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Articles avec #bande dessinee tag

Gunnm Last Order, vol. 2 et 3 (édition originale), de Yukito Kishiro

Publié le par Nébal

 

 

KISHIRO Yukito, Gunnm Last Order, vol. 2 (édition originale), [Ganmu Rasuto Ôdâ 銃夢 Last Order], traduction depuis le japonais [par] David Deleule, Grenoble, Glénat, coll. Seinen manga, [2000, 2011] 2019, 336 p.

 

 

KISHIRO Yukito, Gunnm Last Order, vol. 3 (édition originale), [Ganmu Rasuto Ôdâ 銃夢 Last Order], traduction depuis le japonais [par] David Deleule, Grenoble, Glénat, coll. Seinen manga, [2000, 2011] 2019, 305 p.

Retour à Gunnm Last Order, la suite/rectification de la cultissime série Gunnm par son auteur lui-même, Kishiro Yukito. Je ne vais pas revenir dans les détails sur la raison d’être et le caractère controversé de ce développement plus ample que prévu, je vous renvoie pour cela à ma chronique du premier tome. Cela dit, cette réception critique souvent boudeuse n’a pas manqué de m’affecter quand je me suis dit que je pouvais bien tenter l’expérience des tomes 2 et 3… Et, le résultat… Eh bien, à vrai dire, j’ai plutôt apprécié cette lecture, même si elle s’est ouverte sur un gros facepalm, et s’est plus ou moins conclue… disons sur l’anticipation d’un gros facepalm tout proche (ou même deux). Surtout, la lecture de ces deux tomes m’amène à m’interroger sur mes attentes au regard de cette série, mais tout autant sur celles des autres lecteurs, et ce qui peut les différencier – voire les opposer.

 

Ça commence plutôt mal, trouvé-je – avec la conclusion du gros combat amorcé à la fin du tome 1, un décalage éditorial déjà caractéristique de la série initiale. Le combat en lui-même est plutôt honnête, c’est ce qui l’entoure qui me gave : les notes de bas de page à la con, moins nombreuses que dans mettons The Ghost in the Shell de sinistre mémoire, mais aussi creuses et pénibles, et la surdose associée de techno-mystico-bla-bla – attention les yeux et les oreilles, Desty Nova, en bon commentateur sportif, a quelque chose d’important à vous dire (p. 14) :

 

Dans le plasma, les mouvements des différentes ondes magnéto-soniques ou acoustiques ioniques forment régulièrement des pics d’une grande amplitude qu’on appelle « solitons ».

 

[Note de bas de page : Soliton : onde solitaire. Onde qui se propage sans se déformer et sans déperdition d’énergie lors de la collision avec d’autres ondes. Les tsunamis sont un type de soliton.]

 

Gally a utilisé le plasma pour transmettre son Hertzscher Hauen à partir des solitons magnétohydrodynamiques qui s’y trouvent.

 

Dans un contexte normal, les mouvements ondulatoires devraient perdre de leur énergie à cause de l’amortissement cyclotron…

 

Mais un événement a amplifié l’énergie des ondes par la résonance… Pour schématiser, elle a renversé la puissance magnétique de Sarchmod contre lui et lui a renvoyée sous forme de solitons.

 

Si je devais le nommer, j’appellerais cela…

 

UN SOLITON DE PLASMA !

 

C’est dans ces circonstances qu’on plaint le traducteur – sauf que pas vraiment, parce que son boulot est assez dégueulasse de manière générale, au moins autant que dans Gunnm, alors que la nouvelle traduction était censée être un atout de cette réédition… En fait, cette citation en témoigne, et en plusieurs endroits – où c’est le français qui coince.

 

Je ne peux pas, dans l’absolu, exclure la parodie – mais ce genre de trucs est balancé avec un aplomb total et dans un contexte qui laisse bien croire qu’il s’agit de quelque chose de parfaitement sérieux.

 

Disons-le, si j’avais dû me payer un autre passage du genre dans les cent pages qui suivaient, j’aurais bazardé ce tome 2 pour ne plus jamais y revenir.

 

Mais, subitement, tout change.

 

Gally est toujours obsédée par le sort de Lou, sa « collègue » de Zalem du temps de Gunnm. Ce qui fournit un prétexte un peu fumeux mais qui en vaut bien un autre pour la suite des opérations. Dans la perspective transhumaniste de cet univers, Gally découvre que la personnalité (et, plus ou moins seulement, la mémoire) de Lou a été stockée quelque part dans Jéru, soit l’autre extrémité de l’ascenseur spatial dont Zalem constitue la base flottante dans l’atmosphère terrestre. Ni une, ni deux, et sans vraiment s'embarrasser des implications aussi bien éthiques que scientifiques de sa quête, Gally décide donc de gravir « l’Échelle de Jacob » (ou le Ladder) pour se rendre dans l’espace – la motivation essentielle de Kishiro Yukito dans Gunnm Last Order. Et, là, elle va découvrir un univers tout autre.

 

C’est le caractère essentiel du tome 2, dès lors : une longue exposition d’un univers très complexe, et pour ainsi dire totalement indépendant de ce que nous connaissions jusqu’alors de la Terre, Kuzutetsu et environs, et même de Zalem. Et Kishiro Yukito s’en donne à cœur joie, introduisant avec un luxe de détails tout un environnement à l’échelle du système solaire, riche en habitats fantasques (cités flottantes vénusiennes, stations orbitales titanesques, relais aux points de Lagrange, et même une sorte de sphère de Dyson en construction autour de Jupiter), aux relations diplomatiques tendues et plus subtiles qu’il n’y paraît, et en personnages qui, pour plusieurs d’entre eux, ont atteint un stade de développement relevant largement de la post-humanité.

 

Autant dire, à tous ces degrés, d’excellentes idées de science-fiction, du genre que je n’espérais plus dans cette série, surtout après les illuminations charabiesques à répétition de Desty Nova.

 

Et ceci même si une prémisse essentielle de cet univers, la mathusalisation, soit une politique délibérée de la part des transhumains peu ou prou immortels pour empêcher la naissance ou le développement de nouvelles générations humaines susceptibles un jour de les remplacer, ceci donc même si cette prémisse me laisse un peu froid voire sceptique, pas tant pour le fond (admettons…) que pour son traitement passablement gnangnan. Et je relève aussi, bien sûr, que ces longues dissertations scientifiques, technologiques, politiques, métaphysiques, etc., sont inévitablement accompagnées d’une foultitude de notes de bas page, par chance moins creuses que celles envisagées plus haut.

 

Par ailleurs, tout cet univers est riche en personnages plutôt bien conçus, car plus complexes qu’ils n’en ont tout d’abord l’air, et qui bénéficient tous d’un character design irréprochable : ainsi Aga M’Badi (couverture du tome 3), ex-héros devenu le patron du Ladder, un personnage qui suinte la puissance à tous les niveaux et n’en est que plus inquiétant, ou encore le hacker égocentrique et misanthrope Ping Ü (couverture du tome 2) et les robots qui l’environnent, mais aussi bien d’autres, d’importance comme la délégation martienne anachronique qui rapproche enfin Gally/Yoko de sa planète natale déchirée par la guerre civile (avec des bons gros cons de nazis de l’espace dedans), ou plus secondaires, comme les représentants de la République de Vénus, de l’Union des Régions du Système Jovien ou de la Fédération Orbiterrienne, tous singuliers et désireux de forcer leur propre agenda, radicalement incompatible comme de juste avec tous les autres.

 

(Je mets de côté Sechs en chibi psychopathe, pourquoi pas.)

 

Je n’ai pas seulement été agréablement surpris par cette tournure inattendue : avec quelques bémols çà et là, je l’ai adorée.

 

Kishiro Yukito y consacre beaucoup de soin et de temps – cette longue mise en place occupe l’essentiel du tome 2 et un bon tiers, ou une petite moitié, du tome 3. La médaille a son revers : durant toutes ces pages, il y a somme toute très peu d’action, et a fortiori de combats. À la fin du tome 2, dans ses petits gags « Petites scènes de la mise au placard », l’auteur en fait l’aveu : « Deux épisodes de combat mis au placard qui sont offerts ici à ceux qui trouvent que Gally ne s’est pas beaucoup battue dans ce tome 2 ! » Et c’est peu ou prou une constante des quelques critiques que j’ai pu lire çà et là sur le ouèbe : trop de bla-bla, pas assez d’action, on s’ennuie.

 

Et c’est là que je me rends compte, donc, combien mes attentes peuvent différer de celles de bien des lecteurs de Gunnm et de Gunnm Last Order – et je précise au cas où : je ne fais pas ici dans le jugement de valeur ! Je tente seulement un constat qualitativement aussi neutre que possible. Mais voilà, quant à moi, je ne me suis pas du tout ennuyé durant cette longue mise en place ; elle est bavarde, certes, mais à bon droit et je ne parlerais pas de bla-bla pour autant – le bla-bla, en ce qui me concerne, ce sont les héros combattants qui ressassent « mon adversaire est vraiment très très fort je ne vais jamais pouvoir le battre ! » en serrant la mâchoire, avant de faire usage d’un nouveau super-pouvoir (pompeusement nommé sur le vif, comme de juste) qui leur assure la victoire, et les personnages secondaires qui commentent les bastons en direct, peu ou prou micro en main. Le bla-bla, surtout, ce sont les fumisteries mystiques de Desty Nova, le mélodrame à un demi yen, les notes de bas de page absconses et qui ne servent absolument à rien.

 

Gunnm et Gunnm Last Order sont des mangas d’action, bien sûr. Je ne vais certainement pas me plaindre que ces séries abondent en scènes d’action… Elles font indéniablement partie de leurs atouts, et j’ai pris bien du plaisir à lire les combats les plus apocalyptiques dont ces séries sont capables. Mais cette « pause » ne m’a pas déplu, loin de là.

 

Là où j’ai fait la moue, c’est devant les promesses de l’auteur d’y « remédier » : durant une bonne partie du tome 2, Kishiro Yukito multiplie les effets d’annonce, sur le mode « Oui, certes, il n’y a pas beaucoup de combats en ce moment, mais ça va revenir ! », et, hélas, en se repliant sur un artifice « de sécurité » : l’imminence d’un grand tournoi – qui, allez, va décider du sort de tout le système solaire ; parce qu’il n’y a personne de mieux à même de résoudre les embrouilles politico-diplomatiques d’un univers complexe que le vainqueur d’un tournoi d’arts martiaux, de toute évidence.

 

Misère…

 

La BD japonaise populaire, en ce qui me concerne, a vraiment un problème avec ces tournois – une figure du nekketsu, m’avait-on appris il y a quelque temps de cela. Ils sont partout. Ils sont la raison qui m’a fait décrocher de Dragon Ball, notamment, avec le Tenkaichi Budokai comme expédient fainéant auquel on revient toujours quand il importe de relancer la machine et qu'on n'a pas grand-chose à dire – en jouant toujours plus absurdement de la logique pernicieuse de la montée en puissance. Gunnm, la série initiale, en était d’ailleurs affectée en au moins une occurrence : l’arc du motorball (tomes 3 et 4), que j’avais détesté… et qui figure pourtant parmi les plus mémorables de la série voire de l’histoire du manga, à en croire bien des lecteurs. J’aime les combats qui se justifient, et qui font avancer l’histoire – mais ces tournois, ça me gave à peu près systématiquement…

 

Par chance, cependant, Kishiro Yukito, à ce stade, repousse sans cesse l’échéance : il y a de la marge entre l’annonce et la réalité du tournoi. Ce qui me convient très bien. Par chance aussi, quand le tome 3 commence à se rapprocher dangereusement dudit tournoi, l’auteur fait en sorte de lui constituer comme un prologue tactique qui, scénaristiquement, ne tient absolument pas la route, c’est certain, mais qui autorise effectivement quelques scènes de combat réussies, palpitantes et bien menées (quand bien même, dans leur structure, elles sont tristement classiques : le gros boss pour le final, d’abord les sidekicks arrogants qui se font défoncer en n’en revenant pas, les héros qui serrent les dents devant le pouvoir largement supérieur du boss, etc.) ; et on a bien sûr le commentateur télé, hein…Mais si le tournoi à proprement parler doit adopter cette forme, je suppose qu’il n’est pas exclu que je trouve à m’en accommoder, même si le principe du tournoi me paraîtra toujours aussi débile.

 

Quoi qu’il en soit, j’ai été très agréablement surpris par ces deux tomes – que j’ai trouvés d’un niveau très solide, davantage à vrai dire que certains tomes de Gunnm. Ceci en dépit d’une entrée en matière relativement laborieuse, et des nuages noirs qui se dessinent à l’horizon (spatial – des nuages noirs dans l’espace, euh…). Car il y en a au moins deux : le tournoi est une chose, mais Kishiro Yukito a quelque chose de bien pire sous le coude, potentiellement – en effet, vers la fin du tome 3, l’auteur commence à insérer dans son histoire… des vampires. Et là je crois que les retours sont unanimes, pour ce que j’en ai lu, aussi bien chez ceux qui se sont d’emblée montrés hostiles à l’entreprise de Gunnm Last Order que chez ceux qui se sont montrés plus charitables, voire initialement enthousiastes : quand les vampires débarquent, tout cela sombre dans le grand nawak le plus affligeant… Ce qui n’inspire pas exactement confiance pour la suite des opérations, hein ?

 

Cela dit, la bonne surprise relative de ces tomes 2 et 3 m’incitera à poursuivre avec au moins le tome 4. Et on verra bien…

 

Oh, une dernière chose : ces deux volumes, comme le premier, se concluent chacun sur une histoire courte de Kishiro Yukito totalement indépendante de Gunnm, et antérieure à vue de nez – et c’est une excellente idée, même si le résultat convainc plus ou moins. Le tome 2 s’achève ainsi sur Dai Machine, une sorte de shônen de science-fantasy un peu trop hystérique formellement pour me convaincre tout à fait (notamment dans la récurrence plutôt lourdingue des déformations faciales ultra-expressives), outre que le propos globalement technophobe n’est pas exactement des plus fins – cela dit, à titre disons « documentaire », c’est une lecture assez intéressante, qui annonce certaines dimensions de Gunnm, même si de manière moins subtile (et enthousiasmante) que Hito (le peuple volant), qui concluait le tome 1. À la fin du tome 3, nous avons Astre abyssal, qui joue dans un tout autre registre, en mêlant SF transhumaniste (déjà) et horreur voire body horror un peu à la Itô Junji – le propos demeure, disons techno-sceptique, mais de manière un peu plus futée car juste un peu plus ambiguë ; j’ai bien aimé, pour le coup.

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Pline, t. 7 : L'Antre du dieu crocodile, de Mari Yamazaki et Tori Miki

Publié le par Nébal

 

YAMAZAKI Mari et MIKI Tori, Pline, t. 7 : L’Antre du dieu crocodile, [Plinius プリニウス 7], traduction [du japonais par] Ryôko Sekiguchi et Wladimir Labaere, [s.l.], Casterman, coll. Sakka, [2018] 2019, 188 p.

Retour à Pline, le manga historique de Yamazaki Mari et Miki Tori, avec ce tome 7 sorti récemment – reste que, la publication française ayant rattrapé son retard sur la japonaise, près de neuf mois se sont écoulés depuis ma chronique du décevant tome 6, et je ne savais plus très bien où j’en étais… Je me souvenais cependant que ce tome 6 m’avait paru au mieux médiocre – et qu’il y avait ce petit truc bizarre, qui doit sans doute tout au hasard et dont il serait absurde de vouloir déduire du sens, ce constat gratuit que, dans cette série, globalement, les volumes impairs étaient meilleurs que les volumes pairs...

 

Et, vous savez quoi ? Je crois que ça se vérifie encore une fois avec ce tome 7. Qui m’a bien plus parlé que le précédent, en tout cas, même s’il n’est pas sans défauts, loin de là. Mais, le truc… c’est que les raisons qui fondent ce jugement davantage positif sont presque diamétralement opposées à tout ce que j’avais pu dire de cette série jusqu’à présent ! Au sens où, cette fois, c’est ce qui se passe à Rome qui m’a vraiment intéressé, et dans l’entourage de Néron et Poppée, là où les pérégrinations égyptiennes de Pline et de ses larbins m’ont paru passablement fainéantes…

 

C’est que, à Rome, il se produit ici ce que l’on attendait peu ou prou depuis le premier tome – à savoir l’incendie de la Ville, en 64. On l’attendait… mais, pour ma part, je le redoutais, et je n'en faisais pas mystère en concluant ma précédente chronique, car le traitement du personnage de Néron, surtout, m’a à peu près systématiquement déçu dans cette BD, pas à la hauteur des intentions affichées de Yamazaki Mari et Miki Tori. Par chance, ils s’en tirent beaucoup, beaucoup mieux que ce que je craignais. Si je demeure indécis sur certains points (tout spécialement l’imbroglio de l’implication des juifs et parmi eux des chrétiens dans cette affaire), le traitement global de cette catastrophe m’a paru pertinent.

 

Et, un miracle pour le coup, le personnage de Néron y apparaît moins caricatural que précédemment : on nous épargne l’empereur qui joue de la lyre devant le spectacle grandiose de sa ville en proie aux flammes, et la responsabilité au moins directe de Néron dans l’incendie est pour ainsi dire écartée – si les fourberies de Tigellin et les manies artistiques du monarque guedin font que l’empereur, aussi horrifié soit-il de prime abord, se prend bientôt d’enthousiasme pour le projet de la reconstruction intégrale de Rome selon ses vœux et ses goûts.

 

Un autre personnage ressort grandi de ce traitement, et j’en suis heureux, car il s’agit de Poppée – l’ambitieuse impératrice qui m’avait tant séduit dans les premiers tomes, avant de me décevoir si cruellement dans tous les suivants : cette fois, elle retrouve du caractère, et une appréciable ambiguïté – car, dans l’entourage immédiat de Néron, elle est celle qui perçoit bien que quelque chose sent le soufre.

 

Quelque chose autour de Tigellin, sans doute – qui confirme, encore qu’au travers de non-dits, qu’il est le grand méchant dans cette affaire. Il est, typiquement, l’éminence grise plus qu’ambitieuse, qui tire les ficelles dans l’ombre, dans un jeu de manipulations complexes – il se rêve peut-être empereur, en tout cas il est partout. Une position très appréciable pour susciter ou entretenir les rumeurs qui circulent parmi les Romains accablés, l’aristocratie comme la plèbe ; ils cherchent tout naturellement des responsables, pas forcément les mêmes d'ailleurs, mais, de toute façon, identifier les coupables est difficile, et désigner des boucs émissaires plus simple et plus rapide. Néron lui-même (mais il en est qui l’apprécient et rejettent ces calomnies), Poppée peut-être (à peu près systématiquement haïe), les juifs (forcément), les chrétiens (on le sait…), les propriétaires fonciers (ah, maintenant qu’on le dit…), Tigellin pourquoi pas (qui n’est pas le moindre de ces propriétaires), ou les ex-conseillers de Néron tels Pison (idem) ou le philosophe Sénèque (pareil) – lequel s’en tire bien du fait de son amitié avec Tigellin ?

 

« S’en tire bien », de l’incendie, hein – car cette « amitié » ne vaut probablement pas grand-chose : là encore, Tigellin est partout, derrière, dans l’ombre. Dans la conjuration de Pison, qui s’élabore dans la foulée de l’incendie, et qui implique un peu par défaut le philosophe mou, qu’importe le tour pris par les événements, Tigellin en profitera : la répression de la conjuration tient en effet à la fois du coup d’État et de la purge – et Sénèque y passera comme les autres. Un personnage bien falot, pour le coup : mélancolique sans doute (un stoïcien a-t-il le droit d’être mélancolique ?), mais en même temps un peu con-con dans son apathie, qui relève assez clairement du refus de voir les choses en face ; à la fin de ce tome, il erre dans les jardins de Pline, et contemple la ciguë, avec les réminiscences que l’on suppose…

 

Mais Pline, justement ? Il est bien loin de tout ça – il est en Égypte. Ceci dit, même là-bas, certes avec un retard nécessaire (dont les auteurs jouent plus ou moins bien ? La chronologie de ces épisodes n’est peut-être pas très rigide...), la nouvelle de l’incendie atteint les voyageurs. Elle accable Félix, comme de juste, qui tente même la sottise de partir seul, en pleine tempête dans le désert – de très belles pages, graphiquement –, pour retourner en Italie et y veiller sur son acariâtre mais adorée épouse et leurs enfants ; lesquels sont, ainsi que le médecin de Pline, des personnages de choix pour peser les effets de l’incendie avec un point de vue diamétralement opposé à celui de la cour impériale et de l’élite aristocratique.

 

Mais, comme de juste là encore, le désastre laisse Pline lui-même indifférent – une réaction qui ne surprendra pas, de la part de notre naturaliste psychopathe, mais qui est peut-être plus que jamais chargée d’ironie, car l’incendie de Rome, aussi bien thématiquement que graphiquement (notamment dans les pages en couleur qui ouvrent le volume), renvoie sans doute aux éruptions volcaniques qui émaillent le récit depuis le premier tome – qui évoquait d’emblée, quinze ans plus tard, en 79, l’éruption du Vésuve qui noierait Pompéi sous les cendres, et, avec, le héros de cette histoire.

 

C’est là ce qui se produit de plus intéressant pour Pline et les siens dans ce volume 7. Le reste, hélas, n’emporte pas vraiment l’adhésion, car l’Égypte visitée par la petite troupe relève beaucoup trop de la caricature – cultes étranges, labyrinthes sous les pyramides, crocodiles, etc. ; c’est très Indiana Jones, d’une certaine manière (voire Tintin, avec le coup de théâtre impliquant la chatte Gaïa), mais sur un mode relativement fainéant.

 

Le contraste avec ce qui se produit à Rome n’en est que plus saisissant – et, oui, cela produit bien cet effet très inattendu pour moi : contrairement à ce que j’ai pu dire de chaque volume ou presque de cette série depuis disons le tome 2, dans celui-ci, c’est ce qui se passe à Rome, autour de Néron et compagnie, qui est intéressant, là où ce qui se passe autour de Pline est globalement indifférent…

 

À la fin de ce volume, nos héros prennent toutefois la route d’Alexandrie : espérons que la confrontation du naturaliste à ce haut lieu du savoir saura ramener sur le devant de la scène ce qui jusqu’à présent faisait le sel de cette série, à savoir la science et la pseudo-science de l’Histoire naturelle. Qu'en sera-t-il du thème de la destruction de la bibliothèque ? La question semble toujours débattue, mais je suppose que les auteurs pourront jouer de ce thème, en miroir de l'incendie de Rome...

 

Ce septième tome est donc surprenant à plus d’un titre – mais, avec ses défauts indéniables, il se montre en définitive plutôt convaincant ; bien plus en tout cas que le volume précédent.

 

Pline est une série très inégale, et chaque tome me fait me poser la question si cela vaut le coup de poursuivre – mais, oui, celui-ci m’y incite, décidément. Alors on verra bien, un de ces jours, si le tome 8 poursuit cette étrange alternance du bon et du moins bon…

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La Vie de Bouddha – intégrale, vol. 2, d'Osamu Tezuka

Publié le par Nébal

La Vie de Bouddha – intégrale, vol. 2, d'Osamu Tezuka

TEZUKA Osamu, La Vie de Bouddha – intégrale, vol. 2, [Budda ブッダ], traduction [du japonais par] Jacques Lalloz, Paris, Delcourt/Tonkam, coll. Tezuka, [1972] 2018, 683 p.

Deuxième tome (sur quatre prévus) de la réédition « intégrale prestige » de La Vie de Bouddha de Tezuka Osamu – encore une belle brique, même si un chouia moins que son prédécesseur ! Et un récit très ample et en même temps très dense, aux caractéristiques de roman feuilleton, ce qui ne facilite pas toujours la chronique – n’attendez pas de ce compte rendu quelque chose d’exhaustif, ça n’est pas dans mes cordes et ça serait probablement un peu absurde.

 

Mais disons du moins que l’on peut scinder les (très) divers arcs narratifs de ce tome 2 en deux groupes, même s’ils sont forcément poreux, ou liés, comme vous préférez : le premier groupe concerne directement le prince Siddartha devenu ascète et sur la voie de devenir Bouddha, ainsi que les autres ascètes qu’il est amené à fréquenter ; le second met en avant d’autres personnages, dans des récits davantage tournés vers l’aventure et/ou la politique. Je m’étendrai ici essentiellement sur le premier groupe, car il est à ce stade le moteur de l’histoire, et pour l’essentiel ce qui m’a le plus parlé dans ce deuxième volume.

 

Adonc, Siddartha a tout récemment quitté Kapilavastu, et, dès le premier chapitre, il fait la rencontre de deux personnages déterminants – deux jeunes ascètes comme lui : le fier Dhépa est un shramane, très assidu dans ses austérités, et convaincu que la souffrance est la clef de la vie d’ascète, qu’elle relève de son devoir – aussi s’est-il déjà à ce stade, et de lui-même, brûlé un œil. Bien différent, le petit Asaji, que ses parents collent entre les pattes des deux autres, est un gamin chétif, perpétuellement la goutte au nez et l’air un peu niais…

 

Dhépa, que nous aurons l'occasion de voir peu charitable, se passerait bien de tel compagnon de route, mais Asaji les suit, d’une manière ou d’une autre – et Siddartha lui sauve même la vie en suçant le poison dans son corps. Or cette expérience, au cours de laquelle Asaji a bien failli mourir, change à jamais le personnage : son périple de l’autre côté du voile lui a conféré un pouvoir de prescience – il sait prédire à peu près tout, mais, comme c’est le lot de ces oiseaux de malheur, il prédit surtout les catastrophes… qui se réalisent bel et bien, immanquablement. Il sait aussi, à ce stade, le moment et les circonstances, pas moins horribles, de sa mort précoce, dix années seulement plus tard – et le petit Asaji sidère Siddartha par son « stoïcisme », disons, la sérénité avec laquelle il accueille tout cela et jusqu’à sa propre fin… Nous assisterons bel et bien, dans ce volume, à la mort d’Asaji – car elle est un moment clef sur la voie de l’illumination pour un Siddartha désemparé.

 

D’ici-là, cependant, les trois ascètes se rendent dans la Forêt des Austérités, un enfer masochiste où comme une colonie de dévots s’inflige journellement mille morts au service de la foi. Ils doivent y demeurer des années, et endurer la souffrance au quotidien. Cet enfer est pour Dhépa un paradis : le shramane se montre plus que jamais assidu dans ses austérités – et plus qu’à son tour critique de ceux qui ne souffrent pas autant que lui.

 

Or, si Asaji traverse tout cela comme une brise sereine, Siddartha, lui, s’interroge : toute cette souffrance est-elle vraiment nécessaire ? Qu’apporte-t-elle au juste ? Progressivement, au cours même de ses douloureuses austérités, Siddartha réalisera qu’il est vain et faux de prétendre que l’homme doit souffrir, au sens où il s’agirait d’un devoir imposant à l’homme de désirer et de rechercher la souffrance. Il comprend alors que, si la souffrance est primordiale, la réalité essentielle de la vie même, la vouloir est absurde, et la subir ne résout rien… Et il songe à quitter la forêt.

 

Tout cela, pour Dhépa, relève de l’hérésie pure et simple – car ce personnage, que nous n’avions guère l’occasion de trouver aimable jusque-là, même en tant que compagnon des plus positifs Siddartha et Asaji, se révèle à terme pour l’homme qu’il est vraiment : un bigot borné, dont la conception du monde est délibérément simpliste et intolérante – c’est comme ça et pas autrement. Et un homme dévoré par son ego, aussi, très fier de sa pratique ascétique extrême, et prompt à critiquer qui ne suit pas son exemple… Mais il semblerait que Dhépa ait encore un rôle à jouer dans cette histoire – peut-être une forme de rédemption lui est-elle malgré tout accessible… Lui, qui a trahi Siddartha, deviendrait son disciple – il a quelque chose, disons, d’un Judas ou d’un Pierre à l’envers…

 

Mais tout cela – les austérités, la sérénité d’Asaji jusqu’au moment de sa mort, la bigoterie brutale de Dhépa, mais aussi d’autres choses encore, des retrouvailles ambiguës (avec Tatta et Miguéla, notamment), des échos de la situation à Kapilavastu ou au Kosala (et de ce que son absence y entraîne), ses relations avec ses « voisins », ascètes ou aristocrates, vieillards et enfants, hommes et femmes, animaux et plantes aussi, etc. – tout cela, donc, ne s’avère pas vain en définitive, car ce sont autant d’étapes sur la voie de l’illumination pour Siddartha.

 

Et dans la conception du bouddhisme que Tezuka met en scène, cet itinéraire est défini par le principe divin même, Brahmâ, qui intervient dans la vie de Siddartha (mais aussi d’Asaji, etc.), lui apparaissant sous la forme d’un vieil homme, dans des rêves ou des visions – et Brahmâ lui annonce qu’il connaîtra l’illumination, et il en donne d’une certaine manière le signe, conférant à son tour, mais plus significativement que précédemment, au prince Siddartha devenu ascète, le nom de Bouddha, l’éveillé.

 

L’éveil de Bouddha, au pied d’un arbre, en compagnie des animaux, se produit vers la fin de ce deuxième volume. Siddartha demeure pourtant, en même temps, un jeune homme un peu naïf et régulièrement pris par le doute. C’est qu’à tout prendre son itinéraire ne fait que commencer…

 

Mais on croise donc bien d’autres personnages dans ce gros deuxième volume, qui, comme dans le premier, volent régulièrement la vedette à Siddartha. Du moins au sens où des arcs narratifs assez développés peuvent les mettre longuement en scène, là où notre héros disparaît purement et simplement de ces pages : il se fait voler la vedette quantitativement, donc. Qualitativement, je n’en suis en effet pas toujours persuadé, et si certaines retrouvailles font plaisir (Tatta et Miguéla au premier chef, mais qui pour le coup sont directement liés à Siddartha), d’autres « écarts » ne produisent pas toujours grand-chose pour l’heure, ou peuvent donner le sentiment de quelque chose d’un peu « facile », peut-être (comme le dernier chapitre avec le géant Yatara, un peu téléphoné, si sa conclusion auprès de Bouddha est importante).

 

Deux de ces personnages pèseront probablement davantage sur la suite des événements. Le premier, et de loin le plus intéressant, est Dévadatta, le fils de l’odieux Bandaka – et qui est semble-t-il destiné à devenir une sorte de « rival » de Bouddha. À ce stade de l’histoire, Dévadatta n’est qu’un tout petit enfant, mais sa vie est déjà très tumultueuse… et passablement morbide. Dès le deuxième chapitre, et de manière bien plus saisissante finalement qu’au travers des austérités des ascètes, Tezuka infuse ainsi dans son récit une noirceur et une violence qui tranchent sur le dessin tout rond et passablement enfantin, y compris donc quand il s’agit de mettre en scène des enfants ; c’est que cette violence, cette rudesse, sont connotées de traits éthiques douloureux et résolument adultes – la sensation de malaise n’en est que plus palpable. Ici, Tezuka subvertit d’une certaine manière le thème classique de l’enfant sauvage : les petits animaux mignons de la forêt qui entourent Dévadatta ne doivent pas tromper, le propos est tout sauf naïf, il est même essentiellement cruel. Mais nous n’en savons pas beaucoup plus pour l’heure – une bonne décennie au moins s’écoulera avant que Dévadatta ne revienne sur le devant de la scène.

 

Le second personnage à évoquer m’a moins convaincu, même s’il présente certaines caractéristiques qui valent d’être soulignées, et qui l’intègrent bien dans le propos plus général de la bande dessinée : il s’agit de Virudhaka, plus communément appelé le Prince Luly (?). Il est le fils du roi du Kosala et d’une esclave de Kapilavastu – ce que tous deux ne comprennent que bien tardivement, eux qui croyaient que la femme était de leur caste, et non un leurre envoyé par leurs faibles voisins… Mais si le roi fulmine, il contient cependant sa réaction ; le Prince Luly est beaucoup moins charitable pour celle qui lui a donné la vie… Il est un nouvel avatar de ces personnages régulièrement croisés dans le premier volume, et qui sont portés aux gestes intolérants et cruels – ces aristocrates et guerriers à la morale plus que douteuse. En même temps, Virudhaka n’est pas Bandaka, c'est-à-dire un personnage unilatéralement détestable, et sa douleur peut à l'occasion toucher le lecteur. Il y a tout de même comme un fâcheux air de déjà-vu… Même si c'est une bonne occasion de revenir sur la critique du système des castes, prépondérante dans le tome 1, beaucoup plus discrète dans celui-ci. Mais l’aspect le plus intéressant du personnage est probablement ailleurs : l’obsession du prince pour la date de sa mort – avec Asaji qui est de la partie. Plus encore que Siddartha à cet égard, il incarne l’antithèse de l’ascète avec la goutte au nez : l’homme qui est obnubilé par sa fin, presque au point de ne plus vivre. Ce qui justifie j’imagine sa place dans cette histoire.

 

Le bilan de ce deuxième volume est assurément positif. Pourtant, je suppose qu’il me faut le placer un bon cran en dessous par rapport au premier : si on en retrouve l’essentiel des qualités, dans le fond comme dans la forme, le récit tend à se disperser un peu trop, et pas toujours très utilement. Si l’épisode consacré à l’enfance de Dévadatta est saisissant, le Prince Luly et quelques autres manquent un peu de caractère.

 

La BD convainc surtout quand elle se focalise sur Siddartha et ses comparses si différents, Dhépa et Asaji. Tezuka met brillamment en scène l’évolution spirituelle de Siddartha jusqu’à son éveil, d’une manière qui parvient, non seulement à intéresser, mais aussi à toucher, un lecteur occidental pour qui le bouddhisme et son histoire ont probablement quelque chose d’un peu obscur – et c’était pourtant particulièrement périlleux.

 

Mais, oui, Tezuka a réussi son coup – et si ce deuxième volume me paraît donc un peu moins bon que le premier, j’en ai grandement apprécié la lecture, et il me faudra lire la suite (j’ai cru comprendre d’ailleurs que le troisième tome… sortait aujourd’hui même !).

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Les Montagnes Hallucinées, t. 2, de Gou Tanabe

Publié le par Nébal

Les Montagnes Hallucinées, t. 2, de Gou Tanabe

TANABE Gou, Les Chefs-d’œuvre de Lovecraft : Les Montagnes Hallucinées, t. 2, [Kyôki no Sanmyaku Nite Lovecraft Kessakushû 狂気の山脈にてラヴクラフト傑作集 vol. 3&4], [d’après une nouvelle de Howard Phillips Lovecraft], traduction [du japonais par] Sylvain Chollet, [s.l.], Ki-oon, [2017] 2019, 336 p.

Attention, il y aura plein de SPOILERS !!!

 

Suite et fin de la sublime adaptation par Tanabe Gou des Montagnes Hallucinées de Lovecraft, avec un deuxième volume probablement encore plus bluffant que le premier – et toujours dans un aussi bel écrin, avec son simili cuir souple, la bonne idée que voilà (à noter au passage, ce second tome est un peu plus long que le premier, d’une cinquantaine de pages).

 

Quand le Pr Dyer et, avec lui, le gros de l’expédition antarctique de l’Université Miskatonic, sont arrivés au camp avancé du Pr Lake, au pied de ces colossales montagnes noires qui constituaient déjà une découverte exceptionnelle, ils ont trouvé une scène effroyable : le camp ravagé, les hommes et les chiens morts et mutilés… et les étranges créatures extraites de la glace disparues. Qu’est-ce qui a bien pu se produire ? La stupéfaction règne – l’angoisse, aussi. Mais la curiosité scientifique demeure – en outre, nos savants constatent qu’il manque un cadavre, celui de Gedney, un doctorant qui assistait le Pr Lake : il pourrait avoir survécu, et permettre de comprendre ce qui s’est passé au juste ! Mais comment retrouver sa trace ? À vrai dire, on est en droit de se demander si le sort de Gedney préoccupe tant que cela le Pr Dyer, quand il décide de partir en avion, accompagné seulement de son assistant, Danforth, pour franchir la passe et découvrir ce qui se trouve au-delà des montagnes…

 

Même s’il s’agira bien d’y trouver une explication au mystère du massacre au camp de Lake : une fois la passe franchie, c’est toute une cité titanesque (ou tentaculaire) qu’ils voient – une cité qui n’a de toute évidence pas été bâtie par des hommes. Ce qui nous vaut de ces doubles planches panoramiques ahurissantes, Tanabe Gou sachant à merveille retranscrire la démesure non humaine de cette mégalopole par essence cyclopéenne. L’avion se pose, et les deux scientifiques se mettent à parcourir cet environnement totalement fou, en quête de réponses… peut-être pas tant sur le sort de Gedney, ou ce qui s’est passé au camp de Lake, plutôt concernant l’histoire préhumaine de la Terre – et le caractère profondément dérisoire de l’humanité au regard du temps et de l’espace.

 

Dès lors, la où le premier tome mettait en scène toute une troupe de scientifiques agissant avec méthode, ce second volume, pour l’essentiel, se focalise sur deux personnages seulement, Dyer et Danforth – lesquels sont emportés par une pulsion de curiosité presque pathologique, où l’intérêt scientifique, la fascination métaphysique et la terreur pure se mêlent sans cesse. Et, à vrai dire, si nos « héros » demeurent des chercheurs avides de savoir, et si le récit se fait l’écho de découvertes scientifiques récentes (notamment la dérive des continents, selon Wegener, hypothèse avancée quelques années plus tôt mais qui ne serait totalement acceptée que bien plus tard), la science ne joue à ce stade plus le même rôle central que dans le premier tome – la transition entre ces deux parties étant par ailleurs remarquablement bien conçue. C’est que la science, cette fois, n’offre pas vraiment de réponses – elle botte en touche, d’une certaine manière, car ce que découvrent Dyer et Danforth dans la cité invalide trop de données censément « acquises », car bien trop centrées sur l'homme.

 

Mais, oui, la quête du savoir persiste – qui motive Dyer, surtout, et en dépit du bon sens ; là où le jeune Danforth, amateur de Poe, a bien conscience de ce qu’une menace inconnue rôde dans la cité, Dyer, lui, n’en tient pas compte – il lui faut toujours avancer un peu plus, ils ne sauraient repartir avant d’avoir jeté un œil à la pièce suivante, puis à la suivante, puis à la suivante, etc., c’est sans fin. Or il est vrai que les parois des couloirs et des plus grandes pièces abondent en révélations stupéfiantes, qui produisent sur le lecteur aussi bien que sur Dyer et Danforth cette sensation de « sense of wonder » trituré par Lovecraft, qui associe en vérité l’émerveillement scientifique à la terreur pure, la fascination faisant office de passerelle entre ces deux ressentis.

 

Car, comme dans le roman de Lovecraft, les frises instruisent nos explorateurs de toute l’histoire (et même de la société !) des « Anciens ». Or c’est à la fois un élément déterminant du récit, et quelque chose d’un peu problématique dans sa structure – on a du mal à croire que Dyer et Danforth puissent en apprendre autant en quelques heures seulement d’exploration, au rayon d’une lampe torche, et sans maîtriser l’écriture hiéroglyphique ou peut-être plutôt cunéiforme des bâtisseurs de la cité… Et c’est aussi un aspect de la narration qui peut paraître intimidant à mettre en scène.

 

Pourtant, là encore, Tanabe Gou a fait le choix de la fidélité, et s’attarde donc, le long de trois chapitres, à mettre en scène ces découvertes hallucinantes. Et le résultat… est tout bonnement bluffant. Je ne vais pas revenir dans les détails, ici, de ce qu’est, ou n’est pas, « l’indicible lovecraftien », tout spécialement au regard des Montagnes Hallucinées, je me suis étendu à ce sujet, entre autres, en chroniquant le premier tome de cette adaptation, qui s’y prêtait bien. Mais, dans ce deuxième volume, l’éventuelle ambiguïté à cet égard n’est clairement plus de mise : si ce qui nous est montré demeure essentiellement incompréhensible ou peu s'en faut, les monstres indicibles sont néanmoins en pleine lumière, car ce sont eux-mêmes qui racontent leur propre histoire, centrée sur eux et non sur l’humanité – laquelle s’avère bien être une de leurs créations périphériques, une fantaisie de peu d’importance, conçue par erreur ou par jeu… Et le mangaka en tire le meilleur parti, livrant des planches bluffantes, résolument non humaines, qui peuvent évoquer les gravures d’un Gustave Doré, celles de La Divine Comédie de Dante notamment, ou peut-être aussi, dans la profusion des détails surréalistes, les tableaux de Jérôme Bosch, et sans doute d’autres prestigieux noms encore. Tout spécialement, peut-être, quand le récit de la gloire et de la décadence des Anciens se pare d’atours épiques, en rapportant les guerres apocalyptiques qui les opposent aux rejetons de Cthulhu, puis aux Mi-Go, enfin… à leurs esclaves que sont les Shoggoths, qui prennent le relais de leurs anciens maîtres, et rapportent en définitive les faits à leur manière bien différente.

 

Un autre point appréciable de l’adaptation de Tanabe Gou est que, dans ces passages, mais aussi dans d’autres qui suivent, il a su rendre la dimension étrangement (ou pas) utopique de la description de l’univers antédiluvien des Anciens : ceux-ci ne sont pas simplement « des monstres », mais ils ont développé une civilisation brillante et qui devrait susciter, aux yeux d’un scientifique, l’admiration au moins autant et peut-être plus que l’effroi – si celui-ci persiste du fait de la requalification brutale de l’humanité que la découverte de cette histoire implique.

 

D’ailleurs, Tanabe Gou négocie plutôt bien à cet égard un autre passage périlleux du court roman de Lovecraft, quand Dyer, même en ayant bien en tête le sort de ses compagnons au camp de Lake, puis du « pauvre Gedney », fait cet aveu un peu naïf dans la forme, de ce que les « Anciens » sont d’une certaine manière des « humains »…

 

Et notamment en ce qu’ils sont aussi des victimes – de leurs propres créations, autant dire de leurs propres torts : les Shoggoths. Parce que Tanabe Gou a su aussi brillamment mettre en scène la gloire des Anciens, leur sort aux mains de leurs esclaves protoplasmiques peut toucher le lecteur comme Dyer et Danforth – et la vision de ces êtres décapités produit bel et bien, d’une certaine manière, un effet comparable à celui de la découverte des humains et des chiens mutilés dans le camp de Lake, par ces mêmes créatures.

 

Mais, oui, si l’horreur revient en force dans les derniers chapitres, c’est bien via les Shoggoths – ces monstres d’aspect fluctuant et indiscernable, ces masses changeantes et proprement indicibles. Mais parce que Tanabe Gou a su « montrer » les Anciens et leurs adversaires, il peut enfin montrer les Shoggoths – et, là encore, mêler la fascination et l’effroi, dans le ressenti de Dyer et Danforth comme dans celui du lecteur. Au point à vrai dire d’une séquence assez improbable, et qui aurait pu se montrer grotesque en d’autres circonstances, où l’on a l’impression… d’un arrêt sur image ? « Freeze », ce qui est approprié pour un récit en Antarctique… Quoi qu’il en soit, Dyer et Danforth fuient… mais en définitive se retournent pour voir ce qui les poursuit – ils « bloquent », comme le lecteur.

 

Et c’est peut-être ici que Danforth sombre dans la folie. Laquelle atteindra cependant une étape supplémentaire quand les deux explorateurs, parvenus tant bien que mal à quitter la cité et à retrouver la lumière du jour, montent dans leur avion et ont encore à franchir la passe qui les ramènera auprès des autres survivants de l’expédition de l’Université Miskatonic. Lors de ce vol tumultueux, Danforth voit… quelque chose. Mais, comme dans le roman de Lovecraft, l’adaptation par Tanabe Gou joue à nouveau ici, et à plein, de l’ambiguïté, après avoir tant montré (et de manière pertinente) au long de ce deuxième volume : ce que voit Danforth demeure cette fois insaisissable, indicible ; le dessin comme le récit autorisent bien des hypothèses, mais, cette fois, en dernier ressort, nous ne savons pas.

 

Et c’est terrible.

 

La bande dessinée s’achève sur un épilogue à Arkham, où Dyer évoque la folie de Danforth, et, surtout, fait le choix de raconter son histoire, mais en privé, pour dissuader l’expédition Starkweather-Moore de se rendre à nouveau dans cet endroit effroyable au bout du monde, abondant en révélations que l’humanité n’est à ce stade tout simplement pas en mesure d’encaisser… Peine perdue ? La suite, pour les rôlistes, ce sera Par-delà les Montagnes Hallucinées

 

Et… Oui, c’est bluffant. Tanabe Gou a réussi son pari, haut la main. Son adaptation des Montagnes Hallucinées est tout bonnement brillante, peu ou prou parfaite – très fidèle, par ailleurs, mais surtout très juste, fond et forme, parfaitement dans le ton. Si j’avais une seule petite, infinitésimale, réserve, au regard du dessin, ce serait encore une fois à propos de ces regards perpétuellement fous qui caractérisent… eh bien, à peu près tous les personnages humains. Cela dit, dans ce tome 2, le trop caricatural Pr Lake n’est plus de mise, et les découvertes stupéfiantes dans la cité des Anciens justifient sans doute le regard exorbité de Dyer – et que celui de Danforth soit de plus en plus fou au fur et à mesure de leur pérégrination. Mais c’est une critique bien dérisoire de toute façon…

 

Oui, Tanabe Gou a vraiment livré un travail exceptionnel. Cette brillante adaptation des Montagnes Hallucinées le hisse sans peine au niveau des meilleurs illustrateurs de Lovecraft – disons-le : au niveau de Breccia ; ils sont désormais deux tout en haut de la pyramide (cyclopéenne).

 

À cet égard, ce deuxième volume est à vrai dire probablement plus bluffant encore que le premier, ce qui n'était pas gagné, au regard des difficultés que présente le récit lovecraftien dans sa seconde moitié.

 

C’est peu dire que Tanabe Gou a progressé depuis sa première adaptation lovecraftienne, The Outsider

 

Et maintenant ? Maintenant, j’espèce que Ki-oon nous livrera la suite – les autres adaptations lovecraftiennes de Tanabe Gou. Le titre complet de cette édition, soit Les Chefs-d’œuvre de Lovecraft, semble laisser entendre que ça sera bien le cas – outre que, pour ce que j’en ai lu ici ou là, le premier volume des Montagnes Hallucinées a vraiment très bien marché, séduisant la critique comme le public, au point de rendre nécessaire une réimpression précoce. J’ai entrevu quelque part une rumeur évoquant Dans l’abîme du temps ? Je ne sais pas quel crédit il faut y accorder, mais, vraiment, j’espère de tout cœur que Ki-oon poursuivra dans cette voie – et on peut bien remercier l’éditeur pour ce choix et la qualité de cette édition française. C’est tout simplement parfait.

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L'Homme sans talent, de Yoshiharu Tsuge

Publié le par Nébal

L'Homme sans talent, de Yoshiharu Tsuge

TSUGE Yoshiharu, L’Homme sans talent, [Munô no hito 無能の人], traduction [du japonais par] Kaoru Sekizumi et Frédéric Boilet, adaptation graphique [par] Frédéric Boilet, postface de Stéphane Beaujean et Léopold Dahan, [Genève], Atrabile, [1985-1986, 1988, 2004] 2018, 224 p.

Une fois de plus, c’est l’excellente revue Atom qui m’a incité à me pencher sur l’œuvre de Tsuge Yoshiharu – un auteur semble-t-il considéré au Japon comme un géant dans son registre, mais qui demeure assez mal connu en France… ce qui pourrait bien changer assez vite ? En effet, outre, ce qui va nous retenir aujourd'hui, la réédition chez l’éditeur suisse Atrabile de L’Homme sans talent, longtemps le seul volume de l’auteur traduit en français (chez feu l’éditeur Ego comme X), ces derniers mois ont vu Cornélius se lancer dans l’édition de ses autres œuvres, au travers de luxueux recueils d’histoires courtes (Tsuge n’a jamais livré de série – ou alors ce serait justement L’Homme sans talent qui s’en rapprocherait le plus) : c’est qu’il a d’abord fallu vaincre les préventions de l’auteur lui-même, jusqu’alors rétif à la traduction de ses BD. Ce qui explique pourquoi Tsuge Yoshiharu demeure donc méconnu en France et ailleurs dans le monde, ceci alors même que son approche du manga ou du gekiga, très « auteur », paraît parfaitement adaptée pour un public friand de, mettons, Taniguchi Jirô. Encore que l’approche graphique aussi bien que narrative des deux auteurs ne soit certes pas la même.

 

La carrière de Tsuge Yoshiharu, dépressif chronique, anxieux, d’une timidité maladive, mais aussi auteur porté à expérimenter et à chambouler les cadres, est en dents de scie, marquée par un certain nombre de ruptures brutales. Il fait ses premières armes dans les années 1950, et, comme beaucoup, dans le circuit des librairies de prêt, ce qui lui vaut à terme d’attirer l’attention – même si, dans un premier temps, comme beaucoup là encore, il s’inspire beaucoup alors du dieu Tezuka, tout en renâclant un peu à livrer ainsi des mangas figurant des personnages enfantins et à destination d’un public enfantin. Si l’auteur livre alors beaucoup de planches, il en résulte une crise très sévère, tout spécialement quand s'y ajoute un élément sentimental – une rupture douloureuse à la fin des années 1950 le conduit à la tentative de suicide, un événement qu’il racontera lui-même en 1987 dans son ultime BD. Mais nous n’en sommes pas encore là – simplement, Tsuge a besoin de changer d’approche ; et s’il ne fait pas partie des figures fondatrices du gekiga, il devient pourtant assez vite une icône de ce mouvement davantage tourné vers des récits adultes. Cependant, sa manière demeure très personnelle, et il expérimente en revue (et d’abord et avant tout dans la célèbre Garo, à la fin des années 1960) avec des récits courts et sombres, tantôt très réalistes (à un point inouï jusqu'alors), tantôt oniriques (des développements des propres rêves de l’auteur, si pas des adaptations directes de ses rêves), où le sexe a sa part et la morale ou l’édification ses limites, où « l’histoire », enfin, peut se montrer secondaire, avec une focalisation appuyée sur la psychologie des personnages envisagée au prisme de la plus grande authenticité possible. Lors des premières tentatives dans ce genre, le public et la critique sont tout d’abord un peu frileux, mais ils perçoivent ensuite assez rapidement combien l’œuvre de Tsuge est révolutionnaire et unique en son genre – en fait, ce sera au point où Tsuge se verra consacrer le premier hors-série de Garo, comprenant notamment un récit inédit qui fera tout bonnement l’effet d’une bombe. Pourtant, cet « âge d’or » de l’auteur n’est pas sans crises, là encore : Tsuge, indécis, insatisfait, cesse de livrer des BD personnelles pendant un an pour intégrer la bande des assistants de Mizuki Shigeru (qui, sauf erreur, le met en scène dans le tome 3 de Vie de Mizuki), et alternera ensuite pendant quelques années ce travail d’assistant et ses œuvres davantage personnelles (il envisage cette période comme particulièrement fructueuse : il a de son propre aveu beaucoup appris auprès de Mizuki-sensei). Le retour de Tsuge suscite le même mélange d’incompréhension et d’admiration que quelques années plus tôt. Mais, là encore, l’auteur, bientôt au sommet de sa reconnaissance, va brûler les ponts, et interrompre sa carrière de mangaka – pour se livrer à une profonde introspection. Cependant, il reviendra encore dans les pages des revues quelques années plus tard, et livrera ses derniers récits, qui mettent plus que jamais en avant la composante autobiographique de son œuvre, au point où l’on a fait de Tsuge le chantre d’une « BD du moi » (watakushi manga), répondant au genre littéraire très japonais qu’est le « roman du moi » (watakushi shôsetsu) – je vous renvoie à ce que j’avais pu en dire en chroniquant, par exemple, La Déchéance d’un homme, de Dazai Osamu, un titre pas si éloigné de ce qui nous intéresse aujourd’hui. C’est à cette époque, en 1985-1986, que Tsuge livre les « épisodes » de L’Homme sans talent – mais l’année suivante, il livrera ses dernières histoires : il n’a plus dessiné la moindre planche depuis 1987.

 

L’Homme sans talent, donc – ou l’homme « inutile », car c’est un autre sens possible de Munô no hito. Il s’agit d’une des toutes dernières œuvres de Tsuge Yoshiharu, parue en 1985-1986 dans les pages de la revue Comic Baku. Et, si le personnage de « l’homme sans talent » a (exceptionnellement ?) un nom, Sukegawa Sukezô, il renvoie assez clairement pour l’essentiel à Tsuge lui-même, la BD étant parsemée de références autobiographiques explicites – L’Homme sans talent relève à cet égard de la veine watakushi manga de l’auteur, et en est peut-être l’expression la plus poussée, psychologiquement sinon factuellement.

 

Car Sukegawa Sukezô n’est certainement pas « sans talent » : en fait, il a été un mangaka plutôt loué par la critique, surtout, mais dont le succès populaire n’était en même temps pas négligeable. Seulement voilà : depuis des années maintenant, il ne veut plus dessiner de mangas – il refuse sans plus d’explications toutes les offres qu’on lui fait, toutes les commandes qu’on lui propose, mais sans chercher non plus à placer des travaux plus personnels, qu’il ne dessine de toute façon pas.

 

Que fait-il, alors ? Eh bien, il se livre à une série de petits boulots tous plus improbables les uns que les autres – et certains renvoient directement à l’expérience de Tsuge lui-même lors de sa phase de retrait et d'introspection : tout spécialement, il devient pendant un temps un réparateur et vendeur d’appareils photo d’occasion, comme l’auteur. Mais ce sont probablement ses autres « emplois » qui retiennent le plus l’attention, et d’abord et surtout celui de vendeur de suiseki, ou « pierres-paysages » : il s’agit de ramasser des cailloux dans la rivière, dont les formes naturelles (aucune intervention humaine !) évoquent tel ou tel paysage, ou animal, ou homme, éventuellement des choses plus abstraites – et de les vendre. Le suiseki a connu une certaine vogue pendant un temps, mais, quand Sukegawa s’y met, c’est passé de mode depuis longtemps – et surtout… vendre ces pierres qui n’ont au fond rien d’exceptionnel ? sur un étal à proximité de la rivière même où Sukegawa les a ramassées ? quand il suffit de se pencher pour cela ? Cela fait des mois qu’il s’est installé là, et, sans surprise, il n’a pas vendu la moindre pierre… Alors il rêvasse, envisageant d’autres emplois saugrenus – il pourrait rouvrir le vieux péage, par exemple, et taxer les gens qui veulent traverser la rivière, quitte à les porter sur ses épaules, en attendant d’avoir une barque…

 

Son « travail » l’amène à croiser la route de gens comme lui – des « antiquaires », disons. Des personnages un tantinet excentriques, souvent des losers ainsi que lui-même (un terme qui n’a jamais été insultant que dans la bouche des connards qui s’autocongratulent pour être des winners), parfois terre-à-terre (l'argent est une préoccupation pour la survie au quotidien), parfois ou en même temps davantage des rêveurs, comme Sukegawa – portés à narrer des histoires étonnantes, comme celle, grand moment onirique de L’Homme sans talent, de cet oiseleur qui aurait bien fini par s’envoler lui-même… à moins que sa fin n’ait été autrement sordide et déprimante. Des hommes enfin dont les passions généralement incongrues ont quelque chose d’obsessionnel. Un petit cercle plus ou moins amical, parfois réconfortant, parfois pénible – tantôt admirable, tantôt irritant : autant de variations sur le personnage complexe qu’est Sukegawa lui-même, autant d’adeptes de la fuite, de manière générale, et pas seulement devant leurs responsabilités – mais rien d’étonnant dès lors si Sukegawa, sur le tard, se pose la question de « l’évaporation » (je vous renvoie à mes articles sur le reportage Les Évaporés du Japon, de Léna Mauger et Stéphane Remael, et sur le film d’Imamura Shôhei L’Évaporation de l’homme).

 

Or Sukegawa, sans surprise, vit dans la misère – et sa famille avec lui : sa femme procure l’essentiel des maigres revenus du foyer en crise en distribuant des prospectus dans les boîtes aux lettres. Il pourrait mettre fin à tout ça en livrant des mangas – pourtant, il s’y refuse : il ne veut pas, ou ne peut pas. Il se complaît en fait dans cette misère, comme si, d’une certaine manière, il la recherchait – tout en multipliant les projets saugrenus supposés leur faire gagner beaucoup d'argent, quand l'échec à cet égard est une certitude pour tout le monde sauf notre Homme sans talent. Pour son épouse, c’est une situation toujours plus intolérable – et elle ne cesse de le houspiller tout au long de la BD ; seulement, à force, elle paraît bien comprendre que son mari ne se remettra pas à au manga, la seule chose pour laquelle il est doué, et ne reste dès lors plus dans ses paroles et dans ses gestes que de la rancœur pour cet incapable, ce fainéant, cet époux qui ne remplit pas son rôle d’époux, qui fuit lâchement et égoïstement ses responsabilités. La tension au sein du couple suinte littéralement des pages où figure la femme – et, de manière assez significative, pendant un long moment (une bonne centaine de pages), Tsuge, quand il la dessine, fait en sorte de ne jamais montrer son visage, ce qui ne rend les récriminations incessantes que plus amères et douloureuses, en traduisant bien la honte subie par Sukegawa. Même si celle-ci ne l’incite en rien à contacter les revues, ou même simplement à répondre aux offres qu’on lui fait régulièrement – ce qui va au-delà d’une pose « d’artiste », même si elle lui a sans doute fourni un bon prétexte initialement. Le besoin est là, pourtant – d’autant que le foyer en crise comprend un troisième membre, ce petit garçon plutôt maladif qui, trait récurrent, vient chercher son père absent, indifférent et veule pour le ramener à la maison, à la fin de plusieurs épisodes.

 

Un gimmick qui, à vrai dire, n’est pas dépourvu d’un certain humour, si passablement tordu et malaisant. C’est que L’Homme sans talent n’est pas une bande dessinée unilatérale. Je suis tout naturellement porté à mettre en avant, comme dans La Déchéance d’un homme, la peinture précise autant que douloureuse de la dépression, et ses implications au regard du travail et de la famille (on m’épargne la patrie, ouf !), mais il y a plus dans cette bande-dessinée : de l’onirisme et, oui, de l’humour, même très amer – j’avoue cependant être bien incapable de mettre l'accent sur les gags, ainsi que le font les postfaciers (qui connaissent sans doute très bien leur sujet, mais le ressenti individuel peut tout de même être assez légitimement différent, car cela vaut aussi pour l’identification).

 

Mais, ici, je suppose que le dessin a sa part, essentielle. Si la couverture de cette réédition chez Atrabile semble mettre l’accent sur la dépression et la douleur (à bon droit en ce qui me concerne), de fait, là encore la BD n’est pas unilatérale – et la silhouette lunaire et gauche de Sukegawa, avec sa moustache emblématique, est à même de susciter le rire comme la pitié, avec quelque chose d’un Charlot peut-être. L'agacement, aussi, certes... Mais les personnages que fréquente Sukegawa ont de même tous des traits caractéristiques, qui facilitent l’identification de manière assez futée, à la limite la plus pertinente de la caricature.

 

Le dessin, de manière plus globale, est assurément remarquable, de grande qualité. Tsuge Yoshiharu compose des planches de toute beauté, faussement simples, généralement sobres, mais toujours bien vues, et on appréciera tout spécialement comment l’auteur parvient à sublimer la composante onirique ou contemplative de son récit en inscrivant ses personnages généralement « simples » dans des décors plus complexes, mais pas nécessairement plus « précis », car le flou, l’indécision, sont souvent de rigueur, toujours avec un à-propos remarquable. C’est vraiment un très beau travail.

 

Amplement convaincu, donc, par cet Homme sans talent qui parle au cœur avec les mots et les traits les plus justes. C’est effectivement une très grande bande dessinée, très personnelle, très juste aussi – et il me faudra jeter un œil au reste de la production de Tsuge Yoshiharu, probablement du coup avec Les Fleurs pourpres, le premier recueil de l’auteur chez Cornélius, tout récemment paru donc, et qui porte sur les années 1967-1968. Bientôt...

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Blame! Deluxe, t. 2, de Tsutomu Nihei

Publié le par Nébal

Blame! Deluxe, t. 2, de Tsutomu Nihei

NIHEI Tsutomu, Blame! Deluxe, t. 2, [Buramu! ブラム!], traduction [du japonais par] Yohan Leclerc, Grenoble, Glénat, coll. Seinen Manga, [1998-2003, 2015] 2019, 373 p.

Retour à Blame!, le manga culte de Nihei Tsutomu, dans sa récente réédition « Deluxe » chez Glénat – avec ce grand format si appréciable pour s’immerger totalement dans les planches virtuoses dépeignant la Mégastructure. Plus précisément avec le tome 2 (sur six prévus), sachant que le tome 3 sortira en principe dans une dizaine de jours.

 

Le premier volume m’avait collé une sacrée baffe – en même temps qu’il m’avait déstabilisé, ce qui, généralement, est plutôt une bonne chose. Le dessin tout en effet d’échelles, la narration mutique, l’absence de scènes d’exposition de quelque ordre que ce soit, tout cela contribuait à rendre ce tome 1 passablement cryptique – et une deuxième lecture s’était avérée précieuse pour ordonner un peu tout ça.

 

Ce trait caractéristique demeure dans le tome 2, mais sur un mode un chouia atténué : l’environnement comme le périple de Killee sont toujours plutôt obscurs, ou hermétiques, mais, avec la longue mise en place du premier tome, certains aspects, sans certes devenir limpides pour autant, sont désormais au moins vaguement de l’ordre du compréhensible.

 

Je suppose que cela doit beaucoup à ce que ce tome 2 est beaucoup moins elliptique que le premier. En effet, là où celui-ci consistait essentiellement en séquences juxtaposées sans vrai liant, avec des rencontres de passage qui ne se prolongeaient pas outre-mesure, une narration plus construite se dégage désormais, notamment du fait que Killee n’arpente plus seul les niveaux interminables de la Mégastructure : à la fin du premier volume, en effet, Killee a fait la rencontre de Shibo, une scientifique au passé un peu trouble (forcément) : le périple n’est dès lors plus solitaire, car les deux personnages voyagent désormais ensemble – et, si Killee demeure essentiellement taciturne, le simple fait d’avoir une compagne de voyage implique davantage de dialogues. La narration mutique du premier volume persiste dans les grandes lignes, mais sur un mode donc un tantinet atténué (les phylactères me paraissent à vue de nez au moins deux fois plus nombreux que dans le tome 1, qui était particulièrement extrême à cet égard). Et un troisième personnage les rejoint bientôt, Sanhakan, qui a ici un rôle de premier plan – et contribue largement, là encore, à faire basculer le récit, de la SF crasseuse et angoissante, à l’horreur pure et simple. Par ailleurs, et c’est lié, ce tome 2 commencera à dévoiler quelques éléments concernant la nature de Killee lui-même, ou son passé.

 

Et, enfin, les communautés rencontrées par les voyageurs ne sont plus nécessairement évacuées dans le sang et les explosions sitôt apparues. Killee et ses compagnes rencontrent ainsi un « village » dont les habitants sont de petite taille, et qui survivent tant bien que mal à proximité d’un immense chantier qui a pour eux quelque chose d’un mystère d’essence religieux. C’est que ces humains (?) ont oublié beaucoup de choses : ils ne savent plus fabriquer les redoutables armes qu’ils utilisent pour leur défense, des sortes de harpons, et ils ne savent pas lire les idéogrammes qui apparaissent çà et là à proximité des Industries : Shibo, elle, en est parfaitement capable, ce qui chamboule la vie de la communauté. On s’en doute cependant : cette révélation aura son coût, et l’utopie tant souhaitée, avec ses mystères, réclamera son lot de cadavres…

 

Mais cela tient aussi à ce que les conflits endémiques à la Mégastructure deviennent un tout petit peu moins hermétiques – car le tome 2 se montre ici plus formel, disons, que le tome 1. Deux factions (au moins – il y en a probablement une troisième) s’opposent en effet – de toute éternité ? Il y a, d’une part, l’Agence Gouvernementale, qui est intimement liée à la mystérieuse Netsphère – elle entend contenir la croissance folle de la Mégastructure, mais à besoin pour cela d’humains se connectant à la Netsphère en disposant des gènes adéquats – ce qui ne se produit tout simplement plus depuis longtemps à ce stade ; l’Agence gouvernementale est ainsi liée à la quête de Killee, à la poursuite de gènes d’accès réseau. Le problème, c’est que l’absence de ces gènes favorise la prolifération des Contre-Mesures attachées à la perpétuation de la Mégastructure et de sa croissance folle ; les objectifs des deux factions s’avèrent donc radicalement antagonistes, et irréconciliables ; or les humains sont pris entre les deux feux… ainsi que nos voyageurs.

 

Les Contre-Mesures sont clairement du côté de l'horreur. Pour autant, je crois que cette opposition fondamentale ne devrait peut-être pas être lue au prisme de l’eschatologie – les choses sont plus complexes que cela, et nos héros seront le meilleur vecteur de cette prise de conscience. Par ailleurs, la vie au sein de la Mégastructure n’est pas entièrement dépendante de cet affrontement, et, peut-être surtout, le développement de la Ville, via les Contre-Mesures mais aussi, de manière plus éloquente, via les titanesques Bâtisseurs (décidément très shoggoths en ce qui me concerne), le développement de la Ville donc ne saurait véritablement être envisagé selon une lecture d’ordre morale : c’est bel et bien toujours l’absurde qui domine, et il serait trop réducteur, je crois, de l’envisager sous un jour unilatéralement négatif, quand bien même il constitue à n’en pas douter un moteur essentiel du malaise, de l’angoisse, voire de l’horreur, qui suintent littéralement de ces pages.

 

J’imagine que certains lecteurs pourraient regretter que Nihei Tsutomu, dans ce tome 2, « explicite » un peu plus aussi bien son univers que ses personnages – une opinion qui se tiendrait parfaitement : l’abstraction absurde et elliptique du premier tome en constituait probablement une force, même si une deuxième lecture pouvait être dans l’ordre des choses pour vraiment apprécier ce que nous racontait l’auteur. Cependant, je crois quant à moi que Nihei a su « doser » ses révélations, tout en conservant l’ambiance hermétique du premier volume, et a ainsi atteint une forme d’équilibre que je trouve appréciable.

 

Mais, bien sûr, ce tome 2 de Blame! brille probablement surtout, ou en tout cas de manière plus immédiatement saisissante, par son graphisme tout bonnement exceptionnel. La Mégastructure est toujours aussi bluffante dans sa démesure, d’autant que les Industries mystérieuses que tentent d’explorer les personnages permettent d’en rajouter une couche, là encore dans les effets d’échelle, mais aussi d’autres manières, par exemple en jouant sur la gravité – et on pense plus que jamais à Escher. Mais il faut aussi prendre en compte ces créatures toutes plus étranges que les autres, dont la nature biomécanique renvoie plus que jamais à Giger outre Mœbius (et à Clive Barker en prose – avec aussi un peu de Lovecraft, décidément). La démesure est là aussi de la partie, qui produit des planches hallucinées et hallucinantes, que le grand format de cette réédition « Deluxe » sublime de manière très appréciable.

 

Les combats sont toujours très présents, mais, là encore, je crois que Nihei Tsutomu est parvenu à une forme d’équilibre dans ce tome 2 – d’autant qu’ils me paraissent un peu plus lisibles, à vrai dire. Le cadrage, dans ces séquences d’action, est toujours aussi génial, et la dynamique davantage palpable à mes yeux. L’auteur succombe peut-être parfois à quelques gimmicks (on ne compte pas les cases où Killee est emporté par le recul de son arme), mais le résultat est de toute beauté, et véritablement fascinant.

 

Ce deuxième tome, même sur un mode un peu différent, s’avère donc à la hauteur du premier – au moins. Je me suis régalé à sa lecture, et j’ai presque autant apprécié, à vrai dire, d’y revenir après coup en l’envisageant cette fois comme un artbook. Hâte donc de passer à la suite, avec le troisième tome, très bientôt.

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Peleliu, Guernica of Paradise, vol. 3, de Kazuyoshi Takeda

Publié le par Nébal

Peleliu, Guernica of Paradise, vol. 3, de Kazuyoshi Takeda

TAKEDA Kazuyoshi, Peleliu, Guernica of Paradise, vol. 3, [Peleliu – Rakuen no Guernica ペリリュー~楽園のゲルニカ~], avec le concours de M. Masao Hiratsuka, traduction [du japonais par] Satoko Fujimoto, [s.l.], Vega, coll. Seinen, [2017] 2019, [208 p.]

Troisième tome de Peleliu, Guernica of Paradise, le manga de guerre de Takeda Kazuyoshi, qui narre les horreurs de la bataille de Peleliu, durant la guerre du Pacifique, en employant un trait enfantin caractéristique, naïf et « super-deformed », qui pourtant n’atténue en rien la violence et l’horreur des événements, l’absurdité scandaleuse de cette boucherie au cours de laquelle le haut commandement japonais a sacrifié des milliers de ses soldats de réserve en ayant parfaitement conscience que la bataille ne pouvait en aucun cas être gagnée.

 

Quand ce tome 3 débute, cela fait bien longtemps que la bataille a commencé – et s’agit-il à vrai dire encore d’une bataille ? Les soldats japonais qui survivent tant bien que mal, par petits groupes, dans les complexes réseaux de grottes de l’île, ne sont pas ravitaillés – cela vaut pour les armes comme pour les vivres ou les médicaments. Vers la fin du volume, un rapport du quartier général fait état de ce que les soldats supposés assurer sa défense ne disposent plus que de pistolets et de vingt balles… Dès lors, dans ce troisième tome, nous ne voyons en fait jamais, sauf erreur, les soldats japonais faire usage de leurs armes contre leurs adversaires américains ; en fait, de manière assez caractéristique, nous ne les voyons vraiment sortir leurs armes que contre eux-mêmes – parce qu’ils se disputent entre eux de la nourriture, notamment, ou parce qu’ils se suicident, en fin de compte.

 

Nous voyons en revanche les soldats américains tirer au canon, à la mitrailleuse ou au lance-flammes sur les soldats japonais – mais on aurait bien tort d’en dériver une lecture manichéenne ou quoi que ce soit du genre : le propos n’est tout simplement pas là. En fait, si le soldat Tamaru et ses camarades sont horrifiés de découvrir que des soldats américains ont mutilé des cadavres japonais pour leur dérober leurs dents en or, ce qui va dans le sens de la propagande impériale qui présente les Américains comme des barbares cruels et sans honneur (un moyen de dissuader les soldats nippons de se rendre à l’ennemi – un parmi tant d’autres, en fait, mais la question est abordée à plusieurs reprises dans ce tome 3, s’il s’agit toujours de conclure à l’impossibilité de ce geste), mais ils découvrent presque immédiatement ensuite des cadavres de soldats américains mutilés par des soldats japonais – qui leur ont tranché la bite et la leur ont enfoncée dans la bouche… L’horreur exprimée (en anglais) par les soldats américains devant ce spectacle répugnant vaut bien celle de Tamaru devant le cadavre japonais dont on a agrandi le sourire...

 

Et ce qui terrifie le plus Tamaru dans cette histoire, au fond, c’est peut-être la prise de conscience que lui-même, le gentil garçon un peu gauche, timide, incapable de faire du mal à une mouche, pourrait se transformer en une brute de cet ordre – la faim, tout spécialement, pourrait lui faire perdre la tête. Jusqu’à présent, il a eu « de la chance », si l’on ose dire, en trouvant régulièrement de quoi boire et de quoi manger – mais il sait parfaitement que cela ne durera pas éternellement, et il a croisé sur son chemin nombre de soldats japonais paniqués, des jeunots qui n’ont jamais connu le feu et qui ne savent absolument pas quoi faire. La possession d’un sac de riz génère l’envie, parfois l’agressivité ; même avec des larmes dans les yeux, on peut menacer son camarade pour l’en délester – on peut même l’attaquer. Et il y a aussi ces personnages plus cyniques, comme surtout le caporal-chef Kosugi, qui survit seul depuis le début de la bataille – il n’est pas à un stratagème près pour prolonger encore cette situation, ne ressent rien pour les autres soldats japonais, et n’hésiterait pas un seul instant à les sacrifier.

 

Mais, à terme, la mort est une certitude – et les soldats japonais, quand ils ne se préoccupent pas de trouver quelque chose à manger, se préoccupent de mourir « de la bonne manière », de sorte que leur famille touche une pension ; ils y reviennent sans cesse, et on a l’impression, à ce stade, qu’ils veulent mourir, pour que les leurs touchent cette dérisoire compensation (un thème qui me renvoie, d’une certaine manière, à l’essai Morts pour l’Empereur de Takahashi Tetsuya). Une situation absurde, qui justifie la mise en scène de tant de morts absurdes, comme dans les deux premiers tomes.

 

L’absurdité de la situation, à vrai dire, frappe de plein fouet Tamaru dans cette scène particulièrement éprouvante au cours de laquelle, retournant dans la vaste grotte où il s’était longtemps réfugié en compagnie de nombreux autres soldats japonais, il découvre qu’elle a été prise d’assaut et qu’il n’y reste absolument rien : ce qui n’a pas « disparu » a brûlé, et cela inclut notamment ces lettres mensongères qu’il avait rédigées en tant qu’attaché au mérite…

 

Tamaru, à son niveau de soldat de première classe, est ainsi bien placé pour entrevoir l’absurdité révoltante de la propagande impériale – s’il n’est certainement pas en mesure de se rebeller : c’est tout bonnement impensable. Mais le QG de Peleliu est dans la même situation : il savait pertinemment que la bataille était perdue d’avance, mais cela fait alors des semaines que les soldats japonais se font massacrer sans être le moins du monde ravitaillés, en armes, en vivres, en médicaments… Depuis quelque temps déjà, le QG réclamait aux autorités impériales l'autorisation de procéder à un « honorable effacement ». Mais le commandement impérial ne veut pas en entendre parler : oui, tous les soldats japonais de Peleliu mourront – mais ils doivent retarder cette mort aussi longtemps que possible : le bon soldat de Sa Majesté Impériale souffre sans se plaindre. En compensation, parfaitement dérisoire, le contingent de Peleliu reçoit les « Félicitations Impériales », un honneur recherché – mais que ces félicitations soient adressées onze fois aux soldats de Peleliu, un nombre record, en dit en fait long sur ce qui se passe sur cette île des Philippines…

 

Quand ce troisième tome s’achève, cependant, le nom de code a été lâché : « Sakura, sakura », soit la fleur de cerisier, symbole traditionnel du Japon, la fleur qui n’est jamais aussi belle que quand elle meurt, et dont le caractère éphémère même contribue à la beauté… Et se dessine dès lors une autre horreur : celle d’un contingent bientôt contraint de marcher de lui-même vers sa propre mort… à vrai dire envisagée comme une délivrance par beaucoup ; mais le sera-t-elle toujours, au moment d'accomplir véritablement le geste fatidique ?

 

La lecture de ce troisième tome est au moins aussi éprouvante que celle des deux premiers. En fait de manga de guerre, c’est l’antithèse de la soupe que le sujet militaire suscite bien trop souvent, notamment dans un certain cinéma américain : Peleliu ne parle pas, jamais, d’héroïsme – car il n’y a rien d’héroïque dans tout cela ; il ne sort jamais les flonflons patriotiques, parce que le dévouement à la patrie y est présenté pour l’horrible et irrationnelle imposture qu’il est toujours.

 

Mais cela ne signifie pas que l’émotion en est absente, sur d’autres modes – dépressifs, dérisoires, drôles mais absurdement. Le dessin de Takeda Kazuyoshi y participe, d’ailleurs – pas aussi simple qu’il en a l’air, et certainement pas simpliste : l’épuisement moral de Tamaru découvrant la grotte ravagée au lance-flammes a de quoi vous serrer le cœur.

 

Mais, en une occasion, le propos se fait un tout petit peu plus léger – quand les soldats égarés découvrent que Tamaru est un dessinateur (lui-même, à ce stade, s’est rendu compte qu’il arrivait au bout de son carnet, et cette perspective l’abat presque aussi sûrement qu’une balle américaine, ou la faim lui brûlant le ventre), et lui demandent de leur faire des dessins… de femmes. Nues. Blanches, blondes… Un camarade, pourtant, lui demande un autre dessin : celui de son père décédé, de sa mère, de sa sœur à la constitution fragile ; ses photos sont passées, elles sont en train de disparaître – le dessin de Tamaru contribuera à préserver leur image…

 

Et c’est bien entendu ce que fait le manga de Takeda Kazuyoshi. Ce troisième tome de Peleliu, Guernica of Paradise est à la hauteur des deux premiers : terrible, poignant, révoltant, déprimant.

 

Juste.

 

Nécessaire.

 

À suivre, donc.

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La Vie de Bouddha – Intégrale, vol. 1, d’Osamu Tezuka

Publié le par Nébal

La Vie de Bouddha – Intégrale, vol. 1, d’Osamu Tezuka

TEZUKA Osamu, La Vie de Bouddha – intégrale, vol. 1, [Budda ブッダ], traduction [du japonais par] Jacques Lalloz, préface de Patrick Honnoré, Paris, Delcourt/Tonkam, coll. Tezuka, [1972] 2018, 809 p.

Delcourt/Tonkam poursuit ses très luxueuses rééditions « intégrales » des œuvres de Tezuka Osamu : après une première salve constituée par Ayako et les deux volumes de L’Histoire des 3 Adolf, en voici une deuxième, avec Barbara (en un seul tome) et les deux premiers volumes de l’intégrale de La Vie de Bouddha, qui devrait en comprendre quatre – on est donc, dans ce dernier cas, sur une œuvre d’une tout autre ampleur, sur laquelle l’auteur a travaillé une dizaine d’années, et ce fort premier tome dont je vais vous entretenir aujourd’hui pèse déjà ses 800 pages…

 

La Vie de Bouddha est souvent comptée parmi les plus grands chefs-d’œuvre de l’auteur, qui en a commis quelques-uns – c’est aussi une BD importante dans sa carrière, car elle a quelque chose, de plus ou moins défini, qui s’inscrit dans la « transition » opérée par Tezuka dans les années 1970, vers des récits plus adultes et/ou plus sombres ; Ayako en est peut-être une illustration plus franche, tandis que L’Histoire des 3 Adolf est une œuvre tardive, datant d’après cette transition, mais la masse colossale de La Vie de Bouddha y a probablement sa part. Le dessin demeure très rond et dynamique, à la façon des réalisations antérieures de l’auteur plus enfantines, mais le propos est autrement sombre, ou peut-être surtout ambigu, avec des personnages qu’il n’est pas toujours aisé de faire rentrer sans y revenir à deux fois dans les cases du « bien » et du « mal » ; par ailleurs, la violence de cette BD, et son caractère très cru à l’occasion (dans des registres sexuels ou même scatologiques), en dépit du trait plutôt naïf, ont de quoi surprendre un lecteur occidental qui s’attend à lire une sorte d’hagiographie…

 

Mais s’agit-il seulement de cela ? La question est compliquée, et, honnêtement, je ne dispose pas des éléments me permettant d’y répondre de manière assurée. Cette question, pourtant, je me la posais avant même de faire l’acquisition de ce premier volume – je me demandais si moi, occidental et non-bouddhiste, j’allais y panner quoi que ce soit, ou même être seulement touché par le propos. Je me demandais si un certain exotisme malvenu, même de nature spirituelle, ne risquait pas de fausser mes perceptions, moi qui étais visiblement prêt à me pencher sur une BD rapportant La Vie de Bouddha, là où je n’aurais peut-être (probablement…) pas été le moins du monde attiré par une BD traitant de La Vie de Jésus, et peut-être à tort d'ailleurs. Et, à cet égard, je me demandais quelle était au juste la position de Tezuka lui-même au regard de son sujet : s’agissait-il de l’œuvre d’un croyant ? Voire d’un dévot ? Auxquels cas, quels seraient les biais que le bouddhisme japonais impliquerait dans cette narration ? Ou n’était-ce de toute façon qu’un prétexte ? Ce qui me paraissait relativement probable, mais… Je me doutais, en revanche, que cette Vie de Bouddha ne s’inscrirait probablement pas dans un registre historique à proprement parler, mais jouerait de tout ce que la tradition religieuse a très tôt rapporté de fantastique dans la vie du prince Siddartha peu ou prou divinisé (Siddartha, oui, c'est ainsi qu'apparaît ce nom dans la BD, là où on rencontre plus souvent « Siddharta » ou « Siddhartha », ai-je l'impression, mais je vais me plier à ce choix dans cette chronique). Maintenant, qu’allais-je faire de tout ça ? Cette BD était à mes yeux aussi attirante qu’intimidante – et pas seulement en raison de sa masse impressionnante…

 

Et certaines de ces interrogations demeurent au sortir de ce premier volume, si d’autres ont peut-être d’ores et déjà trouvé leurs réponses. Ce qui apparaît certain, en tout cas, c’est que cette Vie de Bouddha n’est pas l’œuvre de ce que l’on qualifierait, dans le monde catholique, d’une « grenouille de bénitier » : si Tezuka respecte sans l’ombre d’un doute la figure de Bouddha, auréolée par ailleurs de tous ses traits semi-divins (ou divins tout court), c’est dans un contexte où elle se fait régulièrement voler la vedette par d’autres personnages, à vue de nez des créations personnelles de l’auteur le plus souvent. Par ailleurs, la dignité globale du propos s’accommode de traitements qu’un bigot jugerait irrévérencieux – l’aventure est frénétique, quand Bouddha lui-même n’est pas au cœur du propos, et l’humour est très présent, qui joue par exemple des anachronismes, très nombreux, en même temps que le dessin de l’auteur lorgne plus qu’à son tour sur la caricature, y compris, bien sûr, quand il s’agit d’apparaître lui-même dans sa BD, dans un traditionnel caméo. Enfin, dans un registre probablement un peu différent, il faut relever combien Tezuka « profite » de son sujet pour développer des thèmes qui, sans être annexes, certainement pas, ne coulaient peut-être pas de source à ce point : ici, tout spécialement, il insiste sur l’horreur que lui inspire le système des castes, c’est vraiment un thème central de ce premier tome – et, à ses côtés, l’idée que la séparation entre les hommes et les animaux n’a pas non plus lieu d’être. Sauf erreur, le bouddhisme a pu s’opposer historiquement aux castes, et ce rapport aux animaux y a souvent été associé dès les origines (débouchant éventuellement sur le végétarisme) ; mais peut-être n’était-ce pas de manière aussi franche ? Je ne suis pas sûr de moi – mes connaissances en la matière sont limitées, euphémisme, même si, avant de lire cette BD, j’ai jugé bon d’éclairer un chouia ma lanterne en lisant Le Bouddhisme d’Henri Arvon… Ce qui s’est avéré assez utile, cela dit, au plan notamment de la contextualisation, historique mais aussi spirituelle.

 

Mais Bouddha, dans cette BD rapportant sa vie, n’est pas toujours au cœur du propos. À vrai dire, sa naissance n’a lieu que vers la fin du premier tome compilé dans cette intégrale, soit un peu avant la moitié de ce premier volume. Et il s’en est passé, des choses, avant cela ! Des choses qui peuvent paraître tout d’abord bien éloignées de la vie de Bouddha, même si tout y est lié d’une manière ou d’une autre…

 

Après un bref préambule remontant aux origines de la civilisation aryenne et de sa spiritualité, avec le système des castes donc et la primauté accordée aux brahmanes, nous passons aux environs du Ve siècle av. J.-C., dans le nord de l’Inde, quand un brahmane particulièrement respecté du nom d’Asita (un personnage historique, même si Tezuka ne reprend pas dans le détail la légende bouddhique le concernant), quand Asita, donc, après avoir rapporté un vieux mythe énigmatique qui introduit d’emblée le thème de la non-discrimination entre les hommes et les animaux, émet une prophétie : viendra bientôt un homme sortant de l’ordinaire, et qui sera « le roi du monde ». Il dépêche un de ses disciples, le jeune Naradatta (qui semble là encore avoir un modèle historique), pour trouver cet homme. Le brahmane part sans plus attendre et, très sûr de lui, suppose que l’homme qu’il cherche appartient à sa propre caste – comment pourrait-il en aller autrement ? Toutefois, il doit bientôt se confronter à la charlatanerie de certains des siens, et la piste du « roi du monde » l’amène à s’intéresser tout particulièrement à un enfant… qui n’est pas le prince Siddartha, alors même pas né.

 

Pire, cet enfant, du nom de Tatta… est un intouchable ! Un paria – hors-castes, plus bas encore que les esclaves… Et nous faisons bientôt sa rencontre : il s’avère qu’il s’agit d’un petit voleur, à la tête de sa bande de gosses aussi intouchables que lui… Ses traits évoquent un Astro, le petit robot, avec quelque chose de rusé et malicieux en sus – et il se balade tout le temps à poil, il n’est certes pas le seul dans cette BD. Mais il s’agit bien d’un être hors du commun : il bénéficie d’un don unique, la capacité à faire passer son esprit dans celui des animaux – pour sonder leurs pensées ou prendre temporairement le contrôle de leurs corps ; mais avec le plus grand respect ! Au fond, c’est Tatta, en sage incongru, qui tentera tout d’abord d’enseigner au sympathique mais obtus Naradatta le principe de non-discrimination du vivant – même si le brahmane, tout bien disposé qu’il soit, devra connaître bien des épreuves avant d'intégrer pleinement ce précepte, que son maître le sage Asita avait pourtant tenté de lui inculquer dès les premières pages de la BD…

 

Mais Naradatta est un personnage relativement secondaire, bien vite, et ce premier volume, en tout cas sa première moitié, se focalise surtout sur deux autres figures, deux enfants (et des créations de Tezuka, cette fois), Tatta donc, mais aussi Chaprah – qui appartient quant à lui à la caste des esclaves (la plus basse à l’intérieur du système, les parias étant à proprement parler en dehors). La première rencontre entre les deux se déroule très mal, avec Tatta et les siens qui volent à Chaprah des tissus qu’il convoyait pour son maître – lequel le menace en représailles de vendre sa mère ! Pourtant, les deux enfants deviendront bientôt des amis : ils sont aussi courageux l’un que l’autre, mais Tatta a également pour lui sa ruse, son don peu ou prou magique, et, dérivant des deux, une certaine sagesse hors-normes qui le singularise plus encore ; Chaprah, lui, fait preuve d'une détermination presque inhumaine, et a de l’ambition – car il serait prêt à tout pour échapper à sa condition d’esclave ; or une opportunité lui est bientôt offerte, qui lui permet de devenir le fils adoptif du général Boudhaï, le chef des armées du Kosala, puissant royaume voisin de celui de Kapilavastu (tilt !) où vivent nos héros… Boudhaï, à la dégaine hirsute impayable, est un excellent personnage – capable des pires atrocités comme de comportements autrement louables, c’est le type même de ces figures que l’on n’ose trop ranger dans les cases du « bien » et du « mal ». Mais il a certes sa contrepartie dans les rangs des guerriers : l’odieux Bandaka, archer hors-pair et arriviste plein de morgue – le personnage véritablement maléfique de cette histoire, dont les yeux vides traduisent le caractère menaçant et détestable.

 

Mais ce dernier ne prend véritablement de l’importance que plus tard. Or nous y sommes : Kapilavastu est le lieu de l’enfance du Bouddha historique. Les aventures frénétiques de Tatta et Chaprah, riches en rebondissements (et en épisodes typiques du nekketsu, ce registre mythique plus ou moins « créé » par Tezuka – scènes d’entraînement et même de tournoi incluses), des aventures qu’il serait vain de vouloir résumer, sont dès lors entrecoupées de séquences au palais de Kapilavastu, où le couple royal attend la naissance d’un enfant, et tous les signes indiquent qu’il s’agira d’un être exceptionnel : sa mère fait toujours ce rêve impliquant un éléphant qui entre dans son flanc droit, les animaux se montrent si dociles à l’égard du roi qu’il en vient à être dégoûté de la chasse, une nuée de criquets anéantit l’armée du Kosala en même temps qu’elle sauve nos héros en bien fâcheuse posture… Oui, l’enfant à naître est bien le prince Siddartha, qui vient donc au monde (sous cette incarnation ?) un peu avant la moitié de ce premier volume.

 

Le récit procède ensuite par ellipses, et en alternant toujours, quoique avec moins d’ampleur et bien des zones d’ombre, avec les aventures de Chaprah et Tatta qui vieillissent à mesure ; nous avons ainsi des aperçus de l’enfance de Siddartha… lequel ne répond pas tout à fait aux attentes de son roi de père – un personnage plutôt sympathique par ailleurs, mais qui entend élever un prince à même de lui succéder à la tête de Kapilavastu. Caste oblige, ce prince se doit d’être un guerrier ; par ailleurs, devenu adolescent, Siddartha doit se marier, et assurer d’ores et déjà sa succession en concevant un héritier : c’est sa place dans le monde. Mais, c’est peu dire, Siddartha déçoit les attentes de son père : enfant indolent, qui dort beaucoup et s’ennuie quand il ne dort pas, il n’a aucun goût pour le métier des armes, pour la politique ou pour la bagatelle. Ses centres d’intérêt sont ailleurs, et les signes entourant sa naissance trouvent leurs prolongements dans d’autres, plus ou moins explicites, ainsi que dans l’intérêt que lui manifestent divers brahmanes, qu’ils lui soient favorables ou hostiles. À plusieurs reprises, le futur Bouddha est ainsi amené à quitter le palais de Kapilavastu pour découvrir le monde – et, si ce tableau commence d’ores et déjà à l’édifier, il lui répugne plus qu’à son tour : le prince Siddartha, sans le savoir, prend le relais des interrogations de Chaprah sur le sort qui est le sien, et celui des esclaves, mais en fait au-delà celui de tous les hommes, sans discrimination (de castes ou autre) ; il entrevoit la vérité première, qui est que la vie n’est que souffrance. Il lui faudra encore approfondir son expérience pour dériver de cette vérité les trois autres qui forment le substrat du bouddhisme – dans la continuité des préceptes des brahmanes parfois (le principe de causalité est envisagé d’emblée comme essentiel, et associé à la transmigration des âmes), en s’y opposant le plus souvent.

 

Quand ce premier volume s’achève, Siddartha a enfin pris sa décision : il ne succédera pas à son père, il ne sera pas un guerrier, il ne cherchera pas l’amour (ou plus exactement il le rejettera, car, d’une certaine manière, il l’avait trouvé sans qu’il le désire) ; il partira sur les routes en quête de sagesse, pour comprendre ce monde si hostile qui l’entoure – et, d’une certaine manière, trouver comment y vivre.

 

On imagine mal le prince Siddartha, moine errant, et futur « roi du monde », vivre des aventures aussi rocambolesques que celles de Tatta et Chaprah – il y a donc un contraste entre les deux moitiés de ce premier volume, qui suscite des interrogations quant à la suite, laissant supposer un ton tout différent. Ceci étant, jouant de la carte mythologique, Tezuka peut dans ces deux approches faire usage du merveilleux – de ce que l’on qualifierait, dans un registre non spirituel, de fantasy, au fond, sur les bases du monomythe redéfini en nekketsu. J’avoue être assez curieux de voir comment les choses évolueront…

 

Car ce premier tome m’a amplement convaincu, oui. Il m’a tout d’abord surpris, comme décidément nombre de BD japonaises – mais il m’a assurément emballé. L’art du récit de Tezuka, mais aussi son dessin, même rond et enfantin, remarquablement dynamique par ailleurs (et bénéficiant à cet égard d’un découpage complexe, souvent « éclaté »), emportent l’adhésion.

 

La Vie de Bouddha, comme il se devait, n’implique pas, de la part du lecteur, une adhésion spirituelle particulière – si ce n’est celle à des valeurs somme toute universelles, ou ce qui s’en rapproche le plus dans un monde par essence complexe et contrasté :  celles de l’humanisme. C’est au fond de cela que traite Tezuka, au prétexte du bouddhisme. Ce qui en fait une lecture universelle, autant qu'il est possible du moins.

 

Admirable, et à suivre.

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Je suis Shingo, vol. 4, de Kazuo Umezu

Publié le par Nébal

Je suis Shingo, vol. 4, de Kazuo Umezu

UMEZU Kazuo, Je suis Shingo, vol. 4, [Watashi wa Shingo わたしは真悟], traduit du japonais par Miyako Slocombe, Poitiers, Le Lézard Noir, [1984-1985, 1996] 2018, 414 p.

Avec pour le coup un peu de retard sur la parution, je reviens sur la série Je suis Shingo d’Umezu Kazuo, avec un tome 4 (sur six)… aussi déconcertant que ses prédécesseurs, mais que je ne suis pas bien certain d’avoir autant aimé, pour le coup – en tout cas, l’auteur y a pété un câble, ou, disons, plus exactement, un de plus. Comme d’hab’, le risque de SPOILERS est non négligeable, alors méfiance…

 

Le tome 3 (en fait avec un petit prologue tout à la fin du tome 2) avait fait basculer la série dans l’horreur – le genre de prédilection de l’auteur – en même temps que la dimension proprement science-fictive devenait toujours plus frontale. La relative naïveté du premier tome, où la SF perçait à l’horizon mais guère plus, et le poignant quasi-shinjû du tome 2, paraissent désormais bien loin.

 

Impression renforcée par le changement des protagonistes principaux : depuis, Marine et Satoru n’ont guère été qu’entraperçus ici ou là, davantage d’ailleurs la petite fille, « exilée » en Angleterre, que son amoureux. L’essentiel de ce tome 4 poursuit dans cette voie, en introduisant de nouveaux personnages qui, dans leur confrontation au robot Shingo, ne lui volent certes pas la vedette, mais n’en occupent pas moins le premier plan, comme antagonistes le cas échéant, tout au long du volume. Cependant, Marine se voit accorder un certain nombre de pages, bien plus que dans le tome 3… et à vrai dire probablement les plus problématiques de ce tome 4.

 

On peut en gros scinder ce volume en trois arcs. Le premier, qui se tient relativement tout seul, reprend les choses là où le tome 3 s’était (brutalement et douloureusement) arrêté, quand les enfants entendaient protéger le robot Shingo contre ses concepteurs qui le traquaient, entreprise généreuse qui débouchait pourtant sur l’horreur pure – avec un robot qui ne comprenait pas bien ce qui se passait autour de lui, et commettait dès lors le pire sans s’en rendre compte. Shingo, quoi qu’il en soit, a trouvé refuge dans un immeuble en cours de démolition – mais il est toujours obsédé par le désir de retrouver ses parents Marine et Satoru. Pour ce faire, une prise électrique de bon aloi lui permet de communiquer avec l’extérieur, même sans bien comprendre à qui il s’adresse et ce qu’il peut en attendre : par chance (?), il éveille ainsi la curiosité d’un nouveau petit génie de l’informatique, après Satoru – un autre petit garçon, passionné par les possibilités ouvertes par le hacking aussi bien que par les jeux vidéo, et qui, dans son rapport avec le robot, croit en fait jouer à un jeu d’un nouveau type, en même temps qu’il comprend que des tiers (les concepteurs de Shingo, mais lui n’en sait rien) surveillent ses actions et pourraient prendre le contrôle de son ordinateur en cas de boulette… Si le tome 3, dans ses derniers chapitres, me faisait immanquablement penser à une version gore d’E.T., l’extraterrestre de Steven Spielberg, ici nous louchons clairement sur le Wargames de John Badham, là encore tout récent (le film est sorti en 1983, et ces épisodes datent de 1984-1985). Cependant, quand il s’agira pour le petit garçon de se rendre dans l’immeuble, au secours de Shingo, l’ambiance changera du tout au tout, et reviendra à l’horreur – mais une horreur qui a désormais quelque chose de charnel en même temps que d’hallucinatoire, pas seulement froid et/ou technologique ; Shingo semble (?) susciter des images folles issues des pires cauchemars… Sans que je comprenne très bien ce qui se produit au juste. Ceci étant, tout cela fonctionne bien, dans la lignée des tomes précédents.

 

C’est ensuite que ça se corse… La seconde moitié du volume est en effet occupée par deux arcs plus ou moins parallèles, et qui nous éloignent cette fois du Japon. Nous avons tout d’abord plusieurs chapitres qui se déroulent dans un bateau à destination de l’Angleterre, où la présence de Shingo suscite des scènes cauchemardesques qui renchérissent sur l’horreur hallucinée du début du tome, avec moult atrocités éventuellement très visuelles, accompagnées d’ailleurs d'images proprement psychédéliques à la manière du pire bad trip de votre existence. Parce qu’Umezu est un maître de l’horreur, cela fonctionne plutôt bien, mais je n’ai pas été totalement convaincu, cette fois : on a quand même vraiment le sentiment d’un arc de transition avec scènes et personnages jetables, dans un récit qui pourrait éventuellement être lu indépendamment et se montrer assez satisfaisant de la sorte, comme une nouvelle en forme de condensé d’horreur en huis-clos (à la The Thing, ou peut-être plus encore Alien, en même temps – le film de Carpenter date de 1982, celui de Ridley Scott de 1979), mais qui m’a paru ici un peu trop redondant, même avec des apports relatifs hallucinatoires voire « body horror », et à vrai dire bien trop dilatoire par ailleurs.

 

Mais, surtout, il y a le problème de l’arc « parallèle »… Nous sommes cette fois en Angleterre, plus ou moins autour de Marine, et Umezu Kazuo se lance dans une sorte de délire paranoïaque sur le sentiment anti-japonais, dont je n’ose déterminer s’il doit être pris au premier degré, au second degré, ou au trente-septième post-post-méta-degré. Et pour le coup on est là aussi tenté de faire péter les références filmiques, du genre cette fois Les Guerriers de la Nuit (1979), voire tout bonnement, avec une carte post-apo plus franche, le premier Mad Max (1979 aussi) et peut-être même le second (1981), sans même parler de tous les nanars, italiens notamment, qui ont voulu surfer sur cette vague à la même époque. Quoi qu’il en soit, les Anglais n’aiment vraiment pas les Japonais, un thème qui avait été vaguement introduit dès le tome 3, mais qui prend ici des proportions tout autres ; des furies à moto sèment le chaos dans les rues, et traquent, agressent, torturent et tuent les Japonais qui leur tombent sous la main gantée de cuir clouté ! Au fil de scènes un tantinet nauséabondes qui évoquent plus qu’à leur tour la nuit de cristal… Difficile de prendre tout ça au sérieux – d’autant qu’Umezu en rajoute une couche sur le rapport des Japonais à la technologie et aux machines. Forcément. Ce connard de Robin, qui compte bien se farcir la petite Marine (…), répète le même gag un peu navrant à plusieurs reprises, où il s’étonne de ce que tel ou tel objet de la technologie de pointe japonaise (une télévision, par exemple) connaisse des ratés : si c’est japonais, ça ne peut pas ne pas marcher ! Ce qui est vaguement drôle une ou deux fois devient pénible à la cinquième ou sixième itération… Mais, en même temps, les Japonais entretiennent des liens bizarres et contre-nature avec les machines, c’est notoire – et une des raisons majeures à la furie post-apocalyptique anti-japonaise qui s’empare des rues anglaises… Marine en fait bientôt la démonstration, qui « parle aux machines », frigo comme poupée qui dit forcément « Maman », sans bien appréhender que c’est son « enfant » Shingo, dont elle ne se souvient plus, pas plus que de Satoru, qui se trouve à l’autre bout du fil. Quoi qu’il en soit, Marine veut par-dessus tout retourner au Japon, et le chaos urbain xénophobe qui l’environne prend de plus en plus des atours de grand complot contre le Pays du Soleil Levant et ses ressortissants persécutés… Et, franchement, tous ces passages… c’est un peu rude. Régulièrement ridicule, en fait. Parfois, je suppose que cela tient à une démonstration de l’humour pas qu’un peu tordu de l’auteur, et l’idée de la poupée est plutôt bonne par ailleurs, et le cauchemar vécu par Marine est palpable, mais l’accumulation produit un effet un peu nauséeux qui a fini par m’assommer. Alors, premier degré, second degré, trente-septième post-post-méta-degré ? Je ne me sens pas capable de trancher – ou je n’ose pas, plus exactement. Peut-être la suite nous éclairera-t-elle davantage…

 

Reste que ces chapitres ont pesé dans la balance, et mon sentiment est donc bien plus mitigé qu’au sortir des trois tomes qui précèdent. Peut-être est-ce par ailleurs ce qui a renforcé un sentiment du même ordre concernant cette fois le dessin – de manière sans doute injuste, car on est dans la continuité des tomes précédents et de bon nombre d’autres œuvres d’Umezu Kazuo ; mais, si les planches les plus « expérimentales » sont toujours aussi fortes, qu’elles jouent à nouveau des visuels informatiques ou technologiques, ou s’aventurent sur des terres hallucinées davantage fantastiques, et si quelques scènes d’horreur, çà et là, sont parfaitement horribles (et font mal aux yeux, ce n’est qu’un exemple), le dessin plus « lambda » de la narration « normale » convainc moins, avec notamment ces personnages qui ont toujours la bouche ouverte en forme de rond noir et qui hurlent la moindre de leurs répliques (cette BD fait littéralement mal aux oreilles – et ce qui se justifiait pour le Satoru puéril du début du tome 1 passe moins bien ici).

 

Peut-être faut-il que je mûrisse un peu ce tome 4 – peut-être faudrait-il, par exemple, que je le relise au calme avant de me lancer dans le tome 5, qui ne devrait plus trop tarder en principe. Mais, en l’état, bilan plutôt mitigé, donc – bien inférieur à celui des tomes précédents. Mais on verra ce qu’il en sera de la suite.

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Blame! Deluxe, t. 1, de Tsutomu Nihei

Publié le par Nébal

Blame! Deluxe, t. 1, de Tsutomu Nihei

NIHEI Tsutomu, Blame! Deluxe, t. 1, [Buramu! ブラム!], traduction [du japonais par] Yohan Leclerc, Grenoble, Glénat, coll. Seinen Manga, [1998-2003, 2015] 2018, 402 p.

Glénat poursuit son entreprise de rééditions « Deluxe » et/ou « édition originale » portant sur les plus fameux titres de son catalogue – des choses comme Akira, Gunnm et tout récemment Gunnm Last Order, ou, et là je suis donc beaucoup moins fan, The Ghost in the Shell… Cette fois, c’est avec Blame!, manga culte de Nihei Tsutomu, que ça se passe – une BD que je n’avais jamais lue jusqu’alors, et dont je ne connaissais que de vagues échos (certes très laudatifs) ; de l’auteur, je n’avais lu que son Wolverine : Snikt!, et ce n’était pas exactement une lecture inoubliable, sans surprise. Blame!, en revanche, parue entre 1998 et 2003 au Japon, est une série culte qui a semble-t-il profondément marqué tous ses lecteurs… et, au sortir de ce premier tome « Deluxe » (il devrait y en avoir six en tout, et le deuxième sort dans une semaine), on comprend pourquoi.

 

 

Ou pas, car « comprendre » est un mot qui sonne faux dans cet univers délibérément cryptique – et tenter de « résumer l’histoire » de ce premier volume est au-dessus de mes forces. Nous ne savons pas où nous sommes, ni quand nous sommes (les chroniques consultées faisaient mention d’une déclaration liminaire « Peut-être sur Terre… Peut-être dans le futur… » dont je n’ai pas trouvé trace ici, a-t-elle été abandonnée ?). Une immense structure artificielle de béton, de métal et de plastique, des escaliers sans fin, des passerelles dont on ne voit pas le bout, des milliers de niveaux vers le haut comme vers le bas ou sur les côtés, et la conviction très vite ancrée que tout cela, quoi que ce soit, n’a absolument aucun sens.

 

Si l’on ose dire, puisqu’il s’agit d’un périple. Nous y suivons en effet un bonhomme du nom de Killee, mais nous ne savons rien de lui – ni d’où il vient, ni ce qu’il veut vraiment (il parle de « gènes d’accès réseau », et plus tard on nous parle vaguement d’une sorte de contamination génétique et d’un état antérieur qui suscite la convoitise – tiens, ça me rappelle le bien plus récent Kedamame) ; on ne sait pas davantage quelle est cette arme qu’il possède, un petit machin d’allure anodine mais d’un grand pouvoir de destruction ; on croise des gens, parfois, sans toujours bien savoir si ce sont bien des gens – oui, il y a des toutes petites communautés éparses ; et des affrontements, fréquents... Mais pas de scènes d’exposition de quelque ordre que ce soit.

 

De toute façon, Killee comme un certain nombre de ses rencontres occasionnelles sont plutôt du genre taciturnes, aussi ne nous apprendront-ils pas grand-chose : la BD est peu ou prou mutique, ou, plus exactement, l’essentiel du texte réside dans des onomatopées – mais les planches totalement silencieuses ne manquent pas ; et, côté dialogues, ou phylactères, c’est la disette : honnêtement, j’ai la flemme de faire l’expérience de compter, mais si, dans ce premier tome, il y a une page sur vingt comprenant des phylactères, ne serait-ce que pour un seul mot (en très gros caractères, à chaque fois, c'est dû au grand format je suppose), c’est bien le maximum. À cet égard, on pourrait supposer qu’il y a donc comme un point commun avec une lecture manga récente, L’Île errante de Tsuruta Kenji, ou en tout cas son deuxième tome – et pourtant non, car Blame! se montre plus extrême dans ce registre, et produit un effet tout autre : là où L’Île errante invitait à la promenade et à la contemplation, la série de Nihei Tsutomu, tout en déployant un même axe narratif du périple passablement philosophique, joue sur le malaise, l’angoisse, et plus qu’à son tour l’agression, dans tous les sens du terme – les créatures étranges qui s’en prennent à Killee, la BD qui s’en prend au lecteur.

 

Mais, oui, autre différence plus explicite encore, cela se traduit par des scènes de combat très fréquentes, et qui, disons-le, participent de l’hermétisme de la BD – on ne parle pas quand on se bat, d’une part, et, d’autre part, le dynamisme de ces séquences les rend parfois un peu difficiles à suivre… Chaque case prise indépendamment est parfaite, et très cinématographique, mais surtout au sens du cadrage – côté montage, l’enchaînement des cases, je suis moins convaincu, et s’il me fallait adresser un bémol à ce premier tome « Deluxe » de Blame!, ce serait celui-ci. Toutefois, cela ne vaut que pour les combats : la narration mutique dans les séquences moins frénétiques fonctionne quant à elle très bien.

 

Mais, oui : le malaise, l’agression. Ce sont deux sentiments qui ne m’ont pas quitté de la première à la dernière page – bien vite accompagnés d’un autre qui leur est en fait lié, qui les sublime d’une certaine manière : la fascination. Et tout cela dérive à la fois du dessin et de la manière de raconter, qui sont à certains égards la même chose dans le cas de Blame!.

 

Nihei Tsutomu, passionné d’architecture, crée un univers certes abstrait, indéfini, mais en même temps très matériel, et foncièrement intimidant de par sa folle démesure : l’univers de Blame! s’inscrit dans une mégastructure SF tenant du Big Dumb Object le plus invraisemblable, aux dimensions au moins d’une sphère de Dyson, si c’est seulement pertinent de parler de dimensions – quand on cherche à exprimer les distances, on parle de 5000 niveaux plus bas, ou 3000 niveaux plus haut, ce genre de choses… Et on n’espère pas voir le ciel un jour – le voyage, pris en cours (Killee sur une passerelle, dans la première planche), sans la moindre scène d’exposition, ne s’achèvera probablement jamais.

 

Et cette architecture, si elle est par nature propice au sense of wonder (mais on fait en même temps dans la rouille, la crasse, le post-quelque chose qui n’a pas tenu la moindre promesse ou en a perverti quelques-unes, transhumanistes surtout : c’est vers le cyberpunk que l’on lorgne, bien sûr, ou ce qu’il en demeure, après quelque cataclysme qui a tout chamboulé), cette architecture donc évoque avant toute chose un labyrinthe absurde, qui n’a pas de sortie, au point de se muer en cauchemar claustrophobe – que ce soit quand les murs se rapprochent, étouffant les personnages, ou quand l’horizon noie la structure, dans des passages ouverts qui jouent volontiers des effets d’échelle, et réduisent les personnages au rang de fourmis insignifiantes.

 

Le mot « cauchemar » n’est pas trop fort : si Blame! se catégorise avant tout comme une série de science-fiction, elle relève pourtant presque autant de l’horreur – et éventuellement assez extrême, notamment dans ces figures biomécaniques croisées çà et là, quelque part entre Clive Barker et des explosions « body horror » à la Itô Junji, en même temps que certaines créatures démesurées et incompréhensibles, machines laissées sans maîtres, pourraient évoquer, mettons, les shoggoths des Montagnes Hallucinées.

 

Mais le cauchemar est donc éventuellement et peut-être surtout d’un autre ordre : le plan distordu et incompréhensible de la structure fait que, graphiquement, on pense forcément à M.C. Escher, mais, en outre, à suivre Killee à travers quelques niveaux le long de ces 400 pages, j’ai ressenti exactement le même malaise, mais prolongé au-delà de toute mesure, que lors de ma première lecture du Procès de Kafka, et tout particulièrement de cette scène terrible où Joseph K. s’effondre dans les couloirs du greffe sous les combles – c’est un compliment, au passage. Établir un lien avec Kafka, de manière générale (mais peut-être surtout avec Le Château), est de toute façon très tentant – même avec toute cette baston.

 

Mais le dessin de Nihei Tsutomu assure donc l’essentiel de la narration, et se montre à la hauteur de la folie ambiante, de la démesure angoissante de la structure. Escher est de la partie, donc, mais aussi d’autres artistes : au Japon, au premier chef, il faut sans doute citer Ôtomo Katsuhiro, aussi bien Dômu – Rêves d’enfants qu’Akira, même si le caractère monolithique de la structure de Blame! implique sa persistance même au travers des combats sans cesse répétés, nous n’avons donc pas le même rapport avec la frénésie de destruction caractéristique d’Ôtomo. Peut-être aussi faudrait-il mentionner Gunnm de Kishiro Yukito, en restant dans les classiques de Glénat ? Mais le style de Nihei Tsutomu évoque aussi immanquablement d’autres modèles, à chercher plutôt en Europe : dans son interview dans le n° 7 d’Atom, l’auteur évoque de lui-même Mœbius, et c’est effectivement très sensible – mais la dimension biomécanique de certains décors et de nombre de « personnages » rencontrés et/ou affrontés renvoie immanquablement à Hans Ruedi Giger. Cela dit, chose remarquable, cette synthèse d’emprunts divers se mue en fait en un style très personnel : Nihei Tsutomu ne copie pas, il déploie son propre style, en intégrant de manière sereine ses influences. Quoi qu’il en soit, le résultat est de toute beauté – dans un registre oppressant et… assez fondamentalement déprimant, en fait.

 

Blame!, à en juger par ce seul premier tome, est une BD qui se mérite ; son caractère cryptique, poussé à l’extrême, pourrait très légitimement susciter une forme de blocage, voire de rejet – et, en ce qui me concerne, j’aurais apprécié moins de combats, et des combats davantage lisibles. Ceci étant, la lecture de ce premier tome équivaut à… une expérience, disons : si je n’étais pas bien certain, en cours de lecture, d’aimer ce que je lisais, j’avais par contre la conviction qu’il s’agissait de quelque chose de résolument autre, d’unique en son genre, d’ambitieux et de puissant. J’ai… oui, j’aimé le malaise ressenti en tournant les pages. Et, avec le bémol du combat, le dessin m’a bluffé, et a en définitive suffi à m’accrocher, et, plus encore, à m’investir dans cette lecture.

 

Je ne manquerai pas de lire sous peu le tome 2.

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