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"La Terre sauvage", de Julia Verlanger

Publié le par Nébal

 

VERLANGER (Julia), La Terre sauvage, postfaces de Laurent Genefort et Serge Perraud, Paris, Bragelonne, coll. Les Trésors de la science-fiction, [1956, 1958, 1961, 1976-1977, 1979] 2008, 491 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 52 (pp. 108-110).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

Ah, et « à suivre » avec Récits de la Grande Explosion.
 

 

EDIT : Hop :

 

Pour inaugurer sa collection « patrimoniale » des « Trésors de la SF » chez Bragelonne, Laurent Genefort s’est attelé à un gros morceau : rien moins qu’une intégrale de Julia Verlanger (de son vrai nom Héliane Grimaître), dont La Terre sauvage constitue le premier de cinq volumes. S’y trouvent rassemblés les trois romans composant ledit cycle post-apocalyptique (sans doute la plus célèbre œuvre de l’auteur, publiée originellement au Fleuve Noir à la fin des années 1970 sous le pseudonyme plus « viril » de Gilles Thomas), complétés par quatre nouvelles plus anciennes à la thématique similaire.

 

 C’était avant Mad Max et les innombrables nanars post-apo qui nous ont ensuite resservi du guerrier solitaire et taciturne survivant dans un monde en proie au chaos et aux simili-keupons SM gesticulant comme les sauvages qu’ils sont sur leurs improbables voiturettes de golf et 125 cm3 customisées. Mais si l’on ne croisera guère de véhicules pétaradants dans la France dévastée de L’Autoroute sauvage, la référence, affichée en quatrième de couverture, n’en est pas moins assez légitime : oui, on peut bien parler ici d’une « préfiguration » de la fameuse saga cinématographique. Bien davantage, sans doute, que du récent best-seller de Cormac McCarthy La Route. Guère d’introspection et de méditation mystique, ici ; mais beaucoup d’action, de hurlements, de viols et de cannibalisme. C’est que nous sommes en plein dans une SF populaire qui se revendique : L’Autoroute sauvage, La Mort en billes et L’Île brûlée sont des romans de gare assumés, jouant avant tout la carte du divertissement et de l’efficacité. De la chouette série B, en somme.

 

 La France (le monde ?) n’est plus. La guerre bactériologique et la « Grande Pagaille » l’ont ravagée, et la peste bleue, sinistre héritage du dernier conflit mondial, semble prohiber tout retour à la civilisation. Les villes jonchées de cadavres ont été abandonnées par l’humanité. Les survivants sont pour l’essentiel des « groupés », moutons sous la coupe de loups impitoyables qui sont autant de dictateurs en puissance, fanatiques religieux ou simples brigands perpétuant la loi du plus fort. Certains préfèrent cependant revendiquer leur liberté et vagabonder seuls, dégagés de toute entrave : leur vie n’est guère aisée dans ce monde cauchemardesque où les dangers abondent et où le cannibalisme est entré dans les mœurs, mais ils ont fait ce choix et s’y tiennent. Gérald, cynique et macho au possible (belle ironie !), est un de ces « solitaires ». La vie sauvage l’a endurci, et ce virtuose du lancer de couteau ne connaît pas d’attaches. Jusqu’au jour où il fait la rencontre d’Annie, nécessairement jeune, jolie et blonde, « groupée » quelque peu écervelée issue d’une communauté largement plus fréquentable que les autres, et qui a pour idée fixe de se rendre à Paris en quête d’un hypothétique remède à la peste bleue. Seule, l’aimable créature n’a pas une chance… et Gérald est bientôt amené à l’accompagner le long de L’Autoroute sauvage. Un sacré périple, qui amènera les deux tourtereaux à multiplier les rencontres généralement désagréables (les exceptions sont d’autant plus appréciables), et qui se prolongera ensuite avec La Mort en billes (avec des vrais morceaux de zombies et de militaires dedans) et L’Île brûlée (où l’on y rajoute des esclavagistes télépathes).

 

 Et tout ça fonctionne très bien. L’action est trépidante, l’atmosphère oppressante, cauchemardesque et pessimiste à souhait, les bonnes trouvailles abondent (voyez notamment la Démence, dans L’Île brûlée), les personnages, même caricaturaux, sont assez attachants… Impossible de s’ennuyer un seul instant, et l’on n’en demandait pas davantage. Certes, le style est minimaliste, privilégiant l’efficacité sur l’élégance, mais on peut bien faire l’impasse sur quelques répétitions ou lourdeurs ici ou là, et applaudir au contraire l’auteur pour son remarquable sens du rythme. On regrettera néanmoins cette triste tendance à expédier certaines séquences, et l’on reconnaîtra même volontiers que les conclusions des trois romans, ne lésinant pas sur le deus ex machina, ont quelque chose de tristement bâclé… Dommage, quand bien même cela n’est pas rédhibitoire. Car le bilan est clair : effectivement, tout cela n’est pas très fin, et les lecteurs ne jurant que par la Grande Littérature passeront à bon droit leur chemin ; mais les autres sauront savourer ces excellents romans de gare, bien représentatifs de ce que la SF populaire peut produire de plus enthousiasmant.

 

Les quatre nouvelles qui suivent sont de même très appréciables, et assez instructives sur la genèse de La Terre sauvage, tout en opérant dans un registre assez différent, plus ambitieux et subtil, et plus sombre encore. « Les Bulles », la nouvelle qui a révélé Julia Verlanger en 1956, et souvent reprise depuis, est un petit bijou de noirceur, une histoire cruelle et forte ; bien meilleure, sans doute, que sa « suite alternative » publiée à titre posthume et intitulée « Le Recommencement », même si, après une introduction laborieuse sonnant presque comme un repentir, on y trouvera également des choses intéressantes. « Nous ne vieillirons pas » tient à certains égards plus du poème en prose que de la nouvelle, mais c’est en tout cas un texte glaçant, désespéré, témoignant d’une véritable psychose dont il est sans doute difficile aujourd’hui de mesurer ce qu’elle pouvait avoir de prégnant en pleine crise cubaine. « Les Derniers Jours », enfin, est à nouveau une réussite ; ce récit d’un enfant survivant à grand peine dans un monde ravagé pourrait à vrai dire constituer une préquelle de La Terre sauvage.

 

Le tout constitue donc un volume très sympathique. Voilà une belle occasion de découvrir ou redécouvrir une grande romancière « populaire », dans l’acception la plus noble de cette désignation.

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"Planète à gogos, suivi de Les Gogos contre-attaquent", de Frederik Pohl & C.M. Kornbluth

Publié le par Nébal

 

POHL (Frederik) & KORNBLUTH (C.M.), Planète à gogos, enrichi de chapitres inédits, suivi de Les Gogos contre-attaquent, [The Space Merchants ; The Merchants’ War], traduit de l’américain par Jean Rosenthal, Jean Bonnefoy et Francis Valéry, traductions révisées par Francis Valéry, Paris, Denoël – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1952, 1970, 1984-1985] 2008, 577 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 52 (pp. 103-105).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Avec le recul, la tentation est forte de conférer à certains classiques de la science-fiction le statut si ambigu d’œuvres visionnaires, pour ne pas dire prophétiques. Cela dit, ce n’est pas forcément toujours le meilleur moyen de rendre justice à ces auteurs qui ont su – ou du moins est-ce ce que l’on cherche à démontrer – entrevoir l’avenir et en rendre une description saisissante. Mais sans entrer dans le débat concernant une éventuelle « fonction » des auteurs d’anticipation, on notera que bien rares, de toute façon, sont les œuvres véritablement visionnaires qui, sous la fiction romanesque, offrent une authentique prospective dont la lucidité a de quoi laisser pantois. Or, à n’en pas douter, Planète à gogos [The Space Merchants] constitue ici un exemple de choix, tant cette virulente satire sociale écrite à quatre mains par Frederik Pohl et Cyril M. Kornbluth en 1952 rencontre aujourd’hui un écho étonnement juste dans les préoccupations politico-économiques les plus immédiates. Ce qui justifie amplement cette réédition, bénéficiant d’une traduction révisée et de chapitres inédits, et complétée par la suite (ou « variation » ?) qu’en écrivit Frederik Pohl seul en 1984, Les Gogos contre-attaquent [The Merchants’ War].

 

 A l’inverse du schéma classique de la contre-utopie totalitaire dont le 1984 de George Orwell reste sans doute encore aujourd’hui le plus bel exemple, Pohl et Kornbluth décrivent pour leur part un futur proche où l’autorité politique, si elle n’a en principe pas disparu, se révèle néanmoins inefficace et d’une importance totalement secondaire. La Terre de Planète à gogos est en effet dominée par le Marché, et le politique y est inféodé à l’économique : un véritable fantasme néo-classique. Le citoyen n’est plus qu’un consommateur, et les assemblées parlementaires et autres résidus d’institutions étatiques ne sont plus que des organes destinés à concilier les intérêts des multinationales et à éliminer les réfractaires à l’ultra-libéralisme dominant : le Marché étant envisagé comme le principal élément caractéristique de la civilisation, il « justifie » un nouveau colonialisme, les « primitifs » des pays du Sud offrant de juteux débouchés aux grands groupes industriels et commerciaux détenteurs du pouvoir. Mais ces derniers, quand il ne s’affrontent pas entre eux, ont également un adversaire commun : les Écolos, ces terroristes sans foi ni loi, obsédés par leurs préjugés absurdes ! Et la lutte contre les Écolos ne saurait s’embarrasser de mesquineries procédurales…

 

 Cependant, l’arme essentielle des multinationales, dans tous leurs combats, est la publicité. Tout peut se vendre ; il ne s’agit que de trouver les mots ou les procédés efficaces ; et la morale n’a rien à voir là-dedans. Ce sont donc bien les grands groupes publicitaires qui tirent en définitive les ficelles dans le monde de Planète à gogos. Mitchell Courtenay, le narrateur, est un cadre typique de l’agence Fowler Schocken & Associés : matérialiste forcené aux dents qui rayent le parquet, dégoulinant d’hypocrisie et de cynisme, il bénéficie d’un statut social enviable et n’a que mépris pour les consommateurs de base et haine pour les incompréhensibles Écolos. Ce fin connaisseur de la mercatique et des techniques de communication se voit un jour confier une mission de choix : vendre rien moins qu’une planète… C’est que la Terre est surpeuplée et atrocement polluée. Nécessité fait loi : la conquête de l’espace, pas assez rentable pour constituer jusqu’alors une priorité, est ainsi relancée, et on envisage de fonder une colonie sur Vénus. Or la vie ne risque guère d’y être de tout repos, et la colonisation n’a rien de séduisant… Mitchell Courtenay devra donc déployer des trésors d’ingéniosité pour rendre l’entreprise attrayante ; mais il lui faudra en outre déjouer les pièges tendus par ses rivaux au sein de Fowler Schocken & Associés et par les entreprises concurrentes. Bien vite, on tente de l’assassiner… et Mitchell Courtenay, pris dans une spirale paranoïaque, sera bientôt amené à vivre un véritable enfer et à remettre en cause ses certitudes.

 

 A n’envisager Planète à gogos que sous le seul angle de la satire sociale, on ne peut qu’être stupéfait par la justesse et la pertinence du tableau dressé par Pohl et Kornbluth. On n’en revient pas que ce roman ait pu être écrit en 1952, à l’orée des « Trente Glorieuses », bien avant l’ultra-libéralisme triomphant d’Hayek, de Friedmann et des Chicago Boys ; bien avant, aussi, l’essor de l’écologisme. C’était en outre l’ère de la décolonisation, et bientôt celle de la conquête de l’espace… Ici, les auteurs, en prenant le contre-pied de leur époque, ont étrangement décrit la nôtre. Et c’est sans doute encore plus vrai en ce qui concerne le rôle de la publicité, laquelle n’était certainement pas alors aussi omniprésente et efficace qu’elle l’est aujourd’hui. La justesse de la satire a ainsi été pour une fois confirmée par le passage des temps – on ne s’en réjouira guère… –, et, sous cet angle, Planète à gogos a peut-être encore gagné en efficacité aujourd’hui. Son cynisme impitoyable et réjouissant, son humour jaune, font mouche : Planète à gogos mérite bien ses lauriers de « classique », et vaut assurément le détour.

 

Il y a cependant un revers à cette médaille : si la satire est d’une actualité troublante, le roman accuse néanmoins son âge vénérable par d’autres aspects, qui le trahissent, et l’amoindrissent éventuellement. Le style, ainsi, est typique de la SF américaine de « l’âge d’or » : fluide, sans fioritures, minimal… pour ne pas dire plat, strictement fonctionnel. Les personnages, de même, ne sont guère fouillés, leur rôle étant le plus souvent purement archétypal. Quant à l’intrigue, elle est en définitive très prévisible, en dépit de quelques twists ici ou là, sentant régulièrement l’artifice… Mais sans doute tout cela est-il secondaire, tant la satire prime sur le reste et les bonnes idées abondent (le Poulgrain, s’il ne faut en citer qu’une !). Plus gênant, à mon sens tout du moins, Pohl et Kornbluth se réfrènent régulièrement, notamment vers la fin du roman, en succombant à la tentation du « happy end » sous la forme de « désir réalisé », cet optimisme final tranchant maladroitement sur le cynisme destructeur de la majeure partie du roman ; de même, on pourra regretter, dans ces dernières pages, la tournure plus ou moins « héroïque » prise par Mitchell Courtenay, ou encore quelques « mea culpa » plus ou moins convaincants (ainsi de la « réhabilitation » du président des Etats-Unis, après une scène particulièrement réjouissante où le successeur de Washington faisait figure de médiocre et de bouffon…). Aussi Planète à gogos doit-il bien être envisagé comme un « classique », et mérite la lecture comme tel ; mais il n’a pas l’intemporalité qui fait les chefs-d’œuvre.

 

Cette édition est enrichie de trois chapitres inédits, en fin de volume, figurant dans la prépublication en feuilleton du roman, mais qui n’avaient pas été repris ultérieurement. Une annexe intéressante et appréciable, aucun doute à cet égard, mais on avouera que le roman avait gagné à être débarrassé de cette conclusion vénusienne, trop éloignée du reste, et accessoirement banale.

 

Quant à Les Gogos contre-attaquent, roman écrit une trentaine d’années plus tard par Frederik Pohl seul (Cyril M. Kornbluth étant décédé entre-temps), et qui se situe quelques décennies après la fin de Planète à gogos, plus qu’une « suite », c’est à bien des égards une « variation » du roman originel, plus outrancière encore. Dans les premières pages, ainsi, Tennison Tarb est encore plus antipathique que ne l’était initialement Mitchell Courtenay, et ses déboires sont plus excessifs encore : malheureuse victime d’une nouvelle méthode publicitaire particulièrement mesquine, Tarb devient accro au Moke, et dégringole progressivement les échelons de la société, jusqu’à se retrouver dans les pires bas-fonds. Une fois de plus, le cadre découvre la condition des consommateurs lambda, et remet en cause ses préjugés. Mais le tout se fait ici sur un mode plus absurde encore que dans Planète à gogos ; aussi, loin d’être une suite bêtement mercantile (ce qui aurait été un comble !), Les Gogos contre-attaquent constitue un passionnant approfondissement de la satire initiale, et en tant que tel une farce remarquablement efficace, bien digne de son modèle. On peut cependant lui adresser les mêmes reproches qu’à son illustre prédécesseur… et même renâcler quelque peu devant l’intrigue, cette fois si artificielle à l’occasion qu’elle en devient franchement invraisemblable (le sentiment général d’absurdité n’y change rien ; mais là encore, c’est surtout vrai pour ce qui est de la fin du roman). En même temps, les bonnes idées abondent une fois de plus, et certaines séquences sont tout à fait remarquables (l’assaut publicitaire en Mongolie est un très grand moment, et l’anti-publicité vénusienne comme la dépendance de Tarb suscitent bien des scènes hilarantes).

 

Cette réédition plus complète que jamais est donc particulièrement bienvenue. Et si ces deux romans ne sont pas sans défauts, s’ils ont vieilli par certains aspects, ils n’en constituent pas moins une satire féroce et pertinente, plus d’actualité que jamais, et qui vaut bien le détour. Alors, chers consommateurs, n’hésitez plus : vous vous devez d’acheter ce livre ; vous en avez besoin ; il vous le faut ; travaillez plus, gagnez plus, et achetez-le : et le monde® sera plus beau©.

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"La Dernière Colonie", de John Scalzi

Publié le par Nébal

 

SCALZI (John), La Dernière Colonie, [The Last Colony], traduit de l’anglais [américain] par Mikael Cabon, Nantes, L’Atalante, coll. La dentelle du cygne – science-fiction, [2007] 2008, 381 p.

 

Ma chronique de ce roman prenant la suite du Vieil Homme et la guerre et des Brigades fantômes se trouve dans le Bifrost n° 52 (pp. 99-100).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Le coupable se nomme Didier Florentz. Je sais, la délation, c’est pas joli joli, mais il faut bien reconnaître que cette couverture non plus. Ses récidives chez L’Atalante, notamment pour les romans de Jack Campbell, étant tout aussi hideuses et ridicules, il est bien temps de livrer le nom du grand responsable de tout ça au juste courroux des lecteurs. En ce qui me concerne, on tient là un futur lauréat des razzies.

 

 Mais passons, et parlons plutôt du roman : La Dernière Colonie, ou le troisième et dernier tome de la trilogie entamée par Le Vieil Homme et la guerre. Enfin, « dernier », « trilogie », faut voir : il reste probablement de quoi faire, et un quatrième opus, Zoe’s Tale, est d’ores et déjà paru outre-Atlantique (mais il s’agirait semble-t-il plus ou moins d’une « variation » de celui-ci). Quoi qu’il en soit, nous y retrouvons le sympathique « vieillard » John Perry, qui a bien changé depuis ses aventures musclées des deux premiers volumes : ayant finalement achevé son service au sein des Forces de défense coloniale, il a choisi de retourner à la vie civile en tant que simple colon, débarrassé de sa peau verte, de son Amicerveau et de ses autres améliorations corporelles ; il a également épousé Jane Sagan, le clone-fantôme de sa défunte épouse, et adopté la petite Zoé, toujours accompagnée de ses gardes du corps Obins (voir les épisodes précédents…). La petite famille mène une vie paisible et monotone sur Huckleberry, une planète colonisée depuis 75 ans par l’humanité. Mais l’Union coloniale et les FDC leur proposent un jour de quitter leur foyer, au moins temporairement, pour prendre la tête d’une nouvelle colonie d’un genre particulier durant les fatidiques premières années. Poussés par leur sens du devoir, John Perry et Jane Sagan deviennent ainsi les dirigeants de la colonie « de seconde génération » de Roanoke… et s’en mordent bientôt les doigts. Car cette « colonie perdue », qu’ils doivent administrer dans des conditions inimaginables, se révèle être au cœur d’un complexe imbroglio politique, déterminant pour l’avenir de l’humanité. Et dans cette affaire, Perry, Sagan et les pionniers qui les accompagnent ne sont à l’évidence que des pions, en tant que tels éminemment sacrifiables…

 

Comme dans Le Vieil Homme et la guerre et Les Brigades fantômes, John Scalzi nous concocte un space opera très classique et référencé, et en même temps indéniablement divertissant et efficace : l’adresse de l’auteur, son sens du rythme, ses personnages attachants, son humour et son ironie (d’autant plus sensibles que, de même que dans le premier volume, John Perry retrouve son rôle de narrateur), font allègrement passer la pilule de cette histoire, certes bien ficelée, mais néanmoins lourde de déjà-vu. Une lecture toujours aussi agréable, donc, et qui sera sans doute à même de satisfaire bien des lecteurs (et notamment ceux qui regrettaient – à tort en ce qui me concerne – « l’ambiguïté » supposée des deux premiers volumes : John Perry ayant désormais quitté l’armée, il a moins de scrupules à adresser un majeur furibond à l’UC et à sa realpolitik…).

 

Mais La Dernière Colonie n’en souffre pas moins des même défauts que ses deux prédécesseurs. Notamment, si John Scalzi a le bon goût de ne pas tirer à la ligne et d’éviter de verser dans le pavé, il n’en tend pas moins à se disperser régulièrement, laissant soudainement en plan quelques thématiques, et recourrant en d’autres circonstances au deus ex machina d’une manière guère satisfaisante. Mais surtout, ce dernier roman, s’il reste très sympathique, n’est finalement guère plus. Et c’est dommage. Au risque de connardiser dans l’élitisme, je ne peux m’empêcher de regretter que John Scalzi n’écrive « que » de bons divertissements ; car il est maints passages de La Dernière Colonie (de même que, pour prendre un exemple flagrant, les réjouissants premiers chapitres du Vieil Homme et la guerre) où l’on sent qu’il pourrait facilement aller bien plus loin, rendre ses romans plus subtils, plus profonds, sans qu’ils ne perdent pour autant de leur fraîcheur et de leur efficacité. Ce ne sont ni le talent ni les idées qui lui manquent. L’ambition, peut-être ? « I’m not a snob when it comes to writing », explique-t-il sur son site. Tant mieux, sans doute ; et l’on expliquera peut-être ainsi son titre de « best fan writer » obtenu lors du dernier Prix Hugo. Mais il y a de la marge… non ?

 

En attendant, La Dernière Colonie est bien un roman de John Scalzi : un space op’ très sympathique, sans prétentions, d’une lecture agréable. Et frustrant.

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"Vie et mort de la Cellule Trudaine", de Christophe Carpentier

Publié le par Nébal

 

CARPENTIER (Christophe), Vie et mort de la Cellule Trudaine, Paris, Denoël, 2008, 502 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 52 (pp. 83-85).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Premier roman du peintre et plasticien Christophe Carpentier, Vie et mort de la Cellule Trudaine, bien que publié hors collection, n’en joue pas moins la carte de l’anticipation : l’auteur dresse en effet ici la biographie d’Aldous Randall (tout un programme), né Prophète en 1986 et mort en 2048 dans un monde qu’il a contribué à bouleverser.

 

 Plus des deux-tiers du roman sont constitués d’extraits d’essais historiques posthumes, agrémentés de documents rédigés de la main du Prophète. Il nous est ainsi donné de suivre, de sa genèse à son apothéose, la croisade qu’il a menée contre le plus grand fléau qu’ait connu l’humanité : la vanité. Fasciné par les résultats obtenus sur son frère par les psychologues de WWASP (une institution bien réelle, et qui fait froid dans le dos…), il entreprend, peu après le 11 septembre, sa révolution comportementale destinée à « dévanitiser l’humvanité ». Ses guides Narcissico Town sont une première étape majeure : parallèlement au succès grandissant de son blog, ils participent de « la nécessaire pipolisation du Prophète ». Sa croisade contre le narcissisme et l’esprit de concurrence lui attire les sympathies de divers mouvements alternatifs et d’une fraction de « l’Opinion Publique Mondiale On Line », recoupant largement la « Classe Moyenne Mondiale Précarisée ». Mais il s’agira bientôt d’aller plus loin, et le « Chaos Global » (2013-2046) suscité par les crises énergétiques, climatiques et économiques, les fondamentalismes religieux et les regains de nationalisme, permettra bientôt au « Mouvement pour la Survie Historique » d’assumer toute sa portée liberticide et totalitaire ; des premiers attentats commis par les « Humanistes-Soldats égocidaires » à la mise en place des « Zones d’Habitations Cloisonnées » en passant par l’extermination des « vaniteux irrécupérables », c’est toute l’histoire de l’avènement de la « Société Nouvelle », égalitaire et non concurrentielle, qui nous est livrée… afin de susciter notre adhésion et notre enthousiasme.

 

 C’est là la principale originalité (et le seul atout ?) de Vie et mort de la Cellule Trudaine : à la différence de l’immense majorité des contre-utopies totalitaires, le roman de Christophe Carpentier, non seulement préfère s’étendre sur la genèse de la société cauchemardesque (en cela, c’est également un roman « apocalyptique »), mais surtout n’adopte jamais un ton critique à l’encontre du régime et de son idéologie ; le point de vue n’est jamais celui d’une « victime » ou d’un « résistant » (le type classique de l’individu lambda qui se met progressivement à douter), y compris dans les dernières pages, cruelles et dérisoires, cyniquement drôles, mais parfois lourdingues, consacrées à la « Cellule Trudaine » du titre (le roman est clairement composé de deux ensembles, de longueur inégale). L’imposture originelle de ce Prophète anti-vanité incarnant lui-même la vanité à son sommet, de même que les atrocités commises au nom de la « survie de l’humanité », ne sont jamais mises en cause, comme s’il s’agissait sincèrement de persuader le lecteur de la pertinence de la philosophie de Randall, du bien-fondé de son mouvement, et de l’idéal constitué par sa société de zombies « dévanitisés » réalisant la « fin de l’Histoire ».

 

L’auteur joue dans l’ensemble très bien de cette ambiguïté fondamentale : le résultat est à vrai dire diablement dérangeant… d’autant plus que, au-delà de ses soubassements cachés répugnants, l’idéologie dévanitisatrice ne manque pas de rappeler bon nombre d’états d’esprit contemporains, que l’on aurait a priori tendance à juger bien autrement sympathiques. Nous sommes nombreux – moi le premier (vanité des vanités !) – à critiquer « pipolisation » et superficialité, à stigmatiser la concurrence effrénée et l’hyper-individualisme, cynique et égoïste, découlant de l’ultra-libéralisme dominant, et, en sens inverse, à faire l’apologie de l’humilité, de la solidarité, voire de l’égalitarisme. Mais l’auteur pointe du doigt les contradictions et l’aveuglement portés en germes par les idéologies les plus généreuses, tels que l’on peut hélas souvent les constater de nos jours ; son roman est d’autant plus pertinent qu’il énerve et désole par sa lucidité et sa crudité, et constitue finalement une salutaire relecture de 1984 et du Meilleur des mondes en ce XXIe siècle débutant.

 

Un roman intéressant, donc, pertinent et efficace. Mais pas totalement convaincant pour autant. C’est que la tâche était ardue, et l’auteur n’a peut-être pas toujours eu les moyens de ses ambitions… Sur le plan stylistique, c’est d’un intérêt plus que limité : la forme adoptée par le roman justifie dans l’ensemble sa platitude, mais on compte au-delà un certain nombre de maladresses plus gênantes (ruptures de ton inappropriées, références gratuites, gimmicks connotés, etc.). Par ailleurs, l’auteur use parfois d’un ton absurde guère adapté à son propos, et si la critique touche juste dans l’ensemble (il y a quelques lieux communs et simplifications abusives ici ou là), le roman n’en accumule pas moins les invraisemblances et contradictions nuisant à la suspension d’incrédulité. Enfin, si l’on ne s’ennuie jamais vraiment, on regrettera que le roman se disperse régulièrement, certains passages étant assez superflus : ainsi les « Réalités détestées », dont la plupart ne font que noircir des pages sans apporter grand chose au lecteur, mais aussi le « Grand Livre », guère satisfaisant dans la forme comme dans le fond, et consistant essentiellement en redites ; pour ce dernier, l’impression d’artifice séparant grossièrement l’histoire de l’avènement de la Société Nouvelle et l’étude de la Cellule Trudaine n’en est que plus flagrante et fâcheuse…

 

Au final, Vie et mort de la Cellule Trudaine donne donc l’impression d’un premier roman ambitieux (bien sûr…), pas toujours très abouti, mais néanmoins assez fort et intéressant. A suivre ?

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"Gravité", de Stephen Baxter

Publié le par Nébal

 

BAXTER (Stephen), Gravité, [Raft], traduit de l’anglais par Guillaume Fournier, préface d’Emmanuel Tollé, Saint Mammès, Le Bélial’, [1991] 2008, 298 p.

 

Il y a de ces étrangetés, des fois (ma bonne dame). Prenez le prolifique Stephen Baxter. J’imagine que beaucoup s’accorderont pour faire du Britannique l’un des auteurs de science-fiction les plus intéressants du moment. Quelques-uns de ses titres, parmi lesquels on pourra notamment relever Les Vaisseaux du temps, Évolution et Temps, se sont payés une assez jolie réputation de par chez nous. Pourtant, son « cycle » le plus célèbre outre-Manche (à ce qu’il paraît, hein), celui des « Xeelees », n’avait encore jamais été traduit, et ce quand bien même on avait pu lire ici ou là des textes s’y rattachant plus ou moins, comme, par exemple, le paraît-il très bon cycle des « enfants de la destinée » (va falloir que je m’y mette un de ces quatre, d’ailleurs)… Le Bélial’ vient aujourd’hui remédier à cette lacune, en publiant Gravité (Raft en angliche ine ze texte), qui est non seulement le premier tome du « cycle des Xeelees » (destiné à être suivi par trois autres romans et un recueil de nouvelles, à raison en principe d’une publication par an), mais aussi le premier roman de Stephen Baxter.

 

Et c’est probablement là ce qu’il faut en retenir en priorité. Car, en fait de Xeelees (de mystérieux extraterrestres, à ce qu’il paraît), on n’aura pas grand chose à se mettre sous la dent (ou ce que vous voulez) dans Gravité : le roman est largement indépendant, doté d’un début et d’une fin, et, si le préfacier Emmanuel Tollé relève quelques allusions (dans un papier enthousiaste mais qui ne m’a guère convaincu, dois-je dire), j’avoue être pour ma part totalement passé à côté ; le terme, d'ailleurs, n'y apparaît pas une seule fois.

 

L’aspect « premier roman » saute déjà plus aux yeux… et, autant le dire de suite, on est assez, non, très loin ici des plus belles réussites de Baxter. On a souvent dit du bonhomme qu’il était le plus légitime héritier d’Arthur C. Clarke, avec lequel il a par ailleurs, heu, « collaboré ». Et je suis assez d’accord. A l’instar de son célèbre (et défunt) compatriote, Baxter est un auteur scientifiquement compétent, remarquablement doué pour le sense of wonder, dont la hard science se teinte de métaphysique, et il écrit comme un pied. Enfin, disons qu’en temps normal, c’est généralement pas très glorieux, avec des hauts et des bas. Pour le haut, voir Les Vaisseaux du temps et Évolution. Mais, ici, on est dans le bas. Très bas. Et c’est bien dommage ; parce que, si les autres aspects mentionnés sont déjà perceptibles pour la plupart dans ce premier roman – et lui confèrent donc malgré tout un certain intérêt –, c’est hélas sur un mode relativement mineur…

 

Mais là, j’ai un peu mis la charrue avant les bœufs. Voyons donc un peu de quoi Baxter nous cause, là, présentement. Nous somme, heu, « quelque part » dans l’espace. Dans une nébuleuse, plus précisément, où se sont retrouvés mystérieusement exilés une poignée d’humains… qui y respirent néanmoins à l’air libre. Ah. Ces humains se répartissent en différents groupes, et nous faisons tout d’abord la connaissance des mineurs de la Ceinture. Celle-ci tourne autour d’une étoile morte, à la surface de laquelle les ouvriers extraient péniblement des matériaux, par une gravité de 5 g. Autant dire que ces gens-là n’ont pas une vie facile. Parmi eux se trouve le jeune Rees, et il n’est pas vraiment à sa place : asocial, intelligent, bref, scientifique inné, il comprend tout seul dans son coin que la nébuleuse se meurt. Prodigue en questions et avide de réponses, le jeune mineur décide de fuir la Ceinture pour rejoindre l’autre communauté humaine « civilisée » de la nébuleuse, celle qui vit sur le « Radeau », ville spatiale un peu « floue » bâtie à partir d’un antique vaisseau spatial. Après quoi il va vivre toute une série d’aventures rocambolesques, et adopter une posture radicalement messianique (avec des vrais morceaux de Jonas et Noé en plus de Jésus) : il lui incombera de sauver l’humanité de la nébuleuse, rien que ça…

 

À se focaliser ainsi sur Rees, le roman adopte un ton relativement « initiatique », qui n’est pas sans rappeler, notamment, les juveniles de Robert Heinlein (comme par exemple Citoyen de la galaxie). Le problème est qu’il n’en a pas la subtilité (si, si) : Rees s’interroge en effet sans cesse sur ce qu’il observe, avec une naïveté confondante, rendue d’autant plus agaçante qu’elle se traduit régulièrement par des apartés et autres pseudo-introspections évoquant un café du commerce dont la clientèle serait uniquement composée de pré-adolescents scientifiques et romantiques, ce qui fait beaucoup, tout de même. Puéril et didactique au possible, Gravité ne soutient pas l’espace d’un instant la comparaison avec Temps ou Les Vaisseaux du temps sous cet angle.

 

Pour ce qui est de la trame, plus généralement, ça n’est guère fameux non plus. Là où Baxter, dans ses romans les plus récents, témoignait parfois d’une fâcheuse tendance à tirer à la ligne, ce n’est pas le cas dans cette première tentative qui n’a rien d’un pavé. Le problème, par contre, est que le récit est tout d’abord considérablement haché, multipliant les ellipses sauvages, avant de partir en roue libre, enchaînant les exils et péripéties plus ou moins vraisemblables (euphémisme : parce que, franchement, le coup de la baleine, désolé, mais non, non, non, trop gros, ça passe pas…) uniquement destinés à détailler un peu plus (mais probablement pas assez...) l’univers.

 

Mais il est vrai que c’est ici que se situe le seul intérêt, tout relatif, du roman (oui, parce que, les personnages, hein, c’est même pas la peine d’y penser : tous sont plus caricaturaux et creux les uns que les autres…). Baxter, dès Gravité, sait en effet jouer du sense of wonder, et susciter quelques images fortes (même si l’on n’y trouvera à mon sens rien de comparable à la sphère de Dyson ou au Londres sous cloche des Vaisseaux du temps, sans parler de la conclusion vertigineuse de chaque volume de la « trilogie des univers multiples ») : la rude vie des mineurs de la Ceinture est bien rendue, le microcosme de la nébuleuse mourante intrigue et séduit, de même que le planétoïde des Osseux (hélas, on ne peut pas dire que Baxter se montre brillant pour ce qui est du cliffhanger dans cette partie dont on sent qu’il voulait la rendre horrible et répugnante : sous cet angle, c’est un échec complet ; ici comme ailleurs, le roman est totalement dépourvu de tension), et, si le Radeau est sans doute trop peu détaillé pour retenir véritablement l’attention, l’auteur parvient néanmoins régulièrement à nous émerveiller avec les plus « poétiques » de ses créations, les baleines de la nébuleuse et surtout, surtout (en ce qui me concerne, en tout cas), ces fascinants vaisseaux-arbres pilotés au brasero…

 

Hélas, c’est à peu près tout. Les aspects proprement scientifiques ne sont guère centraux dans Gravité, et, dans les quelques passages où ils prennent le devant de la scène, ils n’ont finalement pas grand chose de saisissant. Dans d’autres circonstances, j’aurais sans doute pu mentionner parmi les atouts du roman la cruauté et la misanthropie ambiantes… Mais le problème est qu’elles accompagnent un discours parfaitement crétin, qui leur fait perdre l’essentiel de leur intérêt. En effet, malgré quelques nuances ici ou là, Baxter, qui ne se montre pas plus fin pour décrire les rapports sociaux que pour élaborer des personnages, martèle régulièrement tout au long de son roman cette consternante thèse (en substance) : « Les hommes sont tous des cons, SAUF les scientifiques. » Je pasticherais bien Morgan Freeman : je suis d’accord avec la première partie.

Non, décidément, il faudra se contenter de quelques belles images. C’est déjà bien, me direz-vous ; et il est vrai que bien rares aujourd’hui sont les auteurs à même de jouer la carte du sense of wonder avec autant de talent. Mais ça ne suffit pas à mon sens à compenser les trop nombreuses « faiblesses » de ce laborieux space opera, d’autant qu’il ne se montre finalement guère original (euphémisme encore une fois). Cela dit, cela ne m’empêchera pas de lire la « suite », qui ne peut être que meilleure ; et j’ai déjà lu plusieurs bons voire excellents romans de Baxter, assez pour ne pas tirer de cette déception un jugement global trop sévère, et je compte bien poursuivre (très prochainement avec Évolution, d’ailleurs). Il n’en reste pas moins que ce premier roman, pris indépendamment, n’est franchement pas terrible (…), et qu’il ne satisfera vraisemblablement que les plus fanatiques parmi les adorateurs de Baxter… ou les moins exigeants des lecteurs de SF. Pour ma part, l’ayant vu faire autrement mieux, j’entends bien en demander davantage.

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"Le Livre des Ombres", de Serge Lehman

Publié le par Nébal

 

LEHMAN (Serge), Le Livre des Ombres, illustrations de Gess, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [1998] 2005, 702 p.

 

Ces derniers temps, because of que lecture et chronique de bouquins pour ailleurs qu’ici, le rythme de publication sur ce blog miteux s’est comme qui dirait ralenti. Bon, c’est temporaire, hein. Et ça a des bons côtés. Par exemple, j’ai ainsi pu lire, entre autres, Le Haut-Lieu et autres espaces inhabitables, le dernier recueil de Serge Lehman, ce qui est bien (et même très bien). J’y reviendrai prochainement. Cela dit, vu que, ici, mes conneries n’engagent que moi, mais que, ailleurs, c’est déjà moins vrai, je me suis dit qu’il pourrait être utile, à tout hasard, de lire un peu plus de Serge Lehman avant d’en causer. Le fait est que, avant Le Haut-Lieu, je n’avais lu de Serge Lehman qu’une novella, excellente par ailleurs, intitulée « Superscience »… et qui figure dans ledit recueil. Pour le reste, je ne connaissais que quelques intéressants échos du théoricien Serge Lehman, ainsi que je l'avais déjà (trop) brièvement mentionné ici. Aussi me suis-je rendu dans une boutique infréquentable qui me voit bien trop souvent, et ai-je demandé à la grande responsable de tout ça si elle avait du Serge Lehman. Il se trouve qu’elle n’en avait qu’un seul recueil, le précédent, le reste n’étant plus forcément évident à se procurer.

 

Mais quel recueil ! Le Livre des Ombres, ouvrage paru en 2005, mais comportant environ 25 nouvelles écrites sur plus d'une dizaine d’années, et plus ou moins retravaillées pour l’occasion. 700 pages de grosse SF qui tache et transporte, avec des illustrations je vous prie, et un méta-texte borgessien pour lier la sauce, le tout constituant un bel exemple « d’histoire du futur » façon Cordwainer Smith. Sauf que ces histoires ne se déroulent pas toutes dans notre futur, mais esquissent plus largement un portrait global et délibérément inachevé de la vie, de l’univers et du reste, avec des vrais morceaux de distances astronomiques, d’éons incalculables et de figures mythologiques pour s’y promener. Sachant en outre que Le Livre des Ombres s’inscrit dans un ensemble plus vaste… recoupant en fait la quasi-totalité de la production fictionnelle du monsieur.

 

Ouf.

 

Pas évident d’en parler, du coup. Et, autant le dire de suite, je ne me sens pas de faire dans le compte rendu exhaustif, décortiquer ce volumineux recueil nouvelle après nouvelle. Je ne suis pas certain, de toute façon, que ce serait là une approche très appropriée…

 

Quelques impressions vagues, alors. Le liant du Livre des Ombres est constitué par un méta-récit d’un scribe de Grandor du nom d’Orson Malaverne, rassemblant dans un volumineux ouvrage la multitude de récits que les Hommes-Mères du Pli lui content sur les Dieux du Monde d’avant le Monde (ouf ; oui, ça en pète, tout de même). Les nouvelles, précédées d’un « Prologos » (pp. 11-30) et suivies d’un « Epilogos » (pp. 697-699), sont entrecoupées de commentaires d’Orson Malaverne sur les circonstances de leur rédaction, l’interprétation qu’il est amené à leur donner, et les différents liens que l’on peut établir entre ces textes en apparence très disparates. Ce procédé a plus ou moins convaincu… Pour ma part, j’avouerai que ma première impression fut plutôt mitigée. C’est que tout cela est passablement grandiloquent, et sent à première vue l’artifice, le pas nécessaire, en somme. Pourtant, cela n’est certainement pas vain, et, au fil des textes, j’ai finalement pris beaucoup de plaisir à recroiser régulièrement Orson Malaverne : bien loin de tuer le charme par ses explications, il obscurcit régulièrement le tout, apporte en même temps des éclairages inattendus, et ses commentaires participent plus largement d’une réflexion de l’auteur sur son œuvre, mise en abyme inévitable sans doute dans la mesure où il s’agissait bien pour lui de revenir sur des textes parfois anciens. Le Haut-Lieu, à bien des égards, prolonge cette intéressante auto-analyse, et avec plus de finesse encore si possible. Si l’on y rajoute les radicales mais séduisantes considérations théoriques de Serge Lehman, écrivant de la SF et sur la SF, tout cela, loin d’être gratuit, se révèle finalement passionnant. Sous cet angle, Le Livre des Ombres fait ainsi figure de modèle du fix-up réussi ; je n’en connais à vrai dire qu’un seul à s’être montré plus pertinent encore, et c’est Demain les chiens de Clifford Simak… Rien d’étonnant, à certains égards : dans le fond comme dans la forme, les deux œuvres ne sont pas sans présenter quelque ressemblance, puisqu’il s’agit bien dans les deux cas, pour des êtres pensants d’un lointain futur, de s’interroger sur ce qui les a précédés, aux travers de récits multiformes dont le statut de sources historiques ou de légendes prête à débat et qui sont susceptibles d’interprétations variées pour ne pas dire contradictoires, et avec notamment cette même perception de l’homme en tant que figure mythologique.

 

Quant aux nouvelles à proprement parler, eh bien… ça dépend.

 

(Oui, aujourd’hui, je fais dans la chronique littéraire de très haute tenue, spa.)

 

Ben oui. On y trouve un peu de tout, du bon et du moins bon, de l’excellent et du médiocre (pas vraiment de mauvais, par contre ; rien d'insupportable, en tout cas), du subtil et du direct, du profond et du divertissant, du plus ou moins vraisemblable aussi (il y a là un écueil qui revient régulièrement)…

 

Les tout premiers textes, dans l’ensemble, ne m’ont guère convaincu. Ces récits antérieurs à notre époque sont assez souvent boursouflés, et guère palpitants ; j’ai cependant bien aimé « L’Apothéose du Punisseur » (pp. 43-58), une nouvelle au classicisme séduisant, pouvant évoquer aussi bien Jack Vance que Dune ou Hypérion… Le cadre présenté dans « Les Singes » (pp. 77-88) ne m’a pas déplu, de même…

 

Il n’en reste pas moins que le recueil débute véritablement à mon sens avec le premier récit contemporain, par ailleurs un des plus longs du recueil, « L’Inversion de Polyphème » (pp. 93-151). Mais là je n’hésiterais guère à parler de chef-d’œuvre… Une magnifique nouvelle, juste et touchante, au parfum d’authentique ; variante (en un peu plus sale, peut-être) d’E.T. (si, si ; mais c'est très bien quand même, je vous le jure !) débordant d’ados boutonneux et amateurs de SF, sempiternellement plongés dans des numéros de Fiction et les dernières livraisons du Fleuve Noir « Anticipation ». Palpitant et délicat, un récit mêlant classicisme et inventivité pour un résultat tout simplement parfait ; le sommet du Livre des Ombres à mon sens, quand bien même il n’en est probablement pas le texte le plus représentatif (et pourtant, la couverture… bon…)…

 

Hélas, suit « Sur l’échine de la Grande Ourse » (pp. 155-171), à mes yeux le moins bon récit du recueil… Et « Un songe héliotrope » (pp. 175-203) ne remonte qu’à peine le niveau, tant le thème comme le ton plombent les bonnes idées que l’on peut y trouver par ailleurs…

 

« L’Inversion de Polyphème » serait-elle donc une exception ? Non, heureusement : avec « Nulle part à Liverion » (pp. 207-267 ; encore une novella…), Serge Lehman nous offre à nouveau un excellent récit, palpitant (tout cela fait très thriller « d’histoire secrète », mais en réussi, ce qui nous fait des vacances…) et plus subtil qu’il n’y paraît au premier abord, dans son approche de l’utopie et de la responsabilité des chercheurs. Pas parfait, cela dit : tout n’y est pas toujours très vraisemblable (mais, après tout…), et l’enquête est d’autant plus inutilement compliquée qu’elle a quelque chose d’élémentaire… Mais là n’est pas l’essentiel, et le bilan est donc très largement positif.

 

Après « Panique sur Darwin Alley » (pp. 271-292), chouette nouvelle passablement déjantée (et déstabilisante), la dimension space opera s’affiche de plus en plus, avec plus ou moins de réussite, mais tout cela se lit très bien dans l’ensemble. Et les bons textes (je m’en tiendrai à ceux qui m’ont le plus parlé) s’accumulent à mesure que l’on s’éloigne de notre Triste Monde Tragique : « Le Temps des Olympiens » (pp. 359-390), nouvelle d’autant plus convaincante qu’elle se montre excessive ; « Le Vide, le silence et l’obscur » (pp. 415-462), mêlant rencontre du troisième type, paranoïa dickienne (amusante, avec un sympathique délire logique que j’avais déjà pu apprécier ici), realpolitik et tragédie antique, pour un résultat assez goûteux ; « La Route du Grand Dehors » (pp. 465-509), synthèse plus ou moins convaincante de space op’ mégalo et de drame psychologique, mais avec un côté hollywoodien (ou Battlestar Galactica, comme vous voudrez) pas désagréable ; « Dans l’abîme » (pp. 513-539), inversement, joue davantage la carte du cauchemar que celle du rêve, pour un résultat poignant ; « Le Chasseur dans l’escalier » (pp. 559-580), enfin, est un petit bijou de sense of wonder à l’état pur, suscitant des images dantesques et inoubliables.

 

Dans un autre registre, je relèverai enfin « Le Livre des Ombres » (pp. 583-609), récit dans le récit constitué de livres dans le livres, ou bien, non, mais, si, enfin, truc, et… Bon, bref, oui, il y a du Borges dedans ; et quelque chose d’autre, en même temps, qui colore étrangement cette nouvelle d’une teinte pulp criarde, déstabilisante mais finalement bienvenue.

 

Et je m’arrêterai là. Non que les textes suivants soient négligeables, quand bien même ils me paraissent un chouia moins convaincants : il reste encore quelques très belles pages. Mais voilà : cette synthèse de « littéraire » et de pulp, d’introspection et de sense of wonder, de savant et de populaire, d’intime et de grandiloquent, d’expérimental et de codifié, de délicat et de criard, de bon et de (nécessairement) mauvais goût, en somme, mais chacun dans sa variante la plus réjouissante, c’est ce qui me semble faire la valeur du Livre des Ombres, et son absurde originalité dans le champ de la science-fiction française.

 

Je m’explique. Avec, autant vous prévenir tout de suite, une louche de mauvaise foi, de caricature, d’inculture crasse et de préjugés qui m’ont à l’évidence été inculqués par l’Anti-France.

 

J’ai l’impression – fausse, sans doute, je vous vois venir avec vos contre-exemples à la pelle, mais, bon, hein, oh –, j’ai l’impression, disais-je, que la science-fiction française « souffre » (façon de parler, hein, et qui n’engage que moi) d’un travers hélas assez commun de par chez nous, et particulièrement sensible en ce qui me concerne pour ce qui est du cinéma : une frontière semble-t-il infranchissable entre « l’art » et le « divertissement », « l’auteur » et le « yes-man », le « littéraire » et le « populaire », etc. En gros, Rohmer d’un côté, La Vérité si je mens de l’autre, et rien ou presque entre les deux. Ce qui, personnellement, m’agace. En effet, pour en rester au cinéma, mes « auteurs » préférés sont généralement des réalisateurs qui ont su construire une œuvre personnelle sans oublier leur public pour autant, et livrer des œuvres d’art qui soient en même temps divertissantes : un Hitchcock ou un Kubrick, par exemple. Si l’on prend le cas de la SF française, j’ai le triste sentiment qu’elle est elle aussi scindée en deux groupes : d’une part une SF über-populaire et fondamentalement réac’, plongeant ses racines dans les vieux FNA, ne jurant que par le space op’ à la papa, et pour laquelle la moindre ambition littéraire s’assimile peu ou prou à une trahison envers la Cause ; d’autre part une SF « d’auteur », au choix « intimiste » ou « politique », s’affichant comme « sérieuse » et « littéraire », et qui relègue souvent le sense of wonder aux orties. Oui, je sais, j’exagère. Et on trouvera en Nébalie bien des exemples contraires, et des auteurs que j’apprécie énormément, malgré ce terrible handicap : ils sont Français. Il n’en reste pas moins que cet entre-deux que j’apprécie par-dessus tout me paraît bien rare… Pourtant, en Anglo-saxonnie comme ailleurs, les exemples ne manquent pas d’une SF à la fois populaire et profonde, intelligente et merveilleuse ; mais, perso, un équivalent d’Heinlein, de Vance ou de Baxter, en France, ben, j’en vois pas. Le Guin, Simmons, Egan itou (je mets Dick à part, lui, son influence est particulièrement sensible de par chez nous, et je ne vais pas m’en plaindre). Et du space op’ « de qualité », je n’en vois pas vraiment non plus. Sans parler du sense of wonder

 

Et c’est là, en ce qui me concerne, que Le Livre des Ombres tire son épingle du jeu. C’est un bouquin à la fois mégalomane et attrayant, simple et complexe, profond et palpitant, judicieux et « glamour » (j’emprunte ce mot à un distingué interlocuteur qui l’avait employé pour qualifier les textes de Serge Lehman, il me paraît effectivement très approprié), etc. Un fix-up constituant une « Histoire du futur » et un space op’ de qualité, mais moderne et label France (c’est fou, ça). Et surtout, surtout, c’est peut-être le seul ouvrage de science-fiction française qui, non content de me séduire, de me passionner, de me défouler, de me brusquer, de me faire réfléchir, etc. (ça, y’en a plein), m’a également fait rêver. Comme un Heinlein, un Asimov, un Clarke, un Vance, un Herbert, etc., ont pu me faire rêver. Lehman, dans ce volumineux recueil, réintroduit le sense of wonder au cœur de la SF « fréquentable », et sait à l’occasion susciter des images aussi fortes que les plus grands maîtres du genre. À vrai dire, en certains passages, il me paraît presque rivaliser avec Stephen Baxter, l’auteur qui, à l’heure actuelle, me semble le plus incroyablement doué pour cet exercice périlleux. Et il écrit mieux, ce qui n’est pas forcément difficile, mais ne gâche rien.

Alors voilà. Le Livre des Ombres n’est pas parfait, certainement pas. C’est un recueil dans lequel on trouvera à boire et à manger. Mais il est plus que simplement « bon dans l'ensemble » : il fait du bien. Et, en tant que tel, il est indispensable.

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"La Forêt de cristal", de J.G. Ballard

Publié le par Nébal

 

BALLARD (J.G.), La Forêt de cristal, [The Crystal World], traduit de l’anglais par Michel Pagel, [Paris], Denoël, coll. Lunes d’encre, [1966] 2008, 222 p.

 

Qu’on se le dise : octobre 2008, c’est le mois du Ballard. Et je ne vais pas m’en plaindre. Joie ! Joie ! Le décidément fort sympathique petit éditeur Tristram, auquel on devait déjà la réédition « définitive » de La Foire aux atrocités, vient en effet tout juste de publier le tant attendu premier tome de l’intégrale des nouvelles du grand auteur britannique, et en a profité, hop, soyons fous, pour rééditer également le court roman Sauvagerie. Nébal dit : Miam. De tout cela, je vous causerai très prochainement, of course. Mais ce n’est pas tout, puisque, parallèlement, et comme promis, Lunes d’encre réédite dans une nouvelle traduction La Forêt de cristal, « achevant » ainsi le « cycle » des « romans apocalyptiques » (après Le Monde englouti et Sécheresse ; hélas, pour ce qui est du Vent de nulle part… m’en vais tâcher de le dégoter, tout de même). Nébal redit : Miam.

 

On a souvent dit de La Forêt de cristal, la dernière des « quatre apocalypses », qu’elle était la plus belle. C’est à voir : j’avais tout de même beaucoup aimé Le Monde englouti… Mais elle est à coup sûr la plus déstabilisante, et probablement la plus inventive. Étrange, en effet, ce phénomène de cristallisation qui frappe la région de Mont Royal, en pleine forêt camerounaise (tout juste post-coloniale : les présences française et anglaise sont encore très fortes) ; ceux qui ne jurent que par la scientificité rechigneront sans doute à s’aventurer dans cette forêt fascinante, où aucune explication rationnelle ne les attend véritablement, et qui suscite bien plus de questions que de réponses.

Le phénomène, par ailleurs, n’est guère de prime abord aussi « apocalyptique » que ceux évoqués dans les romans précédents : Le Monde englouti avait une dimension globale, c’était la planète entière qui était devenue invivable, et l’humanité réduite à quelques centaines de milliers d’individus entassés au-delà du cercle polaire arctique ; dans Sécheresse, si le cadre était en apparence plus réduit et plus « peuplé », le cataclysme était vécu sur le moment, et l’imminence de la fin n’en était que plus flagrante. Ce n’est pas le cas ici. Certes, le lecteur, a fortiori s’il est averti de la « classification » de ce roman, se doute bien que la cristallisation est destinée à s’étendre, et, peu à peu, à annihiler l’humanité (ou bien…). Mais, dans l’immédiat, le phénomène ne touche qu’une région à peu de choses près désertique, et, s’il intrigue, il fascine et séduit plus qu’il n’effraie ou alarme. La forêt lumineuse attire les hommes des environs, comme une lampe des insectes. La destruction n’est véritablement envisagée que comme une éventualité assez lointaine ; le temps est tout d’abord à l’étude, et plus encore à la contemplation : ici, l’apocalypse, plus encore que dans Le Monde englouti, est donc à prendre avant tout au sens originel de « révélation ».

 

Cette révélation, nous la connaîtrons essentiellement à travers le personnage du docteur Edward Sanders, médecin dans une léproserie de Fort Isabelle. Nous le croisons à Port Matarre, alors qu’il remonte la rivière africaine pour se rendre « au cœur des ténèbres » (pour le coup lumineuses !), en quête de nouvelles de ses amis et collègues Max et Suzanne Clair. Surtout de cette dernière, à vrai dire : elle fut sa maîtresse, et son absence perturbe le bon docteur… C’est à Port Matarre que le docteur Sanders entendra pour la première fois parler du phénomène de cristallisation. Il y sera bientôt confronté directement, à l’instar de ses intrigants compagnons de voyage, le mystérieux Ventress et le prêtre Balthus, à la foi vacillante ; ainsi que la jeune journaliste française Louise Péret, qui ressemble tant à Suzanne par certains aspects…

 

Si les personnages de Ballard sont souvent caractérisés par leur passivité, c’est sans doute moins vrai dans ce roman : Sanders, quand bien même ses motivations sont floues – il en est parfaitement conscient –, n’hésite pas à s’engager dans la forêt de cristal, quitte à devoir user de stratagèmes, de persuasion, voire de mensonges purs et simples. Et, dans le sillage de Ventress, il prendra régulièrement part à de surprenantes scènes d’action, courses-poursuites et fusillades au cœur de la forêt millénaire, subites accélérations du pouls tandis que, tout autour, le temps se fige et capture le monde avec lui. Cette distorsion se ressent d’ailleurs dans le grotesque général des événements : confrontés à ce bouleversement d’ampleur cosmique, à cette insidieuse et sublime lèpre minérale, les différents protagonistes, s’ils succombent régulièrement aux attraits du mystère de la forêt gemmée et ne peuvent éviter les questionnements d’ordre métaphysique, restent avant tout absurdement guidés par des préoccupations bien humaines, bien matérielles, pour ne pas dire mesquines ; aux premières loges pour assister à la fin d’un monde, ils restent avant tout motivés, voire obnubilés – c’est en bien des cas pathologique –, par leurs affaires de cœur, leur fortune, leur travail, leur « image »…

 

Ces constants changements d’échelle participent de l’impressionnante saveur du roman, de sa profonde richesse « picturale », comme souvent chez Ballard – qui joue ici adroitement de la lumière, notamment – et thématique. Le détail des « paysages intérieurs »© renforce la beauté angoissante de l’ensemble, et l’absurde accomplit le sublime. Et si la plume de Ballard s’est souvent montrée bien plus foudroyante à mon sens, il n’en reste pas moins que « l’effet Ballard »© joue à plein : je ne saurais qualifier La Forêt de cristal, de même que la plupart des œuvres de Ballard qu’il m’a été donné de lire, de « palpitante » ; le rythme est assez lent, éthéré ; la lecture est fluide, mais régulièrement à la lisière de l’ennui… Pourtant, à chaque pause, la persistance rétinienne suscite d’étranges réminiscences, sous la forme de tableaux de toute beauté, et/ou de soudaines révélations, tenant plus ou moins de l’inexplicable/incommunicable, comme toute expérience quasi « mystique ». Le « sense of wonder » de la science-fiction la plus classique s’y teinte d’une sorte de « syndrome de Stendhal »… ou « de Jérusalem », bien sûr.

 

La Forêt de cristal, à l’instar du phénomène qu’elle décrit, a ainsi quelque chose d'insidieux, presque pervers, de délicieusement troublant : la beauté du diable, ou, plus exactement sans doute, la séduction du vampire (voyez Sanders s’en protégeant et la révérant tour à tour, cramponné à son crucifix étincelant…). C’est, à n’en pas douter, un grand roman d’un immense auteur.

 

J’en veux encore.

Ça tombe bien…

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"L'Accroissement mathématique du plaisir", de Catherine Dufour

Publié le par Nébal

 

DUFOUR (Catherine), L'Accroissement mathématique du plaisir, recueil réuni par Richard Comballot, préfaces de Richard Comballot et Brian Stableford, Saint Mammès, Le Bélial', 2008, 443 p.

Il était une fois, dans un pays pas exactement lointain et il n’y a pas si longtemps que ça d’ailleurs, un écrivain de talent qui s’appelait (et s’appelle toujours, sauf erreur) Catherine Dufour. Catherine Dufour écrivait bien (zob), et des trucs bien en plus (et je suppose que c’est toujours le cas). Ce terrible handicap ne l’empêcha pas de remporter un certain nombres de récompenses nécessairement prestigieuses, et d’accumuler les éloges et autres critiques positives. Mais voilà : Catherine Dufour, comme toutes les artistes et comme toutes les femmes (eh ! si elle se complaît dans l’écriture de pamphlets misandres – p. 432 –, je peux bien m’autoriser cette remarque), était une perpétuelle insatisfaite. Aussi n’a-t-elle pas manqué de faire part de sa jalousie à l’égard de sa consœur Léa Silhol : là où la Tisseuse accumule sur Amazon.fr les commentaires dithyrambiques saturés de superlatifs et d’adjectifs d’un délicieux et déliquescent romantisme juvénile, elle, la pôvre (mais pas lépreuse, c’est une calomnie), devrait se contenter de bêtes et lapidaires « 
c’est bien », « c’est chouette », voire – et elle n’a pas manqué de s’en offusquer – « et puis zob, c’est bien écrit » ? Je plaide coupable : la dernière formule était de mon fait. Aussi avais-je promis à Catherine Dufour que, pour le prochain compte rendu miteux que je serais amené à faire concernant un de ses sublimes ouvrages, je m’inspirerais des critiques rendues par les fans hardcore de Léa Silhol sur Amazon.fr (voyez sur cette page, y’en a plein). La parution de cette « merveille remarquablement remarquable » (j’aurais dû exiger des droits d’auteur, tiens ; oui, je sais que j’ai une fâcheuse tendance à faire dans ce genre d’abominations quand je succombe à mon tour à l’enthousiasme superlatif…) qu’est L’Accroissement mathématique du plaisir m’en fournit enfin l’occasion. Je vais donc parsemer cette notule – pour le moins exceptionnelle, vous l’aurez compris – d’emprunts aux commentaires susdits, que l’on pourra identifier au soulignement (entre autres). Merci de votre attention.

 

 

Ah, oui, une autre précision, tant qu’on y est : de l’aveu même de Catherine Dufour, deux des textes composant ce – superbe – recueil lui paraissent « moins bons » que les autres (qui sont tous remarquablement merveilleux) ; je crois en avoir identifié un, mais il y a eu des fuites, alors c’est pas du jeu. Pour le second, je dois dire que je suis doute et questionnement, n’ayant rien rencontré de « mauvais », le pire étant simplement « bon » ; j’hésite entre deux… Je prends les paris, en tout cas.

 

Lecteur qui te ballade pour trouver quelque chose à lire, arrête ta marche ici un instant, L’Accroissement mathématique du plaisir mérite ton attention. Normal : Catherine Dufour, c’est la plus belle, la plus intelligente, la plus sympathique et la plus talentueuse. Elle a l'art et la manière de vous embarquer dans son monde. J’avoue beaucoup aimer ce qu’elle écrit (et j’avais déjà eu l’occasion de le dire, mais trop mollement sans doute ; en même temps, elle-même me disait de ne pas trop en faire, parce que ça risquait de se voir). Les livres de Catherine Dufour sont toujours une surprise, une révélation, une claque en pleine figure, et ce petit bijou ne fait bien sûr pas exception. D’autant que c’est Un véritable caléidoscope littéraire qui est sorti du laboratoire étrange de Catherine Dufour : L’Accroissement mathématique du plaisir, excellent (donc) recueil composé de vingt nouvelles dont sept inédites choisies par l’éminent Richard Comballot, complétées d’une préface dudit anthologiste, d’une seconde préface de Brian Stableford, d’une postface de l’auteur, d’un entretien avec cette dernière et d’une bibliographie exhaustive (ouf ; sans oublier, bien sûr, la couverture du grand Caza) ; une excellente porte d’entrée à la lecture de ses œuvres complètes. Très à l’aide dans le format de la nouvelle, Catherine Dufour déploie ici les nombreuses facettes de son incommensurable talent, Tout à la fois magique, philosophique et rentrant dans le tas, s’exerçant avec un égal bonheur dans les registres du fantastique, de la fantasy, de la science-fiction, et même – horreur glauque – de la « blanche », multipliant par la même occasion les pastiches les plus adroits, la Divine sachant dans tous les cas susciter le rire comme les larmes de sa plume enchanteresse et vive, de sa verve sombre et puissante, car avec elle, c'est aussi la magie de la nuit que nous épousons (enfin, plus ou moins, et honni soit qui mal y pense), et je viens de mettre tellement d’adjectifs et de participes présents dans des propositions enchevêtrées que je ne sais plus où j’en suis, aussi vais-je m’arrêter là de crainte que les éventuels lecteurs ne meurent d’anorexie d’ici à ce que j’en arrive à la conclusion de ma phrase (pfff…). Je reformule en copiant : Catherine Dufour est une magicienne.Son écriture baroque, précieuse, recherchée, possède une puissance qui vous transporte de façon invariable. Ces vingt textes ne dérogent pas à la règle car ils sont de purs enchantements. Du fantastique, de la fantasy et même de la SF, Dufour intrigue, titille votre curiosité, vous invite à vous poser des questions. Et nous comment réagirions nous dans telle situation ?

 

 

Parlons plutôt des textes composant ce recueil (un bijou, vous dis-je), qui partent donc un peu dans tous les sens, mais c’est tant mieux. J’aurais pu tenter de les regrouper par genre, par thème (art, filiation, musique…), par procédé (distinguer les pastiches, notamment), mais, finalement, au risque de passer pour une feignasse, je préfère m’en tenir à l’ordre choisi par Richard Comballot. Hop. Décortiquons. Hop, hop.

 

« Je ne suis pas une légende » (pp. 27-43 ; tiré du Bifrost n° 30, 2003). Ah ben on attaque avec un pastiche, donc. Et du meilleur goût. L’épidémie de vampirisme imaginée par Richard Matheson dans son classique (massacré dans sa dernière « adaptation » pseudo-cinématographique par une invraisemblable bande de gougnafiers criminels, nan mais j’vous jure) touche ici le triste monde tragique des cadres encravatés parisiens, et l’on fera difficilement plus sinistre. Quant à celui qui n’est pas une légende, et qu’on ne saurait davantage qualifier de « héros », c’est un médiocre parmi les médiocres, qui n’a succombé que trop tard à la cravate, et ne se sent pas particulièrement les épaules pour sauver l’humanité, ni même pour faire quoi que ce soit d’intéressant maintenant que l’apocalypse autorise tout. Un texte drôle et amer, une très bonne entrée en matière.

 

« Le Sourire cruel des trois petits cochons » (pp. 45-59 ; Faeries n° 10, 2003) joue la carte du conte horrifique délirant, pour un résultat proprement jubilatoire. Un bémol, cela dit : si les premières pages sont véritablement excellentissimes, la conclusion m’a paru un chouia plus faible… Mais ça reste très bon.

 

« L’Immaculée conception » (pp. 61-125 ; Lunatique n° 73, 2006), de très loin le plus long texte du recueil, a reçu le Grand Prix de l’Imaginaire 2008, et c’est mérité. On y suit une jeune femme « un peu » paumée dans les affres d’une bizarre grossesse. Sans les gestes, mais avec un style qui n’appartient qu’à elle, Catherine Dufour nous décrit donc les merveilles de l’accouchement, la version non édulcorée où les gens ne sourient pas bêtement tout le temps, mais souffrent comme jamais. Une novella émouvante et cruelle, mais non dénuée d’humour cependant, un cri du cœur anti-cons, anti-Parents, anti-sage-femmes, authentique et efficace. Comme la lame s'enfonce dans la chair, la plume de Catherine Dufour sait appuyer au plus profond de nous-mêmes et enfoncer des touches qui libèrent des sensations infiniment justes et humaines. Sublime...

 

« Vergiss mein nicht » (pp. 127-136 ; Faeries n° 15, 2004), derrière ce titre dont l’orthodoxie teutonne me paraît quelque peu douteuse (cela dit, mes cinq années de boche sont bien lointaines, et je suis aujourd’hui incapable d’aligner trois mots dans la langue de Goethe et de Tokyo Hotel), dissimule une courte histoire fantastique dans un cadre légèrement science-fictif. Beau et déprimant, peut-être un peu trop court pour convaincre totalement, mais néanmoins très appréciable.

 

« La Lumière des elfes » (pp. 139-148 ; inédit). Portrait cruel et douloureux d’un abruti méconnaissant son talent, dans le monde répugnant des hartisteux et de leurs (pétasses) muses. Une ode aux chefs-d’œuvre perdus, une élégie pour tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ratent obstinément leur vie. Probablement un de mes textes préférés du recueil, très, très fort.

 

« Rhume des foins » (pp. 151-158 ; inédit), heu… ben… broumf : L'auteur adopte ici un style poétique surprenant qui fait toute la force du récit et qui le laisse pourtant tout à fait accessible. Heu… Bon, on en tient un des deux, faut croire. La seule vraie fausse note du recueil à mon sens, un texte fantastique lourd d’effluves artificiellement romantiques ; un steak chateaubriand trop cuit, comme on n’en ose plus après 17 ans. Mais on n’est pas sérieux quand on a 17 ans…

 

« Le Jardin de Charlith » (pp. 159-170 ; anthologie Lilith et ses sœurs, 2001) fait également dans le romantisme juvénile (Catherine Dufour elle-même le dédie « aux hormones démentes de l’adolescence ») et la nostalgie ; mais cette nouvelle, la première de l’auteur à avoir été publiée – dans une anthologie de L’Oxymore, autant dire chez/par Léa Silhol –, me paraît bien autrement intéressante. Si l’histoire est assez plate, une douce atmosphère s’en dégage, pas désagréable ma foi, et le tout constitue bien Un balet envotant. (Champagne !)

 

« Mater Clamorosum » (pp. 173-181 ; anthologie Magie verte, 2003), toujours chez L’Oxymore, est un conte cruel beau à pleurer. Voilà. vous en reveindrez assurément bouleversés !!

 

« Confession d’un mort » (pp. 183-207 ; inédit) nous ramène au pastiche. Cette fois, c’est Edgar Allan Poe qui trinque (forcément). L’histoire n’a rien de bien original, mais Catherine Dufour s’amuse bien dans ce style ampoulé, précieux à l’excès, et le lecteur avec. Finalement, si bien des allusions nous renvoient à Poe, les procédés mis en œuvre m’ont davantage évoqué ses disciples du fantastique « fin de siècle » (d’une misogynie délicieuse…), et les décadents à la Huysmans. Je n’ai pu m’empêcher, à la lecture de ce réjouissant pastiche, de me rappeler ce numéro du Visage vert consacré aux « femmes fatales ». Et, pour ceux qui en douteraient, c’est un compliment.

 

« Valaam » (pp. 209-221 ; inédit) est un court texte étrange et brillant, semble-t-il mêlé d’éléments autobiographiques, décrivant un voyage pour le moins sordide dans la Russie post-soviétique, avec ses mafieux et ses putes, et ses trafiquants d’icônes. Saisissant.

 

« Le Cygne de Bukowski » (pp. 223-233) nous rapporte un périple à travers les Etats-Unis, à la manière de vous-savez-qui, mais en femme. Et ça marche très bien. On s’y croirait ; n’y manquent que les bourrins.

 

« Kurt Cobain contre le Dr. No » (pp. 235-260 ; inédit) : en voilà un titre bien débile ! Sauf que la nouvelle l’est beaucoup moins. C’est un beau texte, sérieux et amer, émouvant, avec une belle galerie – inévitable – de stars qui ont tout simplement cessé de vivre. l'auteur "deal" avec une force inégalée les chutes et les failles (célestes?)de l'humanité. Étonnant et bien vu.

 

« Une troll d’histoire » (pp. 263-275 ; Lanfeust Mag hors-série n° 1, 2003) : en voilà un titre bien débile ! Mais cette fois la nouvelle le vaut bien. Une fantasy burlesque, avec des pirates trolls hargneux. Je ne sais pas si évoque bien la (pathétique) BD, mais on ne manquera en tout cas pas de penser à Pratchett, bien sûr : à peu de choses près, la nouvelle débute au Tambour rafistolé… C’est amusant. Peut-être pas tout à fait à sa place ici, certes ; la deuxième erreur, alors ? Pas en ce qui me concerne, je suis bon public.

 

« La Perruque du juge » (pp. 277-289 ; anthologie Les Ombres de Peter Pan, 2004) s’attaque cette fois à James Matthew Barrie. Le cruel juge du titre entend bien en effet faire condamner le terrible Peter Pan pour une liste de méfaits longue comme le bras et particulièrement sordide. Très sympa, mais, le plus fort, c’est probablement la fin. À mesure qu’on la voit venir, on se met à écarquiller les yeux, et à marmonner dans un sourire : « Non… non… c’est pas vrai… c’est pas possib’… elle va pas le faire, quand même ! » Et puis vient bien vite la réponse, hystérique : « SIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !!! » Merci, Madame Dufour, pour ce grand moment de bonheur.

 

« Le Poème au carré » (pp. 291-303 ; anthologie Mission Alice, 2004) est un texte assez proche du précédent dans l’esprit. Le pastiché, cette fois, n’est autre que l’immense Lewis Carroll (avec un détour par les cases Boris Vian et Lewis Padgett, semble-t-il). Et, pour avoir relu tout récemment ces chefs-d’œuvre sans pareils que sont Les Aventures d’Alice au Pays des merveilles et De l’autre côté du miroir, je peux vous assurer que c’est ach’ment bien fait et bien vu. Nous y suivons une Alice un peu plus grande, un peu moins bien élevée, beaucoup moins Disney en somme, dans un nouveau rêve étrange. On y croisera, entre autres, un certain Sergent Poivre, et un sous-marin nécessairement jaune. Tout simplement parfait, un de mes textes préférés du recueil.

 

« L’accroissement mathématique du plaisir » (pp. 305-323 ; Bifrost n° 36, 2004) inaugure la partie la plus ouvertement science-fictive du recueil éponyme. Un joli texte sur l’art et son addiction, à rapprocher sans doute de « La Lumière des elfes ».

 

« La Liste des souffrances autorisées » (pp. 325-348 ; Bifrost n° 42, 2006) est la première nouvelle de Catherine Dufour que j’ai eu l’occasion de lire, dans le gros numéro anniversaire de Bifrost. Un texte horriblement noir, et en même temps étrangement drôle (notamment avec ses plats saugrenus empruntés à l’American Psycho de Bret Easton Ellis), et qui m’avait alors tout simplement foutu par terre. Une très bonne idée, de bons personnages, un cadre exemplaire, un traitement qui ne l’est pas moins, une plume vive et forte… Chef-d’œuvre. Un constat renversant sur le chemin qui nous reste à parcourir dans la recherche du « connaît les autres comme toi même ». En plus, j’adore le titre…

 

« L’amour au temps de l’hormonothérapie génique » (pp. 351-358 ; inédit) est une courte fable sadique et terrifiante. Drôle et horrible, donc lucide, au-delà de la caricature nécessaire des personnages. Bref, très bon.

 

« Un soleil fauve sur l’oreiller » (pp. 361-370) est un petit texte étrange, et magnifiquement écrit, qui sent le vécu. En le lisant, j’entendais la voix de Catherine Dufour… notamment pour la conclusion on ne peut plus jubilatoire. Un rayon de soleil tranchant sur un fond grave, qui n’a hélas plus grand chose de science-fictif… A lire, à vivre…

 

« Mémoires mortes » (pp. 373-403 ; Icares 2004, 2003), enfin, est un texte terriblement éprouvant et déprimant, et en même temps palpitant. Je confesserai que la toute fin ne m’a pas paru à la hauteur du reste ; mais il faut dire que ce reste plaçait la barre sacrément haut. Car Catherine Dufour est une artiste ayant la manie de mettre la barre très haut autant pour elle que pour ses lecteurs. Au final, ça reste donc très bon.

 

Et le recueil dans son ensemble est donc une vraie réussite, extrêmement varié mais toujours personnel. Sans doute un des meilleurs recueils de nouvelles francophones dans les genres qui nous préoccupent, un vrai bonheur qui ne fait que confirmer le talent de Catherine Dufour. Je l’ai déjà dit, mais je le répète (sérieusement et sans arrières-pensées) : elle est bien à mon sens un des écrivains les plus brillants de la scène française de l’imaginaire, et sans doute au-delà. Les fans de la grande Dame seront comblés, et pour ceux qui ne la connaissent pas encore, c’est l’occasion de vous immerger dans un univers hors du commun. Gageons que vous aussi vous serez conquis !

Le bilan est en effet des plus clairs :
Encore une fois l’écriture de Catherine Dufour vous envote, vous ensorcèle et vous emmène loin, là-bas… / Ce recueil est un chef-d’œuvre, un incontournable de la Fantasy, de la science-fiction et du fantastique, un petit bijou tout de Grâce auréolé… Il nous plonge au cœur d’histoires où se mêlent splendeur, Fatalité et Amour, où s’entremêlent l’Ombre et la Lumière dans un balet d’une Beauté prodigieuse et poignante. L’Accroissement mathématique du plaisir est un prodige, un petit miracle dont l’éclat et la somptuosité vous émerveilleront. / L’émotion est là, présente dans chacun des morceaux choisis et aussi *entre* les morceaux, derrière chaque visage rencontré.
/ La preuve éclatante que les enchantements littéraires n’ont rien à envier aux envoûtements de Féerie. / Autant d’histoires qui envoûtent (oui, ça se répète un peu) et vous emportent loin, dans ces contrées pétries de magie. A lire absolument ! / Sérieusement, vous attendez quoi pour succomber ??? / ... mais qu’attendez-vous pour vous ruer sur ce chef d’œuvre de l'une des plus talentueuses auteures d’imaginaire qui soient ? / Ce recueil est l’un des meilleurs ouvrages de l’une des plus grandes auteurs de fantasy (etc.) française. Passionnant, beau, complexe. A lire absolument. / Il y a vraiment de la magie, infusée dans les lignes de ce recueil, du sang et du nerf. Et un souffle […] rarement si palpable en littérature. / Il n’y a pas à hésiter, il *faut* lire L’Accroissement mathématique du plaisir. Un indispensable, déjà. / Bref, un livre que je recommende chaudement, un vrai bonheur et un plaisir pour ceux aimant à explorer les diffèrents niveaux de récits auquel nous a habitué cette auteure. / On retrouve la prose de Catherine Dufour, l’enchantement de mots ciselés comme des sculptures de glace, envoûtants comme la plus noire des nuits (heu…) / A lire ab-so-lu-ment ! / Ce livre est une merveille et un enchantement, un véritable joyau si vous aimez l'Oeuvre de Catherine Dufour (non, « la Tisseuse », c’est réservé) alors vous adorerez cet ouvrage qui est tout simplement fabuleux et qui, dès les premières pages, capture et conquis ! Vous savez donc ce que vous avez à faire, vous jetez sur ce livre au plus vite ! / Comment décrire le bonheur absolu que procure la lecture de L’Accroissement mathématique du plaisir ? Difficile quand on est pas un grand écrivain soi même. Ce recueil vous attrape et ne vous lache plus. C'est un tourbillon d'émotion, de plaisir à lire, à découvrir et à aimer. il est servi par un style magnifique ou chaque mot compte. On peut le relire, l'émotion est toujours là! A se procurer absolument. / comptez également sur la présence d'une Voix, d'un style, d'une vraie recherche en tous ces points et surtout d'un quelquechose d'indescriptible qui vous y ramènera invariablement.
C'est de la *vraie* littérature. Toutes catégories confondues. Rien de moins.
/ Bouleversant, […] inspirant, et dans un style unique... Un livre qu'il est impossible de lâcher, de la première à la dernière page. Et quand on le lâche, c'est pour le relire. Décidément indispensable. / Voilà un livre qui vous emporte, vous distribue joie,angoisse,frissons et plaisir; le tout dans le style habituellement génial de son auteure. Une fois commencé, vous ne le lâcherez plus! Et une fois terminé vous y reviendrez!!! Un MUST! / Tout ça narré avec des mots qui t’arrachent de ta chaise, t’emportent avec eux et ne te lâchent pas. Oh, des nouvelles de SF, etc. penses tu, lassé d’avance, mais celles là, celle là sont acérées et les croiser c’est ne pas vouloir les quitter, même quand tu arrive la dernière page. Alors songes y un moment, et laisse toi convaincre! / L’Accroissement mathématique du plaisir s'impose comme un véritable chef d'oeuvre, un page-turner: on ne veut pas le lâcher avant la fin et on est déçu d'avoir terminé la lecture, tant on en voulait plus encore. Un livre bouleversant, merveilleux, où l'on croise la féerie, la vraie, celle que le folklore nous conte (entre autres choses). En un mot, un must-have! / Ce livre est une vraie merveille, pareil à un breuvage à boire jusqu'à la lie. Les personnages sont extraordinaires, le style magnifique, et le propos d'une grande finesse. On en redemande, vivement la suite ! / quant aux nouvelles... que dire, sinon qu'elles vous transportent et vous envôutent, avec ces mots si bien choisis? / Ce livre est une perle, beaucoup de plaisir, la découverte d'une auteure d'exception, de personnage qui m'ont arraché rire, larme, une proximité que je n'avais jamais connu. Vous serez propulsez dans un monde sublime et engagé, bien plus qu'en livre, une rencontre. / Un excellent recueil, à l'écriture impeccable et à la précision novatrice. De la légende à la psychologie en passant par une esthétique à couper le souffle, L’Accroissement mathématique du plaisir nous offre une plongée littéraire de toute beauté. Il n'est ici pas question de héros musclés et stupides, ni d'elfes en plastique copiés et recopiés, mais plutôt de choix personnels, de destins à sacrifier ou à modifier... C'est extrêmement bien écrit et structuré, enfin voilà un livre comme on aimerait en lire bien plus souvent ! / Cette auteure manie de verbe avec brio et tisse des histoires au souffle ininterrompu tout au long du récit. Un univers à part, profondément lyrique et intensément profond, ce livre se lit comme l'on déguste une part de bonheur un soir d'été après l'orage. (Bon, là, je sais pas si ça s’applique très bien à Catherine Dufour, mais ça m’a paru indispensable.) / Catherine Dufour nous offre avec ce livre le plus bel ouvrage qu'il m'ait été donné de lire ... Son style inimitable sublime et magnifie les personnages et les lieux qui envahissent nos rêves et notre imagination ... Tout dans cette histoire est magique, fascinant, troublant ... N'hésitez plus une seconde et poussez la Porte de L’Accroissement mathématique du plaisir ... / Tout y est, l'univers, les personnages, une écriture magnifique...Vous serez emportés par ce recueil d'une beauté à couper le souffle! / Ce livre est résolument différent de la plupart des parutions actuelles, et c'est une agréable surprise que de lire autre chose que des histoires maintes fois ressassées et usées jusqu'à la corde. / Un livre enchanteresque qui vous emporte dans un monde que l'on a l'impression de voir, de palper, de sentir du fait de la perfection des descriptions. / une symphonie de couleurs qui n'a pas manqué de toucher mon petit esprit plus habitué à des paysages plus classiques. / Un recueil qui secoue, qui enchante, qui entraîne, on pleure, on rit, on a envie de se dépasser, de hurler, de danser, de sauter...Comme tous les écrits de Catherine Dufour, ce livre vous prend aux tripes et ne vous lâche *plus*. Incontournable! / Mortels qui désirez expérimenter le pouvoir de fascination de l’œuvre de Catherine Dufour, ce livre est pour vous! Loin des mignardises que l'on peut lire en ces temps sur le sujet […] Magie du style, puissance de l'imaginaire, profondeur de la réflexion et des sentiments, tout est réuni […] pour faire de ce chef-d'oeuvre une lecture qui ne vous laissera pas... de glace! (Bon, d’accord la chute est as très appropriée, mais bon…) / Un Recueil (je garde la majuscule de « Roman ») « Hors Genre » Qui m'a fait retenir ma respiration pour me donner un nouveau souffle. Vous ne serez pas décus par ce chef d'oeuvre. Des histoires à plusieurs niveaux de compréhension, des personnages à couper le souffle et le tout servi par l'une des plus belle plume que j'ai eu l'occasion de lire dans ma vie. Juste un chef d'oeuvre, n'hésitez pas. / Ce n'est pa un livre, c'est la VIE, tout ce que devrait être la vie, et donc l' ART.... Je vous le recommande, pas juste pour faire des ventes ( ce livre a rencontré un tel succès qu'il a été en rupture de stock 1 semaine après édition.. ) (heu, pour L’Accroissement mathématique du plaisir, j’en doute ; j’aimerais bien, mais j’en doute…) mais pour vous, L’Accroissement mathématique du plaisir est tout ce que devrait être un livre. Et il y a un avant et un après L’Accroissement mathématique du plaisir, ca je peux vous le garantir.... A lire, a offrir, a partager, a dévorer, bref enfin un livre à VIVRE. (Celui-ci est un de mes préférés, je crois.) / Les textes, eux, sont de vraies merveilles et surtout, ils vous prennent aux tripes, ils vous touchent au plus profond. Vous ne resterez pas de glace: L’Accroissement mathématique du plaisir, c'est de l'émotion à l'état pur, de la vérité, une révélation, de l'intensité. C'est à coup sûr LE livre à lire en ce début d'année (scolaire, on va dire ; mais n’oubliez pas Terreur, Vélum et Lilliputia) ! / où l'art et la vie se rejoignent comme ils devraient toujours le faire, dans la quête de sens, pour la chute, le crash, et la révélation. C'est une exploration, en mots, […] en échos et en reflets, des questions les plus douloureuses qui peuvent nous obséder, voire de celles que l'instinct de survie nous conseille de ne pas creuser. Vraiment un ouvrage magnifique et marquant, qui s'est trouvé une place d'honneur sur ma table de chevet, et au plus profond de moi. Tout simplement indispensable ! / Catherine Dufour nous a habitués à des livres toujours époustouflants. Mais avec L’Accroissement mathématique du plaisir, c’est encore plus fort!!! Ce livre est tout simplement incroyable, il nous emporte loin, toujours plus loin, nous bouleverse, nous émeut, nous renverse...Bref, c'est une expérience unique, à vivre absolument! Un livre qu'on ne va pas quitter facilement, ça, c'est certain... / A lire plusieurs fois ! / L'attente aura valu la peine, ce livre est totalement réussi. Une petite merveille, rare, unique même dont on ne peut que sortir ébranlé, dans sa vision du monde, dans sa perception de la vie ... N'attendez pas pour vous jeter sur (et dans) ce livre !

 

 

Vous hésitez encore là? Non mais...sérieusement!

 

D’autant que, zob, c’est bien écrit.

Quand même.

CITRIQ

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"Terreur", de Dan Simmons

Publié le par Nébal

 

SIMMONS (Dan), Terreur, [The Terror], traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, Paris, Robert Laffont, [2007] 2008, 703 p.

 

Bon, ben, je crois que ça y est. On le tient. L’événement, veux-je dire. Le livre important entre tous parmi tous ceux qui ont déferlé dans les librairies au cours de cette Rentrée Littéraire 2008©. Bon, cela dit, mon jugement est peut-être un peu biaisé : c’est que je l’attendais, ce pavé, avec une impatience certaine (mais ça, je l’avais déjà dit).

 

Il y avait plusieurs raisons à cela. La première, bien entendu, étant l’auteur : Dan Simmons est bien à mes yeux un des plus brillants écrivains contemporains, qui a en outre le bon goût de s’exercer dans bien des genres différents. Inévitablement, on pensera ici à Hypérion, sans doute un des plus grands chefs-d’œuvre de la science-fiction contemporaine. Mais Dan Simmons a su également nous régaler avec de superbes romans d’horreur, et en premier lieu L’Échiquier du mal, la plus belle réussite dans le genre depuis, ouf, au moins. Rien d’étonnant, sous cet angle, à ce qu’on trouve régulièrement, en quatrième de couverture de ses romans fantastiques, une citation élogieuse de Stephen King. Et Terreur ne déroge pas à la règle. Vous me direz, Dan Simmons n'est pas le seul dans ce cas, et l'éloge des pairs (essentiellement King et Gaiman... ?) en quatrième de couv' est un travers promotionnel typiquement anglo-saxon, qui n'engage le plus souvent à rien. Sauf que là, ben, effectivement, si si, ça se comprend, c'est mérité, et parfaitement justifié.

 

Mais Terreur n’est pas seulement un roman d’horreur et de suspense. C’est aussi un roman historique et un roman d’aventure, empruntant le plus fascinant des cadres (et qui, personnellement, m’a toujours passionné), celui des grandes expéditions polaires. On ne peut que rester stupéfait devant l’épopée de ces hommes partant pour un voyage de plusieurs années (l’hivernage étant généralement inévitable pour les expéditions maritimes) dans les pires régions du globe, et dans des conditions invraisemblables. Et je ne parle pas ici que de la conquête des pôles, mais plus largement de ces nombreuses expéditions, maritimes ou terrestres, visant à cartographier l’immense continent inhabité qu’est l’Antarctique, ou, à l’autre bout du monde, à traverser l’océan glacial arctique. Ici, l’héroïsme allait de pair avec l’aberration la plus totale, et l’histoire de ces voyages de découverte est une longue succession de drames atroces et d’actes de bravoure indépassables, de bêtises consternantes et de coups de génie. Au-delà de Peary et Amundsen, on peut penser notamment, pour le pôle sud, à la tragique dernière expédition de Scott, ou à l’extraordinaire aventure de l’expédition Endurance, conduite par Sir Ernest Schackleton (si c’était le fruit de l’imagination d’un romancier, on n’aurait probablement pas hésité à le taxer d’invraisemblance…) ; mais le pôle nord n’est pas en reste, et si, cette fois, des hommes parviennent à (sur)vivre dans ses environs depuis des milliers d’années (la civilisation Inuit m’a toujours fasciné ; à ce sujet, je vous recommande chaudement – si j’ose dire… – la lecture des passionnants ouvrages de Jean Malaurie, le fondateur de la collection « Terre humaine », Les Derniers Rois de Thulé, surtout, et, dans un genre un peu différent, Hummocks ; ça peut même être assez utile pour apprécier pleinement certains aspects de Terreur...), l’histoire de son exploration est tout aussi riche en épopées grandioses et horribles, notamment pour ce qui est de la longue quête du mythique passage du Nord-Ouest. Et c’est justement sur l’épisode le plus effroyable de cette folle aventure que se base le roman de Dan Simmons, puisque l’auteur nous conte ici à sa manière le tragique destin des 129 hommes de l’expédition Franklin, partis en 1845 à bord des navires Erebus et Terror… et dont on a perdu toute trace (ou presque).

 

Dan Simmons nous plonge d’entrée de jeu dans le cauchemar le plus total. Octobre 1847. Le Terror et l’Erebus sont pris dans les glaces par 70° 05’ de latitude nord et 98° 23’ de longitude ouest. La température descend fréquemment à – 45 °C, et même au-delà. L’été n’a pas entraîné de dégel, et les membres de l’expédition se préparent tant bien que mal à un troisième hivernage, dans les ténèbres de la nuit arctique. Sir John Franklin (dont Dan Simmons dresse un portrait peu flatteur…) est mort, et c’est désormais Francis Crozier, le rude capitaine irlandais du HMS Terror, qui prend en charge le commandement de l’expédition. Mais inutile de se leurrer : celle-ci, mal préparée (on touche à l'absurde, à vrai dire...) et mal conduite, est d’ores et déjà un échec. Il ne s’agit plus que de survivre. Et la tâche s’annonce rude. Au froid et aux ténèbres, il faut bien vite ajouter la faim et la maladie (scorbut, saturnisme), les conserves embarquées par le navire étant pour bon nombre d’entre elles impropres à la consommation ; et il est impossible de pêcher dans ces conditions, mais aussi de chasser, les ours ne se montrant que rarement, les phoques, jamais.

 

Mais il y a pire : une étrange créature, définie faute de mieux comme un gigantesque ours polaire, s’en prend aux hommes et les massacre les uns après les autres. Et ce n’est pas le seul mystère : il y a aussi cette jeune Inuit à la langue coupée, que les hommes du Terror ont baptisée « Lady Silence » ; on ne sait trop comment elle a pu survivre jusqu’alors dans cette région désolée : peut-être est-elle un peu sorcière ? Serait-elle liée à la créature démoniaque et insaisissable qui sème la terreur parmi les hommes désemparés ?

 

La mutinerie menace, et l’espoir ne semble plus de mise. Au service religieux, Crozier cite le Léviathan de Hobbes : « La vie est solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève. » Dans cet enfer blanc plus que partout ailleurs.

 

La construction du roman est relativement classique, mais imparable. Après cette attaque en force digne de Poe et de Lovecraft, Dan Simmons joue des points de vue multiples et des flashbacks pour rapporter en alternance les événements se déroulant à partir de cette introduction et comment on en est arrivé là. Et il fait preuve d’une rare maîtrise du cliffhanger, à la différence de bons nombres d’écrivaillons commettant du thriller. Le suspense est permanent, la passion immédiate et constamment entretenue.

 

Et le cadre est splendide. Terreur est un roman extrêmement documenté et « réaliste », riche en détails facilitant l’immersion du lecteur, sans jamais tomber dans la gratuité ou le didactisme. En suivant Crozier et ses hommes dans leur quotidien, ou en lisant le journal intime du jeune chirurgien Goodsir, on se retrouve ainsi très vite nous-mêmes sur le pont du Terror ou de l’Erebus. On succombre aux morsures du vent glacial, on entend la banquise craquer dans un tonnerre d’artillerie, on peine à distinguer les silhouettes dans la nuit éternelle, sur l'horizon d’une effroyable blancheur, régulièrement tachée de sang. On ressent la faim et la souffrance des protagonistes – tous très humains et détaillés : on croise bien des personnages tout au long du roman, mais l'identification est aisée sans verser dans la caricature (allez, il y a bien quelques exceptions, mais elles sont bienvenues...) et l'on ne s'y perd jamais –, et on vit leur peur.

 

Car, si le fantastique est diffus, la peur est là, et bien là. Simmons a retenu les leçons de ses maîtres, son cadre évoquant immanquablement – référence explicite – La Chose d’un autre monde d’Howard Hawks, mais aussi, aurais-je envie d’ajouter, « Les Montagnes hallucinées » de Lovecraft, superbe nouvelle résonnant de l’écho de l’Arthur Gordon Pym d’Edgar Poe. Mais ce dernier est également convoqué pour son « Masque de la mort rouge », au cours d’un extraordinaire pastiche versant dans l’horreur la plus effroyable. Et la peur dépasse la seule créature mystérieuse, à peine entrevue à l’occasion, à l’instar de l’Alien de Ridley Scott, ou de La Féline de Jacques Tourneur, et qui joue finalement un rôle assez secondaire. Dan Simmons use habilement de tous les registres de la peur, du fantastique le plus « psychologique » et ambigu, celui de l’hallucination et de la folie, au gore démonstratif des démembrements et des festins cannibales. La peur est tour à tour lancinant sentiment d’oppression et de malaise, et brusque montée d’adrénaline, l’horreur inéluctable pouvant susciter le suspense comme la terreur glacée. Il y a la peur de la souffrance et de la mort, une peur matérielle devant le danger imminent et concret, mais aussi une peur plus abstraite, peur des fantômes et des démons, peur du jugement des hommes ou de Dieu. Mais l’Enfer, avec ses flammes éternelles, peut-il vraiment être pire que ce que les hommes du Terror et de l’Erebus ont le malheur de vivre ? Et qu’est-ce qui, dans ces conditions, est le plus à craindre, des démons, de la nature… ou de l’homme ?

 

Terreur, précisons-le, n’est pas un roman « facile ». C’est un roman d’horreur et d’aventure, certes, mais pointu et exigeant : si je me suis régalé du début à la fin, si je ne me suis jamais ennuyé – pas un seul instant, vous dis-je ! – au cours de ces 700 pages denses et resserrées (écrites avec un talent de conteur qui n'est plus à démontrer ; quand à la traduction de Jean-Daniel Brèque, si elle n'a probablement pas été de tout repos, elle est, sans surprise, irréprochable), il m’a néanmoins fallu prendre le temps de vivre au jour le jour cette terrible épopée (cela faisait une éternité que je n’avais pas mis autant de temps à lire un roman, sans m’ennuyer pour autant…). Je ne m’en plains pas, loin de là. Mon scepticisme coutumier à l'encontre des pavés n'a pas fait long feu, et j'ai savouré ce monstre romanesque avec une fascination et un plaisir (malsain ?) permanents. C’est que Terreur touche juste : c’est un roman atroce, terrible, tragique, poignant, oppressant, éprouvant, écoeurant, déprimant, désespéré…

 

Superbe.

 

N'en jetez plus : Terreur est un remarquable roman historique à l'érudition sans faille, un excellent roman d’aventure palpitant de bout en bout, et un très, très, très grand roman d’horreur. Probablement le meilleur du genre depuis…

 



Depuis L’Échiquier du mal ?

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Ignis, de Didier de Chousy

Publié le par Nébal

 

CHOUSY (Didier de), Ignis, illustrations de Eugène Damblans, introduction de Frédéric Jaccaud, [Rennes], Terre de Brume, coll. Terra Incognita, [1883] 2008, 292 p.

Ma chronique se trouvait sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.

 

 

Plusieurs collections « patrimoniales » de science-fiction sont apparues récemment ; faut-il regretter cette propension de la SF au conservatisme et à la réplication comme stigmatisant un déficit d’inventivité et de renouvellement, ou au contraire se féliciter de ce que ce genre, si profondément imprégné d’intertextualité, sache prendre conscience de sa riche histoire et de sa diversité pour se constituer à part entière et aller de l’avant ? On ne tranchera pas ici le débat. L’entreprise de la collection « Terra Incognita » récemment initiée chez Terre de Brume par Frédéric Jaccaud - dont on peut régulièrement lire la passionnante chronique des « Anticipateurs » dans Bifrost - et Sébastien Guillot, se distingue néanmoins des autres collections tournées vers l’histoire du genre : il s’agit ici davantage d’archéologie, pourrait-on dire, d’exhumation plutôt que de conservation. L’occasion de revenir sur des œuvres oubliées, datant d’une époque où le terme même de « science-fiction » n’existait pas : en témoigne ce premier titre, le singulier roman Ignis, unique œuvre du mystérieux comte Didier de Chousy, publiée en 1883 et passée alors à peu près inaperçue.

 

En cette fin du XIXe siècle, positivisme et scientisme règnent plus que jamais. Dans le meilleur des cas, cela a pu susciter de très belles pages chez un Renan ou un Zola, et bien sûr, plus proche de nos préoccupations, chez un Jules Verne. Mais le plus souvent, l’esprit du siècle a dégénéré en une sinistre religion on ne peut plus appropriée à la médiocrité bourgeoise, à son capitalisme inhumain, à son industrialisme forcené, à son optimisme béat, à son irresponsabilité enfin. Flaubert en avait déjà témoigné, et d’autres après lui. Inévitablement, on pensera ici à L’Ève future de Villier de l'Isle-Adam, impitoyable satire du scientisme bourgeois, fondée à bien des égards sur une réaction d’inspiration chrétienne et romantique... mais qui succombait en même temps à l’attrait d’une nouvelle forme de poétique, que l’on pourra qualifier de « merveilleux scientifique », déjà envisagée dans le Journal des Goncourt, à la date du 16 juillet 1856, « après avoir lu Edgar Allan Poe ».

Le seul document émanant du comte de Chousy que nous ayons conservé serait une lettre adressée au comte de Villiers de l'Isle-Adam, et le félicitant pour son célèbre roman. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’on puisse faire de Chousy un disciple de Villiers de l'Isle-Adam (on a d’ailleurs parfois supposé que les deux auteurs n’étaient qu’une seule et même personne...) ; et Ignis, de même que L’Ève future, n’est finalement pas aussi unilatéral que l’on pourrait le croire. S’il s’agit bien avant tout d’une satire virulente (et hilarante !) du positivisme, du scientisme et de l’industrialisme, c’est en même temps un roman baroque et fou, audacieux et débordant d’idées, parfois étrangement visionnaire : une chimère inclassable, monstrueuse et déstabilisante de par ses errances, et en même temps d’autant plus fascinante, à tel point que l’on en vient volontiers à suivre Pierre Versins, qualifiant cette œuvre unique et intrigante de « chef-d’œuvre » dans son indispensable Encyclopédie des voyages extraordinaires, de l’utopie et de la science-fiction.

Le roman, assez bref et illustré de quelques gravures parfois saisissantes, se compose de deux parties. Dans la première, la satire (et notamment de Jules Verne, auquel on ne peut s’empêcher de penser, mais il est sans doute l’arbre qui cache la forêt... d’autant que lui-même ne rechignait pas à la satire !) est clairement au premier plan, et fait mouche : le style de Chousy, d’une préciosité surannée, se montre d’une adresse terrible dans le maniement de l’ironie, et son humour confine déjà à l’absurde, d’une manière très anglaise.

Nous y suivons le projet fou (et par ailleurs étrangement uchronique, puisque l’action est ici située dans un passé récent par rapport à 1883 !) de la « Compagnie générale d’éclairage et de chauffage par le feu central de la Terre », dirigée par le bien nommé Lord Hotairwell, un gentleman érudit, auteur de remarquables (et volumineux) traités scientifiques concernant toutes les matières. Il s’agit de creuser en Irlande un gigantesque puits, d’environ douze kilomètres de profondeur, pour atteindre le légendaire « feu central », la source d’énergie la plus fabuleuse que l’on puisse concevoir, reléguant la houille et le pétrole au rang de matières inutiles. Au sommet du puits, la Compagnie créera la ville d’Industria-City, cité idéale, utopie industrielle bénéficiant de l’énergie formidable prodiguée gratuitement par le feu central, et qui ne manquera pas de susciter un considérable bond technologique. Lord Hotairwell, dont le feu central est l’obsession (
avec « l’homme gazeux » des temps primitifs), est un habitué de ce genre de projets démiurgiques : il avait déjà proposé, on ne peut plus sérieusement, de détacher l’Angleterre de la croûte terrestre pour en faire un gigantesque navire. Mais il va cette fois trouver de puissants et compétents soutiens à son entreprise pharaonique, à savoir les ingénieurs James Harchbold (mathématicien chevronné pour qui tout se résume à des équations - ce qui suscite bien des répliques à mourir de rire !) et William Hatchitt (minuscule personnage obsédé par l’idée de creuser - il travaillait auparavant pour le tunnel sous la Manche -, d’autant qu’il est persuadé que son intelligence, déjà considérable, ne peut que s’accroître à mesure qu’il se rapprochera du centre de la Terre), et l’excentrique et colossal géologue Samuel Penkenton. Il faut y ajouter le narrateur, simple gérant, le naïf M. Burton. Ce qui nous fait un beau quintet d’irresponsables, totalement déconnectés des réalités, et qui vont avoir du pain sur la planche, tant l’entreprise présente de difficultés, non seulement techniques, mais également humaines : entre les ouvriers qui ne cessent de se plaindre, et l’espionnage et les tentatives de sabotage de militaires allemands (une des scènes les plus désopilantes et burlesques du roman), on comprend d’autant mieux pourquoi nos héros passent un chapitre entier à débattre du meilleur moyen de détruire la Terre (le projet, ardemment soutenu par le docteur Penkenton, est finalement repoussé à la majorité d’une voix ; on notera qu’ils n’avaient pas envisagé le LHC).

Mais l’entreprise du puits sera bel et bien couronnée de succès, et la deuxième partie débutera ainsi par une longue et minutieuse description d’Industria-City. S’adonnant ici à l’anticipation technologique teintée d’utopie (ou de contre-utopie...), Chousy déploie toute son imagination dans un véritable feu d’artifices débordant d’idées parfois visionnaires, sans se départir de sa savoureuse ironie. On retiendra notamment ses fameux Atmophytes, « hommes à vapeur » qui sont d’étonnants précurseurs des « robots » (le terme n’existe pas encore, il faudra attendre Karel Capek en 1921) auxquels nous habituera ultérieurement la science-fiction. Des esclaves mécaniques, qui viennent à point nommé compenser les faiblesses humaines constatées lors de la construction du puits : ces ouvriers-là, dénués d’initiative, ne se plaignent jamais, obéissent avec zèle et travaillent sans relâche. Mais la révolte finit pourtant par gronder parmi les Atmophytes...

Le Parlement d’Industria-City (où les députés sont admis en fonction du poids de leur cerveau - au moins deux livres -, le régime de la cité étant par ailleurs « pantopantarchique », c’est-à-dire caractérisé par « le règne de tous sur tous ») était jusqu’alors d’une unité à toute épreuve (p. 197) :

« Aussi les discussions sont-elles rares entre ces collègues siégeant tous à droite ; tous conservateurs, non seulement parce qu’ils ont généralement dépassé la soixantaine, mais surtout parce qu’ils ont atteint les extrêmes limites du bien-être et du progrès.

« Spectacle agréable et serein que celui de cette assemblée, de cette famille de deux cents frères échangeant entre eux des idées conciliantes, émettant sans passion des avis tout semblables ; de ces crânes d’ivoire, d’une belle forme, semblant n’en faire qu’un, tant ils sont pareils, oscillant en signe d’assentiment et de bienveillance pour l’orateur qui exprime, à la tribune, son opinion qui est la leur. »

Mais la « question sociale » va pourtant générer une gauche et une droite, en tout opposées sur le sort à réserver aux ouvriers artificiels séditieux ; ce qui nous vaut une superbe parodie de session parlementaire sombrant dans l’absurde, les interventions de Lord Kalhamborough n’y étant sans doute pas pour rien... Et l’absurde va bien prendre la première place : de la suite, je ne révélerai rien ici, de crainte de gâcher le plaisir du lecteur ; mais la qualifier de « surréaliste » ne me paraît pas inappropriée...

 

Ignis n’est certes pas sans défauts : il se disperse régulièrement, et sa fin (prévisible...) peut décevoir. Mais, dans l’ensemble, cela reste bel et bien un roman fascinant et enthousiasmant, d’une richesse rare, et qui plus est terriblement drôle : à l’occasion de certaines scènes, il faudrait vraiment être le plus blasé des lecteurs pour ne pas succomber au charme... Ou le plus scientiste, certes.

 

Cette exhumation est donc parfaitement bienvenue : Ignis a gardé aujourd’hui l’essentiel de sa saveur. Le roman de Didier de Chousy est un surprenant précurseur de la science-fiction (notamment humoristique...), à l’ironie délicieuse : un très bon choix pour inaugurer la collection « Terra Incognita », bien représentatif de ce que l’on peut en attendre de meilleur. A suivre...

 

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