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"Les Dieux de Bal-Sagoth", de Robert E. Howard

Publié le par Nébal

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HOWARD (Robert E.), Les Dieux de Bal-Sagoth, illustrations de Didier Graffet, traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrice Louinet, Paris, Bragelonne, 2010, 476 p.

 

Pour ma part, et quoi que l’on puisse reprocher par ailleurs à ladite maison (c’est un sport national), je ne remercierai jamais assez Bragelonne et Patrice Louinet d’avoir poursuivi l’édition des œuvres de Robert E. Howard au-delà de l’intégrale de Conan. Merci, merci, merci. Certes, cela a pu donner du très bon (Bran Mak Morn), du bon (Solomon Kane), et du moins bon (Le Seigneur de Samarcande) ; mais c’est en tout cas une occasion unique de redécouvrir un auteur sans doute plus varié et moins caricatural que ce que l’on a longtemps voulu croire, et qui, tout au long de sa courte carrière, a régulièrement pondu des textes fort intéressants.

 

Certes, il s’agit de littérature populaire, mais de bonne littérature populaire ; aussi est-ce toujours avec une certaine impatience que j’attends les nouvelles parutions howardiennes chez Bragelonne, que je m’empresse d’acheter dès leur sortie. Après, c’est un peu la roulette russe… mais en parlant d’Howard, c’est sans doute de mauvais goût, alors on préfèrera pasticher Forrest Gump, et dire avec lui que Howard, c’est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber.

 

Las, autant le dire tout de suite, avec Les Dieux de Bal-Sagoth, premier tome d’une intégrale en trois volumes des récits de fantasy et d’horreur « hors-cycle » (du moins est-ce ainsi que je l’ai compris... ?) de Robert E. Howard, on tombe dans l’ensemble sur du « pas très bon ». Des vieux machins un peu moisis, d’autres qui sentent pas bon, quelques-uns d’un peu trop liquoreux. Pas tous, heureusement : il y en a de tout à fait mangeables, et même de bons ; mais dans l’ensemble, c’est quand même l’amertume qui domine…

 

Nous commençons par retrouver (donc, en fait de « hors-cycle », déjà, ça coince un peu) Turlogh O’Brien, un personnage de paria irlandais, fort intéressant, que l’on avait déjà pu croiser dans deux (si je ne m’abuse) très chouettes nouvelles du très chouette Bran Mak Morn – et en tout cas dans « L’Homme noir », excellent récit dudit recueil. « Les Dieux de Bal-Sagoth » (pp. 11-60) en constitue d’ailleurs la suite, et c’est plutôt une réussite que ce récit d’heroic fantasy totalement frénétique, dans lequel, comme Patrice Louinet en fait la remarque (p. 460), l’accumulation des événements en moins de vingt-quatre heures est telle que Jack Bauer himself pourrait en prendre de la graine. Ça commence plutôt pas mal, donc. Et plutôt bien, même

 

Et ça se poursuit pas mal, quoique de manière un peu trop confuse, avec « Le Crépuscule du Dieu gris » (pp. 61-105), nouvelle contant la bataille de Clontarf (1014) et en faisant le « ragnarok personnel » d’Odin. Turlogh O’Brien n’y est qu’un des très nombreux personnages secondaires, dans ce texte qui se situe chronologiquement avant son bannissement. Parfois intéressant et animé d’un certain souffle épique, ce texte indéniablement documenté se révèle quand même dans l’ensemble un peu trop lourd pour convaincre véritablement. Patrice Louinet a sans doute raison (mais bien sûr qu’il a raison !) quand il dit que, si ce texte a eu une influence sur les récits ultérieurs de Conan, ce n’est pas tant parce qu’on y trouve un personnage qui s’appelle Conn et qui jure par Crom, que, a contrario, parce que Howard avait éprouvé là toute la difficulté et la lourdeur imposée par les recherches dans un cadre historique, ce dont la création de « l’Âge Hyborien » allait le soulager.

 

On retrouve Turlogh O’Brien dans deux fragments en appendice. Le premier, non titré (pp. 427-430), est trop court pour que l’on puisse vraiment en dire quoi que ce soit – si ce n’est que le personnage y apparaît bien fourbe. Le second, bien qu’éminemment bancal, est plus intéressant à mes yeux : « L’Ombre du Hun » (pp. 431-453), avec son [sic] général, est un récit inachevé totalement foutraque, qui commence très mal, et part dans toutes les directions, mais contient quelques beaux moments ; je retiens notamment une belle scène de bataille navale, et une invraisemblable épopée russe de Turlogh O’Brien, où notre héros se voit décerner le titre de bogatyr (mais je reviendrai là-dessus très bientôt…).

 

Revenons maintenant en arrière, et abandonnons l’Irlandais et sa hache dalcassienne. Nous allons enchaîner sur quelques textes de jeunesse de Robert E. Howard, parmi les premiers publiés dans Weird Tales.

 

 

Et là, on se dit que Farnsworth Wright, le rédacteur en chef, n’était pas très regardant, parce que fouyayaye ! C’est quand même pas bon du tout. Ainsi du tout premier, « Lance et croc » (pp. 107-118), un récit préhistorique didactique, maladroit et convenu ; le suivant, « Dans la forêt de Villefère » (pp. 119-125), que Wright qualifiait de « bijou » (?!?), est un récit de loup-garou très maladroit dans la forme, qui ne vaut donc guère mieux. Certes, Howard est bien jeune, alors on l’excusera…

 

Et puis il fait des progrès rapides. « La Tête de loup » (pp. 127-156), sorte de suite à « Dans la forêt de Villefère », pour être un peu foutraque, et un peu grotesque dans tous les sens du terme, n’en est pas moins un récit d’horreur gothique relativement convenable, bien plus fréquentable en tout cas que les deux abominations qui précèdent.

 

Cela-dit, elles avaient au moins pour elles d’êtres courtes. Ce n’est hélas pas le cas de celle qui suit, « Le Crâne vivant » (pp. 157-283), loooooooooooongue nouvelle (enfin, rendue un peu artificiellement longue par des sauts de page incessants, aussi…) pastichant Sax Rohmer et son terrible docteur Fu Manchu. Mais à la Howard, et mâtinée de Lovecraft. Ce qui nous donne au final une loooooooooooooooooooongue variation sur le péril noir et jaune et brun et pas blanc, en fait, quoi, qui s’explique sans doute par l’époque, le contexte, oui, on est d’accord, mais qui passe quand même difficilement pour un lecteur contemporain, qui hésite du coup entre le sac à vomi et le franc éclat de rire (parce que, comme le dit le Philosophe, « mieux vaut en rire que s’en foutre »). J’avoue avoir ris aux larmes à ce passage (p. 262, souligné par l’auteur) :

 

« Une foule impressionnante se pressait sur ce toit. Ils étaient assis, accroupis ou debout… et sans exception il ne s’agissait que de Noirs ! »

 

Et un peu plus loin (p. 281) :

 

« […] les centaines de Noirs qui ont dû mourir à ce moment-là.

« – Tous les Noirs de Londres devaient s’y trouver.

« – Je le pense. Tous sont, au fond d’eux-mêmes, des adorateurs du vaudou […] »

 

Mais là, vous me direz que chez Lovecraft, dans le fond, c’est pas mieux, et vous n’auriez pas tort. N’empêche qu’il s’agit là d’une nouvelle longue, nauséabonde et chiante, et qui plus est mal documentée (Londres selon Howard, c’est un peu bizarre ; quant à sa perception des drogues, n’en parlons pas…).

 

Suit « Le Moment suprême » (pp. 285-291), courte nouvelle misanthrope et dépressive. Ça n’est pas bien bon, mais il est vrai que, quand on sait la fin de l’auteur, ça prend une résonance particulière…

 

On passe à quelque chose d’un peu plus intéressant avec « Le Feu d’Asshurbanipal » (pp. 293-323), récit mêlant aventures orientales et horreur lovecraftienne avec un certain talent. Moui, ça passe plutôt bien.

 

Au passage, on évoquera le dernier « Fragment sans titre » (pp. 455-457) des appendices, qui contient la seule évocation conjointe, en mauvais allemand, des Unausprechlichen Kulten de Von Juntzt faisant le lien avec l’Âge Hyborien.

 

Mais revenons au corps du livre, avec « Les Guerriers du Valhalla » (pp. 325-369), texte un peu problématique, mais dans l’ensemble plutôt intéressant. C’est la première apparition de James Allison, et avec lui du thème de la réincarnation. James Allison, handicapé, se souvient d’une vie antérieure « sur-virile », où il était Hialmar, une sorte de pré-Viking parti pour une immense marche de massacre autour du monde, qui l’amène finalement aux portes d’une cité pré-texane (on pense beaucoup, au début, aux « Dieux de Bal-Sagoth »). L’image de ce trek sanglant est très forte, et les scènes de bataille sont réussies. En même temps, le récit est un peu convenu, et sa fin un peu abrupte (en raison de sa complexe histoire éditoriale, sans doute). Et puis, là encore, il est certains passages dont on aurait pu se passer (p. 349) :

 

« Un homme ne vaut ni plus ni moins que les sentiments qu’il éprouve à l’égard des femmes de son sang, ce qui constitue le seul et véritable test de la conscience raciale. Un homme peut posséder une femme étrangère et s’asseoir à la table du compagnon de celle-ci, étranger lui aussi, sans éprouver le moindre élancement de conscience raciale. Ce n’est que lorsqu’il voit un étranger posséder, ou sur le point de posséder, une femme de son sang, qu’il prend pleinement conscience de la différence de race et de souche. »

 

Ouch.

 

Suivent deux brefs récits de « western fantastique ». Tout d’abord, « Les Morts se souviennent » (pp. 371-383), ou la vengeance posthume d’une Noire assassinée avec son époux par un Blanc ivre. Rien que de très convenu dans le fond, mais la forme, multipliant les pièces à conviction, n’est pas inintéressante.

 

Après quoi l’on passe à « Querelle de sang » (pp. 385-393), nouvelle pour laquelle Patrice Louinet s’enthousiasme, mais qui m’a pour ma part laissé assez froid… car c’est là encore assez convenu, trouvé-je. Mais bon.

 

Reste « La Maison d’Arabu » (pp.395-424), fantasy mésopotamienne non dénuée d’un certain charme, mais tout de même un peu confuse, et qui finit quand même carrément en queue de poisson…

 

Et il faut bien entendu ajouter à tout cela une « Introduction » (pp. 7-10) et une postface (« Entre haine et oubli », pp. 459-477) tout à fait passionnantes de Patrice Louinet (comme d’hab’, quoi).

 

 Il n’en reste pas moins qu’au final c’est un sentiment de déception qui domine une fois refermé Les Dieux de Bal-Sagoth. Ce recueil fait de bric et de broc se révèle inégal en qualité, et, si l’on y croise régulièrement le pire d’Howard, on ne le sent que rarement à son meilleur. Ce qui ne m’empêchera certainement pas de faire l’acquisition et de lire le tome suivant, hein… Mais il faut bien dire ce qui est : celui-ci est sans doute à réserver aux fans hardcore.

CITRIQ

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"Munchkin Cthulhu 3 : La Crypte de l'Indicible"

Publié le par Nébal

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Munchkin Cthulhu 3 : La Crypte de l’Indicible

 

Vite fait, en passant.

 

Vous vous, rappelez, il y a peu, je vous avais parlé de Munchkin Cthulhu et, tant qu’à faire, de son extension Munchkin Cthulhu 2 : De mal en pis ! À cette occasion, j’avais évoqué l’existence d’une extension dessinée par François Launet, aka Goomi, le responsable de l’excellent BD-blog Unspeakable Vault (Of Doom), dont j’attendais une traduction française en écumant de bave tel un cultiste agité de soubresauts. Ce que je ne savais pas, pauvre imbécile, c’est que cette extension avait déjà été traduite en français, sous le titre pourtant éloquent de Munchkin Cthulhu 3 : La Crypte de l’Indicible

 

Alors ça y est. J’ai la bête.

 

(Façon de parler, bien sûr.)

 

Un petit regret pour commencer, il n’y a quasiment pas de nouveau concept introduit dans ces 56 nouvelles cartes, à part deux « détails insignifiants d’ordre vestimentaire » (c’est pas moi qui le dis) concernant les cartes « Tête gluante » et « Pieds tentaculaires »… tout simplement parce que ce ne sont pas des objets, mais des mutations. Mouais, ça fait quand même un peu léger.

 

Une bonne chose, par contre, c’est que l’on trouve cinq nouvelles démences, dont quatre phobies, ce qui permet de donner un peu plus de relief à ce nouveau concept de jeu introduit par Munchkin Cthulhu 2 : De mal en pis ! Il y a bien en outre un nouveau « Grand coup sur la tête » (qui est bien, je le rappelle, une des cartes les plus puissantes du jeu...) et un nouvel « Anneau de souhait ». Il existe enfin une carte « trésor » appelée « Maîtriser ses peurs » qui permet, au choix, soit de gagner un niveau, soit de se débarrasser de toutes ses phobies.

 

Quelques cartes rigolotes ? Allez. Du côté des « trésors », je note « l’Ouvre-boîte », qui donne un bonus de + 2, immunise contre le « Corned-beef », mais donne un bonus de + 10 si c’est vous qui utilisez ledit « Corned-Beef » ; le « Gramophone », gros objet à une main qui donne un bonus de + 4 dans n’importe quel combat, qu’on y soit impliqué ou non, mais seulement aux munchkins et pas aux monstres ; une carte d’utilisation rare, mais pour le principe, « Donner vos amis à manger à Quethoulhou » : « Si vous jouez cette carte immédiatement après que le grand Quethoulhou (ou le Grand Cthulhu) a attrapé un autre joueur, elle vous autorise même à gagner le dernier niveau et à remporter la partie au mépris des règles. Ia ! Gagnez un niveau. » « Miam Miam ! », quant à elle, jouée dans un combat avant que quiconque ait tenté de déguerpir, rajoute à l’incident fâcheux « vous mourrez », et ce monstre poursuit désormais tout le monde. En carte débile, nous avons le « Shoggy gelé », qui donne + 4 à n’importe quel camp lors d’un combat, mais il faut jeter un dé : sur un résultat de 1, il est troublé et attaque le mauvais camp…

 

Du côté des cartes « porte », maintenant (plus nombreuses, évidemment). Toutes les démences sont assez chouettes : « l’Autophobie » donne un malus de – 4 si on combat un monstre sans aide, mais un bonus de + 1 dans le cas contraire ; la « Bibliophobie » empêche d’être « Professeur » et d’être aidé par un « Professeur », tout comme elle empêche d’utiliser tout objet marqué « livre » ou se terminant par « -icon » ; mais si on défausse ce genre d’objet, on peut tirer une carte « porte » face cachée ; beaucoup de démences fonctionnent sur ce principe. La « Dipsophobie », ainsi, procède de même avec les ichor ou les potions (perso, je trouve que c’est un avantage…). La « Phobophobie » empêche d’aider ou d’être aidé par quiconque a une phobie, mais si on rejette une phobie, etc. Reste enfin la méchante « Pyromanie », qui donne un malus de – 4 à tous les combats si on n’a pas d’objets de feu ou de flammes, mais si on en a un, il compte double (NB : il y en a un dans l’extension, « Feux d’artifice », qui fait normalement + 3…). Je ne vais par contre pas détailler les monstres… sauf un. Mon chouchou. « ‘Zathoth » : « Niveau 18, 2 niveaux, 5 trésors. + 2 contre les Cultistes. Ne poursuit aucun personnage de niveau inférieur ou égal à 4. Incident fâcheux : vous êtes maudit ! Quiconque joue immédiatement une malédiction contre vous peut tirer deux cartes face cachée du paquet de son choix. » Je ne sais pas si ça peut vraiment être efficace, mais dit comme ça, c’est au moins rigolovicieux…

 

Et puis il y a, tout de même, ce qui constitue peut-être le principal intérêt de cette extension, à savoir les illustrations du sieur Goomi. Et elles sont excellentes, bien représentatives du meilleur de ce que le Monsieur nous prodigue régulièrement sur son site. C’est avec un grand plaisir que l’on retrouve ici ses personnages. D’où un seul petit regret – de pur pinaillage éhonté, je plaide coupable – à cet égard : la francisation de quelques termes, pas vraiment nécessaire, je trouve : « Quethoulhou » au lieu de « Cthulhoo », « Miam Miam ! » au lieu du légendaire « Yum Yum ! »… Bon. Admettons.

 

 N’empêche, je sens qu’il y a de quoi bien s’amuser là-dedans…

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La nécro du jour (10)

Publié le par Nébal

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Ce type-là a juste changé la face du cinéma. Entre autres. Pas mal, quand même. Alors voilà, comme on dit chez les croyants, RIP. Et pis c'est tout.

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"Preacher", t. 7. "Salvation", de Garth Ennis & Steve Dillon

Publié le par Nébal

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ENNIS (Garth) & DILLON (Steve), Preacher, t. 7. Salvation, Panini Comics / Vertigo, [1998-1999] 2010, [n.p.]

 

Putain, ça faisait une ÉTERNITÉ que je vous avais pas causé de Preacher. Et c’est qu’il s’en est passé des trucs, depuis la dernière fois (d’autant que, la dernière fois que je vous en ai causé, c’était pour un album un peu spécial…). Alors petit rappel des faits.

 

(En commençant par la sempiternelle précision : il est mentionné sur la couverture de ce septième tome de Preacher que c’est une publication « pour lecteurs avertis » ; ça veut dire qu’il y a du sang, du sexe SM, du vomi, des tripes et plein de gros mots.)

 

(Vous êtes avertis.)

 

Comme ça fait longtemps, je commence par faire un peu de copier-coller pour la présentation générale, parce que j’ai la flemme (putain).

 

« Vous la connaissez, celle du pasteur, du vampire et de la tueuse à gage ? »

 

Paraît que c’est comme ça, en gros, que les gens de chez Vertigo avaient présenté Preacher, dans le temps. Je sais pas si c’est vrai, mais je sais une chose : Preacher, c’est bon, putain. Le cultissime bébé de Garth Ennis, une des productions phares du label Vertigo après le fantabuleux Sandman de Neil Gaiman (rien à voir ou presque), est une BD à peu près unique en son genre, qui a allègrement piétiné toutes les limites imposées jusqu’il y a peu aux comics. Heureusement, quelque temps auparavant, Watchmen d’Alan Moore et The Dark Knight Returns de Frank Miller, notamment, avaient un peu remis les pendules à l’heure, avec leurs héros immoraux, leur violence, leur noirceur. Et si Preacher se place assez clairement dans cette filiation, c’est en poussant le bouchon encore plus loin. Et ça fait plaisir.

 

Putain.

 

Petite présentation pour ceux qui connaîtraient pas. Le Preacher n’est pas un super-héros à proprement parler, avec costume de tapette, identité secrète et tout et tout. C’est simplement, de son vrai nom, Jesse Custer (ouais, les initiales, ouais, vu…), un pasteur texan qui recherche Dieu.

 

Pour lui botter le cul.

 

Parce que l’autre enflure de vieux barbu, là, a démissionné, foutant un bordel pas possible au Paradis et de par chez nous, et que Jesse en a fait les frais : il s’est retrouvé possédé par Genesis. Et Genesis, c’est pire que tout ce que vous pouvez imaginer. Ouais, même que Phil Collins. Genesis, c’est le rejeton pas désiré fruit de l’union contre-nature entre un ange et un démon. Une sale bestiole unique en son genre, et très très puissante. Qui a pris possession de Jesse Custer en tuant tout le monde autour (pas discret, le morveux), et a donné au pasteur un pouvoir terrible : les gens sont contraints d’obéir à tous les ordres de Custer. Et Custer a de l’imagination.

 

Mais il est aussi dans la merde, parce que sa petite aventure en fait une cible toute désignée pour des anges glauques comme le cowboy bourrin dit « Saint des Tueurs », pour des religieux dégénérés comme les abrutis du Graal, pour les rednecks du coin (ils sont nombreux)… Pour plein de monde, en fait. Y compris mamie (voir tome 2). Heureusement pour lui (ou pas), Custer n’est pas tout seul dans la mélasse. Il est accompagné de sa petite amie Tulip O’Hare, blonde incendiaire, comme on dit, mais pas trop fort si elle est dans le coin parce qu’elle aime jouer de la gâchette ; et aussi, en temps normal, de Cassidy, un vampire irlandais (ouais, ben, on a les potes qu’on peut, hein…).

 

(Fin du copier-coller.)

 

Enfin, ça, c’est en temps normal. Parce que le problème, c’est que, depuis le dernier affrontement apocalyptique avec les forces du Graal (et tant qu’à faire le Saint des Tueurs) à Monument Valley (joli cadre ; pour ceux qui n’auraient toujours pas saisi, Preacher est définitivement un western moderne), Jesse est tombé d’un avion vers une mort certaine… sauf qu’il est pas mort. Il s’est réveillé bien vivant, mais avec un œil en moins, sans trop savoir pourquoi ni comment.

 

Mais le pire dans tout ça, le pire, c’est quand il a retrouvé la trace des deux autres, là. Ça, putain, ça, ça lui a fait mal : voir sa copine dans les bras de son « meilleur pote »… Il n’a pas pu affronter ça. Il les a fuis. Lâchement, peut-être. Mais allez vous faire foutre ! Il a un gros coup de blues, là, ouais, bon, il a besoin de temps, il lui faut réfléchir. À plein de trucs.

 

Alors il trouve refuge dans un bled paumé dans le trou du cul du Texas, Salvation. Une petite bourgade qui a ses propres petits problèmes, cela dit, avec les employés fouteurs de merde du baron de la viande Odin Quincannon (qui parle de lui à la troisième personne, la drôle d'idée...). Jesse y retrouve une amie d’enfance.

 

Il y fait aussi une autre rencontre inattendue et déterminante...

 

Et il décide d’y rester, en tant que shérif, le temps de faire un peu le ménage. Pas de « sauver le monde », non, mais au moins de faire son boulot, et de calmer cette petite ordure de Quincannon et sa pétasse nazie d’avocate.

 

Mais c’est le Sud, avec ses propres problèmes. La ségrégation y reste marquée. Le Klan se met de la partie… Pas un problème pour Jesse Custer. Le prêcheur a une âme de shérif : c’est la figure paternelle de John Wayne qui veut ça, sans doute.

 

Avec Salvation, Garth Ennis et Steve Dillon nous ont concocté un TPB de Preacher entièrement focalisé sur le personnage de Jesse Custer, qu’on a rarement vu aussi complexe, et quasiment dénué du moindre élément fantastique. Mais le bilan n’en est pas moins une réussite incontestable. On se régale tout au long de ce western moderne où J.C., malgré John Wayne, fait plus que jamais penser à Clint Eastwood, quelque part entre la « trilogie des dollars », « l’inspecteur Harry » et Impitoyable.

 

Le dessin de Steve Dillon s’y montre plus épuré que jamais, et sert parfaitement la narration d’un Garth Ennis en grande forme, aux dialogues finement ciselés, et au propos toujours intéressant. Comme dans les meilleurs moments de la série, il sait se montrer tour à tour palpitant, hilarant (les scènes avec le Klan ou avec l’avocate SM nazie…), émouvant (la rencontre-inattendue-et-déterminante, Gunther…), révoltant, bref, il fait son boulot avec sa maestria habituelle, et on applaudit bien fort.

 

 Salvation est bien un excellent volume de Preacher, avec une petite musique très particulière cela dit. J’attends pour ma part la suite avec impatience, et j’ai hâte de voir le trio se reformer… ou pas. On verra bien…

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"The Goon", t. 6 et 7, d'Eric Powell

Publié le par Nébal

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POWELL (Eric), The Goon, 6. Chinatown et le mystérieux Monsieur Wicker, [The Goon volume 6: Chinatown and the Mystery of Mr. Wicker], traduit de l’anglais [États-Unis] par Nick Meylaender, Paris, Delcourt, 2009, 109 p.

 

POWELL (Eric), The Goon, 7. Migraines et cœurs brisés, [The Goon volume 7: A Place of Heartache and Grief], traduit de l’anglais [États-Unis] par Nick Meylaender, Paris, Delcourt, 2010, 125 p.

 

Ça faisait un sacré bout de temps que je voulais vous causer de l’excellent comic book qu’est The Goon d’Eric Powell. Bah voilà, aujourd’hui je vais enfin pouvoir le faire, et pour le coup on va s’en taper deux albums, et non des moindres.

 

Mais petite présentation générale tout d’abord. Commençons par l’auteur, Eric Powell donc. Ce jeune homme est un pur autodidacte, à la fois scénariste et dessinateur (ce qui n’est pas forcément très commun outre-Atlantique), et accessoirement un pote à Mignola (il y a même eu un mémorable crossover The Goon / Hellboy, dans le tome 3 de The Goon, si je ne m’abuse…). Le bonhomme a déjà collecté une kyrielle de récompenses, et notamment d’Eisner Awards, essentiellement pour sa plus célèbre création, qui est donc The Goon, BD à l’origine totalement indépendante, publiée sous son propre label Albatros, puis récupérée par Dark Horse.

 

Essayons maintenant de décrire un petit peu The Goon.

 

 

Ben ça s’annonce pas facile.

 

Imaginez une sorte de ville un peu hors du temps, coincée entre les années 1920 et 1950 (pour l’essentiel). La ville est menacée par une bande de zombies, dirigés par un prêtre anonyme, résidant à Lonely Street. Pour s’en protéger, les habitants s’en remettent volontiers à un autre gang, celui de Labrazio, représenté par son bras-droit, Goon (la « brute épaisse »), toujours flanqué de Franky, un mini-psychopathe grand amateur de COUTEAU DANS L’ŒIL !

 

Sauf que la réalité est un peu plus complexe. En fait, Labrazio est mort. Et Goon est loin de n’être qu’une brute épaisse : le vrai chef, c’est lui, mais il préfère dissimuler son rôle… et jusqu’ici ça marche plutôt bien.

 

Sur ce canevas de base, Eric Powell a brodé des histoires très variées au fil des cinq tomes précédents ; des histoires parfois relativement sérieuses, le plus souvent totalement débiles, et à mourir de rire : la série s’est en effet illustrée par son humour absurde et volontiers trashouille (âmes sensibles s’abstenir) au fil d’épisodes se terminant souvent en queue de poisson (ou de ce que vous voudrez). Mais c’était un vrai régal.

 

Mais l’autre régal était graphique. Car Powell est un grand dessinateur/illustrateur, capable d’utiliser des dizaines de techniques différentes en fonction de ce qui lui paraît le plus utile sur le moment. Si les tout premiers épisodes, de ce point de vue, n’avaient rien d’exceptionnel, la donne a vite changé, et The Goon, pour débile qu’elle soit le plus souvent, est un vrai délice pour les yeux.

 

Et ce ne sont pas les deux TPB dont je vais vous causer aujourd’hui qui vont faire mentir cette réputation. En fait, je crois même qu’on est là devant Eric Powell au sommet de son art, plus particulièrement dans le tome 6, publié originellement en un volume, Chinatown et le mystérieux Monsieur Wicker.

 

« Chinatown », c’était un peu l’Arlésienne, dans The Goon. Très régulièrement, dans les dialogues, il était fait allusion, de manière cryptique, à « ce qui s’était passé à Chinatown ». On n’en savait pas plus. On savait seulement que ça avait salement amoché Goon, qui ne voulait pas en parler. Maintenant, on va savoir pourquoi.

 

Et Eric Powell d’annoncer la couleur dès la première page, en grands caractères blancs sur fond noir : « Ce qui suit n’est pas drôle. »

 

On est prévenu. Effectivement, Chinatown – album multi-eisnerisé – est un récit à part dans la série. Il est totalement dénué de l’humour caractéristique de The Goon. C’est un pur mélodrame – mâtiné d’un peu d’action, tout de même –, extrêmement touchant (si), et vraiment pas drôle du tout.

 

Goon se souvient de Chinatown. Une des périodes les plus douloureuses de sa vie. Les souvenirs l’assaillent au pire moment : un rival arrive en ville, le mystérieux Monsieur Wicker, qui tente de s’approprier les marchés du Goon. Mais tout cela semble bel et bien lié.

 

Le récit, du coup, alterne toujours judicieusement présent et passé – inévitables teintes sépia – jusqu’au trauma final. Et les dessins sont de toute beauté. Il faut voir le rendu exceptionnel auquel parvient Eric Powell sur cet album hors-normes – ainsi, par exemple, les déchirants portraits pleine-page du Goon…

 

Chinatown n’est sans doute pas l’album idéal pour découvrir la série : son manque total d’humour ne l’en rend pas du tout représentatif. Mais c’est bien un chef-d’œuvre en son genre, sur lequel les amateurs du Goon ne sauraient faire l’impasse.

 

On retourne à quelque chose de plus traditionnel avec Migraines et cœurs brisés (lequel, lu immédiatement après Chinatown, peut du coup donner une impression d’inachèvement… mais n’est pas mauvais pour autant, juste inférieur), cette fois découpé en chapitres, et où l’humour débile revient en force. Après un premier épisode assez moyen, on retrouve du grand Goon avec le triste (?) sort d’un « vrai gros con » qui a une conception pour le moins particulière de l’usage des brosses à dents ; on y croise une Française, des harpies, et une fin stupide comme on les aimes. Puis un nouvel arc commence (lentement) à se mettre en place, émaillé de gags improbables (comme une chasse au travesti). Un peu frustrant, cela dit, de voir l’album se terminer aussi vite, sur un réjouissant interlude cependant, où l’on retrouve avec plaisir notre cher dégénéré scatophile Valentin Pêchu pour en foutre plein la gueule à Oprah Winfrey. Bref, on attend la suite pour pouvoir véritablement se prononcer sur la valeur de la chose…

 

Suit enfin la traditionnelle galerie d’illustrations, toujours aussi chouette quand c’est Powell qui s’y colle, toujours aussi dispensable quand ce sont des petits Français qui rendent hommage.

 

 N’empêche que : The Goon, c’est bon, mangez-en.

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Dons, d'Ursula K. Le Guin

Publié le par Nébal

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LE GUIN (Ursula K.), Dons, [Annals of the Western Shore : Gifts], traduit de l’anglais [États-Unis] par Mikael Cabon, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2004] 2010, 219 p.

 

Ma chronique figurait sur le défunt Cafard cosmique... La revoici.

 

 

 

Pour sa nouvelle trilogie – enfin, « nouvelle » pour nous autres Français : ce livre date de 2004, tout de même –, Ursula K. Le Guin a choisi de se livrer à l’exercice de la littérature « jeunesse » (exercice auquel elle s’était déjà livré avec Loin, très loin de tout et Les Chats volants). Ce que nous indiquent assez une couverture flashy, et, au dos de cette dernière, la mention « pour tous lecteurs à partir de 14 ans ». Mais autant le dire de suite : si l’on peut trouver dans Dons (Pen/USA Award 2005) un bon argument afin d’amener nos chères petites têtes blondes à la lectures des œuvres de la dame – ce que Terremer constituait déjà « officieusement », cela dit –, on ne saurait par contre y voir un repoussoir ; cette littérature jeunesse-là est bien de celles qui se lisent à tout âge, parce qu’elles ont le bon goût de ne pas prendre leurs supposés jeunes lecteurs pour des imbéciles.

 

Ursula K. Le Guin élabore donc un nouvel univers de fantasy, pour l’instant très sommairement décrit. Une inévitable carte, en début d’ouvrage, représente le nord des Rivages de l’Ouest, mais on ne s’y reportera guère. En effet, dans le cadre de ce roman, il n’est guère qu’une chose à retenir : l’opposition entre les Basses-Terres, d’une part, et les Entre-Terres et les Hautes-Terres, d’autre part. Dans ces dernières vivent de puissants sorciers, même si les habitants des Basses-Terres tendent à n’y voir que contes et fariboles.

L’essentiel de l’action du roman se concentre dans les collines des Entre-Terres. Là vivent des fermiers, qui sont tous autant de sorciers, ayant hérité de leur lignage un don particulier. Certains, par exemple, sont des guérisseurs, tandis que d’autres savent « appeler » les animaux. Orrec, lui, fils de Canoc, du lignage du terrible Caddard l’Aveugle, a hérité du pouvoir de destruction. De l’œil, de la main, du souffle et de la volonté, il peut « défaire » tout et n’importe quoi, y compris le vivant. Un pouvoir qui le terrifie tant qu’il a choisi, avec l’accord de son père, de ne pas faire usage de son don, en se mutilant lui-même, dans un sens : à l’instar de son ancêtre, il s’est aveuglé – mais « temporairement », à l’aide d’un bandeau sur les yeux. Car il est réputé pour avoir l’Œil sauvage, et peut-être bien l’Œil fort… 
Difficile, devant ces « sorciers » héritant d’un pouvoir bien précis et unique, de ne pas penser à certains mutants des comics américains, le personnage d’Orrec aux yeux bandés faisant même assurément penser au Cyclope des X-men…


Ce court roman nous rapporte ainsi, à la première personne, les souvenirs d’Orrec, de sa plus tendre enfance, quand son don était loin de s’être manifesté, à ce que l’on appellera son « émancipation », si ce n’est l’âge adulte. Schéma classique du roman initiatique, typique de la littérature jeunesse et d’une bonne part de la fantasy, et qu’Ursula K. Le Guin avait déjà su fort bien employer notamment dans Terremer. On suit donc le jeune Orrec dans ses jeux innocents avec son amie Gry, et dans sa vie de famille avec ses parents Canoc et Melle, la citadine enlevée il y a bien longtemps. Car les fermiers se font parfois pillards, et leur vie, déjà passablement rude, est faite de tensions régulières, débouchant parfois sur des guerres privées. Les chefs de clans, les « brantors », négocient ainsi des alliances et des mariages de raison, et leurs domaines sont autant de petits fiefs sans suzerain supérieur. Les Entre-Terres connaissent une forme d’anarchie continuelle, dont les habitants se satisfont la plupart du temps, mais qui peut avoir des conséquences cruelles.

Car Ursula K. Le Guin, à son habitude, se montre toujours aussi douée, dans ce roman destiné à la jeunesse autant que dans ses œuvres « adultes », pour inventer et décrire par le menu des sociétés complexes et crédibles, a fortiori en milieu rural. C’est ce qu’elle fait ici avec brio, détaillant sa création sans jamais assommer le lecteur d’informations par un trop grand didactisme. Au contraire, elle fait preuve d’une très grande subtilité dans la manière de distiller les renseignements, au détour d’une phrase ou d’une anecdote… ou d’un conte. Dons est en effet parsemé d’histoires dans l’histoire, qui sont autant de petits bijoux, plus savoureux les uns que les autres. Et c’est ainsi que l’on en apprend un peu plus sur la mythologie et l’histoire de cet univers décrit pour l’instant essentiellement en creux.

Mais Dons est à vrai dire presque un « roman sans histoire », dont la trame principale se montre finalement assez relâchée, encore que sa thématique initiatique soit tout à fait passionnante : se pose notamment la question du libre-arbitre, dans ce monde où tout semble déterminé par la naissance. Cela vaut pour Gry comme pour Orrec.

Mais Dons est également un roman de fantasy assez « réaliste » : on est très loin des canons épiques de la high fantasy, et il n’y a absolument rien d’héroïque là-dedans ; bien loin de peindre une fresque majestueuse, la « chronique » d’Ursula K. Le Guin s’entend dans un sens « micro-historique », comme une chronique du quotidien. S’il y a bel et bien de la magie, en outre, celle-ci se fait finalement assez discrète – et comme « naturelle ». Par ailleurs, l’on n’y verra pas la moindre bestiole bizarre, elfique ou écailleuse. Enfin, dieux et miracles n’ont pas davantage leur mot à dire. Rattacher ce roman à la fantasy, dès lors, relève peut-être presque du cas-limite…

Mais, pour Ursula K. Le Guin, ce sont autant d’atouts, qui expliquent la réussite du roman. Dons est en effet convaincant à tous points de vue, et bien représentatif de la meilleure littérature jeunesse. Il saura séduire autant les jeunes lecteurs à qui il est destiné en premier lieu que les lecteurs plus âgés. On y retrouve en effet tout ce qui a toujours fait le talent de l’auteur, son sens du détail, sa pertinence anthropologique, sa subtilité dans l’émotion, son talent pour la caractérisation des personnages… et une certaine atmosphère indéfinissable, à la fois bucolique et cruelle, qui sied à merveille au cadre du roman.

 

Ce premier tome de la Chronique des Rivages de l’Ouest est donc une réussite incontestable, bien digne du talent d’Ursula K. Le Guin. On le conseillera sans hésiter aux jeunes lecteurs désireux de découvrir l’auteur et/ou la meilleure fantasy, sans elfes ni dragons ; on le conseillera tout autant aux lecteurs plus âgés et admirateurs de la dame, qui ne seront pas déçus du voyage. Et on attendra avec une certaine impatience la « suite », Voix, annoncée pour l’automne 2010.

CITRIQ

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Conan le barbare, de John Milius

Publié le par Nébal

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Titre original : Conan the Barbarian.

Réalisateur : John Milius.

Années : 1981.

Pays : Etats-Unis.

Genre : Heroic-fantasy / Sword’n’Sorcery.

Durée : 129 min.

Acteurs principaux : Arnold Schwarzenegger, James Earl Jones, Sandahl Bergman, Gerry Lopez, Mako, Ben Davidson, Sven Ole Thorsen, Max Von Sydow…

 

Cette chronique se trouvait à l'origine sur le beau site du Cafard cosmique...

 

 

Créé par Robert E. Howard, le personnage de Conan a acquis au fil des années une renommée mondiale, même si ce n’est que récemment que nous avons enfin pu accéder aux textes originaux dans toute leur pureté. Mais le mythe Conan avait depuis longtemps déjà dépassé le seul domaine de la littérature populaire, pour connaître un grand succès en bande-dessinée, et enfin triompher au cinéma en 1981, dans une superbe adaptation de John Milius. Aujourd’hui encore, son Conan le barbare reste une œuvre phare de l’heroic fantasy cinématographique, unique en son genre.

 

RÉSUMÉ

 

L’action se déroule durant la préhistoire fantasmée de l’Âge Hyborien. Le jeune Cimmérien Conan fait partie des rares survivants d’un raid mené par une troupe de pillards aux mobiles incertains. Fait prisonnier, il devient esclave, et s’endurcit au fil des années, jusqu’à devenir un véritable colosse. Il entame ensuite une sanglante carrière de gladiateur puis de mercenaire, jusqu’à ce que son maître se décide enfin à le libérer. Conan fait alors l’apprentissage de la liberté et, en compagnie de l’archer Subotai et de la belle Valeria, se fait voleur ; avec une audace insensée, ils s’emparent de l’Œil du Serpent, un joyau d’une valeur inestimable, ce qui leur vaut l’amitié du roi Osric. Celui-ci leur demande de l’aider à se débarrasser du chef du culte de Set, le sorcier Thulsa Doom, en qui Conan a identifié le meurtrier de ses parents, et qui a séduit la fille du roi. Commence alors pour le barbare une longue quête de vengeance…

 

L’ADAPTATION, I : LES EMPRUNTS HOWARDIENS

 

L’élaboration du scénario de Conan le barbare connaît bien des aléas. Le premier script est en effet rédigé par Ed Summer et le scénariste de Marvel Roy Thomas. Mais ils sont bientôt remplacés par le jeune et prometteur Oliver Stone, dont le premier jet, très inspiré par deux textes de Howard (« Une sorcière viendra au monde », et « Le Colosse noir »), est très violent et riche en éléments fantastiques, Conan y affrontant des hordes de mutants. Reste encore à trouver un réalisateur… Plusieurs sont approchés, dont – excusez du peu – Alan Parker et Ridley Scott, mais c’est finalement le très connoté – mais rescapé d’American Zoetrope (voir ma chronique de THX 1138) – John Milius qui est choisi. Milius, comme la plupart des membres de l’équipe, ne connaît à l’origine à peu près rien de Conan, au-delà des illustrations de Frazetta, et a fortiori des textes de Robert E. Howard… Pourtant, le scénario finalement retenu – co-écrit par Milius, qui a décidé de retourner à quelque chose de plus « réaliste », et Stone – est émaillé de nombreux emprunts à l’œuvre howardienne… même si ceux-ci sont parfois biaisés par les traficotages de Lyon Sprague de Camp, inévitable à l’époque, et qui est par ailleurs crédité comme « conseiller technique » pour le film…

 

Prenons les choses chronologiquement. Le monologue d’entrée est tiré des « Chroniques némédiennes », et emprunté à la première nouvelle de Conan, « Le Phénix sur l’épée ». L’hypnotisme dont fait preuve Thulsa Doom se retrouve dans « Le Peuple du cercle noir ». Le vol dans la Tour des serpents emprunte bon nombre de ses péripéties à « La Tour de l’éléphant ». Quant au personnage de Valeria, il apparaît dans la dernière aventure de Conan, « Les Clous rouges » – même si son amour pour le Cimmérien évoque davantage Bêlit, « La Reine de la Côte noire ».   Le subterfuge du déguisement en prêtre, employé deux fois dans le film, d’abord par Valeria lors de cette scène, plus tard par Conan, est emprunté à L’Heure du dragon. Mais les emprunts peuvent être extérieurs au cycle de Conan : si le roi Osric peut à certains égards faire penser au mélancolique roi Conan du « Phénix sur l’épée » son discours serait directement inspiré des « Miroirs de Tuzun Thune », une nouvelle du roi Kull (en même temps, l'inspiration originelle de ladite nouvelle de Conan était justement une nouvelle de Kull…). La crucifixion, scène particulièrement marquante, est un emprunt évident à « Une sorcière viendra au monde ». Plus tard, après l’orgie, tant la métamorphose de Thulsa Doom en serpent que sa transformation d’un serpent en flèche figurent dans « Le Peuple du cercle noir », tandis que le bûcher funéraire et le « retour » de Valeria/Bêlit nous ramènent une fois de plus à « La Reine de la Côte noire ».

 

Les sources peuvent à l’occasion être multiples, et la fameuse scène de la sorcière en fournit un bon exemple : certains éléments sont empruntés assez clairement au roman de Conan L’Heure du dragon… mais d’autres, plus clairement encore, à l’excellente nouvelle de Bran Mak Morn intitulée « Les Vers de la terre » (peut-être « conanisée » par Lyon Sprague de Camp ou par Marvel ? Ce ne serait pas une première…). Autre emprunt « multiple » : le serpent géant, que l’on retrouve dans « La Citadelle écarlate » et « Le Diable d’airain », mais aussi dans L’Heure du dragon, ou encore dans la nouvelle de James Allison « La Vallée du ver », qui multiplie les allusions à la chute des royaumes hyboriens.

 

Enfin, certains emprunts se limitent à des noms : celui de Thulsa Doom, ainsi, provient du cycle de Kull, antérieur à celui de Conan (et le personnage, après tout, est bien présenté comme étant « vieux de mille ans »). Le nom de Subotai apparaît dans « Les Épées rouges de Cathay la noire » (dans Le Seigneur de Samarcande), où il désigne un personnage historique, un général de Gengis Khan – et l’on sait que Milius s’est beaucoup documenté sur les Mongols pour son film. Quant au nom d’Osric, il provient de deux nouvelles de Cormac Mac Art (sur toutes ces questions, nous invitons les lecteurs avides de détails à se reporter à cet excellent article des excellentes Chroniques némédiennes).

 

En définitive, Conan le barbare est donc bel et bien, au moins dans ses inspirations, un film howardien, ce qui n’était pas gagné d’avance… et les puristes exagèrent peut-être un pêu en hurlant à la trahison. Cependant, il est vrai que le Conan de John Milius et Oliver Stone n’est pas celui de Robert E. Howard, et que certaines différences essentielles sont à souligner.

 

L’ADAPTATION, II : LE BARBARE, L’ESCLAVE, LE SURHOMME, LA TÉLÉOLOGIE

 

Avec un titre tel que Conan le barbare, on pourrait s’attendre à retrouver dans le film de John Milius une des préoccupations essentielles de Robert E. Howard, à savoir l’opposition entre barbarie et civilisation. Étrangement, ce n’est quasiment pas le cas… Seuls deux ou trois éléments, très brefs et allusifs, vont dans ce sens. Tout d’abord, une remarque de Subotai à Conan quand ils croisent pour la première fois une ville : l’Hyrkhanien parle d’une civilisation « ancienne et cruelle », comme si les deux allaient de pair… Plus tard, dans le même registre, mais sur un mode plus mineur, on peut retenir leur remarque sur « l’air qui ne rentre jamais » dans les murs de la ville, opposée aux magnifiques plans larges de la course des héros libérés hors les murs (la superbe musique de Basil Poledouris y est pour beaucoup). Enfin, on pourrait évoquer ici également le discours tenu par le roi Osric, un vieux barbare qui regrette les temps anciens de sa liberté… Mais c’est à peu près tout.

 

Le propos essentiel du film est ailleurs, et mêle les préoccupations philosophiques de Milius et de Stone aux traficotages de Lyon Sprague de Camp. En effet, le film a un abord téléologique : Conan est un homme destiné à devenir « roi de ses propres mains », et on insiste sur ce fait dès le début, de même qu’on y revient à la fin. On est ici clairement dans la logique de Lyon Sprague de Camp, non d’Howard, qui ne concevait sans doute pas son cycle de Conan comme chronologique, ni la royauté comme une fin en soi. La royauté a d’ailleurs chez lui un goût amer, teinté de mélancolie, non de triomphe, que ce soit chez Conan ou chez d’autres personnages (on lira à ce sujet le passionnant article de Patrice Louinet dans Échos de Cimmérie).

 

Mais cet aspect téléologique fait sens, chez Milius et Stone, dans la mesure où il se conjugue avec une philosophie nietzschéenne, simpliste peut-être, mais soulignée dès l’exergue du film par la fameuse citation : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. » Toute la première partie du film – largement due à l’imagination de Milius, a priori (dont on retrouve l’obsession pour les armes, avec le fameux « secret de l’acier ») – semble dédiée à vérifier l’adage, plus particulièrement illustré par le fameux montage de la « roue de la douleur », qui voit le jeune Conan (esclave, chose impensable chez Howard, pour qui le personnage se caractérise avant tout par sa liberté !) grandir jusqu’à devenir le colosse Schwarzenegger – scène que Milius lui-même (sans doute un brin provocateur comme il se doit…) qualifie de « darwinienne »… Mais cette idée reste également très prégnante par la suite (la scène de la crucifixion en témoigne jusqu’à l’extrême sur le plan physique, de même que, sur le plan moral, celle du bûcher funéraire), et ce, à vrai dire, jusqu’à la fin du métrage. Ce n’est qu’alors, en tuant le père, en s’accomplissant, en « franchissant le pont », en abandonnant définitivement son statut d’esclave, que Conan, d’homme, devient surhomme ; et, ayant accompli sa vengeance, fait parler sa volonté de puissance. Ce qu’il a déjà fait, dans un sens, lors de la dernière bataille, à l’occasion de son ultime – et unique – prière à Crom, s'il s'agit bien d'une prière, car elle peut très bien se résumer à un déicide éminemment nietzschéen…

 

Cela peut certes paraître simpliste… Mais il faut remettre les choses dans leur contexte : Oliver Stone, très ambitieux, souhaitait faire de Conan une véritable saga cinématographique à la James Bond ; Milius et les producteurs, plus réalistes, pensaient à une trilogie : dans cet esprit, le thème central du premier film était « la force brute » (sic ! cela explique bien des choses…) – les suivants devant traiter de la responsabilité, puis de la tradition et de la loyauté. Hélas, les choses ne se passèrent pas ainsi…

 

LA DISTRIBUTION

 

Une fois les scénaristes, les producteurs et le réalisateur trouvés, restait à se pencher sur la distribution. Pour le rôle-titre, la question ne se posait même pas : le film s’est construit autour de la personnalité d’Arnold Schwarzenneger, alors simple culturiste et illustre inconnu ou peu s’en faut, repéré par Edward Pressman dans le documentaire Pumping Iron. On avouera cependant que ses talents d’acteur sont assez limités – ce qui explique peut-être le scepticisme de Dino de Laurentiis à son encontre (on l’a pourtant connu peu regardant !) –, et que son accent autrichien encore assez marqué justifie sans doute le petit nombre de ses répliques, et – cette fois, c’est une certitude – le fait qu’il ne soit pas le narrateur du film, contrairement à ce qui avait été envisagé dans un premier temps. Le rôle du narrateur, outre celui du sorcier, fut donc confié à Mako, qui dirigeait par ailleurs une école de théâtre, dans laquelle il forma notamment durant le film Gerry Lopez (Subotai) : celui-ci, en effet, n’avait jamais tourné dans le moindre film ; c’était un surfer, et un ami de Milius… Mais il s’en est très bien tiré. Pour en finir avec les héros, évoquons enfin Sandahl Bergman (Valeria), retenue par John Milius pour son physique de « Walkyrie ».

 

En face, pour les « vilains », il était nécessaire de trouver quelqu’un de particulièrement charismatique pour interpréter Thulsa Doom : ce fut le cas avec le grand acteur noir James Earl Jones, plus habitué aux seconds rôles (et très connu, en Anglo-saxonnie, pour être la voix originale de Dark Vador…), et qui se révèle ici tout simplement parfait. Ses seconds, les « Grands Danois » comme les appelle Milius, sont des colosses destinés à en imposer à Schwarzenegger lui-même : le footballeur Ben Davidson incarne ainsi Rexor, tandis que le culturiste scandinave Sven Ole Thorsen joue Thorgrim (avec son gros marteau…).

 

On n’ira guère plus loin ici. On se contentera de mentionner deux seconds rôles importants, le roi Osric interprété par rien de moins que le grand Max Von Sydow (à l’origine, ce devait être Sterling Hayden, mais on ne peut pas dire que Milius ait perdu au change…), et sa fille, la princesse, jouée par Valérie Quennessen. On mentionnera brièvement qu’un caméo de John Milius a été finalement supprimé au montage, tandis que ceux du production designer Ron Cobb (le dealer de lotus noir) et de Yamazaki (le maître d’armes du Khitaï) ont été conservés. Un mot enfin sur les figurants, qui, pour certaines scènes, ont été plus de 1500…

 

LE TOURNAGE ET LA POST-PRODUCTION

 

Le tournage de Conan le barbare est une aventure presque aussi épique que celle qu’il est censée rapporter… Prévu initialement en extérieurs en Yougoslavie, il a finalement lieu six mois plus tard en Espagne, en raison du contexte politique (la mort de Tito).

 

Pour les acteurs – et au grand délice de Milius, qui s’est toujours plus considéré comme un général que comme un réalisateur… –, le tournage ressemble à un camp d’entraînement militaire : escrime, équitation, musculation, tous les jours… et enfin, tournage.

 

Mais dès le premier jour, les accidents se multiplient, et Schwarzenegger a ses premiers points de suture. Devant l’Autrichien qui se plaint de saigner, Milius reste stoïque, et même enthousiaste : « Cette blessure est temporaire, les films sont éternels ! » Ce sera loin d’être la dernière… Sandahl Bergman sera elle aussi assez grièvement blessée, et aura un doigt coupé lors d’une scène de combat à l’épée…

 

Pourtant, malgré toutes ces difficultés – et la construction de décors monumentaux, comme celui du Temple de Thulsa Doom –, le tournage arrive à son terme. Commence alors le travail de post-production. Et c’est à ce moment que se pose une nouvelle question : celle de la musique. Au départ, les producteurs entendent imposer au réalisateur le prestigieux Ennio Morricone ; mais John Milius, têtu, n’en veut pas, et impose son choix personnel : ce sera Basil Poledouris, ou rien. L’histoire lui a donné raison, car Poledouris a incontestablement signé là son chef-d’œuvre, une bande originale d’une puissance et d’un lyrisme rares, qui fait encore aujourd’hui figure de modèle du genre. À vrai dire, elle mériterait un article à elle seule…

 

LA RÉCEPTION DU FILM ET SES CONSÉQUENCES

 

La critique ne se montre guère tendre pour ce film violent et sans concessions – interdit aux moins de 17 ans aux États-Unis –, ce qui n’arrange guère la réputation déjà pas terrible de Milius. Un journaliste va jusqu’à parler de « Star Wars filmé par un psychopathe » !

 

Mais, malgré tout, le succès populaire est là ; dès la première, les gens font la queue pour voir le film-événement, à tel point que l’on doit le programmer dans des salles supplémentaires. Le film lance la carrière de Schwarzie, qui devient une star du jour au lendemain, et initie – pour le pire, hélas… – un engouement passager pour le cinéma d’heroic fantasy, qui nous vaudra une kyrielle de nanars italiens pompant allègrement le chef-d’œuvre de Milius (vous en trouverez bon nombre d’exemples sur cette page de l’indispensable site Nanarland).

 

Pire encore, dans un sens, il y aura bien un deuxième film consacré à Conan, Conan le destructeur, qui est aussi le dernier film du vétéran Richard Fleisher, qu’on avait pourtant connu bien plus inspiré dans la veine épique, des années auparavant, avec Les Vikings… Le film est un navet parfaitement ridicule de bout en bout, sans aucun intérêt, et qui mettra un terme à une licence qu’on aurait pu espérer prometteuse…

 

Mais on touchera le fond avec les autres adaptations « howardiennes » : Red Sonja (qui a plus à voir avec la BD Marvel qu’avec le personnage de Robert Howard, et fut rebaptisé en France Kalidor, la légende du talisman pour mettre en avant le personnage incarné par… Schwarzenegger), plus récemment Kull et Solomon Kane… Non, décidément, il n’est pas donné à tout le monde d’adapter Robert E. Howard au cinéma.

 

CRITIQUE

 

Or Milius, lui, s’en est très bien tiré. Il a su rendre fidèlement l’atmosphère épique et violente, à la fois réaliste et fantastique, des récits de Conan. Son film est réalisé de main de maître, et, pour ce qui est de placer une caméra, Milius n’a de leçons à recevoir de personne. Le film est superbement construit, et, grâce à la géniale bande originale de Poledouris, fonctionne comme un véritable opéra, ce qui, paradoxalement, justifie de nombreuses et longues scènes sans dialogues (notamment au début du film : passé le prologue, si l’on excepte quelque interventions du narrateur, il n’y a quasiment pas de répliques pendant au moins une vingtaine, voire une trentaine de minutes). La photographie est en outre magnifique, à l’instar des décors – celui du Temple de Doom, avec ses 1500 figurants, reste très impressionnant trente ans plus tard – et, si les effets spéciaux ont naturellement vieilli, ils ont le bon goût d’être rares, ce qui évite au film de sombrer excessivement dans le kitsch.

 

Par ailleurs, Conan le barbare reste aujourd’hui ce qu’il était déjà à sa sortie en 1981 : un grand film d’action. Les scènes de bataille n’ont certes pas l’envergure mégalomane qu’autorise aujourd’hui le numérique, mais elles sont en contrepartie minutieusement chorégraphiées, riches en détails et d’une violence rare. On sent dans les gestes des acteurs le travail du maître d’armes Yamazaki, et on les croit volontiers quand ils expliquent que le « général » Milius préparait chaque bataille avec tout l’art d’un tacticien…

 

Finalement, en dehors du jeu pour le moins limité de Schwarzenegger et, si l’on tient à faire dans le « politiquement correct », d’une idéologie parfois « douteuse » – et encore… –, il n’est rien que l’on puisse véritablement reprocher à ce Conan le barbare. Mieux, il ne se trouve aucun film pour soutenir véritablement la comparaison : même depuis la sortie du Seigneur des anneaux de Peter Jackson – dont on pensera ce que l’on voudra… –, le film de John Milius reste probablement encore aujourd’hui le seul – bon… – film d’heroic fantasy tourné spécifiquement à destination d’un public adulte. Ce qui lui confère toujours une saveur particulière, et une originalité qui le rend indémodable. À ce stade, on peut bien parler de chef-d’œuvre.

 

L’histoire a démontré qu’il n’était pas donné à tout le monde d’adapter Robert E. Howard. Mais John Milius, avec Conan le barbare, a parfaitement saisi l’atmosphère de l’Âge Hyborien, et livré un chef-d’œuvre indémodable d’heroic fantasy. Près de trente ans après sa réalisation, le film n’a pas pris une ride. C’est assez rare pour être signalé, et loué…

 

(Outre les Chroniques némédiennes déjà mentionnées, nous invitons les curieux à poursuivre l’aventure sur ce site très complet. Mille merci, enfin, à Simon Sanahujas, qui fut d’un grand secours dans la rédaction de cette chronique.)

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"Munchkin Cthulhu" + "Munchkin Cthulhu 2 : De mal en pis !"

Publié le par Nébal

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Munchkin Cthulhu + Munchkin Cthulhu 2 : De mal en pis !

 

Chose promise, chose due : je poursuis aujourd’hui ma mini-exploration des jeux lovecraftiens que je pratique régulièrement avec mes camarades avec Munchkin Cthulhu. Cette fois, on est aux antipodes d’Horreur à Arkham, avec ce jeu de cartes tout sauf coopératif, qui se range plutôt dans la catégorie « mauvaise foi revendiquée (ça figure dans les règles) et coups de putes assumés ». Ça se joue de trois à six joueurs (mais j’imagine qu’on peut envisager des « super-parties » avec plus de joueurs encore, si on est vraiment malades), à partir de douze ans (mais j’en doute, pour plein de raisons).

 

Petite présentation générale de la gamme Munchkin, éditée à l’origine par Steve Jackson Games. Il s’agit ici de faire dans la parodie de jeu de rôles, versant grosbill. Aussi le Munchkin originel moquait-il vertement les jeux de rôles à la Donj’ et autres typés médiéval-fantastique, avec leurs cortèges d’elfes et de nains. Le principe de base est simple : chaque joueur commence au niveau un, et a pour but d’arriver au niveau dix (avant les autres, donc) ; pour ce faire, tous les moyens sont bons ; certaines cartes permettent de monter d’un niveau, il est possible de vendre de l’équipement pour ce faire, mais le moyen le plus traditionnel reste quand même la baston. Chaque joueur peut avoir une classe et/ou une race, de l’équipement, etc., en fonction de ce qu’il pioche, et/ou de ce que les autres joueurs lui balancent dans la gueule (j’ai une tendance dingue à me choper la malédiction « Changement de sexe ! » à chaque partie…).

 

Décrivons maintenant un tour de jeu. Quand le joueur commence son tour, il peut jouer des cartes de sa main (par exemple, poser une classe ou un équipement). Ensuite, il y a deux types de cartes : les portes, et les trésors. Le joueur doit ouvrir une porte : il retourne la première carte porte, et la montre à tous les joueurs (et, normalement, il en lit le texte – volontiers débile). Si c’est un monstre, le combat s’engage (j’y reviens de suite) ; si c’est une malédiction, il se la prend dans la tronche ; si c’est autre chose (classe de personnage, modificateur de puissance, etc.), il prend la carte dans sa main. S’il n’y a pas eu combat à ce moment-là, le joueur a deux possibilités : soit il « pille la pièce », et dans ce cas-là pioche une autre carte porte face cachée ; soit il « cherche la bagarre », et engage le combat avec un monstre de sa main, qu’il montre à tous les joueurs.

 

Le combat, donc. Chaque monstre a un niveau allant de un à vingt, plus des modificateurs. Pour battre le monstre, il faut obtenir un score supérieur à son niveau et ses modificateurs, avec son propre niveau, ses équipements, ses modificateurs, etc., et éventuellement l’aide d’un autre joueur, qui se négocie. Sachant que les autres joueurs peuvent faire des crasses, comme rendre le monstre plus puissant, ou faire venir un autre monstre dans le combat (mais il faut une carte spéciale pour cela), etc. En cas d’égalité, c’est le monstre qui gagne : il faut faire plus. Si le joueur gagne, il remporte un niveau (ou deux si c’est indiqué sur la carte) et le nombre de trésors indiqué sur la carte du monstre (en principe de un à cinq ; ce sont les trésors que l’on négocie contre l’aide des autres joueurs). S’il perd, il ne lui reste que la possibilité de fuir. Il doit jeter le dé : sur un 5 ou un 6, rien ne se passe, il parvient à fuir ; sinon, il faut lire « l’incident fâcheux » propre au monstre, qui peut aller de l’anecdotique pas bien méchant à la mort ou à la perte de plusieurs niveaux…

 

Le jeu Munchkin originel a remporté un succès non négligeable, ce qui lui a valu plusieurs extensions, mais surtout ce qui a entraîné le développement de toute une gamme de jeux Munchkin, tous parfaitement compatibles les uns avec les autres : il est donc possible de mélanger les cartes pour obtenir des jeux encore plus délirants, dans des univers totalement foutraques. Sont ainsi sortis Star Munchkin, parodiant le space opera, Super Munchkin, parodiant les super-héros, et donc Munchkin Cthulhu, parodiant les jeux lovecraftiens, et qui est à mon sens la déclinaison la plus réussie du jeu originel.

 

Le principe de base reste le même, à ceci près qu’il n’y a cette fois pas de races, mais seulement des classes : investigateur (of course), tabasseur de monstres (sans commentaires…), professeur (...), et enfin cultiste (selon un anglicisme bien connu qui a fait des ravages dans le jeu de rôles).

 

Or il est deux choses qui, à mon sens, font la très grande réussite de ce Munchkin Cthlhu : d’une part, j’ai l’impression que c’est la déclinaison la plus vicieuse de toutes, riche en coups de putes (un exemple, une règle spéciale concerne les monstres dont le nom finit par « -goth » – et y’en a un paquet, avec des jeux de mots tous plus affligeants les uns que les autres – : si un joueur se retrouve en combat avec un monstre dont le nom finit par « -goth », alors un autre joueur peut rajouter dans le camp du monstre un autre monstre dont le nom finit également par « -goth »...).

 

D’autre part, il y a les règles spéciales concernant les cultistes, qui viennent un peu compliquer le jeu, et en accentuer la dimension « stratégique » (malgré tout, si, si). Normalement, tout joueur peut choisir à tout moment (enfin, pas en plein combat…) de se débarrasser de sa classe, pour une raison ou une autre. Sauf celle de cultiste : cultiste un jour, cultiste toujours, mouhahahaha ! En même temps, l’union fait la force : plus il y a de cultistes en jeu, plus ils sont forts (bonus de + 2 pour chaque cultiste en jeu). Or il faut savoir qu’il y a plus de cartes « Cultiste » que de cartes des autres classes… Les cultistes peuvent également se voir appliquer des bonus permanents à + 3 (« Ecumant de bave », etc.) inaccessibles aux autres personnages. MAIS, si tous les joueurs sont cultistes sauf un, celui-ci gagne un niveau ; et si tous les joueurs sont cultistes, la partie s’arrête, et le cultiste ayant le plus haut niveau gagne. D’où la nécessité de bien calculer son coup, et éventuellement de garder dans sa main une carte « Grand coup sur la tête » qui peut transformer quelqu’un en cultiste, ou au contraire « défaire » un cultiste.

 

Quelques mots – rapides – sur l’extension Munchkin Cthulhu 2 : de mal en pis ! Comme toutes les extensions, celle-ci rajoute essentiellement de nouvelles cartes « porte » et « trésor » des catégories habituelles (56 en tout). Mais, parmi les cartes « porte », elle rajoute une nouvelle catégorie : les « démences ». Celles-ci fonctionnent un peu comme les malédictions, à ceci près qu’elles sont permanentes, et peuvent également avoir des effets positifs (enfin, bof, généralement). Il est possible de se débarrasser d’une démence avec un « Anneau de souhait », ou de débarrasser un joueur de toutes ses démences en une fois avec un « Grand coup sur la tête » (décidément une carte fort utile).

 

Au final, Munchkin Cthulhu est un jeu d’autant plus drôle qu’il est sadique. À jouer entre rôlistes et/ou simples amateurs de Lovecraft, c’est assez délicieux. Les cartes sont toutes plus débiles les unes que les autres, d’un humour souvent tellement pathétique qu’il en devient irrésistible. Le pauvre HPL doit s’en retourner dans sa tombe… mais en attendant on s’amuse bien.

 

 Au passage, j’ai cru entendre parler d’une extension dessinée par François Launet, le responsable de l’indispensable Unspeakable Vault (Of Doom) ; si c’est bien le cas, j’espère qu’on pourra en attendre une traduction française, parce que j’aime beaucoup ce qu’il fait, le monsieur (EDIT : Elle existe, et je l'ai. Mouhahaha !).

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"Horreur à Arkham"

Publié le par Nébal

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Horreur à Arkham

 

De temps à autre, mes chers camarades et moi-même aimons à nous retrouver autour d’un jeu. Cela peut être un jeu « traditionnel », auquel cas ce sera souvent le mah-jong (vous devez jouer au mah-jong, ce jeu est absolument génial) ; cela peut-être aussi, même si c’est beaucoup plus rare, faute de temps, que dans notre folle jeunesse, un jeu de rôles (je vous parlerai sans doute prochainement de Cthulhu) ; cela peut être un jeu de cartes, et là, il y en a une infinité (je vous parlerai bientôt du Munchkin Cthulhu) ; cela peut enfin être un jeu de plateau, versant « coups de putes » comme le très bon Zombie. La blonde, la brute et le truand, ou versant coopératif, comme le très bon et mythique Horreur à Arkham dont je vais vous entretenir aujourd’hui.

 

(Oui, entre Cthulhu, Munchkin Cthulhu et Horreur à Arkham, vous pouvez supposer à bon droit que je suis un fanatique décérébré de Lovecraft et de ses produits dérivés : vous auriez tout à fait raison.)

 

Horreur à Arkham, donc. Il en existait jadis une première version, que j’avais déjà acquise du temps de mon adolescence pré-boutonneuse, mais que j’avais égarée. J’ai donc refait l’acquisition de ce jeu, et – surprise – ce fut dans une version plus complète et bien plus complexe. À la limite trop pour certains, mais on aura l’occasion d’y revenir…

 

Il s’agit d’un jeu coopératif, pouvant de se jouer de un (oui, oui, un !) à huit joueurs (mais là ça doit être le bordel ; l'idéal, je dirais, c'est quatre), à partir de douze ans, nous dit-on (mais bof). Il est effectivement possible de jouer seul à Horreur à Arkham, les ennemis étant dans un sens « automatisés », comme on le verra ; mais on avouera que ça n’est guère palpitant… et que le challenge est de taille. Pour ma part, j’ai dû tenter le coup une ou deux fois, mais j’ai très vite lâché l’affaire. Quant au « à partir de douze ans », j’y mettrais un bémol : c’est un effet un jeu complexe, au livret de règles bien épais, dont les parties sont longues – comptez deux à trois heures minimum – et qui nécessite de la patience et de l’esprit de coopération autant que de la stratégie et de la prévoyance – qualités que l’on peut certes rencontrer à douze ans, mais c’est quand même pas tous les jours.

 

Le principe du jeu, à la base, est simple – c’est dans le détail que tout devient compliqué. Horreur à Arkham est un jeu de plateau, mais qui emprunte a minima quelques aspects de jeu de rôle. Chaque joueur se voit ainsi attribuer une fiche de personnage (selon un procédé déterminé par les joueurs, qui peut aller du choix au hasard total, en passant par un mélange entre les deux), représentant un habitant de la ville d’Arkham, Massachusetts, dont le plan occupe la majeure partie du plateau de jeu (énorme, par ailleurs : prévoyez une grande table). La ville est sur le point d’être attaquée par un Grand Ancien du mythe de Cthulhu (là encore, choisi ou déterminé au hasard, chacun ayant des caractéristiques particulières) ; le Grand Ancien commence à se manifester en ouvrant dans certains lieux « instables » d’Arkham des portails vers d’autres dimensions ou d’autres lieux relatifs au mythe (des Contrées du rêve à R’lyeh en passant par le Plateau de Leng et Yuggoth). Ces portails font également apparaître des monstres qui se répandent dans les rues de la ville (et dont les déplacements sont « automatisés »). La tâche des joueurs est « simple » (façon de parler, bien sûr) : il s’agit pour eux de sceller six portails (c’est-à-dire de les fermer et d’empêcher qu’on les ouvre à nouveau) pour empêcher le Grand Ancien d’arriver, ou, si celui-ci arrive (cela peut être le cas pour plusieurs raisons : trop de portails ouverts en même temps, trop de portails ouverts durant la partie, rumeur qui accélère l’Échelle du Destin, etc.), il s’agit alors de le battre au combat pour le bannir définitivement (sauf Azathoth : si ce dernier apparaît, la partie est terminée, puisque le monde est détruit…).

 

Chaque tour de jeu se décompose en plusieurs phases. On détermine d’abord qui est le premier joueur. Celui-ci se voit attribuer un jeton spécial.

 

On passe ensuite à la phase d’entretien. Durant cette phase, les joueurs peuvent/doivent effectuer certaines actions spéciales marquées sur leurs cartes (par exemple vérifier que leur bénédiction tient toujours, ou regagner un point de santé mentale si l’on incarne la psychologue, ou gagner un dollar si l’on incarne la dilettante, etc.), et ils peuvent également bouger les réglettes qui déterminent leurs caractéristiques, en fonction de leur concentration (qui détermine le nombre de mouvements qu’ils peuvent effectuer) ; en effet, les caractéristiques des joueurs fonctionnent par binômes : par exemple, plus un personnage est rapide, moins il sera discret ; il s’agit donc pour le joueur de déterminer ce qui sera le plus utile pour lui durant ce tour. On commence par le premier joueur, et on poursuit dans le sens des aiguilles d’une montre (c’est ce que l’on fera pour chaque phase du tour).

 

La deuxième phase est celle des mouvements. Les joueurs se déplacent chacun leur tour, qu’ils soient à Arkham, ou dans les autres mondes (puisqu’il faut passer dans les autres mondes pour pouvoir fermer les portails, et a fortiori les sceller, et il y a au moins un mouvement dans les autres mondes). S’il y a un monstre sur le chemin, il faut faire un test de discrétion : on jette le nombre de dés déterminé en fonction des modificateurs applicables, et on regarde s’il y a des succès, c’est-à-dire des 5 ou des 6 (voire des 4 si on est béni… ou seulement des 6 si on est maudit) ; il suffit d’un succès pour réussir ; sinon, c’est un échec, et il y a combat lors de la phase suivante.

 

La troisième phase est celle des rencontres à Arkham. Les joueurs qui sont à Arkham ont alors le choix. Généralement, ils tirent une carte de la couleur de l’endroit où ils se trouvent, et lisent le texte approprié ; l’effet peut être bénéfique ou maléfique, mais des icônes sur la case indiquent ce que l’on peut espérer gagner. S’il y a un monstre sur la case, on entame alors le combat (qui commence généralement par un test de volonté pour éviter de perdre de la santé mentale). Il est parfois possible d’appliquer une action particulière indiquée directement sur le plateau de jeu : par exemple, au Département scientifique de l’Université Miskatonic, on peut échanger un trophée de portail ou des trophée de monstres pour une valeur de cinq en force contre deux indices (les indices permettant, en les sacrifiant, de jeter des dés supplémentaires et, surtout, quand on en sacrifie cinq, de sceller un portail) ; il y a également les boutiques, où l’on peut acheter des objets communs, des objets uniques, ou des sorts (chaque joueur commence par ailleurs avec un certain nombre de ces cartes). Enfin, quand on est revenu d’un autre monde, et tant qu’on n’a pas bougé de la case de retour, on peut tenter de fermer un portail, voire de le sceller si on a cinq indices ou un objet magique fort utile dénommé « Signe des anciens ».

 

La quatrième phase est celle des rencontres dans un autre monde. Ici, on tire une carte et on lit le texte en fonction du lieu où on se trouve, un peu comme pour les rencontres à Arkham… mais le risque est généralement plus grand.

 

La cinquième et dernière phase, enfin, est celle du mythe. Le premier joueur tire une carte « mythe », et regarde tout d’abord où apparaît un portail. Plusieurs possibilités : si la case est vide, un portail et un monstre apparaissent (tirés au hasard), et on met un pion de plus sur l’Échelle du Destin (le Grand Ancien se rapproche). S’il y a déjà un portail, alors c’est une « vague de monstres » : le plateau est envahi par autant de monstres qu’il y a de joueurs ou de portails ouvert (le plus haut chiffre) ; s’il y a déjà trop de monstres sur le plateau (c’est-à-dire si l’on a dépassé la limite de monstres), alors les monstres vont dans la périphérie d’Arkham ; s’il y a trop de monstre dans la périphérie, alors on augmente de un le niveau de Terreur (plus celui-ci augmente, moins il y a d’alliés disponibles et de boutiques ouvertes en ville ; s’il atteint dix, on rajoute un point à l’Échelle du Destin, et il n’y a plus de limite de monstres… ce qui signifie que les monstres ne vont plus dans la périphérie mais restent à Arkham. Et c’est horrible…). Enfin, si le lieu est scellé, il ne se passe rien. Ensuite on regarde où apparaît un indice. Après quoi on regarde les déplacements des monstres (indiqués par des icônes). Enfin, on lit le texte de la carte. S’il s’agit d’un « Gros titre », la carte ne dure qu’un seul tour ; s’il s’agit d’un « Environnement », elle dure jusqu’à ce qu’un autre Environnement soit tiré ; s’il s’agit d’une « Rumeur », les joueurs sont dans la merde, parce que ces cartes sont généralement horribles, et restent en place jusqu’à ce qu’elles aient été résolues, par succès ou échec.

 

Puis le jeton de premier joueur passe au joueur suivant dans le sens des aiguilles d’une montre, et c’est reparti pour un tour. Voilà en gros comment se déroule une partie.

 

Je ne sais pas de quoi ça a l’air, dit comme ça. Ce que je sais, c’est que durant les premières parties, tout cela nous paraissait atrocement compliqué ; mais depuis, on s’y est fait, et ça coule tout seul maintenant (même s’il y a quelques points de règles qui ne sont pas très clairs). Vous aurez en tout cas compris qu’il s’agit bel et bien d’un jeu coopératif : les joueurs gagnent ensemble, en empêchant la venue du Grand Ancien, ou en le battant. Pas question ici de se livrer à des coups de pute ou d’agir de manière égoïste : cela ne sert à rien, et ne peut que nuire à la partie.

 

Mais une fois qu’on en a bien saisi les rouages, ce jeu se révèle véritablement passionnant. Il est d’une richesse rare, qui fait qu’aucune partie ne ressemble véritablement à la précédente ; et au bout de bien des parties, je peux vous assurer qu’il est encore bien des aspects du jeu que mes camarades et moi-même n’avons pas explorés (sans même parler des extensions, officielles comme « officieuses »… puisqu’il y en a de disponibles sur le ouèbe !).

 

Il a pourtant un gros défaut, que ce compte-rendu ne saurait taire. Si on a souvent tendance à souffrir pendant les parties, le fait est que l’on gagne malgré tout presque systématiquement. Je ne me souviens guère que d’une ou deux parties de perdues (dont une où Hastur nous a foutu une branlée mémorable, tout de même…), et toutes les autres ont été des victoires. C’est d’autant plus étrange que, en cours de partie, le challenge paraît très élevé… Mais aussi avons-nous décidé maintenant de corser un peu plus la difficulté, en laissant le hasard total déterminer nos personnages, et en virant des Grands Anciens disponibles les moins puissants (Yig, Ithaqua, et Nyarlathotep). Mais pour le moment on continue de gagner… Bon, faudra peut-être relire les règles, au cas où un truc nous aurait échappé…

 

 Mais en tout cas, malgré ce défaut, le fait que l’on s’amuse beaucoup avec Horreur à Arkham. Si vous en avez l’occasion, n’hésitez pas à en faire une partie, il y a là de quoi passer une bonne soirée entre amis. C’est bel et bien un excellent jeu de plateau, bien digne de sa réputation. Un jeu original, assez unique en son genre, et très respectueux de l’univers lovecraftien. En tant que fanboy décérébré, je ne peux que m’avouer comblé.

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"La Traversée du livre", de Jean-Jacques Pauvert

Publié le par Nébal

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PAUVERT (Jean-Jacques), La Traversée du livre, [s.l.], Viviane Hamy, 2004, 478 p. + XXXII p. de pl.

 

Où l’on poursuit les lectures « éditoriales », avec ce qui constituera sans doute ma dernière fiche de lecture, après La Sagesse de l’éditeur de Hubert Nyssen et Une histoire de la lecture d’Alberto Manguel (je vais être trop court pour le Gaston Gallimard. Un demi-siècle d’édition française de Pierre Assouline, ce qui ne m’empêchera pas d’en faire une lecture prioritaire). Cette fois, je m’attaque donc à La Traversée du livre de Jean-Jacques Pauvert, premier tome des mémoires de l’éditeur franc-tireur, couvrant une période allant en gros de son enfance à mai 68 (sa bibliographie en tête de volume indique bien un Mémoires II : 1968-2004, mais je n’en ai pas trouvé de trace ailleurs ; ou, plus exactement, d'après Wikipedouille, en juillet 2009, il était toujours en cours de rédaction, alors, bon…?).

 

Pourquoi Pauvert, me direz-vous ? Essentiellement parce que Sade. Voilà. Je ne connaissais l’éditeur que de réputation, mais je savais qu’il s’était fait un nom et une réputation en publiant l’impubliable, et notamment les œuvres complètes du Divin Marquis. Or le Donatien Alphonse François fait partie des écrivains qui ont compté pour moi, et la problématique de la censure, et plus largement des frictions entre la morale et le droit, m’a toujours très fortement intéressé. C’est très largement pour cette raison que je me suis intéressé à La Traversée du livre : je voulais en savoir plus sur le sulfureux éditeur, et sur ses autres sulfureuses éditions.

 

Le moins que l’on puisse dire est que je n’ai pas été déçu du voyage. Et que j’ai découvert dans ces passionnantes mémoires un portrait fascinant, souvent drôle, parfois attachant, parfois un brin agaçant aussi, assez souvent féroce également, d’un éditeur « malgré lui », mais d’un éditeur modèle. Du moins sur un versant utopique, dirons-nous ; puisqu’il s’agit clairement là d’un éditeur qui n’a jamais fait de concessions, et qui n’a publié que ce qu’il aimait, mais tout ce qu’il aimait, contre vents et marées.

 

« Ainsi, Monsieur, vous voulez donc travailler dans le livre… » Le Monsieur en question, c’est Jean-Jacques Pauvert, élève médiocre, à peine âgé de quinze ans. L’interlocuteur s’appelle Gaston Gallimard. Nous sommes en 1941, et le petit Jean-Jacques va trouver du travail à la librairie Gallimard. Premier contact avec le monde du livre, et bientôt avec les auteurs de la NRF. C’est l’Occupation. Le jeune homme, presque naïvement, fait de temps à autre le commis pour la Résistance. En essayant de passer en zone « libre », il est arrêté par les Allemands et fait un peu de prison. Il participe à peine à la Libération – à Toulouse, tiens.

 

Puis il reprend ses activités de libraire, mais plus ou moins à son compte. Il est assez connaisseur en matière de livres rares. Puis il est pris de l’envie de fonder une revue – Le Palimugre – et d’éditer quelques petits ouvrages, comme par exemple une Explication de L’Étranger de Camus par Sartre. Il édite aussi des lettres inédites de Flaubert… qui font jaser. C’est que le Gustave y parle crûment, pas comme dans la correspondance « amendée » (!) que l’on publiait jusqu’alors !

 

En attendant, Pauvert continue de se lier avec des auteurs – Jean Genet, notamment –, et germe en lui un projet ambitieux : éditer les œuvres complètes du marquis de Sade. Officiellement, et pas sous le manteau. Au début, on lui recommande d’y aller doucement : l’Idée sur les romans, préface aux Crimes de l’amour, par exemple, ça va, ça. Mais lui entend aller plus loin. Et c’est ce qu’il fait, en commençant par l’Histoire de Juliette. Ce qui ne tarde pas à lui valoir des ennuis avec la Mondaine, et une réputation de pornographe. Les livres se vendent mal, d’ailleurs, et à des clients pas toujours très au fait de ce que sont au juste les œuvres de Sade… Mais Pauvert persévère. Suivront La Nouvelle Justine, La Philosophie dans le boudoir et, bien sûr, Les 120 Journées de Sodome : bref, tous les écrits « ésotériques » de Sade, ses textes « pornographiques » à proprement parler. Ce qui débouchera sur « l’Affaire Sade », un procès retentissant, qui devient celui de la censure contre la liberté d’expression et d’impression, procès que perd Pauvert en première instance, mais qui devient une semi-victoire en appel (Pauvert bénéficiant du sursis, il poursuit l’impression… sans plus craindre ni amende ni destruction !).

 

Il faut dire que la réputation de Pauvert ne s’était pas arrangée, entre-temps, du fait d’une autre publication, contemporaine cette fois – et je passe outre certains textes de Bataille, de Genet ou d’Aragon assez salés… –, passée d’abord assez inaperçue, mais qui a fini par rencontrer un grand écho et par faire sacrément jaser, une fois de plus : Histoire d’O de Pauline Réage (de son vrai nom Dominique Aury, une amie de Pauvert) ; là aussi, on n’est pas passé loin du procès (la Commission du livre voulait poursuivre), même si on s’est finalement contenté des trois interdictions (vente aux mineurs, affichage, publicité). Un livre qui traîne depuis bien trop longtemps dans mon étagère de chevet, d’ailleurs ; je l’avance illico.

 

Mais Pauvert, ce n’est pas que « cette littérature-là », même si l’érotisme a toujours eu une certaine importance dans son catalogue. C’est aussi, par exemple, Le Voleur de Georges Darien, dont on m’a dit le plus grand bien (faudrait que j’arrive à mettre la main dessus…) ; la réédition du Littré ; les Œuvres poétiques complètes de Victor Hugo en un volume (!) ; de belles éditions des Liaisons dangereuses ou de L’Ève future, des manifestes surréalistes et dada, des romans de Boris Vian, d’Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll, et de La Chasse au Snark du même, de Melmoth de Mathurin ; L’Histoire de l’art d’Élie Faure ; et aussi bien des traités d’alchimie que des pamphlets libéraux ou libertaires (sous des couvertures révolutionnaires), ou encore les dessins de Siné, de Wolinski, de Gébé, de Chaval, etc. (L’Enragé de mai 68 inclus).

 

Et Jean-Jacques Pauvert de raconter toute cette aventure éditoriale de sa plume incisive et mordante, avec un franc-parler qui n’épargne rien ni personne, pas même lui, d’ailleurs ; il ne gomme rien de son passé, quand bien même on peut sentir à l’occasion une certaine gêne, malgré tout (ainsi quand il évoque sa liaison, de toute façon connue, avec Régine Deforges).

 

Le résultat est un ouvrage passionnant de bout en bout, riche en passages savoureux et portraits croustillants, en anecdotes étonnantes et en réflexions pertinentes. On a pu dire de Jean-Jacques Pauvert qu’il avait « inventé les années 1960 ». C’est sans doute aller un peu loin… Mais on peut sans l’ombre d’un doute lui reconnaître un talent de visionnaire, un certain génie, même, qui en fait un des très grands éditeurs français du siècle. Certes, on est bien loin, avec lui, des tirages énormes des plus grandes maisons d’édition, ou des avalanches de prix littéraires des éditeurs les plus prestigieux ; mais rarement aura-t-on vu un éditeur aussi ancré dans son temps, et aussi lucide sur son époque et sur son milieu. D’où une infinité de polémiques, mais dont il est toujours sorti la tête haute…

 

 Aussi cet hypothétique deuxième tome de ses mémoires m’intrigue-t-il ; j’ai l’impression qu’il n’est toujours qu’à l’état de projet, et peut-être ne verra-t-il jamais le jour ; mais j’espère me tromper. Et, dans ce cas, j’ai hâte de le lire. Parce que je suis sûr d’une chose : c’est que cet homme-là a encore beaucoup de choses à dire.

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