"Blind Lake", de Robert Charles Wilson
WILSON (Robert Charles), Blind Lake, [Blind Lake], traduit de l’américain par Gilles Goullet, [Paris], Denoël – [Gallimard], coll. Folio Science-fiction, [2003, 2005] 2009, 478 p.
Après la relative déception causée par Axis, je n’ai cependant guère attendu pour me replonger dans l’œuvre de Robert Charles Wilson. Blind Lake ayant été tout récemment réédité en poche, je me suis donc jeté sur ce roman, en espérant y retrouver le Robert Charles Wilson qui m’avait tant parlé avec Spin et Les Chronolithes, et dans une moindre mesure Ange Mémoire.
L’action se déroule aux Etats-Unis, dans un futur a priori relativement proche (mais post-singularité ?). L’astronomie a été révolutionnée par le développement d’ordinateurs quantiques au fonctionnement largement mystérieux, et qui permettent, dans deux complexes scientifiques, d’observer directement deux mondes extraterrestres dotés de vie et distants de la Terre de plusieurs dizaines d’années-lumière. Le complexe de Blind Lake épie ainsi Uma47/E, et, plus précisément, « le Sujet » (parfois appelé également, avec un soupçon de légèreté, « le Homard »), un extraterrestre autochtone. Sans que l’on sache trop pourquoi ni comment, les observateurs étant dépassés par leur propre technologie…
Marguerite Hauser, notamment, s’intéresse tout particulièrement au comportement du « Sujet », et ne manque pas de se poser nombre de questions sur la manière de l’appréhender. L’anthropomorphisme fait bien entendu figure de piège, mais la tentation du « récit » n’en est pas moins forte… Elle s’oppose sur ce point avec son ex-mari (et supérieur…) Ray Scutter ; sur ce point, et bien d’autres… et notamment la garde de leur fille Tessa, timide et un peu perturbée, obnubilée par son double, la « Fille-miroir ».
Un trio de journalistes vient en outre de débarquer à Blind Lake : la très compétente et froide Elaine, le théologien retraité et/ou charlatan mystique Sebastian – auteur d’un best-seller répondant au titre de Dieu & le vide quantique –, et enfin Chris, un journaliste compétent mais mal-aimé depuis qu’il a osé dénoncé les frasques d’une figure de légende. Mais à peine sont-ils arrivés que le complexe de Blind Lake est mis en quarantaine, sans que l’on sache pourquoi : aucune information ne filtre plus. Un jour, un couple tente de s’échapper… et est immédiatement massacré par des drones.
Et, à peu de choses près au même moment, le comportement du « Sujet », jusqu’alors routinier à l’extrême, change : celui-ci semble se lancer dans un étrange pèlerinage… Il se passe bien des choses à Blind Lake, qui dépassent la compréhension de tout un chacun. Marguerite et Chris, qui sont les deux personnages principaux, auront ainsi bien des mystères à résoudre.
Blind Lake est un roman de Robert Charles Wilson pur jus. On y retrouve bien des aspects caractéristiques du reste de son œuvre, et en premier lieu une forte attention aux personnages. Heureusement, ceux de Blind Lake m’ont semblé de beaucoup plus réussis que ceux d’Axis, et en premier lieu Marguerite, Chris (surtout) et Sebastian (une seule exception : Ray Scutter, pour le coup trop détestable, même si son amour pour sa fille ne saurait faire de doute). Ces personnages sont très complexes et humains, farouchement authentiques. Une vraie réussite sur ce plan.
Mais d’autres aspects sont caractéristiques : ainsi l’atmosphère générale de mystère, qui suscite bien des questions auxquelles il ne sera pas toujours accordé de réponses, sans que le lecteur ne s’en trouve véritablement frustré pour autant, tant la narration se montre efficace par ailleurs. Elle adopte là aussi un certain côté « thriller », mais avec à mon sens bien plus de réussite et de finesse que dans Axis. Malgré un démarrage un peu lent, le roman devient vite palpitant, sans jamais négliger pour autant sa dimension humaine fondamentale. Là encore, Blind Lake fait figure de réussite.
Les thèmes traités, enfin, sont tout à fait fascinants et pertinents. La réflexion sur l’observation du « Sujet » et sa « retranscription » est passionnante, et fait judicieusement appel aux mânes d’Heisenberg (entre autres).
Blind Lake n’est cependant pas sans défauts – quelques-uns ont déjà été envisagés ; j’y ajouterais, malgré l’atmosphère générale de mystère, un dénouement largement prévisible ; peut-être, enfin, le roman se montre-t-il un poil trop long ? –, qui l’empêchent sans doute d’accéder au rang d’œuvre majeure. Mais ce n’en est pas moins un bon roman de science-fiction, bien digne du talent de Robert Charles Wilson.
Ouf, me voilà réconcilié.
… ‘fin, j’étais pas trop fâché non plus, hein.