzo] Car la pièce n’est pas finie : elle a un troisième acte, qui lui est propre, et inconnu en tant que tel dans la vieille légende conservée dans les archives d’Ashiga Tomo – les excuses des descendants des officiers traîtres, sinon des officiers eux-mêmes… C’est ici que la pièce prend une tournure plus « rituelle », qui en change l’allure générale, même si Ayano et dans une moindre mesure Senzo ont fait en sorte que le propos demeure cohérent. Cette fois, la marionnettiste ne présage pas du théâtre jôruri à venir, mais emprunte des procédés au théâtre , pour exprimer la dimension spirituelle et surnaturelle du récit. Cela va cependant au-delà : il est temps pour les « comédiens », qui constituaient jusqu’alors le chœur maudit se répandant en solennelles excuses quand le texte y appelait, de rendre ces excuses plus concrètes… en simulant le seppuku.


[IV-8 : Takemura, Hideto, Yasumori : Gen, Sekine Senzo] Takemura est le premier : avec la dignité quelque peu sèche qui sied à son passé martial, le vieux soldat promène un tantô sur son ventre, simulant à la perfection ce rite auquel il avait sans doute déjà assisté. Mais Gen, qui en revient à ses sinistres farces, décide de perturber à nouveau le cours de la pièce : alors même que Takmura se contente de simuler le seppuku, le vieux soldat comme ses compagnons et l’ensemble de l’assistance voient ses tripes fumantes se répandre devant lui ! L’illusion est parfaite – dans l’assistance, plusieurs paysans tournent de l’œil… mais, plus gênant, Hideto aussi blêmit. Les autres encaissent le coup : c’est une illusion, rien d’autre, ils le savent, et déploient des trésors de concentration pour conserver leur sang-froid. Ce dernier trait de caractère, marqué chez Sekine Senzo, lui permet de dépasser la répétition sur son propre ventre de la même illusion. Yasumori, chez qui le rite est subtilement différent, du fait de son vœu d’épouser Gen, qu’elle doit exprimer alors, joue justement de cette implication tout autre pour faire la démonstration de son assurance et permettre à la pièce de suivre son cours.

 

[IV-9 : Hideto, Ayano, Yasumori] Mais Hideto… bloque. Alors qu’il sait bien qu’il ne s’agit que d’une simulation, au moment d’appuyer le tantô sur son ventre, il est obnubilé par l’idée d’effectuer véritablement le seppuku – d’autant qu’il voit toujours, lui, les simulacres de tripes tombés devant chacun de ses compagnons. La pièce, qui jusqu’alors suivait magnifiquement son cours même au milieu des pires difficultés, en est cette fois affectée de manière visible : les trésors d’inventivité d’Ayano lancée dans une improvisation particulièrement ardue n’y changent rien, et la tentative désespérée de Yasumori décidant « d’aider » Hideto à simuler le seppuku sonne faux… au point où ça en devient franchement gênant. Ayano, tant bien que mal, conclut la pièce – la représentation parfaite a été gâchée par cet ultime ratage.

V : RÉCEPTION CRITIQUE DE LA TRAGÉDIE


[V-1 : Ayano : Gen, Sekine Senzo] Mais Gen, après un silence prolongé et très inconfortable, se met à applaudir – d’abord très lentement, et seul, puis de manière plus vive, et il est enfin suivi par les esprits et autres fantômes de la forêt de Koryo, et enfin par quelques paysans indécis. Il se lève, tend les bras pour obtenir le silence – qui tombe d’un seul coup –, puis prend la parole : il remercie tout d’abord « la troupe », et de manière sincère à vue de nez ; depuis des siècles qu’il s’attire l’inimitié des hommes, c’est bien la première fois que ses victimes tentent d’user avec lui de quelque chose de subtil et même raffiné – quel contraste avec cette théorie de brutes se jetant sempiternellement sur lui, persuadés de mettre fin à sa longue existence d’un coup de sabre mal assuré ! Les autres… se contentaient toujours de larmoyer sur leur sort, implorant la pitié du renard – il les imite, alors, ridiculisant ces pathétiques geignards ! Dans le fond, peut-être la démarche des aventuriers n’est-elle pas très éloignée de ces médiocres tentatives – mais elle a pour elle d’avoir été distrayante et inventive, et finalement bien plus honorable : au moins ont-ils reconnu les torts de leur lignage ! Les compliments du kitsune visent alors tout particulièrement Ayano, qu’il félicite pour son art – louant aussi le texte conçu avec Maître Senzo. Remarquable ! Qu’importe le petit ratage final – même s’il promet d’y revenir : le fait est que c’était du grand art ! Le renard dit même que, un siècle ou deux plus tard, pour une aussi belle pièce de jôruri, Ayano aurait pu être acclamée dans les meilleurs théâtres d’Osaka, peut-être même entrer dans l’histoire à l’instar de ce Chikamatsu qui n’est même pas encore né… Hélas pour elle, cette représentation unique sombrera inévitablement dans l’oubli. Ce qui lui importe peu, cela dit : il a apprécié le spectacle, et c’est bien l’essentiel. La Dramaturge s’en contentera, sans doute ?

 

[V-2 : Gen] Le renard s’interrompt – puis leur adresse à tous un grand sourire carnassier : cette représentation produira-t-elle ses fruits ? Gen les libèrera-t-il de sa malédiction ? Il laisse un silence pesant s’instaurer… Puis tranche enfin : oui ! Il a vraiment apprécié. Mais il est un critique exigeant… Et en position de force : il pose ses conditions, au nombre de deux.


[V-3 : Yasumori : Gen ; Shim Na Yung] Gen se tourne tout d’abord vers Yasumori – qui offrait donc d’épouser le kitsune en paiement des crimes de ses ancêtres. L’idée séduit le renard – d’autant que la jeune fille n’est pas seulement charmante... Fort charmante en vérité ! [NB : le joueur avait régulièrement dépensé PD et PP dans ses jets de Charme, Compétence de toute façon élevée à la base chez Yasumori, et a obtenu des succès considérables.] Mais le renard perçoit aussi tout son cynisme, son égocentrisme marqué, sa morale très relative… et son goût des mauvaises farces ! Elle n’en est que plus séduisante à ses yeux. Oui, elle fera une épouse très satisfaisante – bien plus, si ça se trouve, que la pauvre Shim Na Yung en son temps… Yasumori n’en dit rien, restant digne telle une fiancée dans ces circonstances, mais elle n’en pense pas moins : ils ont bel et bien des points communs – et épouser le renard, au fond, n’a rien d’un sacrifice pur elle ! Gen en est ravi : il y aura enfin un mariage en forêt de Koryo ! Les paysans rentrent la tête…

 

[V-4 : Hideto, Yasumori : Gen] Puis Gen se tourne vers Hideto – qui voyait venir le coup, s’il n’osait rien dire… C’est la deuxième condition du renard : il ne se satisfera pas du lamentable ratage de l’apothicaire. Déjà qu’à tout prendre il ne devrait pas se satisfaire d’un simulacre en la matière, dit-il en dévisageant ses autres « victimes »... Mais il est bon prince : Hideto seul devra mourir. Qu’il accomplisse le seppuku – qu’il l’accomplisse vraiment –, et le kitsune libèrera les survivants de la malédiction du sabre ! Hideto sait qu’il n’a pas le choix – mais cela n’arrange en rien les choses : sa volonté trop faible, en dépit de tous ses efforts, ne lui permettra jamais de s’ouvrir le ventre… Et tout le monde ici en est conscient. La situation semble coincée dans une impasse, malgré les fiançailles de Gen et de Yasumori… et cela réjouit visiblement le renard, dont le sourire carnassier se fait plus inquiétant encore, si c’était possible ! Le silence est pesant…

 

[V-5 : Takemura, Hideto : Gen] Mais c’est Gen qui le rompt enfin : oui, le renard est bon prince ! Il permettra à Takemura d’officier en tant que kaishakunin pour Hideto – qu’il use du sabre maudit pour trancher la tête de l’apothicaire, à la condition que celui-ci ait bien fait le geste de se suicider, et Gen récompensera le vieux soldat en lui léguant le katana libéré de sa malédiction. Takemura n’est pas très enchanté à cette idée – même s’il sait que c’est là une sortie honorable, et qu’officier en tant que kaishakunin n’a en principe rien du travail d’un bourreau ; en la circonstance présente, cependant… Le vieux soldat demeure digne, mais tente de négocier : il est tout disposé à mourir à la place de Hideto – l’apothicaire est encore jeune, il a bien des choses à vivre… Cela énerve Gen et la tension monte d’un cran : il ne négociera pas ! Il se montre déjà bien trop généreux avec cette offre, que l’on n’abuse pas de sa gentillesse ! Il le ferait chèrement payer… Chose que Takemura, qui, l’espace d’un instant, avait songé à se ruer sur le renard sabre en main, sait fort bien : l’emporter sur le renard est peu vraisemblable, et si, par miracle Takemura parvenait à le tuer, nul doute que le kitsune emporterait avec lui dans la tombe tout le village de Koryo assemblé ici même… ainsi que ses compagnons, dont Hideto, décidément condamné. Takemura se résout à obéir à Gen – alors même que Hideto en larmes le prie d’accepter : il est dévasté par la honte… Takemura prend place aux côtés de l’apothicaire ; Hideto, au milieu des sanglots, trouve enfin la force d’âme nécessaire, et enfonce le tantô dans son ventre dans un cri de douleur, de honte et de rage mêlées. Takemura, avec application et sans plus attendre, livre le plus beau coup de sabre qu’il ait jamais exécuté sur tant de champs de bataille : la tête de Hideto roule par terre, et l’apothicaire s’effondre en avant sur sa propre lame – le seppuku a été exécuté dans les formes, l’apothicaire est mort honorablement.

 

[V-6 : Takemura : Gen ; Kuzuri Hideto] Takemura, abattu par son rôle tout en en pesant bien la dignité et la nécessité, se tourne alors vers Gen – non sans colère dans ses yeux. Le renard le fait mariner quelque temps, avec son sourire plus carnassier que jamais, puis offre un spectacle plus débonnaire et gentiment moqueur : il est certes un farceur, mais pas un menteur, en pareilles circonstances du moins… D’un geste majestueux, et d’une extrême lenteur, il redresse la lame maudite, que Takemura tenait pointée vers le sol et qui dégoulinait du sang de Hideto : avec soin, Gen passe sa patte droite sur le fil de la lame, en en essuyant le sang – puis, en se montrant autrement léger, il affirme que « c’est fait » : le sabre est débarrassé de sa malédiction. Et, aux oreilles de tous ceux qui sont rassemblés dans les ruines, cela ne fait aucun doute – le kitsune a bien tenu sa promesse : d’une manière ou d’une autre, ils savent qu’il a tenu parole.

 

[V-7 : Yasumori, Ayano, Takemura : Sekine Senzo, Gen ; Kuzuri Hideto] Yasumori comprend qu’il est temps pour elle de faire ses adieux : elle se montre assez démonstrative envers Ayano, dont le talent seul a permis de parvenir à cette conclusion heureuse – plus heureuse que tout autre, du moins… Elle se montre plus expéditive concernant Takemura… et le cadavre de Hideto, qu’elle honore cependant d’un hochement de tête. Quant à Maître Senzo… Le sourire chafouin et les yeux rieurs, elle se moque une dernière fois du « couard pédant », qui n’ose rien répondre. Gen, resplendissant dans son apparence de renard – vêtu pour le mariage, maintenant –, et visiblement des plus réjoui, saisit alors sa promise par le bras, non sans délicatesse, et jette à l’assistance médusée : « Un mariage en forêt de Koryo ! » Puis tous deux s’avancent à la lisière des bois, Gen appuie sa patte contre un tronc, et les fiancés sont engloutis ensemble dans l’arbre…

 

[V-8 : Ayano, Takemura : Sekine Senzo ; Kuzuri Hideto] Le départ du renard et de sa promise – bientôt suivis par tous les esprits de la forêt – a plongé les ruines dans un profond silence. Ayano, Takemura et Senzo échangent des regards interloqués, peut-être pas tout à fait convaincus de ce qui s’est produit – sans doute la plus heureuse des fins qu’ils pouvaient souhaiter, pourtant ! Même en prenant en compte le cadavre du pauvre Hideto, accusateur, et sa terrible humiliation – qu’une mort honorable a peut-être racheté, sans vraie certitude… et sans que cela ait rendu la scène moins douloureuse, en tout cas. Les villageois sont tout aussi perplexes. Ils ne semblent tout d’abord pas bien réaliser les conséquences de la scène… Mais, bientôt, des chuchotis en témoignent, ils comprennent : leur village est enfin libéré de sa malédiction ! Après des siècles, des millénaires peut-être, à souffrir des méchantes facéties de Gen, ils sont enfin libres ! Pourtant, ils ne se répandent pas en cris de joie… Sentiment que comprennent les aventuriers : eux-mêmes ne réalisent pas tout à fait qu’ils ont, autant que faire se peut, obtenu de ne plus être maudits. Mais il y a autre chose, chez les villageois… Un non-dit, qu’exprime enfin, après quelques atermoiements, le vieil homme à la tête de la communauté : peuvent-ils prétendre avoir triomphé du « démon » ? Loin de là ! Ils ont pactisé avec lui… C’est donc lui qui l’emporte, en définitive ! Nul remerciement, donc, pour avoir libéré le village de Koryo de sa malédiction… Et Ayano, Takemura et Senzo ne se sentent pas de protester contre l’ingratitude manifeste des villageois. Taciturnes, ils ne s’attardent pas davantage à Koryo – ce village qu’ils ont sauvé, en se sauvant eux-mêmes… Mais quelque chose ne va pas ; ils le sentent bel et bien, d’une manière ou d’une autre. Et ils reprennent la route, incertains quant à leur avenir dans ce monde cruel et changeant...

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CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (05)

Publié le par Nébal

CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (05)

Cinquième séance du scénario de Fabien Fernandez « Lame, l’arme, larmes », tiré de 6 Voyages en Extrême-Orient. Vous trouverez les éléments préliminaires ici, la première séance , et la précédente séance .

 

Je maîtrisais. Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient Goto Yasumori, la voleuse, Hira Ayano, la montreuse de marionnettes, Kuzuri Hideto, l’apothicaire, et Masasugi Takemura, l’ancien soldat.


I : APRÈS LA BATAILLE

 

[I-1 : Takemura, Yasumori, Ayano : Razan Masayuki, Iruma Katsumasa, Iruma Asayi] La bataille a été emportée par les forces assiégées de Razan Masayuki. Tandis que ses cavaliers se lancent à la poursuite des fuyards, pour l’essentiel partis dans la forêt au sud du camp, le vieux seigneur, sur lequel veillent quelques guerriers d’élite, demeure à côté de la tente du commandement ennemi, où se trouvent Takemura, Yasumori et Ayano. Razan Masayuki les observe ; son regard s’attarde plus particulièrement sur Takemura, lequel vient de trancher, à l’aide du sabre maudit, la main droite de son adversaire, Iruma Katsumasa, fils d’Iruma Asayi, malade, qui a quant à lui été sorti de la tente et jeté aux pieds de son adversaire – et qui a vu le triste sort de son fils. Takemura ne cherchait pourtant pas la bataille : ce n’est pas pour rien qu’il a pris sa retraite de soldat, et cela explique qu’il ait ainsi renâclé à se battre, même s’il lui avait bien fallu s’y résoudre… Yasumori, avec l’aide d’Ayano (qui s’était ensuite retirée un peu à l’écart), avait pu se soustraire à la menace de son assaillant, blessé ; toutes deux sont dans l’expectative, peut-être un peu intimidées par le vieux samouraï qui les observe sans dire un mot.

 

[I-2 : Yasumori, Takemura : Razan Masayuki] Yasumori se traîne pour récupérer son deuxième tantô ; elle aimerait rester discrète mais, si c’est avant tout Takemura qui attire les regards, elle se sait observée. Par ailleurs, elle perçoit bien que Razan Masayuki est hésitant – et, clairement, en colère : cela n’échappe pas non plus à ses camarades.

 

[I-3 : Takemura : Razan Masayuki] Takemura, quant à lui, se redresse lentement, et, avec prudence voire obséquiosité, range lentement le katana dans son fourreau – témoignant ainsi de ce qu’il n’a aucune mauvaise intention, et ne représente pas une menace. Razan Masayuki s’avance alors, les dévisage tous, puis revient sur Takemura : « J’ai une dette envers vous. » Idée qui, visiblement, ne lui plaît guère – mais c’est un constat. Takemura acquiesce en témoignant de son respect – à la limite de l’excuse ; mais, guère porté sur l’art oratoire, il ne prend pas l’initiative de répondre, laissant cela à ses compagnons.

 

[I-4 : Ayano : Razan Masayuki ; Tenchi Osami] Ayano, qui s’était abritée pour ne pas être emportée par la cavalcade, s’avance pour s’adresser au seigneur Razan Masayuki. Elle le remercie de leur avoir sauvé la vie. Lui n’a que sa dette en tête. Il explique que, même si leur allure a quelque chose de déconcertant à cet égard, il se doute très bien que le petit groupe n’avait qu’une seule raison de gagner la forteresse d’Ashiga Tomo, même dans ces conditions particulièrement défavorables : l’accès aux archives. Ils pourront s’y rendre – le bibliothécaire Tenchi Osami les assistera le cas échéant. Il incline la tête, commence à s’éloigner, puis se retourne dans la direction d’Ayano : « Après, nous aurons à parler. »

 

[I-5 : Razan Masayuki, Iruma Asayi] Razan Masayuki adresse alors un signe de tête à ses hommes ; sans qu’il ait besoin de dire un mot de plus, trois cavaliers partent aussitôt au galop vers le sud, dans la forêt. Les hommes qui avaient sorti Iruma Asayi de la tente le poussent brusquement à la suite de Razan Masayuki, lequel s’interrompt à nouveau : « Iruma a perdu. Maintenant, il n’est plus mon ennemi, mais mon invité. » Ses soldats cessent dès lors de le brusquer ; Iruma lui-même en est stupéfait. La troupe, pendant ce temps, commence à fouiller le camp, voir s’il serait possible d’en retirer quelques choses ; des blessés sont achevés, tandis que d’autres, de bonnes familles, sont capturés et soignés afin d’en tirer ultérieurement rançon.

II : LOIN DES YEUX

 

[II-1 : Hideto] Hideto est bien loin des autres – qui n’ont pas la moindre idée d’où il se trouve. Épuisé après l’exigeante mission qu’il a accomplie durant la nuit, il s’est réfugié dans une cabane de pêcheur abandonnée à l’est, à quelques kilomètres de la forteresse, et s’y est endormi du sommeil du juste [échec critique] ; il n’a pas la moindre idée de la bataille qui a eu lieu quelques kilomètres plus loin, et ne se réveillera que bien après le lever du soleil. Impossible dès lors de signifier à ses camarades où il se trouve.

 

[II-2 : Sekine Senzo, Tenchi Osami] Retrouver Sekine Senzo ne pose par contre aucun problème, et les personnages s’empressent de le faire venir : l’érudit de leur petite troupe est sans doute indispensable à l’examen des archives de la forteresse d’Ashiga Tomo, dont ils savent qu’elles se trouvent au sommet de la plus haute tour du château, où le bibliothécaire Tenchi Osami les attend.

 

[II-3 : Takemura, Yasumori, Ayano : Kuzuri Hideto, Sekine Senzo, Razan Masayuki, Iruma Asayi] Takemura est cependant inquiet de l’absence de Kuzuri Hideto, et souhaiterait partir à sa recherche ; mais où peut-il bien se trouver ? Takemura ayant suggéré à Hideto d’emprunter la berge ouest du lac, il pense partir dans cette direction. Yasumori, qui s’est d’abord occupée de se soigner, met en avant le fait que des hommes d’armes, fuyards ou vainqueurs, battent les environs, qui représentent une menace ; laisser Takemura partir seul ne l’enchante vraiment pas… Et qui pourrait l’accompagner ? Sekine Senzo et Ayano doivent rester sur place : ils sont les plus à même de se montrer utiles dans les archives… Yasumori suppose qu’elle pourrait accompagner Takemura, mais préfère, dans l’immédiat, guetter Hideto depuis les remparts. Par ailleurs, elle fait la remarque que la malédiction prohibe qu’ils s’attardent à Ashiga Tomo, et elle ne compte pas se montrer trop exigeante à l’égard du seigneur Razan Masayuki ; elle suppose que Hideto saura comment les retrouver, éventuellement en se rendant au camp qu’ils avaient dressé à quelque distance avant de s’infiltrer dans les troupes d’Iruma Asayi, et où ils viennent de retrouver Maître Senzo (ainsi que leur équipement) ; peut-être leur faudra-t-il de toute façon y retourner, pour que les habitants de la forteresse ne souffrent pas de la malédiction du sabre… Takemura concède que les arguments de Yasumori l’ont convaincu : il ne partira pas seul à la recherche de Hideto.

 

III : LES TRÉSORS DES ARCHIVES

 

[III-1 : Ayano, Takemura : Sekine Senzo, Tenchi Osami] Ayano, qui n’entend pas tergiverser, désireuse qu’elle est de se débarrasser au plus tôt de la malédiction, se rend aux archives, accompagnée de Senzo, et de Takemura, finalement. Le donjon est conséquent, il y a beaucoup de place au sommet – les archives sont au moins aussi vastes qu’on le leur avait dit, peut-être plus encore. On y accède en passant tout d’abord par un petit bureau, où se trouve le bibliothécaire, Tenchi Osami – lequel, prévenu, leur ouvre la porte des archives, sans dire un mot ; il ne pénètre d’ailleurs pas à leur suite, mais retourne attendre à son bureau, disponible en cas de besoin.

 

[III-2 : Takemura, Ayano : Tenchi Osami, Sekine Senzo] Takemura, qui ne se sent guère à sa place, s’attarde auprès du bibliothécaire et lui demande s’il a assisté à la bataille, et s’il sait pourquoi ils sont ici ; le vieil homme, un peu bourru, dit ne connaître véritablement les batailles qu’au travers des livres (Takemura suppose que c’est sans doute préférable...)or il y en a beaucoup ici, et il ne doute pas qu’ils y trouveront ce qu’ils cherchent. Le vieux soldat ne cache rien des raisons de leur présence ici : ils ont été maudits, au travers d’un objet dont ils ne peuvent se débarrasser… Tenchi Osami, d’abord un peu surpris, baisse les yeux sur le sabre de Takemura ; dans un soupir : « Dans ce cas, vous trouverez ce que vous cherchez tout au fond de l’aile est, le manuscrit isolé des autres. » Takemura s’incline pour le remercier ; ils se rend sans attendre dans l’aile est, faisant signe à ses camarades de le rejoindre.

 

[III-3 : Ayano, Takemura : Sekine Senzo] Ayano était restée non loin, mais, pour Senzo, c’est une caverne aux merveilles – une bibliothèque de tout premier ordre, riche de livres parfois fort anciens : un vrai terrain de jeu pour un érudit tel que lui. Ayano non plus n’y est pas indifférente, qui sait se trouver là des trésors littéraires. Déambuler dans les archives n’est guère aisé, tant elle croule sous les documents : il faut emprunter des couloirs très étroits, entre des étagères surchargés de « livres » de forme très diverse. En avançant vers l’aile est, Ayano remarque l’âge extraordinaire de ces manuscrits, de plus en plus à mesure qu’ils s’enfoncent dans l’aile est… ce qui ne va pas sans lui poser problème : nombre de ces textes sont en chinois, que ce soit parce qu’ils datent d’une époque antérieure au développement de l’écriture japonaise, ou témoignent d’une coquetterie de lettrés longtemps attachés à cette langue « savante ». Il y a effectivement un manuscrit d’allure bigarrée, composée de nombreux rajouts, qui est distingué, placé sur une sorte de lutrin – clairement celui que le bibliothécaire avait désigné à Takemura. Lequel n’est guère à l’aise dans ce monde qui le dépasse – et un monde si fragile… Quant à Senzo, il ne s’y précipite pas d’emblée : les yeux brillants comme un enfant dans un magasin de jouets, il papillonne entre les rayonnages, poussant régulièrement de petits cris de joie à la découverte de tel ou tel ouvrage extrêmement rare…

 

[III-4 : Ayano : Sekine Senzo ; Tenchi Osami, Razan Masayuki] Ayano dit à Senzo de se concentrer sur l’ouvrage indiqué par le bibliothécaire – qui est au moins pour partie en chinois ancien, qu’elle ne sait pas lire ; Senzo, avec condescendance (« Il est vrai que vous ne savez pas lire... »), délaisse son exploration aléatoire pour étudier le manuscrit isolé. Il est bel et bien composite : dans ses premières pages, il relève de la calligraphie, dans une langue chinoise très ancienne ; mais on n’a censé d’y rajouter des pages, très diverses, au fil des siècles : le manuscrit initial ne comportait que trois ou quatre pages, mais ce sont des dizaines qui sont ensuite venues le compléter ; Ayano, qui l’avait parcouru avant que Maître Senzo ne s’attelle à son étude, avait pu constater, au fil des pages, que la langue passait d’un chinois très académique et qui dépassait ses compétences à une langue japonaise qui peinait tout d’abord à émerger, puis, progressivement, dominait enfin – tandis que la calligraphie soignée des premières pages cédait assez rapidement la place à une écriture plus fonctionnelle. Les pages les plus récentes permettent à Ayano de comprendre qu’il s’agit pour l’essentiel d’une longue et complexe généalogie – des noms très nombreux, associés à des titres tout aussi nombreux. Mais cela ne lui facilite pas la tâche pour autant : les références employées sont pour elle hermétiques, elle ne parvient pas à dater précisément les ajouts, et le chinois des premières pages, qui lui est inaccessible, contient sans doute des bases indispensables à la compréhension de ce qui suit. Ayano s’attarde néanmoins sur les toutes dernières pages, en quête de noms qui lui seraient familiers : effectivement, on y trouve Razan Masayuki, à l’avant-dernière génération ; Ayano remarque aussi que, sur de nombreux feuillets, et systématiquement après quelque temps (sans doute quelques siècles par rapport au début du livre), on trouve une signature ou plutôt un paraphe à chaque page, en forme de griffure noire, qui semble authentifier la généalogie. Ayano saisit sans ménagement Senzo, encore distrait, par le bras, et lui fait part de ses trouvailles.

 

[III-5 : Ayano : Sekine Senzo, Tenchi Osami] Senzo acquiesce ; il constate aussi que le chinois des premières pages est très classique – et d’une très belle langue ! Il va se pencher sur la question, qu’Ayano ne s’en fasse pas, lui saura y trouver ce qui importe vraiment… Senzo se penche sur le manuscrit, et commence à le déchiffrer – Ayano constate qu’il rougit quelque peu : c’est une langue vraiment ancienne – même pour lui… Senzo relève la tête, et demande à Ayano d’aller emprunter du papier, un pinceau et de l’encre au bibliothécaire – il lui adresse alors un signe méprisant de la main, comme pour congédier un domestique… Ayano s’exécute – sans dire un mot, Tenchi Osami lui fournit le nécessaire, qu’elle apporte à Senzo. Ce dernier s’installe et commence à travailler, à traduire le texte dans un japonais moderne (pas tout le texte : le manuscrit original, qui, pour le coup, n’a absolument rien d’une généalogie), puis, au bout d’un moment, s’interrompt : il lui faut davantage de lumière. Qu’Ayano cesse de le déranger : il a besoin de lumière, n’a-t-elle pas entendu ? Ayano va lui chercher ce qu’il demande – après quoi il lui dit de s’éloigner, son ombre le gêne… Ayano se recule en croisant les bras, excédée. Senzo a laissé entendre que ce travail lui demandera du temps.

IV : AUX AGUETS

 

[IV-1 : Yasumori : Kuzuri Hideto] Yasumori, en attendant, s’est soignée et changée – avec des vêtements simples, de paysanne, histoire d’attirer un peu moins l’attention. Puis elle se rend sur les remparts, pour repérer les environs et tenter de guetter Hideto. Elle surveille les berges du lac, mais nulle trace de l’apothicaire. Elle assiste aux suites de la bataille : la fouille du camp par les troupes de Razan Masayuki (avec quelques échos d’affrontements çà et là dans la forêt avec des fuyards), les paysans et pêcheurs qui, timidement, commencent tout juste à réinvestir les lieux… Elle retourne dans le château, et tend l’oreille – pour avoir une idée des conversations.

 

[IV-2 : Hideto] Hideto, de son côté, se réveille enfin, en début d’après-midi – il avait bien besoin de sommeil… C’est sans doute le froid qui l’a réveillé – la cabane de pêcheur n’offre guère de protection en cette saison. Il prend la route du camp, inconscient des événements qui se sont produits. Toujours courbaturé, il n’est pas au mieux de sa forme : il lui faudra bien deux à trois heures pour retourner à Ashiga Tomo.

 

[IV-3 : Yasumori] Yasumori, dans le château, a assisté au retour de nombre de blessés ; mais si la plupart d’entre eux ont été rassemblés dans un dortoir faisant office d’hospice, ce n’est pas le cas de l’un d’entre eux, pourvu d’une armure de samouraï de qualité, et qui a été conduit dans ce qu’elle suppose être la grande salle de réception du château. Elle cherche à s’infiltrer dans les conversations, déplorant la tristesse de la guerre, mais on ne lui prête guère d’attention.

 

V : LA LÉGENDE DU SABRE MAUDIT

 

[V-1 : Ayano, Takemura : Sekine Senzo] Tandis que Maître Senzo travaillait sur le manuscrit, Ayano et Takemura sont restées non loin – la première, piquée par les sarcasmes de l’onmyôji, mais pas au point de quitter les lieux pour autant, le second, même s’il ne se sent guère à sa place et trépigne, parce qu’il est par la force des choses le porteur du sabre, et suppose donc qu’il faut rester à portée au cas où un examen de la vieille lame serait requis.

 

[V-2 : Ayano : Sekine Senzo ; Tenchi Osami, Gen, Shim Na Yung] Senzo a enfin fini sa traduction ; il a pris son temps, aussi bien pour déchiffrer que pour retranscrire, d’une écriture belle et soignée. Il se lève, dit qu’il a besoin de se dégourdir un peu les jambes, et laisse sa traduction à Ayano, qu’il traite toujours comme un larbin ; Ayano en a assez, et lui intime de leur révéler le contenu de ses recherches, mais lui répond qu’après tout elle sait lire… « Certaines choses, du moins... » Il quitte les lieux (il se rend auprès du bibliothécaire Tenchi Osami pour s’entretenir avec lui), et Ayano lit la traduction du manuscrit original par Maître Senzo (aucun problème pour elle ; mais Takemura, lui, ne sait pas lire) :

 

Il y a longtemps de cela, une guerre éclata avec un royaume du continent. Lors des affrontements avec les barbares de Mahan [une confédération de 54 petits États qui a existé du Ier siècle av. J-C. au IIIe siècle dans le sud-ouest de la Corée], les morts ne furent pas comptés. Seuls l’honneur et la guerre avaient droit de cité. De chaque côté, les armées faiblissaient.

 

Enfin, au terme de plusieurs saisons, il y eut une trêve. Chacun campa sur ses positions pendant l’hiver. Les combattants de l’île avaient pris une bonne partie du royaume de Mahan, les défenseurs en profitèrent pour se ressourcer et tenter de trouver des alliés.

 

Parmi les envahisseurs, Gen, un des plus vaillants chefs de guerre, tomba amoureux de la princesse de Mahan. Gen, aidé de ses lieutenants, négocia la paix et son mariage. Au printemps, au lieu de la reprise des hostilités, on célébra les noces à grand renfort de vin de prune, de fleurs et de bijoux.

 

Tout le monde y trouva son compte : les autres chefs de guerre furent invités, et des richesses distribuées. Avec beaucoup de respect, les lieutenants présentèrent à leur seigneur une lame forgée par le meilleur forgeron de Mahan. On la disait si finement ciselée qu’on y voyait des gouttes de rosée gravées.

 

Tout aurait pu finir paisiblement, mais, le soir de la cérémonie, ses avides lieutenants découvrirent que seulement une once du trésor de Mahan leur avait été offerte. Se sentant floués, ils déclenchèrent une nouvelle guerre. Pour cela, ils assassinèrent la princesse Shim Na Yung.

 

Le sang coula de nouveau, et Gen révéla alors sa véritable nature de kitsune [esprit renard]. On ne dit pas comment la guerre se conclut, mais on sait que Gen devint un yako [un kitsune maléfique], et qu’il insuffla une partie de sa magie dans l’épée, et une autre dans la malédiction frappant la descendance des lieutenants qui l’avaient trahi.

 

Depuis ce temps-là, quiconque entre en possession de cette épée, et possède une parcelle de lignage avec les traîtres, voit ses proches mourir un à un. Il est dit qu’un jour, Gen reprendra l’épée pour la léguer et mettre un terme à la malédiction, ou mourra de cette lame.

 

[V-3 : Ayano, Takemura, Yasumori : Gen, Razan Masayuki] Ayano, ayant achevé sa lecture, en révèle le contenu à Takemuraet à Yasumori, qui les a rejoints. Leur ennemi est donc un kitsune du nom de GenS’ils sont tous frappés par la malédiction, c’est qu’ils ont tous, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, un lointain lien de parenté avec des personnages qui avaient agi ensemble plusieurs siècles plus tôt ! Par ailleurs, il y a un lien marqué avec le lignage de Razan Masayuki. Ils doivent, soit éliminer Gen, soit le convaincre de reprendre l’épée ou de la léguer.

 

[V-4 : Yasumori : Kuchi] Yasumori, à la nouvelle que le responsable de leurs malheurs est un kitsune vieux de plusieurs siècles, voire millénaires, songe à la vieille Kuchi, au village de Kengo – elle aussi sans doute était un yôkai… Peut-être un kitsune bienveillant, un envoyé de la déesse Inari ?

 

[V-5 : Ayano : Razan Masayuki] Ayano rappelle à ses compagnons que Razan Masayuki souhaitait s’entretenir avec eux – sans doute en sait-il davantage… Il ne faut pas tarder à le retrouver.

 

VI : LE RETOUR DE L’APOTHICAIRE

 

[VI-1 : Hideto : Razan Masayuki] Hideto retourne enfin à la forteresse d’Ashiga Tomo. Il constate que la bataille a eu lieu, et que ce sont les forces de Razan Masayuki qui l’ont emporté. Aucune idée d’où se trouvent ses compagnons… Il craint qu’ils ne figurent parmi les cadavres ! Des soldats se promènent dans le camp, mais ne lui prêtent pas la moindre attention. Il se rend à la tente dans laquelle ils étaient hébergés, mais n’y trouve rien – si ce n’est son sac en mauvais état, avec plusieurs de ses potions brisées.

 

[VI-2 : Hideto : Iruma Asayi] Hideto n’ayant pas trouvé de trace de ses camarades parmi les cadavres, il interroge un soldat à leur propos – et, maladroit, dit sans y prêter garde qu’il était bien hébergé dans le camp d’Iruma Asayi… Le soldat bourru fait un signe de la tête à deux de ses hommes, qui s’emparent de Hideto, ne tenant pas compte de ses dénégations gênées – il dit même qu’il fait partie de « la Griffe », « comme eux »… Ils n’y comprennent rien, et le conduisent dans les geôles d’Ashiga Tomo. Hideto proteste, demande à parler à Razan Masayuki, mais ils s’en moquent et l’enferment dans une cellule…

VII : LES VILENIES DU RENARD

 

[VII-1 : Ayano, Takemura, Yasumori : Sekine Senzo, Tenchi Osami ; Razan Masayuki] Ayano, suivie de Takemura et Yasumori, sort de la bibliothèque ; Senzo s’entretient avec Tenchi Osami dans le bureau de ce dernier – la culture littéraire d’Ayano lui permet d’avoir quelques idées de ce dont les deux érudits discutent : ils évoquent la généalogie de Razan Masayuki, et une histoire très ancienne (le nom de Mahan n’évoquait rien à Ayano, mais elle peut ainsi dater le manuscrit) ; ils discutent aussi des kitsune, dans toute leur diversité – mais c’est une discussion d’ordre académique plutôt que pratique. Ayano dit à Senzo qu’il est temps d’aller parler avec le seigneur de la forteresse ; l’onmyôji n’apprécie guère d’être interrompu, mais concède qu’elle a raison – et Tenchi Osami se lève pour les accompagner.

 

[VII-2 : Yasumori, Takemura : Kuzuri Hideto, Razan Masayuki] Yasumori s’inquiète auprès de Takemura du sort de Hideto – elle parle de ce qu’elle a vu, d’abord sur les remparts, ensuite devant la grande salle de réception de Razan Masayuki – ce cavalier semble-t-il « important », mais dont elle ne sait rien de plus. Or le temps presse : Yasumori remarque que le soleil ne va guère tarder à se coucher… Takemura ne compte effectivement pas laisser Hideto, dans l’éventualité où il serait toujours vivant, passer une seconde nuit dehors. Il envisage de partir, accompagné, à sa recherche – tandis que Yasumori entend mener son enquête auprès des soldats de la forteresse ; mais après leur entrevue avec Razan Masayuki, la simple bienséance implique de commencer par-là.

 

[VII-3 : Ayano, Takemura, Yasumori : Razan Masayuki, Sekine Senzo, Tenchi Osami] Ils pénètrent tous dans la salle de réception de Razan Masayuki – pas forcément très grande, mais impressionnante néanmoins, de par son ancienneté et sa décoration de bon goût, et témoignant d’un état de guerre. Les gardes n’ont pas fait de difficultés, d’autant que Tenchi Osami était parmi eux. Razan Masayuki est assis au fond de la salle, avec ses conseillers auprès de lui. Le cavalier blessé qu’avait vu Yasumori est étendu non loin du seigneur ; il a perdu conscience, mais est toujours vivant, quand bien même dans un sale état, et des médecins s’affairent à son chevet. Takemura remarque que le simple fait de porter le sabre attire l’attention sur lui bien plus que sur tous les autres, et ça ne le met pas à l’aise.

 

[VII-4 : Takemura, Ayano, Yasumori : Razan Masayuki, Sekine Senzo ; Gen] Le silence pesant depuis leur entrée dans la pièce est enfin rompu par le maître des lieux : « Bien. Vous avez donc trouvé ce que vous cherchiez. » Takemura n’a guère envie de répondre, mais Senzo se contente d’incliner la tête, et le vieux soldat se résout donc à parler – disant qu’ils n’ont cependant guère de pistes à explorer. Razan Masayuki, qui trouve cela « fâcheux », lui demande d’en dire plus. Takemura adresse des coups d’œil à Ayano, Yasumori et Senzo pour ne pas le laisser se dépêtrer tout seul de cette conversation, lui qui n’est guère un homme de discours… Mais les deux femmes se taisent pour l’heure, et constatent un certain agacement chez Senzo : contrairement à ses habitudes d’obséquiosité, il risque de ne pas se montrer très courtois si on lui laisse prendre la parole… Yasumori, à mi-voix, rappelle cependant à Ayano que Razan Masyuki est lui aussi lié par la généalogie à Gen. Takemura, qui les a entendus, parle du kitsune qui leur cause tant de soucis…

 

[VII-5 : Takemura : Razan Masayuki ; Gen] Le seigneur acquiesce : cet esprit démoniaque sévit depuis des siècles… Razan Masayuki demande qu’ils racontent leur histoire – car il a reconnu le sabre, si vieux, le sabre maudit qu’il ne pensait plus jamais revoir… Takemura explique comment « le messager » le leur a « légué », avant de se suicider, et comment ils se sont lancés sur les routes pour mettre fin à la malédiction. Razan Masayuki maudit à son tour Gen (exigeant d’abord que Takemura le nomme ouvertement), qui paiera pour toutes ses vilenies – dont la triste et sordide bataille qui vient d’avoir lieu. Takemura dit qu’ils ont été forcés d’y prendre part. Le seigneur peut-il leur conseiller une marche à suivre ? Oui – dans le vain espoir qu’ils puissent faire davantage que ses propres hommes ; il dévisage alors le samouraï blessé.

 

[VII-6 : Razan Masayuki ; Gen/« Gohan », Iruma Asayi] Razan Masayuki explique ce qui s’est produit. Le change-forme avait pris l’apparence d’un de ses propres conseillers, du nom de Gohan ; il avait l’air d’un honnête homme, érudit et compétent… mais il l’a trahi : il a trahi tout le monde, c’est ce que font les kitsune ! Il a notamment fait échouer le mariage de son fils avec la fille d’Iruma Asayi, ceci alors même qu’il était supposé l’avoir arrangé ; les fiançailles entamées, la cérémonie de mariage approchant, il s’est répandu en calomnies contre la jeune femme – une traînée, une prostituée ! Et il a fait en sorte qu’Iruma Asayi l’apprenne. Puis il a forcé la main de Razan Masayuki, jusqu’à l’amener à rompre les fiançailles et provoquer la guerre… Mais le seigneur ne l’a identifié que bien trop tard – cette nuit seulement, et le kitsune avait déjà pris la fuite, il ne sait comment.

 

[VII-7 : Takemura : Razan Masayuki ; Gen, Iruma Asayi] Or, ajoute le seigneur, quelques heures à peine plus tard, un étrange message est parvenu dans la forteresse d’Ashiga TomoRazan Masayuki les dévisage : ont-ils quelque chose à dire à ce propos ? Takemura admet qu’ils sont intervenus pour brusquer les événements : il leur fallait consulter les archives ! Et c’est pourquoi ils ont agi pour favoriser le camp de Razan Masayuki. Ont-ils mal fait ? Non, certainement pas – et le seigneur se doit de les remercier, même si, en agissant de la sorte, ils lui ont infligé une dette impossible à rembourser… Mais qu’ils comprennent : il démasque enfin le yako, et reçoit alors ce message… Que croire ? N’était-ce pas une nouvelle menterie de Gen ? Mais ses hommes ont constaté, dans les rangs d’Iruma Asayi, l’affaiblissement prédit par leur message. Or, s’il voulait se lancer sur la piste de Gen, Razan Masayuki ne pouvait prendre le temps de discuter avec Iruma Asayi – qui n’avait par ailleurs aucune raison de le croire… D’où cette très regrettable bataille – il y avait une opportunité que le seigneur d’Ashiga Tomo, même dans la douleur, se devait de saisir. Bien des hommes sont morts aujourd’hui, parce qu’il devait traquer le renard. En sont-ils conscients ? Takemura l’affirme – guère courtois de nature, et pas au fait des subtilités en matière de dettes, il avance que le règlement de cette obligation sera obtenu en anéantissant enfin Gen. Tous comprennent mieux la colère de Razan Masayuki : elle n’était pas dirigée contre eux, mais contre Gen – et s’ils ont leur part de responsabilité dans les nombreuses morts de la journée, ce n’est que par répercussion : le kitsune est le seul vrai coupable.

 

[VII-8 : Yasumori : Razan Masayuki ; Gen/« Gohan »] Yasumori décide alors de prendre la parole – l’attitude du maître des lieux semblait l’y autoriser, voire l’y inviter : les morts du passé sont regrettables, mais il s’agit avant tout de prémunir celles de demain ; ils partiront dès que possible sur la piste de GenRazan Masayuki peut-il les aider dans cette tâche ? Il le peut – tout en doutant qu’une petite troupe si disparate et si peu « virile » puisse se montrer plus efficace que ses meilleurs hommes, qui ont échoué… Mais, après tout, ils sont parvenus jusque-là, et ils ont fait ce qu’ils ont fait, au moment précis où leur action était cruciale ; peut-être est-ce un signe ? Peut-être est-ce leur destinée… « Gohan » a fui dans la nuit ; il a un peu d’avance, mais il devrait être encore possible de le rattraper ; il avait adopté les traits d’un marchand de saké, lui a-t-on dit, mais il a pu encore changer d’apparence depuis ; il avait pris la direction du sud-est, vers la ville de Saïki, mais Razan Masayuki ne peut livrer à cet égard d’informations plus précises. Ils doivent cependant se méfier des arbres : la région est très boisée, et le kitsune sait… « voyager » parmi les arbres. Yasumori le remercie pour ces renseignements – citant une fable où le faible est en mesure de venir en aide au fort ; mais ses références sont embrouillées… Peu importe : Razan Masayuki comprend où elle veut en venir, et lui adresse un petit sourire instinctif – sans doute teinté de scepticisme…

 

[VII-9 : Yasumori : Razan Masayuki ; Gen] Plus pratique, Yasumori explique ensuite que la malédiction leur interdit de rester dans la forteresse… Le seigneur en est conscient – de toute façon, il faut qu’ils se lancent au plus tôt sur la piste de Gen ! Il les aidera autant que possible : des vivres, de l’équipement… Mais il ne leur fournira pas d’hommes : outre que la malédiction pèserait immanquablement sur eux, il tend à croire que, s’il faut bien interpréter leur quête comme un signe du destin, ce genre d’aide extérieure serait plus nuisible qu’utile… Ils devront vaincre le kitsune seul. Yasumori acquiesce.

 

[VII-10 : Yasumori : Razan Masayuki ; Kuzuri Hideto] Mais elle mentionne alors qu’un de leurs amis a disparu dans le chaos de la bataille : peut-être le capitaine de la garde pourrait-il les renseigner sur son sort ? Razan Masayuki les autorise à avoir cet entretien – manière aussi de mettre un terme à l’entrevue.

 

VIII : FAIRE LE POINT – ET PARTIR

 

[VIII-1 : Yasumori, Takemura, Ayano : Sekine Senzo ; Gen] Yasumori, une fois dehors, demande à Senzo s’il « s’y connaît » en kitsune, un peu cavalièrement… C’est délicat ; il faut tout d’abord identifier la créature ; or c’est une change-forme… Les kitsune prennent souvent l’apparence de femmes, au passage… Un marchand de saké ? Pourquoi pas – une petite entorse à la tradition qui ne prête pas à conséquences, il peut sans doute se la permettre. Quant à l’identifier… Les chiens repèrent souvent les kitsune, dont ils se méfient ; mais on ne peut pas soupçonner toute personne après laquelle aboie un chien… Les miroirs, sinon – ils peuvent révéler les queues du kitsune. Puis Senzo s’interrompt – comme pris d’une illumination… mais balaie aussitôt l’idée qui lui était venue en tête. Pour le reste, il ne connaît guère que le folklore le plus classique. Mais Takemura n’en regrette que davantage son chien, victime de la malédiction… Ayano fait la remarque qu’elle a un miroir dans ses affaires.

 

[VIII-2 : Yasumori : Kuzuri Hideto] Ils se rendent alors, dans la foulée de Yasumori, auprès du capitaine de la garde. En décrivant Hideto avec soin, parlant de son kimono bleu, etc., elle apprend qu’un « pillard pris à rôder sur le champ de la bataille et qui a été enfermé dans les geôles de la forteresse » pourrait correspondre à cette description. Il s’agit bien de Hideto – qui est libéré sans faire plus de manières ; il n’est par contre pas très présentable, après tout ce qu’il a subi…

 

[VIII-3 : Yasumori, Hideto, Ayano] Yasumori prend une fois de plus sur elle de préparer leur équipement, après quoi ils devront partir au plus tôt : un arc pour Hideto (qui récupère aussi sa caisse, avec plusieurs potions désormais inutilisables, il n’a pas le temps de s’attarder pour en préparer en guise de remplacement), quelques vêtements – des déguisements (notamment pour Ayano), ou des tenues plus chaudes –, des vivres…

 

[VIII-4 : Yasumori, Hideto : Sekine Senzo ; Gen] Mais ils manquent de pistes : un marchand de saké, parmi tous les marchands de saké, qui a pris la direction du sud-est, et peut changer d’allure en un clin d’œil… Cela désole Yasumori. Ils discutent des moyens de retrouver le kitsune, et des pièges qu’ils pourraient tenter de lui tendre, mais voilà : tromper un esprit renard vieux de plusieurs siècles voire millénaires ? L’attirer avec quelque chose d’aussi suspect qu’un trésor à voler ou une de ces recettes aux haricotes rouges dont les kitsune sont supposés raffoler ? La perspective est décidément déprimante… Et Senzo, qui réfléchit dans son coin, semble éliminer hypothèse après hypothèse, sans s’en ouvrir pour autant à ses camarades. Hideto suppose qu’à tout prendre, il est plus probable que ce soit Gen qui les trouve eux, plutôt que l’inverse, le renard ne résistant pas à l’envie de leur jouer un mauvais tour… Yasumori suppose qu’ils n’ont guère d’autre choix que de jouer cette carte, avec tous les périls qu’elle implique. Ils prennent la route – ils ne peuvent pas se permettre de s’attarder encore.

 

[Ellipse d’une semaine.]

IX : DES GÉMISSEMENTS DANS LES BOIS

 

[IX-1 : Gen] Cela fait une semaine qu’ils ont emprunté la route du sud-est. La région est très forestière, par ailleurs coincée entre la mer et la montagne. Ils ont croisé quelques villages en chemin – de plus en plus vivants à mesure qu’ils s’éloignent du champ de bataille d’Ashiga Tomo, où on leur en avait dressé une liste ; parfois, les paysans interrogés semblent avoir entraperçu le marchand de saké… Mais rien de plus concret. Ils poursuivent – n’ayant guère le choix. Dans le dernier village qu’ils ont traversé, enfin, le départ de Gen semble plus proche : il semblerait que le marchand de saké soit cette fois fois parti dans la précipitation…

 

[IX-2 : Ayano, Takemura : Gen] Ils accélèrent le pas. Mais, à mi-chemin d’ici au village suivant, Ayano entend des gémissements (de femme ?) en provenance des bois sur leur droite… Elle en fait part à ses compagnons ; Takemura, par réflexe, pose la main sur la garde du sabre maudit… Le kitsune se serait-il changé en femme ? Éplorée, sur le bord de la route… Ils sont tous méfiants : dans leur esprit, cette rencontre ne peut être un hasard.

 

[IX-3 : Takemura, Yasumori] Ils approchent prudemment de la source des gémissements. Takemura remarque, à mesure qu’ils s’enfoncent dans la forêt, des traces de combat – des branches coupées, tout d’abord… puis des cadavres : trois hommes, dont un d’apparence assez riche – avec un kimono de grande valeur, évoquant peut-être un marchand ; les deux autres ont davantage l’allure de combattants – mais du genre gros bras ou yakuzas, certainement pas des samouraïs, même des rônin. Leurs armes, très banales, reposent à leurs cotés. Les gémissements de la femme proviennent d’un peu plus loin – mais pas trop non plus ; des gémissements évocateurs de douleur… Yasumori, qui a encoché une flèche à son arc, insiste sur le fait qu’il vaut mieux rester groupés.

 

[IX-4 : Ayano] Ils trouvent enfin la femme – jeune, belle, et vêtue d’un kimono relativement luxueux . l’épouse de l’homme riche dont ils ont trouvé le cadavre ? Elle est adossée à un arbre et gémit – de manière très flagrante, elle est enceinte… et elle est blessée, gravement : sans même avoir à se prêter à un examen approfondi, il est évident qu’elle ne tardera guère à mourir si l’on ne prend pas soin d’elle – et son enfant avec elle. Elle n’est par ailleurs pas en état de parler. Ayano, par réflexe, regarde aussitôt son reflet dans son miroir : rien de suspect, c’est bien la femme qui y apparaît…

 

[IX-5 : Hideto, Yasumori, Ayano] Hideto approche de la jeune femme, cherchant à déterminer s’il est possible de la soigner : oui… et c’est donc indispensable s’ils veulent qu’elle survive. Il est possible de lui faire quelques soins d’urgence sur place, mais il faudra sans doute ensuite la transporter dans un village… Il hésite. Doivent-ils se méfier d’elle, et donc la laisser sur place, et continuer leur route comme si de rien n’était ? Le village qu’ils ont quitté est à quelque chose comme trois heures de marche, ils ne sont pas bien certains de la distance qui les sépare du suivant (du nom de Sagara), tout en supposant qu’ils sont à mi-chemin… Pour Yasumori, ils ne peuvent s’encombrer d’elle. Faire l’aller-retour serait une perte de temps. En outre, ils ne peuvent même pas passer la nuit avec elle, la malédiction la tuerait… Mais Ayano la reprend : elle mourra s’ils ne font rien ! Et oseraient-ils encourir le courroux des dieux en laissant cette femme à son sort ? Yasumori n’a que faire des dieux, à l’entendreQue faire ? Les opinions sont partagées… Et l’idée de se séparer ne les enchante pas. Mais ils envisagent alors la possibilité de fabriquer un brancard pour emmener la femme avec eux jusqu’au village de Sagara. Yasumori reste narquoise et cynique : il n’est même pas dit que les paysans viendraient en aide à la blessée ! Elle les connaît, les paysans, ils se serviront, et c’est tout ! Cependant, l’argument d’Ayano la travaille plus qu’elle ne le prétend – non par foi, mais par pragmatisme : elle sait qu’elle ne peut pas encourir davantage le courroux des dieux dans sa situation… Et abandonner la femme sur place, avant d’aller chercher des secours ? Les brigands pourraient revenir, avance Hideto

 

[IX-6 : Takemura, Ayano, Hideto] Takemura est convaincu qu’il faut continuer vers le prochain village, en emmenant la femme avec eux. Désireux de susciter le mouvement, il coupe court à la discussion, et commence à tailler des branches pour construire un brancard – Ayano, très débrouillarde, vient l’assister sans plus d’hésitations, et parvient habilement, en moins de temps qu’elle-même ne le pensait, à fabriquer un engin adéquat. Entre-temps, Hideto apporte des soins d’urgence à la jeune femme, qui lui permettront de tenir jusqu’au prochain village, Sagara. Ils en prennent alors la route…

 

X : SAGARA SOUS LA NEIGE

 

[X-1] Les deux ou trois heures que le trajet leur aurait pris en temps normal sont devenues quatre à cinq heures dans ces conditions, et, quand ils approchent enfin des premières maisons de Sagara, la nuit est déjà tombée depuis longtemps. C’est un petit village – plus petit encore que Kengo ou Hizotachi. Il y a une sorte de maison commune, un peu plus grande que les autres, et la seule éclairée dans le village – les paysans ne veillent guère, de manière générale. Mais il semble y avoir un minimum d’animation dans la maison commune – on entend de l’extérieur des bruits de discussion, même un peu de musique…

 

[X-2 : Ayano] Ayano s’avance et frappe à la porte : les bruits entendus de l’intérieur cessent aussitôt, mais un chien se met à aboyer. Après quelques secondes d’indécision, quelqu’un vient ouvrir : un vieil homme, interloqué, et qui voit aussitôt la jeune femme blessée, laquelle n’a cessé de gémir de tout le trajet. Ayano l’interpelle : ils sont des voyageurs, et ont croisé en chemin cette jeune femme qui a besoin de soins urgents ; ils ne peuvent s’attarder, hélas, mais les villageois pourraient-ils les accueillir temporairement, et prendre soin de la victime ? Assurément ! Le vieil homme les invite à entrer, et dit à ses camarades silencieux dans la maison : « Nous avons des invités ! Mais dans quel état... »

 

[X-3 : Takemura] Takemura pénètre dans la maison commune avant le brancard, et guette la réaction des chiens à l’intérieur, au nombre de trois – mais ils sont parfaitement calmes, allongés près du feu ; ils ne prêtent pas attention à la jeune femme. Se trouve aussi à l’intérieur une petite dizaine d’hommes – aucune femme –, généralement assez âgés, et silencieux ; ils ont été interrompus dans une partie de dés.

 

[X-4 : Ayano] Tous pénètrent à l’intérieur… mais Ayano se sent bizarre. Au fond d’elle, elle sait que quelque chose ne va pas, mais sans pouvoir mettre le doigt dessus… Elle dévisage l’assistance, se concentre pour trouver la source de ce malaise… Sans succès. Mais le sentiment demeure. Elle chuchote aux autres son trouble.

 

[X-5 : Hideto] Le vieil homme leur fait signe de poser le brancard, non loin du foyer ; Hideto s’attelle aussitôt à la soigner. Le calme et l’équipement disponible lui permettent de réaliser des miracles [réussite exceptionnelle] ; il n’a plus aucun doute : si on prend soin d’elle dans les jours qui viennent, sur la base des soins qu’il lui a déjà apportés, elle survivra.

 

[X-6 : Yasumori, Ayano, Takemura : Gen] Yasumori pensait expliquer leur situation au vieil homme, sans doute le chef de la petite communauté, mais Ayano l’intercepte : son trouble persiste… Il doit y avoir un lien avec le kitsune, c’est obligé. Elle ne sait pas ce qu’il en est au juste… mais quelque chose ne va pas ; et elle craint de laisser la jeune femme à la garde de ces hommes qu’elle ne peut que trouver suspects. Takemura se joint à elles. Ils sont maintenant tous aux aguets – Yasumori, comme Ayano, est perturbée, sans savoir exactement par quoi… Takemura n’a pas ce sentiment en lui-même, mais voit bien que ses compagnes sont mal à l’aise… Le vieux soldat se place dos au mur, prêt à dégainer – sans se montrer hostile pour l’heure.

 

[X-7 : Yasumori, Hideto] Yasumori décide d’aller faire un tour dans le village – au prétexte d’aller quelque chose d’utile à Hideto dans leurs bagages, à l’extérieur ; Hideto comprend son intention, et joue le jeu – mais il est lui-même trop pris par ses soins pour vraiment faire attention à ce qui se passe autour de lui. Les occupants de la maison commune, dont le « chef », l’observent dans ses soins – lui apportant de l’eau ou des bandages quand il en fait la demande.

 

[X-8 : Yasumori] Yasumori sort de la maison commune, et jette un œil au village [échec critique], dont les rues sont désertes ; il n’y a pas de lumière dans les autres maisons, aucun signe d’activité ; mais rien de suspect à proprement parler. Elle ramasse une bouteille d’huile dans son sac, et retourne à l’intérieur.

 

[X-9 : Hideto : Gen] Hideto a fini son travail, pour l’heure, et fait l’objet des félicitations du vieil homme : « Vous êtes un excellent médecin ! Vous avez sauvé cette femme ! Et son enfant ! » Hideto multiplie les courbettes : son hôte exagère, il n’a fait que son devoir… Mais à peine a-t-il prononcé ces mots que l’homme à sa droite s’effondre subitement en arrière. Alors que Hideto, interloqué, se demande ce qui se passe, un deuxième homme, le voisin du précédent, s’effondre de la même manière… et un troisième ne tarde guère ! Le vieil homme qui les avait accueillis s’approche quant à lui de la femme blessée en souriant, alors qu’un quatrième convive s’affale. Il montre à Hideto sa main paume ouverte – et des griffes apparaissent en lieu et place de ses ongles ; d’un geste vif et assuré, il tranche la gorge de la jeune femme… Tous ceux qui étaient encore debout, des villageois, tombent à leur tour en arrière. La vision des aventuriers se floute un instant, puis change du tout au tout : ils voient maintenant une pièce aux murs maculés de sang, et une dizaine de cadavres de villageois jonchant le sol… Seul le vieil homme est toujours vivant, qui les regarde en riant : « Je vous prie de m’excuser… Vous êtes un nouveau public pour moi, et pour l’heure je ne sais pas encore juger quelles sont les blagues véritablement drôles avec vous... » Il leur adresse un sourire carnassier, puis plonge à travers une fenêtre.

 

[X-10 : Takemura : Gen ; Razan Masayuki] Takemura, aussitôt, se lance à sa poursuite, mais sans dégainer son sabre pour le moment. Il perd du temps à franchir la fenêtre à son tour… Et, dehors, c’est la nuit noire, il ne voit absolument rien. Puis il entend un éclat de rire sur sa droite. Il se dirige dans cette direction, plus prudemment – la forêt est très proche. Il parvient à distinguer le vieil homme, appuyé nonchalamment contre un arbre, et qui le nargue : « Pour un vieillard, vous avez d’excellents yeux ! Je le note – cela pourra servir plus tard... » Puis, alors qu’il semble appuyer sa main contre le tronc, il l’engloutit en fait dedans, et tout son corps suit. Gen voyage à travers les arbres, les avait prévenus Razan Masayuki… et il est impossible de suivre le kitsune dans ces conditions. Penaud, Takemura fait son rapport aux autres à l’intérieur, dans la maison commune qui n’est plus qu’un charnier.

 

[X-11 : Yasumori, Ayano, Takemura] Yasumori veut agir vite : Il faut le débusquer ! Mettre le feu à la forêt ! Ayano y est favorable : le feu nettoiera toute cette saleté… Yasumori sort dans le village, et ouvre la porte d’une maison au hasard : à l’intérieur, des cadavres… comme dans toutes les autres bâtisses de Sagara, qui n’est plus qu’une ville-fantôme. Yasumori s’empare d’une torche, et, répugnée, met le feu à trois huttes de cet endroit maudit. Takemura, abattu, la regarde faire. Puis Yasumori prend la direction de la forêt : il faut le provoquer ! Mais, le temps qu’elle arrive à la lisière des bois, la neige se met à tomber sur le village, qui éteint l’incendie…

 

[X-12 : Hideto, Yasumori, Ayano : Gen] Pour Hideto, il est vain de vouloir suivre Gen dans ces conditions. Sans doute est-il déjà très loin… à moins qu’il ne les regarde, s’amusant de leur désarroi. Et Yasumori remarque alors que la neige… ne tombe en fait que sur les maisons auxquelles elle avait mis le feu. Ayano n’a plus qu’une envie – quitter ce village qui n’est plus qu’une blague sinistre…

XI : LES FIANÇAILLES TOUJOURS ROMPUES

 

[XI-1 : Yasumori, Takemura : Sekine Senzo ; Gen] Ils ont repris la route – même dans la nuit, même dans le froid (la neige ne les suit pas, cependant). Ils marchent jusqu’à l’aube, ne croisant rien d’ici-là. Ils dressent le camp quand le soleil s’est levé. Yasumori rumine : la neige, encore une blague du renard ? Cela peut-il leur apprendre quoi que ce soit sur lui ? Est-il lié à l’eau, par exemple ? Pour Takemura, ce que cette aventure leur a appris, c’est que les pouvoirs du kitsune sont de toute façon démesurés : une illusion pareille, si complexe, et englobant tout un village ! Ils se tournent tous deux vers Maître Senzo… qui est visiblement terrifié. Cette démonstration de pouvoir l’a complètement abattu – or il sait très bien que fuir n’est pas une option… Et, pour l’occultiste, se confronter de manière très concrète à des pouvoirs qu’il n’avait jamais vus que dans des livres est une expérience très déconcertante. Que faire – si ce n’est attendre le prochain coup de patte, qui ne manquera pas ?

 

[XI-2 : Takemura : Sekine Senzo] Takemura se montre sarcastique concernant les « compétences » de Senzo, qui perçoit bien l’insulte et n’apprécie pas : il réfléchit, lui ! Il n’est pas une brute qui fait des moulinets de son sabre sur les champs de bataille ! Takemura se montre alors menaçant : s’il était aussi mal élevé que l’onmyôji, peut-être lui ferait-il tâter de sa lame, à l’intellectuel… Mais Senzo lui adresse un signe de la main pour le faire taire – puis pointe le doigt, indiquant quelque chose sur la route, à quelque distance devant eux.

 

[XI-3 : Ayano : Gen] Un couple richement vêtu progresse lentement sur la route, s’éloignant d’eux, qui ne les avaient jamais vu jusqu’alors ; or ils aurait dû passer par leur modeste campement – c’est comme s’ils étaient sortis de nulle part ! Et leurs vêtements sont clairement destinés à la cérémonie du mariage. Ayano remarque quelque chose : si la femme a la tête baissée, humblement, l’homme… L’homme n’a pas seulement la tête baissée : il est décapité ! Par ailleurs, elle se rend compte que leurs vêtements sont anachroniques – elle n’en a vu de semblables que sur les scènes de théâtre ; peut-être datent-ils de l’époque Heian ? Dans les six ou sept siècles plus tôt… Encore une sorcellerie ! Encore une mauvaise farce du kitsune…

 

[XI-4 : Yasumori, Takemura : Sekine Senzo ; Gen] Yasumori n’en doute pas ; mais ils ne peuvent l’ignorer – elle compte s’avancer auprès du couple. Takemura lui dit que c’est exactement ce que veut Gen, mais Yasumori en est bien consciente : quel choix ont-ils de toute façon ? Takemura, qui change subitement d’attitude à l’égard de Senzo, lui demande son avis… mais l’onmyôji ne dit rien, plus effrayé que boudeur.

 

[XI-5 : Yasumori, Takemura, Hideto, Ayano : Gen] Yasumori n’attend pas davantage : elle veut provoquer Gen, le prendre à son propre jeu, et rire en ridiculisant ses tours pathétiques… Elle prend les devants ; Takemura la suit à quelque distance, tandis que Hideto et Ayano restent en arrière. Yasumori dépasse le couple et éclate de rire en se retournant vers lui : « Décidément, Maître Gen, vos blagues sont de plus en plus drôles ! Mais aussi de plus en plus courtes – au moins d’une tête ! »

 

[XI-6 : Yasumori : Ota ; Shim Na Yung] Au début, le couple n’a pas prêté la moindre attention au comportement de Yasumori, continuant à avancer lentement comme si de rien n’était. Mais l’allusion concernant l’époux décapité les a fait s’arrêter brusquement. Immédiatement après, l’homme s’effondre en avant… La femme garde la tête baissée, et ne réagit tout d’abord pas ; puis elle lève lentement la tête – ne révélant pour autant rien de son visage, que sa longue chevelure dissimule. Elle ne dit pas un mot, mais se contente de hausser les épaules. Yasumori lui demande si elle est la princesse Shim Na Yung. Et la femme répond enfin : « Je suis… Je ne suis pas une princesse. Je suis Ota. J’allais me marier… J’allais me marier à la forêt de Koryo, et encore une fois on m’en empêche ? ENCORE UNE FOIS ON M’EN EMPÊCHE ?! » Elle se redresse subitement – et commence à prendre une forme différente ; elle semble flotter au-dessus du sol, tandis que son corps est parcouru de gonflements étranges et que des griffes lui poussent au bout des doigts ; un coup de vent soudain, surnaturel, disperse ses cheveux de son visage… et Yasumori voit enfin ses yeux, la chose la plus terrifiante qu’elle ait jamais vue ! Elle pousse un hurlement de terreur qu’elle ne peut retenir, et sent une douleur dans sa poitrine ; elle y porte les mains, et s’écroule…

 

[XI-7 : Takemura] Takemura dégaine le sabre et se rue instinctivement sur le fantôme : il tranche littéralement la femme en deux, d’une coupure bien nette, géométrique… Puis les deux parties du corps de la fiancée tombent à terre, s’amalgament en une sorte d’ectoplasme – et disparaissent sans laisser de trace, de même pour le cadavre décapité.

 

[XI-8 : Yasumori, Hideto] Yasumori est très clairement en train de faire une crise cardiaque ; Hideto se précipite à son secours – ses soins d’extrême urgence la sauvent, mais ça n’est pas passé loin : une minute de plus, et elle mourrait. Reprenant ses esprits, Yasumori en a pleinement conscience – elle n’aurait jamais cru avoir aussi peur… Et elle reste affaiblie.

 

[XI-9 : Yasumori] Ils sont tous regroupés autour de Yasumori – et entendent alors un aboiement ; ils se retournent, et voient un petit chien, au loin, qui avance dans leur direction. À mesure qu’il approche, ils se rendent compte… qu’il est vêtu d’une sorte de kimono ; et il a quelque chose dans la gueule. Arrivé à leur niveau, il lève la tête vers eux, et émet un petit jappement en laissant tomber ce qu’il tenait entre ses mâchoires, une sorte de petit tube ; puis il reprend sa course, plus rapidement, et disparaît.

 

[XI-10 : Ayano] Ayano s’empare du tube, et le dévisse : il contient bien un message, un faire-part de mariage – ils sont tous nommément invités dans la forêt de Koryo, où se tiendra la cérémonie. Mais les noms des fiancés sont à l’évidence des jeux de mots – passablement mauvais, d’ailleurs…

 

À suivre...

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