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"L.G.M.", de Roland C. Wagner

Publié le par Nébal

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 WAGNER (Roland C.), L.G.M., [Saint-Mammès], Le Bélial’, 2006, 311 p.
 
Non. Ca ne s’est pas passé comme vous le croyiez, voyez-vous. Quand la sonde Arès 1 a touché le sol martien, le 18 juin 1967, elle a eu le temps de prendre une photo avant de cesser toute transmission ; et sur le cliché… un petit homme vert tire la langue. Evidemment, ça a quelque peu changé la donne. Les Etats-Unis et l’URSS se sont empressés de dire que l’objectif de la conquête de l’espace serait désormais Mars, et non la Lune. Mais ce sont les Soviétiques qui y sont parvenus les premiers ; et, au tournant du millénaire, les Rouges ramènent dans un de leurs vaisseaux spatiaux un singulier ambassadeur… qui disparaît bien vite sans laisser de traces. Commence alors pour le narrateur anonyme, agent des services secrets européens, une bien délicate mission : il faut retrouver le L.G.M., puis le protéger contre les malfaisants innombrables qui voudraient se l’approprier ; et, tant qu’à faire, déterminer pourquoi il est venu sur Terre : parce qu’à tout prendre, on dirait que c’est surtout pour le sexe, la drogue et le rock’n’roll…
 
Le cultissime Martiens, go home ! de Fredric Brown revisité à la manière de Le jour où la Terre s’arrêta de Robert Wise. Ou le contraire. Mais aussi de l’uchronie, de la satire politique, des agents secrets, des enlèvements, des hippies, des pédés… Ajoutez un seau de variétoche franchouille, compensez en épiçant de Dead Kennedys ; laissez mijoter et servez chaud, avec, pour la touche finale, du Jimmy Guieu et de la physique quantique. Y’a pas à dire, c’est une bien bonne tambouille que Roland C. Wagner nous a concoctée là.
 
Si l’hommage à Fredric Brown, mentionné dès la quatrième de couv’ (hideuse ; la couverture est très chouette, par contre : Philippe Gady a fait là un joli boulot, complété par de sympathiques vignettes introduisant chaque partie du roman), ne saurait faire de doute, on aurait cependant tort d’un rester là. Sûr que cet ambassadeur facétieux, fouteur de merde, petit et vert, renvoie à ces immondes petits salopards qui semblent éprouver un malin plaisir à appeler tout le monde « Toto ». Mais il y a bien plus, ici ; L.G.M., loin d’être un simple pastiche (très réussi par ailleurs), accumule idées et références savoureuses pour se constituer au final en roman à part entière, libéré de l’ombre de son prestigieux modèle. Il en a en tout cas retenu l’humour absurde et mordant, donnant lieu à quelques scènes particulièrement hilarantes ; tenez, au hasard, vous vous imaginez ce que ça peut donner, un Martien sous coco interrogé par des agents du KGB ? Je vous assure que ça vaut son pesant de schbrounniekks.
 
Mais il y a plus, et notamment cette savoureuse uchronie. L’URSS ne s’est pas cassée la gueule, le mur n’est pas tombé, et Gorby est toujours aux manettes, assurant la libéralisation du régime (mais y'a des réfractaires par-ci par-là). Chez les voisins d’en face, par contre, c’est pas top ; en-dehors d’un petit intermède Jimmy Carter après la victoire des Russes dans la conquête de Mars, ce sont des administrations républicaines pures et dures qui se sont succédées, le président actuel, le « Petit Buisson », n’en étant que le pire ersatz ; dans cette Amérique en crise qui a perdu son leadership sur le monde dit « libre », c’est la propagande et la réaction à tout va, les ennemis restant ces bons vieux Popovs (les barbus fanatiques ont eu le bon goût, dans cet univers, de s’abstenir de prendre des leçons de pilotage ; on notera d'ailleurs que le roman avait été entamé – ainsi que sa publication sous forme de fascicules – avant le 11 Septembre, qui y a mis un point d’arrêt jusqu’à une époque récente…). Pas étonnant que la Californie, emmenée par son charismatique Gouverneur Jello Biafra, ait préféré faire sécession ; en même temps, là-bas, c’est que des pédés, hein…
 
Ca tape dur, c’est le moins qu’on puisse dire, et un petit peu partout, quand bien même on voit se dégager une certaine cible privilégiée. Les mauvaises langues n’hésiteraient probablement pas à parler « d’anti-américanisme primaire » (d’ailleurs, c’est quoi le secondaire ? Cette question m’interroge depuis un bail…) ; je dois dire que, pour ma part, j’en ai pas été loin. Seulement voilà : c’est une uchronie, et, surtout, c’est terriblement drôle ; du coup, ça passe beaucoup mieux que le tabassage à grands coups de clichés haineux (que j’avais un peu ressenti pour ma part dans le néanmoins très bon AquaTM de Jean-Marc Ligny, par exemple). Ca passe même très bien. Car, comme le dit le plus grand philosophe contemporain, j’ai nommé Didier Super, « mieux vaut en rire que s’en foutre ». Du coup, L.G.M. n’est pas seulement une farce hilarante ; c’est aussi un intéressant miroir tendu aux travers les plus déplorables de notre société (notamment, mais pas seulement, celle de nos amis d’outre-Atlantique). Et puis merde, quoi, faut dire ce qui est : Jello Biafra président d’une Californie indépendante, c’est plutôt bandant, non ?
 
Accessoirement, L.G.M. est aussi un très bon roman de science-fiction, qui saura ravir les amateurs de clichés un peu oubliés (c’est vrai, ça : où sont-ils donc passés, tous ces petits hommes verts ?), mais aussi ceux qui veulent du vrai, du dur, du qui peut faire mal à la tête, et qui auront l’occasion de se régaler avec l’effondrement de la fonction d’ondes et le fameux chat de Schroedinger. Enfin : son schbrouniekk, donc.
 
L.G.M. est donc très bon pour plein de trucs. L’écriture est anodine ? On s’en fout, c’est drôle et efficace ! Y’a des coquilles à tout va ? On s’en fout aussi (mais y pourraient faire gaffe, au Bélial’, quand même). L.G.M. est un divertissement de haut vol, hilarant sans être con, et ça fait bien plaisir. Merci beaucoup Monsieur R.C.W.
 
Quant au mot de la fin, je vais le laisser à Beth Gibbons, chantant de sa voix unique le tubesque Glory Green de Portishead :
 
« Give me a reason to schbrouink you
Give me a reason to be
A Martian » (1)
 
(1) Authentique.

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