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"Six Photos noircies", de Jonathan Wable

Publié le par Nébal

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WABLE (Jonathan), Six Photos noircies, [Paris], Attila, 2013, 193 p.

 

C’est un fait : je suis influençable. Le concert de critiques élogieuses, vantant l’originalité du projet et la maestria du style, et brandissant en guise de figures tutélaires d’immenses noms de la littérature en général et du fantastique en particulier (Borges en tête), le fait qu’Attila ne m’ait jamais déçu jusqu’alors, quelques avis autorisés, enfin, m’affirmant sans l’ombre d’un doute que ce livre était fait pour moi, tout cela justifiait, j’imagine, ma lecture de ces Six Photos noircies, premier « roman » (?) du jeune Jonathan Wable.

 

Je suis influençable, oui ; mais il y a des limites. Et après avoir longuement peiné sur ces moins de 200 pages, je ne peux que m’inscrire en faux : non, ce n’est pas spécialement original (mais bon, ça, c’est pas dramatique) ; non, le style n’a franchement rien d’exceptionnel (et souffre même à mon sens de quelques fâcheuses maladresses…) ; les influences ont bon dos, mais ne justifient rien ; et, oui, Attila, pour une fois, m’a déçu. Bilan : non, désolé, ô avis autorisés, mais ce livre n’était très probablement pas pour moi… Je n’irais peut-être pas jusqu’à le qualifier de « mauvais » dans l’absolu, mais voilà : moi, je, me, myself, I, je me suis fait chier comme un rat mort à la lecture de ces Six Photos noircies ; et même davantage, sans doute, puisque ledit rat, étant mort, n’a pas à s’infliger ce genre de pensum.

 

‘tain, j’ai niqué le suspense, là…

 

Bon. Essayons quand même de dire quelques mots de ce livre, à mi-chemin entre roman et recueil de nouvelles, dans la mesure où il est constitué de vingt tableaux (je crois avoir lu ici ou là le terme « vignette », qui me paraît très pertinent) largement indépendants les uns des autres, quand bien même on y retrouve presque systématiquement deux personnages, le biologiste Valente Pacciatore (qui prend toujours six photos de ce qui l’intrigue, donc) et le médecin Tirenzio Perochiosa, confrontés à chaque fois à des phénomènes étranges, et régulièrement funèbres, aux quatre coins du monde (chaque vignette est désignée par un toponyme), à une époque que l’on supposera être la fin du XIXe siècle. Nos deux « héros » – bien grand mot pour des figures aussi vides, pardon, « abstraites » – observent ainsi (ils ne font guère plus) créatures bizarres et morts glauques dans une succession d’images tenant sans doute plus du surréalisme et du grotesque que du fantastique au sens courant.

 

Il y a quelque chose de très visuel dans Six Photos noircies – mais après tout le titre est en lui-même assez éloquent à cet égard. C’est là la force de ce « roman », j’imagine (et cela n’a sans doute rien d’étonnant, les premiers textes le composant ayant été rédigés pour accompagner des peintures d’Hélène Delprat). Je l’admets : oui, il se dégage parfois de ces pages une certaine beauté macabre pas désagréable, évoquant finalement plus des poèmes en prose qu’autre chose.

 

Mais je n’ai pas saisi l’intérêt de la chose. Ce « roman » décousu au possible, où le récit est réduit à peau de chagrin, passe d’image en image, ou plus exactement de photo en photo, comme un antique projecteur de diapositives (on est très loin du cinéma). Alors, oui, de temps en temps, c’est joli… Mais, je sais pas vous, moi j’ai toujours trouvé ça chiant, les sessions diapos… Et c’est bien l’effet que Six Photos noircies m’a fait.

 

Ce qui aurait pu sauver à mes yeux ce premier livre, en accord avec le projet global, c’est évidemment le style. Et j’ai entendu et lu beaucoup de belles et bonnes choses à propos de la plume de Jonathan Wable. Ce qui dépasse franchement ma compréhension (mais voyez l’adresse de ce blog). Non, je ne comprends pas l’enthousiasme affiché de nombreux critiques pour l’écriture de Six Photos noircies ; pour ma part, elle m’a paru bien terne, au mieux : parfois balourde, à vrai dire… et peut-être aussi un tantinet prétentieuse, ou disons m’as-tu-vu.

 

Impression qui s’applique à l’ensemble du « roman », au fond comme à la forme. À ce propos, le « résumé » auquel je me suis livré plus haut ne doit pas vous tromper : Pacciatore et Perochiosa ont beau faire dans l’investigation de l’étrange, ils n’ont guère en commun avec les plus fameux enquêteurs occultes de la littérature fantastique (a fortiori celle des pulps). Ils n’ont à vrai dire ni assez d’âme ni assez de corps pour évoquer qui que ce soit. Je n’ai rien, dans l’absolu, contre la littérature en creux, mais là, j’ai tout de même le sentiment que Jonathan Wable a poussé la chose un peu trop loin…

 

Aussi n’ai-je au final pas grand-chose à dire de positif quant à ce premier roman survendu, et qui n’était décidément pas pour moi. Non, je ne comprends pas l’enthousiasme pour ce truc plein de vide, qui abuse d’effets de manche pour rien. Pire : je me suis emmerdé comme c’est pas permis à la lecture de ces Six Photos noircies, que je n’ai poussée jusqu’au bout qu’en raison de mon masochisme littéraire.

 

Mais ayé, fini ! Je vais enfin pouvoir passer à autre chose !

 

Ouf.

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"La Bombe", de Peter Watkins

Publié le par Nébal

Culloden - La Bombe

 

 

Titre original : The War Game.

Réalisateur : Peter Watkins.

Année : 1965.

Pays : Grande-Bretagne.

Genre : Documentaire / Docu-fiction / Science-fiction / Drame / Guerre.

Durée : 48 min.

Acteurs principaux : Michael Aspel, Peter Graham, Kathy Staff, Peter Watkins…

 

Suite de mon cycle Peter Watkins avec La Bombe, un de ses films les plus célèbres. Il faut dire que ce second métrage réalisé par Watkins pour la BBC a été censuré pendant une vingtaine d’années… ce qui n’a à vrai dire pas grand-chose d’étonnant au vu de son sujet.

 

Le réalisateur, toujours aussi engagé, livre encore un « docu-fiction », certes – et dans la lignée de Culloden, dont il reprend bon nombre de procédés –, mais verse cette fois également dans la science-fiction (ou fiction spéculative, si l’on préfère). Il imagine ainsi un brusque « réchauffement » de la guerre froide : la Chine envahit le Sud-Vietnam, les États-Unis sont prêts à riposter avec des armes atomiques, la tension monte à Berlin… et la guerre nucléaire éclate (Watkins supposant d’ailleurs que les forces de l’OTAN seraient les premières à appuyer sur le bouton ; on ne se refait pas). La Bombe, dès lors, après nous avoir rapidement présenté ce contexte international, imagine ce qui se produirait dans le Kent, au sud-est de l’Angleterre, en cas de bombardement nucléaire.

 

Un film impitoyable – et sacrément couillu ; rien d’étonnant, une fois de plus, à ce que la BBC ait finalement décidé, peut-être sous pression, d’ailleurs, de ne pas le diffuser – qui dénonce tout d’abord l’impréparation de la Grande-Bretagne en cas de conflit atomique (ce qui, là encore, fait penser à Culloden ; sauf que pour le coup c’est le pays entier qui se retrouve dans la position des Highlanders…), impréparation débouchant sur des scènes surréalistes et des commentaires pour le moins cyniques (notamment au travers « d’interviews » inspirées de déclarations de membres de l’Église anglicane ou de spécialistes de la guerre nucléaire). La Bombe se situe entre Docteur Folamour et Atomic Café, mais sans en reprendre l’humour, quand bien même très noir ; ici, tout est horrible… Et le plus horrible est sans doute le réalisme, finalement, de la projection de Watkins, qui s’est inspiré de ce qui s’était produit à Hambourg, Dresde (et là, forcément, voir Abattoir 5), et bien sûr Hiroshima et Nagasaki.

 

On n’ose imaginer le traumatisme que ce film aurait pu susciter si la BBC l’avait projeté à l’époque. Le tableau que dresse Watkins de l’Angleterre d’alors est pour le moins édifiant… Et sa dénonciation, plus généralement, de la folie nucléaire de la guerre froide porte assurément. Le film a sans doute perdu un peu de sa force aujourd’hui, dans la mesure où son scénario-catastrophe ne s’est heureusement pas produit, mais il reste un documentaire fascinant sur l’état d’esprit de l’époque. Mais il n’a du coup pas « l’intemporalité », si j’ose dire, de Culloden, que j’ai, je crois un poil préféré.

 

Cela vaut également pour la réalisation : Watkins reprend ici ses procédés inspirés des actualités télévisées, et sa « caméra liberté » fait des miracles, notamment lors des scènes les plus frénétiques ; je le trouve cependant moins pertinent dans l’usage des voix-off et des interviews, sans trop savoir pourquoi – mais cela vient peut-être du moindre « décalage » : ce qui était particulièrement surprenant et audacieux dans Culloden semble ici couler de source…

 

La Bombe est bel et bien un bon film, et même un très bon film, a fortiori si on le replace dans son contexte ; mais il ne parvient que difficilement à s’en dégager, ce qui le rend un peu moins bon à mes yeux que ce qu’on a pu en dire. Il va néanmoins de soi que je vous encourage fortement à le regarder, d’autant qu’il a quelque chose d’unique, et se montre singulièrement glaçant… Quant à moi, je vais poursuivre mon cycle, probablement avec Punishment Park.

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RIP Jack Vance

Publié le par Nébal

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Je viens d'apprendre le décès, dimanche 26 mai dernier, de Jack Vance. Un auteur qui a beaucoup compté pour moi. Bon, il aura eu une longue vie... Mais tristesse tout de même.

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"Fukushima. Dans la zone interdite", de William T. Vollmann

Publié le par Nébal

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VOLLMANN (William T.), Fukushima. Dans la zone interdite. Voyage à travers l’enfer et les hautes eaux dans le Japon de l’après-séisme, [Into The Forbidden Zone – When The Wind Blows From The South], traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Mourlon, Auch, Tristram, coll. Souple, [2011-2012] 2013, 86 p.

 

J’avais déjà pu apprécier l’œuvre de William T. Vollmann en tant que romancier, avec le très bon Les Fusils et l’extraordinaire Central Europe, et ne compte pas m’arrêter là. Mais j’étais aussi curieux de découvrir l’autre facette de Vollmann, à savoir ses travaux de journaliste. La réédition dans la collection « Souple » de Tristram de ce fort mal titré Fukushima. Dans la zone interdite (Vollmann, autant le dire de suite, ne se rend pas à Fukushima même, et ne fait qu’approcher les limites de la zone interdite) me fournissait donc l’occasion d’envisager cet aspect de l’auteur.

 

Je dois dire que j’en étais d’autant plus curieux que, à l’époque des faits – le tremblement de terre et le tsunami qui ont débouché sur la catastrophe de Fukushima, depuis considérée comme le plus grave accident nucléaire civil depuis Tchernobyl –, pour tout un tas de raisons sans doute très mauvaises, je ne m’étais guère tenu informé de ce qui s’était produit ; j’avais bien entendu conscience de la gravité de ces événements, mais, sans que je puisse vraiment dire pourquoi (l’absence de matraquage télévisuel a dû jouer, cependant), tout cela est resté très flou à mes yeux. Il y eut tout de même une conséquence notable, à titre personnel : l’accident m’a fait réviser ma position quant au nucléaire civil, dont j’étais plutôt partisan auparavant (sans en être un ardent propagandiste, hein…).

 

Bref : envie d’en savoir plus. Mais, autant le dire tout de suite, il n’est pas certain que ce très petit livre de Vollmann m’ait été d’un grand secours en la matière… C’est que l’auteur adopte une approche « intimiste » et ultra-subjective de son reportage ; bien loin de rapporter les faits dans leur globalité, il tendrait presque à les occulter au bénéfice de son propre périple dans la zone sinistrée (mais, comme je l’ai noté plus haut, il ne se rend pas dans la zone interdite à proprement parler ; on ne saurait bien entendu le blâmer pour cela, mais le fait que le livre, lors de sa deuxième édition américaine, ait changé de titre est sans doute révélateur). Il se refuse ainsi à livrer des statistiques, par exemple (ou, plus exactement, ne le fait que très indirectement, et en citant toujours ses sources), celles-ci étant si contradictoires qu’elles ne révèlent guère à ses yeux que la confusion de ceux qui les fournissaient, voire leurs mensonges délibérés.

 

En fait, Vollmann se contente essentiellement de tenir un journal de son bref voyage, en interrogeant des Japonais de rencontre sur les événements et leurs conséquences pour eux. Avec toujours deux obsessions derrière la tête : le niveau de radiations indiqué par son dosimètre, et le précédent, non pas tant de Tchernobyl que de Hiroshima et Nagasaki – ce dernier point me paraît d’ailleurs hautement critiquable…

 

Et, au final, on n’apprend à peu près rien, ni sur le drame, ni sur ses conséquences véritables pour la population de la zone sinistrée. Vollmann – c’est triste à dire – se livre en définitive à une forme de « tourisme catastrophe » particulièrement stérile. Ça sent à vrai dire la commande exécutée sans grande conviction… On déambule dans les ruines et les champs inondés, on tape la causette avec quelques rescapés, on regarde le dosimètre, et hop ! fini.

 

Enfin, pas tout à fait ; c’est que, malgré la brièveté de ce reportage – on est ici très loin des effrayants pavés coutumiers de l’auteur –, Vollmann n’a tellement rien à dire que l’on s’ennuie à mourir… Dès lors, pas la peine de s’étendre outre mesure : ce livre est tout simplement inutile. Et, de toute évidence, seul le nom de Vollmann « justifie » sa publication, sa traduction et sa réédition. Ce qui est triste, donc, et peut-être même un peu puant… Passez votre chemin : il n’y a décidément rien à voir.

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"Culloden", de Peter Watkins

Publié le par Nébal

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Titre original : Culloden.

Titre alternatif : La Bataille de Culloden.

Réalisateur : Peter Watkins.

Année : 1964.

Pays : Grande-Bretagne.

Genre : Documentaire / Docu-fiction / Drame / Guerre.

Durée : 69 min.

Acteurs principaux : Olivier Espitalier-Noel, George McBean, Robert Oates, Peter Watkins…

 

J’ai récemment fait l’acquisition d’un coffret comprenant cinq films de Peter Watkins : Culloden, La Bombe, La Commune, Punishment Park et The Gladiators. Je pensais tout d’abord me contenter d’un compte rendu générique de ces cinq titres, mais la richesse du matériau (et la peur qui m’étreint quand je pense au visionnage de La Commune, que je vais sans doute faire durer…) m’a convaincu qu’il était plus opportun d’en traiter séparément.

 

Cela faisait très longtemps que je voulais voir ces films. J’avais entendu dire le plus grand bien, notamment, de La Bombe et de Punishment Park, et j’avais tenté le visionnage de La Commune (il me semble que c’était lors de sa première diffusion sur Arte ; je me souviens avoir tenu environ trois heures sur les 345 minutes de ce film monstre…), qui m’avait fait une forte impression. Un auteur au service du documentaire (engagé, c’est rien de le dire…) : telle est l’impression que m’avait dès lors fait Peter Watkins. Rien d’étonnant à ce que j’aie voulu en savoir davantage.

 

J’ai donc décidé de commencer par Culloden, premier film pour la BBC du réalisateur, et pierre fondatrice de son œuvre. On y trouve en effet déjà bien des éléments qui figureront plus tard dans La Commune, pour m’en tenir au seul que j’avais déjà vu. Il s’agit en effet d’un documentaire d’un genre très particulier – un « docu-fiction », pour dire les choses comme elles sont, et sans doute un, voire le film fondateur du genre –, brillante reconstitution historique sous la forme d’un film à thèse, usant des techniques du reportage télévisé (avec caméra libre et interviews des personnages en voix off) et reposant sur l’interprétation de comédiens amateurs « impliqués » : en l’occurrence, ici, d’une part des Anglais et des Écossais des Lowlands, d’autre part des Écossais des Highlands, pour certains descendants des combattants de Culloden.

 

Culloden est un nom qui n’évoque probablement pas grand-chose au spectateur français, mais ce fut la dernière bataille livrée en Grande-Bretagne, et l’écrasement de la dernière tentative de rébellion contre la couronne britannique. Nous sommes en avril 1746. La rébellion jacobite menée par Charles Édouard Stuart (qui deviendra, par un étrange jeu de l’histoire, le fameux « Bonnie Prince Charlie »…) est acculée dans les Highlands, où a été recruté l’essentiel de ses forces. Face à lui, le duc de Cumberland, 25 ans, troisième fils du roi… qui gagnera suite à la répression ayant frappé les Highlands après sa « glorieuse victoire » le surnom de « Boucher ».

 

Le film commence sur le champ de bataille même, où l’armée des Highlands, désorganisée, sous-équipée et mal dirigée par une triste brochette d’incompétents, s’apprête à se faire massacrer par les forces loyalistes autrement disciplinées. Peter Watkins se promène parmi les troupes, qu’il interviewe, du chef au clampin, et use volontiers d’un montage éloquent mettant en parallèle les conditions de vie de tout un chacun. Sa démonstration est impitoyable, et Culloden constitue bien – dans un premier temps – un réquisitoire féroce contre la sottise militaire et l’idiotie du « bon droit », de même que la brutalité du système des clans présidant à « l’organisation » de l’armée rebelle. Au soir de la bataille, reconstituée quasiment en temps réel (il faut dire qu’elle a duré à peine plus d’une heure), pour chaque mort de l’armée anglaise, on en comptera 24 dans les rangs jacobites…

 

Mais Watkins ne s’arrête pas là, et, si son film est déjà une brillante réussite dans sa reconstitution historique originale de la bataille de Culloden, plus vraie que nature, il entend dans un second temps aller plus loin, et dénoncer plus généralement les atrocités impliquées par la guerre et les opérations dites de « pacification ». Le contexte n’y est pas pour rien : nous sommes alors en pleine guerre du Vietnam, et Watkins entend bien dénoncer, par un parallèle sans doute évident pour les spectateurs de l’époque (même s’il n’est pas une seule fois souligné dans le film), les exactions perpétrées par l’armée américaine, les assimilant à celles qui valurent à Cumberland son surnom pour le moins évocateur. Car la bataille marqua le début d’une opération d’éradication de la culture des Highlands, passant d’abord par la brutalité « policière » puis par les lois…

 

Le résultat est une charge aussi brillante qu’audacieuse, un « docu-fiction » très fort (Watkins ne rechigne certes pas à tirer sur la corde sensible, j’imagine qu’on pourrait le lui reprocher, mais cela fait indéniablement son petit effet…), qui porte en germe l’œuvre future d’un auteur à nul autre pareil. Remarquable.

 

Suite des opérations bientôt avec La Bombe.

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"Coté cour", de Leandro Ávalos Blacha

Publié le par Nébal

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ÁVALOS BLACHA (Leandro), Côté cour, [Medianera], traduit de l’espagnol (Argentine) par Hélène Serrano, Paris, Asphalte, [2011] 2013, 153 p.

 

Attention : j’ai vraiment du mal à rédiger des comptes rendus en ce moment, et j’ai bien conscience que celui-ci est quelque peu piteux… Que cela ne vous empêche pas de vous régaler à la lecture du très bon livre qui en fait l’objet, et qui mérite sans doute mieux que ça. Là.

 

Adonc. De Leandro Ávalos Blacha, j’avais bien aimé la précédente publication, déjà chez Asphalte, le délirant, jubilatoire et féroce Berazachussetts. C’est donc avec un enthousiasme non dissimulé que je me suis lancé dans la lecture de Côté cour, pour une fois (qui n’est pas coutume) par la quatrième de couverture alléché. Celle-ci promettait en effet un roman pour le moins déconcertant, riche en personnages et situations saugrenus.

 

Un roman ? J’imagine que cela prête à débat, cela dit. On pourrait assez légitimement y voir un fix-up, sans doute, les chapitres n’étant reliés entre eux que par un même cadre (et quelques personnages, rarement), sans qu’il y ait véritablement de trame à proprement parler. Mais bon, peu importe. Parlons plutôt de ce cadre, justement. Enfin, essayons… C’est qu’il n’est pas très clairement défini. Où sommes-nous ? Dans un quartier anonyme, très pavillons de banlieue, et on n’en saura guère plus. Quand ? On ne le saura pas davantage, même si on peut supposer une légère anticipation (très, très légère). Mais c’est peut-être là encore faire fausse route : la tonalité générale de Côté cour renvoie plutôt à une forme d’absurde plus ou moins kafkaïen (en plus ouvertement sarcastique et rigolard, probablement), qui ôte toute pertinence à l’idée de localisation. On s’en tiendra donc là.

 

Si ce n’est qu’il y a Phonemark, puissante compagnie de téléphonie mobile, qui a installé une antenne dans ce quartier. Et tous les habitants sont sous la coupe de Phonemark : ils ont leur quota de SMS à utiliser, et, surtout – c’est sur ce point qu’est mis l’accent –, ils offrent leurs services à la compagnie afin qu’elle accomplisse une importante mission de service « public » : la réclusion de délinquants. Ces derniers sont donc envoyés chez l’habitant, oui madame, pour y être confiés à la bonne garde des consommateurs, rémunérés.

 

Vision cynique de la privatisation de la justice qui a de quoi faire peur… mais rire tout autant. Il faut dire que cette situation pour le moins absurde n’est pas sans générer des à-côtés plus ou moins attendus. Fany, ainsi, tombe nécessairement amoureuse de « son » délinquant, tandis qu’un improbable couple de voisins (le mari est supposé décédé…) organise des combats de gladiateurs, opposant détenus et molosses particulièrement agressifs (grâce à un régime de privations et de coups savamment étudié).

 

Tout cela est déjà passablement étrange en soi, mais Leandro Ávalos Blacha ne s’arrête pas en si bon chemin, et infuse dans son livre quelques éléments de fantastique, phénomènes surnaturels semble-t-il provoqués par l’antenne de Phonemark, laquelle, par exemple, anime et fait vivre une poupée abandonnée dans une cour faisant office de décharge…

 

Les quelques exemples que je viens de citer ne dévoilent guère plus que ce qui est annoncé dans la quatrième de couverture, et c’est à dessein : le mieux reste de découvrir par soi-même le reste, et de se baigner avec délices dans l’ambiance remarquable élaborée par l’auteur, où farce, grand-guignol et satire sociale mordante s’allient heureusement pour générer rire, effroi, fascination et réflexion.

 

C’est que, derrière la blague et les merveilles – qui suffiraient probablement à faire un bon livre, cela dit –, pointe la critique acérée d’une société de consommation aberrante (pardon pour le pléonasme), qui n’est après tout guère plus absurde que celle dans laquelle nous vivons : quelques traits, simplement, en sont soulignés au stylo rouge, et la charge porte d’autant plus qu’elle ne se montre pas pour autant péniblement didactique. Il y a donc du roman politique dans Côté cour, mais sans que celui-ci ne vire pour autant à l’essai romancé. Ce qui n’était pas gagné d’avance, avec un thème pareil… Mais non (ouf) : l’auteur nous laisse juges – et encore pourrait-on se demander si le lecteur est véritablement en position de juger – en nous exposant simplement le quotidien de sa « colonie pénitentiaire ». Un quotidien dans lequel s’infiltrent donc, s’insinuent par petites touches, le merveilleux comme le grotesque (dans le meilleur sens du terme).

 

Servi par une plume qui coule toute seule, étonnante de fluidité et d’attrait, et par des personnages hauts en couleurs, Côté cour est une nouvelle fois la preuve du grand talent et de l’inventivité de Leandro Ávalos Blacha (et du bon goût d’Asphalte). Ce livre inclassable, à la fois drôle et fort, se dévore avec un enthousiasme indéfectible, et je ne peux que vous le recommander chaudement.

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"Die Farbe", de Huan Vu

Publié le par Nébal

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Titre original : Die Farbe.

Réalisateur : Huan Vu.

Année : 2010.

Pays : Allemagne.

Genre : Fantastique / Science-fiction / Horreur.

Durée : 85 min.

Acteurs principaux : Marco Leibnitz, Michael Kausch, Erik Rastetter, Ingo Heise…

 

Adapter l’œuvre de H.P. Lovecraft au cinéma est un exercice particulièrement délicat, et bien rares sont ceux qui sont parvenus à obtenir un résultat correct ce faisant ; finalement, si l’on excepte les films qui n’ont qu’une inspiration lovecraftienne, lesquels peuvent être tout à fait réussis (par exemple, The Thing ou L’Antre de la folie, tous deux de John Carpenter), et tout en accordant le bénéfice du doute aux rigolos Re-Animator de Stuart Gordon et Dagon de Brian Yuzna (en fait une adaptation du « Cauchemar d’Innsmouth »), je n’ai véritablement trouvé mon bonheur en la matière qu’avec les films pourtant très « amateurs » des joyeux drilles de la HPLHS (voyez mon compte rendu de The Whisperer In Darkness).

 

Mais j’avais entendu dire plutôt du bien de Die Farbe, adaptation teutonne de « La Couleur tombée du ciel », qu’un aimable citoyen a bien voulu me prêter. Pari risqué, cependant : « La Couleur tombée du ciel », très certainement une des plus belles réussites de Lovecraft, me paraissait à la base un texte particulièrement difficile à adapter, en ce qu’il repose énormément sur une ambiance magistrale, qui suinte avec délices du papier, mais qu’on pouvait douter de retrouver sur pellicule… Mais bon, fallait bien voir, hein.

 

Nous sommes au milieu des années 1970 : Jonathan Davis, un jeune Américain d’Arkham, Massachusetts, se rend en Allemagne, dans une région paumée près de la frontière française, pour y retrouver la trace de son disparu de père, qui y avait été en garnison à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Là, il tombe sur le fermier Pierske, qui se souvient d’avoir vu son père à cette époque… et se met à lui conter l’étrange histoire survenue à ses voisins les Gärtener, après qu’une météorite des plus mystérieuses s’est écrasée non loin de leur ferme, suscitant moult événements déconcertants…

 

Pas besoin d’en dire vraiment plus ici, vous avez reconnu la nouvelle originale (avec les noms germanisés). L’adaptation est ensuite assez fidèle, en dehors de quelques manipulations justifiées par le contexte, dont on peut se demander si elles étaient vraiment nécessaires. Reconnaissons cependant que le riche matériau lovecraftien est plutôt bien employé dans ce cadre-là, qui vaut bien les recoins les plus bouseux de la Nouvelle-Angleterre.

 

Maintenant, s’agit-il d’une bonne adaptation ? J’imagine que cela dépend de ce qu’on en attend… Mais j’avoue, au sortir du visionnage, avoir un sentiment plutôt mitigé. L’impression, en fait, que si le film tient la route – et il tient relativement la route –, cela vient du fait que le texte source est excellent, et que le scénario lui fait passer la frontière des arts avec une certaine astuce. Mais le film, hélas, me paraît dénué de qualités qui lui soient propres…

 

Dès les premières images, en effet, quelques fâcheux défauts font leur apparition, et ne lâcheront plus le spectateur tout au long du métrage : la réalisation est plus ou moins inspirée (même si certaines scènes d’horreur sont plus que correctes – quand elles ne sont pas gâchées par de vilains effets spéciaux numériques…), la photographie plutôt dégueulasse, et la direction d’acteurs franchement approximative (le cabotin Pierske – surtout dans sa version « jeune » –, Nahum Gärtener et son épouse étant heureusement ceux qui s’en tirent le mieux, mais c’est un mieux tout relatif).

 

Tout cela, en fait, renforce l’impression générale d’amateurisme de ce film. À l’évidence, Die Farbe est un film de fans, sincèrement intéressés par le matériau original pour le transporter à l’écran avec un minimum de bonheur, mais pas forcément très compétents pour autant, et flirtant parfois – bien malgré eux sans doute – avec le mauvais goût… Et, à ce compte-là, j’avoue préférer le « mythoscope » autrement plus ludique des productions de la HPLHS ; certes, Die Farbe est probablement l’adaptation de Lovecraft la plus « sérieuse » que j’aie jamais vue. Un bon point pour ce film, assurément. Je ne le qualifierais d’ailleurs pas de mauvais… Mais je maintiens : si Die Farbe se regarde, c’est parce que « La Couleur tombée du ciel » est une nouvelle excellente.

 

Sentiment mitigé, donc. Et je ne peux que regretter une fois de plus l’absence, à l’heure actuelle, d’une adaptation de Lovecraft véritablement réussie ET professionnelle.

 

Bon, alors, quelqu’un les fait, ces Montagnes hallucinées ?

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Rencontre avec Yves & Ada Rémy à bord du Zéro de Conduite

Publié le par Nébal

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Quand Nébal faisait mumuse avec un tracker

Publié le par Nébal

Quand j’étais jeune et innocent, parallèlement aux divers groupes auxquels je participais en tant que bassiste, et par la suite également, je m’amusais à composer des trucs divers et variés sur un tracker tout con (c’était bien avant que je m’essaye à Cubase ou Reason ou que j’aie un clavier Midi…). La nostalgie s’est emparée de moi (une fois de plus), et j’ai eu l’idée saugrenue de faire écouter aux plus masochistes d’entre vous ce que ça pouvait donner. C’est d’un intérêt très variable, il y a du « sérieux » et du franchement débile, enfin, bref… Hop.

 

Blop : je crois que c’est le dernier morceau (inachevé, bien sûr) que j’ai fait sur le tracker ; ça se sent, je crois, et je continue de bien aimer ce trip hop.  

 

Breaking : juste un break, donc, je n’ai jamais réussi à construire un morceau autour, et l’ai toujours regretté…

 

Chic Freak : un morceau disco complètement stupide et d’un mauvais goût certain… mais c’est en le faisant que j’ai eu l’idée d’Esteem ; ça me fait toujours rire, mais j’ai un humour pathétique. Contient un sample de C’est arrivé près de chez vous.

 

 

 

City : un de mes premiers morceaux. C’est tout con, mais alors vraiment tout con, mais pas si pire, trouvé-je…

 

Damaged : ça aussi, c’est du vieux… Au départ, je crois que, saisi par la mégalomanie, j’ai voulu tenter de faire un truc à la Aphex Twin – c’est évidemment foireux. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’en fait je voulais faire du breakcore sans savoir que ça existait. La première partie est probablement à jeter, mais j’aime bien le dub mélancolique de la fin (même si la basse sonne comme une merde).

 

Esteem : une tentative de faire dans le metal indus mâtiné de dub. Je continue de bien aimer l’intro et le riff… Contient des samples de Daria.

 

Forever : un morceau electro-indus que j’avais écrit quand j’étais vraiment très déprimé… Je l’ai testé à plusieurs tempos, celui-ci est le moins pire, je pense. J’en ai sabré la voix pour épargner votre santé mentale. Contient un sample (très trafiqué…) de Fear Factory.

 

Forever (D-ve rmx) : le citoyen D-ve m’a donc fait l’honneur d’un remix métallique pour ce morceau ; la voix est restée, du coup…

 

Hymn : un morceau stupide, très big beat (et notamment Fatboy Slim, je suppose). Contient des samples de Daria et de Sacré Graal.

 

I Think I Need Some Help : une tentative de disco-punk de très mauvais goût, mais qui me faisait bien marrer. Contient des samples de Punish Yourself.

 

Indochine 2003 : tiens, y a la date, là, du coup… Un morceau idiot, « hommage » tant à Indochine qu’à John Carpenter.

 

Movie : je suis incapable de qualifier ce truc, mais il avait plu à certains ; je continue de bien aimer.

 

Nice Stoned Werewolf Surfing In The Clouds Of The Outer Space : particulièrement crétin, celui-ci. Contient des samples d’un film de loup-garou que je sais plus lequel c’est, ainsi que de Morrowind.

 

Not At All : une tentative de metal indus ; l’intro fait très Rammstein, je sais…

 

Schizophrenia : mon seul morceau de commande, pour un film du citoyen Captain Spaulding. J’aime bien la rythmique (voire la basse, des fois). Contient des samples de Massacre à la tronçonneuse… et de Bugs Bunny.

 

Sometimes : un de mes premiers morceaux, trip hop mélancolique tout bête.

 

Squeele : une intro industrielle. Contient un sample de Délivrance.

 

Test : une intro qui n’a débouché sur rien… Contient un sample du Rocky Horror Picture Show.

 

This Chainsaw Was Designed Especially For You : une berceuse, à l’évidence. Contient des samples de Massacre à la tronçonneuse.

  

Workinprogress : une tentative plus pop que d’habitude. Le refrain est à chier, le reste correct, je crois. J’aime bien l’accélération finale.

 

Allez-y, jetez-moi des cailloux.

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"Le Dit de Sargas", de Régis Antoine Jaulin

Publié le par Nébal

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JAULIN (Régis Antoine), Le Dit de Sargas. Mythes et légendes des Mille-Plateaux, illustrations de Lionel Richerand, Saint-Laurent d’Oingt, Mnémos, coll. Ourobores, 2013, 143 p.

 

J’ai toujours été fasciné par l’idée même de création d’univers, ce qui explique mon intérêt tant pour la mythologie que pour les littératures de l’imaginaire ou encore le jeu de rôle. La très recommandable collection « Ourobores » des éditions Mnémos me fait dès lors régulièrement de l’œil – voyez notamment mes comptes rendus de Kadath, ou encore de La Vallée de l’éternel retour d’Ursula K. Le Guin – et je ne pouvais pas passer à côté de cet intrigant petit ouvrage de Régis Antoine Jaulin, joliment illustré par Lionel Richerand (même si, sur ce dernier point, j’aurais sans doute préféré un peu plus de matière).

 

L’auteur, scénariste de son état (et qui a œuvré dans le jeu de rôle), nous livre en effet ici un court récit mythologique puissant, à la fois genèse et apocalypse, puisant énormément mais avec astuce et finalement originalité dans les fonds mythologiques préexistants : même si l’on sent avant tout une prédominance  indienne – le Mahabharatha est justement cité en quatrième de couverture –, on relèvera également des éléments grecs, bibliques, etc. Ah, et en parlant de la quatrième de couverture, sans doute ne faut-il pas attacher trop d’importance au lien établi avec le Silmarillion de J.R.R. Tolkien, qui est d’une tout autre ampleur et puise avant tout dans les sagas (c’est seulement avec l’Ainulindalë que la comparaison est pertinente).

 

Dès lors, pour nous conter son histoire, qui consiste essentiellement en un dialogue entre l’homme Baten-Kaïtos, Celui Qui Dit, et le monstre Sargas, figure de mémoire archaïque et anomalie dans le cours du temps, Régis Antoine Jaulin use d’un style archaïsant et passablement hermétique au premier abord. Voyez plutôt (premier paragraphe du Mahasutra) :

 

« Depuis mille quatre cent trois étoiles, Furud est Yupa du Kamaradjhia. Il en est le pilier et la lumière. Son extase et sa retraite éclairent le peuple de son royaume au prix de son absence : depuis mille quatre cent trois étoiles, Furud n’a pas vu sa femme. Son frère, Baten-Kaïtos, en a la charge. Et depuis mille quatre cent trois étoiles, Baten-Kaïtos veille sur la belle Alhena. »

 

Pas évident, dans un premier temps : on est noyé sous les concepts et les personnages… Mais je déconseillerais pour ma part de recourir immédiatement aux glossaires en fin d’ouvrage, qui en disent trop : mieux vaut donc les lire à la fin, pour éclairer ce qui pourrait encore avoir besoin de l’être, et, en attendant, se laisser porter par la plume délicieusement surannée de Régis Antoine Jaulin (même si l’on peut peut-être, à mon sens tout du moins, relever ici ou là quelques – rares – soucis de registre, c’est dans l’ensemble tout à fait convaincant et sonne authentique).

 

La mythologie traite en principe des rapports entre les hommes et le divin, et Le Dit de Sargas ne déroge pas à la règle. Mais [SPOILER ?] ce que le récit a de particulièrement fort, et qui en fait donc à la fois une genèse et une apocalypse, c’est que, non content de placer les femmes et les hommes au centre de la création, il conte essentiellement l’histoire de la révolte des humains contre les dieux, qui en viennent à mourir et déserter le monde fracassé, dès lors les Mille-Plateaux (je ne sais pas s’il y a véritablement du Deleuze là-dedans ou si c’est une coïncidence, ma culture philosophique est trop maigre…). Une révolte qui réussit : cette mythologie a dès lors quelque chose d’impie qui est particulièrement réjouissant… quand bien même le tableau de l’univers qui en résulte a quelque chose de tragique, avec ses végétaux qui ne sont plus que le triste reflet de ce qu’ils étaient, ses animaux qui ne sont plus que fantômes, et son absence éloquente de soleil. Tragique, en effet, est le récit que fait Sargas à Baren-Kaïtos : bien loin de narrer la création d’un monde parfait, du meilleur des mondes possibles, le monstre appuie là où ça fait mal, sur les drames que connaissent les dieux, les animaux, les femmes et les hommes. La vie naît ici du fratricide et donc de la mort (« Le Yug est ! »), et c’est bien cette inquiétude perpétuelle de la mort et du sort de l’âtmâ qui définit le rapport de l’homme au divin. Les dieux et les héros vivent, se battent et meurent, dans un univers vacillant, probablement plus le fruit du hasard que d’un quelconque « intelligent design »… Une mythologie antithéiste sinon à proprement parler athée, donc (telle est du moins ma lecture) ; mais le portrait de l’homme qui s’en dégage n’est guère flatteur pour autant…

 

En une centaine de pages, portées par un souffle indéniable, Régis Antoine Jaulin démontre ainsi ses grands talents tant de conteur que de créateur d’univers. Le Dit de Sargas est aussi passionnant qu’intelligent, et d’une très grande richesse, d’une très grande densité. On n’en fera peut-être pas un chef-d’œuvre, mais tout de même plus qu’une simple curiosité. Ce petit ouvrage a en tout cas parfaitement sa place parmi les autres « Ourobores », et confirme la très grande qualité de cette collection originale et qui a décidément tout pour me plaire.

 

EDIT : Gérard Abdaloff en cause dans la Salle 101, ici. 

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