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Articles avec #nebal lit des bons bouquins tag

La Guerre du Pavot, de R.F. Kuang

Publié le par Nébal

 

KUANG (R.F.), La Guerre du Pavot, traduit de l’anglais (États-Unis) par Yannis Urano, Arles, Actes Sud, coll. Exofictions, [2018] 2020, 565 p.

 

Ma chronique figure dans le cahier critique du Bifrost n° 100, pp. 86-87.

 

Le moment venu, elle sera reprise sur le blog de la revue, et j’en donnerai le lien ici, avec la vidéo – mais n’hésitez pas à réagir d’ores et déjà si jamais.

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H.P. Lovecraft et Robert E. Howard : amitié, controverses et influences

Publié le par Nébal

 

Voici un enregistrement complet, illustré, de mon article sur les relations entre Lovecraft et Howard, initialement publié dans la monographie Lovecraft : au cœur du cauchemar (Éditions ActuSF), et qui développait considérablement une première version publiée dans le n° 84 de Bifrost, consacré au créateur de Conan.

 

ActuSF a commencé à mettre cet article en ligne, ici. Il sera en trois parties.

 

J'ai usé de nombreuses illustrations pour cette vidéo, et ne dispose bien sûr pas de leurs droits – je ne voyais pas comment faire autrement. Si un illustrateur réclame une mention, je m'exécuterai, bien sûr.

 

De même pour la musique de fond, qui est le morceau « Aldebaran of the Hyades », par Lustmord, issu de l'album The Place Where the Black Stars Hang.

 

J'espère que cette vidéo vous plaira ; n'hésitez pas à me faire part de vos commentaires.

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La Mort du fer, de Serge Simon Held

Publié le par Nébal

 

HELD (Serge Simon), La Mort du fer, préface de Juan Asensio, Talence, L’Arbre Vengeur, [1931] 2019, 420 p.

 

Ma chronique, rédigée pour le Bifrost n° 98, a été mise en ligne directement sur le blog de la revue, dans la rubrique « Objectif Runes en plus », et vous la trouverez ici.

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Les Miracles du Bazar Namiya, de Higashino Keigo

Publié le par Nébal

 

HIGASHINO Keigo, Les Miracles du Bazar Namiya, [ナミヤ雑貨店の奇蹟 Namiya zakkaten no kiseki], traduit du japonais par Sophie Refle, Arles, Actes Sud, coll. Exofictions, [2012] 2020, 370 p.

 

Ma chronique figure dans le cahier critique du Bifrost n° 98, pp. 100-101.

 

Le moment venu, elle sera reprise sur le blog de la revue, et j’en donnerai le lien ici, avec la vidéo – mais n’hésitez pas à réagir d’ores et déjà si jamais.

 

EDIT : la critique est en ligne, ici.

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Bienvenue à Sturkeyville, de Bob Leman

Publié le par Nébal

 

LEMAN (Bob), Bienvenue à Sturkeyville, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Serval, illustré par Stéphane Perger et Arnaud S. Maniak, Paris, Scylla, 2019, 184 p.

 

Ma chronique figure dans le cahier critique du Bifrost, n° 98, pp. 94-95.

 

Le moment venu, elle sera reprise sur le blog de la revue, et j’en donnerai le lien ici, avec la vidéo – mais n’hésitez pas à réagir d’ores et déjà si jamais.

 

EDIT : la critique est en ligne, et vous pouvez la lire ici.

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Crypt of Cthulhu, Vol. 1, No. 8

Publié le par Nébal

 

Crypt of Cthulhu, Vol. 1, No. 8, Bloomfield, NJ, Miskatonic University Press – Crypt of Cthulhu, Michaelmass 1982, 32 p.

 

Retour à Crypt of Cthulhu, le fanzine lovecraftien dirigé par Robert M. Price – et on fait dans l’archéologie, là, avec ce huitième numéro, guère épais, datant de 1982, et faisant toujours partie du premier volume de publication.

 

La dernière fois, j’avais évoqué un numéro bien plus récent (fin des années 1990) de Lovecraft Studies, « l’autre » fanzine lovecraftien, entièrement dévolu à la critique, et bien plus « sérieux » dans le ton. Le contraste sera donc particulièrement marqué avec ce numéro très léger (et à vrai dire un peu médiocre) d’une revue de toute façon globalement plus légère, mais aussi plus diverse, et mêlant aux études sérieuses d’autres qui le sont moins, en accordant une place non négligeable à l’humour, et en complétant le cas échéant avec des fictions ou des poésies, voire quelques illustrations ou même des jeux.

 

Régulièrement, les numéros de Crypt of Cthulhu sont thématiques, mais ça n’est pas toujours le cas – en l’espèce, ce n° 8 est fait de bric et de broc, si l’on compte tout de même deux articles se penchant sur les notions de genre et d’identité sexuelle, ce qui peut paraître commun aujourd’hui mais ne l’était probablement pas autant en 1982.

 

Le premier est dû à Robert M. Price lui-même, et s’intitule « Homosexual Panic in ʺThe Outsiderʺ ». L’auteur propose une grille de lecture de la nouvelle « Je suis d’ailleurs » venant, disons, compléter celles proposées par Dirk W. Mosig dans un article qui a fait date dans l’histoire de la critique lovecraftienne (hop). L’idée est que le comportement du narrateur, et la symbolique très appuyée dans un récit visiblement allégorique, peuvent évoquer le mal-être d’un homosexuel rejeté par la société et poussé, mais dans la douleur, à faire son coming-out. Maintenant, cet article témoigne d’une tendance récurrente chez Robert M. Price, voire dans Crypt of Cthulhu de manière plus générale (et éventuellement dans Lovecraft Studies aussi, en fait, mais de manière moins frontale) : établir des concordances à l’arrache, en sélectionnant des éléments qui viennent a posteriori appuyer une hypothèse, quitte à faire l’impasse sur d’autres éléments, le contexte, etc. En fait, le problème posé par ce genre de parallélismes était sans doute bien connu de Price lui-même et de ses collaborateurs, car, dans les quelques autres numéros que j’ai lus depuis, et à vrai dire déjà dans celui-ci avec l’article ultérieur de Peter Cannon, j’y reviendrai, les blagues ne manquent pas, qui font la démonstration qu’avec les lunettes munies d’œillères appropriées, on peut défendre absolument n’importe quelle hypothèse, jusqu’à l’absurde. Mes chers sophistes anciens apprécieraient, n’en doutons pas… À vrai dire, Price lui-même, et dès cet article, note bien que cette grille de lecture originale, pour significative qu’elle puisse paraître à certains égards, sans quoi il ne l’aurait pas proposée, ne traduit très probablement pas une intention délibérée de la part de Lovecraft – c’est plutôt du domaine de la coïncidence, disons. Et il ne manque pas de préciser, en fin d’article, que sa petite étude ne prétend en aucun cas faire la démonstration que Lovecraft lui-même était homosexuel, refoulé ou non (on l’a parfois sous-entendu, mais de manière passablement gratuite, rien dans la biographie comme dans la bibliographie de l’auteur ne venant véritablement étayer cette hypothèse – ce discours, pour ce que j’en ai lu, relève d’une psychanalyse de comptoir passablement primaire).

 

Le deuxième article de cet ordre s’intéresse plutôt à la notion de genre, et est dû à Morgana LaVine : au-delà du thème classique et certes particulièrement édifiant de l’absence des femmes dans le corpus lovecraftien, « Lovecraft and the Male Gender Role » relève que les notions très conservatrices de Lovecraft quant au rôle et aux attributs prétendument « naturels » ou « nécessaires » de chaque sexe, un sujet qu’il a pu aborder à plusieurs reprises dans sa correspondance, ne se traduisent pas vraiment, dans son œuvre, par une dimension « macho » (c’est le terme employé) des personnages lovecraftiens – ce qui opère, on le sait, un sacré contraste avec les personnages de Robert E. Howard, par exemple. Notamment, les personnages masculins lovecraftiens ont une tendance bien connue à s’évanouir, un trait généralement jugé féminin – cela vaut même pour les rares exemples de personnages masculins censément « durs » dans l’œuvre de Lovecraft, incluant les gros-bras de « La Peur qui rôde » ou le détective de « Horreur à Red Hook » ; la seule possible exception serait l’officier allemand du « Temple », mais l’autrice met alors en avant sa passivité ; de fait, face à l’adversité, quand ces personnages ne s’évanouissent pas ni ne deviennent fous, ils fuient ou « laissent faire », en aucun cas ils ne combattent. Quand ils survivent, c’est en raison de leur astuce et de leur détermination. Tout ceci, pris séparément, est vrai. Maintenant, je ne suis pas convaincu, et surtout au regard de l’œuvre lovecraftienne, que le fait pour un personnage masculin de ne pas se montrer aussi « physique » que d’autres, chez Howard et compagnie, suffise à qualifier ses manières de « non masculines » (même si Howard a certes pu s’amuser avec ce trait, par exemple dans « Les Pigeons de l’enfer », et j’en avais causé ailleurs, ici et ). En même temps, Morgana LaVine ne le prétend pas – ce devrait être plutôt « non machistes ». Mais je trouve son discours un peu confus, de manière plus générale, du fait d’une notion changeante, mêlant ou au contraire distinguant, mais sans toujours prévenir, le machisme d’alors et celui d’aujourd’hui, mais aussi, parfois, une simple « masculinité » moins connotée. Mais elle affirme que ces personnages ne sont du coup pas représentatifs de la population mâle en général, et, là, j’ai du mal à la suivre… Elle relève un autre trait qui cette fois est supposé concorder davantage avec les représentations masculines traditionnelles, alors comme aujourd’hui : l’incapacité au care, dirait-on peut-être aujourd’hui, à l’établissement et plus encore à l’entretien de relations solides et désintéressées aux autres, impliquant de leur conférer de la valeur – par exemple au travers des liens d’amitié, essentiellement fonctionnels voire utilitaristes plutôt qu’empathiques dans les histoires de Lovecraft, ou au sein du couple, dans les très, très rares cas où il y en a un ; pour elle, c’est le trait du machisme qui survit par-delà les générations. Et, oui, ça aussi, bon… En même temps, l’autrice suppose que ces traits éventuellement opposés se rassemblent en définitive en permettant davantage aux lecteurs de s’identifier aux personnages de Lovecraft, qu’elle préfère ouvertement aux héros masculins « machos » plus communs, tels Superman ou John Wayne, exemples cités. La rhétorique est peut-être un peu acrobatique, et à débattre ; pour ma part, je concède volontiers que le caractère non surhumain des personnages lovecraftiens facilite l’identification – mais c’est un peu un lieu commun ; pour le reste, j’aurais tendance à dire que cette identification doit en vérité beaucoup… au caractère de coquilles creuses de ces personnages, davantage qu’aux autres considérations développées dans cet article. Que je trouve plus ou moins convaincant, donc – pas des masses en ce qui me concerne. Mais précurseur, peut-être ? Je ne sais pas vraiment ce qu’il en est de cette thématique critique aujourd’hui, ça pourrait être intéressant de se renseigner.

 

C’en est tout pour cette très vague thématique. La pièce de résistance de ce numéro, de toute façon, est ailleurs – ainsi que l’affiche la couverture : il s’agit de l’article de Colin Wilson sobrement titré « H.P. Lovecraft » (tout simplement parce qu’il s’agit à l’origine d’une entrée dans une coûteuse encyclopédie de la science-fiction, reproduite ici avec l’accord de l’auteur). Colin Wilson se montre tantôt sévère, tantôt intéressé dans cette notule. Il accorde une place conséquente à la philosophie de Lovecraft, sans surprise, mais, sans surprise aussi, s’il la comprend (disons qu’il la comprend bien mieux que Derleth), elle lui répugne tant qu’il ne peut guère en traiter que sous un angle assez méprisant – le pessimisme, ou même l’indifférentisme, lui paraissent par essence puérils et naïfs (comme il se doit, les pessimistes et indifférentistes jugent les optimistes puérils et naïfs, ce qui ne facilite pas le débat). Cela dit, c’est une lecture plutôt intéressante, qui m’a incité à franchir le pas et à lire enfin un roman de Colin Wilson : Les Parasites de l’esprit. Ce fut hélas un échec, et je vous en causerai prochainement.

 

Autre article de taille conséquente, « In Search of a Mythos Genealogy », signé Bernadette Bosky. Tout ou presque est dans le titre, il s’agit de livrer une, ou plus exactement des, généalogies des créatures mythiques de Lovecraft en y incluant ses pasticheurs/successeurs/etc., et en ne les distinguant pas toujours très bien, sur la base, au mieux, de quelques déclarations (souvent humoristiques) de Lovecraft lui-même ou de ses correspondants, etc. – ce qui peut inclure le fait que Yog-Sothoth et Shub-Niggurath ont enfanté Nug et Yeb, entre autres, etc. Ce qui n’a pas de sens en dehors de la blague. L’autrice le sait, mais persévère – et le reste de ces généalogies est extrapolé sur la base de ressemblances thématiques (ici intervient notamment la navrante dimension élémentaire chère à Derleth)… ou plus largement au doigt mouillé, « parce que c’est plus joli comme ça ». On appréciera le fait que, même avec cette « méthode » qui n’en est pas vraiment une, l’autrice ne sait pas quoi faire de Cthugha (j’aurais bien une réponse, mais…). Bon, cet article est totalement vain – mais j’admets être totalement réfractaire à son propos, oui. S’il avait adopté une approche, disons, historiographique, il aurait pu se montrer intéressant, mais en l’état c’est plus de la mauvaise fanfic qu’autre chose.

 

Mentionnons enfin un dernier article « critique », avec « The Attestation Formula in the Necronomicon », par Robert M. Price. Au fond, c’est d’une autre généalogie qu’il s’agit ici – mais celle d’un procédé, ce qui est plus intéressant. L’auteur relève comment Lovecraft, de manière plus franche Clark Ashton Smith et plus récemment Brian « Unspeakable » Lumley, ont fait usage, dans leurs citations du Necronomicon ou d'autres ouvrages du même type, d’une même formule ou peu s’en faut, par laquelle le livre maudit affirme la pertinence de ses développements en faisant état de ce que d’autres sources en faisaient également état, au point du consensus : en somme, « il est unanimement attesté que… », ce genre de choses. Ce qui est intéressant, ici, même si je ne suis bien sûr pas certain du crédit qu’on peut y accorder (assez limité probablement, car on pourrait sans doute trouver bien d'autres exemples, avec un procédé aussi commun...), c’est de faire remonter cette formule dans une source possible voire probable de ces auteurs, Ambrose Bierce, en fait dans ses nouvelles où apparaissaient « Hastur », « Carcosa », « le Lac de Hali », etc., termes qui seraient repris par Robert W. Chambers dans son Roi en Jaune, puis à sa suite par Lovecraft (à peine) et Derleth (surtout), pour les résultats que l’on sait. Mais Price va ensuite plus loin, en cherchant où Bierce lui-même a pu trouver ces formules, et on en arrive à quelque chose qui ressemble déjà davantage à un grimoire… Tout ceci est à prendre avec les pincettes habituelles, je n’y reviendrai pas à chaque fois. Mais c’est plutôt intéressant.

 

Le reste de ce numéro, à l’exception d’une « R’lyeh Review » très mince consacrée à deux livres de James Blish, est de nature humoristique – et c’en est probablement la partie la plus réussie. Même si, disons-le, la nouvelle « Two Burgers to Go… Mad ! », signée Ronald Shearer, n’est d’aucun intérêt ou presque (elle constate simplement que, même à Arkham, il y a un McDo, mais qu’un McDo à Arkham a forcément ses petites particularités et ses rites obscurs).

 

Beaucoup plus amusant, « Famous Last Words » est une compilation par Robert M. Price de ces fins de nouvelles calamiteuses, dans lesquelles le narrateur écrit jusqu’à la mort. Chez Lovecraft lui-même, on cite forcément « Dagon », ou éventuellement la révision « Le Journal d’Alonzo Typer », mais Price cite d’autres exemples au moins aussi édifiants (et plus encore consternants), chez August Derleth, surtout, mais aussi Robert Bloch et Lin Carter. Il réserve cependant la palme, et je suis tout à fait d’accord avec lui, à la conclusion des « Chiens de Tindalos », par Frank Belknap Long, dans laquelle le narrateur écrit dans son journal son ultime cri de terreur ! « Ahhh indeed », tranche Price. Une compilation très drôle !

 

Et nous avons enfin la rubrique « Fun Guys from Yuggoth » (j’adore ce titre), cette fois confiée à Peter Cannon, exégète notoire mais aussi auteur de nombreux pastiches souvent hilarants, et qui, cette fois, livre une étude parallèle totalement absurde de Lovecraft… et de John Fitzgerald Kennedy ! « HPL and JFK » est un petit délire très rigolo, et, comme noté plus haut, j’y vois une petite raillerie amicale sur les exégètes lovecraftiens, dont Robert M. Price au premier chef, qui adorent établir des parallèles aux bases guère solides : avec suffisamment d’aplomb, une approche suffisamment biaisée, et suffisamment de mépris pour le contexte, on peut absolument tout démontrer – « Gorgias approved ».

 

Bon, c’est tout de même un numéro assez moyen. La lecture de l’article de Colin Wilson est intéressante, qu’on y adhère ou pas, mais les autres études critiques de ce numéro sont plutôt faibles. En dernier recours, il parvient à nous faire sourire de manière complice, et c’est déjà quelque chose.

 

Cependant, la revue peut faire bien mieux. Depuis, j’en ai lu deux autres numéros qui se sont avérés bien plus satisfaisants – et je vous en causerai plus en détail bientôt…

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Migrations, d'Algernon Blackwood

Publié le par Nébal

 

BLACKWOOD (Algernon), Migrations, [Ancient Sorceries – Max Hensig – The Listener – Confession – Wayfarers], nouvelles traduites de l’anglais par Jacques Parsons, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, [1967] 1971, 237 p.

 

Un autre recueil d’Algernon Blackwood – le dernier des quatre « Présence du futur » qui lui avaient été consacrés que je n'avais pas encore lu. Je me suis régalé avec les précédents, et cela vaut pour celui-ci également, même si je crois que j’aurais tendance à le classer un rang en dessous, pour des raisons que je développerai dans cette petite chronique. Quoi qu’il en soit, nous trouvons dans Migrations cinq nouvelles de l’immense auteur fantastique anglais. Comme souvent dans ces recueils, deux de ces récits – les deux premiers – s’avèrent des novellas de bonne taille, là où les trois autres sont d’un format plus modeste.

 

Le recueil s’ouvre sur une histoire assez souvent citée, « Sortilèges et métamorphoses » (simplement « Ancient Sorceries » en version originale, ce qui claque davantage, je trouve). Figure dans cette nouvelle le personnage récurrent d’enquêteur du paranormal d’Algernon Blackwood, John Silence – mais il est essentiellement un auditeur tout du long, ne prenant véritablement la parole, et pour trancher l’affaire, que dans les toutes dernières pages. Avant cela, il a en quelque sorte la position du lecteur, et écoute attentivement le récit qui lui est fait par un jeune homme anglais du nom d’Arthur Vézin (oui, oui, il est anglais) de ses aventures étranges dans un petit village français où il s’est rendu sur un coup de tête. Là-bas, les chats sont étonnamment nombreux – et les habitants étonnamment félins ; de fait, la nouvelle use et abuse du champ lexical associé, d’une manière qui m’a semblé un chouia grossière – d’autant que John Silence intervient lui-même pour attirer l'attention sur ce point. Quoi qu’il en soit, notre jeune Anglais est sous le charme, et c’est bien le cas de le dire… car une minette est forcément de la partie. Mais sous cette façade simplement troublante se dissimule une histoire plus sombre, un héritage secret d’un passé sordide, à même de faire frémir… Et, en fait de coup de tête, rien, dans le comportement d’Arthur Vézin n’est dû au hasard – et John Silence d’en rajouter une couche à base de réincarnation, thème hyper-blackwoodien que l’on retrouvera plus loin dans le recueil, pour clôturer l’histoire. Des chats partout, un village mystérieux dont tous les habitants ont quelque chose de non humain, des rituels secrets, un « héros » sous l’emprise d’un sortilège et qui se voit révéler sa généalogie trouble… Ouais, Lovecraft aurait attribué un pouce vers le haut à cette nouvelle. Peut-être aussi Tourneur et Lewton, dans un registre différent. Et c’est une bonne nouvelle, mais je dois dire qu’elle m’a tout de même un brin déçu… Il y a peut-être, ici, quelques défauts de construction ? La mise en place est longue, ce qui rend d’autant plus sensible l’abus des allusions félines, et la bascule du charme à la sorcellerie vire au grotesque, ce qui peut être bien comme mal, c’est selon. L’ambiance est intéressante, mais pas à la hauteur, en ce qui me concerne, des plus grands chefs-d’œuvre de Blackwood, tels « Les Saules », « L’Homme que les arbres aimaient » ou « Le Wendigo », ou même de textes un cran en dessous comme « Le Camp du chien » (une autre nouvelle figurant John Silence, tiens).

 

La novella suivante, « Max Hensig », est assez déconcertante – mais aussi très captivante, probablement celle que j’ai préférée dans ce recueil. Sa distinction essentielle est qu’il ne s’agit pas, cette fois, d’un récit fantastique à proprement parler : le surnaturel en est totalement absent, et Blackwood nous concocte plutôt une sorte de thriller avec quelques bases vaguement scientifiques – mais ça fonctionne très bien ! C’est aussi un récit qui a une part autobiographique poussée, et à son avantage : la vie de Blackwood, et surtout sa jeunesse, a été assez mouvementée et l’a vu exercer bien des professions parfois incongrues – mais, pour un temps, il a été journaliste à New York, ainsi que le personnage point de vue de cette histoire ; pas toujours le plus sympathique des bonshommes, à vrai dire, et par ailleurs quelqu’un qui, comme tous ses collègues, boit probablement trop, car il boit tout le temps et prétend en dernière mesure y trouver la force pour triompher de l’adversité (un discours totalement pathologique mais qui se tient étrangement dans l’atmosphère de cette nouvelle), quand il ne se tourne pas vers la cocaïne. La dépiction précise par Blackwood de ce milieu social et professionnel et de ses à-côtés sordides fait partie des principaux atouts de cette novella – et elle me confirme dans le sentiment que Blackwood avait quelque chose de plus « moderne », dans le ton du moins, mais aussi éventuellement dans le fond, que ses contemporains tels Arthur Machen, M.R. James ou H.P. Lovecraft, plus… « aristocratiques » ? Quoi qu’il en soit, notre journaliste est amené à enquêter sur un médecin d’origine allemande, Max Hensig, accusé d’avoir tué sa femme avec du poison. Il y va à reculons, tout cela l’ennuie profondément, mais il n’a guère le choix, ayant été sommé de pondre un article sur le sujet, dans la veine sensationnaliste (et très éphémère) de la presse new-yorkaise qui l’emploie. Seulement voilà : procès ou pas, Max Hensig inspire bientôt à notre journaliste le plus profond dégoût – il a la conviction que cet homme détestable, cynique, méprisant, qui clame son innocence mais pour les motifs les plus incongrus, tout en affichant sa supériorité intellectuelle justifiant son amoralité, a en lui quelque chose de profondément maléfique, et qu’il serait bon de s’en débarrasser une bonne fois pour toutes… Aussi multiplie-t-il les articles à charge. Mais Max Hensig est acquitté, faute de preuves, il échappe à la chaise et retourne en Allemagne… avant de revenir aux Etats-Unis et d’y tomber « par hasard » sur notre journaliste. Bien sûr, celui-ci sait que la vérité est tout autre : l’empoisonneur est là spécialement pour lui, et il compte bien se venger de la plus horrible des manières ! Oui, « Max Hensig » est une sorte de thriller, mais qui fonctionne magnifiquement bien, pour le coup, avec des scènes dont la tension est palpable, véritablement matérielle, le jeu du chat et de la souris entre le criminel et le journaliste s’avérant d’une perversité fascinante. Je n’attendais pas Blackwood dans ce registre, mais j’ai été conquis.

 

Puis nous avons « L’Indiscret » (« The Listener »), nouvelle d’un format intermédiaire, et qui est somme toute une classique histoire de maison hantée. Ce qui la distingue et lui confère tout son effet, c’est sa forme épistolaire – plus exactement, nous lisons les entrées d’un journal intime, d’un personnage qui s’affiche d’emblée mentalement instable, et qui vient d’emménager dans un appartement au loyer étonnamment modeste ; là, il espère pouvoir écrire, car tel est son métier, et cet espoir ne se réalisera guère – mais il compte peut-être bien davantage y trouver le moyen de fuir la société londonienne qu’il juge bien trop envahissante ; seulement il reçoit bel et bien des visites ennuyeuses… d’un précédent locataire, peut-être ? La force de la nouvelle réside dans son ambiance très travaillée, et dans cette forme épistolaire – que le narrateur soit souvent désagréable, et un peu ridicule, y contribue beaucoup, dans une veine au fond pas si éloignée de celle de « Max Hensig ». Sous cet angle, cette classique histoire de maison hantée fonctionne bien. J’y mettrais tout de même un bémol : la chute, que l’avant-propos (de Jacques Parsons, je suppose ?) affirme être « particulièrement terrifiante », m’a paru bien fade – au point où je me suis demandé si je n’étais pas passé à côté de quelque chose ; mais a priori, non… Bon. Dernière chose à noter : le motif plus ou moins affiché d’une histoire qui se répète peut nous ramener indirectement à la thématique de la réincarnation, là encore – c’est moins frontal que dans « Sortilèges et métamorphoses » ou, plus loin, « Migrations », mais c’est décidément un fil rouge du recueil comme, au-delà, d’une part non négligeable de l’œuvre d’Algernon Blackwood.

 

Le recueil se conclut sur deux histoires bien plus courtes – et sans doute plus anodines, si pas inintéressantes. Nous avons tout d’abord « Confession », qui est une histoire de fantômes relativement classique là encore. Sa force réside dans son ambiance, très travaillée, le brouillard londonien lui conférant d’emblée quelque chose de vaguement surréaliste, et c’est certes un climat idéal pour croiser des fantômes. À cet égard, les développements ultimes du récit, qui conduisent le narrateur sur la scène d’un drame, ne me paraissent guère importants, s’ils sont bien tournés, ou professionnellement, en tout cas. Le brouillard et ce qu’on y croise, une femme désespérée en l’espèce, voilà ce qui compte, et qui rend cette nouvelle touchante.

 

Reste enfin « Migrations » (« Wayfarers »), nouvelle qui met plus que tout autre en avant le thème de la réincarnation. Le personnage point de vue, suite à un accident automobile, a le sentiment de revivre des événements antérieurs, ou bien de voyager dans le temps – en même temps, cette expérience troublante le confronte à ses désirs inavoués portant sur la femme d’un ami… Cette nouvelle me paraît devoir être scindée en deux parties, approximativement : la première, qui voit le héros vivre cette expérience de métempsycose, est remarquable, très habile dans sa manière de susciter l’ambiguïté – et très « moderne », là encore ; mais la seconde, qui affiche plus frontalement cette idée d’un amour maudit de génération en génération, use d’un ton beaucoup plus grandiloquent, baroque même, avec des éclats mystiques, qui pourrait faire penser à un Dunsany en petite forme ou à un Lovecraft tentant de faire du Dunsany en petite forme, et ce contraste ne me paraît pas satisfaisant. Dommage… Mais la nouvelle n’est pas inintéressante, cela dit. Oui, il y a quelque chose, dans son ambiance, dans son dispositif, dans ses personnages…

 

Migrations est un très bon recueil, à n’en pas douter. Pourtant, je crois donc que je le classerais un peu en dessous par rapport à mes précédentes lectures d’Algernon Blackwood. Même si j’ai beaucoup aimé « Max Hensig », notamment, je n’ai pas le sentiment d’avoir lu dans ce recueil quelque chose d’aussi époustouflant que « Les Saules » ou « L’Homme que les arbres aimaient ». Et, même avec leurs défauts, des nouvelles telles que « Le Wendigo » ou même « Le Camp du chien », me paraissent bien autrement séduisante.

 

Mais je remarque ici quelque chose : ce qui unit les quatre récits que je viens de citer, c’est leur cadre de nature sauvage – or celui-ci est à peu près totalement absent du présent recueil, si l’on y trouve quelques très vagues allusions dans la dernière nouvelle. De manière générale, tout est plus urbain, ici – même à la mesure d’un petit village français perdu dans les champs. Peut-être cela a-t-il joué, donc – ce cadre sylvestre me manquant. Cela dit, même sans cela, l’ambiance est toujours très travaillée dans ces nouvelles d’Algernon Blackwood, et le smog de « Confession » colporte de beaux mystères, en même temps que le naturalisme, si l’on ose dire, de « Max Hensig », produit à sa manière des pages également fortes.

 

Alors le constat demeure, de lecture en lecture : Algernon Blackwood était un génie, un grand maître de la littérature fantastique (voire un peu au-delà, puisque « Max Hensig », donc). Je trouve désespérant que son œuvre soit aussi difficile à se procurer en français de nos jours, en dehors du seul (et excellent) recueil L’Homme que les arbres aimaient, chez L’Arbre Vengeur, que je vous engage vraiment à vous procurer si ce n’est pas déjà fait. Il mériterait assurément bien plus !

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Lovecraft Studies, no. 37

Publié le par Nébal

 

Lovecraft Studies, no. 37, West Warwick, RI, Necronomicon Press, Fall 1997, 37 p.

 

Ça faisait trèèèèèèèèèèèès longtemps que je ne m’étais pas replongé dans mes vieux fanzines lovecraftiens… Alors pourquoi pas maintenant ? Du coup, hop, la 37e livraison (automne 1997) de Lovecraft Studies, le fanzine publié par Necronomicon Press sous la houlette du spécialiste d’entre les spécialistes S.T. Joshi – et c’est peu dire que cette revue a contribué de manière essentielle à la critique lovecraftienne dans les années 1980-1990, en opérant à vrai dire une certaine révolution. Et c’est bien de critique qu’il s’agit ici : à la différence de l’autre fameux fanzine lovecraftien qu’était Crypt of Cthulhu, publié par Robert M. Price, Lovecraft Studies – comme son nom l’indique, en même temps – ne contient en principe jamais de fictions, de poèmes, etc., d’esprit lovecraftien, mais seulement des études visant à analyser la vie et l’œuvre de Lovecraft, cela dit sous des prismes éventuellement très différents.

 

La présente livraison comprend cinq études, et s’achève sur les traditionnelles chroniques d’ouvrages liés d’une manière ou d’une autre à Lovecraft – et cette manière peut être assez acrobatique. En témoigne ici la recension par Ben P. Indick consacrée à une publication très discrète et c’est peu dire (tirage limité à cent exemplaires), l’édition par le collègue Kenneth W. Faig, Jr., (un habitué de la revue, et l’auteur d’un des articles de ce numéro), du roman de Franklin Chase Clark Susan’s Obituary – ledit Dr Clark ayant été l’oncle de Lovecraft, et quelqu’un qui a beaucoup compté dans sa vie comme dans son éducation, jusqu’à sa mort en 1915. En ce qui me concerne, le point le plus intéressant dans cette chronique porte sur le contenu éventuellement « libéral » de ce roman : ce qui y est dit de la condition des femmes, thème central a priori, mais aussi du racisme et de l’antisémitisme, dans le contexte narratif de la guerre de Sécession, est aux antipodes de la pensée du neveu sur ces questions – il a hérité bien des choses de son oncle, qu’il admirait profondément, mais visiblement rien de tout cela. J’imagine que cela vaut d’être noté : il ne fait aucun doute que le racisme et l’antisémitisme de Lovecraft tenaient beaucoup au milieu dans lequel il avait été élevé, et rien que de très normal, mais il est toujours bon de rappeler que le déterminisme en la matière n’est pas aussi absolu qu’on le prétend parfois, moyen bien trop facile de glisser hâtivement sous le tapis les sujets qui fâchent pour en refuser l’examen : de fait, dans ce milieu, et dans la proximité immédiate du jeune Lovecraft, des figures véritablement tutélaires pouvaient avoir des opinions bien différentes.

 

La deuxième recension porte sur une édition de quelques œuvres de Lovecraft, grand public (l’éditeur est Dell) et pourtant soigneusement annotée par le patron S.T. Joshi. Le chroniqueur, Scott David Briggs, ne tarit bien sûr pas d’éloges sur cette entreprise, qu’il jugeait alors inattendue, tout en relevant une abondance de coquilles regrettable, du genre qui aurait fait hurler Lovecraft lui-même, et à vrai dire probablement tout autant S.T. Joshi (qui a cette époque avait beaucoup travaillé sur une édition définitive des textes lovecraftiens, jusqu’alors constellés de bien trop nombreuses bévues). Pas grand-chose de plus à en dire, si les considérations de l’auteur sur le paratexte cinématographique sont amusantes ; passons au gros de ce numéro, avec les cinq études qu’il contient.

 

La première est due à Paul F. Montelone, que j’avais régulièrement lu dans les numéros de Lovecraft Studies précédant immédiatement celui-ci, où il se livrait généralement à des analyses de quelques textes lovecraftiens au prisme de la philosophie de Schopenhauer, essentiellement – avec un peu de Nietzsche pour faire bonne mesure. C’est à nouveau ce qu’il fait dans « The World as Azathoth – and Nothing Besides », étude du sonnet « Azathoth » issu des Fungi de Yuggoth. Hélas, j’y ai pas mal retrouvé les défauts signalés dans mes chroniques des précédents articles de cet auteur brodant sur le thème : en fait d’analyse, nous avons beaucoup de paraphrase, problème rendu plus sensible par le ton de l’auteur, tour à tour naïf et un brin pontifiant – cocktail fatal. Au fond, nous n’apprenons pas grand-chose dans cette étude – probablement celle qui m’a le moins parlé dans ce numéro.

 

Robert H. Waugh se montre plus convaincant dans « The Outsider, the Autodidact, and Other Professions », un article davantage ambitieux, si je ne crois pas adhérer à tous ses développements. Initialement, cette communication s’intéresse au fait que Lovecraft, s’il était assurément un homme cultivé, était aussi, de son propre aveu et par la force des choses, un autodidacte. L’auteur y voit, et je crois à raison, un trait essentiel de la personnalité de HPL, et qui a eu une influence considérable aussi bien sur sa vie que sur son œuvre. Je ne suis pas certain d’abonder dans le sens de l’auteur quand il brode sur ce thème pour souligner les paradoxes de Lovecraft au regard de la qualité même d’autodidacte et surtout de ce que cela implique au regard des mentalités américaines censément typiques, mais il me paraît plutôt convaincant quand il décrit la confrontation de divers types de savoir incompatibles, et plus encore quand il s’interroge sur la qualité nécessairement « communautaire » du savoir et de l’éducation, contre l’idée d’une éducation purement « par les livres », qui ne saurait être aussi solitaire qu’on ne le prétend parfois. Au-delà, Robert H. Waugh me paraît relever divers points intéressants dans la vie comme dans l’œuvre de Lovecraft, qui confèrent une certaine assurance à son discours. Puis, dans un second temps, l’article analyse la nouvelle « Je suis d’ailleurs » (« The Outsider », donc) au regard de cette problématique (de la valeur du savoir, de son caractère communautaire, etc.). Il a toujours été tentant de souligner le contenu autobiographique de cette nouvelle très allégorique, ce qui ne surprendra donc personne, mais je dois dire que l’auteur y trouve là encore de quoi asseoir son discours, en montrant comment les limites de l’apprentissage autodidacte étaient perçues tout à fait consciemment (et douloureusement) par Lovecraft, et en même temps comment il pouvait développer, plus ou moins consciemment cette fois, et parfois confusément pour le coup, une sorte de rhétorique affirmant, dans certains cas, les vertus de l’apprentissage autodidacte, mais aussi et enfin comment ce caractère… pouvait finalement être tout à fait partagé par nombre de membres de l’entourage de Lovecraft… mais aussi par ceux qui, bien plus tard, se sont penchés sur son œuvre et éventuellement pour l’étudier à leur manière, dans un cadre non académique ; ce qui vaut pour l’auteur lui-même, à vrai dire pour la majorité des associés de Lovecraft Studies, mais tout autant des lecteurs de la revue, comme votre serviteur, et, eh bien, peut-être vous aussi, chers (hypothétiques) lecteurs : sous cet angle, les « Outsiders » forment entre eux une communauté d’ « Insiders » (un point sur lequel on reviendra peut-être plus loin). Une communication intéressante.

 

Quelque chose de bien différent ensuite, et d’incomparablement plus court (et précis), avec « Lovecraft and the Whitman Memoir », de John Kipling Hitz. Pas vraiment d’analyse à proprement parler, ici, mais plutôt une archéologie des sources. L’auteur s’intéresse au nom du principal protagoniste de « Les Rats dans les murs », Walter Delapore. On sait depuis fort longtemps que ce patronyme, éventuellement tourné en De La Poer, renvoyait à Edgar Allan Poe lui-même, le « dieu » de Lovecraft, dans une nouvelle très marquée par son influence. Mais l’auteur entend se montrer plus précis, en recourant au mémoire Edgar Poe and His Critics, œuvre de Sarah Helen (Power) Whitman publiée en 1860. L’autrice était une intime de Poe, et avait avancé, devant lui, que le Poe-ète et elle-même était peut-être liés généalogiquement, par des ancêtres irlandais portant le nom de Le Poer. Cette hypothèse semble très improbable, si l'on en croit les spécialistes, mais ce n’est pas ce qui importe ici : ce qui compte vraiment, c’est que Lovecraft, en concevant son personnage, son milieu, etc., semble à plusieurs reprises faire allusion à ce type d’éléments généalogiques contenus dans le « Whitman Memoir », sur l'origine du nom, la destinée des différentes branches de la famille, etc. Au sortir de cet article, l’idée que Lovecraft a pu piocher dans ce document pour concevoir sa nouvelle paraît assez raisonnable et même plutôt convaincante. Ceci étant, je n’oserai pas m’engager plus avant, ici – ne serait-ce que parce que je ne sais rien de la biographie de Poe, et que tout cela me semble bien lointain. C’est l’exemple typique d’une micro-étude des sources, qui a sa valeur propre, indéniable, mais n’intéressera véritablement que les plus pointilleux des exégètes ; cela dit, comme tel, c’est tout à fait à sa place dans Lovecraft Studies.

 

Kenneth W. Faig, Jr., donc, livre ensuite un article sobrement intitulé « Lovecraft’s ‘He’ », qui porte donc sur la nouvelle « Lui ». L’auteur a quelque chose de militant, ici : il sait parfaitement, et comment pourrait-il ne pas le savoir, que cette nouvelle de 1925 est généralement délaissée par les amateurs de Lovecraft (et semble-t-il par Lovecraft lui-même) comme étant particulièrement médiocre, voire tout bonnement mauvaise ; il sait aussi très bien que cette nouvelle est en revanche beaucoup voire systématiquement citée par les amateurs pour son contenu autobiographique, notamment ses premiers paragraphes, l’illustration la plus vibrante de la crise vécue par Lovecraft à New York, et du besoin devenu vital de s’en échapper pour retourner à Providence. Tout cela doit être disséqué, et l’auteur s’y applique, mais il entend par la même occasion rehausser un peu le prestige de ce texte en y voyant d’autres qualités n’ayant pas seulement trait à ce caractère autobiographique. En fait, il y voit une œuvre de transition, faisant la jonction, avec quelques autres (dont surtout « Horreur à Red Hook », nouvelle immédiatement contemporaine), entre le Lovecraft d’avant New York, auteur fantastique relativement « classique » et très imprégné notamment de Poe (pour autant, l’auteur se refuse à ne voir dans « Lui » qu’une banale histoire de vengeance surnaturelle), et celui tout juste revenu à Providence, qui allait aussitôt connaître la phase la plus productive et brillante car singulière de sa carrière d’auteur de fiction. Tout ceci se tient, bien sûr, et à vrai dire cela n’a rien de neuf. Maintenant, disséquer la nouvelle avec ces divers sujets d’analyse en tête est intéressant, et plutôt bien fait. On notera que cette communication, sur un point très précis (le bâtiment décrit par Lovecraft dans la nouvelle), relève ponctuellement d’une archéologie minutieuse des sources qui vaut bien celle de John Kipling Hitz dans l’article immédiatement précédent. Cet article se lit bien, il est bien fait, il est intéressant – mais de là à conclure que « Lui » a un intérêt véritablement littéraire au-delà de son seul contenu autobiographique ? Je crains de ne pas pouvoir aller jusque-là.

 

Reste à envisager « Lovecraft and Interstitiality », article dû à Donald R. Burleson – assurément un des très grands noms de la critique lovecraftienne, mais un, dois-je dire, qui ne m’a pas toujours convaincu… essentiellement, il est vrai, parce que ses considérations post-structuralistes, et/ou déconstructivistes, etc., passent le plus souvent largement au-dessus de la tête de votre ignare de serviteur. Aussi ai-je toujours la goutte de sueur au front, sinon la migraine qui vient, quand j’entame la lecture d’un de ses articles. Mais pour le coup, celui-ci est bien passé ; il faut dire qu’il n’a probablement pas grand-chose de révolutionnaire : si Burleson emprunte ici à des sources aussi bien anthropologiques, philosophiques, critiques, etc., c’est pour asseoir une idée somme toute banale – celle voulant que l’horreur naît souvent du caractère interstitiel, c’est-à-dire de l’impossibilité de ranger le phénomène en question dans une catégorie ou une autre – la transgression, le fait de se situer en dehors des catégories clairement identifiables, et/ou entre ces catégories, est ce qui produit le sentiment d’horreur, avec un caractère tabou d’impureté le cas échéant. Rien de bien neuf, ici ? Mais Burleson, qui insiste sur le fait que la multiplication des catégories, bien loin de résoudre le problème, ne le rend que plus sensible et envahissant, illustre cette problématique avec un grand talent et beaucoup de conviction (tout en relevant que cette question des catégories et de leur flou est probablement en porte-à-faux avec la pensée déconstructiviste ?), ceci en sélectionnant d’assez nombreux textes de Lovecraft pour voir comment l’impossibilité de catégoriser, qui relève souvent de l’hybridation (avec les éventuelles connotations racistes associées, mais Burleson ne s’y arrête finalement guère – « Le Cauchemar d’Innsmouth », d’ailleurs, le texte peut-être le plus « évident » à cet égard, n’est que très hâtivement évoqué dans une note de bas de page), pour voir donc comment ce trait majeur est caractéristique de l’horreur lovecraftienne. Ceci de manière très concrète, donc (j’ai trouvé particulièrement intéressante l’analyse du « Monstre sur le seuil », à cet égard – on y retrouve aussi sans surprise « Je suis d’ailleurs », et l’auteur, dans la foulée de son épouse Mollie L. Burleson, part du principe que l’ « Outsider » est en fait une femme, ce qui me laisse un brin perplexe à vue de nez), mais aussi de manière plus abstraite, dans les thèmes plus largement explorés de manière presque obsessionnelle par ‘Lovecraft – sachant que le flou des catégories peut tout autant s’appliquer, au-delà des exemples primordiaux tenant à la race ou à l’espèce, au temps, au genre, à la mort, etc. Je ne suis pas certain de suivre Burleson dans ses derniers développements, quand il en déduit des traits censément caractéristiques du cosmos lui-même, sans doute parce qu’ils me paraissent constituer comme une faille dans le modèle classique de la critique lovecraftienne, profondément intégré, à savoir celui de l’indifférentisme cosmique, mais tout cela est très intéressant.

 

Comme l’a été ce numéro dans son ensemble. J’ai apprécié de revenir à ce fanzine, et vais tâcher de poursuivre l’expérience dans les temps (difficiles) qui viennent, probablement en alternant Lovecraft Studies et Crypt of Cthulhu. Verra bien…

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Eisenhorn, de Dan Abnett

Publié le par Nébal

 

ABNETT (Dan), Eisenhorn : Xenos – Malleus – Hereticus, [Eisenhorn : Xenos – Malleus – Hereticus], traduit de l’anglais par Nathalie Huet et Julien Drouet, Nottingham, Black Library, coll. Omnibus, [2004, 2018] 2019, 957 p.

 

Lectures de confinement Warhammer 40,000, suite – avec un beau bébé, cette fois, de pas loin de mille pages écrit tout pitipiti : l’omnibus compilant toute la trilogie consacrée par Dan Abnett au personnage de l’Inquisiteur Gregor Eisenhorn. On y trouve donc les trois romans de la série (sobrement titrés Xenos, Malleus et Hereticus), ainsi qu’une nouvelle, « Arrière-plan pour une couronne de plus », qui prend place entre les deuxièmes et troisièmes tomes.

 

La trilogie Eisenhorn occupe une place particulière dans les publications de la Black Library portant sur l’univers de Warhammer 40,000. Déjà, elle est due à Dan Abnett, parmi les auteurs les plus prolifiques, mais aussi et surtout les plus réputés, de la Black Library. Mais la distinction fondamentale est ailleurs : dans cet univers où « il n’y a que la guerre », la trilogie Eisenhorn prend un peu de champ par rapport aux récits de conquêtes et de batailles. La guerre y est présente, forcément, et on a droit à quelques morceaux de bravoure militaire dans chacun de ces trois romans, mais elle demeure le plus souvent à l’arrière-plan ; l’action ne manque pas pour autant, et c’est peu dire, mais la trilogie Eisenhorn est l’occasion d’envisager l’Imperium de l’Humanité sous un angle davantage « civil » que d’usage.

 

Ceci parce qu’elle met en scène, à la première personne, un Inquisiteur. Ici, quelques explications pour ceux qui ne connaîtraient pas plus que ça l’univers de Warhammer 40,000. Dans les ténèbres d’un lointain futur, l’Imperium de l’Humanité est devenu la plus grande puissance de la galaxie – l’Empereur-cadavre règne depuis dix mille ans sur son Trône d’Or de la Sainte Terra. Mais l’Imperium est en proie à une infinité de menaces : les xenos, soit les autres espèces intelligentes de la galaxie, ne sauraient être tolérés ; il en va de même pour la menace ultime du Chaos, les Puissances de la Ruine résidant dans le Warp et leurs adorateurs infiltrant la société impériale ; quant aux psykers, ces êtres dotés de pouvoirs psychiques en résonance avec le Warp, ils ne seront épargnés qu’exceptionnellement, s’ils font la démonstration de ce que leurs dons douteux et dangereux seront plus utiles que néfastes à l’Empire.

 

C’est ici qu’interviennent les Inquisiteurs. Comme leurs modèles médiévaux, ils sont à la fois policiers et juges, et les garants du credo officiel. Dans l’univers de Warhammer 40,000, les Inquisiteurs figurent parmi les plus puissants personnages de l’humanité. On ne les conteste pas – ils peuvent faire tomber tout le monde, à l’exception hypocrite des membres de l’Adeptus Mechanicus ainsi que de ceux de l’Adeptus Astartes, soit les fameux Space Marines, trop utiles pour qu’on les taquine sur des points de doctrine. Mais les autres ? Du grouillot le plus insignifiant rampant dans les tréfonds des cités-ruches, jusqu’au gouverneur planétaire issu d’une aristocratie plurimillénaire, ils peuvent tous faire l’objet de la colère de l’Inquisition. Dans les cas les plus extrêmes, les Inquisiteurs sont en mesure de décréter l’Exterminatus, soit l’anéantissement total d’une planète jugée trop compromise et irrécupérable. On ne fucke pas avec les Inquisiteurs.

 

Ceux-ci ne présentent toutefois pas un front uni. Dans l’approche de leur tâche, ils se scindent en nombreuses « sectes », mais deux courants majeurs doivent être identifiés : il y a, d’une part, les Puritains – ce sont les hommes du dogme inflexible, hostiles à tout écart, qui ne saurait être autre chose qu’une compromission ; les plus extrémistes d’entre eux vont jusqu’à refuser l’emploi de psykers dans les Saints Ordos. Mais, d’autre part, il y a les Radicaux – ce sont ceux qui considèrent que, pour accomplir leur mission, tous les moyens sont bons : si la défense de l’Empire nécessite, par exemple, d’user d’une technologie xenos, voire de conclure un pacte (bien encadré, idéalement…) avec un démon, eh bien, qu’il en soit ainsi – la fin justifie les moyens.

 

Gregor Eisenhorn, le « héros » de cette compilation (les guillemets s’imposent dans cet univers où il n’y a pas de « gentils », et un Inquisiteur n’est certainement pas « gentil », tandis que l’Imperium est un système totalitaire absolument cauchemardesque), Gregor Eisenhorn, donc, se définit lui-même comme un Puritain de tendance modérée – au début de la série, du moins. L’extrémisme puritain lui est de toute façon inaccessible, car il est un psyker, même si guère puissant. Il perçoit bien ce que les Puritains plus outranciers que lui ont d’obtus, et il déplore leur fanatisme – il perçoit bien, aussi, que nombre d’entre eux se méfient de lui, et un Inquisiteur est le seul homme à même de destituer un autre Inquisiteur. Cependant, il déteste bien davantage les Radicaux – soupçonnant leur corruption intrinsèque. Seulement voilà : ce que nous raconte cette trilogie, d’une certaine manière, c’est comment le Puritain Eisenhorn, au fil de ses enquêtes et aventures, se tourne toujours davantage vers le radicalisme – une trajectoire fatale, anticipée par un interlocuteur hérétique, qui l’assure qu’il en va toujours ainsi… et que, au-delà du radicalisme, les Inquisiteurs dans son genre finissent toujours par ouvrir les yeux et percevoir et accepter enfin la gloire des Puissances de la Ruine.

 

Mais cet itinéraire demande du temps. Et la trilogie en tient compte : plus d’un siècle sépare les deux premiers volumes, et quelques décennies les deux derniers. Et chaque roman s’étend sur plusieurs mois – ne serait-ce qu’en raison des longs voyages dans le Warp qui y prennent systématiquement place. Eisenhorn – et ses compagnons – changent beaucoup sur cette longue période. Il faut dire qu’il y a un démon, du nom de Chérubaël, qui en veut personnellement à notre Inquisiteur, et le comble de son affection malvenue – mais, en outre, au fil de ses aventures, l’Inquisiteur Eisenhorn perçoit toujours davantage combien la société impériale, à tous les niveaux, est corrompue – oui, à tous les niveaux, et cela inclut l’Inquisition elle-même… Eisenhorn y a des ennemis – nombreux, puissants. Certains sont purs, si trop obtus, mais d’autres ont sombré dans la vénération du Chaos. Et il y a des complots partout. Notre Inquisiteur mûrit dans la défiance et l’obsession… ce qui le pousse toujours davantage aux mesures les plus extrêmes, au point d’y risquer son âme. Disons-le : dans le deuxième et surtout le troisième roman, le vieil Inquisiteur Eisenhorn commet des abominations qui auraient horrifié le jeune Gregor du premier volume – au point ou celui-ci aurait tout fait pour exposer la corruption de son avatar plus âgé, et obtenir sa juste condamnation.

 

Eisenhorn n’est pas seul, cela dit – il a son équipe, tout droit sortie de Mission : impossible ou ce genre de choses. Elle évolue, elle aussi : en fait, le premier chapitre du premier roman donne le ton, qui voit aussitôt une assistante badass de l’Inquisiteur, qu’on aurait pu croire durable, se faire défoncer irrémédiablement la cheutron. D’autres de ces assistants d’Eisenhorn seront dans ce cas par la suite, tout spécialement dans le très violent dernier volume, même si, comme à son habitude, Dan Abnett « triche » un peu à l’occasion… Mais passons : l’important, c’est que Gregor n’est pas seul. Parmi ses assistants, on trouve par exemple le savant Aemos, ou encore l’intouchable Bequin (une intouchable, dans l’univers de Warhammer 40,000, est une personne dotée d’une résonance psychique négative – comme telle, elle perturbe les psykers proches et les empêche de recourir à leurs pouvoirs ; les exemples les plus célèbres de ces intouchables sont les Sœurs du Silence), et quantité de pilotes, gardes, snipers, espions, etc. Il a aussi des alliés qui ne lui sont pas subordonnés : par exemple, le Libre-Marchand Tobias Maxilla, et divers Inquisiteurs – encore que les sentiments de ces derniers varient, les ennemis devenant des amis et vice-versa.

 

En tout cas, il a du pain sur la planche. Je ne vais pas rentrer dans le détail des histoires narrées dans ces romans, mais sachez du moins que ça bouge beaucoup, ça va à fond la caisse et quasi non-stop – au point en fait où, parfois, on a l’impression que Dan Abnett improvise et développe son récit au fil de la plume, sans avoir forcément de plan d’ensemble. Au pire, cela produit quelques écueils dans la rythmique : clairement, la fin du second roman est bien trop expédiée, après un intermède probablement un peu trop long et qui s’insère plus ou moins bien dans la trame globale – il y a de cela aussi dans le dernier volume. Mais, si ces tares sont notables et doivent être évoquées, elles ne constituent le plus souvent qu’un effet secondaire acceptable. De manière générale, ce rythme frénétique et passablement pulp fonctionne très bien : on n’a pas le temps de s’ennuyer, jamais ou presque, et on accepte volontiers de se faire balader à travers l’Imperium et dans les strates de sa société, au gré des enquêtes de Gregor Eisenhorn.

 

Et il faut noter une chose : si ces histoires ne sont donc pas aussi « martiales » que le roman Warhammer 40,000 lambda, elles ne manquent certes pas d’action – en fait, ça pète de partout ! Mais sur un mode plus divers que d’usage, et avec une efficacité très appréciable car plus concentrée. À l’occasion, Dan Abnett concocte à vrai dire des scènes d’action très visuelles et qui marquent durablement – à titre d’exemple, je citerais le défilé du deuxième roman, qui vire à la catastrophe… Il existe semble-t-il un projet d’adaptation en série TV, je suis curieux de voir ce que cela pourrait donner : il y a de quoi faire, mais non sans risque, j’imagine…

 

La singularité de la trilogie Eisenhorn joue en sa faveur – ainsi que le métier de son auteur, parfois trop visible, parfois trop nonchalant en même temps, un double trait qui me paraît caractéristique de Dan Abnett pour ce que j'en ai lu, mais dont on s’accommode bien à la condition de jouer le jeu. Cet omnibus a été une lecture très divertissante, exactement ce dont j’avais besoin là maintenant.

 

L’histoire se poursuit au-delà de cette trilogie initiale. Il existe d’ores et déjà une deuxième trilogie, liée à l’inquisiteur Ravenor, qui apparaît occasionnellement ici au côté de Gregor Eisenhorn – je m’en suis procuré l’omnibus, là encore, et lirai ça prochainement. Il existe aussi au moins un projet de trilogie autour de l’intéressant personnage de Bequin, dont le premier volet est paru, mais a priori pas le reste. On verra, en son temps.

 

Mais, pour l’heure, Eisenhorn a constitué une lecture pop-corn très appréciable.

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Le Dernier Livre des Merveilles, de Lord Dunsany

Publié le par Nébal

 

DUNSANY (Lord), Le Dernier Livre des Merveilles, [The Last Book of Wonder], traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel, [Rennes], Terre de Brume, coll. Terres Fantastiques, [1912-1916] 2000, 166 p.

 

Cela faisait très longtemps : retour à Lord Dunsany ! Et à ses brefs contes d’une patte unique… J’ai lu ses recueils dans l’ordre : après Les Dieux de Pegāna, qui demeure mon préféré, il y a eu Le Temps et les Dieux, puis L’Épée de Welleran et les Contes d’un Rêveur, et ensuite Le Livre des Merveilles. Aujourd’hui, c’est au Dernier Livre des Merveilles que je m’intéresse – le titre semble impliquer une parenté avec le précédent, mais, au fond, s’il y a bien des traits communs, cela n’est pas si évident ; initialement, d’ailleurs, ce recueil avait été publié sous le titre Tales of Wonder ; c’est l’édition américaine, au contenu un peu différent, qui a été rebaptisée The Last Book of Wonder – mais c’était le titre que préférait Dunsany, et celui qui a perduré.

 

Bien sûr, ce qualificatif de « dernier » évoque aussi une transition dans l’œuvre de Dunsany, qui, par la suite, délaisserait quelque peu ce genre de brefs contes oniriques qui avaient fait la gloire de la première partie de sa carrière littéraire – et on est tenté de le regretter, je suppose. Mais ceci, par essence, c’est un ressenti après coup – et il y a peut-être un autre biais qui opère, ici, lié à la date de publication du recueil : nous sommes en 1916, et le monde est plongé dans la « Grande » Guerre, avec son cortège d’atrocités. Dunsany, qui avait une carrière militaire parallèlement à celle d'homme de lettres, est d’ailleurs, de son propre aveu, blessé et en convalescence lorsqu’il rédige la préface à son recueil (et tout indique qu’il s’agit justement de la préface à l’édition américaine) ; une blessure qui n’a pas été infligée dans les tranchées, cela dit – mais lors de l’Insurrection de Pâques 1916 : l’Irlande, patrie du baron, est déchirée comme l’Europe l’est. Or ce contexte peut biaiser quelque peu le ressenti du lecteur – conférer des connotations plus sombres à l’ironie grinçante dont l’auteur était coutumier, éventuellement, mais surtout privilégier le sentiment nostalgique, et vaguement ou moins vaguement douloureux, aux vignettes purement enjouées et flamboyantes de la fantasy la plus onirique (si elles ne sont pas totalement absentes non plus) ; on croit trouver, çà et là, des échos de la guerre, quoi qu’il en soit – tristes et las. Mais voilà : ça n’est pas toujours à bon droit – les dix-neuf contes compilés ont été pré-publiés dans la presse entre 1912 et 1916, et bon nombre sont donc antérieurs à la grande conflagration qui met un terme à une époque et accouche dans le sang d’une autre. Mais le sentiment demeure, souvent – et la préface semble témoigner, ici, d’une ambiguïté dans l’état d’esprit de l’auteur lui-même : Dunsany, sans en faire l’apologie, affirme ne pas critiquer la guerre en tant que telle – et, surtout, il tient à assurer à son lecteur (américain, distant, pas encore impliqué) que les beaux jours reviendront, que le cauchemar prendra fin, et que l’on rêvera à nouveau, si jamais on avait arrêté de le faire. Mais la belle formule qui conclut cette préface laisse entendre un autre son de cloche : ce qu’il offre à ses lecteurs, ce « livre de rêves venus d’Europe », il l’offre « comme au dernier moment l’on jette des objets de valeur, même si ce n’est qu’à soi-même, par la fenêtre d’une maison en flammes ». Les récits portant spécifiquement sur la guerre ne viendraient cependant qu'ultérieurement.

 

Comme son prédécesseur Le Livre des Merveilles, Le Dernier Livre des Merveilles est un recueil divers, incomparablement plus que les premiers de l’auteur – et même que le précédent, à vrai dire : nul « Bord du Monde », ici, pour donner au moins un semblant d’unité aux vignettes les plus disparates. On y trouve bien de cette fantasy onirique qu’il est devenu d’usage de qualifier spécifiquement de « dunsanienne », mais aussi des récits de pur fantastique, et très terrestres en même temps. Les ambiances sont très variables : ici l’on est enchanté, là on tremble (un peu...), là-bas on rit. Et la nostalgie revient souvent, donc, teintée de mélancolie.

 

Mais s’il est un trait qui me paraît caractéristique de ce recueil, et qui me semble faire écho à ces « objets de valeur jetés par la fenêtre », peut-être aussi à l’idée d’un « dernier » livre de cette sorte, c’est l’abondance de « fantômes d’histoires » parmi les contes ici compilés. Sans doute y en avait-il déjà eu précédemment, et souvent même, mais, peut-être à tort, je crois que ça ne m’a jamais autant saisi qu’ici : un nombre non négligeable de ces vignettes ne constituent pas en elles-mêmes des récits, mais plutôt des variations sur le contexte des récits annoncés, et qui se gardent bien de livrer l’histoire en elle-même. À titre d’exemple, le lecteur ne saura pas plus « Ce pourquoi le laitier frémit lorsqu’il voit poindre l’aurore » à la fin de la nouvelle ainsi titrée qu’il ne le savait au début – il saura seulement qu’il y en a qui le savent, et qui en frémissent eux-mêmes. On pourrait en citer plusieurs autres exemples – au point à vrai dire où, dans les moins inspirés de ces textes, il peut y avoir comme un vague sentiment de formule.

 

Car on ne va pas se leurrer : tous ces contes ne sont pas des chefs-d’œuvre, si nombre d’entre eux sont délicieux, de par leur caractère fantasque ou en raison de leur humour teinté d’absurde, et relativement noir, souvent. L’ironie est régulièrement de la partie, c’est certain – en témoigne d’emblée « Un conte de Londres », ou la description très Mille-et-une Nuits de la capitale anglaise, faite à un calife qui a son idée sur la question par un visionnaire sous l’emprise de la drogue : cette Londres ressemble à s’y méprendre aux villes oniriques des premiers recueils de l’auteur. De même sans doute « La Ville sur la Lande de Mallington », même si, jouant du thème du Petit-Peuple, elle puise dans un folklore davantage européen. « Un conte de l’équateur », ici, a peut-être quelque chose d’une synthèse – mais, déjà avant, « Comment Ali vint au Pays Noir » confronte l’imaginaire oriental à la maussade réalité d’une Londres défigurée par l’industrie et la pollution…

 

Nombre des textes les plus marquants de ce recueil ne jouent en fait pas de la carte onirique si typiquement dunsanienne, et relèvent bien davantage d’une littérature fantastique plus commune mais pas moins habile – et souvent drôle, à sa manière éventuellement noire. « Treize à table » en fournit le premier exemple, avec son ambiance soignée et son détestable narrateur – si la chute ne me paraît pas vraiment à la hauteur. « Le Bureau Universel d’Échange de Maux » est probablement plus constant, et très efficace – dans une manière grinçante et absurde éventuellement reprise par le dernier conte du recueil, « Les Trois Infernales Plaisanteries ». Il semblerait d’ailleurs que ces deux nouvelles précisément ont été les plus rééditées du recueil, au point de devenir de véritables classiques. Il en va de même pour « Le Jeu des trois marins », nouvelle dans laquelle Dunsany met en scène sa passion des échecs, pour un résultat aussi intriguant qu’amusant. Ce conte, je le rapprocherais volontiers d’un autre, plus ironique encore (peut-être surtout parce que son auteur est un baron), « Le Club des Exilés » ; et je ne peux m’empêcher de me dire que ce récit grinçant était très à propos en 1915 – la guerre devant bientôt faire tomber la plupart des monarchies européennes… Mais méfions-nous de ce genre d’interprétation : « La Tour de garde », un peu plus haut, semble faire écho à la guerre, à tout ce qu’elle a d’absurde, et de naturellement récurrent (un sentiment exprimé dans la préface, donc)… mais ce texte date en fait de 1912.

 

Il est enfin un conte qui se singularise de lui-même : « Une histoire de terre et de mer ». Ce récit, bien plus long que tous les autres (une vingtaine de pages, là ou aucun autre ne dépasse la dizaine, et la plupart tiennent en quatre ou cinq), fait délibérément écho au Livre des Merveilles, et joue d’une carte fantasque qui diffère étrangement de la manière dunsanienne antérieure. Nous y voyons un bateau pirate… qui entreprend de traverser le Sahara ! Cette nouvelle déborde d’un imaginaire enjoué et enchanteur, avec quelque chose d’agréablement puéril, évoquant un petit garçon jouant avec ses Lego en ce qui me concerne… Et ça m’a aussi fait penser à du Terry Gilliam, disons. Ceci dit, j’ai trouvé que ce texte s’éternisait un peu trop… Peut-être parce qu’avec Dunsany je me suis habitué à des formats autrement condensés.

 

Le Dernier Livre des Merveilles est un bon recueil, à n’en pas douter. Les amateurs de Dunsany y retrouveront avec plaisir son art du conte, son sens de l’ellipse, sa langue flamboyante et délicieusement archaïque. Maintenant, je ne saurais le hisser au niveau extraordinaire des premiers recueils de l’auteur, et tout spécialement de son chef-d’œuvre Les Dieux de Pegāna. Qu’importe : Dunsany était un immense auteur, et il est affligeant qu’il ne soit pas davantage lu de nos jours – et notamment en France. Il faudrait vraiment faire quelque chose pour y remédier…

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