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Daredevil (saison 3)

Publié le par Nébal

Daredevil (saison 3)

Marvel’s Daredevil, saison 3 (treize épisodes), 2018

 

Acteurs principaux : Charlie Cox (Matt Murdock), Vincent D’Onofrio (Wilson Fisk), Deborah Ann Woll (Karen Page), Elden Henson (Foggy Nelson), Wilson Bethel (Benjamin Poindexter), Jay Ali (Ray Nadeem), Joanne Whalley (sœur Maggie)…

Un fâcheux hasard du calendrier a fait que j’ai achevé de regarder cette troisième saison de Daredevil hier soir – et je n’ai appris la mort de Stan Lee qu’après avoir vu le dernier épisode. Stan Lee, bien sûr, était le co-créateur du personnage de Daredevil (avec le dessinateur Bill Everett), comme il a été le co-créateur d’un nombre sidérant de super-héros et de super-vilains dans le contexte de l’univers Marvel. Le bonhomme a beaucoup compté, et mérite bien qu’on lui rende hommage – alors, comme de juste : Excelsior !

 

Maintenant, parlons donc de cette troisième saison de Daredevil – et la précaution habituelle s’impose : c’est une série, il y aura très probablement des SPOILERS dans cet article, même si je vais essayer de ne pas trop en faire non plus – méfiance quand même…

 

Adonc, Daredevil : clairement la meilleure, et de loin, des séries Marvel/Netflix, sur la base d’un univers partagé restreint très « street level », qui a donné des choses intéressantes, et d’autres beaucoup moins… Il faut dire que l’évolution des séries parallèles, globalement, a été plutôt négative ? C’est peut-être à débattre en ce qui concerne Jessica Jones, la détective badass ayant pu convaincre des camarades avec sa deuxième saison – ça n’a pas été le cas pour moi, car j’ai trouvé cette série beaucoup trop en dents de scie, alternant de manière très foutraque le pire et le meilleur, cette inégalité dans l’écriture ayant fini par me faire relever le pire bien avant le meilleur. Luke Cage, c’était plus problématique encore : après une première saison honnête, même si sans plus, avec le charismatique Mike Colter dans le rôle-titre, quelques chouettes seconds rôles (dont l’excellente Rosario Dawson, échappée justement de Daredevil), et un gimmick musical sympathique, le niveau a drastiquement chuté dans une saison 2 tellement mal conçue, interprétée et réalisée que j’ai dû m’y prendre à trois ou quatre fois pour voir l’épisode 2, déclarant forfait peu après… Je n’ai pas osé voir Iron Fist, les critiques étant unanimement mauvaises dès le départ. Quant aux Defenders, associant les quatre personnages, j’ai trouvé ça passablement navrant – au mieux indifférent. Bref : depuis la deuxième saison de Daredevil, une seule série Netflix/Marvel m’a véritablement convaincu, qui affichait son statut singulier tout en émanant, eh bien, de Daredevil (de la saison 2 plus précisément), et c’était The Punisher

 

Autant dire que j’ai commencé à regarder cette troisième saison de Daredevil à reculons : je m’attendais à ce que le niveau baisse drastiquement, au point de l’embarras… Et, finalement, eh bien, ça n’était certainement pas irréprochable, mais c’était globalement convaincant et enthousiasmant – bien plus réussi que toutes les autres séries Marvel/Netflix (à l’exception donc du Punisher), et au moins du niveau de la saison 2, car moins inégal ? C’est que celle-ci s’en tirait quand même mieux quand elle mettait en scène le Punisher, que quand elle se focalisait sur la dangereuse Elektra… Mais, oui, il y a tout de même beaucoup à redire concernant cette troisième saison, et heureusement au moins autant à apprécier.

 

L’inspiration essentielle de cette saison semble se trouver dans un fameux arc de Daredevil signé Frank Miller et David Mazzucchelli, Born Again. Bizarrement, alors que j’ai lu et relu la plupart des épisodes signés Frank Miller en solo, dans son long run révolutionnaire au début des années 1980, ou associé avec des dessinateurs tels que John Romita, Jr., ou Bill Sienkiewicz, et alors que cet arc est un des plus célèbres et décisifs associés au personnage, et que j’ai beaucoup aimé ce que j’ai lu de David Mazzucchelli (le grand écart entre Batman : année un, toujours avec Miller, et l’adaptation du roman de Paul Auster Cité de verre), je ne crois pas avoir jamais lu Born Again… Il faudrait tout de même y remédier un de ces jours.

 

Quoi qu’il en soit, nous retrouvons Matt Murdock rescapé miraculeusement de l’effondrement d’un putain d’immeuble juste sur lui, là, dans la conclusion de la médiocre saison 1 de The Defenders. Mais tout le monde le croit mort – ce qui l’arrange, en fait. Ce qui l’arrange moins, c’est que l’accident a laissé des séquelles – notamment, son ouïe a souffert, au point où elle chamboule une fois de plus toutes ses perceptions : c’est comme s’il redevenait aveugle ! Bon, par chance, ça ne durera pas – mais Murdock n’en est pas moins aigri et refermé sur lui-même : hébergé/caché par les religieux qui avaient pris soin de lui quand il était enfant, il ne veut plus voir ses amis Karen Page et Foggy Nelson ; qu’ils le croient donc morts ! Sauf qu’il reviendra vers eux… quand il aura besoin d’eux, le détestable petit con.

 

Un besoin qui ne tardera pas : c’est ce qui se passe dans les comics, quand la Némésis resurgit ! Et donc, Wilson Fisk… Celui que l’on n’appelle pas encore le Caïd (mais ça viendra précisément dans cette saison) est en prison. Via un agent du FBI aux abois du nom de Ray Nadeem, il propose un pacte aux fédéraux : l’abandon des poursuites contre sa compagne Vanessa, en échange d’informations précieuses sur le milieu new-yorkais. Ce contrat faustien ne tarde pas à évoluer, Fisk y gagnant de sortir de prison, pour une résidence surveillée dans un appartement toujours plus luxueux après chaque visite… Et la vérité apparaît enfin – au pauvre Nadeem notamment : Fisk, qui a toujours cinq coups d’avance, l’a manœuvré pour faire son grand comeback, et les fédéraux sont à ses ordres !

 

Ceci, aussi bien Matt Murdock que Karen Page et Foggy Nelson le comprennent tous avant tout le monde – c’est qu’ils ont une certaine expérience du bonhomme… Et ils ne comptent pas se défiler : chacun d’entre eux entend lutter contre ce colossal ennemi à sa manière – Foggy usera du droit et de la politique, Karen du journalisme mais en gardant un flingue dans son sac à main si jamais, Matt enfin songe à ressusciter Daredevil, sans le costume… et sans la conception très catholique de la rédemption ? Ou avec, ça dépend des moments...

 

Problème : Fisk, qui se doute de la véritable identité de Daredevil, a choisi d’anéantir à jamais la réputation du justicier de Hell’s Kitchen – en manœuvrant un agent du FBI passablement psychopathe, mais très compétent pour lancer des trucs et des machins (Ben Poindexter, aka le Tireur ou Bullseye, même si cet alias n’est pas employé dans la série) : dans cette troisième saison, Matt Murdock ne porte jamais le costume de Daredevil, c’est l’imposteur Poindexter qui le fait…

 

On retrouve, dans cette troisième saison de Daredevil, le caractère assez inégal de l’écriture qui m’avait tant posé problème dans la deuxième saison de Jessica Jones – même si, je crois, ça passe mieux en l’espèce. Quoi qu’il en soit, cette saison repose sur une opposition classique entre le super-héros, et plus encore sa personnalité non déguisée, Matt Murdock avant Daredevil donc, et sa Némésis, le super-vilain sans costumes ni pouvoirs supranormaux Wilson Fisk. Le problème, c’est que Fisk écrase (littéralement) Matt Murdock à tous points de vue… En fait, j’ai vraiment le sentiment que, dans cette troisième saison, j’ai aimé, voire adoré, tout ce qui concerne Wilson Fisk, et trouvé au mieux indifférent, au pire carrément mauvais, tout ce qui concerne Matt Murdock ou presque… Et si, en vertu de l’adage souvent rappelé dans les comics, le bon méchant fait la bonne série, il est quand même problématique, à ce stade, que le héros se montre si faible. Cela tient d’ailleurs probablement, pour partie du moins, à ce que le personnage de Matt Murdock, si aigri, s’enferme dans le seul rôle de l’habitacle d’un Daredevil particulièrement vénère et pourtant jamais totalement libéré, et n’a à côté aucune existence sociale – je suppose qu’il n’y a rien d’étonnant, alors, à ce que ses moments les plus réussis en définitive, hors scènes d’action, soient ceux où il endosse, même avec des arrière-pensées ou à reculons, le costume qui lui sied le mieux, c’est-à-dire celui de l’avocat. Autrement, la série joue forcément de son catholicisme perturbé, et c’est bien naturel, puisque ç’a toujours été une dimension essentielle du personnage, un outil de caractérisation éventuellement très subtil… mais pas ici, hélas, où le thème est traité avec de gros et lourds sabots – en y incluant, comme la pire démonstration, la révélation de l’identité de la mère de Matt Murdock, qui est incroyablement mal amenée, pas un cheveu sur la soupe à ce stade mais une putain de perruque entière… Charlie Cox s’était montré plutôt convaincant dans les deux premières saisons, mais il pâtit ici de tous ces partis-pris, qui font de Matt Murdock/Daredevil un personnage plus unilatéral que de coutume, plus brutal aussi (incomparablement), et en définitive tristement creux. Le résultat est en fait assez désolant…

 

Mais, en face, il y a Wilson Fisk – et, répétons-le une fois de plus, Vincent D’Onofrio est le putain de Wilson Fisk : il est parfait, c’est exactement lui. Au point du paradoxe temporel, je crois : les créateurs du personnage dans la BD (soit Stan Lee, RIP encore, et John Romita, Sr., en 1967 – puis certes Frank Miller avec la redéfinition du personnage au début des années 1980) devaient disposer d'une machine à voyager dans le temps, ils se sont rendus dans les années 2010 et ils ont vu Vincent D'Onofrio incarner le Caïd, ils sont retournés à leur époque et c'est comme ça qu'ils ont conçu le vilain. Pas possible autrement. Quoi qu’il en soit, la prestation de D’Onofrio écrase littéralement toutes les autres dans cette saison, et compose un personnage complexe, mais d’abord et avant tout proprement terrifiant, sur un mode carrément diabolique : oui, c’est la bonne image, il est le joueur d’échecs qui a toujours cinq coups d’avance au moins sur son adversaire, et dont la mainmise absolue sur tout ce qui compte, y compris voire surtout ce qui ne semble tout d’abord pas compter le moins du monde, le protège contre toute intervention malvenue – ses adversaires en sont réduits au fatalisme le plus dépressif : ils ne peuvent absolument rien faire contre pareil adversaire, qui a toutes les bonnes cartes en mains, pour continuer sur le jeu… Mais, oui, il s’agit en outre d’un personnage complexe – et parfois même étonnamment touchant, figurez-vous. Bizarre aussi, assurément – et Vincent D’Onofrio a une diction très particulière, pas vraiment naturelle, mais qui colle tellement bien au personnage… Oui, il est le Caïd – physiquement ça crève les yeux, mais ça va bien au-delà : il est Wilson Fisk.

 

Si Matt Murdock et donc surtout Wilson Fisk focalisent comme de juste l’attention, la série met cependant en scène bien d’autres personnages, et si Ray Nadeem est d’une importance toute particulière au regard de cet arc précisément (un personnage là aussi plus subtil qu’il n’en a l’air, et bien interprété par Jay Ali), deux personnages secondaires se montrent probablement plus essentiels – et tout d’abord Karen Page ; j’avais détesté, sinon le personnage, du moins le jeu de Deborah Ann Woll dans la première saison, mais Karen avait considérablement gagné en consistance et en subtilité dans la deuxième – ici, il y a encore de cela, du moins au regard de la consistance, même si probablement moins de la subtilité ; ce qu’illustre à vrai dire, dans un sens comme dans l’autre, un épisode « quasi » consacré à elle (disons du moins qu’une bonne moitié de l’épisode porte sur le passé chargé du personnage), dont je ne sais pas bien que penser – en tout cas, la pauvre fille souffre tout au long de la saison, et passe la moitié de sa présence à l’écran à sangloter, toute rouge et agitée de spasmes…

 

L’autre point de mire, je dirais qu’il s’agit de Poindexter – puisqu’on ne lui donne pas ici (pas encore…) d’alias. Je me suis rendu compte, en regardant cette saison, qu’au fond je ne savais pas grand-chose de l’histoire de Bullseye, même si j’avais rencontré le personnage plusieurs fois, et notamment dans Daredevil, dont il était un méchant lié plutôt récurrent. Il ne semble pas y avoir grand-chose, en fait… Ce qui a peut-être donné de la marge aux scénaristes de la série ? Pour un résultat que j’ai trouvé assez convaincant – même en empruntant des thématiques psychiatriques et sociales très casse-gueule. J’ai aussi apprécié comment le personnage et ses facultés, pas surnaturelles mais quand même aaaaaaaaaaaaaassez spéciales, sont introduits, très progressivement, fan-service adroit avec l’ombre de Wilson Fisk dans le fond. Et, disons-le, l’acteur Wilson Bethel a une tête à claques idéale, tout particulièrement quand il revêt le masque de Daredevil…

 

Cela dit, globalement, l’écriture connaît des hauts et des bas – un peu comme dans Jessica Jones, donc, moins cependant que dans la saison 2 de cette dernière série. C’est tout particulièrement vrai dans certaines séquences qui auraient gagné à davantage de subtilité, et qui mettent en scène la psyché troublée des personnages – qui revivent des scènes en spectateurs (ce qui fonctionne exceptionnellement bien pour Wilson Fisk étudiant le passé de Poindexter, cela dit), ou se voient envahir par les personnages qui les obsèdent. Il faut aussi y ajouter que, prise avec un minimum de recul, la trame globale de cette saison est bourrée de trucs qui ne tiennent absolument pas la route… Bon, la suspension volontaire d’incrédulité peut-être repoussée très loin dans les comics de super-héros, mais là c’est vraiment limite, et plus d’une fois…

 

Cela vaut aussi pour la réalisation. Certaines séquences se montrent un peu trop caricaturales, à la limite même du risible (voire au-delà), ainsi dans plusieurs moments de « cri primal ». Globalement, cependant, c’est du bon voire du très bon boulot – tout particulièrement pour ce qui est des scènes d’action, ouf. Cette saison 3, comme les deux premières, a inévitablement son long plan-séquence de baston, il se trouve dans l’épisode 4, et il est très impressionnant – et jouissif, disons-le, même si l’artifice de ce genre de scènes commence à me laisser perplexe, chose signalée récemment dans ma chronique de The Haunting of Hill House. Au plan de l’écriture, à vrai dire, le « quasi loner » consacré à Karen Page est un peu du même ordre, il y en a dans plein de séries maintenant…

 

Mais, oui, globalement, bon boulot : cette saison 3 se regarde bien, Vincent D’Onofrio est épatant, et si les défauts sont là, indéniablement, Daredevil demeure à ce stade un divertissement super-héroïque de qualité, et incomparablement meilleur que toutes les autres séries Marvel/Netflix de ce micro univers partagé.

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The Haunting of Hill House (saison 1 ?)

Publié le par Nébal

The Haunting of Hill House (saison 1 ?)

The Haunting of Hill House, saison 1 (dix épisodes), 2018

 

Bon, au cas où : je vais parler d’une série, donc, hein, gros risques de SPOILERS. Si vous voulez la version courte, j’ai trouvé ça globalement bon à très bon – jusqu’à un dernier épisode que j’ai trouvé désastreux. Est-ce que ça vaut le coup quand même ? Je dirais que oui – même en grinçant un peu des dents.

 

Autre chose : j’ai mis « saison 1 » dans le titre, au cas où là encore, mais j’espère, j’espère vraiment, qu’il n’y aura pas de saison 2.

LES MODÈLES – ET L’AU-DELÀ

 

The Haunting of Hill House, à la base, est un roman de Shirley Jackson – que l’on trouve en français sous différents titres : Maison hantée, ou Hantise, ou La Maison hantée. Et c’est peut-être bien la plus célèbre histoire du genre – notamment en ce qu’elle a inspiré le chef-d’œuvre de Robert Wise The Haunting, en français La Maison du diable. Je dois confesser ici que je n’ai pas lu ce roman (de Shirley Jackson, je n’ai pour l’heure lu que l’excellent Nous avons toujours vécu au château) et que, si j’ai adoré le film de Wise, une sacrée baffe en son temps, mes souvenirs en demeurent assez nébuleux.

 

Toutefois, cela n’est a priori pas forcément un problème pour traiter de la série The Haunting of Hill House, sortie tout récemment sur Netflix et due à un certain Mike Flanagan, réalisateur que je ne connaissais pas mais qui a semble-t-il commis quelques films d'horreur plus qu’honorables, dont une adaptation plutôt bien accueillie du roman de Stephen King Jessie, pourtant très casse-gueule (j’ai beaucoup aimé ce roman, il faudra que je tente l’expérience). En effet, le lien avec le livre initial est semble-t-il assez relâché, consistant à en croire ceux qui savent plutôt en allusions relativement subtiles, l’idée étant de s’attacher à l’esprit (uh uh) et non à la lettre du récit originel. Quant au film de Wise, Mike Flanagan était bien conscient qu’il était insurpassable, et n’a donc pas cherché un seul instant à s’y mesurer : il a inscrit sa réalisation, à bon droit, dans un tout autre registre.

 

À ce propos, on associe souvent aussi bien le roman de Shirley Jackson que le film de Robert Wise au sous-genre du fantastique psychologique. Ce qualificatif s’applique-t-il à la série ? C’est une question de définition, je suppose : la série use assurément du fantastique comme d’un prétexte, ou d’une métaphore, à l’exploration de la psyché tourmentée de ses personnages, dans un contexte trouble où le deuil joue un rôle essentiel – à cet égard, le caractère objectif ou non du surnaturel n’aurait aucune importance, et la série pourrait évoquer aussi bien, en littérature, Le Tour d’écrou de Henry James, qu’au cinéma un film qui doit probablement beaucoup à ce roman, Les Autres, d’Alejandro Amenábar. Toutefois, quand on évoque tout particulièrement La Maison du diable dans ce registre, c’est généralement en raison de son ambiguïté – qui renvoie là encore éventuellement à Henry James : dans ce film, la question de la réalité des fantômes ou de la folie d’un ou des personnages n’est sauf erreur jamais tranchée. La série The Haunting of Hill House a une tout autre approche, qui pour le coup fait davantage penser à Les Autres (ce film n’est qu’un exemple, hein – le Shining de Kubrick serait peut-être un modèle plus fameux) : même s’il sous-tend une étude de la psychologie trouble des personnages, le surnaturel dans la série est a priori objectif, il a une réalité propre, indépendante des héros et de leurs biais ; quelques passages laissent entendre (faussement et par jeu, doublement ironique donc) la possibilité d’une narration non fiable, procédé caractéristique du registre (aussi bien dans Le Tour d’écrou que dans La Maison du diable), mais, au bout du compte, l’histoire ne fait pourtant sens que si les fantômes sont là et bien là. Il me paraît important de mettre en avant ce point, mais c’est à débattre, bien sûr.

 

UNE FAMILLE IDÉALE – DONC DYSFONCTIONNELLE

 

La série joue sur deux trames temporelles, plus imbriquées qu’opposées. Lors de l’été 1992, la famille Crain (un couple et ses cinq enfants) vit des événements terribles dans la très gothique maison appelée Hill House (en référence au nom de ses bâtisseurs, les Hill, et non de quelque colline que ce soit), achetée pour être retapée et revendue avec une bonne marge : c’était l’idée, mais il y a comme un couac... Finalement, le père, Hugh, file au cœur de la nuit avec les enfants, le sort de la mère, Olivia, laissée en arrière, étant pour l’heure indécis ; mais, bien sûr, le récit laisse entendre que la maison était hantée et/ou que la mère était devenue folle et/ou dangereuse… et qu’elle est morte.

 

Quoi qu’il en soit, l’épisode est particulièrement traumatique pour les enfants Crain – qui, devenus adultes (la trame temporelle principale de la série, de nos jours), ont rompu les liens avec leur père, qu’ils rendent responsable de ce qui s’est produit dans Hill House, et ils ont toujours du mal à gérer le drame, même si chacun use d’une méthode qui lui est propre pour s'en accommoder.

 

L’aîné, Steven (Steven Crain…), est devenu un écrivain à succès, pas moins médiocre pourtant, en racontant les événements au prisme fantastique de la maison hantée – The Haunting of Hill House est littéralement le titre de son premier livre, et ses frères et sœurs lui en veulent terriblement d’avoir ainsi raconté leur horrifiante histoire dans le seul but de faire de l’argent… Steven fait bien vite l’effet d’un homme cynique et égoïste – on y devine les raisons de sa récente rupture sentimentale, qui semble devoir le condamner à brève ou moins brève échéance à la solitude (succès commercial ou pas). À noter, le premier épisode de la série (mais pas les suivants) esquisse chez Steven un côté « enquêteur du paranormal », tout en posant très vite qu’il ne croit en fait pas aux fantômes – l’idée d’établir « scientifiquement » la réalité des spectres, sur la base d’un personnage d’enquêteur de ce type, avait sauf erreur une place importante dans le film de Wise et semble-t-il avant cela dans le roman initial de Shirley Jackson, mais, dans la série, c’est une fausse piste qui est aussitôt abandonnée et ne débouche sur rien en tant que telle.

 

Shirley, la fille aînée, exerce également une profession qui la confronte aux morts, mais de manière bien plus prosaïque : elle s’est associée avec son époux pour gérer une entreprise de pompes funèbres, et fait des miracles en thanatopraxie. C’est une femme rigide (plus encore que les cadavres qu'elle rend présentables), autoritaire, et au tempérament critique : quand elle ne se noie pas dans son travail, qui est pour elle comme un refuge, elle tend à adopter une posture hautaine et moraliste qui ne tolère pas le moindre écart de conduite chez les autres, et suscite toujours un peu plus l'agacement.

 

Theo, sa cadette, vit juste à côté de chez Shirley – en fait, dans une maison qu’elle lui loue à bas prix (sauf erreur). Psychologue compétente le jour, elle présente un autre visage la nuit, systématiquement en quête d’un coup d’un soir – des femmes qu’elle évacue ensuite de chez elle, avec une rudesse assez terrible. D’un tempérament hyper agressif, dès l’instant qu’elle n’exerce pas son métier, mais c’est un tempérament qui tient de la façade, ne dissimulant guère en vérité une profonde fragilité interne, elle oscille sans cesse entre le désir presque pathologique du contact humain, et le rejet viscéral, phobique à vrai dire, de ce même contact – pour des raisons éventuellement « surnaturelles », mais qui affectent au premier chef ses relations avec ses frères et sœurs ; comme Shirley, et pourtant d’une manière radicalement opposée, plus vulgaire, elle est très portée à critiquer les autres – elle peut aussi se montrer cynique, à l’instar de Steven.

 

Ensuite viennent les jumeaux : Luke, né 90 secondes avant sa sœur, est une loque humaine ; sa manière de gérer le drame relève de la fuite en avant, le refuge dans la drogue. Accro à l’héroïne, il enchaîne depuis des années les tentatives avortées de cures pour se débarrasser de son addiction. Il a coûté beaucoup de temps, d’efforts et d’argent à ses frères et sœurs, qui ne lui font plus confiance depuis longue date (à l’exception de sa jumelle Nell). Déchet humain, faible et immature, il ne se contente pas de taper les siens : il est éventuellement capable de les voler pour satisfaire à ses besoins oppressants. Ses aînés sont donc tout disposés à le laisser crever dans un caniveau, convaincus qu’ils ont fait tout ce qu’il y avait à faire, que cela n’avait servi à rien et que cela ne servirait jamais à rien.

 

Enfin, sa jumelle, Nell, est la seule à oser encore croire en lui : « C’est un truc de jumeaux… » Mais c’est une jeune femme également fragile, qui a enchaîné les coups du sort. Depuis des années, elle a multiplié les témoignages flagrants de ce que son état mental était au mieux instable : elle rappelle en cela Luke, mais ses épisodes dépressifs brutaux évoquent surtout à ses aînés le souvenir désagréable de la dégradation de leur mère, Olivia. Fatigués de ses épanchements et de ses sanglots, ils se dispensent de répondre à ses coups de fil pressants – envisagés comme autant de lubies d'une malade impossible à raisonner. Mais, à la fin du premier épisode, ils apprennent qu’elle s’est suicidée… dans Hill House.

 

La famille Crain, si (naturellement) dysfonctionnelle, est ainsi amenée à se réunir pour les funérailles de Nell – et leur deuil, en même temps que leur inhabituelle et pénible proximité forcée, les ramènera forcément aux tragiques événements de Hill House, à ce drame qui les a construits tels qu’ils sont. Un thème très intéressant, et longtemps bien traité – mais évacuons pour l’heure le problématique dernier épisode…

 

LA STRUCTURE ET LA FORME

 

La série obéit à une structure précise et plutôt adroite. Une fois les présentations faites, et avant de dénouer l’intrigue dans le (catastrophique…) finale, chaque membre de la famille Crain se voit consacrer un épisode – à titre d’exemple, le quatrième est dédié à Luke, et il m’a particulièrement touché (je me suis vraiment, vraiment identifié à ce personnage – je suppose que la série est conçue de manière à ce que chacun puisse s’identifier à tel ou tel membre de la famille Crain, même en les « ressentant » tous). Mais il faut noter que cela ne s’applique pas seulement aux enfants (dont la défunte Nell) : Hugh, le père, y a droit, mais aussi Olivia – dans le neuvième épisode, le seul à se situer intégralement en 1992.

 

Car, normalement, chaque épisode imbrique les deux temporalités et assez habilement : dès lors, chacun des personnages principaux (à l’exception d’Olivia, bien sûr) se dédouble, et est interprété par deux acteurs différents – dont cinq enfants, qui, dois-je dire, m’ont assez bluffé : c’est toujours un calvaire de faire tourner des gamins (et vraiment en bas âge pour certains : Luke et Nell, en 1992, ont dans les six ans), mais ils se montrent tous plus que convaincants, ici.

 

Les critiques lues çà et là ont souvent mis l’accent sur la performance de Carla Gugino, dans le rôle d’Olivia Crain, et là je ne suis pas vraiment d’accord, je crois – globalement, c’est l’interprétation qui m’a le moins parlé, en fait… Je serais plutôt tenté de mettre en avant les très belles prestations d’Elizabeth Reaser (Shirley, qui a une véritable aura intimidante) et de Timothy Hutton (le vieux Hugh, toujours un peu à l’ouest, très touchant) ; mais Kate Siegel (Theo) et Oliver Jackson-Cohen (Luke) se débrouillent très bien – je mettrais peut-être un peu en retrait Michiel Huisman (Steven), même s’il fait une tête à claques très correcte, et Victoria Pedretti (Nell), qui a forcément moins de présence à l’écran que les autres, mais compose, surtout dans l’épisode qui lui est consacré pour le coup, un portrait assez émouvant (peut-être surtout dans les moments heureux, cela dit).

 

L’imbrication des deux temporalités est globalement assez subtile – mettant en avant l’idée d’une narration non linéaire (qui aurait cependant gagner à demeurer implicite… mais le désastreux dernier épisode en rajoute maladroitement une couche et une surcouche) : dès lors, les séquences de 1992, mais aussi de 2018, ne sont pas toutes présentées dans leur ordre chronologique, et c’est bien vu, de même que les retours, les flashbacks dans le flashback, etc. L’épisode consacré à Nell (le cinquième) est peut-être celui qui en joue le plus habilement, quand vient le moment de révéler la nature de « la femme au cou tordu ».

 

Mais un épisode en particulier met l’accent sur cette approche : le sixième. En effet, celui-ci repose sur l’évocation parallèle de « deux tempêtes », la première en 1992, la seconde en 2018, lors de la veillée funèbre de Nell – mais cette évocation repose sur un dispositif filmique particulier, consistant en longs plans-séquences (probablement des « faux » plans-séquences, à vrai dire) pour chaque époque : plan-séquence 2018, cut, plan-séquence 1992, cut, plan-séquence 2018, etc., chaque cut étant en même temps motivé et justifié par les déambulations des personnages, et/ou le rapport entretenu avec un objet. On pense forcément à La Corde, ce genre de choses, et c’est globalement assez habile – même si c’est peut-être surtout impressionnant. Car j’émettrais quand même une réserve sur ce dispositif : j’ai l’impression, dans nombre des séries contemporaines que j’ai pu voir, qu’il doit toujours y avoir UN épisode qui se distingue, qui doit être Le Moment Virtuose, dans la réalisation, dans le scénario, ou idéalement les deux à la fois – la bataille des bâtards dans la sixième saison de Game of Thrones, ou la baston dans l’escalier dans la deuxième saison de Daredevil, par exemple, pour citer deux cas que j’avais évoqué sur ce blog (et qui m’avaient soufflé, vraiment). Là, c’est assez démonstratif, pour le coup – un peu trop m’as-tu-vu, peut-être ? Mais je ne vais pas faire excessivement la fine bouche, ça fonctionne très bien, vraiment très bien… C’est juste que ça saute vraiment à la gueule, quoi.

 

Puis vient la question de la mise en scène de la peur, ou, plus précisément peut-être, des fantômes. La série, ici, se montre globalement convaincante, même si quelques scories demeurent peut-être çà et là, dans la tentation du jumpscare inutile – disons que la série joue un jeu dangereux entre le clin d’œil un peu fan service, car l'histoire est forcément très référencée dans le registre de la maison hantée, et la construction d’un récit plus ambitieux, avec le risque que des éléments ne s’intègrent pas toujours très bien dans la formule générale ; en somme, c’est le bon vieux problème des codes contre les clichés. Mais, dans l’ensemble, ça fonctionne bien, très bien même. J’ai apprécié, notamment, une chose qui m’a fait penser à la meilleure J-Horror : les fantômes peuvent être inquiétants en tant que tels, ils n’ont pas besoin d’adopter un comportement spécifiquement terrifiant, et, notamment, un comportement hostile ou pire, agressif – il leur suffit d’être là. Ils peuvent cependant gagner à avoir une certaine bizarrerie, dans leur allure, ou dans leurs gestes : ici, mon fantôme préféré, qui apparaît dans l'épisode 4, est l’homme à la grande silhouette difforme, avec son chapeau melon, dont les pieds ne touchent pas terre, mais qui scande ses déplacements du heurt de sa canne contre le plancher ; il m’a vraiment terrifié, et ramené aux gestuelles étranges, inspirées par la danse contemporaine, de la femme vêtue de noir dans le Kairo de Kurosawa Kiyoshi, ou éventuellement de Sadako qui progresse par à-coups, filmée en fait à l’envers, dans Ring de Nakata Hideo. La réussite de ces scènes, surtout dans les cas de cette série et de Kairo, tient d’ailleurs pour une part non négligeable à l’absence ou à la sobriété (tout de même dérangeante) de l’accompagnement musical : c’est littéralement l’antithèse du jumpscare, quelque chose qui effraie en durant, en étant lent – et inéluctable.

 

Maintenant, la série se doit aussi de jouer sur d’autres tableaux – notamment en explorant la psyché des personnages, mais aussi leurs relations compliquées ; ici, l’inspiration se trouve, je suppose, dans le soap opera, mais une variante particulièrement cruelle... À vrai dire, cela m’a aussi fait penser, encore qu’à un degré incomparablement moins pervers et terrible, au remuant malaise qui suinte de chaque séquence de l’excellent Festen de Thomas Vinterberg… Le niveau est bon voire très bon dans l’ensemble, mais la réalisation pèche parfois dans ces séquences, cependant – notamment quand elle succombe aux longs monologues ; il en est quelques exemples assez peu convaincants avant l’ultime épisode, lequel en fait des caisses à cet égard et de la manière la plus navrante…

 

MAIS… POURQUOI ?

 

Et il est bien temps d’en parler, de ce dernier épisode… Je l’ai vraiment trouvé désastreux – au point il m’a mis en colère : j’ai eu le sentiment d’une trahison, et de la pire qui soit. Ce vocabulaire, on l’emploie régulièrement pour les twists à la con, mais c’est d’un autre registre, ici – et, oui, cela tient sans doute à ce que j’avais imaginé ma propre fin, que je vais garder pour moi comme de juste, si elle était aux antipodes de cette conclusion… Mais, au-delà, dans le fond, comme dans la forme, j’ai eu l’impression d’une imposture – d’une très désolante et irritante imposture. J’ai profondément, de tout mon cœur, détesté ce finale « positif » et dégoulinant de moraline.

 

Mais cela ne tient pas qu’aux dix dernières minutes – si elles m’ont certes donné furieusement envie de défoncer mon écran d’ordinateur. Sérieux ? Après tout ça, après neuf épisodes aussi intenses et douloureux, conclure sur « cébolavi, pis lamourcéjoli, et youpilafamille, et ifoêtgentiaveklégens paske c’est bien d’êtgentiaveklégens et que cébolavi et que lamourcéjoli et youpilafamille » ? Et, au cas où, accompagner tout ça avec une ballade folk-FM sirupeuse, que c’est tout juste s'il n’y a pas un panneau pour demander aux spectateurs d'allumer leurs briquets ? Sérieux ? Bon sang, j’ai eu envie de vomir… Hollywood dans toute son anti-splendeur – mais qu’est-ce que ça vient foutre là, bordel ?! Comment peut-on en arriver là après ces neuf épisodes d'un tout autre ton ?

 

Cela dit, cet ultime épisode était déjà désastreux avant le dégueulis de guitare – dans un registre peut-être moins hollywoodien mais pas moins navrant, avec chaque perso qui a sa tirade déclamée avec autant de naturel et d’émotion que dans le pire pseudo-théâtre symboliste (à suppose qu’un théâtre symboliste puisse être autre chose que pire) (pardon, c’était un peu gratuit, ça) (pardon). Et Nell qui massacre, avec ses tirades alambiquées, l’idée de la narration non linéaire, en en faisant un étalage aussi lourdingue et démonstratif…

 

The Haunting of Hill House, ou la série qui, en dernier ressort, vous prend vraiment pour un con…

 

MALGRÉ TOUT ? OUI ?

 

Il serait tentant, après un tel cataclysme, de rejeter en bloc la série. À ce stade, est-il encore possible de la recommander à qui que ce soit ?

 

(Qui n'aurait pas tenu compte de la menace de spoilers ?)

 

Eh bien, bizarrement, peut-être – parce que, la nullité et l’imposture affligeante du dixième épisode mises à part, les neuf épisodes qui le précèdent demeurent bons à très bons, globalement.

 

Je suis en colère, mais je ne peux pas pisser non plus sur tout ce que j’ai d’abord aimé dans cette série – qui était très casse-gueule dès son principe même, et s’en était pourtant remarquablement bien tirée jusque-là. Non sans défauts, certes, mais bien plus qu'honorablement.

 

Prévoyez juste un seau, pour votre visionnage du dernier épisode – et éloignez tout objet contondant qui pourrait malencontreusement défoncer votre écran, au cas où.

 

Quel dommage, quand même...

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