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"Le vieil homme et la guerre", de John Scalzi

Publié le par Nébal

 

SCALZI (John), Le vieil homme et la guerre, traduit de [l’américain] par Bernadette Emerich, Nantes, L’Atalante, coll. La dentelle du cygne – science-fiction, [2005] 2007, 373 p.

 

« J’ai fait deux choses le jour de mes soixante-quinze ans : je suis allé sur la tombe de ma femme, puis je me suis engagé. »

 

‘tain, si c’est pas de l’incipit qui claque, ça (p. 11) ! Le genre d’attaque en force qui me parle, et qui pourrait à la limite pardonner l’Atalante pour le retitrage abusif et ridicule de ce Old Man’s War de John Scalzi, qui n’a décidément rien à voir avec le pensum ichtyophile d’Hemingway, infligé à tous les collégiens depuis, ouf, au moins. Non, on est ici dans de la SF à l’ancienne, passablement typée « âge d’or », dans du gros space op’ qui tache et qui trucide de l’alien à foison.

 

Du space op’ militaire, quoi. Ouep, moi, l’anti-militariste congénital, avec ma haine viscérale pour l’uniforme, la « bravoure » (pfff…), le « sens du devoir » (aha) et l’amour du drapeau (yeurk), moi qui ne me lasserai probablement jamais de l’éternelle devinette de Coluche (« Un militaire qui meurt dans son lit, ça fait quoi ? Un de moins. »), il faut croire que je nage malgré tout en plein dedans, en ce moment (voyez par exemple ma note sur le fort intéressant La paille dans l’œil de Dieu de Larry Niven et Jerry Pournelle). La quatrième de couv’ évoque tout naturellement Starship Troopers de Robert Heinlein et La guerre éternelle de Joe Haldeman (qui a enfin rejoint mon étagère de chevet – sous une couverture parfaitement ignoble, mais là n’est pas la question). Il est vrai que la filiation est claire. Difficile, pour autant, d’enfermer résolument ce roman dans le camp des gentils (anti-militaristes) ou dans celui des méchants (militaristes, donc). Il est bien plus ambigu qu’il n’y paraît au premier abord… Et en fait de filiation avec Starship Troopers, on est en droit de se demander si c’est bien du roman de Robert Heinlein qu’il s’agit… ou du jubilatoire film de Paul Verhoeven, ce qui peut un tantinet changer la donne.

 

Mais commençons par le commencement. Nous sommes quelques siècles dans le futur. La Terre a depuis longtemps développé des systèmes de propulsion interstellaire lui permettant de se lancer dans la colonisation de l’espace, et a rencontré de nombreuses races extraterrestres, certaines amicales, d’autres, heu, beaucoup moins… Mais les colonies sont soumises à une autorité globale qui ne laisse guère filtrer les informations sur Terre : ceux qui partent pour les étoiles se voient de toute façon prohiber tout retour sur le berceau de l’humanité. Pour de complexes raisons géopolitiques plus ou moins développées dans le roman (ainsi que dans sa « suite », Les Brigades fantômes), les colons proviennent tous des pays les plus pauvres de la planète bleue. Quant à ceux qui viennent des pays riches, comme les Etats-Unis, ils ne se voient offrir qu’une seule possibilité : s’engager dans les Forces de défense coloniale. Mais pour cela, il leur faut atteindre l’âge légal… de 75 ans.

 

Une armée de vieillards arthritiques, cancéreux et parkinsoniens pour défendre les colonies humaines contre toute une flopée de fils de putes d’extraterrestres aux yeux (probablement) globuleux ? Mmmh, cela doit cacher quelque chose… A l’évidence, les FDC ont dû développer un procédé de rajeunissement leur permettant de changer les grabataires séniles en machines à tuer… Du coup, les volontaires sont très nombreux : à 75 ans, on a la vie derrière soi, mais on n’est pas forcément désireux de mourir pour autant. Nombreux sont donc ceux qui accepteraient volontiers un peu de rab, quitte, pour cela, à porter l’uniforme des FDC.

 

Parmi eux, John Perry. A l’âge de 65 ans, accompagné de sa femme, il avait rempli le formulaire destiné à faire de lui un futur soldat des colonies. Sa femme, hélas, n’a pas survécu jusque-là… Il n’y a donc vraiment rien qui le retienne sur Terre. De son pas traînant de petit bourgeois en fin de parcours, il se rend donc, le jour de ses 75 ans, au bureau des FDC, et emprunte bientôt l’ascenseur spatial qui le conduit au point de départ des nouvelles recrues. Il y croise toute une horde de vieux débris dans son genre, aux motivations similaires… et fait en même temps qu’eux la découverte du secret des FDC.

 

Il change de corps.

 

Son esprit et sa mémoire intègrent un corps d’environ 25 ans, une sorte de clone élaboré à partir des empreintes génétiques relevées dix ans plus tôt. Mais il n’est plus « tout à fait » humain : son sang, par exemple, a été remplacé par du SangmalinTM, bien plus efficace ; il a dans le crane un AmicerveauTM, une sorte d’ordinateur personnalisé (qu’il baptise « Fumier » ; la plupart des recrues font quelque chose d’équivalent) qui lui permet de rendre sa mémoire plus fonctionnelle et efficace, de naviguer sur le réseau, ou encore de communiquer silencieusement avec les membres de son unité, et même au-delà ; il a aussi des yeux de chat, qui lui permettent de voir dans l’obscurité ; ah, et sa peau est verte, aussi… Mais d’un autre côté, il est plus fort, plus agile et plus beau qu’il ne l’a jamais été.

 

Un vrai bonheur pour ces petits vieux qui reprennent goût à la vie avec ce corps de rêve, et comptent bien le tester à fond, dans toutes les positions, surtout celles que la morale réprouve. On est ici quelque part entre Cocoon de Ron Howard et le Starship Troopers de Verhoeven, avec ces « jeunes » soldats qui sont en même temps, en apparence, tous beaux, tous forts, etc., et, intérieurement, des petits vieux dotés d’une riche expérience, qui croyaient voir le bout du tunnel, et profitent de cette seconde chance pour s’éclater comme des malades.

 

Qu’ils en profitent, oui, parce que ça va bientôt changer : après une semaine de folies lubriques, la vérité tombe comme un couperet. Ils vont servir dans les FDC pendant 10 ans. Et presque tous vont mourir durant cette période. C’est que l’humanité est en guerre permanente avec bon nombre de races rivales, qui ont les mêmes ambitions coloniales. Et les fils de pute d’en face sont d’autant plus dangereux que leur comportement, non humain par définition, est passablement imprévisible… Finie la rigolade : maintenant, il va falloir tuer ou être tué. Si vous survivez à votre engagement, vous pourrez éventuellement devenir colon… ou vous engager à nouveau… Et John Perry d’intégrer bientôt un rude camp de formation (avec un sergent instructeur tout droit sorti de Full Metal Jacket, bien sûr), avant de se lancer à l’assaut des innombrables ennemis que compte l’humanité dans l’ensemble de la galaxie ; autour de lui, les amis qu’il s’était faits juste après son engagement, le gang des « Vieux cons », tombent tous l’un après l’autre…

 

Ca a l’air bien, non ?

 

Mais faut voir.

 

En effet, je suis bien obligé de reconnaître que Le vieil homme et la guerre est un peu décevant. La première partie est vraiment excellente : ces petits vieux, à quelques exceptions près, sont terriblement attachants, les idées abondent, et le ton est remarquable, tout en humour noir et en cynisme. Là, pour le coup, on pense vraiment beaucoup au Starship Troopers de Paul Verhoeven, et c’est tout aussi jubilatoire. Hélas, les promesses de cette réjouissante première partie ne sont pas vraiment tenues par la suite : on était en effet en droit d’attendre davantage qu’un space op’ militaire bourrin après cette brillante introduction ; mais les thématiques très fortes qui avaient été si judicieusement abordées dans un premier temps sont assez largement délaissées par la suite au profit du pur divertissement. Ainsi, la légitimité des guerres coloniales et de tout ce qui va avec est bien questionnée de temps à autre, mais comme ça, en passant, sans y attacher trop d’importance, et sans que l’on puisse y mettre une signification très claire ; certes, on évite ainsi de sombrer dans le pamphlet plus ou moins stérile, mais l’adresse dans le ton déployée par l’auteur dans la première partie laissait augurer quelque chose de plus profond et subtil à cet égard. De même, le « transfert » des petits vieux dans leurs nouveaux corps, et a fortiori dans le cas très particulier des « brigades fantômes » (je n’en dis pas plus ici, j’y reviendrai plus en détail en traitant du deuxième roman), soulevait d’intéressantes questions d’ordre éthique, métaphysique, religieux, juridique même… mais elles ne sont que très rapidement esquissées sans que l’on y revienne véritablement pour autant. Dommage : il y avait là de quoi faire, la question de la définition de l’humain semblait couler de source…

J’ajouterais enfin, mais cela n’engage vraiment que moi, que j’ai trouvé un peu triste que le si sympathique John Perry de la première partie (très attachant, vous dis-je, de même que les autres « vieux cons ») tourne un peu trop arbitrairement au héros invincible et super-balaise (ou, plus exactement, que les implications de ce changement ne soient pas véritablement développées ; parce que là aussi, il y aurait eu de quoi faire…) : je sais que je me répète, mais enfin, voilà, je n’aime pas les héros ; et si l’on doit poursuivre la comparaison, à cet égard, je préfère finalement cent fois le Johnnie Rico de Starship Troopers (version Heinlein, hein…), certes plus creux que John Perry, mais qui avait le bon goût, quant à lui, de se planter régulièrement et d’enchaîner les boulettes…

Bref, pour faire simple : Old Man’s War promettait bien plus qu’un simple divertissement, et Scalzi me semblait parfaitement en mesure de rendre son roman plus profond. Qu'il ne le fasse pas est pour le moins décevant…

 

Mais ne boudons pas notre plaisir pour autant : si Le vieil homme et la guerre n’est « qu’un » divertissement (ça fait méchamment élitiste, non ?), c’est néanmoins un excellent divertissement. Scalzi ne brille pas par la finesse de l’écriture, et le tout fait décidément très « âge d’or » (très Heinlein, d’ailleurs) : peu de descriptions, beaucoup de dialogues, la fluidité est toujours privilégiée. Mais – et ce en dépit d’une traduction passablement médiocre – le fait est que ça se lit très bien, ça se dévore, même, et avec un plaisir constant. Les dialogues sont vifs tout en étant crédibles, les descriptions sobres mais efficaces, les scènes d’action rondement menées et franchement palpitantes (le parachutage en orbite haute est un grand moment, notamment). Y compris après la première partie, Scalzi ne rechigne pas à jouer la carte de l’humour, dans l’ensemble avec beaucoup de réussite, et, dans la dernière partie, celle de l’émotion, de manière très correcte.

Alors je ne vais pas me plaindre : même si je ne peux cacher une certaine déception, j’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture d’Old Man’s War ; bien assez, en tout cas, pour enchaîner sur sa « suite » (façon de parler : ce sont des romans indépendants, quand bien même l’univers est le même et l’on croise ici ou là quelques personnages déjà vus dans celui-ci), Les Brigades fantômes, dont je vous causerai sous peu, en attendant un « troisième tome », annoncé pour mai, ai-je cru comprendre.

CITRIQ

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N
Je lis de même "Les Brigades fantômes" en ce moment, le compte rendu va bientôt suivre. Pour l'instant, ça passe toujours très bien...
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J
100 % d'accord of course.<br /> <br /> En passant, le 3e roman, "The Last Colony" qui suit "les Brigades fantômes", est nominé pour le prix Hugo.
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J
Bon, Nebal... J'avoue que j'ai laissé de côté Whittemore, en attendant d'avoir l'esprit un peu moins embrumé. <br /> Je suis presque 100 % avec ta chronique sur le Scalzi. Sur une bonne idée de départ, on se retrouve avec un bouquin qui reste un peu trop convenu, comme tu l'écris "Le ton déployée par l’auteur dans la première partie laissait augurer quelque chose de plus profond et subtil". Cela dit, c'est vrai que c'est un bon divertissement. Je suis en train de lire "Les Brigades fantômes".
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N
Merci de s'inquiéter, mais la thèse avance. Petit à petit. Lentement mais sûrement.
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G
L'éternelle question. Moi j'ai renoncé à chercher à comprendre (je me demande quand même si elle avance cette thèse ;-)<br /> Sinon j'ai un peu discuté avec John Scalzi aux Utopiales, c'est un type sympathique et drôle. Rien que pour ça ça vaut la peine de lui donner quelques euros de droits d'auteur.
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A
Hey, tu vas trop vite pour moi. Ralentis un peu le rythme. Va falloir que tu me dises comment tu fais pour lire autant en peu de temps !
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