FEHERVARI (Peter), Le Culte de la Spirale Sacrée, [Cult of the Spiral Dawn], traduit de l’anglais par Philippe Olivier, Nottingham, Black Library, coll. Warhammer 40,000, 2019, 376 p.
Bon, ce blog a été mis en pause – une fois de plus – depuis pas mal de temps déjà, côté chroniques en tout cas. Manque d’envie, manque de concentration – éventuellement manque de temps, mais le confinement change un peu la donne ici, je suppose... Portez-vous bien, les gens ! Mais je me dis du coup que je peux bien retenter…
J’ai assez peu lu, relativement, ces derniers mois, de toute façon – l’absence de concentration, encore une fois, a été un élément clef, ici. Ça ne veut pas dire que je n’ai rien lu, ou rien lu de bon. J’ai livré quelques chroniques pour Bifrost, parmi lesquelles j’ai envie de mettre en avant Bienvenue à Sturkeyville de Bob Leman, mais la parution du prochain numéro est retardée pour les raisons que vous supposez. Hors Bifrost, j’ai eu quelques belles lectures, aussi – et s’il en est une que j’ai envie de mettre en avant, c’est clairement Jardins de poussière, excellent recueil de nouvelles de Ken Liu, décidément un des maîtres contemporains du format court en imaginaire ; à vrai dire, ce recueil m’a probablement davantage parlé que son prédécesseur La Ménagerie de papier, et je tends à croire qu’il aurait sa place dans mon top 10 perso du registre.
Maintenant, je ne vais pas vous mentir : ces derniers temps, j’ai surtout lu beaucoup de bouquins de la Black Library, liés à l’univers de Warhammer 40,000. Il y a des périodes comme ça – c’en est une. Je n’ai pas envie de graaaAAAAaaande littérature là maintenant, mais plutôt de pop-corn, quelque chose de suffisamment efficace pour susciter et maintenir ma concentration autrement défaillante. Et si cela implique de mettre toute prétention au « bon goût » sur off, ça n’est pas un problème.
Dans le lot, il y a eu un peu de tout, du bon, du moins bon… J’avais rapidement évoqué Les Ruines de la Foi, de Danie Ware, en chroniquant Amputés de Nate Crowley (lequel m’avait vraiment beaucoup plu) : c’était sympa, sans plus, mais ça fonctionnait.
Côté recueils de nouvelles, Croisade, le volume d’introduction à l’univers de Warhammer 40,000, s’est avéré plutôt une bonne surprise, même si, inévitablement, ce fort volume contient aussi de pénibles ratages (pas de bol pour moi, un des plus significatifs est le récit portant sur les Nécrons, qui est vraiment naze). En revanche, le volume promotionnel de la Black Library Célébration 2020 m’a paru globalement mauvais, à l’exception appréciable de la nouvelle d’Aaron Dembski-Bowden qui le conclut, liée à « The Horus Heresy », que pour le coup j’ai trouvée très bonne.
En parlant de la mythique série, je n’en ai lu qu’un seul roman depuis l’interruption de ce blog, à savoir Prospero brûle de Dan Abnett (lu en VO, pour le coup), effectivement un bon cru comme on me l’avait dit, même si j’ai trouvé sa mise en place un peu trop lente et ai regretté que l’affaire de Prospero, qui donne son titre au bouquin, ne soit véritablement importante… que dans les toutes dernières pages. À ce compte-là, ce n’était pas vraiment le pendant attendu à A Thousand Sons de Graham McNeill – mais un bon roman néanmoins, avec une approche narrative diamétralement opposée : les deux m’ont bien plu, chacun dans son registre.
Et sinon, en romans Warhammer 40,000, j’ai deux titres à mentionner, tous les deux liés à l’Adepta Sororitas, qui sera ma nouvelle faction pour cette année dans le wargame : Marque de foi, de Rachel Harrison, un inédit, m’a paru correct, en dépit d’une histoire au mieux médiocre et d’une mise en place beaucoup, beaucoup trop longue ; mais plusieurs atouts compensent ces défauts, parmi lesquels des personnages, certes très archétypaux, mais suffisamment bien identifiés pour se montrer relativement attachants (ou utilement répugnants), et une plume qui m’a paru bien, bien meilleure que d’usage dans la Black Library – la traduction a pu avoir sa part, ici. Surtout, je retiens cette section, assez longue et très réussie, décrivant le voyage à travers la Grande Faille : l’ambiance est parfaite, mêlant flippe, désespoir et dégoût.
Le roman restant, c’était Requiem infernal, de Peter Fehervari – le même auteur donc que pour le roman dont je vais vous causer aujourd’hui, et qui est peut-être lié au précédent au-delà. C’était plutôt sympa – un poil plus ambitieux que d’usage, même si avec une contrepartie sur laquelle je reviendrai : le goût de l’auteur pour l’obscur – il tend à rendre délibérément les choses un peu confuses, par divers procédés, et avec plus ou moins de pertinence. Mais globalement, j’avais plutôt aimé – là aussi, le style était plutôt dans la tranche haute au regard des critères de la Black Library, même si de manière moins flagrante que pour Marque de foi ; surtout, l’ambiance horrifique du roman était plutôt efficace, et m’a captivé tout du long – même si, classiquement, la fin du roman a davantage fait parler les bolters.
Ce ressenti plutôt positif a sans doute eu sa part dans l’achat du Culte de la Spirale Sacrée, roman dû au même auteur donc. Maintenant, il me faisait de l’œil avant la lecture de Requiem infernal – en raison de son thème : il portait clairement sur les Cultes Genestealers – et je ne suis pas certain qu’il y ait d’autres romans dans ce cas.
Or ces cultes figurent parmi les très bonnes idées de l’univers Warhammer 40,000, qui lui confèrent une forte personnalité – et qui débouchent, dans le wargame, sur une très chouette faction, avec une identité unique et des mécaniques très amusantes. Pour résumer à la hache tronçonneuse : les Tyranides sont une des pires menaces dans l’univers du 41e Millénaire – ces créatures, clairement inspirées par Alien, et qui viennent d’une autre galaxie (comme le Capitaine Flam), constituent une masse de bio-formes insectoïdes unies par une psyché supérieure unique, l’Esprit-Ruche. Si les Tyranides ne semblent pas avoir d’autre objectif que de tout dévorer sur leur passage (ce qui contribue et pas qu’un peu à les rendre aussi terrifiants), l’Esprit-Ruche n’en est pas moins d’une intelligence exceptionnelle, à même de mettre en œuvre des plans complexes en faisant preuve d’une rare patience. Les assauts tyranides sont souvent précédés par l’envoi d’éclaireurs qui préparent le terrain pour les flottes-ruches, avec des décennies d’avance. Les genestealers (je crois qu’on disait génovores en français, dans le temps) s’infiltrent ainsi individuellement sur des planètes en se cachant à bord de vaisseaux spatiaux, toujours plus à la Alien, sauf qu’eux, pour le coup, ne se contentent pas de massacrer les quidams pour assouvir leur faim : ils se cachent, et ils « embrassent » des humains qui tombent sous leur coupe. Le genestealer responsable devient alors le Patriarche. Le nombre des « infectés » s’accroît avec les années, et même les générations – or leurs héritiers sont bel et bien des créatures mi-humaines, mi-xenos, ce qui ressort plus ou moins de leurs traits selon la génération à laquelle ils appartiennent. Certains de ces hybrides peuvent parfaitement passer inaperçus dans les sociétés humaines, là où d’autres sont plus franchement xenos, par exemple en raison du développement d’un troisième bras. Et, le moment venu, le culte, car il a sa dimension religieuse marquée, le Patriarche étant perçu comme un saint, ses comparses comme des anges, et tout ce qui n’appartient pas au culte étant comme de juste hérétique, le moment venu donc (l’approche d’une flotte-ruche ?), le culte organise un soulèvement planétaire, ourdi donc depuis des décennies. Ces cultes prospèrent surtout dans les classes populaires, qui sont les plus à même de vouloir secouer le joug tyrannique et cauchemardesque de l’Imperium, en plaçant (vainement, naïvement) tous leurs espoirs dans l’arrivée de ces sauveurs xenos qui, en vérité, n’ont aucunement l’intention de les libérer ou récompenser de quelque manière que ce soit – seulement de les dévorer, comme tout le reste. Mais les cultistes n’en ont pas conscience – et, disons-le, la nature révolutionnaire de leurs plans peut susciter la sympathie, si leur subversion fanatique est plus qu’inquiétante ; ceci parce que l’Imperium est un abominable et cauchemardesque oppresseur. Maintenant, si l’alternative est une flotte-ruche qui veut tout bouffer de toute façon…
Ceci dit, les Tyranides à proprement parler n’apparaissent pas dans ce roman, s’il décrit bien un soulèvement planétaire. Celui-ci se fait un peu « dans le vide », même s’il y a quelques raisons à cela, dévoilées au fur et à mesure du récit.
L’action se déroule sur Rédemption – une des centaines de planètes à porter ce nom dans l’Imperium. C’est un monde sanctuaire, ou ça l’était, mais l’Adepta Sororitas en est partie il y a bien longtemps, laissant les clefs de la maison à une secte dite de l’Aube Spirale – pratiquant pour l’essentiel le culte impérial, mais avec des variations locales tolérées (ou ignorées ?) comme bénignes par l’Ecclésiarchie et l’Inquisition.
Cette secte a essaimé, cela dit, et des pèlerins extérieurs reviennent sur Rédemption quand le roman débute – parmi lesquels la dégourdie Ariken, moins fanatique que d’autres, et aussi, mais par accident (car lui n’est pas le moins du monde un pèlerin), un certain Cross, militaire de son état, mais aussi probablement déserteur ?
Et, quand ils arrivent sur Rédemption, le tableau n’est guère engageant. La secte locale a des pratiques vraiment étranges, et les bisbilles sont quotidiennes avec les forces de l’Astra Militarum sur place, qui semblent d’une manière ou d’une autre gangrenées de l’intérieur. La suspicion règne… Et pour cause : le soulèvement est pour bientôt ! Le culte, pèlerins compris, est corrompu, une part non négligeable des forces de la Garde Impériale également – l’heure de l’affrontement approche, et la secte frappera comme un voleur dans la nuit… Et, pourtant, le culte est tenu à l’œil – avec grande attention à vrai dire… et depuis fort longtemps, si ça se trouve…
C’est que certains rebondissements ne sont à vrai dire guère surprenants. Et pourtant, la narration est un peu confuse… Je crois décidément que cela tient à un goût du mystère de la part de l’auteur, mais utilisé ici à moins bon escient, et avec moins d’effet, que dans Requiem infernal. Il complique inutilement les choses, et notamment en raison d’un procédé particulier, je crois : la multiplication des personnages points de vue.
Par la force des choses, Cross est ce qui se rapproche le plus d’un héros, ici. Il est acceptable dans cet office, même s’il y a des trous dans son historique. Engagé (ou réengagé…) dans les forces de l’Astra Militarum dès son arrivée sur Rédemption, il a pour lui d’être plus finaud que le garde impérial lambda, en même temps qu’il se montre un sous-officier compétent. Ariken est un peu sa disciple, et disons l’incarnation du courage dans le conflit à venir. Mais Peter Fehervari ne s’en tient pas là, et nous suivons, à vue de nez, au moins une dizaine, plus probablement une quinzaine, d’autres personnages points de vue, dans les deux camps – et tous ceux-là manquent vraiment de personnalité, à vrai dire peut-être surtout les membres du culte genestealer, dont le fanatisme est absolu et le libre-arbitre inexistant. Ce qui est cohérent au regard du fluff de la faction, mais dans son acception la plus radicale, et probablement la moins intéressante. Mais tous ces personnages, en dehors de Cross, s’avèrent le plus souvent bien fades, et leur identité est trop floue pour qu’on y voie autre chose que des archétypes, voire des statistiques, dans le conflit à venir. Là encore, cela peut faire sens dans le concept, mais cela ne fonctionne pas vraiment dans les faits.
Dès lors, le roman se partage entre deux ou trois genres : il y a une dimension vaguement policière, qui est plutôt bâclée, pour cause d’empilement de clichés et de faux rebondissements ; il y a une dimension horrifique, qui fournit les meilleures scènes du livre ; il y a, enfin, une dimension d’action martiale, très inégale – elle fonctionne au mieux, sans surprise, quand elle se mêle d’horreur ; sinon, boum boum takatak, ce qui est attendu dans un roman Warhammer 40,000, mais fonctionne plus ou moins bien selon les auteurs (et, ici, Peter Fehervari n’est pas, disons, Dan Abnett ou Graham McNeill).
L’ensemble constitue une livraison plutôt médiocre de la Black Library – bon, disons, médiocre +, j’ai lu bien pire… Mais c’est donc plutôt une déception – et en tout cas un roman bien moins palpitant et utilement intriguant que Requiem infernal. Moins bien écrit, aussi, et/ou (très probablement, en fait) traduit. Clairement. Ouais, ça pique plus qu'à son tour...
À noter, le livre se conclut sur une nouvelle titrée « L’Ombre affamée ». Elle est passablement obscure, les éléments de contexte manquant – délibérément là encore, je suppose. Je l’ai lue comme une sorte de préquelle au roman Le Culte de la Spirale Sacrée. Mais son atmosphère est étrange, qui voit plusieurs cultes (genestealer, chaotique, impérial ?) se fritter entre eux en se traitant mutuellement d’hérétiques. Boum boum takatak très vite, du coup, et étrangement sur un mode qui évoque plus, disons, à vue de nez, Warcry que Warhammer 40,000, tandis que le cadre de Rédemption paraît encore plus hostile que dans le roman, au point où les codes post-apocalyptiques à la Mad Max sont de la partie. Il y a un peu de ça dans le roman, certes – les véhicules du culte, dérivés de leurs figurines, s’y prêtent bien. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître dit là comme ça, ça m’incline d’autant plus à envisager cette nouvelle comme une préquelle. Je peux me planter. Mais je suppose que ça n’est pas bien grave, car… eh bien, cette histoire est de toute façon d’un ennui mortel. Et c’est dommage, parce que, dans le principe, il y avait peut-être un certain potentiel.
Bilan pas terrible, donc, si pas scandaleux non plus, pour Le Culte de la Spirale Sacrée. J’aurais espéré mieux, avec ce chouette thème des cultes genestealers, mais ça n’est donc pas encore pour cette fois…