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"Goethe et un de ses admirateurs", d'Arno Schmidt

Publié le par Nébal

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SCHMIDT (Arno), Goethe et un de ses admirateurs, [Goethe und Einer seiner Bewunderer], traduit de l’allemand par Claude Riehl, postface par Jörg Drews, Auch, Tristram, [1958] 2006, 61 p.

 

Après la kolossale baffe que fut Scènes de la vie d’un faune, à n’en pas douter une de mes meilleures lectures de l’année dernière, j’ai tout naturellement eu envie de prolonger l’expérience Arno Schmidt. À la recherche de livres petits par la taille, je me suis donc finalement procuré ce Goethe et un de ses admirateurs (ainsi qu’Alexandre ou Qu’est-ce que la vérité ?). Il faut dire que le postulat de ce très court récit avait de quoi intriguer…

 

En effet, on a trouvé le moyen de ressusciter les morts ! Mais seulement une fois tous les cent ans, et pour quinze heures seulement… Cela dit, ce n’est pas rien. Les défunts ramenés à la vie, cependant, risquent d’être fortement désarçonnés par le monde dans lequel on les plonge sans véritablement leur demander leur avis ; aussi ont-ils besoin d’un guide…

 

Et voilà : c’est à Arno Schmidt lui-même (car c’est bien lui le narrateur de ce court récit) de servir de guide à un illustre écrivain d’antan. Or, consultant la liste, l’homme du métier se rend compte que personne n’a osé ramener le Grand Homme, l’illustre auteur des Souffrances du jeune Werther, du Faust, etc., autant dire l’auteur qui incarne l’Allemagne, l’incontournable, le meilleur d’entre les meilleurs. Arrogant comme c’est pas permis, c’est tout naturellement qu’Arno Schmidt se propose pour guider Goethe.

 

Et c’est parti. Quinze heures de pérégrinations avec deux écrivains rivalisant de prétention. Et l’occasion pour Arno Schmidt – qui se présente à l’Illustre comme un des plus grands écrivains allemands contemporains, ce en quoi il n’avait sans doute pas tort – de dresser un portrait au vitriol de son « collègue », porté sur la bouffe et la boisson, et surtout… de se venger. Et de venger avec lui tous les Allemands qui ont dû bouffer du Goethe à tort et à travers, tout Goethe, le meilleur comme le pire, pour la simple raison que l’on en avait fait une incarnation de l’Allemagne dans ce qu’elle a de plus grand, et, qui plus est, épargnée par le régime nazi qui lui a préféré d’autres figures – ce qui le rendait toujours fréquentable, et même plus, à l’époque du récit.

 

Critique impitoyable, donc, du culte de la personnalité rendu à Goethe, semble-t-il particulièrement exacerbé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; mais critique littéraire, également, où Goethe, le parfait Goethe, en prend pour son grade… Non qu’Arno Schmidt rejette en bloc toute l’œuvre du Grand Homme ; mais il en stigmatise certaines dérives, distingue le jeune Goethe révolutionnaire et le vieux Goethe engoncé dans le classicisme qu’il a incarné plus que tout autre, sans doute. En parallèle, nous avons les lettres de Schmidt, qui évoquent tout d’abord son admiration pour le collègue, puis son exaspération…

 

Formellement, Goethe et un de ses admirateurs reprend le dispositif intriguant de Scènes de la vie d’un faune. C’est donc là encore parfaitement déstabilisant au premier abord, avant de couler assez bien (même si je n’ai pas autant goûté la plume de l’auteur ici que dans le chef-d’œuvre précité). C’est surtout assez drôle, dans son outrecuidance irrévérencieuse. Les deux personnages sont plus infects et imbus d’eux-mêmes l’un que l’autre, et c’est ce qui les rend irrésistibles.

 

Reste que c’est là un texte pour lequel il me manquait des clefs. Aussi ne puis-je prétendre l’avoir autant apprécié que Scènes de la vie d’un faune. Il me semble en effet que seul un Allemand, et peut-être même pire, seul un Allemand contemporain d’Arno Schmidt, peut parfaitement en saisir la portée. Il faut sans doute, pour en apprécier tout le sel, bien connaître la littérature allemande en général, et bien évidemment Goethe en particulier. Il faut surtout, j’imagine, avoir bouffé du Goethe, donc, l’avoir subi contraint et forcé, avoir été soumis au culte de la personnalité… Or je ne peux prétendre connaître vraiment Goethe, n’ayant lu de lui, sauf erreur, que Les Souffrances du jeune Werther et le Faust (donc) ; qui plus est, on ne m’en a pas imposé la lecture, ce fut un choix parfaitement libre, et un bon choix : j’ai adoré ces lectures (tout particulièrement le premier Faust). Mais je comprends tout de même, en gros, l’exaspération rigolarde d’Arno Schmidt.

 

Goethe et un de ses admirateurs est donc loin d’avoir le caractère indispensable de Scènes de la vie d’un faune. En tant que tel, pour un Français ignorant tel que votre serviteur, cela reste une lecture amusante, mais guère plus ; là, il me manquait clairement le bagage pour vraiment l’apprécier…

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"Les Mille et Une Nuits"

Publié le par Nébal

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Les Mille et Une Nuits

 

Attention : il ne s’agit ici bien évidemment pas des célèbres contes arabes introduits en Europe par Galland (et dont j’avais indirectement parlé ici), mais d’un « jeu narratif » qui s’en inspire, créé par Meguey Baker, et publié en français par Narrativiste. Un tout petit bouquin, bien loin des monstrueux pavés originaux, mais qui, une fois de plus, m’a donné sacrément envie de m’y mettre : un de ces étés, faudra que…

 

Une chose frappe immédiatement à la lecture de ce bref volume, et c’est, en dépit d’une police pas forcément heureuse car pas toujours très lisible, sa très grande beauté. Il regorge en effet de superbes illustrations et peintures de Maxfield Parrish, Edmond Dulac, H.J. Ford, Frank Godwin, Harry G. Theaker, René Bull, Viktor Vasnetsov, Jean Léon Gérôme… Un vrai régal pour les yeux, tout en couleurs. Ne serait-ce que pour cela, on peut bien tirer son chapeau à Narrativiste, qui nous a proposé ainsi un très beau produit.

 

Mais parlons maintenant du jeu en lui-même. Il ne s’agit pas ici de vivre des aventures à la manière des Arabian Nights dans un monde arabe donné et abondamment détaillé, mais de revenir à l’essence même des Mille et Une Nuits (et peut-être même du jeu de rôle, dans un sens ?), à savoir le conte. Dans ce jeu sans MJ, une fois de plus (enfin, pas tout à fait, mais on y reviendra…), chaque joueur incarne en effet plusieurs personnages : au premier niveau, il est un membre de la cour du Sultan, qui, outre ses fonctions bien précises (astrologue, danseuse, eunuque, caravanier…), fait ici office de conteur ; mais, à un second niveau, il incarne également un personnage dans les contes élaborés par ses rivaux.

 

Ainsi, les contes des Mille et Une Nuits ne sont pas innocents : il s’agit en effet pour les joueurs (de premier niveau) de rivaliser d’astuce pour briller à la cour, aux dépends des autres s’il le faut ; le but étant soit de réaliser son ambition (définie lors de la création du personnage), soit d’obtenir sa liberté (et de quitter ainsi indemne la cour), tout en assurant sa sécurité (pour ne pas obtenir de blâme du Sultan, et encore moins se faire décapiter par le despote ulcéré…). Le jeu se finit ainsi quand une de ces trois conditions est remplie : sécurité, ambition et liberté sont donc les trois données fondamentales de la très sommaire fiche de personnage.

 

Celle-ci comprend d’autres aspects, bien sûr : le nom et la fonction sont fondamentaux (des listes sont proposées) ; les envies, par rapport aux autres personnages, sont également importants, et déterminent largement l’ambition. J’avoue être un peu plus sceptique pour ce qui est des sens et de l’habillement, censés contribuer à la définition du personnage (oui, certes), mais qui, en l’état, avec les nombreux exemples et listes, me paraissent tout de même gaspiller de l’encre… Bon, admettons : cela peut contribuer à se mettre dans l’ambiance…

 

La partie commence au premier niveau. Les joueurs décrivent la cour du Sultan, ce qu’ils font, et ainsi les conditions dans lesquelles l’art du conteur va se déployer. Ils se fondent pour cela sur leurs envies et leur ambition (en s’inspirant en outre, pour la description, des sens et de l’habillement, donc). Les rivalités peuvent ainsi se mettre en place.

 

Puis un des joueurs va se mettre à raconter une histoire. Mais il ne s’agira pas pour lui de l’improviser entièrement : il va en fait donner un titre, une situation de départ, et des personnages (de second niveau) dont il va attribuer l’interprétation aux autres joueurs, en fonction de son ambition et de ses envies, dans l’espoir, par exemple, de ridiculiser untel, ou d’élever tel autre. Le brillant courtisan peut ainsi être amené à incarner un chameau, etc. Le conte, dès lors, se déploie en fonction des éléments apportés par tout un chacun : ici plus qu’ailleurs, Les Mille et Une Nuits prend toute sa dimension de jeu narratif.

 

Et c’est également à ce moment-là que les gemmes entrent en jeu, sous la forme, dans un sens, d’interrogations ou de paris sur le cours que va prendre l’histoire. C’est le conteur (le meneur de jeu) qui tranche, en fonction des diverses possibilités offertes par la narration. Quand la situation est résolue, on jette un dé : si le résultat est pair, le joueur place la gemme dans son bol ; s’il est impair, il place la gemme dans le bol du MJ ; quand celui-ci a obtenu huit gemmes, on ne peut plus en déposer de nouvelles, et il s’agit alors pour lui de mettre fin à l’histoire (les autres gemmes déposées sont, soit résolues, soit « victimes » d’une interruption du Sultan).

 

Chaque joueur, à la fin du conte, se retrouve ainsi avec un certain nombre de gemmes, qu’il répartit entre la sécurité, l’ambition et la liberté. Pour ce qui est de la sécurité, il faut obtenir au moins un résultat pair, sous peine de déplaire au Sultan (et la troisième fois que ça arrive… couic !) ; on compte également les résultats pairs pour l’ambition et la liberté : s’il y en a cinq en ambition, le courtisan atteint son but et gagne la partie ; de même s’il y en a sept en liberté. Sinon, le jeu se poursuit, en jouant tout d’abord les scènes de cour (en fonction des résultats des gemmes), puis en passant à un nouveau conte (le MJ sera celui qui n’a pas encore conté et qui a le moins de gemmes dans son bol). En fin de partie, chacun raconte en outre un épilogue en fonction de ce qui s’est produit.

 

Ce jeu des Mille et Une Nuits ne manque donc pas d’astuce, et propose des concepts très intéressants (même s’ils me paraissent à première vue parfois un brin artificiels dans leur mise en place). Pourtant, je dois reconnaître qu’il ne m’emballe pas autant que les deux autres jeux narrativistes dont je vous ai parlé récemment : il ne me paraît pas aussi enthousiasmant que Fiasco, et n’a pas le côté fascinant/troublant/dérangeant de Mnémosyne. J’ai en outre l’impression qu’il ne peut prendre véritablement tout son sens qu’avec des joueurs relativement chevronnés, et l’improvisation nécessaire me paraît d’une certaine manière plus difficile à mettre en place… Mais ce n’est qu’une impression. Il peut néanmoins s’avérer très distrayant, et constitue une intéressante mise en abyme du conte. Faut voir, donc…

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"Les Femmes de Stepford", d'Ira Levin

Publié le par Nébal

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LEVIN (Ira), Les Femmes de Stepford, [The Stepford Wives], traduit de l’américain par Tanette Prigent et Noman Gritz, Paris, J’ai lu, [1972] 1974, 158 p.

 

Si je me suis bien sûr maintes fois régalé du film de Roman Polanski Rosemary’s Baby, je n’avais jusqu’à présent lu qu’un seul roman d’Ira Levin, son auteur : Un bonheur insoutenable, dystopie dans la lignée de 1984 et compagnie, correcte, mais tout de même écrasée par l’ombre des géants dont elle s’inspirait. Enfin, dans mon vague souvenir : c’était il y a longtemps…

 

Mais j’avais depuis longtemps envie de lire Les Femmes de Stepford, court roman qui a tout naturellement trouvé sa place dans mon cycle de livres petits par la taille. Un roman qui date des années 1970, et ça se sent… mais le plus terrible dans ce cauchemar est sans doute qu’il n’a rien perdu de son actualité, voire qu’il en a gagné entre-temps. Horreur glauque… Les Femmes de Stepford s’intéresse en effet à la condition des femmes. Il en dresse un tableau qui sent son MLF et sa domination masculine, un poil désuet par certains côtés, mais hélas toujours parlant dans notre triste monde tragique, quarante ans plus tard.

 

Joanna (féministe, mais qui a arrêté de travailler pour élever ses gosses, même si elle fait un peu de photo de temps à autre…) vient de s’installer avec son époux Walter, très progressiste, à Stepford, souriante ville de banlieue (au sens ricain) qui change agréablement de l’enfer new-yorkais. Ici, tout le monde est abominablement gentil. On fête l’arrivée des nouveaux venus, qui apprécient bien vite le calme et la convivialité des habitants.

 

Le problème, c’est que question activités, c’est quand même un peu la zone, Stepford. Enfin, pour les femmes, surtout. Car Stepford, voyez-vous, a un de ces archaïsmes invraisemblables dans les modernes années 1970 (lisez 2010), à savoir un « Club des Hommes » (Ministère de l’Homme, pour ceux qui en ont). Walter en devient membre, bien sûr, espérant répandre le virus du progressisme de l’intérieur pour ouvrir cette relique antédiluvienne aux femmes et cesser cette discrimination absurde.

 

Mais Joanna n’entend pas rester les bras croisés de son côté. Elle se met donc à faire le tour des femmes de Stepford pour monter à son tour un club qui leur serait ouvert, et les sortirait de leur quotidien morose. Morose ? Pensez-vous ! Il y a tant à faire… Non, vraiment, elles n’ont pas le temps, il faut qu’elles s’occupent de leurs maris et de leurs enfants, il y tant de choses à faire à la maison, ce serait égoïste que de faire l’impasse dessus… Mais n’imaginez pas de pauvres et fragiles femelles oppressées par leurs maris, hein ! Non, c’est de leur plein gré qu’elles s’enferment dans leur ménage. Et c’est toujours avec un grand sourire (et un bac de linge resplendissant dans les bras) qu’elles disent non à Joanna, ces épouses modèles tout droit sorties d’une publicité ringarde.

 

Joanna ne trouve finalement que deux, puis trois autres femmes dans tout Stepford pour s’associer à elle. Et c’est tout. Et le pire, c’est que ce n’est pas dit que ça dure… Parce que c’est quand même étrange, cette situation, à Stepford. Un phénomène statistique unique, sans doute. Un fantasme régressif qui a peut être bien une raison extérieure… Mais dans ce cas, le combat de Joanna pour émanciper les femmes de Stepford ne serait-il pas perdu d’avance ? Et, pire encore, ne serait-elle pas condamnée à finir comme elles, comme ces femmes au foyer pas du tout dépressives, parfaites à vrai dire, si souriantes, si serviables, si aimantes ? Comme s’il y avait quelque chose de viral dans l’air, ou dans l’eau, ou… non, quand même pas !

 

Sur ce postulat diaboliquement simple et pertinent, Ira Levin construit avec un grand professionnalisme un thriller (SF ou pas ? eh…) étonnamment palpitant et indubitablement intelligent, tellement paranoïaque qu’on aurait envie de le dire dickien. Le roman ne brille certes pas par le style (mais la traduction aurait probablement besoin d’être dépoussiérée…), mais c’est de peu d’importance devant l’astuce dont il fait preuve. Ce cauchemar particulièrement oppressant sous la bonhomie et la gentillesse de façade s’inscrit ainsi bel et bien dans la lignée de Rosemary’s Baby, et se montre tout aussi efficace et juste.

 

Un roman ancré en plein dans les années 1970, disais-je… Mais quand on voit les discours que d’aucuns tiennent aujourd’hui – dont bon nombre de femmes… –, après une ellipse assez souvent, on se prend à frissonner d’autant plus. Les Femmes de Stepford, c’est triste à dire, constitue encore aujourd’hui, ou plus encore aujourd’hui, une utopie pour certains dinosaures… peu importe leur sexe. Il y en a bel et bien pour rêver de ces femmes au foyer souriantes à forte poitrine. Le cauchemar des Femmes de Stepford s’insinue ainsi dans notre quotidien, ce qui ne le rend que plus terrifiant encore.

 

Une vraie réussite, donc, qui, sous les dehors d’une littérature de pur divertissement, pointe de vrais problèmes, et qui mérite encore d’être lu aujourd’hui tant il n’a pas perdu de son acuité… voire en a gagné.

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"Vampire : The Eternal Struggle"

Publié le par Nébal

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Vampire : The Eternal Struggle

 

À l’époque où les jeux de cartes à collectionner sont apparus et ont submergé le monde, j’avoue m’y être pas mal adonné. Le premier, bien sûr, ce fut Magic, qui m’a procuré des heures de jeu fort sympathiques. Mais celui qui m’a le plus durablement marqué et passionné, au point que je m’en suis repayé une boîte de starters il y a peu pour y initier mes petits camarades, c’est sans conteste Vampire : The Eternal Struggle (qui s’appelait Jyhad lors de sa première édition ; une mauvaise idée, sans doute…). Ce jeu, également développé par Richard Garfield et Wizards of the Coast (mais bien vite repris par White Wolf), et historiquement si je ne m’abuse le deuxième du genre, n’a certes pas eu le succès de son glorieux aîné, n’a jamais eu l’honneur d’une traduction française, et sa commercialisation a cessé il y a quelques années de cela. Et c’est bien dommage, parce que c’est indubitablement un des meilleurs jeux que je connaisse, tous genres confondus.

 

Je l’ai d’abord découvert, tout gamin, sous le nom de Jyhad. Déjà fasciné par le jeu de rôle Vampire : la Mascarade dont il s’inspire, je m’étais en effet risqué à en commander quelques cartes (avec une traduction française des règles et des cartes sur feuilles imprimées !) pour voir un peu ce que ça pouvait donner. Sans surprise, je n’y ai absolument rien pigé pendant des années… et ai passé ma frustration sur Magic, avec des decks forcément noirs comme la nuit (ouh ouh). Mais, quelques années plus tard, quand j’ai été en mesure de comprendre au juste de quoi il retournait, je m’y suis remis en compagnie de joyeux camarades et y ai pris énormément de plaisir, même si je n’ai jamais été un joueur très efficace. Peu importe : c’est toujours l’aspect purement ludique qui me séduisait, dans ce double plaisir particulier à ces jeux consistant tant à élaborer méticuleusement des paquets variés qu’à les tester contre des adversaires nécessairement fourbes ; et du coup je n’ai jamais forcément cherché la victoire, mais simplement à passer un bon moment. Ce qui a duré des années… jusqu’à ce que mes joyeux camarades et moi-même succombions à l’appel de la compétition, expérience qui m’a paru très désagréable – je n’aime décidément pas l’esprit de compétition et ne me reconnaissais pas dans les joueurs qui l’avaient – et a fini par m’éloigner de ce jeu que j’aimais tant… Mais, comme dit plus haut, je m’en suis donc il y a peu procuré une boîte de starters (de Vampire : The Eternal Struggle, c’est-à-dire la deuxième édition, purement Camarilla) afin de constituer sept paquets tout bêtes (un par clan de la Camarilla, donc) et d’y initier quelques rôlistes de ma connaissance, et plus si affinités. Pour le pur plaisir de jouer. Et ce plaisir, après toutes ces années, est resté intact, effaçant le mauvais souvenir laissé par la période « compétition ». Et c’est pourquoi j’ai envie de vous parler de ce jeu aujourd’hui.

 

Même s’il en constitue un succédané et en reprend le mécanisme fondamental, Vampire est un jeu très différent de Magic (et mille fois plus intéressant à mon sens, donc, sans cracher sur les bons moments que m’a procuré le premier JCC). Notamment en ce qu’il ne prend sa pleine dimension qu’au-delà de deux joueurs (l’idéal étant quatre ou cinq), ce qui permet de déployer tout son aspect, disons, « politique ». Aussi les parties sont-elles généralement bien plus longues et complexes qu’un « simple » affrontement martial entre deux magos. Chaque joueur, ici, incarne un mathusalem, c’est-à-dire un très vieux vampire qui tire les ficelles de la société vampirique. Le joueur à gauche constitue sa proie, le joueur à droite son prédateur. Le but est donc d’éliminer sa proie, puis la suivante, etc., afin de récupérer des points de victoire… tout en évitant bien sûr de se faire tuer par son prédateur.

 

Pour agir, le mathusalem dispose d’une réserve de points de sang (trente normalement au départ). Ces points de sang représentent à la fois sa « vie » (comme à Magic), mais aussi – ce qui change tout – sa capacité de jeu, puisqu’il va s’agir pour lui de les investir judicieusement afin de saigner sa proie et de se défendre contre son prédateur. Et, notamment, c’est avec ces points de sang que le mathusalem va pouvoir faire entrer en jeu des vampires (cartes à dos marron) ; ces vampires, à leur tour, pourront se livrer à tout un paquet d’actions, et c’est généralement par leur biais que seront utilisées les cartes à dos vert constituant la bibliothèque.

 

Chaque tour de jeu (dans l’ordre des aiguilles d’une montre en principe, et donc dans l’ordre de prédation) est composé de plusieurs phases. La première est l’untap, dans laquelle on redresse les cartes engagées précédemment afin de pouvoir les utiliser à nouveau (et certains effets de jeu s’appliquent à ce moment-là). La deuxième phase est consacrée au cartes master – des cartes grises représentant dans un sens l’action directe du mathusalem sur le déroulement de la partie ; on peut en jouer une par tour. Suit la phase d’action : c’est alors que les serviteurs du mathusalem – pour l’essentiel des vampires – peuvent agir, de bien des façons différentes (j’y reviendrai en détail par la suite). Il y a ensuite la phase de transfert, au cours de laquelle le mathusalem interagit avec sa crypte, afin notamment de faire apparaître des vampires dans le jeu. Et le tour s’achève sur la phase de défausse (différence essentielle avec Magic et compagnie : il n’y a pas de phase de pioche ; en principe, dès qu’une carte est jouée, elle est immédiatement remplacée : il s’agit donc souvent de faire tourner le paquet, ce que permet en dernier recours cette ultime phase). On passe alors à la proie, et le même cycle se répète.

 

Mais revenons sur la phase d’action. Les minions (vampires – kindred – et alliés) agissent chacun individuellement (autre grosse différence avec Magic). Certaines de leurs actions sont représentées par des cartes, et peuvent être très diverses (comme les actions politiques, nécessitant un vote, dont l’issue dépendra des vampires en présence et des cartes jouées, ou encore s’équiper, ou aller chercher un allié ou un larbin, etc.) ; mais d’autres interviennent indépendamment. C’est le cas notamment de l’action fondamentale du jeu qu’est le bleed, c’est-à-dire le fait de « saigner » la proie pour lui faire perdre des points de sang. Mais d’autres actions sont également possibles, qui sont généralement à + 1 stealth de base (ce qui signifie que, pour pouvoir la bloquer, un vampire adverse doit avoir au moins + 1 intercept, les niveaux de ces deux notions pouvant varier du fait des cartes jouées) ; par exemple, le vampire peut partir chasser pour regagner un point de sang (sa réserve, de même que celle du mathusalem, incarnant à la fois sa « vie » et sa capacité d’action, mais aussi son « âge »). Une action engage normalement le minion… qui ne sera donc plus disponible ultérieurement pour protéger son maître contre les actions des autres mathusalems, du moins jusqu’à la prochaine phase d’untap. Notons enfin que la variété des actions offerte au vampire dépend largement de ses « disciplines », c’est-à-dire de ses capacités surnaturelles : l’Auspex, par exemple, est une forme de télépathie très utile en défense ; la Domination intervient notamment pour augmenter le bleed, ou en politique ; le Protéisme permet au vampire de se métamorphoser, ce qui lui offre par exemple souvent l’occasion de faire des dégâts aggravés, etc. Chaque discipline a deux niveaux ; si le vampire a la discipline requise au niveau inférieur, il en applique le texte en caractère romains ; s’il l’a au niveau supérieur, il peut en appliquer le texte en caractères gras.

 

Parlons maintenant des combats. Quand deux vampires se rencontrent – quand un vampire bloque l’action d’un autre vampire –, il y a (normalement) combat. Lequel, à son tour, se décompose en plusieurs phases : certaines cartes doivent être jouées au début du combat ; ensuite, c’est la phase de manœuvre : les vampires commencent au corps à corps, mais ils peuvent utiliser des cartes pour s’éloigner ou, du coup, se rapprocher ; vient ensuite le strike, qui débouche sur la résolution des dégâts ; se pose enfin la question de la poursuite : si un joueur joue une press, le combat se continue en revenant à la première phase, etc. Un vampire réduit à zéro points de sang est ultérieurement contraint d’aller chasser ; en dessous, ou s’il se prend des dégâts aggravés, il part en torpeur… et c’est alors éventuellement l’occasion de commettre la diablerie, quasiment le seul moyen de se débarrasser définitivement d’un vampire.

 

Ces mécanismes sont relativement complexes au premier coup d’œil, ce qui peut être un brin déstabilisant. Mais le jeu est fort bien conçu, et on acquiert vite les réflexes essentiels. Ce qui n’enlève rien à son incroyable complexité, au sens de richesse. On peut en effet jouer à VTES de bien des manières différentes – un nombre presque infini, à vrai dire ; d’aucuns vous diraient que c’est là une caractéristique essentielle des jeux de cartes à collectionner, mais j’aurais envie de dire que la subtilité du jeu est telle que cet infini-là est plus grand que les autres… ou du moins qu’on en prend plus frontalement conscience. Et c’est absolument fascinant et passionnant.

 

Cette deuxième édition se focalise uniquement sur les sept clans de la Camarilla (ceux du Sabbat et les indépendants ont été couverts par les éditions ultérieures et les diverses extensions). Je vais rapidement présenter ici ces clans, en notant que chaque vampire est unique, et peut avoir des disciplines traditionnellement rattachées à d’autres clans (ce qui accroît d’autant les possibilités de construction de deck, bien sûr, même si je n’ai créé ici, pour initier mes camarades, que des paquets « purs »). Chaque clan a en effet trois disciplines de prédilection, qui déterminent largement le style de jeu. Les Brujah (Celerity, Potence, Presence) sont des bêtes de combat, capables de frapper vite et fort, et on tend donc avec eux à jouer au casse-vampires (autrement dit, à nettoyer le terrain pour forcer le passage). Les Gangrel (Animalism, Fortitude, Proteism) sont des métamorphes souvent à même de faire des dégâts aggravés, ce qui les rend également redoutables au combat. Les  Malkavian (Auspex, Dominate, Obfuscate), ces gros dingues, sont très polyvalents, et en mesure de faire passer du bleed en stealth, ce qui peut faire très mal… Les hideux Nosferatu (Animalism, Obfuscate, Potence) sont également très polyvalents, même s’ils sont avant tout les rois de la discrétion. Les Toreador (Auspex, Celerity, Presence) jouent également la carte de la polyvalence, étant aussi bons en « attaque » qu’en « défense ». Les Tremere (Auspex, Dominate, Thaumaturgy) sont surtout efficaces en défense, à mon sens ; leurs puissantes cartes de thaumaturgie ne sont cependant le plus souvent utilisables que suite à une press, ce qui peut rendre leur jeu un peu délicat. Les Ventrue (Dominate, Fortitude, Presence), enfin, sont mes chouchous : souvent politicards, ce sont en tout cas les maîtres incontestés du gros bleed dans ta gueule…

 

Rien qu’avec des jeux « purs » de cette seule édition, les possibilités ouvertes sont ainsi énormes, témoignage éloquent de la richesse de ce jeu d’exception. Car, au risque de me répéter, VTES est clairement le meilleur jeu de cartes à collectionner que je connaisse, et c’est avec un énorme plaisir que je m’y suis remis récemment, rien que pour le fun.

 

La nostalgie, camarades…

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"L'Appel de Cthulhu : Par-delà les Montagnes Hallucinées"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Par-delà les Montagnes Hallucinées

L’Appel de Cthulhu : Par-delà les Montagnes Hallucinées : Kit d’expédition

L’Appel de Cthulhu : Par-delà les Montagnes Hallucinées : La Bande originale

 

Tiens, pour une fois, j’ai fait les choses dans l’ordre, moi (ou à peu près…). Du coup, je vous parle de cette monumentale campagne qu’est Par-delà les Montagnes Hallucinées après l’avoir fait jouer. D’où un compte rendu qui va adopter une forme un peu particulière. Dans un premier temps, je vais donc présenter à mon habitude les différents suppléments composant cette campagne (auxquels il faut ajouter le « roman » de Lovecraft Les Montagnes Hallucinées ainsi que celui d’Edgar Allan Poe Les Aventures d’Arthur Gordon Pym) ; dans un second temps, je vais tâcher de résumer la campagne telle que nous l’avons vécue, mes joueurs et moi-même (avec des SPOILERS à la pelle, donc) ; enfin, viendra l’heure du débriefing, qui permettra de faire le bilan de l’ensemble.

 

I/ Les suppléments

 

La campagne Par-delà les Montagnes Hallucinées en elle-même se présente sous la forme d’un très gros et très beau volume d’environ 700 pages ; ça pèse son poids, et fait d’emblée prendre conscience du caractère hors-normes de cette campagne, une des plus grosses jamais publiées pour L’Appel de Cthulhu, à même de rivaliser avec les légendaires Masques de Nyarlathotep (notons cependant que le découpage en livrets de cette dernière en rend le maniement autrement plus facile ; ici, au contraire, il faut sans cesse jongler entre de très volumineux chapitres et des annexes énormes – d’environ 200 pages…).

 

On saluera – une fois n’est pas coutume… – le très beau travail réalisé par Sans-Détour sur ce gros tome (je précise au passage qu’il s’agit ici de la première édition de Sans-Détour ; l’ouvrage a été réédité récemment, avec un certain nombre, semble-t-il, de modifications d’ordre essentiellement cosmétique) : pour une fois, le livre est bien écrit dans l’ensemble (voire trop écrit, mais on aura l’occasion d’y revenir), mais aussi bien traduit et édité, avec étonnamment peu de coquilles, surtout en comparaison de la moyenne générale des produits de la gamme. Le livre est en outre fort beau, avec une iconographie abondante et plus qu’à son tour fascinante (surtout pour un amateur presque fanatique d’expéditions polaires tel que votre serviteur ; on regrettera juste que les personnages soient « dessinés », petite faute de goût dont j’ai cru comprendre qu’elle avait été gommée à l’occasion de la réédition) et un joli portfolio en couleur signé Marc Simonetti.

 

La campagne débute en 1933, et se focalise sur l’expédition antarctique Starkweather-Moore, évoquée dans Les Montagnes Hallucinées (le « roman » de Lovecraft se présente en effet comme une mise en garde du professeur Dyer pour dissuader de monter cette expédition, censée revenir sur les traces de celle qu’il avait dirigée quelques années plus tôt). Elle se compose pour l’essentiel de cinq grosses parties, elles-même subdivisées en un certain nombre de chapitres généralement de taille assez conséquente. L’aventure débute à New York par une phase d’enquête ; ensuite vient le voyage jusqu’en Antarctique à bord de la Gabrielle ; puis la traversée jusqu’au camp de Lake, théâtre des terribles événements du « roman » ; il sera alors temps de franchir les montagnes Miskatonic ; et de fuir en temps utile… Mais je ne vais pas rentrer dans les détails ici, voyez pour ce faire le compte rendu de campagne ci-dessous.

 

L’ouvrage se conclut enfin sur environ 200 pages d’annexes, parfois extrêmement détaillées. Sans doute trop, à vrai dire, et c’est valable pour l’ensemble du volume, qui est très écrit : le Gardien se voit ainsi confier bon nombre d’éléments d’ambiance, très intéressants à la lecture, mais qu’il n’est pas forcément évident de mettre en scène en cours de partie, ce qui, là encore, rend le maniement de cette campagne assez délicat ; elle est en effet très bavarde, et parfois trop (des pages et des pages de description pas toujours utilisables en jeu, loin s’en faut, et des annexes extrêmement précises voire techniques d’un usage également douteux). D’un point de vue « littéraire », c’est très agréable… mais il y a de quoi s’y noyer. D’autant que des pages et des pages quasiment inutiles en termes de jeu peuvent être suivies de développements extrêmement importants mais aussi très denses, et présentés très brièvement… Il y a un net déséquilibre à cet égard. Cela dit, si l’ouvrage n’est donc pas toujours hyper « pratique » (ce qui, en cours de partie, n’est hélas pas sans conséquences… surtout si, comme moi, on n’a pas assez préparé la chose, mais j’y reviendrai…), il est donc beau et d’une lecture agréable. Contrairement à bon nombre de campagnes de L’Appel de Cthulhu, il constitue à vrai dire, pour reprendre des termes que je crois avoir lus à l’époque dans JDR Magazine, une « réussite littéraire », qui ne manque pas d’intérêt même si l’on ne joue pas le scénario.

 

Le Kit d’expédition, par contre, est une véritable escroquerie ; on n’en sauvera que l’écran de la campagne, assez joli, pour les collectionneurs… Mais la carte de l’Antarctique qui est fournie est totalement inutilisable, étant pour ainsi dire vide ; quant au livret… il se contente de reprendre les aides de jeu de la campagne, de toute façon téléchargeables ! Bref : gardez vos sous.

 

Une curiosité, par contre : la campagne a été accompagné d’une Bande originale signée Erdenstern. J’avoue avoir frémis quand j’en ai entendu les premières notes, très synthé cheap, mais ça s’améliore radicalement par la suite ; si les morceaux vaguement jazzy illustrant les scènes new-yorkaises sont assez dispensables, la suite, entre ambiant et musique de film, connaît quelques beaux moments, qui en font un accompagnement sonore a priori intéressant ; a priori, disais-je : il ne m’a en effet pas été possible de sonoriser la campagne, ce que je n’ai pas manqué de regretter… Aussi, je ne sais pas si l’usage de ces courts morceaux est aisé ou pertinent.

 

Passons maintenant au compte rendu de la campagne, que je vais tâcher de faire aussi détaillé que possible.

 

II/ Compte rendu de campagne (avec des SPOILERS à la pelle)

 

Il y avait du monde autour de la table : outre le Gardien (votre serviteur, donc), il y avait en effet six joueurs (un groupe conséquent, pas forcément très facile à gérer du seul fait de sa taille). Les voici : Nathaniel Coates, maître-chien ; Paul Erickson, cartographe ; Tobias Fünke, géologue ; Nicholas Newton, guide polaire ; Percival Willen Sutton, alpiniste ; Abigail Watkins, pilote. Je les désignerai ultérieurement par leur prénom. Précisons enfin que la campagne a duré pas loin d’un an (avec un rythme de jeu assez souple, cependant – dont une grosse pause pendant l’été ; en tout une quinzaine de sessions de quatre à cinq heures de jeu).

 

La campagne a débuté le 1er septembre 1933 (je n’ai en effet pas fait jouer les « entretiens d’embauche », ce qui aurait pu être intéressant, mais individuellement…). L’équipe de l’expédition Starkweather-Moore est alors presque au complet ; presque : elle ne comprend pas encore de membres féminins (Abigail rentre donc en jeu un peu plus tard)… Les membres déjà sélectionnés se réunissent et sont présentés ; ils résident ensemble dans un hôtel new-yorkais. On annonce le départ de l’expédition pour le 14 septembre. Il s’agit de rejoindre l’Antarctique du côté de la barrière de Ross, en passant par Panama et l’Australie ; sur place, l’expédition se rendra tout d’abord au camp de Lake, puis franchira les montagnes Miskatonic découvertes par la précédente expédition de 1930-1931. En attendant, il y a encore du travail : Starkweather donne très vite l’image d’un leader incompétent (Moore est plus sérieux), et l’on constate de nombreux dysfonctionnements dans les commandes et le matériel ; Percival, qui est riche et dispose de nombreux contacts, tente à sa manière d’y remédier. Tous sont cependant embauchés pour gérer les arrivées, et assurer le chargement du matériel.

 

Le lendemain, alors que Starkweather et Moore n’en avaient encore rien dit, la presse annonce que le capitaine Douglas, de la précédente expédition, reviendra sur celle-ci. Dans la journée, les membres de l’expédition travaillent sur les quais et le bateau, la Gabrielle. Mais Tobias est accosté à l’hôtel par un mendiant qui lui remet un mot étrange, visant à le dissuader de participer à l’expédition.

 

3 septembre : une nouvelle fracassante. Une dénommée Acacia Lexington, que Starkweather qualifie de tous les noms (lourd passif entre les deux personnages…), annonce qu’elle monte elle aussi une expédition antarctique, destinée à partir le 9 septembre ; elle entend bien être la première femme à survoler le pôle sud. Starkweather, furieux, cherche à embaucher à son tour une femme pour que l’expédition ne soit pas en reste : ce sera, très vite, l’aviatrice Abigail (que connaissait déjà Percival, qui suggère son nom à Moore).

 

4 septembre : le capitaine Douglas est retrouvé mort. Percival, dans un geste inconsidéré, tente de « corrompre » le capitaine de l’expédition Lexington, et se fait rabrouer. Abigail, de son côté, quitte New York pour se rendre à un aérodrome et y tester les Boeing de l’expédition.

 

Suite à l’annonce de la mort de Douglas, l’expédition est littéralement assiégée par les journalistes, à l’hôtel comme au bateau. Nathaniel et Tobias entrent en contact avec l’inspecteur Hansen, de la brigade des homicides. Paul lance une étrange campagne de désinformation auprès de la presse, répandant les rumeurs les plus saugrenues… Tobias retrouve le clochard qui lui a donné le mot, mais celui-ci n’était qu’un intermédiaire, et il est impossible de remonter au commanditaire. Paul, Nathaniel et Tobias écument ensuite les bars de marins ; dans l’un, ils tombent sur un nain, qui a vu Douglas discuter avec trois matelots peu avant sa mort. Nicholas se rend à l’hôtel de Douglas ; mais sa chambre est surveillée par un policier, et il ne peut y accéder. Paul, Nathaniel et Tobias le rejoignent ; pendant que Tobias occupe le planton et que Paul fait le guet, Nathaniel et Nicholas parviennent à pénétrer dans la chambre ; celle-ci a été fouillée, et les journaux du capitaine relatant l’expédition de 1930-1931 ont disparu. Les investigateurs ne repartent cependant pas les mains vides : ils trouvent des notes de Douglas mentionnant les noms de Starkweather, Moore et Lexington, ainsi qu’une lettre inachevée, adressée à son frère Philip, dans laquelle il évoque son voisin – un Allemand excentrique – et dit clairement ne pas souhaiter prendre part à l’expédition ; il évoque par ailleurs quelques-uns des survivants de cette dernière. Percival cherche justement des renseignements sur les membres de la précédente expédition, et obtient quelques pistes auprès de l’université Miskatonic d’Arkham, mais Dyer et Danforth, notamment, ont disparu (et Danforth a été interné pendant un temps). Abigail contacte de son côté un ancien pilote, mais n’obtient pas beaucoup d’informations supplémentaires. Tobias cherche à rencontrer le voisin allemand de Douglas, mais se fait jeter à la réception ; de toute façon, ledit Allemand est parti… Percival essaye sans succès d’entrer en contact avec Acacia Lexington. Le soir, les investigateurs retournent au bar de marins, mais les amis de Douglas ne s’y présentent pas ; ils récupèrent cependant leurs adresses, mais les matelots ne sont pas chez eux. Paul, de son côté, qui n’est plus à ça près, passe la nuit en cellule de dégrisement…

 

Le 7 septembre, lors de la traditionnelle réunion du matin, Starkweather et Moore annoncent la mise en place de mesures de sécurité. Paul, qui arrive en retard après sa nuit au commissariat, paye en outre ses bêtises auprès des journalistes, et perd du crédit… On apprend que les trois marins disparus avaient participé à la précédente expédition. Nathaniel tente à son tour d’entrer en contact avec Lexington, mais c’est à nouveau un échec. Percival, en faisant jouer ses contacts, accède au dossier de la police sur la mort de Douglas. Les investigateurs s’intéressent en outre au passé de Lexington ; ils découvrent qu’elle et Starkweather se sont connus quelque temps auparavant, mais aussi que Lexington a hérité de la fortune de son père après le suicide de ce dernier (ou bien était-ce un meurtre ? Elle avait d’abord dénoncé à la presse le vol du manuscrit d’Arthur Gordon Pym à cette occasion, mais s’est rétractée quelques jours plus tard). On apprend aussi qu’elle a côtoyé des groupes extrémistes, de droite comme de gauche.

 

Le lendemain, c’est l’enterrement de Douglas. Percival y prend contact avec le frère du défunt, Philip, ainsi qu’avec son notaire. Ensuite, Abigail et Paul tentent de fouiller les appartements des marins disparus ; après un premier échec auprès d’un concierge, ils fracturent la porte du second ; tout indique un départ précipité. Mais ils se font serrer par Hansen, et finissent l’après-midi au commissariat… Le soir, lors du dîner sur le bateau (départ précipité pour le lendemain), Tobias montre la lettre de menace qu’il a reçue, et Paul révèle qu’il en a eu une également.

 

En pleine nuit, il y a une explosion sur les quais ; un entrepôt prend feu, des dockers y sont coincés. Paul et Percival tentent de venir à leur secours. Le feu atteint un container attaché à un treuil au-dessus du bateau, et menace de faire exploser ce dernier ; Abigail et Starkweather utilisent la lance à incendie, tandis que Nathaniel manipule le treuil pour éloigner la menace. Paul repère et poursuit un type portant des bidons d’essence ; il tente de le maîtriser, mais est blessé au couteau et revient bredouille… Et pendant ce temps, le bateau de Lexington prend le large. Percival raconte tout ce qui s’est passé à Hansen ; dénoncé par Abigail auprès des autres investigateurs, il se prend une mandale de la part de Paul…

 

Le 9 septembre, le départ est repoussé de quelques jours à cause de l’incendie. En lisant le journal, les investigateurs tombent sur un fait-divers qui leur met la puce à l’oreille : l’artiste Nicholas Roerich a été agressé devant la maison de Lexington et enlevé, puis on l’a retrouvé dans un entrepôt près des docks. Percival parvient à le rencontrer à son hôtel ; il apprend que Roerich s’est fait voler un paquet contenant un manuscrit de Dyer destiné aux chefs des expéditions antarctiques (Lexington, donc, mais aussi Starkweather) et censé les dissuader de se lancer dans cette aventure. Les agresseurs étaient trois, l’un d’entre eux avait un fort accent allemand ; ils l’ont interrogé sur Dyer, Danforth et Pym. Pendant ce temps, Paul, Nathaniel et Abigail discutent avec les dockers de l’incendie, mais ça ne débouche sur rien. Tobias et Percival se rendent ensuite à la salle de vente où aurait dû être vendu le manuscrit d’Arthur Gordon Pym ; ils obtiennent une lettre du précédent possesseur, qui le décrit, et fait mention de chapitres inédits, sans rentrer dans les détails mais en doutant de leur authenticité. Paul et Nicholas tentent d’appâter les agresseurs en répandant des rumeurs dans la presse et auprès de bouquinistes sur ledit manuscrit.

 

La réunion du 10 septembre au matin est houleuse. On apprend ensuite que Starkweather s’est mis Lexington à dos lors d’un safari où il l’avait mise en danger, mais s’était présenté comme un sauveur à la presse. Quand les investigateurs partent déjeuner, ils sont suivis par deux personnes ; Nicholas entraîne à sa suite un policier (qui l’arrêtera un peu plus tard…) ; Nathaniel et Paul discutent avec l’autre, qui se présente comme un acheteur potentiel du manuscrit de Pym (censé être en possession de Tobias), et leur donne rendez-vous un peu plus tard dans un restaurant. Après quelques péripéties (surveillance du restaurant où se trouvent des gros bras, etc.), Tobias et Percival se font enlever. Tobias appelle l’hôtel sous la contrainte des ravisseurs, qui veulent le manuscrit. Hansen envoie une équipe pour retrouver les disparus. Percival apprend que le restaurant appartient à Lexington. Je passe sur les détails, assez complexes, mais les ravisseurs sont prévenus de la descente de la police, relâchent Tobias et Percival dans la rue, et s’en vont sans laisser de traces. Nicholas est libéré.

 

Le 11 septembre, c’est le départ. Petite fête sur le bateau…

 

Le 17 septembre, c’est la traversée du canal de Panama. On constate alors une certaine froideur entre les marins et les membres de l’expédition.

 

Le 25 septembre, le bateau franchit l’équateur. A lieu le « baptême de la ligne » (Abigail est particulièrement « bizutée »). Pendant la fête, la chambre froide de la Gabrielle est sabotée à l’acide. Une bonne partie des réserves est devenue impropre à la consommation. Starkweather refuse de faire demi-tour.

 

Nathaniel découvre plus tard que les chiens de l’expédition ont été empoisonnés ; bon nombre ont dû être achevés… dont Keira, la chienne de Nathaniel.

 

Fouille générale du bateau, du coup. Abigail trouve une bombe artisanale près des avions ; le matériel radio est en outre foutu, de même que les radios de l’expédition. Réunion de crise, qui débouche sur une fouille des cabines. Nathaniel (qui tente vainement de lancer une « mutinerie » contre Starkweather et Moore qu’il juge incompétents, et en vient aux poings avec Turlow) trouve des flacons d’acide dans la cabine d’un cuisinier et de deux serveurs, tout accuse le cuisinier (noir…) qui est mis aux fers. Il clame son innocence.

 

Le lendemain, le vrai coupable, un serveur, est confondu grâce à un stratagème de Nicholas. Il est à son tour mis aux fers. Interrogé, il garde le silence… même quand Nathaniel, Abigail et Paul emploient la manière forte. Il cède le lendemain devant une mise en scène de torture par Nicholas. Il avoue qu’il a été engagé pour saboter l’expédition (il ne sait pas par qui exactement) et dit avoir agi seul pour se venger de Starkweather.

 

On passe au 12 octobre, avec l’arrivée de la Gabrielle à Melbourne, accueillie par une horde de journalistes et la police, qui embarque le saboteur (on déplore unanimement une « mauvaise chute » pour expliquer les coups qu’il a reçus…). L’escale dure six jours, le temps de refaire les réserves de matériel et de nourriture (problème notamment avec le pemmican). Le bateau quitte enfin Melbourne le 18 octobre.

 

Tempête le 23.

 

Le 25, le brouillard tombe et on aperçoit les premiers icebergs.

 

Nouvelle tempête du 26 au 28 octobre.

 

Le 4 novembre, entrée dans la mer de Ross.

 

Le 6 novembre, la Gabrielle tombe sur un baleinier abandonné, disparu depuis six mois.

 

Le 14 novembre, les membres de l’expédition posent le pied sur le continent antarctique (barrière de Ross). Les jours suivants sont consacrés au débarquement du matériel et à l’installation du camp de base quelques soixante kilomètres plus loin (des fissures imprévues dans la banquise accélèrent le mouvement, et du matériel est perdu).

 

Le 20 novembre est capté un SOS radio en provenance du camp de Lexington. Une expédition de secours est mise en route. Là-bas, deux « saboteurs », victimes semble-t-il de la « folie des neiges », ont en effet mis le feu au camp, afin de tuer d’immenses araignées qu’ils voyaient partout. Starkweather et Lexington s’engueulent en privé. Percival retrouve Priestley, le cameraman de Lexington, qu’il connaissait déjà avant ; celui-ci leur apprend qu’il y a également eu des sabotages sur le bateau de Lexington, et qu’on en accusait Starkweather.

 

Le 23 novembre, après avoir rapatrié les deux fous sur le bateau de Lexington, les deux expéditions se réunissent, bon gré, mal gré.

 

Starkweather part ensuite à l’aventure de son côté. Le 27, le reste des expéditions arrive au camp de Lake. Là-bas, Moore donne carte blanche aux investigateurs (qui se sont montrés curieux…) pour enquêter sur le sort de la précédente expédition. Ils commencent par trouver un cairn à quelque distance du camp, avec onze corps qu’ils exhument : ils ont été disséqués, mutilés, il leur manque des organes…

 

Le 28 novembre arrivent les premiers éléments de la foreuse. L’équipe se répartit en binômes pour fouiller le camp. On déterre une créature morte (une « chose très ancienne »). L’équipe et Moore s’écharpent sur la question de forer ou pas, de rapporter la créature pour l’étudier ou pas… Le soir, Lexington est surprise à communiquer en allemand avec un certain Dr. Meyer.

 

Le 29 novembre, les expéditions sont au complet, et la fouille du camp se poursuit. La foreuse est montée sur le site d’excavation. On déterre une autre créature. En dégelant, elles dégagent une odeur insoutenable.

 

Le 30 novembre, l’exploration se poursuit, englobant cette fois la grotte dégagée par la foreuse. Plusieurs des investigateurs l’explorent, Tobias y rassemble et étudie des spécimens.

 

Le 1er décembre, des Allemands, membres de l’expédition Barsmeier-Falken, arrivent au camp de Lake. Le chef du détachement, Meyer, donne à Moore le manuscrit rédigé par Dyer (c’est-à-dire, en fait, le « roman » de Lovecraft Les Montagnes Hallucinées).

 

Le 3 décembre, les investigateurs partent pour un vol de reconnaissance au-delà des montagnes Miskatonic, et découvrent la Cité. Ils franchissent la passe de Dyer sans problème, alors que l’avion de Lexington est contraint de faire demi-tour. Sur un coup de tête, cependant, les investigateurs décident de se poser dans la Cité, ce qui n’était pas prévu… et ont des ennuis mécaniques qui les empêchent de repartir. Ils sont contraints de passer la nuit sur le plateau, et font des rêves étranges.

 

Le 4 décembre, ils explorent un peu la place où ils ont atterri, et découvrent une immense fresque dans un puits. Finalement, Abigail parvient à réparer l’avion. Ils retournent au camp… mais l’avion se crashe à moitié à l’atterrissage. Les investigateurs s’en sortent, mais l’avion est inutilisable. Ils se font passer un savon, mais Starkweather est en même temps heureux d’avoir damé le pion à Lexington. L’expédition retourne dans la journée à la Cité, et se pose au même endroit. Plusieurs allers-retours sont effectués pour transporter membres de l’expédition et matériel. Débute alors presque instantanément l’exploration des environs. Starkweather, accompagné de Nathaniel, part examiner deux immenses piliers au-dessus de la passe. Les autres explorent la Cité par groupes. Un archéologue commence à étudier la fresque du puits.

 

Le 5 décembre, suite de l’exploration. Parmi les sites importants, il y a notamment des sortes de « cuves » près du lit d’une rivière, explorées par Paul et Tobias, assurés par Percival. Le Dr. Greene disparaît. Le soir, le pilote de Lexington essaye de saboter l’avion, mais il est repéré par Nicholas, qui lui tire dessus et le tue. Il est bientôt identifié : il s’agissait en fait de Danforth… qui avait auparavant saboté l’avion de Lexington, dont il manquait des pièces – Nathaniel l’avait pisté avec Lexington et Priestley et ils avaient retrouvé les pièces dans une grotte piégée aux explosifs… Nathaniel, qui vouait auparavant une haine mortelle à Lexington qu’il accusait des précédents sabotages – et de la mort de Keira – change radicalement d’opinion sur elle, qu’il juge bien plus compétente que ses chefs, et s’installe dans son camp.

 

Le 6 décembre, suite de l’exploration. Les Allemands informent Nathaniel qu’ils ont trouvé des choses étranges sur un site baptisé « Hagia Sofia ». Ils sont rejoints par Percival et Nicholas. Le Dr. Meyer déclenche un mécanisme dans la géode du bâtiment et ils sont tous propulsés dans le passé, dans l’esprit d’un anthropoïde serviteur des choses très anciennes. Ils essayent d’en prendre le contrôle mais manquent de pouvoir, et doivent subir la scène. L’anthropoïde, avec d’autres, descend une cargaison dans des souterrains, où des shoggoths s’en emparent… et se nourrissent de quelques-uns des anthropoïdes et de leurs bêtes de somme (Nicholas devient presque fou à ce spectacle). L’anthropoïde se met à paniquer, court dans les souterrains, manque se faire manger par des choses innommables, avant de réussir à remonter en surface, où il est le témoin d’un étrange événement : une immense créature noire, animalcule indéfinissable, rôde autour de la Cité, et les choses très anciennes s’en occupent. Fin de l’expérience.

 

Le 7 décembre, Starkweather est enlevé par les choses très anciennes. Sous la pression de Lexington et de Moore, deux avions partent à leur poursuite, dont un emportant les investigateurs. Ils suivent la direction empruntée par les choses, et arrivent aux abords d’une immense tour au milieu d’une tempête perpétuelle, suscitant en outre des « secousses » temporelles. Ils se posent dans une vallée non loin ; deux pilotes restent auprès des avions, ainsi que Rilke, visiblement malade. Tobias est atteint du même mal, mais qui ne l’affecte pas encore trop. La tour est construite autour d’un immense puits central ; les investigateurs, accompagnés de Lexington, Priestley et Meyer, en entament l’ascension. Tobias et Abigail tombent bientôt dans un état catatonique : ils entrent en résonance avec la Tour et comprennent qu’il s’agit d’une sorte de « piège divin » renfermant une entité extrêmement puissante, et qu’il ne faut surtout toucher à rien… mais ils sont incapables de communiquer avec leurs camarades. En grimpant, le groupe tombe sur un shoggoth dans une cuve, qui effraie grandement Meyer. Finalement, l’équipe atteint un mur de crânes, où l’on trouve ceux de Starkweather et de Greene. Lexington retire le crâne de Starkweather afin de lui donner une sépulture, mais un tremblement de terre secoue alors la tour ; Meyer panique et s’enfuit ; Abigail et Tobias sortent alors de leur catatonie et tentent immédiatement, sous le coup de la panique, de tuer Lexington ; Priestley, Nathaniel et Paul essayent de calmer le jeu, tandis que Percival bloque ; Nicholas, lui, réagit à l’instinct… et tire sur Lexington. Priestley en vient à blesser Nathaniel et est tué à son tour dans des circonstances un peu confuses, et il meurt dans les bras de Percival. Abigail, Tobias et Nicholas s’emparent du corps de la défunte pour le confier à un shoggoth, afin de le « préparer » pour le mur de crânes et de réparer la faille. Tout le monde se met donc à courir vers les étages inférieurs. Un autre shoggoth « jardinier » vient à toute vitesse des étages supérieurs ; Percival devient fou de terreur à cette vision et saute dans le vide. Abigail s’empare alors de la tête « préparée » de Lexington et va la tendre au shoggoth « jardinier ». Il prend la tête, remonte, et bloque le passage à deux choses très anciennes qui fonçaient à leur tour sur les investigateurs. Tout le monde est très éprouvé par ce qui vient de se passer, et retourne aux avions. Le Boeing a disparu, les Allemands se sont enfuis avec ; le Belle de Lexington est toujours là, marqué d’impacts de balles ; quand l’équipe essaye de s’en approcher, elle est accueillie par des coups de feu : Halperin, le pilote, est devenu fou. Bien évidemment, Nicholas (toujours lui !) le tue… Abigail prend les commandes et décolle ; Tobias et elle expliquent ce qu’ils ont ressenti, mais les autres sont sceptiques. Eux deux sont toutefois obnubilés par la Tour et par le fait que personne ne doit y retourner. Courte escale au camp de la Cité. Moore est brièvement mis au courant de ce qui s’est passé dans la Tour, mais on insiste sur le fait que rien ne doit filtrer. Tout le monde rentre alors au camp de Lake.

 

Là-bas, le séisme a provoqué un incendie dans le dépôt de carburant. Le camp est sous le choc, et deux scientifiques sont morts. Le Boeing ne s’est pas posé ici. Moore encourage les investigateurs à repartir immédiatement à la poursuite des Allemands. Paul et Nathaniel refusent. Moore accompagne les autres, ainsi que Samuel Winslow. Le Boeing est repéré près d’un dépôt de matériel de l’expédition allemande. Le Belle se pose à proximité. Baumann, le pilote allemand, sort de la tente et accueille les investigateurs avec joie ; ils croyaient qu’ils étaient tous morts. Meyer est dans un état catatonique, et n’a quasiment pas décroché un mot (il n’a en tout cas pas mentionné la mort de Lexington). Rilke est désormais très malade. Les investigateurs s’assurent que les Allemands n’ont pas pu échanger trop d’informations avec leur camp de base. Mais Baumann tente une communication radio ; Abigail l’en empêche ; elle et Moore tentent de raisonner le pilote, et de le convaincre d’oublier tout ce qui s’est passé. Mais Tobias pète un plomb et tire sur Baumann. Brève échauffourée : Baumann est blessé, Nicolas essaye sans succès de maîtriser Tobias… et finit par lui tirer sur la main pour le désarmer. Le Zeppelin de l’expédition allemande survole alors la tente…

 

Pendant ce temps, au camp de Lake, Paul et Nathaniel s’accordent pour dire qu’il faut empêcher les autres investigateurs de nuire à l’expédition : il faut protéger les échantillons et les rapports, et mettre les fauteurs de troubles au arrêts dès leur retour, au moins le temps d’éclaircir les circonstances de la mort de Lexington. Ils préviennent Packard et Sykes que Moore et Winslow, partis avec Abigail, Tobias et Nicholas, sont potentiellement en danger, sans parler des Allemands. Nathaniel est convaincu que c’est une entité bénéfique qui est emprisonnée dans la Tour, et peut-être bien Dieu…

 

Au dépôt allemand, Abigail tente de rapatrier les blessés à bord du Belle pour les ramener au camp de Lake. Tobias, de son côté, parvient à mettre le feu à la tente… Malgré le vent, une nacelle commence à descendre du Zeppelin pour porter secours aux Allemands. Nicholas et Baumann portent Rilke vers le Belle, Abigail guide Meyer, et Moore suit le mouvement. Tobias se rue sur le Belle. Là-bas, il saisit une barre de fer et tente de fracasser le crâne de Baumann… mais ne lui fait que peu de dégâts. Abigail change alors de stratégie et court vers le Boeing, Tobias sur ses talons. La nacelle du Zeppelin touche terre. Abigail prépare le décollage en urgence ; Tobias, qui était monté à bord, comprend subitement ce qu’elle manigance et sort de l’appareil. Les Allemands embarquent les leurs dans la nacelle, ainsi que Moore et Winslow (Nicholas est à l’écart, de même que Tobias). Abigail décolle pendant ce temps, commence par s’éloigner en direction du camp de Lake… puis revient et se suicide en se crashant sur le Zeppelin. Nicholas, Tobias et Baumann sont les seuls survivants…

 

Au camp de Lake, Nathaniel et Paul traitent avec les Allemands (qui sont arrivés avec leurs avions). Ils vérifient leurs informations, et planifient avec eux un éventuel retour à la Tour, et l’évacuation du camp de Lake. L’idée est d’assurer les arrières, et de permettre une nouvelle expédition dans les meilleures conditions.

 

De l’autre côté, Tobias s’est enfermé dans le Belle, laissant Nicholas et Baumann dehors. Ils parviennent cependant à rentrer en fracassant un hublot, maîtrisent Tobias et l’attachent à l’arrière. Ils rentrent au camp de Lake. Pendant le voyage, Nicholas et Baumann s’accordent sur le fait que la Tour a rendu tout le monde fou, et qu’il ne faut surtout pas y retourner. De retour au camp, l’accueil est mouvementé, Paul et Nathaniel ayant monté le camp contre les autres. Nicholas refuse de parler en leur présence. Tobias hurle au complot, accuse Nathaniel et Paul d’être des saboteurs, et prétend que ce sont les Allemands qui ont tué Lexington ; il est mis sous sédatifs. Les chefs des camps américain et allemand interrogent plus tard Tobias, Nicholas, Nathaniel, Paul et Baumann au cours d’une confrontation… laquelle est mouvementée. Nathaniel et Paul maintiennent qu’il faut retourner à la Tour ou en tout cas préparer une nouvelle expédition. Nicholas suggère quant à lui que tous ceux qui s’y sont rendus soient rapatriés sur le bateau et placés sous surveillance, lui y compris.

 

Le camp (allemand) de Palmer ne répond plus. Les Allemands décident d’évacuer le camp de Lake et de s’y rendre. Tout le monde proteste, mais ils emportent la décision. Le camp de base allemand est désert, avec des traces de sang et des empreintes de choses très anciennes. Un énorme shoggoth sort d’une caverne près d’une tente et s’en prend à un des avions. Nicholas et Baumann étaient prêts à repartir en vitesse. Tobias, Nathaniel et Paul sautent dans l’avion, tandis que le shoggoth continue son massacre.

 

Au bateau allemand, Nicholas demande à être déposé en Argentine par l’intermédiaire de Baumann. Tobias, Nathaniel et Paul demandent à rejoindre le Gabrielle. Nathaniel et Paul dressent des plans pour une prochaine expédition, et comptent bien revenir à la Tour. Mais Tobias, à moitié fou, devient une sorte de nouveau Danforth… et est en outre infecté, non seulement par la « mort lente », mais aussi par les animalcules ; il est condamné à devenir un cadavre ambulant, porteur de destruction…

 

III/ Débriefing façon autocritique

 

À la fin de la campagne, les joueurs et moi-même nous sommes livrés à un débriefing, d’abord « en direct », puis par mail. Je n’en retiens ici que les éléments concernant directement la campagne (mais il y a eu également d’intéressants échanges sur l’implication des personnages, la dynamique de groupe, les conflits, l’acceptation de l’échec, etc.)

 

De mon point de vue, donc, j'ai commis je pense deux grosses erreurs. La première, et sans doute la plus handicapante pour moi – je ne sais pas ce que ça a donné pour les joueurs –, ça a été de me lancer dans cette énorme campagne sans suffisamment de préparation, et même sans lire ce (putain de gros) livre en entier au préalable. J'aurais dû... Je me suis laissé emporter par mon enthousiasme pour le récit de Lovecraft, probablement mon préféré, et pour les aventures polaires, et ai foncé tête baissée là-dedans sans forcément toujours savoir ce qui m'attendait. D'où grosse panique à chaque préparation... Et ça a de suite joué sur la deuxième erreur : je reconnais volontiers avoir foiré la toute fin. Un peu paumé après certains événements non prévus dans le livre (en l'occurrence essentiellement la mort de Lexington et de Priestley), j'ai bricolé en improvisant mal une conclusion bancale, en ne voulant pas en outre jouer les chapitres, au choix, 16 ou 16-B, faisant intervenir les animalcules à la Alien dans le Gabrielle, ou à la The Thing dans le camp de Palmer. J'avais le sentiment que ça rajoutait une couche un peu artificielle à la campagne (surtout la version Gabrielle), mais je conçois que ça ait été frustrant, tant pour les joueurs que pour moi à vrai dire. Il aurait probablement été plus convaincant de ne pas faire massacrer les Allemands du camp de Palmer et de jouer le chapitre 16-B. Mais j'ai décidément du mal à conclure les histoires...

 

D'un point de vue général, je me souviens d'une critique de cette campagne que j'avais lue dans JDR magazine, évoquée plus haut, et qui en faisait « une réussite littéraire, mais un échec rôlitistique ». Je ne serais pas aussi catégorique, mais il y a du vrai là-dedans. J'ai énormément apprécié l'ambiance de cette campagne, et certaines scènes qui m'ont paru très réussies (notamment le premier atterrissage dans la Cité, le retour dans le passé, les témoins muets dans la tour...) ; mais je note que sur ces trois scènes, l'une était largement due à l’initiative des joueurs (un peu couillonne, mais rigolote), tandis que les deux autres étaient fortement dirigistes. C'est là le gros problème de cette campagne à mon avis : elle est, par la nature des choses sans doute, trop linéaire. L'exploration du camp de Lake et de la Cité ont un côté « bac à sable », mais pas suffisamment développé. Pour le reste, on suit une ligne, et une chronologie très stricte (probablement trop stricte).

 

Un autre souci, peut-être assez typique de L'Appel de Cthulhu, mais particulièrement sensible dans cette campagne, a concerné les personnages, qui ont manqué de corps et d'âme à mon avis, et d'implication émotionnelle : finalement, ils n'ont été que des « techniciens » (dont les aptitudes spécifiques n'ont pas forcément été super utiles, d'ailleurs) ; on ne savait pas vraiment pourquoi ils étaient là (à part en tant « qu'employés »), ce qu'ils voulaient, ce qu'ils avaient vécu, etc. Du coup, j'ai eu le sentiment (pas forcément partagé) que les personnages se sont assez vite effacés, et que ce sont les joueurs qui ont pris le dessus. Mais je pense donc que ça vient en partie du jeu, en partie de la campagne, et aussi de la manière dont j'ai géré tout ça.

 

Mais, si je me suis ici longuement étendu sur les défauts, tant ceux de la campagne que ceux venant des joueurs et du MJ, le fait est que j'ai pris beaucoup de plaisir à diriger cette campagne, et j'espère que les joueurs également.

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Lovecraft et le jeu de rôle

Publié le par Nébal

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Hop, un article en complément du dossier Lovecraft sur le blog Bifrost ; ça se trouve ici.

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"B.I.A."

Publié le par Nébal

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B.I.A.

 

B.I.A. (pour Bureau of Indian Affairs, donc) est, à l’instar de Mahamoth dont je vous avais parlé il y a quelque temps de cela, un jeu de la collection « Intégrale » des XII Singes (même si, pour le coup, il existe des suppléments « semi-officiels » pour celui-ci) utilisant le « dK system ». Nous sommes donc en terrain relativement familier, ce qui m’épargnera de m’appesantir outre-mesure sur les règles (je noterai juste que l’utilisation du « dK » et ses contrecoups m’apparaissent plus intéressants ici). Comme tous les autres jeux de la collection, B.I.A. se compose donc de deux livrets de 80 pages chacun, le premier ouvert à tous, le second, intitulé « Les Secrets », réservé au MJ, et d’un écran.

 

Il s’agit donc ici pour les joueurs d’incarner des agents spéciaux du B.I.A. (qu’ils soient amérindiens ou non), de nos jours, dans un monde toutefois légèrement différent puisque imprégné de surnaturel. Quelque part entre Tony Hillerman (auquel il est d’ailleurs fait directement allusion, puisque l’on y croise avec plaisir dans le premier livret Jim Chee et Joe Leaphorn) et les X-Files, on va dire, mais centré sur les mythologies amérindiennes. Un mélange pas forcément si étonnant que ça, mais à coup sûr très intéressant. Enfin, en tout cas, moi, ça m’intéresse…

 

Inutile de nous étendre, donc, sur les règles et la création de personnage. Le système est très simple, et a priori suffisamment souple pour être concrètement jouable. Notons juste que le « dK » (pour « Kitski Manitou », cette fois) renvoie ici chaque personnage à son Totem, qui lui octroie des atouts particuliers (en plus de ceux dépendant de son cursus, notamment). Les contrecoups de l’utilisation des « dK » figurant dans le livret des secrets, je ne vais pas les détailler ici, mais ils ont l’air ma foi assez amusants.

 

L’essentiel du premier livret est de toute façon ailleurs, d’abord dans la description du B.I.A., puis dans un « guide amérindien » assez long… et pourtant trop court, tant il y aurait de choses à dire. Si mon enthousiasme pour ce jeu ne fait aucun doute, je me dois en effet d’avouer une légère frustration à la lecture de ce « guide », à mon sens beaucoup trop lapidaire pour pouvoir être employé directement : j’ai le sentiment que des recherches personnelles supplémentaires sont indispensables, à presque tous les niveaux du background, pour pouvoir véritablement maîtriser une partie intéressante de B.I.A. L’organisation est ainsi traitée très rapidement, mais le problème concerne surtout, à mes yeux, les différentes réserves indiennes présentées dans le jeu (Annette Island, Agua Caliente, Cheyenne River, Navajo Nation – la plus grande et celle qui m’intéresse le plus, sans surprise… –, Skull Valley et Tanarak Forest), réduites à quelques éléments très brefs (territoire, organisation politique et administrative, personnalités, lieux, mythes et légendes), et sans doute trop brefs. La lecture est donc finalement aussi frustrante qu’enthousiasmante, et, en fait de jeu « clé en main », le MJ a encore beaucoup de boulot… Cela dit, tout ce qui est traité dans le « guide amérindien » est franchement passionnant, et se lit avec beaucoup de plaisir ; on a envie de se plonger dans cet univers extrêmement riche, d’un exotisme fascinant sans tomber excessivement dans les clichés sur les Américains d’origine (mais un peu quand même, bon).

 

Le livret des secrets comprend deux « dossiers ». Le premier renferme essentiellement des éléments de background et de règles destinés en principe au seul MJ, et concernant pour l’essentiel les aspects surnaturels du jeu (« dK », chamanisme, et une grosse conspiration qui sous-tend l’ensemble…) ainsi que la vérité sur les mystères des réserves. Le second dossier comprend cinq scénarios, généralement des enquêtes plutôt bien ficelées (sauf le dernier, qui tient davantage du survival), décomposés en scènes procurant des indices et événements, puis six « pitchs » très brefs et plus ou moins intéressants. Une chose est cependant claire à la lecture de ces divers éléments : si le surnaturel n’est pas forcément de la partie, il donne tout de même de suite une autre dimension au jeu, et le rend à mes yeux bien plus intéressant.

 

 B.I.A., original dans sa thématique et porté par des règles simples, est à l’évidence un bon jeu, et j’espère pouvoir en maîtriser un jour quelques enquêtes (le jeu, même s’il offre un cadre de campagne, se prête très bien au one-shot, du coup). Toutefois, ainsi que je l’ai noté plus haut, il me semble trop riche pour s’adapter vraiment au format tout riquiqui de la collection « Intégrale » : il aurait mérité bien plus de pages pour être véritablement abouti. C’est un peu frustrant, du coup… Mais peu importe au final. Moi, en tout cas, ça me botte bien, et il y a fort à parier que je vous en reparlerai un de ces jours.

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"Mygale", de Thierry Jonquet

Publié le par Nébal

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JONQUET (Thierry), Mygale, nouvelle édition révisée par l’auteur, Paris, Gallimard, coll. Folio Policier – Thriller, [1984, 1995, 1999] 2011, 156 p.

 

Dans ma quête de livres courts, je cherchais volontiers un polar, ou disons un roman noir, plus généralement. Une libraire que je ne citerai pas m’a instantanément suggéré ce Mygale de Thierry Jonquet, auteur dont j’avais entendu parler mais que je n’avais jamais eu l’occasion de pratiquer jusqu’à maintenant. Pourquoi pas ? Mais ladite libraire, qui est coutumière du fait, avait assorti ce conseil d’une recommandation impérative : ne surtout pas lire la quatrième de couverture, sous peine de gros spoiler. Bon, moi, je veux bien, hein ; le problème, c’est que là, maintenant, je dois parler du bouquin : et je me retrouve du coup dans la position d’une vilaine, ô combien vilaine quatrième de couverture. Donc ça va SPOILER sec, vous êtes prévenus.

 

Il y a Richard Lafargue, chirurgien de son état, pété de thune comme c’est pas permis. Il vit avec une certaine Ève, sublime créature qu’il soumet à de bien étranges caprices pervers, la prostituant pendant qu’il joue au voyeur.

 

Il y a Alex Barny, minable petit truand qui, après un braquage qui a mal tourné, s’est planqué dans un mas.

 

Et puis il y a ce mystérieux prisonnier, enchaîné dans une cave, et livré au bon plaisir d’un immonde tortionnaire qu’il a surnommé « Mygale ».

 

Tout ce beau monde, évidemment, est amené à se croiser et, en vous faisant ce tout petit résumé, je vous en ai déjà trop dit, sans doute. En effet, Mygale est à mon sens aussi improbable (ce qui n’est pas forcément bien grave, il y a du narrativum) que prévisible (ce qui est plus embêtant en ce qui me concerne). On va donc reconnaître d’emblée que ce n’est pas l’intrigue qui fait la grande force de ce court roman de Thierry Jonquet, lequel a beau jeu de multiplier les révélations « coups de poing », sauf que ça tombe un peu à plat à chaque fois ou presque.

 

Avouons de même que ce n’est pas le style qui fait de Mygale un grand roman ; c’est assez terne, tout cela.

 

Restent les personnages et l’ambiance. Ici, c’est mieux. Surtout dans les passages à la deuxième personne. Pourtant, nous avons une belle collection de clichés… et un propos général qui peut paraître décevant. M’est avis, en effet, mais cela va sans doute à l’encontre du projet de l’auteur, que le sadisme de « Mygale » n’avait pas à être « justifié » en définitive, qu’il était plus percutant en restant abstrait et motivé par la seule cruauté du geôlier. Ici, la mécanique est trop apparente pour pleinement convaincre. Alors oui, les victimes sont des bourreaux et les bourreaux des victimes… mais tout cela est bien convenu, en définitive. On s’en doute dès la première apparition des personnages. Cela pourrait ne pas vraiment poser de problèmes, mais le roman est à mes yeux bien trop focalisé sur sa mécanique de « thriller » (genre qui me pose décidément des problèmes, en littérature en tout cas) pour se montrer adroit dans le maniement de cette thématique. Les gens ne sont pas forcément ce qu’ils ont l’air d’être ? Tu parles d’une révélation…

 

Mais il y a quelques beaux moments dans la cave de « Mygale ». Et une joulie histoire d’amour, idéale pour la Saint-Valentouille…

 

Je n’irais pas jusqu’à dire que je n’ai pas aimé Mygale – je n’ai en tout cas pas souffert à sa lecture, ça coule tout seul… Mais de là à en faire un vrai bon roman ? Non, c’est au-dessus de mes forces. À la limite correct pour la plage, indubitablement pour les trajets en métro ou en train, mais c’est tout. Oui, voilà : un roman de gare honnête, qui se lit sans y penser, et ne laisse pas grand-chose en tête en définitive. Médiocre, quoi. Désolé, libraire…

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"Qu'était-ce ?", de Fitz-James O'Brien

Publié le par Nébal

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O’BRIEN (Fitz-James), Qu’était-ce ?, [What was It ?], traduit de l’anglais par Richard Scholar et Guillaume Pigeard de Gurbert, lecture de Guillaume Pigeard de Gurbert, Arles, Actes Sud, coll. Babel – Les Fantastiques, [1859] 1998, 47 p.

 

Qu’était-ce ? Eh bien… Quelque chose… Que je vais devoir révéler (aussi, si vous craignez le SPOILER, fuyez, pauvres fous !). Et c’est justement la certitude de cette présence que Lovecraft qualifiera ultérieurement « d’indicible » qui est au cœur de cette brève nouvelle de Fitz-James O’Brien – sans doute une de ses plus célèbres – parue initialement en 1859, et qui se pose ainsi en véritable réflexion sur la nature même de la littérature fantastique.

 

Soit une maison new-yorkaise qui a la réputation d’être hantée. Une pension de famille – des fortes têtes assurément – s’y installe pourtant, ou peut-être justement pour cette raison. Dès les premiers instants passés dans la demeure, les locataires s’empressent de guetter les manifestations fantomatiques… en vain. Notre narrateur, opiomane qui a commis en son temps une « ghost story », n’est certes pas le dernier à se régaler de l’attente du surnaturel dans la bâtisse. Toutefois, il n’entend pas mélanger rêveries opiacées et songes hoffmanniens, sachant ce que cette alliance peut avoir de perturbant. Mais un soir où un compagnon d’excursion dans les paradis artificiels l’entraîne bien malgré lui sur ce terrain, le narrateur est assailli par… Quelque chose. « A Something », dit le texte original, qui bénéficie en outre du « it » anglais, sans doute intraduisible en français, ou maladroitement sous la forme de « ça » (vous avez le bonjour de Stephen King).

 

On pourrait croire à vue de nez – et cela correspondrait aux canons du fantastique, à en croire une définition à mon sens bien trop courante et beaucoup trop réductrice – que ce Quelque-Chose n’est que l’hallucination d’un toxicomane qui fait un « bad trip ». Le fantastique serait dès lors réduit au procédé de l’ambiguïté. Mais non : ce qui fait l’intérêt de la nouvelle de Fitz-James O’Brien, et constitue du coup un salutaire pied de nez à ces définitions psychologisantes qui ont tôt fait d’évacuer le surnaturel, c’est bien la certitude de la présence de ce Quelque-Chose. Oui, il résiste à la définition ; il se dissimule donc en anglais sous un neutre perplexe. Mais il est assurément. Il est certes incompréhensible et incommunicable – indicible, disais-je –, mais sa réalité ne saurait faire de doute pour personne. Si l’opiomane ne voit rien, et les autres locataires pas davantage, la présence indéfinie n’en est pas moins indiscutable. Ce « Horla » n’est pas une hallucination, pas le moins du monde. Et c’est bien ça qui est terrible ; pas la suspicion de folie, mais l’indiscutable existence de ce qui ne devrait pas être, de ce qui n’est pas compris et ne le sera jamais, pas plus au moment de l’assaut que, plus tard, quand le narrateur et son camarade de pipe sont amenés à enterrer cette chose qu’on ne voit pas, scène fort brève, certes, mais fascinante dans son principe même.

 

La nouvelle de Fitz-James O’Brien, ainsi, dans sa brièveté qui la rend presque abstraite, ou lui donne plus exactement un caractère d’épure, a quelque chose de programmatique. En posant d’emblée la question (au passé, ce n’est pas négligeable) et en y apportant bel et bien une réponse, aussi perplexe soit-elle, elle dit ce qu’est (ce que doit être ?) le fantastique, n’en déplaise aux apôtres de l’ambiguïté fondamentale. On n’évacue rien, ici, au prétexte de conformer le récit aux nécessités rationnelles de notre société et de nos modes de pensée. On ne dissimule pas l’indéfinissable comme étant par nature irréel. Bien au contraire. Cette déclaration d’intention, dès lors, avait tout pour me plaire, de même que sa « lecture » par Guillaume Pigeard de Gurbert (à grands renforts de Deleuze).

 

Je ne ferais pas de Qu’était-ce ? une lecture indispensable pour tous, mais, pour qui s’intéresse un tant soit peu à la littérature fantastique et à sa théorie, la nouvelle de Fitz-James O’Brien constitue bel et bien une importante pièce à verser au dossier. En tant que telle, on ne saurait imaginer meilleure réponse à la question du titre : on ne sait pas ce que c’est, mais on sait que ce Quelque-Chose est ; et c’est bien ce qui le rend terrible. Aussi cette nouvelle me paraît-elle fondamentale à plus d’un titre, typique d’un certain fantastique rétif aux ratiocinations théoriques les plus convenues ; en affirmant la réalité de l’horreur, elle ouvre le champ à d’autres auteurs non négligeables, dont Lovecraft et King : ceux qui ont fait de la quête de ce « it » le cœur de leur œuvre.

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"Le Peuple du tapis", de Terry Pratchett

Publié le par Nébal

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PRATCHETT (Terry), Le Peuple du tapis, [The Carpet People], traduit de l’anglais par Patrick Marcel, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1992] 1997, 188 p.

 

Le Peuple du tapis est le premier roman de Terry Pratchett, qui l’avait écrit à l’âge de dix-sept ans. L’auteur, qui avait entre-temps connu le succès avec « Les Annales du Disque-monde », a révisé ultérieurement ce péché de jeunesse longtemps indisponible pour le soumettre à nouveau à publication, devant les demandes insistantes de ses fans. Et c’est en quoi ce livre a bel et bien deux auteurs, ainsi que Pratchett l’explique lui-même dans une brève note précédant le roman.

 

Quoi qu’il en soit, on trouvait déjà dans ce premier ouvrage bien des traits typiques du créateur de Rincevent et compagnie. Le goût pour la fantasy parodique, bien sûr, ici particulièrement exacerbé peut-être puisque c’est la high fantasy à la Tolkien qui trinque, dans un sens ; le goût pour les univers inattendus, aussi, le Disque-monde étant ici présagé par un simple tapis où se nichent entre les poils bien des êtres farfelus ; et puis, déjà (à moins que ce soit l’effet de la révision ?), ce ton très particulier, où des considérations fort sérieuses (notamment d’ordre religieuses, philosophiques et politiques) se mêlent à l’humour le plus fantasque et burlesque, pour donner au final un roman éminemment pratchettien.

 

Nous sommes donc dans un tapis, au milieu des poils et de la poussière ; des cendres y tombent, du sucre, des pièces de monnaie. Mais c’est aussi un écosystème très riche, où vivent bien des êtres intelligents (ou presque). Le tapis est largement sous la domination de l’empire dumii (qui a inventé un truc aussi phénoménal que l’argent pour maintenir sa domination, ça aide). La tribu des Munrungues n’en subit à vrai dire pas vraiment le joug, se contentant de se faire recenser de temps à autre et de verser un impôt à cette occasion, ce qui satisfait tout le monde. Mais, un jour, les agents du recensement ne se présentent pas ; il faut dire que leur ville a été ravagée par le grand Découdre, bien étrange phénomène de destruction massive, qui entraîne dans son sillage des hordes de moizes chevauchant des snargues (ce qui peut effectivement rappeler quelque chose…).

 

Les frères Glurk et Snibril Orkson, à la tête de la tribu, secondés par le chaman excentrique Forficule, philosophe rationaliste, conduisent donc leur peuple dans un long et dangereux périple, et entendent bien faire la lumière sur les agissements des moizes et la nature du grand Découdre. En chemin, ils tomberont sur des compagnons remarquables, tels le général dumii Fléau ou le roi des Fulgurognes Brocando (parce que Terry Pratchett croyait encore à l’époque que la fantasy devait s’embarrasser de rois et tout le baltringue ; mais ils prennent cher, quand même…). Et, sous le regard apaisé des Vivants qui se souviennent du futur, ils vont contribuer à changer le monde, en construisant eux-mêmes leur destin et en écrivant l’histoire ; et pour ça, il faut survivre. Ce qui n’est pas gagné.

 

Le Peuple du tapisest ainsi, sous ses dehors incongrus et burlesques, une épopée, une véritable saga, du genre de celles qui ont inspiré Tolkien pour Le Seigneur des Anneaux et plus encore Le Silmarillion. Rien n’y manque, absolument rien ; quelques glissements du vocabulaire ne sauraient dissimuler les influences profondes de ce court roman, pas plus que l’humour omniprésent, qui ne fait cependant pas toujours mouche. On prend cependant dans l’ensemble beaucoup de plaisir à participer à cette grande aventure microscopique, et l’on s’attache volontiers aux pas des protagonistes (avec en ce qui me concerne une mention spéciale pour le philosophe Forficule et l’excité Brocando ; tous les personnages n’ont pas leur épaisseur, si j’ose dire).

 

Mais, à l’évidence, donc, tout Prachett est déjà là, ce qui est en soi assez impressionnant. L’univers est foisonnant, même s’il n’a sans doute pas l’originalité du Disque-monde ; il est cependant tout à fait charmant, et l’on s’amuse bien à fouler le tapis, dénicher une allumette au milieu des poils, ou escalader une pièce à l’effigie d’Elizabeth II. L’histoire, donc, n’est en elle-même pas vraiment originale, mais peu importe ; à vrai dire, comme souvent chez Pratchett, c’est ailleurs que se situe l’intérêt, et notamment dans ce ton très particulier que j’évoquais plus haut, et qui, à certains égards, fait davantage de l’auteur un science-fictionneux qu’un fantaisiste (une histoire de boulons…).

 

À titre documentaire, Le Peuple du tapis est donc tout à fait intéressant, et il y a fort à parier qu’il saura convaincre les fans du Disque-monde et compagnie. On n’en fera certes pas du très grand Pratchett, on ne prétendra pas que ce coup d’essai était déjà un coup de maître, mais cela reste une lecture des plus sympathique, passablement rafraîchissante. Pour ma part, je n’en demandais pas davantage. Et comme davantage il y a malgré tout…

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