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CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (01)

Publié le par Nébal

CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (01)

Première séance du scénario de Fabien Fernandez « Lame, l’arme , larmes », tiré de 6 Voyages en Extrême-Orient. Vous trouverez les éléments préliminaires ici.

 

Je maîtrisais. Les cinq joueurs étaient présents, qui incarnaient donc Goto Yasumori, la voleuse, Hira Ayano, la montreuse de marionnettes, Kuzuri Hideto, l’apothicaire, Masasugi Takemura, l’ancien soldat, et Sekine Senzô, l’onmyôji.

 

Au début du scénario, tous les personnages sont au village de Kengo, dans le centre nord de Kyushu. Takemura travaille dans son potager, comme d’habitude, tandis que Senzô se « ressource » dans la forêt un peu plus loin. Quant à Yasumori, Ayano et Hideto, ils passent le temps en discutant à l’auberge tenue par Masako…

 

I : LE MESSAGER

 

[I-1 : … : « le Messager », Nagisa ; Kioyosada, Masako] Par un doux après-midi où le village de Kengo s’abandonne à la monotonie alanguie, un étranger fait son apparition, qui attire bientôt les regards curieux. Sa mise est pathétique – même au regard des paysans pauvres du village. Aussi le sabre dans son fourreau, qu’il arbore en évidence, suscite-t-il d’autant plus l’étonnement. Il s’assied sans un mot sur la margelle du puits, au centre du village, et pose l’arme sur ses genoux – il attend quelque chose, visiblement, mais quoi ? Il n’a rien dit, et ne semble pas sur le point de le faire. Plusieurs villageois, pourtant, ont tenté de l’accoster, mais son regard noir les a vite dissuadés de prolonger l’expérience… Il se comporte différemment quand c’est Nagisa, le serviteur du chef du village, Kioyosada, qui ose enfin l’approcher ; il lui fait signe de venir, et, une fois le domestique un brin inquiet à ses côtés, il lui chuchote quelque chose à l’oreille. Nagisa hoche la tête, s’éloigne en direction de l’auberge, s’interrompt un moment comme pour appeler les encouragements de l’homme au sabre, et rentre enfin dans la boutique de Masako.

 

[I-2 : Yasumori, Ayano, Hideto : Nagisa ; « le Messager », Kioyosada, Takemura, Senzô] Nagisa semble soulagé de constater la présence de Yasumori, Ayano et Hideto dans la grande salle de l’auberge, où il espérait bien les trouver. Le serviteur de Kioyosada cite alors les paroles du « Messager » (que les convives avaient aperçu, il les avait surpris, mais sans pour autant les inciter à rompre leur bavardage) : l’homme au sabre lui a dit de les rassembler tous les trois, ainsi que Takemura et Senzô, absents, car il souhaite leur dire quelque chose. Il n’a pas précisé quoi, répond-il à Ayano qui s’en enquiert, seulement qu’il ne parlerait qu’en présence des cinq. Après quoi Nagisa s’en va chercher les absents – ce que Yasumori lui avait suggéré de faire au plus tôt, mais sans doute comptait-il de toute façon agir ainsi ; tout au plus se rend-il d’abord auprès de l’homme au sabre, pour l’avertir de ce qu’il va chercher les autres – et « le Messager » a l’air très pressé…

 

[I-3 : Yasumori : « le Messager » ; Nagisa, Takemura, Senzô, Ayano, Hideto] Yasumori n’attend pas le retour de Nagisa avec Takemura et Senzô. Si Ayano et Hideto restent pour l’heure dans l’auberge, elle se rend auprès de l’homme au sabre, assis sur la margelle du puits. Inutile pour la jeune fille de se présenter : l’étranger la reconnaît aussitôt et l’appelle par son nom. Il n’en dira toutefois pas plus tant que tous ceux qu’il a cités ne seront pas là. Yasumori patiente cependant à ses côtés : elle constate à n’en plus douter la très grande valeur au moins du fourreau si ce n’est du sabre ; elle apprécie aussi, aux premières loges, l’asocialité de l’homme au sabre, qui chasse systématiquement de son regard intimidant quiconque ose l’approcher – Yasumori perçoit bien son caractère d’exception.

 

[I-4 : Takemura : Nagisa ; « le Messager », Senzô] Nagisa parvient à la ferme de Takemura – qui travaille dans son jardin, comme de juste. Nagisa lui parle de l’homme au sabre et de sa requête. Takemura est taciturne, et pas plus que ça disposé à abandonner ses légumes sans plus d’explications… Mais Nagisa ne peut pas l’éclairer davantage. Il parle néanmoins du sabre, visiblement de valeur… et laisse entendre que l’étranger sait sans doute le manier. Peu sont les hommes, à Kengo, qui pourraient en dire autant – Takemura serait peut-être le seul à pouvoir intervenir en cas de grabuge… Voilà qui convainc davantage l’ancien soldat, qui va se munir de son propre katana, et se rend d’un pas lent au village. Nagisa, quant à lui, doit encore trouver Senzô.

 

[I-5 : Senzô : Nagisa ; « le Messager »] Senzô n’apprécie guère que Nagisa le dérange alors qu’il méditait dans la forêt – et il est d’un naturel condescendant qui ne facilite pas le contact. Mais il ne peut pas prétendre avoir grand-chose à faire, et la monotonie de la campagne le pèse, après des années passées à diverses cours… Pourquoi viendrait-il, cependant ? Et d’autant plus s’il y a du danger, comme Nagisa le laisse entendre ? L’onmyôji laisse un moment le serviteur s’embourber dans les arguments irrecevables, puis accepte généreusement de se rendre au village ; Nagisa le suit, et leur improbable duo ne respire pas la gaieté…

 

[I-6 : Takemura : « le Messager », Yasumori] Takemura arrive au village à proprement parler, et s’arrête à l’orée de la place, à distance de l’homme au sabre. Il attend que tous soient là avant d’approcher davantage ; par ailleurs, sans se montrer menaçant, il garde son propre sabre en évidence. L’étranger le voit et, sans s’avancer vers lui, s’incline respectueusement – ce qui tranche sur son comportement avec tous les autres villageois, Yasumori exceptée… Takemura demeure impassible.

 

[I-7 : Senzô, Takemura, Ayano, Hideto : Nagisa, « le Messager »] Senzô arrive quelque temps après ; il affiche une certaine prestance dans sa démarche – ce qui n’est pas le cas de Nagisa, derrière lui, visiblement apeuré. Le duo cocasse et la fierté éloquente de l’onmyôji amusent vaguement Takemura, mais tout autant Ayano, qui est sortie sur le perron de l’auberge en voyant les nouveaux venus. Hideto reste en arrière et s’interroge – il y avait eu récemment cette sale histoire avec un noble empoisonné, peut-être que…

 

[I-8 : Yasumori, Takemura, Senzô : « le Messager »] L’homme au sabre, comprenant que la situation ne se dénouera pas toute seule, fait signe à Yasumori de le suivre, et rassemble les quatre autres – Takemura constate, à le voir de plus près, son impressionnante fatigue, et sa détermination d’en finir au plus tôt… Finalement, tous se retrouvent sur le perron de l’auberge. L’étranger se pose en face des cinq individus qu’il avait demandé à voir, et, avec une relative brusquerie mais sans se montrer menaçant pour autant, il tend le sabre devant lui. « Ce sabre est votre héritage, à tous. Il vous revient de droit. » Il attend visiblement que quelqu’un s’en empare… Mais personne n’ose. On lui pose des questions, sur ce sabre, sa provenance, ce qu’il entend par « héritage », etc. Mais l’étranger ne répond pas à ces interrogations – il se contente d’attendre, le sabre au bout de ses bras tendus. Senzô constate que le fourreau, au moins, est bel et bien d’une grande valeur – c’est même de toute évidence une antiquité. Instinctivement, il s’approche un peu, prêt à toucher sinon saisir l’objet, et l’étranger lui colle le sabre entre les mains. D’autres questions surgissent mais il n’en tient pas compte ; il se contente dire que sa mission est accomplie, et qu’il va maintenant s’en aller ; il prend aussitôt la direction de l’est, et, est-ce autorité naturelle ou inquiétude latente, les personnages le laissent passer sans un geste pour le retenir…

 

II : L’EXAMEN DU SABRE

 

[II-1 : Senzô, Takemura, Ayano, Yasumori] Senzô sent comme de la magie dans le sabre, il n’a aucun doute à cet égard… Takemura, jusqu’alors en retrait, s’approche de l’onmyôji : il est curieux de voir à quoi ressemble ce katana – en ancien soldat qui est probablement le seul ici à pouvoir apprécier sa valeur en tant qu’arme, et non seulement en tant qu’antiquité. Senzô invite tout le monde à le suivre dans sa maison en bordure du village pour discuter de tout cela – et notamment de sa conviction que l’objet est ensorcelé, d’une manière ou d’une autre. Cette attitude fait ricaner Ayano, qui veut bien le suivre cependant – Takemura, d’un naturel sceptique, ne pense pas autre chose, mais ne voit pas non plus d’inconvénient à suivre Senzô chez lui. Yasumori adopte un comportement très différent, se montrant d’une extrême déférence devant le sabre surnaturel et le savoir ésotérique de l’onmyôji.

 

[II-2 : Ayano, Yasumori : Senzô, Aki] Ils ne sont pas seuls à emboiter le pas de Senzô : Aki, l’ancienne geisha devenue notoirement prostituée, les suit, visiblement un peu éméchée ; Ayano, l’apercevant, se sépare temporairement du petit groupe pour lui parler. La prostituée est amusée par le spectacle – et tout particulièrement par le fait qu’Ayano (sa sœur ?) suive ainsi l’arrogant onmyôjiAyano lui dit qu’elle a ses raisons, dont elle lui parlera plus tard. Boudeuse, Aki titube alors dans une autre direction – à l’évidence en quête d’un client qui aurait davantage de saké (son exclusion de l’auberge n’a en rien arrangé son problème avec la boisson…). Après quoi Ayano rejoint ses camarades, dont Yasumori – qui lui fait part de son chagrin pour la jeune femme…

 

[II-3 : Senzô, Takemura, Yasumori, Ayano : « le Messager »] Ils arrivent alors à la maison de Senzô, à la lisière du village. La demeure est forcément un peu rustique, mais son propriétaire l’a décorée avec une exubérance de luxe inconnue dans ces parages – s’y trouvent de nombreuses œuvres d’art, et bien des livres ou parchemins, en quantité invraisemblable dans un trou pareil. Senzô fait asseoir tout ce petit monde en face de lui, en arc de cercle, sur le tatami de la pièce principale. Avec son éloquence rituelle coutumière, il insiste donc sur le fait qu’il a ressenti une aura magique quand « le Messager » lui a collé le sabre dans les mains. Il souhaite procéder à un examen ésotérique, qu’il faudra peut-être compléter par un exorcisme. Mais son étude un peu plus approfondie lui confirme bientôt que l’objet dépasse ses compétences – il donne globalement l’impression de savoir ce qu’il fait, mais se montre plus ou moins convaincant : Takemura, notamment, est sceptique, et Senzô en a pleinement conscience. L’onmyôji dit enfin qu’il ne peut pas en apprendre davantage pour le moment ; il se montre même assez honnête : il redoute que l’arme soit imprégnée d’un pouvoir maléfique… Yasumori l’approuve dans ses craintes – mais surjoue un peu… Ayano n’est pas vraiment impressionnée : le fourreau est beau, mais qu’en est-il du sabre ? L’onmyôji n’ose pas le dégainer… Il marmonne qu’un rituel de purification à la cascade, peut-être… Ayano ne compte pas attendre éternellement ! Un spécialiste pourrait sans doute en dire plus – tout le monde se tourne vers Takemura. L’ancien soldat s’approche sans un mot et ramasse brusquement l’arme. Rien qu’à la tenir ainsi, dans son fourreau, il perçoit déjà sa qualité exceptionnelle – notamment son étonnante légèreté. Mais sans doute y a-t-il quelque chose en sus – Senzô ne blaguait pas… Takemura dégaine l’arme de quelques centimètres à peine. La finition est incroyable – il y notamment sur la lame comme des gouttes de rosée : pas des imperfections de la forge, bien au contraire, un chef-d’œuvre d’artisanat d’une délicatesse inouïe ! Il dévoile de plus en plus le sabre, avec précaution, et ces premières impressions sont toujours davantage confirmées. Et ce n’est pas qu’une antiquité, ou un objet de décoration – sa beauté phénoménale n’en fait pas moins une arme : d’une maniabilité phénoménale, elle est à n’en pas douter à même de prendre la vie d’un homme – et sans doute l’a-t-elle déjà fait… Takemura crève d’envie de faire quelques moulinets, mais parvient à se contenir ; il range le sabre dans son fourreau, et le dépose devant lui, à l’emplacement exact où il s’en était emparé. L’homme de peu de mots prend soin de confirmer ce que tout le monde a compris : c’est une pièce exceptionnelle. Et, de manière très visible, elle le fascine. Sa solennité ne suscite pas les sarcasmes dont Ayano, tout particulièrement, est coutumière dans ces circonstances ; le petit groupe dans son ensemble se tait, l’atmosphère est lourde, la gravité pèse sur tout le monde.

 

[II-4 : Ayano, Senzô, Takemura : Aki] Mais, si la plupart sont abîmés dans leur contemplation inquiète autant que fascinée de cet « héritage » inattendu, Ayano entend cependant du bruit, dehors – une altercation… impliquant Aki ! La prostituée les avait sans doute suivis et épiés, finalement… Le souci qu’elle se fait pour « sa sœur » l’emporte – de justesse ? – sur sa sensibilité à la beauté de l’arme, son désir difficilement contenu de s’en emparer pour l’observer sous toutes ses facettes. Elle sort du cercle, et se rend à l’entrée de la demeure de Senzô. Le maître de maison lui demande où elle va, elle se contente de dire que cela n’a pas d’importance – juste une envie de prendre un peu l’air, l’atmosphère est tellement étouffante, ici… Takemura la guette, sceptique : sait-elle quelque chose qu’ils ne savent pas ? Il la suit du regard puis, quand Ayano sort de la maison, il se lève à son tour pour la rejoindre.

 

[II-5 : Ayano, Takemura : Kiyoshi, Aki] Ayano constate que Kiyoshi, un villageois notoirement désagréable, s’en prend violemment à Aki. Elle s’interpose, et fait signe à la prostituée de rester derrière elle. Kiyoshi les insulte toutes les deux, les traitant de putes de mille et une manières très imagées mais un brin répétitives. Takemura s’approche, peu ou prou la main sur la garde de son propre sabre. Kiyoshi, intimidé, s’en va sans demander son reste.

 

[II-6 : Ayano, Senzô, Takemura, Hideto, Yasumori : Aki, Kiyoshi ; Masako] Aki pleure dans les bras d’Ayano – et pue encore plus le saké… Ayano la réconforte, à son habitude – mais elle la soupçonne d’avoir tout entendu de ce qui s’est dit chez Senzô. Après avoir remercié Takemura de son intervention, Ayano cherche à savoir où Aki est hébergée, depuis que Masako l’a chassée de son auberge – la ramener là-bas est donc hors de question. Mais c’était justement chez KiyoshiHideto est sorti pour voir ce qui se passait ; constatant l’état dans lequel se trouve Aki, il offre ses services – il a une potion parfaitement adéquate ; Ayano commençant à protester, à la place d'Aki qui en est sans doute incapable, disant qu’il leur est impossible d’acheter ce remède, Hideto le lui offre. Mais ils savent très bien qu’elle remettra ça dès qu’elle sera un peu remise… Il lui faut d’abord du repos – et donc un toit. Ayano demande humblement si Takemura ne pourrait pas lui faire une petite place dans sa ferme, mais Yasumori, sortie elle aussi sans qu’on y ait jusqu’alors pris garde, a une autre suggestion : Takemura est pauvre, il habite loin, elle laisse même entendre que l’hygiène de sa ferme est plus que douteuse… Mais Maître Senzô, lui, est riche, il a beaucoup de place, et bon cœur ! Senzô, sorti à son tour, perçoit bien la moquerie… Mais pas question : une prostituée chez lui ? C’est hors de propos ! Et pourquoi n’irait-elle pas dormir chez Yasumori ? Mais ce n’est pas chez elle, elle vit chez sa tante, qui ne pourra jamais… Elle-même a parfois du mal à y retourner ! Aki a finalement bu la décoction de Hideto, mais elle tombe visiblement de sommeil. Ayano excédée fait les gros yeux à Senzô : ils connaissent tous la réputation d’Aki, mais qu’importe ! Elle doit se reposer. La montreuse de marionnettes assure l’onmyôji que la jeune femme ne lui causera aucun dommage, pas plus à ses biens qu’à son statut. Mais Senzô n’apprécie pas qu’Ayano tente de le manipuler ainsi, et en public qui plus est… Tous autant qu’ils sont, ils l’énervent, et il en a plus qu’assez qu’ils abusent ainsi de la situation ! Il n’hébergera pas de traînées et de saoulardes ! Qu’ils s’en aillent tous !

 

[II-7 : Senzô, Takemura, Hideto : « le Messager »] Senzô a bien d’autres choses à faire : il lui faut s’occuper du sabre. Mais Takemura n’apprécie pas son attitude autoritaire. D’autant que « le Messager » a dit que le sabre était leur héritage à tous : pourquoi lui seul déciderait-il de son sort ? Senzô feint de se reprendre : il ne va pas s’en occuper tout seul… C’est simplement qu’ils semblent tous s’intéresser bien davantage à la prostituée qu’à leur héritage… Mais Takemura dit que ce n’est pas son cas. Senzô, dans ce cas, l’invite à le suivre. Hideto se joint à eux : il faudrait au moins faire une estimation du sabre, qui a l’air d’une grande valeur – et oui, c’est bien à eux cinq qu’il appartient… Takemura l’approuve.

 

[II-8 : Ayano, Senzô, Yasumori, Hideto : Aki ; Masako] Ayano est dans de tout autres dispositions : elle jette un regard noir à l’infect Senzô, et reste à l’extérieur, Aki somnolente dans ses bras. Elle demande à Yasumori de trouver de l’aide ; peut-être, effectivement, pourrait-elle faire jouer quelque faveur, trouver au pire une botte de foin dans une écurie… Hideto approuve rapidement, mais rejoint vite les autres dans la demeure de Senzô. Mais, à tout prendre, Yasumori tenterait plutôt de ramener Aki à l’auberge – que Masako le sache ou pas ; cela serait plus approprié pour la surveiller, en outre… Ayano accepte de tenter le coup.

 

[II-9 : Ayano, Yasumori : Aki, Masako, Mino] Les deux jeunes femmes traînent donc Aki jusqu’à l’auberge de Masako. Ayano, qui préfère jouer la carte de l’honnêteté, plaide la cause d’Aki devant Masako, mais l’aubergiste est intraitable – elle a fait beaucoup de choses pour Aki, mais il est hors de question qu’une prostituée souille son établissement ! Yasumori s’adresse plus tard à Mino, la fille de Masako, toujours restée proche d’Aki, et obtient d’elle une place à l’étable – à la condition bien sûr que Masako n’en sache rien ! Yasumori accepte, et offre de veiller l’ivrogne – elle l’apprécie, elle aussi, et s’est de toute façon une fois de plus disputée avec sa tante, elle n’a guère envie de rentrer chez elle…

 

[II-10 : Senzô, Hideto, Takemura] Dans la demeure de Senzô, les trois hommes discutent à bâtons rompus. L’onmyôji, tout particulièrement, ne cesse de répéter les mêmes questions, auxquelles personne n’a de réponse : qu’est-ce que ce sabre ? Pourquoi leur revient-il ? Qu’en faire ? Etc. Hideto envisage de soumettre le sabre à l’expertise du forgeron de Kengo, Fusamasa, mais la proposition n’est guère discutée. En fait, Takemura s’inquiète surtout de l’endroit où conserver le sabre – il ne propose pas forcément sa ferme, mais, à demi-mots, laisse entendre qu’il n’a guère confiance en les deux autres… Senzô balaye cette crainte : il est déjà riche ! Aussi est-il immunisé au désir de richesse… Sans doute vaut-il mieux que le sabre reste en sa possession – d’autant plus qu’il semble avoir un potentiel magique… Takemura, en grognant, accepte que le sabre reste chez Senzô – mais dans un coffre, dont l’unique clef sera gardée par un autre (lui-même, probablement…). Senzô n’y voit aucun inconvénient, range le sabre sous les yeux de ses deux compères dans un coffre, le verrouille, et en tend la clef à Takemura, qui s’incline.

 

[II-11 : Hideto, Ayano : Masako] Hideto retourne alors à l’auberge. Il y retrouve Ayano, fatiguée, qui dîne dans la grande salle malgré la réprobation de Masako – en fait largement surjouée, la vieille bonne femme n’est pas rancunière… Les deux voyageurs passent une agréable discussion, à multiplier les anecdotes sur leurs rencontres – leur mode de vie relativement similaire les incite à la confiance mutuelle.

 

[Ellipse. L’action reprend le lendemain matin.]

 

III : L’AUBE DE LA MALÉDICTION

 

[III-1 : Takemura] Takemura a passé une mauvaise nuit… Lui qui est d’habitude si matinal peine cette fois à se lever ; il a la sensation inquiétante que quelque chose ne va pas, sans pouvoir mettre le doigt dessus…

 

[III-2 : Hideto] Hideto s’éveille dans sa chambre à l’auberge. Son chat n’est pas là ?

 

[III-3 : Yasumori : Aki] Yasumori n’a pas pu veiller Aki bien longtemps ; étrangement fatiguée, elle a bientôt somnolé, puis s’est tout bonnement endormie, à l’instar de la prostituée. Quand elle se réveille au matin dans l’étable, courbaturée et un peu hagarde… elle trouve le cadavre d’Aki à côté d’elle, tout violacé, baignant dans son sang.

 

[III-4 : Yasumori, Ayano : Masako ; Mino, Aki, Hideto, Kioyosada, Senzô] Yasumori est stupéfaite et horrifiée, mais parvient à se contenir. Elle ne tarde guère à se rendre à la chambre d’Ayano, en parvenant à éviter Masako (matinale, elle l’entend tousser, plus encore que ces derniers jours) et Mino tout autant – elle procède avec calme et froideur. Elle réveille doucement Ayano, la prépare au pire, et révèle la mort d’Aki – elle précise l’état du cadavre, et ne manque pas de faire part de son hypothèse : Aki aurait été empoisonnée… Cet apothicaire lui paraît louche, qu’est-ce qu’il y avait au juste dans cette potion qu’il a si généreusement offerte ? Ayano est aussi abattue que terrifiée ; elle avait toujours craint que cela finisse par arriver – Aki et ses fraques… Mais Yasumori se montre autrement froide : ce cadavre est un problème pour elles – Aki n’était pas censée dormir à l’auberge. Revenant sur la potion, Yasumori fait la remarque qu’eux seuls savent que Hideto l’a offerte à Aki, du moins le croit-elle. Quoi qu’il en soit, faut-il déplacer le cadavre discrètement, ou dire la vérité à Masako et au chef du village, Kioyosada ? Elle laisse le choix à Ayano : après tout, c’est sa sœur ? Mais Ayano est désemparée, certainement pas en état de réfléchir froidement comme le fait Yasumori… Mais celle-ci insiste : cette mort « n’est pas normale » ; même en supposant que Hideto n’a pas empoisonné Aki – elle convient en douter… Peut-être faudrait-il d’abord en parler à Maître Senzô ? Ayano n’a aucune confiance en lui ; elle admet qu’il dispose de connaissances académiques, mais c’est son honnêteté qu’elle met en cause – elle flaire une sorte de chantage… Par contre, elle a plutôt Hideto à la bonne – elle ne le suspecte en rien. Ayano, quoi qu’il en soit, ne veut en parler au préalable, ni à Kioyosada, ni à Senzô ; par contre, elle a confiance en TakemuraYasumori pourrait-elle aller le chercher ? Mais la jeune fille doute qu’elle en ait le temps – en l’état, l’alternative est claire : soit prévenir Masako, soit dissimuler le corps… Toutes deux se rendent discrètement à l’étable, où Ayano contemple dans la douleur le triste spectacle du cadavre d’Aki

 

[III-5 : Hideto, Ayano, Yasumori : Aki ; Takemura] Hideto cherche son chat… Il finit bien par se rendre à l’étable, où il tombe sur Ayano, Yasumori… et le cadavre d’Aki. Ayano est paniquée. Et, à ce spectacle, l’apothicaire, quand bien même il est parfaitement innocent, se doute bien qu’on risque de l’accuser : il plaide son innocence ; il n’ose pas procéder à un examen médical, mais confirme que la mort de la prostituée pourrait bien être due au poison – s’il ne sait pas encore lequel. La crainte de l’apothicaire est palpable mais compréhensible – Ayano le perçoit comme tout aussi misérable qu’elle, et ne l’accuse pas. Mais qui, alors, serait le coupable ? Yasumori leur dit alors qu’elle va tout compte fait prévenir Takemura, c’est un honnête homme qui saura quoi faire, elle les laisse annoncer la mauvaise nouvelle – autrement dit, elle se défile…

 

[III-6 : Senzô, Yasumori : Takemura] Senzô lui non plus n’a pas passé une très bonne nuit – il est vrai qu’en dépit de ses activités il est somme toute rarement confronté à une magie véritable… a fortiori de cette ampleur. Avant de se coucher, il avait d’ailleurs effectué quelques recherches dans ses livres, mais sans résultat : il était trop inquiet pour travailler efficacement, et la futilité de ses tentatives de comprendre la nature du sabre lui a gâché le sommeil. Il est apathique, et n’a guère envie de sortir chez lui… Il interpelle un gamin qui traîne aux environs de sa demeure, afin de lui confier la tâche de rassembler ses cohéritiers… mais Yasumori arrive alors – elle avait dit aux autres qu’elle cherchait Takemura, mais comptait de toute façon voir d’abord l’onmyôji, peu importe ce qu'ils en disaient… Elle lui dit qu’un terrible événement s’est produit à l’auberge ; Ayano ne voulait surtout pas qu’elle lui en parle, mais… Surtout ne pas mentionner qu’il vient de sa part ! La jeune fille n’en dit pas plus et file chez Takemura, laissant Senzô perplexe sur son perron…

 

[III-7 : Takemura : Senzô] Takemura s’est rendormi – et se réveille en sueur. Décidément, il y a quelque chose de pas normal… Il a dormi tout habillé, et vérifie que la clef du coffre de Senzô est toujours dans sa poche de poitrine – c’est bien le cas. Il a la conviction que cette anomalie qui l’angoisse est un manque, et finit par l’identifier : le chien – qu’il n’a pas entendu aboyer, qui n’a pas mangé… Il part à sa recherche, et finit par le trouver dans un coin discret où il s’est caché pour mourir – il baigne dans une mare de son propre sang…

 

[III-8 : Yasumori, Takemura : Senzô] C’est alors qu’arrive Yasumori, qui le hèle à distance ; Takemura, choqué, ne lui répond pas, ne vient même pas à sa rencontre… La jeune fille le cherche partout, criant que « c’est important » ; Takemura finit par la rejoindre. Yasumori lui donne les détails de ce qui s’est passé à l’auberge, et précise qu’elle a croisé Maître Senzô sur la route de l’auberge… Takemura, par prudence, va chercher son katana, et se rend au village d’un bon pas – Yasumori peine à le suivre.

 

[III-9 : Senzô : Yasumori] Senzô est troublé par les informations de Yasumori. En homme posé, il cherche à établir des relations – avec le sabre : un pouvoir mystérieux s’en est-il échappé quand Takemura l’a sorti de son fourreau ? Est-ce une malédiction ? Un monstre rôde-t-il dans les parages ? Il a beau faire, il a du mal à considérer tout cela froidement…

 

[III-10 : Senzô, Hideto, Ayano : Aki ; Kiyoshi, Kioyosada] Senzô se rend enfin à l’auberge. Il y retrouve Hideto et Ayano à l’étable – que s’est-il passé, qu’est-il arrivé à Aki ? Hideto avance que Kiyoshi, avec qui elle avait eu une dispute la veille, aurait pu venir pour lui faire un sort ? Senzô admet que c’est une explication « rationnelle », et qu’il faudrait peut-être l’interroger… En ont-ils parlé à Kioyosada, le chef du village ? Ayano, un brin emportée, répond que non, bien sûr – la mort d’Aki était trop étrange, et elle n’était pas censée se trouver là… L’affaire les concerne tous ! Senzô reconnaît que c’est le cas. L’apothicaire a-t-il procédé à une autopsie ? Hideto n’est guère en état de le faire, a fortiori si le temps presse ; ça ressemble à du poison, oui, mais un qu’il ne connaît pas… Il tente quand même de regarder tout cela de plus près : il n’y a pas de cicatrice d’un coup de dague ou quoi que ce soit, pas davantage de morsure… Les veines ont éclaté, c’est ce qui explique cette teinte violacée ; par ailleurs, elle a craché beaucoup de sang, et fini par s’y noyer. Mais est-ce en rapport avec le sabre ? Hideto n’en sait rien… Ayano, qui n’osait pas envisager cette éventualité jusqu’alors, se rallie à cette hypothèse – il y a une malédiction qui pèse sur eux, et sur leurs proches… Au point où elle en est, elle lève toute ambiguïté : Aki était bien sa sœur… Mais il faut se débarrasser de cet objet maudit, et au plus vite ! Senzô a le même sentiment, il sent une ombre maléfique qui émane de l’épée ; il ne sait pas s’il faut s’en débarrasser, peut-être pas, mais il faut du moins prendre des mesures pour éviter que le mal ne se propage davantage. Peut-être faudrait-il se livrer à un exorcisme dans la forêt, où on enterrerait le sabre de sorte qu’on ne le retrouve plus jamais ?

 

[III-11 : Takemura, Yasumori, Hideto : Aki] Takemura arrive alors qu’ils envisagent cette éventualité, Yasumori à la traîne derrière lui. Il y a de plus en plus de monde dans cet étable… En s’approchant, il découvre le cadavre d’Aki, et fait aussitôt le lien avec celui de son chien. Il ne dit rien, se contente de regarder – un peu ahuri. Il jette à l’occasion un regard noir dans la direction de Hideto – lui aussi pense aussitôt à la potion « gratuite », étrange coïncidence… Rien n’est dit contre lui, mais Hideto sent planer une menace sur lui, il aimerait bien partir…

 

[III-12 : Yasumori, Ayano, Senzô, Takemura : Masako, Aki, Nagisa ; Kioyosada] Yasumori entend quelqu’un tousser : c’est Masako, plus malade que jamais. Ses quintes de toux sont éloquentes – elle se rapproche… Yasumori en fait la remarque, disant qu’il va falloir lui expliquer ce que fait le cadavre d’Aki dans son étable – et elle se cache derrière Ayano… Tous hésitent sur la marche à suivre, et restent finalement en place, à attendre l’arrivée de l’aubergiste. Masako, entre deux toux, peste toute seule contre ce soigneur qu’elle attendait et qui se fait attendre… et finit par les trouver tous, debout dans l’étable ; avec un pas de côté, elle voit le cadavre d’Aki, et hurle aussitôt. Ayano se jette à ses pieds : « Je vous en prie, il ne faut pas… » Masako l’ignore, elle se précipite sur le cadavre qu’elle prend dans ses bras – retrouvant son affection d’antan, qui n’est plus pondérée par ses mœurs tatillonnes… Yasumori, toujours dans l’ombre, dit à Senzô qu’il faudrait maintenant prévenir Kioyosada, le chef du village. Oui, mais Senzô n’y ira pas lui-même ; Yasumori s’y rend, tombe sur Nagisa, et lui dit de transmettre à son maître que « quelque chose de grave » s’est passé, et que Maître Senzô le réclame à l’étable de l’auberge de toute urgence… Ayano reste pour sa part agenouillée auprès du cadavre de sa sœur, se répandant en larmes ainsi que Masako. Takemura, quant à lui, ne pense qu’à son chien, et aux similitudes entre ces deux morts…

 

[III-13 : Ayano, Hideto, Yasumori : Kioyosada, Nagisa, Ako ; Mino] Kioyosada arrive précipitamment avec Nagisa, et voit la scène : « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Ayano est assez brusque : « Vous le voyez bien, elle est morte ! » Kioyosada est stupéfait, mais, même dans ces conditions, son côté débonnaire demeure, il n’a rien d’agressif. Hideto suggère que la prostituée a pu être empoisonnée – bien sûr, ce n’est pas une mort naturelle… Nagisa n’y tient plus, il part en hurlant ; d’ici cinq minutes, tout le village sera sur place. Yasumori offre à Masako en larmes d’aller aider Mino à tenir l’auberge ; mais à quoi bon dans pareille situation ? Mino va venir comme les autres, de toute façon… Dans ce cas, Yasumori préfère prendre les devants, et va à sa rencontre.

 

[III-14 : Ayano, Yasumori : Masako, Hideto, Aki, Kioyosada, Mino, Tsunemori, Tsunekiyo ; Kiyoshi, Kuchi] La foule s’amasse aux environs de l’étable – et les rumeurs ne tardent guère à circuler… Ne serait-ce pas Kiyoshi le coupable ? Il s’est disputé avec elle… Mais elle avait bien d’autres clients. Masako s’était fâchée, d’ailleurs… Et Hideto ? L’apothicaire ? Lui-même parle de poison… et il s’y connaît ! D’ailleurs, n’a-t-il pas offert une potion à Aki, la veille ? On l’a vu, on l’a dit… En même temps, un serpent, peut-être ? Ou un fantôme ! Non, rien de si fantasque – probablement une maladie vénérienne… Etc. Ayano se reprend un peu ; elle s’approche de Kioyosada : « Ma sœur est morte ; il faut trouver le coupable, un tel crime ne saurait rester impuni. » Yasumori, de retour avec Mino, scrute la foule, en quête de certaines personnes : Tsunemori, l’idiot du village, est là – qui ne comprend sans doute pas grand-chose à la scène, et garde le sourire. Tsunekiyo, l’érudit, est également présent – quelque peu en retrait, et plus digne que tous les autres… Kiyoshi brille par son absence ; de même pour la vieille folle, Kuchi, la grand-mère increvable de Kioyosada.

 

[III-15 : Takemura, Hideto] Takemura sort de son silence ; il s’approche de Hideto, et, d’une voix faible, dit qu’il a quelque chose à montrer à l’apothicaire dans son potager, qui pourrait aider à comprendre ce qui s’est passé ici. Hideto le suit volontiers, pas fâché de quitter cette foule qui l’accuse plus ou moins ouvertement – à vrai dire, son départ en rajoute, et il y en a même qui le montrent du doigt… Takemura s’en rend compte ; il use de son autorité naturelle pour calmer le jeu, se contentant d’un éloquent langage corporel – les insinuations contre Hideto cessent aussitôt, personne ne souhaite agacer l’ancien soldat…

 

[III-16 : Takemura, Hideto : Kuchi ; Masako, Kioyosada, Senzô] Tous deux, alors qu’ils parviennent à l’orée du village, vers le nord, constate que Kuchi la Vieille est plus loin sur la route, qui semble les attendre – ou du moins les regarde-t-elle en souriant, les yeux fous. Hideto lui fait un signe de la tête, et elle éclate de rire. Elle avance vers eux de son pas de vieille bonne femme. Quand elle arrive à leur hauteur, de sa voix de crécelle, elle leur demande : « Vous allez voir le chien ? » Takemura la regarde sans un mot. Elle se met en face de l’ancien soldat et le saisit par la barbichette de manière badine : « Ça ne sert à rien ! Vous avez le chat, après tout ! » Et elle pointe du doigt un renfoncement sous une maison – s’y trouve le cadavre du chat de Hideto. L’apothicaire est stupéfait ; Takemura reste digne : « Mon chien est dans le même état. » Hideto lâche des yeux le cadavre de son compagnon de toujours, et se tourne vers la vieille folle :

— Vous avez vu quelque chose ?

— Oh, j’ai vu bien des choses… À mon âge, vous savez… Mais j’ai vu – par exemple – cinq personnes. Des gens très divers, qui sont rattachés à Kengo, qu’ils le sachent bien ou pas… Oui, des attaches… Pourtant, il leur faut partir. Sans quoi… eh bien, tout le monde va mourir ! Masako d’abord, j’imagine – elle est déjà bien malade, elle tousse, et ce soigneur qui n’arrive pas… Bah, il ne pourrait qu’arriver trop tard. Ensuite… Kioyosada ? Il est vieux… Moins que moi, forcément – mais ce n’est pas pareil. Bah, peu importe : nous allons tous mourir ! Très vite… Mais ce sera douloureux. Oui, il vous faut partir… Oh, et n’oubliez pas votre héritage !

— Vous êtes complètement folle !

— Mais bien sûr que je suis folle ? Comment je ferais, autrement ? Et ça ne change rien…

Hideto décroche, et ramasse tendrement le cadavre de son chat ; il l’examine : les poils ne lui facilitent pas la tâche, mais c’est probablement la même chose que pour Aki, ces veines qui gonflent et explosent, ce sang qui jaillit de leur gorge et les noie… Takemura n’a plus guère envie de rentrer chez lui – surtout si la vieille devait les suivre. Mais les paroles de Kuchi lui ont fait une forte impression ; il n’a plus qu’une idée en tête : aller chercher Senzô, récupérer le sabre, et, oui – partir…

 

[III-17 : Takemura, Hideto, Senzô : Kuchi, Aki] Kuchi incite Takemura et Hideto à retourner à l’étable, et s’y rend de toute façon. À mesure que la vieille folle approche de la foule se délectant du spectacle horrible du cadavre d’Aki, les rumeurs s’amenuisent. Senzô, la voyant, prend les devants, et l’accoste – elle lui tire tendrement la barbichette à son tour… Yasumori se tient un peu en arrière de l’onmyôji, et tend l’oreille. Senzô, un brin sarcastique, prend la parole :

— Quel bon vent vous amène ?

— Bon vent ? Quelle idée ! Le vent n’est ni bon ni mauvais, c’est juste le vent… Ou bien… Oui, peut-être, en fait ; peut-être qu’il y a des mauvais vents – comme le vent dans votre dos. Un vent qui pue ! (Hilare, la vieille folle fait des bruits de pets et autres allusions scatologiques…) Bah, l’important, bon ou mauvais, c’est que le vent bouge… C’est le propre du vent ! Il bouge ! Aussi, vous devez partir – sans quoi la tempête, prenant toujours plus de force à rester sur place contre sa nature, sera fatale aux gens que vous côtoyez… Tous vont mourir ! Tous !

 

[III-18 : Senzô, Ayano, Takemura : Kuchi] Après la tirade de la vieille, Senzô, solennel, se tourne vers la foule amassée devant l’étable : « Braves gens, calmez-vous ! De mauvais esprits sont à l’œuvre à Kengo… Mais, en tant qu’onmyôji, je vais prendre les choses en main ! Nous cinq, nous sortirons du village et procèderons à l’exorcisme ! » Cette déclaration fait éclater de rire Kuchi – qui se remet à faire des bruits de pets, elle y prend visiblement beaucoup de plaisir… Senzô dit à ses quatre compagnons de se rendre chez lui pour y discuter d’un plan. Ayano va dans ce sens : « Plus rien ne me retient ici, et Kuchi a raison, il faut partir ! » Takemura, la clef du coffre de Senzô dans sa poche de poitrine, suit l’onmyôji – il faut de toute façon aller chercher… l’objet maudit…

 

[III-19 : Yasumori, Ayano : Aki, Takeo ; Noboru, « le Messager », Reizo, Masako] Mais Yasumori et Ayano remarquent un nouveau venu, qui joue des coudes pour apercevoir le cadavre d’Aki : c’est Takeo, un marchand ambulant qui écume le nord de Kyushu et passe régulièrement par Kengo. À ce spectacle hideux, l’étranger pâlit, blanc comme un linge – et les deux jeunes femmes comprennent que ce n’est pas là simplement la réaction bien naturelle d’un homme effrayé par une scène macabre. Yasumori s’approche de lui : « Le malheur accable notre village… Avez-vous déjà vu ça ? » Takeo, les yeux exorbités, hoche lentement la tête. « Où donc ? » Déglutissant, il répond que c’était au relais de Noboru, au nord-est de Kengo, où il s’était arrêté il y a deux jours de cela. Yasumori lui décrit « le Messager » ; mais non – le cadavre ne lui était pas inconnu : c’était Reizo, le soigneur – celui qu’attendait Masako… Mais Yasumori insiste sur l’allure du « Messager » ; elle évite d’appuyer sur le sabre, mais c’est pourtant l’élément qui fait réagir Takeo : oui, au relais, Noboru lui avait parlé d’un homme étrange – la veille de la mort de Reizo

 

À suivre…

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CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (00)

Publié le par Nébal

CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (00)

Ayant envie de changer un peu, ne serait-ce que temporairement, j’ai proposé à ma table d’Imperium de faire un petit one-shot nippon tiré de 6 Voyages en Extrême-Orient – en l’espèce le scénario « Lame, l’arme, larmes » (bon sang que je déteste ce titre…), signé Fabien Fernandez. Bon, en fait de one-shot, à l’évidence, ça va se prolonger un peu, il faudra au moins deux séances de plus…

 

Avant de passer aux comptes rendus de séances sous leur forme habituelle, je vais livrer ici quelques données préliminaires sur la manière dont nous jouons (j’ai pas mal étoffé le matériau de base à cet égard…) ; cela porte sur le cadre historique, le cadre géographique, le surnaturel, l’adaptation des règles du « D6 light », enfin les PJ incarnés.

 

I : LE CADRE HISTORIQUE

 

Le scénario ne donne absolument aucune précision à cet égard. C’est forcément un Japon féodal, antérieur à Meiji, mais on n’en sait au fond rien de plus… Certes, en l’état, on n’a probablement pas besoin d’en savoir plus ; mais nos échanges nous ont incité à préciser la chose, pour lui conférer un supplément d’âme…

 

J’avais suggéré la veille de l’époque d’Edo. L’idée d’inscrire le récit dans les derniers temps du Sengoku, l’ère chaotique qui a vu enfin émerger les fondateurs du Japon moderne, me paraissait séduisante, à plus d’un titre – au-delà de la seule dimension épique du cadre, riche d’affrontements violents entre antagonistes prompts à dégainer leurs armes, j’aimais notamment l’idée que les marchands et missionnaires occidentaux soient toujours sur place, avec leurs fusils autant que leurs bibles… Idée qui entre en interaction avec le cadre géographique, j’y reviens immédiatement après.

 

À la base, j’avais pensé situer plus précisément le scénario en 1598, juste après la mort de Toyotomi Hideyoshi (le successeur, en dépit de son extraction relativement populaire, d’Oda Nobunaga, en attendant que Tokugawa Ieyasu mette tout le monde d’accord et parachève l’œuvre de ces deux prédécesseurs) – alors qu’il s’épuisait à forcer la fédération du Japon sous sa férule, en l’unissant dans un nouveau projet d’invasion de la Corée ; là encore, il y a un lien avec le cadre géographique finalement retenu.

 

Cette dimension demeure, mais, à la suggestion d’un joueur, nous avons finalement décidé d’opter pour le lendemain de la bataille de Sekigahara (1600), décisive, qui a vu les forces de Tokugawa Ieyasu l’emporter sur ses rivaux – ce qui lui a ouvert la voie lui permettant, en 1603, de reprendre le titre ancien de shogun, et d’inaugurer l’époque d’Edo – ces fascinants deux siècles et demi d’isolement quasi total, qui ont vu le Japon connaître une paix intérieure plus que jamais impensable en plein Sengoku… Une fois de plus, le cadre géographique retenu se prête à exploiter cette dimension.

 

Bien sûr, il ne s’agit pas de laisser l’authenticité empiéter sur les idées et envies dans le cadre d’un scénario se passant très bien de réalisme. On connaît l’injonction (charmante…) d’un spécialiste de cette méthode : « On peut violer l’histoire, si c’est pour lui faire de beaux enfants. » Il s’agit d’appuyer le récit sur un fond pour qu’en jaillissent presque d’elles-mêmes des personnages, des situations, etc. Certainement pas pour restreindre et brimer… C’est également ainsi qu’il faut se poser la question du cadre géographique.

 

II : LE CADRE GEOGRAPHIQUE

 

Là encore, le scénario ne donne aucune indication. Il y a bien quelques noms de villages et de forteresses, mais que je suppose imaginés. Ancrer davantage dans le réel me paraissait utile ; mais dès lors qu’il fallait bien y insérer ces lieux définis préalablement, je ne pouvais que m’éloigner de l’authentique Japon… Plus encore que pour l’histoire, tout ce qui suit est donc « à vue de nez ».

 

J’ajouterai un détail : dans le scénario, s’il n’y a pas d’indications de distances à proprement parler, certaines portent parfois, du moins, sur des temps de trajet… et qui me paraissent beaucoup trop longs, voire carrément invraisemblables dans pareil contexte : il y a notamment, à un moment essentiel, un voyage censé durer un mois ; ce qui me paraît nuire tant à l’histoire qu’à son « réalisme »… J’ai donc éventuellement réduit ces distances, mais tout particulièrement dans ce cas précis.

 

Une fois adopté le cadre historique de la bataille de Sekigahara, nous avions envisagé de situer le point de départ du scénario – le village de Kengo – dans les environs du champ de bataille, a priori dans le Kansai, non loin de Nagoya, pas très loin de Kyoto non plus. Mais ce cadre ne m’emballait pas, j’étais tenté par quelque chose de bien plus sauvage…

 

Au regard de certains thèmes portés par le cadre historique, je me suis finalement décidé pour l’île méridionale de Kyushu – et ai constaté à la relecture du scénario, quand bien même celui-ci ne donnait pas d’indications à ce sujet, que c’était probablement, des quatre grandes îles composant l’archipel du Japon, la plus appropriée à la logique de l’histoire. C’est l’occasion de jouer de plusieurs des thèmes esquissés dans le cadre historique, dont la proximité avec la Corée, et la présence des marchands et missionnaires européens – tout particulièrement dans le port de Nagasaki, qui leur était alors peu ou prou réservé ; enfin, l’île était tout particulièrement divisée entre partisans et adversaires de Tokugawa Ieyasu – au lendemain de la bataille de Sekigahara, cela pouvait avoir son importance, et les PJ, en passant du territoire d’un daimyô à l’autre, pouvaient ainsi passer d’une allégeance à l’autre, ou plus exactement, dans ces circonstances, osciller entre vassaux fidèles et dument récompensés par le futur shogun, et seigneurs ayant choisi le mauvais camp et s’en mordant éventuellement les doigts…

 

Le scénario débute dans le petit village de Kengo – auquel sont liés tous les PJ d’une manière ou d’une autre. Je l’ai situé dans l’arrière-pays montagneux du centre nord de l’île, zone assez sauvage pour justifier le sentiment d’isolement et de rusticité qui doit peser sur les PJ au moins dans les premiers temps de l’aventure. Les villes sont donc assez loin, parmi lesquelles Nagasaki ou Fukuoka sont pourtant parmi les plus accessibles – à condition d’être prêt à un voyage éventuellement compliqué. Le village de Kengo ne figure pas sur une route commerciale – ou une route quelle qu’elle soit, d’ailleurs. Mais des marchands itinérants s’y rendent régulièrement (et d’autres professions vagabondes, on aura l’occasion de le constater avec les PJ), entretenant un vague lien avec un Japon plus civilisé.

 

J’ai ensuite réparti les autres lieux du scénario sur la carte de Kyushu (j’ai préféré ne pas quitter l’île, et c’est notamment à cet égard que le délai d’un mois de voyage mentionné plus haut me paraissait inenvisageable et peu crédible), sans donc toujours respecter les indications de distance, et pas davantage les (rares) mentions des points cardinaux pouvant entrer en contradiction avec ces choix initiaux.

 

III : LE SURNATUREL

 

« Lame, l’arme, larmes » n’est pas un scénario « réaliste ». Il puise dans le folklore japonais, et y figurent des créatures ou situations surnaturelles. Peu désireux de faire de ce Japon-là un « monde secondaire » de fantasy, je m’en suis tenu à cette idée de folklore : c’est bien le « vrai » Japon, et, comme dans le « vrai » Japon, on y colporte des rumeurs portant sur des yôkai, des yûrei, etc. ; la différence, mais sans doute ne doit-elle pas être perçue comme telle dans ce cadre, est que ces superstitions diverses sont parfois tout à fait fondées… Le surnaturel peut à terme jouer un rôle de premier plan, mais il demeure dans la logique d’un monde « réel », perturbé à l’occasion par des manifestations d’un tout autre registre, mais finalement envisagées comme faisant elles aussi partie, à leur manière, de l’ordre du monde.

 

Un point demeurait à traiter à cet égard : les éventuelles capacités surnaturelles des PJ. Le « D6 light » donne quelques indications à cet égard, de manière optionnelle, mais elles sont bien trop lapidaires pour être utiles. J’ai préféré procéder autrement : globalement, le surnaturel est réservé aux antagonistes ; à l’occasion, si un joueur a une bonne idée impliquant une dimension surnaturelle de son personnage, libre à lui de me suggérer une action ou une approche « différente », et à moi de considérer si c’est faisable ou pas, eu égard tant au personnage qu’aux circonstances – c’est parfaitement arbitraire, mais cela autorise des potentialités amusantes, que l’adoption affichée d’un caractère délibérément surnaturel des PJ n’aurait pas nécessairement davantage favorisées.

 

C’est tout particulièrement le cas pour un de ces personnages, qui est un onmyôji (en gros, devin d’une tradition syncrétique empruntant au bouddhisme, au shintoïsme, mais tout autant au taoïsme, éventuellement à d’autres philosophies et sciences occultes chinoises, etc.) : à proprement parler, il n’a pas de pouvoirs magiques définis d’emblée ; cela ne l’a pas empêché, dans la première séance, d’examiner le sabre et d’y sentir la magie – quant à sa tentative d’exorcisme, elle pouvait être aussi « vraie » qu’inefficace, de même que ses gestes et rituels pouvaient constituer une esbroufe destinée à convaincre ses comparses de son talent, ou, tout aussi bien, être parfaitement sincères de sa part… Probablement un peu de tout ça à la fois, d’ailleurs.

 

IV : L’ADAPTATION DES RÈGLES

 

J’ai tout d’abord hésité sur le système à adopter – la gamme « 6 Machins… » est relativement libre à cet égard. J’ai un temps envisagé d’employer FATE Accelerated, qui me paraissait approprié au type d’action du scénario, mais, par flemme peut-être, je me suis finalement rabattu sur le « D6 light » qui est ici proposé par défaut…

 

J’ai eu l’occasion, dans mon compte rendu du volume, de critiquer la présentation de ces règles, leur rédaction, et leur abondance pénible de coquilles ou de lacunes… C’est décidément bien le cas, c’est assez agaçant.

 

Par ailleurs, le système est critiquable sur bien des points ; c’est véritablement sa très grande simplicité, et la possibilité de créer un personnage en trois minutes, pas davantage, qui m’ont fait le conserver. Dès cette partie test, cependant, j’ai pu constater combien la liste des Compétences était critiquable : il y a des redondances et des lacunes de toute part, tandis que les attributions de telle Compétence sous tel ATTRIBUT ne sont pas toujours des plus logiques… Bon, nous ferons avec…

 

Mais il est une règle que j’ai modifiée, car elle ne me satisfaisait vraiment pas ; j’ai donc retenu des conseils et suggestions alternatives proposés par d’aimables forumers de Casus NO… Il s’agit de la règle du dé libre, décidant des échecs et réussites critiques (et tout particulièrement mal présentée dans le bouquin… au point où les réussites critiques n’y figurent même pas !).

 

Adonc : lors de chaque jet de Compétence ou d’ATTRIBUT, un dé doit être distingué des autres (sur table, on distingue à la couleur ; ici, en virtuel sur Roll20, j’ai proposé que ce soit le premier dé jeté) : c’est le dé libre.

 

Le système (complété du fait des lacunes dans ledit volume…) donne cette règle :

  • - Si le dé libre fait 2, 3, 4 ou 5, il est traité comme les autres dés.
  • - Si le dé libre fait 1, c’est un échec critique : indépendamment du résultat des autres dés, l’action échoue, éventuellement de manière spectaculaire – à la discrétion du MJ.
  • - Si le dé libre fait 6, c’est une réussite critique : indépendamment du résultat des autres dés, l’action réussit, éventuellement de manière spectaculaire – à la discrétion du MJ.

 

Mais ce système ne me convient pas trop… Je trouve qu’il accorde une part bien trop importante au hasard : une chance sur six à chaque jet d’avoir une réussite critique, et autant d’avoir un échec critique, ça me paraît vraiment trop… On m’a donc suggéré des règles alternatives, à mon sens plus pertinentes – mais qui limitent du coup le rôle du dé libre :

  • - Si le dé libre fait 1, 2, 3, 4 ou 5, il est traité comme les autres dés.
  • - Si le dé libre fait 6, il devient « explosif » : on ajoute 6 au résultat des autres dés (comme pour un dé normal), mais, en outre, on le relance, et on ajoute à nouveau son résultat ; si celui-ci est à nouveau de 6, on continue, etc. Il n’y a donc pas de réussite critique automatique, mais le dé « explosif » permet de dépasser les scores maximums et de gonfler éventuellement la marge de réussite.
  • - Si, sur l’ensemble des dés jetés, il y a une majorité de 1, indépendamment du résultat de l’ensemble, c’est un échec critique et automatique.

 

Je me suis décidé pour cette règle, et ai eu l’occasion de constater qu’elle était bien moins radicale que la solution de base (dans la partie d’hier, plusieurs jets, bien trop, auraient autrement donné lieu à des échecs critiques…) ; j’en relève deux inconvénients, tout de même :

  • - D’une part, en relativisant autant le rôle du dé libre, elle rend les Points de Personnage nettement moins utiles.
  • - D’autre part, le risque d’échec critique est largement limité par rapport au système de base, mais j’ai l’impression (moi qui suis une tanche en probabilités) que cette règle alternative pénalise du coup les poignées de dés les plus restreintes… N’y a-t-il pas « double peine » ?

 

Pour le moment, on va quand même faire avec.

 

V : LES PERSONNAGES-JOUEURS

 

Les règles de création de personnage étant d’une extrême simplicité, j’ai préféré laisser les joueurs créer d’eux-mêmes leurs avatars plutôt que d’imposer des prétirés (ce que j’avais d’abord envisagé, dans la perspective « one-shot ») ; outre les caractéristiques élémentaires, c’était aussi l’occasion de livrer un background restreint les rattachant au village de Kengo où débute l’aventure. Voici donc les cinq PJ.

 

Goto Yasumori, la voleuse

 

Goto Yasumori est une adolescente rebelle, élevée chez sa tante depuis la mort de ses parents. Elle n’a que mépris pour la vie à la campagne, et n’a aucune intention de reprendre la ferme de sa tante (veuve et sans enfants) le moment venu ; elle a soif de ville, et assume très bien sa réputation guère flatteuse : charmeuse et parfois fourbe, elle a un passif de petits vols, et de mauvaises fréquentations – autant qu’il est possible dans un cadre pareil. La vilaine fille fréquente beaucoup l’unique auberge de Kengo, tenue par Masako.

 

Hira Ayano, la montreuse de marionnettes

 

Hira Ayano est une montreuse de marionnettes itinérante, au moment où cette pratique ancienne se mue insidieusement pour devenir le théâtre jôruri. Elle passe régulièrement par Kengo, où son art déroute et séduit tout à la fois les villageois. Proche d’Aki, la prostituée au passé trouble (on les dit parfois sœurs, sans trop de preuves), elle s’entend également bien avec Tsunemori, l’idiot du village, qui raffole de ses spectacles et de ses jolis pantins.

 

Kuzuri Hideto, l’apothicaire

 

Kuzuri Hideto est un apothicaire, lui aussi itinérant. Son chat noir perpétuellement dans les pattes, il crée et vend des potions qui peuvent être aussi bien des remèdes que des poisons, fonction de la demande… et de son humeur.

 

Masasugi Takemura, l’ancien soldat

 

Masasugi Takemura est un ancien soldat, qui a quitté les troupes du daimyô il y a une dizaine d’années de cela, après bien des campagnes, pour revenir à sa condition de paysan. Il a maintenant une petite ferme légèrement excentrée par rapport au village de Kengo, où il fait pousser d’excellents légumes, qu’il vend au marché une fois par mois. Homme de peu de mots, plus loquace et aimable avec ses légumes qu’avec ses congénères, il a cependant été bien accepté dans la communauté en raison de son ardeur au travail ; les villageois ne se privent pas de répandre des rumeurs, aussi souvent vraies que fausses, portant sur son passé de soldat. La force de l’habitude l’amène à s’entraîner régulièrement – âgé, il n’en est pas moins un combattant redoutable.

 

Sekine Senzô, l’onmyôji

 

Sekine Senzô est né dans le village, mais en est parti assez jeune pour apprendre les arts occultes notamment chinois, tels que la géomancie. Augure apprécié, exorciste aussi le cas échéant, il a suscité le respect de ses semblables, et construit petit à petit une fortune appréciable en échange de ses services fort prisés, qui l’ont conduit à exercer dans la cour de plusieurs daimyôs. Toujours curieux de tout, il s’est notamment intéressé ces dernières années à la religion et aux pratiques de ces étranges Européens au gros nez que l’on croise notamment à Nagasaki – sans y adhérer lui-même, bien sûr. Homme de cour, il a ces dernières années fait partie de l’entourage d’un important daimyô de Kyushu, lequel a cependant péri par seppuku suite à la bataille de Sekigahara, où il avait eu le tort de soutenir le mauvais camp. Privé subitement de ce soutien, Senzô est retourné dans son village natal de Kengo – avec ses livres et sa fortune, éventuellement enrichie encore de ce qu’il avait pu piocher dans les débris de la cour de son défunt maître…

 

Et voilà. Pour la première séance, c’est ici

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Zatoichi, de Kitano Takeshi

Publié le par Nébal

Zatoichi, de Kitano Takeshi

Titre : Zatoichi

Réalisateur : Kitano Takeshi

Titre original : Zatôichi

Année : 2003

Pays : Japon

Durée : 116 min.

Acteurs principaux : Beat Takeshi, Asano Tadanobu, Okusu Michiyo, Guadalcanal Taka, Daike Yûko, Tachibana Daigoro, Kishibe Ittoku…

 

ZATOICHI DANS L’ŒUVRE DE KITANO

 

Zatoichi est le plus récent film de Kitano que j’ai vu – or il date déjà de 2003… Ça fait une paye, l’excellent réalisateur a accompli bien des choses depuis. Peut-être cependant ne suis-je pas tout à fait, ou pas totalement, coupable : j’ai l’impression que ses films ultérieurs ont nettement moins bien été distribués de par chez nous, alors que Zatoichi, sur le plan commercial du moins, avait quelque chose d’une apothéose – c’est même semble-t-il le film de Kitano qui a le plus rapporté, au Japon comme à l’étranger. Par ailleurs, ce film affichant nettement plus que la plupart de ceux qui l’ont précédé (voire tous…) une dimension populaire n’a pas pour autant été boudé par la critique, là encore au Japon comme à l’étranger – il a notamment obtenu au festival de Venise le lion d’argent du meilleur réalisateur ainsi que le prix du public, mais bien d’autres festivals l’ont récompensé. Qu’est donc devenu Kitano depuis ? Il faudra bien que je me renseigne à ce sujet un de ces jours…

 

Mais j’ai un aveu à vous faire : si j’aime ce Zatoichi et l’ai revu avec un indéniable plaisir, je plaide coupable, je le trouve tout de même nettement moins bon que bon nombre des Kitano antérieurs – mais, bien sûr, la comparaison est plus ou moins valide, tant les projets sont différents… et, à vrai dire, ce revisionnage a probablement joué en sa faveur.

 

Première (et unique, sauf erreur) incursion de l’auteur dans le chanbara, le film de sabre japonais, et qui plus est avec un personnage extrêmement populaire du genre (25 films mettant en scène le masseur aveugle entre 1962 et 1973, puis un vingt-sixième en 1989, toujours avec Katsu Shintarô dans le rôle-titre !), Zatoichi ne pouvait sans doute pas avoir grand-chose à voir avec un Sonatine, un Hana-bi ou un Aniki, mon frère, pour s’en tenir aux films emblématiques à base de yakuzas que leur humour improbable ne préserve pas de la tentation suicidaire ; pas davantage avec la fraîcheur de L’Été de Kikujiro ; moins encore, si ça se trouve, avec la gravité esthétisante d’un Dolls, qui précède immédiatement Zatoichi dans la filmographie de Kitano… Ce qui, en soi, n’a rien d’un problème : une des forces du réalisateur est sa capacité à se renouveler et à surprendre.

 

Mais j’ai tout de même l’impression que l’usage de pareil matériau ne pouvait que brider, au moins en partie, la personnalité du réalisateur ; pas totalement, heureusement : un certain nombre de scènes relèvent d’un esprit Kitano parfaitement délicieux et convaincant – ce sont même les meilleures du film, et j’y reviendrai. Au-delà demeurent des codes avec lesquels il fallait bien composer, si la tentation de la subversion était toujours là.

 

En fait, à tort ou à raison, je m’étais mis dans la tête que ce Zatoichi, pour Kitano Takeshi, était un peu ce que Kill Bill avait été pour Quentin Tarentino : un film hommage, où le fun est mis en avant, où les codes sont sans cesse tricotés, et qui gagne peut-être en jubilation référentielle, mais en perdant en personnalité… Ceci étant, ce Zatoichi est bien meilleur que Kill Bill – qui était une énorme déception pour moi, et au-delà, autant le dire, carrément un mauvais film (ou deux mauvais films). Mais ce préconçu explique sans doute en partie pourquoi je n’ai pas prêté attention à la suite de la carrière du réalisateur, à la hauteur de l’enthousiasme qu’il avait jusqu’alors suscité en moi à chacun de ses films ou presque (cela dit, même dans les antérieurs, il m’en manque, hein…).

 

LE PERSONNAGE

 

Zatoichi, donc. Une figure majeure du chanbara, au côté des plus essentielles, les « Baby Cart » et compagnie (que je n’ai pas davantage vus, bon sang, ça fait des années que je me dis qu’il faut que je le fasse !).

 

L’essence du personnage a été conservée (sinon son apparence : la teinture des cheveux de Beat Takeshi, blond oxygéné, est pour le moins… surprenante…) : Zatoichi (qui sauf erreur n’est pas appelé ainsi dans le film – on entend parfois Ichi, mais pas plus, je crois ?) est… un masseur aveugle itinérant ; on a sans doute vu concept plus improbable, mais pas tous les jours… Surtout bien sûr si l’on y rajoute cette dimension essentielle : en dépit de son handicap, Zatoichi est un sabreur d’exception – un des tout meilleurs, forcément, et dont l’art censément basé sur les autres sens que la vue, ouïe et odorat au premier chef (à la Daredevil ou plus encore à la Stick, je suppose qu’il y a un lien…), a bien des occasions de s’exprimer au cours du film : le masseur laisse derrière lui une quantité invraisemblable de cadavres…

 

D’autres traits caractérisent le personnage, de son activité de joueur professionnel (il parie aux dés, devinant au son s’il faut miser sur pair ou impair – son comparse bouffon Shinkichi, incarné par Guadalcanal Taka, atout comique du film, est fasciné par cette méthode qu’il souhaite reprendre à son compte) à son étonnante timidité, éventuellement de façade (Beat Takeshi reprend volontiers son rôle d’homme de peu de mots, secoué de rires un brin gênés – mais en plus sympathique que ses rôles antérieurs de flic ou de yakuza, exprimant l’ultraviolence, ou au moins sa potentialité, jusque dans les scènes les plus innocentes ; Zatoichi dissimule bien davantage cette dimension, sous des atours bonhommes et amicaux).

 

Et, bien sûr, il a au-delà un sens profond sens de la justice, qui en fait un héros au sens de redresseur de torts ; quand il arrive en ville, c’est pour, à terme, défendre les humbles et punir les méchants – à la façon du Sanjuro incarné par Mifune Toshirô dans le Yojimbo de Kurosawa Akira, ou de l’homme sans nom joué par Clint Eastwood dans son remake western spaghetti Pour une poignée de dollars (ce jeu d’échanges du chanbara au western et inversement me fait l’effet d’être important dans le développement des codes des deux genres), le héros, nettement moins cynique qu’il n’y paraît, ne repartira à l’évidence pas tant que des ordures resteront à vaincre et des pauvres gens à secourir.

 

LA TRAME

 

La mise en place

 

En l’espèce, Zatoichi débarque dans une situation complexe, justifiant une mise en place assez longue, où plusieurs fils rouges sont tendus en quelques images préliminaires, qui appellent toutefois un certain temps de développement avant que l’histoire à proprement parler ne s'affiche dans toute sa clarté.

 

Ces premières séquences ont par ailleurs quelque chose de l’attaque en force : d’emblée, nous voyons Zatoichi faire la démonstration de son habileté au sabre contre une bande de lâches brigands.

 

Mais il n’est pas le seul à répandre aussitôt des cadavres sur son chemin : on s’intéresse tout particulièrement au rônin Genosuke Hattori (Asano Tadanobu), habile combattant, mais qui, afin de payer les soins de son épouse malade, enchaîne les emplois de garde du corps (yojimbo, donc), qui l’amènent aux plus sanglants des crimes – la tentation de voir en lui un personnage « positif », simplement piégé dans un engrenage fatal, autrement porté sur le bien, dont sa générosité supposée à l’égard de son épouse devrait témoigner, disparaît au fur et à mesure devant la totale absence de scrupules du personnage ; on sait que le grand duel final l’opposera à Zatoichi… et l’on sait tout autant que le masseur aveugle ne lui fera pas de pitié, car il n’en mérite aucune.

 

Un troisième fil est essentiel, qui met en scène deux geishas (ou fausses geishas, car se livrant visiblement à la prostitution…), dont on devine vite l’imposture : il s’agit en fait d’un frère (O-sei, incarné par Tachibana Daigoro, acteur de kabuki et plus particulièrement spécialisé dans les rôles de femme, onnagata) et de sa sœur aînée O-kinu (Daike Yuuko) ; enfants survivants d’un terrible massacre, il y a dix ans de cela, ils traquent depuis lors les assassins de leurs parents – qui pourraient bien se trouver dans cette ville… Et, en chemin, ils n’ont guère hésité à recourir au vol, voire au meurtre.

 

Bien sûr, tous ces fils sont amenés à se rassembler en une trame unique, mais Kitano prend bien soin d’établir l’exposition avec une certaine minutie – dont la lenteur est cependant illusoire : avec la régularité d’un métronome, les explosions de violence et autres exploits au sabre rappellent au spectateur ce qu’il est en train de voir, participant tout autant à la mise en place de l’ambiance.

 

Les développements

 

Au-delà, le déroulé du film n’accumule pas forcément les surprises – globalement, il suit une pente inéluctable, qui verra les camps se définir, les « geishas » s’inscrivant malgré leurs crimes passés du côté des « gentils », le rônin sombrant quant à lui clairement dans le camp des méchants en dépit de sa femme. Le masseur aveugle, on s’en doute, est du côté de la justice, et n’aura de cesse de la gagner. Sans surprise non plus, les employeurs du rônin s’avèrent bien les coupables du massacre des parents des « geishas »…

 

En fait, les surprises qui demeurent – éventuellement – ne surgissent qu’à la toute fin, et obéissent sans doute à des codes ; elles sont à la limite de la gratuité, mais peut-être d’autant plus amusantes – ainsi de la révélation de l’identité du Grand Méchant.

 

KITANO RÉALISATEUR DE CHANBARA

 

Le fond est donc des plus classique – de manière parfaitement assumée, et parfaitement à propos. La forme, globalement, suit. Moins « personnelle » sans doute que d’habitude, elle est globalement efficace. Et les combats au sabre ont la sècheresse et la violence propres au genre, loin des fioritures de nos films de cape et d’épée ou de braves chevaliers, dont les épées s’entrechoquent sans cesse au gré d’inévitables parades et contres vite annulés : il s’agit ici de tuer à l’économie, en un coup – les vaincus s’effondrent aussitôt, la scène vierge cinq secondes plus tôt est subitement jonchée de cadavres.

 

Dans ce registre qu’on pouvait trouver inattendu pour Kitano, le fait est qu’il se défend plus qu’honorablement – à l’inverse, aurais-je envie de dire, d’un Wong Kar-wai dans The Grandmaster, pour citer un autre film où un auteur pas habitué du genre se frotte à l’action populaire…

 

J’aurais tout de même un bémol à émettre, concernant le sang numérique… Même si ça m’a moins choqué au revisionnage que lors de mon premier contact avec le film à l’époque de sa sortie – on se fait à tout, j’imagine…

 

LES APPORTS PERSONNELS

 

Mais où est Kitano ? Pour l’heure, nous avons un chanbara plus que correct, et c’est déjà bien. Le véritable intérêt du film est cependant ailleurs, à mon sens – parce que, contrairement à mes préventions, et même si c’est sans doute moins marqué que dans ses précédents films, du fait des codes très particuliers associés à la réalisation d’un Zatoichi, Kitano est là et bien là ; souvent pour de brèves saynètes, qui suffisent cependant, dans leur caractère anecdotique, à donner au film une dimension supplémentaire.

 

L’humour

 

C’est tout particulièrement vrai de quelques séquences humoristiques voire burlesques, valant bien à leur manière les jeux débiles des yakuzas sur la plage de Sonatine, ou les mauvaises blagues de Yamamoto dans Aniki, mon frère – ou peut-être plus encore les tendres bêtises de Nishi dans Hana-bi ?

 

Shinkichi y a un rôle essentiel, personnage assurément bouffon qui a pour fonction de susciter le rire au cœur des plus terribles des drames, mais cela va au-delà – s’il a sa part dans les yeux peints de Zatoichi, il n’est pour rien dans l’ambition du gamin simplet courant en hurlant dans une petite tenue improbable autour de la maison de sa tante, O-ume (Okusu Michiyo, délicieuse de sympathie) ; les yakuzas idiots, les sbires arrogants, sont toujours autant d’occasions de susciter le rire sans négliger l’action… Les quiproquos, éventuellement sexuels, sont aussi de la partie.

 

L’usage de la musique

 

Mais la vraie réussite du film me semble être ailleurs, et elle a trait à l’emploi de la musique, qui débouche systématiquement sur toutes les meilleures scènes – les plus kitanesques… C’est d’autant plus étonnant que la partition de Suzuki Keiichi est globalement plus ou moins convaincante…

 

Kitano, pour ce film, avait mis fin à une longue et fructueuse collaboration avec Joe Hisaishi – qui avait commis bien des merveilles pour lui, je pense tout particulièrement à Hana-bi, mais on trouve aussi de très bonnes choses dans la plupart des films de Kitano qu’il a sonorisés. Le réalisateur, cette fois, avançait que la bande originale de ce chanbara devait jouer avant tout des percussions, ce qui n’était pas dans le style de Hisaishi… Il semblerait que les deux se soient en fait brouillé sur Dolls, le précédent film de Kitano, et ils n’ont jamais retravaillé ensemble depuis…

 

Toujours est-il que c’est Suzuki Keiichi qui a composé la bande originale de Zatoichi. Elle fait bel et bien usage des percussions – en fait, c’en est de très loin l’aspect le plus convaincant : les mélodies et ambiances, au-delà, me paraissent bien plus fades…

 

Mais Kitano use des particularités de cette composition au mieux, en créant des scènes de toute beauté, où l’image est en symbiose parfaite avec la musique.

 

Cela peut concerner des scènes par ailleurs plutôt graves : je pense avant tout à l’entrainement à la danse d’O-sei, accompagné par O-kinu au shamisen – instrument qui, d’ailleurs, vient briser le caractère tonal de la composition à l’arrière-plan, suscitant un effet étonnant ; mais la séquence alterne avec une grâce de ballerine le moment présent et les échos d’un douloureux passé : on passe sans cesse de l’enfant à l’adulte, et inversement, c’est profondément touchant et terriblement beau – probablement ma scène préférée du film.

 

Mais c’est une dimension plus sensible encore dans des scènes d’ambiance autrement drôles : à plusieurs reprises dans le film, et très vite d’ailleurs, nous croisons des paysans travaillant la terre en rythme, plus tard aussi construisant un bâtiment ; les gestes du travail se muent en chorégraphie, et intègrent pleinement la musique, dans une dimension effectivement percussive – c’est très réjouissant, allègre et pouvant évoquer en même temps certains aspects saugrenus dans ce contexte de musique concrète voire industrielle !

 

Et, à la fin du film (je ne crois pas qu’on puisse parler de SPOILER pour autant, c’est parfaitement détaché de toute intrigue), Kitano lâche toute retenue en l’espèce, pour un finale orgasmique faisant danser les héros au rythme des claquettes des Stripes, sur fond de taiko, les gros tambours japonais, qui virent à la techno pure et simple ! C’est du n’importe quoi absolu, jubilatoire, et pourtant là encore pas dénué d’émotion – avec cet improbable effet de morphing sur O-sei et O-kinu, une fois de plus partagés entre l’enfance et l’âge adulte… mais cette fois un vibrant sourire communicatif aux lèvres.

 

CONCLUSION

 

Arrivé à cette phase ultime, on est conquis – moi comme les autres, en dépit de mes préventions plus ou moins fondées. Je maintiens que Zatoichi, succès populaire mis à part, est très loin de figurer parmi les meilleurs films de l’excellent Kitano Takeshi. Ça n’en est pas moins une réussite dans son genre, un chanbara efficace et bien fait, et qui bénéficie en outre de touches plus personnelles qui, pour être relativement discrètes, transcendent le résultat.

 

Je l’ai revu avec beaucoup de plaisir – peut-être bien plus qu’au premier visionnage, d’ailleurs… C’est loin d’être toujours le cas !

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CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (26)

Publié le par Nébal

CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (26)

Vingt-sixième séance de la campagne de L’Appel de Cthulhu maîtrisée par Cervooo, dans la pègre irlandaise d’Arkham. Vous trouverez les premiers comptes rendus ici, et la séance précédente .

 

La joueuse incarnant la chanteuse Leah McNamara était absente. Les PJ présents étaient donc Dwayne O’Brady, l’avocat Chris Botti, et ma « Classy » Tess McClure (ou maintenant « Tess la Rouge »…), maître-chanteuse.

 

I : AVANT L’HEURE

 

[I-1 : Tess/« Diane Pedersen » : Liam, Dwayne O’Brady, Diane Pedersen] Je dois me rendre à Boston ; pour ce faire, je contacte Liam, au Garage Hammer, afin qu’il me procure une voiture, assez luxueuse – du moins à même de ne pas faire tache dans le quartier de l’Omni Parker House. Je me rends au garage, à la porte arrière réservée au Milieu… mais, bien sûr, sous mon apparence de Diane Pedersen. Et les gardes ne me reconnaissent pas, en dépit de mes explications et de ma voix qui n’a pas changé, de leurs noms que je connais, d’anecdotes personnelles que je raconte (l’amourette d’un des gardes avec une femme de ménage de ma connaissance), de la mention de mon « légendaire coup de genou »… J’insiste : je suis Tess, et Liam devait me fournir une voiture ! Un des gardes, s’il est stupéfait, semble prêt à me croire devant l’accumulation de détails, et va se renseigner auprès de Liam – son collègue, lui, m’est profondément hostile. Liam arrive enfin, étonné ; il me rappelle que, pour son anniversaire, j’avais exécuté pour lui une danse bien particulière ; pourrais-je la refaire ? Je m’y résous dans un soupir… Cette fois, il me croit – et le garde qui était allé le chercher est fasciné. Son collègue, quant à lui, se signe et détourne le regard… Liam me tend les clefs, je pars sans plus attendre pour Boston. [Côté équipement, et plus précisément armes, je me suis munie d’un Derringer à la jambe, d’un couteau à l’autre, et d’un 38 dans mon sac à main ; autrement, j’ai de l’argent sur moi – la liasse prélevée par Dwayne dans la mallette du chantage avec Diane Pedersen, entamée par l’achat de ma robe de soirée.]

 

[I-2 : Dwayne/« Leonard Border » : Leonard Border] Dwayne quitte les locaux de la Gazette d’Arkham en voiture (en fait de « taxi », il s’agit d’un chauffeur employé par le journal, qui a peut-être déjà convoyé Leonard Border). Deux heures plus tard, il arrive à un autre hôtel bostonien, afin de se reposer et de se préparer avant le gala du soir à l’Omni Parker House – il demande à ce qu’on revienne le chercher vers les 18h20, pour avoir un peu d’avance (la soirée est supposée débuter vers 19h, plus probablement 19h30). Un groom guide Dwayne dans sa chambre, et constate qu’il n’a pas vraiment d’affaires sur lui – plus tard, Dwayne sera ainsi amené à louer un costume à l’hôtel, mais aussi une sacoche… et un carnet et un stylo, pour prendre des notes – peut-être s’interroge-t-on sur son professionnalisme… En attendant, le groom, en laissant Dwayne dans la chambre, lui annonce que le masseur sera là dans vingt minutes. Dwayne lui laisse 2$ de pourboire.

 

[I-3 : Chris : Michael Bosworth] À l’Omni Parker House, Michael, qui a pu sortir ni vu ni connu du chariot qu’avait amené Chris en chambre froide, va chercher une planque, et avisera pour agir. Chris quitte la réserve, et part à la recherche de la salle de réception. Mais il y en a six dans l’hôtel – dont une bonne moitié a été réservée pour des mariages. Chris retourne en cuisine, où il est aussitôt alpagué par le chef, qui le réquisitionne sans lui demander son avis – il doit assister un garçon de cuisine que le chef ne cesse d’engueuler… Chris se met au travail sans renâcler.

 

[I-4 : Dwayne/« Leonard Border »] Dwayne entend toquer à sa porte ; il regarde par le judas, et voit un type, mi costaud, mi gras, vêtu d’un costume de l’hôtel, et une serviette sur l’épaule : le masseur. Dwayne lui dit qu’il est fatigué, il a besoin de repos – mieux vaut qu’il dorme un peu avant de se rendre au gala… Le masseur lui propose de revenir dans deux heures, et Dwayne accepte.

 

[I-5 : Tess/« Diane Pedersen » : Anna] J’arrive à Boston. Il me faut patienter d’ici au gala. Je décide de me rendre à la planque dont Anna m’avait donné les clefs plus tôt dans la journée – un cabanon dans un quartier désert, avec des petits jardins partagés mal entretenus… Ma voiture détonne dans ce cadre, mais il n’y a pas un chat ; je fais avec. Je compte me rendre au gala avec un « retard de courtoisie », adapté à mon statut, disons 20h plutôt que 19h30 (l’idée est aussi d’arriver quand il y a déjà un peu de foule, pour réduire les risques d’être contrainte à une conversation forcée avec qui que ce soit…).

 

[I-6 : Dwayne/« Leonard Border » : Herbert West, Hippolyte Templesmith] Dwayne s’est reposé. À son réveil, il se palpe la tête, pour prendre la mesure de la différence entre son vrai visage et celui qu’il emprunte – effectivement, il y a une marge sensible au toucher ; il lui faudra faire attention, si jamais il mange, boit ou fume… Le masseur toque à nouveau à sa porte, et Dwayne accepte volontiers ses services. Après quoi, le temps de louer quelques affaires, il est prêt à se rendre à l’Omni Parker House. [Côté équipement crucial, c’est Dwayne qui avait récupéré les trois seringues d’Herbert West – celle qui doit révéler la véritable nature de Hippolyte Templesmith, et les deux destinées à la « réanimation » de cadavres ; mais il n’a gardé sur lui que la première, de couleur bleue, les autres sont restées à Arkham. Côté armes, il dispose d’un .38, qu’il garde dans sa sacoche tout juste louée.]

 

[I-7 : Chris] Le chef cuistot, dans les cuisines de l’Omni Parker House, profite clairement de la présence de Chris, et continuera tant qu’il ne protestera pas – c’est un employé gratuit, il ne va pas s’en priver… Chris suit les ordres, il tient surtout à ne pas se faire remarquer.

 

[I-8 : Dwayne/« Leonard Border » : Leonard Border] Dwayne se rend donc à l’Omni Parker House. Il n’y a pas encore grand-monde devant, mais déjà un policier… et des collègues journalistes à l’affut des scoops et potins. Certains reconnaissent « Leonard Border » et l’interpellent : « Leo ! Fais pas le chien ! T’aurais pas une info ? » Dwayne se contente d’entrer dans l’hôtel avec un petit signe de la main – ce qui lui vaut des insultes… À l’entrée du hall, un employé de la sécurité de l’hôtel demande son invitation, pour la forme, à « Leonard Border » ; Dwayne, qui l’avait soutirée des affaires du journaliste, la lui tend, et le gardien ne la regarde même pas vraiment, lui faisant aussitôt signe d’entrer.

 

[I-9 : Dwayne/« Leonard Border » : Vinnie ; Danny O’Bannion, Brienne, Elaine, Hippolyte Templesmith, Tess McClure/« Diane Pedersen »] Le hall est luxueux – et sans doute très lumineux en tout autre période de l’année. La sécurité y est visible – plusieurs de ces gardes le saluent de la tête… mais un autre va jusqu’à l’accoster : « M. Border ? » Cette voix dit quelque chose à Dwayne – d’autant qu’il y devine un effort pour masquer l’accent irlandais… C’est Vinnie ! Grimé en employé de l’hôtel… « Suite à ce qui vous est arrivé, l’hôtel tient à s’assurer de votre sécurité ; veuillez me suivre, je vous prie… » Dwayne s’exécute. Vinnie le conduit dans une sorte de bureau privé, et ferme la porte derrière eux. Il dit à Dwayne de s’asseoir, il va chercher un rafraichissement… Mais Dwayne le suit du regard, ne s’assied pas, et peut ainsi esquiver l’assaut soudain de Vinnie tentant de le saisir à la gorge ! Il dit aussitôt, en irlandais : « Arrête ! On est du même camp ! J’ai pris l’apparence du journaliste ! » Sa voix étant toujours la sienne, Vinnie, qui avait dégainé un .38, s’interrompt. « Arrête tes conneries, on est tous les deux de la ferme d’O’Bannion ! C’est Dwayne ! » Il incite Vinnie à toucher son visage de sa main libre – ce que fait le bras-droit de Danny O’Bannion, qui constate avec stupeur la différence entre l’apparence et la réalité. « Cherche pas… » lui fait Dwayne. Mais Vinnie veut une preuve supplémentaire, et lui demande le nom de sa régulière : « Brienne ; là, elle est à la garçonnière de Danny, avec l’ex du patron… » Vinnie range son arme : « Quelque part, j’ai envie de dire ʺbien jouéʺ… » O’Bannion lui a ordonné de remplacer un employé « subitement malade », d’où sa présence ici ; il n’est pas très à l’aise – mais c’est peut-être davantage une colère sourde à l’encontre de cet ordre impromptu du patron qu’une véritable inquiétude. Il demande à Dwayne quel est notre plan – il s’agit d’injecter un produit à Hippolyte Templesmith, qui le révèlera pour ce qu’il est… S’il y a du grabuge, Vinnie a repéré une sortie de secours dont il a les clefs, mais il faut établir un mot de passe, un signal ; Dwayne se décide pour : « On a besoin de poulet ! » D’accord… Dwayne signale enfin à Vinnie qu’il risque de croiser « une certaine Diane : c’est Tess ». Vinnie acquiesce, l'air étonné… « Ton ami Templesmith attend les invités tel que toi dans la salle de gala. » Vinnie la lui indique.

 

[I-10 : Chris, Dwayne/« Leonard Border » : Hippolyte Templesmith, Leonard Border] Chris bénéficie enfin d’une pause, qu'accorde gracieusement le chef cuistot à ses larbins avant que la soirée à proprement parler ne débute. Chris demande à un des garçons de cuisine s’il sait dans quelle salle a lieu la réception, et en obtient le numéro. Il va y jeter un coup d’œil. Hippolyte Templesmith s’y trouve déjà, en plein centre, à côté d’une urne destinée à recevoir les donations pour sa campagne électorale ; en face se trouve une estrade destinée aux discours politiques, avec des escaliers sur les côtés ; des bénévoles s’affairent à une table débordant de matériel électoral et publicitaire. Cette pièce n’est visiblement pas destinée à la musique. Chris retourne aux cuisines, et croise Dwayne, sous l'apparence de Leonard Border, en route – ils se reconnaissent ; étant seuls, Dwayne fait un signe de la tête, auquel Chris répond par un clin d’œil. Chris se prépare à faire le service - ça ne va plus tarder. Le chef lui désigne d’ailleurs déjà des chariots de boissons et d’amuse-gueule…

 

II : LA SOCIÉTÉ

 

[II-1 : Dwayne/« Leonard Border » : Vinnie, Hippolyte Templesmith, Margaret Hoover ; Leonard Border] Dwayne pénètre dans la salle du gala, et Vinnie s’y trouve également, jouant son rôle d’employé de la sécurité de l’hôtel. Hippolyte Templesmith aperçoit « Leonard Border », et s’avance calmement dans sa direction : « Leonard, mon ami ! Je vous attendais avec impatience… » Dwayne, conscient de ce que sa voix pourrait le trahir, fait l’enroué, tousse parfois. Une autre invitée de marque entre dans la salle : il s’agit de Margaret Hoover, accompagnée de plusieurs femmes, la plupart dans ses âges, ainsi que d’un vieil homme – ils arborent un écusson reproduisant l’anagramme de son association de lutte contre les disparitions. Templesmith laisse temporairement « Leonard Border » pour féliciter la dame quant à sa « beauté ». Il l’invite, ainsi que « Leonard Border », à se servir en rafraichissements – lui-même reste non loin du buffet. D’autres invités commencent à affluer.

 

[II-2 : Chris : Elsa Ropes, Leah McNamara, Potrello, « La Mâchoire »] Chris en apprend plus sur le déroulement de la soirée – qui aura lieu dans trois salles. La salle du gala, centrale, fait la jonction entre les deux autres. Le dining room est destiné au repas, et c’est là que se trouve le petit orchestre rassemblé par Elsa Ropes (elle-même s’y trouve, à surveiller le travail de ses employés), et Leah en fait partie, qui joue du violon. Le dancing room – qui devrait à terme être moins « sage » – n’est pas encore égayé de musique ; des trois salles, c’est la moins bondée pour l’instant – mais Chris y repère tout de même Potrello, le conseiller municipal et chef de la mafia d’Arkham, qui joue aux cartes avec « La Mâchoire », son garde du corps (ce surnom lui vient de sa réputation de mordre quand il se bat ou torture…), d’une froideur inquiétante. Chris ne s’attarde pas…

 

[II-3 : Dwayne/« Leonard Border » : Hippolyte Templesmith, Margaret Hoover ; Leonard Border, Tess McClure/« Tess la Rouge »] Dwayne se rendait aux toilettes, mais un employé vient le chercher : Hippolyte Templesmith s’inquiète de sa santé… Contraint et forcé, Dwayne revient au petit groupe formé autour de leur hôte. « Ah, Leonard ! » Templesmith, qui n’a pas vraiment eu l’occasion de lui parler, prend cette fois un peu plus de temps pour discuter. « Dites-moi, c’est un véritable miraculé que nous avons ce soir ! » Leonard Border a donc échappé aux griffes de « La Rouge » ? Templesmith est très souriant. Margaret Hoover tremble à la seule évocation de cet enlèvement, mais félicite « Leonard Border » : tant de chance… c’est un cadeau de Dieu ! Quoi qu’il en soit, « Leonard Border » n’aurait raté cette soirée pour rien au monde… Templesmith en profite pour lui donner quelques consignes : il peut interviewer des invités, et les prendre en photo – mais, dans le cas où c’est pour immortaliser leur donation dans l’urne, il faut d’abord avoir leur autorisation. Mais c’est alors que Templesmith remarque que « Leonard Border » n’a pas d’appareil photo, seulement une sacoche… Oui, il est parti en hâte, mais un employé de l’hôtel devrait lui trouver un appareil. Templesmith lui donne une tape sur l’épaule, et lui souhaite une bonne soirée ; qu’il prenne donc la température des invités… Templesmith retourne à ses occupations. Dwayne se demande dans quelle mesure il était suspicieux, mais ce n’est a priori pas le cas – c’est simplement dans ses habitudes de remarquer plein de petits détails que la plupart ne verraient pas… Pour l’heure, il a le sentiment d’être passé au-dessus.

 

[II-4 : Tess/« Diane Pedersen »] Il est temps pour moi d’y aller. Quand j’arrive devant l’Omni Parker House, une foule s’est attroupée devant l’entrée principale – plus seulement des journalistes, davantage de badauds venus se rincer l’œil au spectacle des célébrités… Les effectifs de police ont été augmentés en conséquence. Il y a un parking à l’arrière, réservé aux invités de marque, et je m’y rends – il donne sur une entrée plus « discrète » (sans être sordide ou secrète). Le gardien demande mon invitation, que je n’ai bien sûr pas : « Ah, il fallait bien que j’oublie quelque chose… Quelle journée… » Je prends soin de maquiller ma voix, un peu enrouée. Mais le gardien me dit qu’il n’y a pas de problème – il reconnaît mes magnifiques traits… Je le remercie d’un sourire et pénètre dans l’hôtel.

 

[II-5 : Tess/« Diane Pedersen » : Diane Pedersen] À l’intérieur, forcément, nombre des invités connaissent Diane Pedersen. Un homme m’approche, notamment, enchanté de me voir. Je ne le remets pas, mais suppose à son allure et à ses manières qu’il est dans la finance. Il me parle d’ailleurs bien vite des rapports entre « nos sociétés »… mais je lui dis gentiment que je ne pense pas que ce soit le lieu ni le moment de discuter affaires – d’autant que je suis peut-être un peu fatiguée… Il n’insiste pas.

 

[II-6 : Tess/« Diane Pedersen » : Leah McNamara, « Snake » ; Hippolyte Templesmith, Diane Pedersen] Je traverse la salle de gala sans m’y attarder, espérant que Templesmith ne me remarquera pas pour l’heure. Je me rends aussitôt au dining room, qui me paraît moins dangereux – et plus approprié que le dancing room au regard de la chaste réputation de Diane Pedersen. Là-bas, je reconnais Leah parmi l’orchestre – elle me repère également, et le signifie d’un clin d’œil. Un serveur m’invite à prendre place à une table, ce que je fais – lui commandant un petit assortiment léger. Je repère également Chris, qui me voit lui aussi. Je remarque enfin un serveur noir – plutôt une exception dans un endroit pareil –, mais ne m’y attarde pas. [Il s’agit de « Snake »… mais je ne l’ai pour ma part jamais vu.]

 

[II-7 : Chris : Hippolyte Templesmith] Chris retourne dans la salle du gala, où se trouve toujours Hippolyte Templesmith. Des hommes de sa sécurité privée sont toujours auprès de lui, leur uniforme les distingue des agents de l’hôtel. On en vient aux discours – Templesmith monte sur l’estrade, devant son pupitre, pour remercier ses aimables invités, qui commencent à glisser des chèques dans l’urne au centre de la salle. Chris inspecte discrètement les environs et les pièces adjacentes.

 

[II-8 : Dwayne/« Leonard Border » : Hippolyte Templesmith, Balthazar Wagner, Alexis Ranley] Dwayne s’y trouve également. Il a enfin récupéré un appareil photo – mais prend bien soin, comme Templesmith le lui avait dit, de demander l’autorisation avant de prendre une photo aux environs de l’urne. Les invités de marque affluent toujours davantage – parmi lesquels on relève notamment Balthazar Wagner, vice-président de l’Université Miskatonic, ou encore Alexis Ranley, directeur de l’asile d’Arkham. Dwayne commence à prendre des photos… sauf que son appareil ne fonctionne pas ; mais personne ne s’en rend compte à part lui. Il prend alternativement des notes sur son calepin.

 

[II-9 : Tess/« Diane Pedersen » : Leah McNamara, Elsa Ropes ; Hippolyte Templesmith] Je dîne tranquillement – en remarquant tout de même la présence de la sécurité privée de Templesmith. D’ailleurs, un de ses agents vient me voir : « M. Templesmith veut vous voir dans deux heures au dancing room. » Le ton est impératif, le molosse s’en va sans attendre de réponse… Je remarque que Leah, sur scène, fait quelques couacs à l’occasion, qui lui valent des regards noirs d’Elsa Ropes

 

[II-10 : Chris : Hippolyte Templesmith, Margaret Hoover ; Orson Cushing] Chris, au fil de son inspection des lieux… tombe sur les bureaux de la sécurité de l’hôtel, où plusieurs gardes se trouvent. Chris se dit prêt à les servir – on ne le reconnaît pas, et on s’en étonne, mais il explique être un factotum au service du traiteur, Orson Cushing. L’explication les convainc, et les gardes blagueurs laissent entendre qu’ils veulent bien que Chris les serve, oui – peut-être des boissons « spéciales » ? Chris les laisse au milieu des rires, il s’est fait de nouveaux amis… Repassant par la salle de gala, Chris jette une oreille au discours de Hippolyte Templesmith, qui loue la vie associative d’Arkham, et invite d’ailleurs Margaret Hoover à le rejoindre sur l’estrade. Chris ne s’attarde pas, et retourne dans le dining room.

 

[II-11 : Tess/« Diane Pedersen », Chris : Hippolyte Templesmith, Dwayne/« Leonard Border »] Quand je vois Chris revenir dans le dining room, où j’ai lentement dégusté mon assiette, je me rends au comptoir, au prétexte de jeter un œil aux plats qui s’y trouvent, en fait dans l’espoir de pouvoir m’entretenir discrètement avec lui (j’avais d’abord songé aux toilettes, mais impossible : les toilettes hommes et femmes ont des entrées différentes). Chris m’y rejoint – s’assurant de ce que personne ne prête attention à nous, il m’explique la disposition de chacun ; je lui dis que j’essaye pour l’heure d’éviter Templesmith, mais je ne vais pas y couper : un de ses sbires m’a signifié qu’il voulait me voir dans un peu moins de deux heures au dancing room. Chris propose de se trouver là le moment venu, au cas où… Peut-être Dwayne pourra-t-il faire de même. Mais est-ce un rendez-vous privé ? Je dois le retrouver au dancing room, mais n’en sais pas davantage... Est-ce que je compte rester ici en attendant ? Non, il me faudra bien passer par le gala, tout autre comportement serait bien plus suspect… Par ailleurs, je souhaite faire un repérage du dancing room, et, pour ce faire, il me faut de toute façon passer par la salle du gala. Chris me demande si j’ai un autre message à transmettre à Dwayne, mais ce n’est pas le cas – il faut juste qu’il soit au courant pour mon rendez-vous. Chris se retire.

 

[II-12 : Dwayne/« Leonard Border » : Robert Carlyle, Erica Carlyle, Nathan Hardwicke, Helen Hardwicke, Hippolyte Templesmith, Margaret Hoover, Vinnie] Dwayne, dans la salle de gala, voit arriver des invités qui ne sont pas de la région : Robert Carlyle et sa sœur Erica, Nathan et Helen Hardwicke qui viennent du Pays de Galles (très snobs, ces derniers)… Il fait semblant de prendre des photos. Templesmith, sur l’estrade, se met de côté et laisse la parole à Margaret Hoover. Vinnie est toujours dans cette pièce.

 

[II-13 : Tess/« Diane Pedersen » : Erica Carlyle, Hippolyte Templesmith ; Diane Pedersen] Pour me rendre au dancing room, il me faut passer par la salle du gala. J’y croise Erica Carlyle – visiblement une connaissance de Diane Pedersen, mais, quant à moi, je ne l’ai jamais vue que dans les journaux ; je la sais extrêmement riche… Elle me fait signe de la main, très cordiale et enjouée. Je lui réponds de même, peu désireuse toutefois de lui parler, mais elle s’avance : « Heureuse de voir ici une personne de qualité ! » Je lui réponds aimablement, mais de mon ton enroué ; elle s’en étonne, je lui dis craindre d’avoir pris froid – il n’était peut-être pas très raisonnable de venir ce soir… Elle s’inquiète pour ma santé, me dit que, si elle peut faire quoi que ce soit… Je la rassure – et continue mon chemin. Mais je sens le regard de Hippolyte Templesmith posé sur moi – celui d’un de ses gardes également, qui semble ne jamais me perdre de vue… Je ne m’attarde pas, et me rends au dancing room.

 

[II-14 : Chris, Dwayne/« Leonard Border » : Tess McClure/« Diane Pedersen », Hippolyte Templesmith] Chris est dans la salle de gala ; il repère Dwayne et se rend auprès de lui – toujours à faire semblant de prendre des photos et de griffonner dans son carnet. Chris lui explique que je suis là, et lui parle du rendez-vous dans le dancing room. Dwayne acquiesce sans rien dire – d’autant qu’ils sont proches de l’estrade où se tient toujours TemplesmithChris poursuit son chemin.

 

[II-15 : Dwayne/« Leonard Border » : Hippolyte Templesmith, Alexis Ranley, Balthazar Wagner ; Leonard Border, Tess McClure/« Tess la Rouge »] Dwayne remarque que Templesmith s’entretient avec son service de sécurité. Il s’approche en prenant des notes. Mais Alexis Ranley et Balthazar Wagner l’interceptent : « M. Border ? Le rescapé d’Arkham ? Le survivant de ʺLa Rougeʺ ? Tout le monde vous croyait mort… » Lui-même ne sait pas trop comment il en a réchappé… Ses deux interlocuteurs ont hâte de lire le livre que cette expérience lui inspirera ! Puis ils signalent d’un air complice qu’ils vont déposer leurs chèques dans l’urne… Dwayne, qui comprend ce que cela signifie, fait semblant de les prendre en photo à ce moment-là. Wagner s’étonne de ce que l’appareil de « Leonard Border » n’ait pas de flash ; c’est un appareil fourni par l’hôtel, il a eu quelques soucis… Mais qu’ils ne s’inquiètent pas, ils auront droit à de belles photos dans la Gazette d’Arkham ! Puis il sort son carnet de notes pour les interviewer ; comment envisagent-ils l’avenir, avec un homme comme Templesmith pour guider Arkham ? Ils sont là pour en juger – en notant l’engouement pour le personnage, son bon sens, son aptitude aux responsabilités… Voilà un homme à même de sauver les institutions essentielles de la ville d’Arkham ! Espèrent-ils une baisse de la criminalité ? Oui, cet aspect doit être pris en compte ; mais il y a plus, il faut penser à l’avenir, aux générations futures – après tout, certaines salles de cours de l’Université Miskatonic sont tristement délabrées ; par ailleurs, l’asile bénéficierait à n’en pas douter de l’acquisition d’une de ces machines à électrochocs les plus récentes… Dwayne passe à des questions plus futiles – ils sont visiblement là pour prendre la température, déterminer ce que leur soutien à Templesmith pourrait leur apporter. Ils remarquent que « Leonard Border » est enroué, mais ne s’en inquiètent pas plus que cela. Après quoi ils prennent congé, et s’approchent de l’estrade pour échanger quelques mots avec Templesmith, plus libre maintenant que d’autres se succèdent à la tribune. Après quoi ils se rendront au dining room – ils n’avaient pas manqué d’inviter « Leonard Border » à les rejoindre le moment venu : le héros d’Arkham ! Dès qu’il pourra sa libérer, il les rejoindra, bien sûr…

 

[II-16 : Tess/« Diane Pedersen » : « Snake », Potrello, « La Mâchoire », Erica Carlyle, Robert Carlyle, Diane Pedersen] Je pénètre dans le dancing room – où je vois le serveur noir [« Snake », donc], Potrello, « La Mâchoire »… La salle est toujours la moins remplie des trois. On n’y sert pas ouvertement de l’alcool, mais il y a quand même deux ou trois personnes « égayées »… La musique n’est plus totalement classique, mais reste relativement « sage » – ce n’est pas encore du jazz. Je vais prendre un rafraichissement au comptoir, en guettant les conversations qui s’y tiennent – rien de palpitant, c’est très bourgeois, on évoque parfois des « choses plus amusantes à boire »… J’y retrouve Erica Carlyle et son richissime frère Robert – qu’elle surveille, de toute évidence. Lui me regarde d’un air langoureux… Il était sur le point de m’aborder, mais je me suis alors rendue dans les toilettes : j’avais besoin de me repoudrer… J’ai l’impression d’une décharge d’électricité statique sur ma peau – effet du rituel plus que de la cocaïne. Quand je retourne dans le dancing room, Robert Carlyle me repère presque immédiatement, et m’accoste plus franchement – l’attirance sexuelle ne fait aucun doute dans son regard, et je sais qu’il a une réputation de coureur de jupons… Mais je comprends que, si Diane Pedersen et Erica Carlyle se connaissent, Robert Carlyle doit être un parfait inconnu pour moi – en fait, Diane Pedersen l’avait sans doute croisé, avec sa sœur, mais sans qu’il lui accorde la moindre attention… Je lui dis connaître sa sœur ; il m’interrompt : sans doute m’a-t-elle raconté des choses ignobles sur son compte ? Mais c’est simplement qu’il aime s’amuser… Il est plus lubrique que jamais. Il joue au playboy, affiche sans vergogne sa considérable fortune ; en même temps, jaugeant mes réactions, il essaye finalement de se montrer plus « sage », afin de percer mes goûts. Il me propose de me servir à boire – je dis, un peu sarcastique, que je ne le savais pas serveur, mais pourquoi pas… Il interpelle un serveur, et lui demande « deux Miska-Tonic ! », avec un clin d’œil appuyé qui ne m’échappe pas – ce sera du whisky… Erica fulmine visiblement ; elle semble se forcer à regarder ailleurs, mais guette mes réactions : la situation lui déplait fortement, et son antipathie ne cesse de croître… Le serveur nous apporte nos verres – avec le clin d’œil de circonstance. À peine Robert m’a-t-il tendu mon verre que je lui tourne le dos, pour converser avec Erica – j’ignore totalement le séducteur, c’est un râteau sans appel… D’abord stupéfait puis vaguement colérique, il se remet bien vite, buvant son verre cul sec puis se tournant vers une autre jeune femme… Erica est visiblement soulagée par mon comportement – mais je lui ai fait peur ! Heureusement, j’ai réagi au mieux… La conduite de son frère la fait souffrir – elle a trop vu de femmes quitter leur résidence en petite tenue, au plus profond de la nuit… Heureusement, je ne suis pas comme elles !

 

[II-17 : Chris : Leah McNamara, Michael Bosworth ; Dwayne O’Brady/« Leonard Border », Tess McClure/« Diane Pedersen », Hippolyte Templesmith] Chris est retourné en cuisine pour emporter un plateau d’amuse-gueule, à destination du dining room. Il y pénètre alors même que Leah quitte la scène – la rotation des musiciens lui permet de prendre une pause, et elle est disponible pour parler. Chris se rend donc auprès d’elle ; mais, en chemin, il croise Michael, qui a complètement changé d’allure : avec son smoking, sa canne, on dirait un lord ! Allez savoir où il a trouvé tout ça… Michael adresse un clin d’œil à Chris, qui répond de même, avant d’atteindre Leah. Les collègues de cette dernière se ruent sur son plateau – charmante attention de l’hôtel ! –, que Chris leur laisse bientôt, pour s’écarter avec Leah ; il lui explique que Dwayne et moi sommes là, et évoque mon rendez-vous avec Templesmith dans le dancing room. Ce sera peut-être la meilleure occasion d’agir… Il va continuer de faire la navette entre nous tous, afin de mettre en place un plan d’action. Leah lui dit cependant qu’elle ne pourra pas quitter la scène aussi facilement, elle se ferait virer aussitôt… mais à voir si ça vaudrait le coup ? Qu’elle continue son office pour le moment.

 

[II-18 : Dwayne/« Leonard Border » : Vinnie, Hippolyte Templesmith, Nathan Hardwicke, Helen Hardwicke ; Potrello, « La Mâchoire », Tess McClure/« Diane Pedersen »] Dwayne passe à côté de Vinnie, et lui parle du rendez-vous au dancing room. Vinnie va essayer de prendre la place d’un agent de sécurité de l’hôtel pour s’y rendre – mais il y a là-bas des gens qui risquent de le reconnaître, notamment Potrello et « La Mâchoire »… Mais peut-être le dancing room n’est-il pas l’endroit le plus adopté (pour ma part, je redoute de jouer ainsi le jeu de Templesmith, et sur le terrain qu’il a lui-même choisi…). Dans tous les cas, il lui faudra cependant se tenir prêt à faire diversion ou à arranger notre fuite. Dwayne constate alors que Templesmith a quitté l’estrade, et se retire dans un bureau privé avec Nathan et Helen Hardwicke.

 

[II-19 : Dwayne/« Leonard Border » : Potrello, « Snake », « La Mâchoire » ; Hippolyte Templesmith, Herbert West] Dwayne se rend au dancing room, où la musique évolue insidieusement vers le jazz, tandis que des boissons « un peu plus corsées » sont de plus en plus souvent servies… Il s’approche discrètement de la table de Potrello – le mafieux discute avec « Snake » déguisé en serveur (Dwayne, lui, le connaît) ; mais « La Mâchoire » l’entraperçoit et lui adresse un regard intimidant… Dwayne n’insiste pas et retourne auprès du comptoir, où il me retrouve. Nous mettons au point notre plan. Le dancing room, le terrain choisi par Templesmith, n’arrange pas nos affaires – d’autant que, s’il nous faut fuir, cela impliquera de retraverser au préalable la salle de gala bondée… Je vais donc plutôt patienter dans cette dernière, en évidence, et faire l’appât ; nous laisserons à Chris le soin de faire diversion, et à Vinnie d’assurer notre fuite, tandis que Dwayne profitera de ce que Templesmith se rende auprès de moi pour lui planter la seringue d’Herbert West dans le dos…

 

[II-20 : Dwayne/« Leonard Border », Tess/« Diane Pedersen » : Pierce Hawthorne, Balthazar Wagner, Michael Bosworth, Alexis Ranley, Nathan Hardwicke, Helen Hardwicke ; Hippolyte Templesmith] Dwayne et moi retournons donc – séparément – dans la salle de gala, où l’on annonce un discours de Pierce Hawthorne ; ce dernier est un universitaire, et Balthazar Wagner l’applaudit frénétiquement : Hippolyte Templesmith aidera les nouvelles générations, notamment via l’Université Miskatonic, etc. Je prends place, en vue depuis le bureau où s’est retiré Templesmith, et remarque Michael, non loin de moi. Un homme de la sécurité privée de Templesmith sort du bureau et va s’entretenir avec Balthazar Wagner et Alexis Ranley – qui ne se quittent décidément pas d’un pouce. Les Hardwicke sortent de la pièce privée, et les deux enthousiastes donateurs prennent leur place. Les Hardwicke se concertent, en jetant notamment un œil à Dwayne.

 

[II-21 : Tess/« Diane Pedersen » : Helen Hardwicke ; Diane Pedersen, Hippolyte Templesmith] Puis Helen Hardwicke s’approche de moi : « Vous êtes bien Diane Pedersen ? » Tout à fait, Miss Hardwicke. Pourrais-je alors la conseiller quant à Hippolyte Templesmith ? je suis notoirement en relations d’affaires avec lui… Pourquoi pas ? Est-il compétent en affaires ? Est-ce un partenaire commercial utile, et de confiance ? Elle me demande même des chiffres – mais je ne les ai pas : la comptabilité ne sied guère à mon rang, ce qu’elle conçoit sans doute très bien… Quant à ses questions : est-il compétent en affaires ? Oui, à n’en pas douter. Est-ce un partenaire commercial utile ? Il peut l’être… Et de confiance ? Autant que peut l’être un partenaire commercial utile… Elle me remercie d’un sourire très hypocrite, chargé en fait du plus profond mépris.

 

[II-22 : Dwayne/« Leonard Border » : Nathan Hardwicke, Helen Hardwicke ; Leonard Border, Hippolyte Templesmith, Tess McClure/« Diane Pedersen »] Pendant ce temps, Nathan Hardwicke va pour sa part discuter avec « Leonard Border », « ce qui ressemble le plus à un journaliste ici », lui a-t-on dit… Dwayne acquiesce ; et donc ? Eh bien, vu la distance qu’il a parcourue pour venir à ce gala, la moindre des choses serait de lui demander une interview… Bien sûr, il laisse l’initiative au journaliste d’en quémander une. Dwayne joue son jeu. Que pense-t-il du prochain maire ? « Nous verrons bien dans le futur… » C’est la réponse systématique à chaque question que tente Dwayne, avec de légères variantes. Par exemple : « Que fait une personne de votre rang dans un endroit aussi… ʺpittoresqueʺ ? » Il attend des preuves de la compétence du futur maire, etc. À chaque fois, Hardwicke fait signe à « Leonard Border » de passer à une autre question, plus pertinente espère-t-il, d’un geste méprisant de la main… Dwayne l’interroge à propos de la donation qu’il compte faire au bénéfice de la campagne de Templesmith ; quel sera le montant de sa générosité ? Nathan Hardwicke fait signe à Helen de le rejoindre – elle en a fini avec moi ; tous deux s’avancent lentement vers l’urne, laissant clairement entendre qu’ils souhaitent être photographiés… Mais Dwayne ne fait pas un geste en ce sens – se contentant de fixer les snobs frustrés avec un grand sourire. Ils sont furieux, et, plus hautains que jamais, s’en vont voir ailleurs…

 

III : IL EST D’AILLEURS

 

[III-1 : Tess/« Diane Pedersen » ; Hippolyte Templesmith] Templesmith sort enfin de son bureau. Sans me signaler spécialement, j’ai fait en sorte d’être visible, dans la salle du gala. Il m’adresse un de ses gardes du corps pour me signifier de me rendre au dancing room tandis que lui-même va faire un énième discours à l’estrade. Mais je refuse de m’en aller – lâchant au sbire que je suis curieuse d’entendre ce que notre hôte a à dire… Le garde grogne, mais n’est guère en position de faire quoi que ce soit ; je constate qu’il « sent la marée »…

 

[III-2 : Dwayne/« Leonard Border »] Dwayne prépare la seringue, qu’il dissimule dans sa manche…

 

[III-3 : Tess/« Diane Pedersen » : Hippolyte Templesmith] Templesmith me regarde depuis l’estrade – son discours est des plus bref. Il s’approche ensuite de moi, avec un sourire aussi cruel qu’enjoué. Arrivé face à moi, il me dit de le suivre au dancing room. Mais je ne bouge pas, et ne dis pas un mot. La scène étonne tout autour, et la foule se rapproche inconsciemment. Templesmith m’observe – et son attitude change progressivement ; il y a un temps de la surprise dans son regard, mais surtout de l’amusement : « Vous êtes décidément pleine de surprises… » Il me saisit par l’épaule… et je me jette sur lui pour l’embrasser à pleine bouche. Il est stupéfait ! Et je l’interromps dans ses paroles, ne comprenant qu’après coup qu’il avait entamé une incantation…

 

[III-4 : Chris, Tess/« Diane Pedersen », Dwayne/« Leonard Border » : Vinnie, Hippolyte Templesmith, Michael Bosworth ; Herbert West] Chris hurle : « On veut plus de poulet ! » Et il se précipite sur le buffet, qu’il renverse. Un agent de sécurité voulait s’emparer de lui, mais Vinnie l’intercepte. Le regard de Templesmith oscille entre Chris et moi – je reste collée à lui. J’essaye de le renverser, mais il me repousse – il est bien plus fort qu’il n’en a l’air… Dwayne a bondi au cri de Chris, de même que Michael ; mais si ce dernier s’en prend à un agent de sécurité, Dwayne, lui, plante la seringue d’Herbert West dans le dos de Templesmith, qui hurle de douleur ; il ne peut cependant en injecter que la moitié du contenu avant qu’un garde du corps le fasse valser – mais la seringue reste fermement plantée… Les agents de sécurité se précipitent sur Chris, au milieu de la foule affolée. Il se saisi d’un plateau, qu’il balance violement à la face d’un garde : il l’éborgne, le sang gicle de son œil crevé ! Michael tente de débarrasser Chris d’un autre de ses assaillants, armé de son couteau, mais sans succès. Je me relève – sans dégâts –, et me précipite sur Templesmith ; j’évite son coup, parviens à le contourner, et injecte le reste du produit de la seringue dans son dos. Templesmith hurle encore davantage – et nombre des invités de même… Un de ses gardes essaye de lui venir en aide, mais ne peut strictement rien faire – un autre qui s’en prenait à Chris est assommé d’un coup de crosse assené par Vinnie.

 

[III-5 : … : Hippolyte Templesmith/« 6X »] Templesmith est pris de violents tremblements, et sa peau se craquèle – des lambeaux se déchirent et tombent à terre, à l’instar de ses vêtements : c’est comme si on l’épluchait… Sous la couche d’imposture, c’est bien « 6X » qui se révèle – avec sa peau maladive, oscillant entre le rose et le blanchâtre, parsemée de cloques et de surfaces écailleuses, d’où jaillissent de longues touffes de poils bruns… Il est très grand : il mesure bien dans les 2m50, même s’il se tient vouté. Ses longs pieds n’ont que deux orteils, outre un ergot. Ses bras sont aussi longs que fins, s’achevant en dix doigts effilés et griffus. Sa face et ses yeux sont tout aussi répugnants, quelque part entre le reptile et l’homme, avec un œil en amande et l’autre plus humain, tandis que des crocs volumineux mais très divers sortent aléatoirement de sa gueule – laquelle est parsemée d’anneaux destinés semble-t-il à ce qu’il ne se blesse pas lui-même avec sa mâchoire…

 

[III-6 : Tess/« Diane Pedersen » : « 6X »] Je suis figée sur place. « 6X » se retourne vers moi, qui suis la plus proche ; il cesse un instant de se griffer et tend ses longs bras vers moi. Je l’entends marmonner entre deux hurlements de douleur : « Quatrième essai… Des décennies pour rien… » Il se projette en avant pour m’enlacer. « Cette fois, vous allez tous sentir ma frustration ! » Je parviens pourtant à esquiver in extremis son assaut.

 

[III-7 : Dwayne/« Leonard Border : « 6X », Vinnie] « 6X » change alors de cible. D’un bras, il s’empare d’un agent de sécurité qu’il égorge aussitôt – mais son autre bras est tendu vers Dwayne, qui l’évite cependant. Vinnie n’est pas en mesure de tirer – il y a trop de monde alentour, et il est de toute façon tétanisé par le hideux spectacle… Leah, qui a rejoint le groupe, est elle aussi profondément choquée – elle se trouve non loin de Chris, qui bataille.

 

[III-8 : Tess/« Diane Pedersen : « 6X »] « 6X » psalmodie à nouveau, une sorte d’incantation sifflante. Je me saisis de mon couteau, que je cherche à planter dans ses parties génitales – à supposer qu’il en ait. Quoi qu’il en soit, cela interrompt à nouveau son incantation…

 

[III-9 : Dwayne/« Leonard Border », Chris : Leah] Dwayne court pour sauter par une fenêtre. Chris hurle également à Leah de fuir, tandis que lui-même s’empare d’un nouveau plateau.

 

[III-10 : Tess/« Diane Pedersen » : « 6X »] « 6X » a peu ou prou décapité l’agent dont il s’était saisi ; il reprend son incantation en malmenant le cadavre, lui arrachant la peau du dos, et achevant de séparer sa tête de son corps en la tirant par les cheveux. Je perçois comme une « lumière obscure » jaillissant de ses plaies – elle est d’un rouge noirâtre, qui imprègne absolument tout aux alentours : ma perception – et tout autant celle des autres – est envahie par la couleur impossible ; et j’ai l’impression de chuter dans une substance liquide et magique…

 

IV : NOUS SOMMES AILLEURS

 

[IV-1 : Dwayne/« Leonard Border »] Dwayne, alors qu’il franchit la fenêtre, a l’impression de recevoir quelque chose en pleine tête – mais ce n’est ni du verre, ni du bois… Il tombe sur un sol assez dur. Quand il ouvre les yeux, il réalise que se trouvent à ses côtés deux sortes de becs de pieuvres gigantesques, faisant bien chacun dans les six mètres de hauteur. Entre les deux, à ses pieds, il y a un trou dont il ne perçoit pas le fond. La lumière est très étrange autour de lui – un peu argentée ; par ailleurs, le ciel est dégagé. Autour de lui s’étend un archipel – le soleil est masqué par deux lunes passant devant lui… Se tient-il sur une immense créature ?

 

[IV-2 : Chris] Chris tombe sur une surface de terre herbeuse. Il est lui aussi sur une île au milieu d’un archipel. Le décor est étonnant, une végétation mi tempérée, mi tropicale – avec notamment des bambous ; mais la chaleur est supportable. Il y voit cette même lumière étrange, qui éclaire la plage à côté, où des crabes assez gros (mais sans être monstrueux) dévorent des poissons morts…

 

[IV-3 : Tess/« Diane Pedersen »] Quant à moi, je reprends connaissance dans une pièce fermée, où règne une horrible puanteur de crasse humaine, d’excréments et de nourriture avariée. J’entends des ronflements autour de moi – et des gens qui se réveillent subitement, l’air surpris. Ma perception s’affine : le sol est de béton, les murs sont noirs de crasse, mais à peine discernables derrière les nombreux lits superposés qui s’entassent contre eux. Je repère trois silhouettes humaines allongées, dont une qui se lève ; plus loin se trouve une porte, à côté d’une table avec quelques vieilles chaises – la table est recouverte d’assiettes pas terminées et de boîtes de conserve ; il y a aussi un portemanteau non loin, où est suspendue une tunique à capuche. Je m’attarde sur les silhouettes humaines ; celle qui s’est levée ne m’a semble-t-il pas vue. Je vois alors que sa bouche est saturée d’aphtes, au point où elle en est obstruée – j’ai conscience des efforts désespérés de cet être pour y faire passer sa langue…

 

[Ma Santé mentale tombe à 0…]

 

À suivre…

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Un pont sur la brume, de Kij Johnson

Publié le par Nébal

Un pont sur la brume, de Kij Johnson

JOHNSON (Kij), Un pont sur la brume, [The Man Who Bridged the Mist], traduit de l’anglais (États-Unis) par Sylvie Denis, Saint Mammès, Le Bélial’, coll. Une Heure-Lumière, [2011] 2016, 123 p.

 

La plus que sympathique collection « Une Heure-Lumière » des Éditions du Bélial’ s’enrichit de deux nouveaux titres qui lui font toujours honneur, elle qui était déjà très honorable. Je vous avais causé il y a peu de L’Homme qui mit fin à l’histoire, de Ken Liu, et avec passablement d’enthousiasme… Je maintiens ici ce que je disais alors : c’est une des meilleures novellas de SF que j’ai lu depuis bien longtemps. Et c’est peut-être ce qui pose problème ici, dans la mesure où la comparaison avec Un pont sur la brume, son jumeau en termes de parution, originale comme française, tend à s’imposer alors qu’il s’agit de deux textes on ne peut plus différents, qui, en toutes autres circonstances, n’auraient pas dû appeler à cette compétition. Or les deux nouvelles datent de 2011, et ont concouru aux mêmes prix – et c’est en l’espèce Un pont sur la brume qui l’a emporté sous ce dernier aspect : prix Hugo, Nebula et Isaac Asimov’s Science Fiction Magazine 2012, tout de même… Au final, nous avons bel et bien un très bon texte ; mais meilleur que L’Homme qui mit fin à l’histoire ? Je n’en suis pas convaincu – et ce souvenir récent parasite donc un tantinet la présente lecture…

 

Kij Johnson est une auteure assez peu traduite chez nous – à vrai dire, je ne suis pas certain d’en avoir entendu parler ou de l’avoir lue auparavant (malgré la passerelle rôlistique)… Impossible dès lors, pour votre serviteur d’une ignorance crasse, de situer Un pont sur la brume dans son œuvre. Ladite novella, en tout cas, adopte un cadre « archaïque » (relativement…) et mystérieux la tirant peut-être du côté de la fantasy, tout en mettant en scène une entreprise éminemment rationnelle et dépeinte avec une précision relevant peu ou prou de la science-fiction : la construction d’un pont (rien à voir, mais ça me rappelle qu’il me faudra bien lire un de ces jours Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal…). Rien d’innocent je suppose : un pont, après tout, c’est destiné à rejoindre des rives parallèles…

 

Ce n’est toutefois pas n’importe quel pont. Le monument est supposé traverser les 400 mètres qui séparent Procheville et Loinville, mais cela va bien au-delà – il s’agit en fait de joindre les deux parties de l’Empire qui, tout antique qu’il soit, a toujours été ainsi divisé. Car ce n’est pas un banal fleuve qui les sépare : entre les deux, il y a la brume, impossible à appréhender en tant que tel – un phénomène incompréhensible, qui emprunte des traits au solide, au liquide, au gazeux, et que l’on dit hanté par des créatures aussi fascinantes que dangereuses, poissons qui peuvent toujours être plus gros, et inquiétants Géants dont le courroux est toujours à craindre… On peut traverser la brume – entre Procheville et Loinville, ou en d’autres endroits où la distance demeure raisonnable : c’est l’affaire des bacs, depuis bien des générations. Mais, aussi bref soit le voyage, il a des traits d’odyssée – on ne franchit pas simplement la brume, il faut se plier à ses caprices sinon à ceux des maîtres des bacs ; et le danger est toujours là.

 

C’est ce que découvre bien vite Kit Meinem d’Atyar, jeune et talentueux architecte, issu d’une longue dynastie de bâtisseurs, et que l’Empire a chargé de reprendre la construction du pont sur la brume, et de la mener enfin à terme. Kit, s’il est jeune, n’en a pas moins une certaine expérience : il sait ce qu’une entreprise pareille implique – et il sait que les hommes employés à cet effet sont au moins aussi importants que les matériaux choisis. Pour autant, il ne connaît guère les conditions de vie dans cette région lointaine… Aussi, quand il arrive à Procheville, a-t-il quelque chose d’un innocent, vaguement « touriste », le perdreau de la lointaine capitale faisant ricaner les autochtones. Mais sans vraie méchanceté, et ça ne dure pas. Car Kit est sociable, curieux, sincère – prêt à apprendre et à faire avec les us et coutumes de la région.

 

Parmi ses rencontres sur place, il en est une qu’il faut tout particulièrement relever, et c’est Rasali Bac. Comme son nom l’indique (c’est l’usage dans la région, mais pas à Atyar, la capitale : le nom de Kit, Meinem, « ne veut rien dire »), elle dirige un des bacs faisant la liaison entre Procheville et Loinville – et de même son neveu Valo Bac. Les Bac sont une dynastie, eux aussi : ils font ce travail depuis des générations – pour leur plus grande joie, car Rasali aime la brume et ses mystères, pour leur plus grand malheur aussi, car c’est une vie dangereuse, et systématiquement écourtée… Un jour, forcément, tout Bac entreprend la traversée à un mauvais moment, et disparaît à jamais dans la brume…

 

Rasali est une femme forte – encore que cela n’a pas forcément les mêmes implications que souvent dans le genre (cet univers me paraît résolument non sexiste, les femmes peuvent être rencontrées à tous les offices, et le sont, d’ailleurs, tandis qu’il n’y a aucun présupposé sur la compétence de quiconque au seul motif de la zigounette ou du pilou-pilou ; et personne ne se pose la moindre question à cet égard, tout cela est parfaitement « naturel », j’y reviendrai). D’un abord qu’on pouvait craindre rugueux, elle se révèle bien vite une personne agréable, et qui s’accommode très bien de Kit – peu importe que, si son projet aboutit, elle devra se reconvertir, ainsi que son neveu, abandonnant à jamais l’antique tradition familiale : elle aime la brume, oui, mais a conscience de ce que le pont pourrait apporter, et ne va donc pas s’y opposer par un bête corporatisme. En fait, la relation entre les deux personnages permet d’ancrer l’intrigue – s’il y en a bien une – dans le réel, et de lui conférer toute sa dimension humaine. Au point de la romance, inévitablement ou presque… Encore que celle-ci prenne son temps pour s’installer, et conserve ainsi un air de « naturel », une fois de plus, qui lui évite toute pénibilité.

 

En fait, ce sentiment de « naturel » (le terme n’est probablement pas très bien choisi…) me paraît essentiel dans cette novella, peu ou prou sans adversité : bien sûr, l’entreprise est hardie, et ne s’accomplira pas toute seule ; bien sûr, rôdent au milieu de la brume des entités mystérieuses et inquiétantes, éventuellement fatales… Sur le chemin, les personnages rencontreront bien des contrariétés, des plus futiles – l’administration centrale, à l’instar de Kit au début du récit, ne semble pas avoir bien conscience de ce que cela implique au juste de traverser la brume… – aux plus tragique : un chantier de cette ampleur a ses morts… Mais l’idée me paraît quand même celle d’un accomplissement « nécessaire », sans doute pas aisé à proprement parler – chacun doit s’y mettre –, néanmoins inéluctable. La novella me paraît donc relever au moins en partie de la métaphore du progrès – mais sans naïveté, car les bémols sont bel et bien là, et, en définitive, le travail titanesque ou herculéen de domination du monde, de domestication de la nature (d’où mon doute concernant l’emploi jusqu’alors du qualificatif « naturel », car, à tout prendre, si l’on devait malgré tout relever une adversité, elle résiderait donc dans la nature) n’est pas épargné par un sentiment intérieur de futilité ou vanité ; mais j’en relève bien cette relative sérénité, où l’application à la tâche, paradoxalement, peut s’accompagner d’un certain détachement…

 

Le récit est ainsi aussi fluide que le proverbial « fleuve tranquille », avec ceci d’étonnant que c’est le pont qui incarne le fleuve. Le style est à l’avenant : sobre souvent, teinté de merveilles à l’occasion – car le cadre joliment décrit, tantôt abstrait, tantôt très concret, y incite énormément –, mais avant tout fluide : tout (s’é)coule, même au milieu de cette brume solide. Il y a le point A, le point B, quelques réminiscences pour la peine, mais il s’agit bien de joindre le début à la fin – même si ces début et fin sont relatifs, tant le récit a des allures de « tranche de vie » : il y avait quelque chose avant, il y aura quelque chose après. Je vais employer ce mot terrible : la lecture d’Un pont sur la brume est « agréable ». Et c’est une force indéniable de ce récit joliment mené.

 

Mais on en arrive au moment fatal – celui de la comparaison entre Un pont sur la brume et son jumeau dans la parution L’Homme qui mit fin à l’histoire (notons – gratuitement – la parenté des titres anglais, The Man Who Bridged the Mist et The Man Who Ended History ; en même temps, « bridged » et « ended » sont assez chargés des connotations distinguant en définitive les deux textes…). Comme dit plus haut, en dehors de toutes considérations éditoriales, cette comparaison n’a sans doute pas lieu d’être : ces textes sont on ne peut plus différent, le jour (Kij Johnson ?) et la nuit (Ken Liu ?). Mais il y a un réflexe malvenu – surtout si l’on prend en considération la question (toujours pénible ?) des récompenses… En ce qui me concerne, il n’y a aucun doute : j’ai trouvé la novella de Ken Liu bien meilleure. Non que celle de Kij Johnson soit mauvaise, elle ne l’est certainement pas – elle est même très bonne ; c’est seulement que celle de Ken Liu m’a bluffé, elle ne me paraît pas seulement « très bonne », mais véritablement « excellente ». C’est sans doute un rapport à l’imaginaire différent, par ailleurs – quitte à reprendre une vieille opposition souvent stérile : L’Homme qui mit fin à l’histoire est du côté des idées, de la stimulation intellectuelle ; Un pont sur la brume est davantage du côté du décor, de l’exotisme, du dépaysement – même si, bien sûr, les dimensions « opposées » peuvent bel et bien imprégner le texte d’en face par moments… Après tout, cette opposition est (tristement) schématique, ces conceptions n’ont rien d’irréductible. Mais si j’ai apprécié la ballade avec Kij Johnsonn, j’ai adoré la réflexion stimulante chez Ken Liu…

 

Au jeu débile du « s’il ne fallait en retenir qu’un », sur une île déserte ou dans un bête classement, je retiendrais donc L’Homme qui mit fin à l’histoire. Mais pourquoi s’en tenir à un seul ? Problèmes de sous mis à part, vous pourriez très bien lire les deux textes – chacun dans son genre est très réussi, et bien au-dessus du lot. Et la collection, décidément plus qu’appréciable, en bénéficie à tous points de vue, en excellence comme en variété.

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CR Imperium : la Maison Ptolémée (18)

Publié le par Nébal

CR Imperium : la Maison Ptolémée (18)

Dix-huitième séance de ma chronique d’Imperium.

 

Vous trouverez les éléments concernant la Maison Ptolémée ici, et le compte rendu de la première séance . La séance précédente se trouve ici.

 

Tous les joueurs étant présents, qui incarnaient donc Ipuwer, le jeune siridar-baron de la Maison Ptolémée, sa sœur aînée et principale conseillère Németh, l’Assassin (Maître sous couverture de Troubadour) Bermyl, et le Docteur Suk Vat Aills

 

I : DE BON AUGURE

 

[I-1 : Németh : Clotilde Philidor] Németh est très affectée par les événements qui se sont produits lors de la réception des Delambre – et tout particulièrement en rapport avec Clotilde Philidor. Aussi, conformément à son habitude, se rend-elle dans ses jardins privés pour récupérer, auprès de ses tureis adorés.

 

[I-2 : Németh : Linneke Wikkheiser ; Clotilde Philidor] Mais une autre vision l’assaille bientôt… de nature bien différente – si le contact avec Clotilde Philidor avait suscité un développement local, dans la pièce même où se trouvaient les deux femmes, il s’agit cette fois de franchir bien des barrières du temps comme de l’espace. La scène a lieu dans une immense salle, où Németh n’a jamais mis les pieds, mais qu’elle connaît pourtant : l’assemblée du Landsraad. Elle y est présente – mais intègre aussitôt le poids de sa solitude et de sa faiblesse : tout, dans ce cadre, lui paraît intimidant, écrasant, et même hostile. La scène est muette, mais Németh n’en perçoit pas moins, à l’estrade, la vive hostilité à son encontre et à l’encontre de la Maison Ptolémée qui ressort du discours enflammé de Linneke Wikkheiser – une hostilité qui grandit, imprégnant bien vite tous les délégués de toutes les Maisons nobles : Németh est seule, les Ptolémée sont seuls…

 

[I-3 : Németh] C’est alors que la vision cesse. Et si Németh est à nouveau sous le choc, elle appréhende mieux ce qui s’est passé. Elle sait maintenant que ces visions sont le fruit de la modification de son régime d’épice – il s’agit bien de Prescience. Le fait que ces visions soient aussi rapprochées ne manque pas de l’inquiéter : elle a l’impression d’un flot ininterrompu qui se précipite maintenant que le bouchon a sauté ; et elle ne contrôle absolument rien à cet égard… Mais il s’agit bien de Prescience – c’est la confirmation qu’elle avait en elle un potentiel majeur à cet égard : l’épice a contribué à révéler cette faculté, mais elle sait que c’était en elle ; il a suffi de pas grand-chose pour le produire. Elle n’en est pas moins épuisée par ces visions rapprochées, se doutant de ce qu’il lui faudra apprendre à les maîtriser davantage – maintenant que le changement de régime d’épice a abouti, elle songe donc à canaliser cette faculté au travers du Tarot de Gollam. Aussi, bien qu’épuisée, et angoissée par les développements futurs suggérés par ces visions, Németh est aussi grisée par les possibilités qui s’ouvrent à elle…

 

II : ROBINSON

 

[Flashback de quelques heures.]

 

[II-1 : Ipuwer] L’appareil hostile ayant quitté les lieux, deux heures s’écoulent avant que de nouveaux ornithoptères arrivent. Ipuwer décide de les mettre à profit – redoutant que d’éventuels nouveaux venus soient mieux armés pour le débusquer dans le bosquet où il s’est réfugié, et qui ne résisterait pas aux bombes. Les îlots de l’archipel sont relativement éloignés, mais rien d’inaccessible pour un bon nageur. Il prend d’abord soin de se munir de tout ce qui pourrait s’avérer utile à bord des deux ornithoptères posés sur la plage – ce qui inclut un gilet de sauvetage, des fusées éclairantes, un communicateur militaire, etc. Il confectionne un semblant de radeau, puis nage jusqu’à l’île la plus proche, y fait une brève pause, et nage encore jusqu’à une troisième île dont la végétation semble plus propice à la dissimulation ; il y aménage un abri avec des racines, des branches, des souches… Il sait que cela ne le protègera pas des bombes, mais c’est tout de même une meilleure opportunité de se cacher et de faire face au mieux à tout « débarquement ».

 

[II-2 : Ipuwer] Deux heures environ après le départ de l’appareil ennemi, le ciel (toujours aussi dégagé) au-dessus de l’archipel est à nouveau envahi par des ornithoptères : deux appareils aux couleurs des Ptolémée qui arrivent par l’est (un assez solide, comme l’était le sien, l’autre plus souple et rapide)… mais, exactement en même temps, deux autres venant de l’ouest, non identifiés. Ipuwer use de son communicateur (sans révéler pour l’heure sa position exacte) pour entrer en relations avec les ornithoptères de sa Maison ; il emploie le langage de bataille, signifiant que les ornithoptères non identifiés sont hostiles, à l’instar de ceux qui l’avaient abattu – ceux-ci refusant à nouveau de s’identifier, Ipuwer ordonne de les prendre en chasse, et de les détruire le cas échéant ; qu’ils le laissent où il est pour le moment, ça n’a pas d’importance : la priorité est de pister les ennemis. Les ornithoptères des Ptolémée obéissent, mais leurs adversaires prennent aussitôt la fuite – et l’appareil Ptolémée le plus lourd ne peut pas rivaliser avec leur vitesse ; Ipuwer en prenant conscience lui dit de revenir en arrière pour le récupérer, tandis que l’ornithoptère plus rapide poursuivra les deux autres – malgré donc cette infériorité numérique ; Ipuwer insiste pour qu’il poursuive sa traque, sauf à se mettre trop radicalement en danger. Contraint au combat, il parvient à descendre un des deux appareils, qui s’écrase dans l’océan non loin d’un îlot – les morceaux de son épave flottent, et Ipuwer compte les inspecter dès que l’appareil lourd l’aura embarqué. L’autre ornithoptère non identifié, toutefois, a profité de la confusion de l’assaut pour s’éloigner à toute vitesse, et le suivre s’annonce difficile, mais l’appareil Ptolémée tente néanmoins de poursuivre la traque.

 

III : LA LOYAUTÉ DANS LES RANGS

 

[Retour à la temporalité principale.]

 

[III-1 : Bermyl : Elihot Kibuz, Nefer-u-pthah] Bermyl dresse une liste de ses agents disponibles, cherchant à déterminer qui pourrait lui permettre d’approcher le plus efficacement Elihot Kibuz, le Maître-Assassin fantoche dont il exerce en fait les attributions, et dont la loyauté est de plus en plus suspecte. Mais c’est une question plus globale, et très angoissante : à qui Bermyl peut-il se fier dans ses propres services ? La scène avec Nefer-u-pthah s’est avérée éloquente concernant la « corruption » des services de renseignement des Ptolémée

 

[III-2 : Bermyl : Taho ; Ipuwer, Elihot Kibuz, Nefer-u-pthah, Namerta, « Lætitia Drescii »] Bermyl est rongé par le besoin de se confier – mais à qui ? Il suppose que Taho, cet excellent élément auquel il a eu recours à plusieurs reprises, demeure fiable. Celui-ci se trouve en ce moment même au Palais de Cair-el-Muluk, et Bermyl le convoque dans ses quartiers – qu’il protège sans rien en dire par un cône de silence. Bermyl lui fait part de ses doutes, l’assurant que « l’heure est grave » : il sait que nombre de ses agents ne sont pas loyaux à l’égard d’Ipuwer et de la Maison Ptolémée telle qu’elle est maintenant. Taho n’est pas du genre à réagir ou à s’étonner… Toutefois, quand Bermyl en vient, devant lui, à mettre en doute sa propre loyauté, le froid Taho n’apprécie visiblement pas – laissant entendre à demi-mots qu’il n’aime pas qu’on le prenne pour un imbécile, et qu'il sait très bien Bermyl loyal… Ce dernier s’excuse à cet égard : il y avait bien quelque chose d’un test dans cette allégation… Mais il voudrait avoir son sentiment à ce sujet. Taho sait bien qu’il y a des tensions, mais sans avoir de certitude en ce qui concerne leur ampleur et leur impact. Devinant que son supérieur aimerait passer par lui pour en savoir davantage, il se montre légèrement rétif à coopérer : est-ce parce qu’il est sincère quand il se dit ignorant de tout cela ? Est-ce qu’il ne veut pas « balancer » ses collègues ? Ou encore qu’il est un arriviste prêt à jouer ce jeu, mais comptant bien en obtenir des contreparties ? Bermyl n’exclue rien – laissant même entendre que Taho serait son successeur le moment venu ! Mais ce dernier n’est pas du genre à craquer devant les compliments et les promesses… En tout cas, le froid Taho, interrogé à ce sujet, affirme sans l’ombre d’une hésitation qu’il est pour sa part fidèle à la Maison Ptolémée telle qu’elle est, à Ipuwer qui se trouve être son chef légitime – et à Bermyl, qui est bien son Maître s’il n’en a pas le titre. Bermyl s’en réjouit : il a besoin du soutien « personnel » de Taho, dans cette affaire portant sur la loyauté de ses services. Il revient sur une idée déjà ancienne : il s’agirait de faire croire à Elihot Kibuz qu’il partage son mépris d’Ipuwer – et tout autant à Nefer-u-pthah et à ses semblables : il serait dans leur camp, enthousiaste aux rumeurs incroyables parlant de la résurrection de Namerta... Taho suppose que propager cette réputation est faisable – mais probablement pas par lui : sa froideur habituelle, sa réputation dont il a bien conscience, l’empêchent de susciter de manière crédible la rumeur ; mais il va y réfléchir, cherchant à déterminer par qui il serait possible de passer. Bermyl suppose qu’il faudrait trouver un événement récent rendant son changement d’allégeance convaincant. Taho, qui ne prend guère de gants, suppose que cela ne sera pas un problème : entre le fiasco de l’opération au camp des Atonistes de la Terre Pure, la disparition de « Lætitia Drescii », la passivité de ses services dans l’affaire de l’abattoir, son caractère timoré plus globalement, Bermyl n’a au fond que l’embarras du choix…

 

IV : AU FOND DE L’IVROGNE

 

[IV-1 : Vat : Antonin Naevius ; Bermyl, Ipuwer, Anneliese Hahn] Vat Aills sait que Bermyl lui a « préparé » et « livré » Antonin Naevius. Le jeune noble cuve son vin depuis cinq heures environ – affalé sur un canapé dans un couloir du Palais non loin des bureaux du Docteur Suk… Il a vomi à plusieurs reprises, mais des employés de maison ont nettoyé les dégâts, autant que possible, sans oser le réveiller – du fait d’expériences désagréables et très similaires avec IpuwerVat le fait porter dans son cabinet, où il donne des consignes pour qu’on le mette dans une posture plus décente, et qu’on en profite pour lui nettoyer délicatement le visage ; lui, en attendant, prépare de quoi le requinquer. Le jeune débauché n’est visiblement pas sur le point de se réveiller de lui-même – on l’a manipulé sans en tirer quoi que ce soit de plus qu’un ronflement ou un mouvement réflexe du bras… Vat en profite pour examiner son corps, et le palper. Médecin consciencieux, il disposait d’un dossier assez complet sur le camarade de beuveries d’Ipuwer – le corps semble correspondre parfaitement à ce dont il était au courant, et tout particulièrement pour ce qui est des cicatrices : sans être un militaire, certainement pas, et il n’en a en rien le vécu, Antonin Naevius n’en a pas moins reçu une éducation martiale, Ophélion qui plus est, et s’est plus qu’à son tour livré à des duels – il n’a rien d’un excellent duelliste à la façon d’Ipuwer (ou d’Anneliese Hahn ?), mais porte les marques de cette éducation ; c’en est au point, à vrai dire, où le Docteur Suk le soupçonne de « cultiver » sciemment certaines de ces cicatrices, qui auraient pu aisément être soignées au point de disparaître… Quoi qu’il en soit, ce sont bien de vraies cicatrices, correspondant à celles figurant dans le dossier. Vat poursuit son examen, faisant des prélèvements de peau, de cheveux et de sang ; le jeune noble s’agite un peu, mais pas au point de se réveiller.

 

[IV-2 : Vat : Antonin Naevius ; Bermyl, « Cassiano Drescii », « Lætitia Drescii », Ipuwer, Németh] Toutefois, Vat ayant désormais ce dont il avait besoin, il fait en sorte de réveiller doucement Antonin Naevius. Sans surprise, le jeune homme est confus – et se paye une vilaine gueule de bois. Vat en profite : usant de psychologie, il fait subtilement intégrer à son patient ce que sa position a de gênant, histoire de le manœuvrer le moment venu ; il a bien conscience cependant de ce que l’aristocrate décadent ne s’en soucie probablement pas plus que cela… Il lui administre de quoi récupérer de sa gueule de bois au plus tôt – et passe à l’interrogatoire. Antonin Naevius est surpris par la tournure de l’entrevue, il s’en fait écho à plusieurs reprises, mais sans doute son respect inné pour l’ordre et la fonction du Docteur Suk l’incitent-ils à se montrer conciliant – là où il aurait envoyé paître tout autre interrogateur… Il a visiblement envie de dormir – dans un vrai lit – et de remettre ça le soir même… Il n’a pas vraiment de souvenirs de ce qui s’est produit la veille – c’est trop flou… Quand Vat lui demande des noms, seul celui de Bermyl ressurgit – les autres, au Diamant (c'était bien le Diamant ?), il ne les connaissait pas, comme d’habitude… Quand a-t-il vu les « Drescii » pour la dernière fois ? « Pourquoi cette question ? » Il ne les a pas trop vus, ces derniers temps – « Cassiano », du moins : « Lætitia », il ne la voyait pas davantage avant, de toute façon… Mais « Cassiano » n’avait visiblement pas trop envie de sortir, ce qui le décevait. Il ne les connait pas depuis longtemps ; il les a croisés lors de leurs tours respectifs, par le plus grand des hasards – ils ont été amenés à parler des Ptolémée, lui-même d’Ipuwer, « Cassiano » de Németh (Antonin a un ricanement égrillard…). Vat insiste sur le « hasard » de la rencontre. Ce qui surprend à nouveau Antonin Naevius : pourquoi toutes ces questions ? Est-il « surveillé » ? Est-ce un interrogatoire de « police » ? Vat entend le rassurer – c’est simplement qu’on l’a repêché dans le pire trou de la ville, et le jeune noble, dont les souvenirs sont incertains, ne tente pas de nier quoi que ce soit à cet égard… Il ne voit cependant pas le rapport avec « Cassiano » : il est donc assez peu sorti avec lui, ce qu’il regrette… Tout au plus peut-il dire qu’il encaisse bien l’alcool – peut-être mieux que lui-même, oui… Bon ! Il en a assez de ces questions, il veut dormir dans un vrai lit ! Vat proposait de lui en préparer un, mais pourquoi donc ? Le sien sera parfait ! Le Docteur Suk lui tend toutefois une dernière pastille – que Naevius avale sans plus poser de questions, laissant entendre qu’il n’acceptera pas qu’on le fasse chier davantage après ça… Mais il s’agit d’un calmant à effet rapide, supposé le rendre plus docile…

 

[IV-3 : Vat : Antonin Naevius ; « Cassiano Drescii », Németh] Le Docteur Suk accompagne le jeune noble jusqu’à ses quartiers – sa démarche n’est guère assurée, ça demande un certain temps… En chemin, Vat pose encore quelques questions : Naevius a-t-il en tête un comportement singulier, ou un trait remarquable, de « Cassiano Drescii » ? L’Ophélion a une réponse toute faite, qui le minait visiblement depuis un certain temps : « Cassiano » vit maintenant dans ses livres, par procuration ; il préfère écrire des beuveries ou orgies que les vivre réellement… Ce n’est plus le même homme que celui qu’il connaissait de réputation, sans doute : il a pris un coup de vieux en quelques années à peine, s’est empâté, fatigué… Il n’a plus rien de son ancienne carrure martiale. Le Docteur Suk lui demande s’il en est déçu – mais peut-il être déçu de quoi que ce soit ? Qu’en est-il, alors, de l’objet de sa visite sur Gebnout IV ? Antonin Naevius n’en sait absolument rien – « Cassiano Drescii » a mentionné Németh, c’est tout… Ils sont parvenus aux appartements du jeune Ophélion ; le Docteur Suk s’assure qu’il se couche confortablement et se sente bien, le quitte en ayant joué l’agréable docteur, consciencieux au possible, et laisse son patient s’endormir – il ne tarde guère…

 

V : DRESCII CONTRE DRESCII


[V-1 : Németh, Vat : Cassiano Drescii ; « Cassiano Drescii », Antonin Naevius] Németh a pris le temps de récupérer avec ses tureis. Pour autant, elle n’en a pas moins des obligations… Elle souhaite interroger elle-même « Cassiano Drescii », tant cette histoire l’intrigue. Elle compte commencer seule, puis faire entrer le « nouveau » Cassiano Drescii et les confronter – laissant des instructions aux gardes pour qu’ils interviennent si ce dernier, sanguin, en venait aux mains avec son double… Vat en ayant terminé avec Antonin Naevius, et connaissant les intentions de Németh, lui propose d’assister également à l’interrogatoire – il pourrait éventuellement servir d’alibi, en prétextant la « visite médicale »… mais, le contexte étant ce qu’il est, Németh n’y croit

pas trop. Elle accepte néanmoins l’assistance du Docteur Suk. Quant au « vrai » Cassiano Drescii, elle lui dit de patienter dans une pièce adjacente, derrière un miroir sans tain (où il entendra également ce qui se dit dans la cellule ; la scène est d’ailleurs enregistrée depuis cette pièce) ; le moment venu, elle lui fera signe de les rejoindre…

 

[V-2 : Németh, Vat : « Cassiano Drescii » ; « Lætitia Drescii », Cassiano Drescii] Németh et Vat entrent dans la cellule – relativement confortable pour une prison, adaptée du moins au statut supposé du détenu. La ressemblance parfaite des deux « Cassiano » est décidément impressionnante – et déconcertante. Cela va jusqu’à la gestuelle – même si ce « Cassiano » exprime aussi un mélange fluctuant de colère et d’inquiétude (la première domine, toutefois). Németh compte employer un ton légèrement ironique : « Mon cher Cassiano… » Mais son détenu l’interrompt aussitôt : « Mon cher ?! » Németh rappelle leurs relations cordiales jusqu’alors. « Oui, et puis vous m’avez jeté dans cette putain de prison ! Et ma femme ? Qu’est-ce que vous en avez fait ? Où est-elle ? » Németh l’assure qu’elle va bien et est en sécurité. « Cassiano » n’en continue pas moins de brailler, revenant sans cesse sur son statut d’invité, et hurlant que Németh ne s’en sortira pas comme ça… Et, bon sang, qu’est-ce qu’il fait là ?! Németh concède qu’il se montre « assez convaincant », mais que des « détails » lui ont révélé la vérité le concernant. « Cassiano » passe au tutoiement : « Mais de quoi tu parles ? » Németh dit avoir d’abord été honorée de sa visite impromptue, mais avoir bien vite relevé des « comportements étranges » de sa part ; et puis de nouveaux invités, des « personnages surprenants », l’ont aidée à faire la lumière sur la question… « Cassiano », un peu plus calme, répond : « On m’a parlé d’une de ces sorcières… C’est ça, hein ? Le Bene Gesserit qui fait sa police ? » Németh lui répond, sur un ton plus familier elle aussi, qu’il est complètement à côté de la plaque… « Je voudrais vous présenter quelqu’un. » Elle fait le signe convenu avec le « nouveau » Cassiano Drescii.

 

[V-3 : Németh, Vat : Cassiano Drescii, « Cassiano Drescii »] Le « nouveau » Cassiano Drescii les rejoint donc dans la cellule. Ses traits expriment un mélange de colère et de stupéfaction gênée devant la perfection de l’imitation : il s’agit bien d’un reflet exact de sa propre personne… « MM. Drescii, je suppose que vous avez des choses à vous dire… » lance Németh. C’est le « nouveau » qui, après un temps d’hésitation, prend l’initiative : « Qui êtes-vous ? Qu’êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites avec mon visage ? » L’autre lui pose en retour exactement les mêmes questions – mais Németh perçoit qu’il est moins assuré, et conscient sans doute de ce que son mensonge ne trompe personne… et elle redoute une réaction violente. Elle fait signe à un garde d’intervenir… mais c’est trop tard : « Cassiano Drescii », tout menotté qu’il soit, se précipite contre un mur, et s’y fracasse le crâne avec une violence incroyable ! Un humain normal n’aurait jamais pu faire usage d’une telle violence, avec de telles conséquences : cette méthode de suicide improbable réussit parfaitement sous la violence invraisemblable du geste – le crâne de « Cassiano Drescii » explose littéralement, et son corps s’écroule par terre : à l’évidence, il mourra dans quelques secondes, quelques minutes tout au plus… Vat se précipite auprès de lui, mais il est trop tard pour qu’il fasse quoi que ce soit. Tout au plus relève-t-il ce que ce comportement a d’inhumain – cela résulte sans doute d’un conditionnement extrême, mais il y a autre chose…

 

[V-4 : Vat, Németh : Cassiano Drescii ; « Cassiano Drescii »] Le Docteur Suk prend ses dispositions pour que l’on emporte le cadavre à la morgue. Le « nouveau » Drescii, de son côté est parfaitement coi : la violence de la scène l’a stupéfait… mais au moins autant le fait d’assister ainsi à la mort, et d’une telle manière, d’un individu lui ressemblant parfaitement ! Németh est tout aussi bouleversée – elle ne cesse d’encaisser, ces derniers jours, et n’est pas loin de craquer… Elle garde sa dignité en disant au Docteur Suk de tirer autant que possible du cadavre, mais Vat Aills perçoit bien son trouble et lui suggère d’aller se reposer après lui avoir donné un cachet… Le « nouveau » Cassiano se contient – un écho du noble et du militaire qu’il était il y a quelque temps de cela ; mais la scène ne le laisse pas indifférent, et pas davantage la réaction de NémethVat s’assure de ce qu’elle retourne dans ses quartiers, et en sécurité ; ils auront un nouvel entretient avec Cassiano Drescii, mais plus tard, il faut d’abord récupérer. Németh acquiesce – prenant simplement le temps de s’adresser à son invité, pour dire que la situation s’est clarifiée, qu’ils ont désormais des certitudes… Puis elle se retire sans un mot de plus.

 

VI : ÉCHOS D’UNE GUERRE EN MARCHE

 

[Nouveau flashback, de quelques heures – après quoi la temporalité sera de nouveau la même pour tous les PJ.]

 

[VI-1 : Ipuwer] L’ornithoptère lourd aux couleurs de la Maison Ptolémée se pose sur la plage de l’îlot où s’est dissimulé Ipuwer – sur ses instructions. À bord se trouvent un pilote, un copilote et un homme de troupe – tous d’élite. Ipuwer les rejoint, et donne l’ordre à la patrouille qui doit les retrouver de se rendre sur la première plage pour y inspecter l’appareil ennemi qui s’y était posé. D’ici-là, lui-même se rendra à bord de l’appareil lourd pour fouiller l’épave de l’ornithoptère non identifié qui vient d’être abattu, et qui flotte non loin d’un autre îlot, à quelque distance de là – le fond océanique n’y est sans doute guère profond. Ipuwer ne s’embarrasse pas de politesses, et pas davantage d’explications : il adopte un comportement parfaitement militaire, et ses hommes réagissent de la manière la plus appropriée.

 

[VI-2 : Ipuwer] Ipuwer rejoint l’épave à bord de l’appareil lourd ; les débris flottent encore, et le fond océanique n’est probablement pas à plus de dix mètres. Ipuwer jette un œil aux environs, afin de déterminer si des cadavres flottent ou si un membre de l’équipage aurait pu rallier l’îlot tout proche pour s’y cacher – ainsi qu’il l’avait fait lui-même quelques heures plus tôt. Ce n’est a priori pas le cas : en survolant l’ornithoptère à très basse altitude, ils peuvent déterminer que s’y trouvent un cadavre et un autre homme encore en vie, gravement blessé toutefois, mais conscient. Ipuwer donne l’ordre de descendre le filin pour se rendre à bord de l’épave, puis remonter le survivant – mais il compte bien participer lui-même à cette inspection ; le soldat prend cependant l’initiative de descendre avant Ipuwer – au cas où… et se rend ainsi compte que l’ennemi survivant active un mécanisme d’autodestruction ! Il fait prestement signe au siridar-baron de remonter, et le suit aussi vite que possible ; juste en dessous d’eux, l’appareil explose, et il ne sera sans doute pas possible d’en retirer quoi que ce soit désormais… Eux-mêmes, toutefois, ne subissent pas le moindre dégât.

 

[VI-3 : Ipuwer] Ipuwer donne alors l’ordre de retourner à la première plage et d’y sécuriser le seul appareil ennemi qui reste – mais ses membres d’équipage sont morts, et l’ornithoptère n’a visiblement pas de système automatique d’autodestruction : il reste en état jusqu’à l’arrivée des renforts Ptolémée – une petite flotte d’ornithoptères, cette fois, avec un appareil plus perfectionné destiné à Ipuwer ; il monte à bord, et repart pour Cair-el-Muluk, où il arrive environ deux heures plus tard [soit à peu près au moment du suicide de « Cassiano Drescii »] ; il apprend en cours de route que l’appareil ennemi qui était toujours pisté a finalement choisi de se retourner contre l’ornithoptère Ptolémée qui le suivait – le combat a tourné court, et l’appareil ennemi a été abattu : il n’y a a priori rien à en récupérer là encore.

 

VII : QUE FAIRE ?

 

[Retour à la temporalité générale.]

 

[VII-1 : Bermyl : Elihot Kibuz, Taho] Bermyl est dans le flou, plongé dans une phase de réflexion guère productive : où va-t-il ? Quoi mettre en place pour infiltrer ses adversaires ? Comment assurer la sécurité de tout le monde ? Comment s’assurer de l’intégrité de ses services ? Il ne va pas voir Elihot Kibuz de suite. Il pense cependant comme Taho : il doit être possible de jouer sur une rumeur d’inefficacité voire de déloyauté suite aux événements de l’abattoir – en faisant notamment ressortir sa « sympathie » pour les « morts-vivants » et leurs disciples… Mais il est hors de question de contribuer lui-même à diffuser ce bruit. Il attend donc le rapport de Taho, et rôde désœuvré dans le Palais d’ici-là…

 

[VII-2 : Bermyl : « Cassiano Drescii », Ipuwer, Linneke Wikkheiser, Németh] Ses services fonctionnent néanmoins d’eux-mêmes – et il reçoit comme de juste des communications sinon des rapports détaillés. On l’informe ainsi de plusieurs choses – et tout d’abord du suicide de « Cassiano Drescii », et du retour simultané d’Ipuwer. Mais ce n’est pas tout : on lui annonce également que Linneke Wikkheiser a quitté sans un mot le Palais, non pour se rendre, comme ils le croyaient d’abord, à l’astroport d’Heliopolis afin de rentrer au plus tôt sur Wikkheim, mais à Memnon, où elle a loué une villa sans recourir aux services des Ptolémée… À l’évidence, il faut surveiller ses activités là-bas – mais Bermyl abattu n’a pas vraiment de consignes plus précises pour l’heure… Il communique toutefois un rapport à ce sujet à Németh.

 

[VII-3 : Bermyl : Anneliese Hahn, Clotilde Philidor, Cassiano Drescii, « Cassiano Drescii », Lætitia Drescii, Taestra Katarina Angelion, Dame Loredana] Il s’enquiert néanmoins de ce que font les autres invités : Anneliese Hahn a un comportement très libre, à la fois garçonne et séductrice, tout particulièrement avec les gardes les plus musculeux et élancés… Aucun scrupule et aucune gêne de sa part – mais rien d’autre à signaler. Sa cousine Clotilde Philidor reste dans ses quartiers, où on l’entend jouer de la balisette, avec un certain talent… Le « nouveau » Cassiano Drescii vient d’assister au suicide de son double, donc – quant à son épouse, elle demeure dans leurs appartements, à lire semble-t-il. Reste enfin la Révérende-Mère Taestra Katarina Angelion – elle retrouve régulièrement Dame Loredana, mais passe sinon l’essentiel de son temps dans la bibliothèque du Palais. Globalement, rien à signaler…

 

VIII : DES RESPONSABILITÉS

 

[VIII-1 : Ipuwer, Vat Aills : Németh] Ipuwer est enfin de retour à Cair-el-Muluk – les gardes ont tendance à le coller, et ça l’énerve… Il les fait dégager, conservant pour la forme un unique sous-officier à ses côtés. Il compte voir Németh, mais apprend que celle-ci « récupère » dans ses quartiers. D’ici à ce qu’elle se montre disponible, il se rend au cabinet du Docteur Vat pour faire examiner ça blessure : ce n’est pas grand-chose, il s’en remettra très vite… Le siridar-baron discute en même temps avec le Docteur Suk :

— Alors, docteur, tout s’est bien passé pendant mes vacances ?

— Oui, d’ailleurs Dame Németh va vous en parler…

Mais Ipuwer semble avoir d’autres préoccupations – comme la réfection du crépis du Palais

 

[VIII-2 : Ipuwer, Németh : Bermyl, Sabah] Une fois soigné, Ipuwer se rend dans ses quartiers. Németh n’est certes pas en forme, mais, dès qu’elle apprend le retour de son frère, elle se rend auprès de lui. Elle constate l’état d’Ipuwer – guère présentable… Mais il est heureux : « Enfin les ennemis lèvent le voile ! La situation se clarifie, n’est-ce pas ? » Mais Németh n’est pas aussi optimiste…Toujours à la limite de la pique, elle avoue cependant que le retour d’Ipuwer, quand bien même tardif, est une bonne nouvelle. Elle suppose qu’Ipuwer, à son habitude, n’a pas pris soin de s’informer des minutes du Palais, aussi va-t-elle le faire elle-même… Ipuwer y est prêt – blâmant au passage les services de communication lamentables de la Maison Ptolémée… Certes, il était parti sans rien dire, mais… Ipuwer biaise maladroitement – évoquant par exemple les jolies petites îles sur le trajet entre Cair-el-Muluk et le Mausolée, peut-être pourrait-on y construire quelque chose… Il ne sait guère qu’une seule chose, autrement : Bermyl a « encore » foiré son opération au campement des Atonistes de la Terre Pure ! Ipuwer lui avait pourtant longuement expliqué que l’échec en l’espèce était inenvisageable… Ils n’ont même pas récupéré les cartes de Sabah ! Bravo ! Németh concède que Bermyl joue de malchance… mais son frère est plus hargneux : plus troubadour qu’assassin, décidément, Bermyl ferait sans doute mieux de s’en tenir à la balisette !

 

[VIII-3 : Németh, Ipuwer] Németh est curieuse : son frère est encore plus crasseux que d’habitude… Ipuwer explique avoir été pris en chasse par des ornithoptères non identifiées alors qu’il volait en direction de Cair-el-Muluk. Ils ont descendu son appareil, mais il s’en est bien tiré – un appareil ennemi ayant été conservé, on rassemble sur place tous les éléments de preuve disponibles, concernant tant les cadavres de leurs ennemis que leur matériel. Mais bon : Németh lira les rapports, elle le fait toujours…

 

[VIII-4 : Németh, Ipuwer : Sabah, Bermyl, Hanibast Set, « Cassiano Drescii », « Lætitia Drescii », Antonin Naevius, Cassiano Drescii] Mais il est bien temps pour Németh d’informer Ipuwer des développements les plus récents. Elle confirme la vilaine tournure de l’opération d’exfiltration de Sabah, que la responsabilité en incombe ou pas à Bermyl, mais le Conseiller Mentat Hanibast Set a fait du beau travail : il semble possible de tirer finalement parti de ce fiasco (le Mentat est toujours au Palais, à disposition – même s’il est prêt à se rendre à Heliopolis le cas échéant ; pour l’heure, il peut très bien agir à distance). Mais il y a eu d’autres choses depuis – notamment la présence de plus en plus marquée de la secte résurrectionniste à Cair-el-Muluk, et… Ipuwer l’interrompt, pas vraiment la tête à ces affaires : « Et à propos de la réfection de l'aile est... » Németh explose : « L’aile est attendra ! Les événements sont graves ! Faites l’effort de m’écouter ! » Ipuwer adopte une moue boudeuse, mais la laisse poursuivre ; elle lui rapporte donc que les deux individus qu’ils croyaient être Cassiano et Lætitia Drescii se sont avérés êtres des imposteurs – il n’y a maintenant plus aucun doute à cet égard. Il s’agissait de doubles parfaits, Ipuwer sait certainement ce que cela signifie ? Le siridar-baron arbore une grimace d’incompréhension : un déguisement ? Un subterfuge ? Même Antonin ? Il buvait pourtant autant que d’habitude… Németh dit ne pas avoir de certitudes le concernant – peut-être n’est-il qu’un naïf habilement manœuvré par leurs véritables ennemis… Hors de question qu’il quitte le Palais tant qu’ils n’en ont pas le cœur net, toutefois. Mais Ipuwer poursuit sur cette lancée : ils portaient donc des masques ? Mais non – c’était vraiment parfait ! Le siridar-baron suppose alors que c’est un peu la même chose que pour cette Druhr, cette idée d’ « humains » élevés hors-sol, comme leurs plantes… « Dégoûtant ! On ne devrait pas faire ça ! Qui fait ça ? » Németh ne désigne personne… mais explique comment elle a débusqué l’imposture, quand on lui a appris l’arrivée des Ophélion alors qu’ils étaient déjà censés être là… Ipuwer comprend alors qu’il s’agit de faits établis avec certitude, pas de simples soupçons… Oui : Németh, tout récemment, a vu les deux « Cassiano Drescii » côte à côte… Le premier, l’imposteur, s’est suicidé sous ses yeux quand il a ainsi été confronté à son « original »… Ipuwer soupire : « Ces méthodes sont indignes, les gens qui font ça sont sans honneur ! Tout cela devrait se régler face à face ! » Mais il s’inquiète maintenant de l’état de Németh – il ne semblait pas y avoir prêté attention jusqu’alors. « Vous n’avez pas l’air dans votre assiette… Vous dormez bien ? » Fort peu, et mal – le poids sans doute des responsabilités en son absence… Mais Ipuwer maintient qu’il n’est pas parti si longtemps que cela, et qu’après tout on savait où le joindre ! Enfin, si les services de communication avaient fait leur travail, passons… Németh a donc pris les mesures nécessaires ? Oui – mais elle aimerait lui faire entendre qu’il ne s’agit pas d’une bêtise portant sur l’honneur ou le déshonneur : c’est une terrible menace, et c’est la survie de la Maison Ptolémée qui est en jeu ! « Cassiano Drescii » est mort sous ses yeux ; mais « Lætitia » leur a glissé entre les doigts – Bermyl est sur sa trace… Ipuwer, soupirant, ironise : « Douce Maison, me voici de retour… » Mais il admet que l’attaque qu’il vient de subir démontre assez qu’on en veut à sa Maison et à lui-même…

 

[VIII-5 : Németh, Ipuwer : Linneke Wikkheiser, Anneliese Hahn, Clotilde Philidor, Ludwig Curtius, Vat Aills] Németh a d’autres informations à communiquer à Ipuwer. Elle avance à demi-mots qu’il y a eu une « légère tension » avec Linneke Wikkheiser – laquelle a mal pris ses mesures, peut-être y aura-t-il des répercussions diplomatiques… Ipuwer éclate de rire : « Ma chère sœur, vous l’avez séchée, j’imagine ! Vous avez enfin perçu que cette… bonne femme était une saloperie, un tas d’immondices, arrogante, prétentieuse, hypocrite ! J’imagine que la température dans la salle, quand vous lui avez dit ses quatre vérités, devait être glaciale… » Németh, sans jouer ce jeu, rétorque que cette femme n’était effectivement pas faite pour lui, et n’aurait probablement rien apporté à la Maison Ptolémée… Par ailleurs, les Delambre sont arrivées – Anneliese Hahn se promène dans le Palais, Ipuwer n’aura sans doute pas la moindre difficulté pour la trouver… Clotilde Philidor est plus discrète. Mais Ipuwer ne prête guère attention à cette dernière. La nouvelle de l’arrivée d’Anneliese Hahn le réjouit au plus haut point : « Parfait ! Et mon maître d’armes est revenu ! » Il compte bien se remettre à l’entraînement dès que le Docteur Suk Vat Aills lui en aura donné « l’autorisation » (son ton est clairement blagueur)… Mais d’ici-là, il admet être un brin fatigué – il a été ravi de s’entretenir avec Németh, mais elle peut maintenant prendre congé… Németh obtempère : qu’il se repose bien – elle-même en a tout autant besoin…

 

À suivre…

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Géographie du Japon, de Jacques Pezeu-Massabuau

Publié le par Nébal

Géographie du Japon, de Jacques Pezeu-Massabuau

PEZEU-MASSABUAU (Jacques), Géographie du Japon, quatrième édition mise à jour, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, [1968] 1986, 127 p.

 

Nouvelle excursion du côté des « Que sais-je ? » nippons… mais cette fois avec un volume bien trop compliqué pour ma pomme, et par ailleurs en partie obsolète.

 

La géographie du Japon m’est largement inconnue – c’est à peine si je retiens les noms des quatre grandes îles de l’archipel (bon, maintenant, ça, ça va à peu près…), et les noms des régions demeurent le plus souvent mystérieux à mes yeux d’ignare (au mieux, je vois à peu près le Kantô et peut-être le Kansai) ; la localisation des villes en dépendant pour une bonne part, j’ai du mal à retenir où se trouve telle ou telle agglomération, au-delà de Tokyo et Kyoto, peut-être Osaka et Kobe – le fourmillement de la Mégalopolis n’arrange probablement pas les choses il est vrai… Les régions « naturelles » me sont peu ou prou inconnues au-delà de ces adaptations « politiques » par l’homme, et je serais bien incapable, sans préparation, de situer, par exemple, le mont Fuji sur une carte… ou a fortiori quoi que ce soit d’autre. Le peu que je sais, ou crois savoir, de la géographie du Japon se teinte en outre de confusions, parfois de simplifications, qui me nuisent considérablement dès lors qu’il s’agit d’en faire l’assise à, mettons, une étude historique, ou, pire encore, une étude économique ou sociale contemporaine…

 

D’où cette envie, avant de me remettre notamment à l’histoire, d’envisager d’un peu plus près, et de manière un peu plus solide, la géographie du Japon – cela me paraissait de plus en plus une mesure indispensable. Et c’est pourquoi je me suis procuré cette Géographie du Japon de Jacques Pezeu-Massabuau – en l’espèce dans sa quatrième édition de 1986 (j’ai cru comprendre, après coup, qu’il y en avait au moins une de plus récente, en 1992 ? Par contre, l’ouvrage ne figure plus au catalogue de la collection, sauf erreur, et sans avoir été remplacé…). Cette question de l’édition, pour pareille matière, n’a rien de neutre. Si l’on peut supposer que la géographie « physique » (entendue au sens large – incluant par exemple le climat, l’activité tectonique, etc.) n’a « pas beaucoup changé » depuis 1986, il n’en va pas de même concernant la géographie économique et sociale, la démographie, etc., en évolution constante et éventuellement très rapide : le livre, à cet égard, ne pouvait qu’être dépassé. J’ai supposé que je pouvais m’en accommoder, l’idée étant surtout de développer une première image de la géographie japonaise, m’aidant à m’y retrouver dans d’autres lectures (historiques notamment), quitte à dénicher par la suite un ouvrage plus récent et mieux actualisé sur la question.

 

Les « Que sais-je ? », c’est parfois un peu la roulette russe… Le format est aussi propice à la vulgarisation qu’à la synthèse de pointe, pouvant éventuellement se colorer d’une dimension monographique. J’espérais, pour un sujet pareil, la vulgarisation… et suis comme de juste tombé sur quelque chose de bien plus costaud.

 

Et avec un gros souci d’emblée : cette première base, qui m’intéressait tout particulièrement, sur les villes et régions telles qu’elles ont été conçues par l’homme, n’est en rien abordée au début de l’ouvrage – il s’agit d’une question tellement « préalable »… qu’elle est en fait considérée acquise par l’auteur. Aussi livre-t-il des cartes qui m’ont fait l’effet d’être bien trop abstraites pour moi, tandis que, dans le corps du texte, pire encore, c’est un véritable bombardement de noms de villes et de régions, sans autre mise en bouche. La carte « préalable » que je cherchais existe en fait bel et bien dans l’ouvrage – présentant tout à la fois les « régions géographiques » et les préfectures… mais c’est l’avant-dernière du livre, p. 108, et donc à la toute fin ou presque ! Si j’en avais eu connaissance au début, cela m’aurait peut-être aidé dans la lecture de cet aride petit volume… mais pas sûr.

 

Car il est très aride. Ou, plus exactement, il est pointu à la hauteur des attentes de ses lecteurs les plus exigeants. Les premiers chapitres, consacrés à cette géographie « physique » qui constituait mon premier intérêt dans la matière avec la géographie, disons, « politique », sont ainsi très précis, employant sans définition préalable des notions fort complexes et fort hermétiques pour un quidam tel que votre serviteur consternant d’ignorance crasse… Cela ne m’a pas facilité la lecture, et explique largement pourquoi j’en ai si peu retenu. Il y a des quasi-clichés, certes – un pays allongé et montagneux, en même temps toujours en prise à la mer, et avec des côtes très découpées : OK, ça, je savais… Un milieu naturel violent, voire carrément hostile, du fait de l’activité tectonique (avec, outre les séismes, les glissements de terrain, plus discrets sans doute, mais redoutables), mais aussi du climat et notamment des typhons, je le savais aussi… mais pas à ce point – les statistiques sont assez effrayantes ! D’autres choses d’importance sont cependant plus difficiles à cerner à mes yeux : la Fossa Magna coupant l’archipel en deux par le milieu, par exemple… et bien d’autres notions qui m’échappent tellement que je ne me sens même pas de les citer ici ! Quelques développements, heureusement, m’ont davantage parlé – concernant le climat, par exemple, éventuellement surprenant au regard de la situation géographique de l’archipel : après tout, je n’avais pris conscience qu’à la relecture toute récente de l’Histoire du Japon et des Japonais d’Edwin O. Reischauer du fait que le nord de Hokkaido se situe peu ou prou au niveau de Bordeaux, tandis que Tokyo équivaut en gros à Gibraltar, sans pour autant que le climat de l’archipel corresponde en rien ou presque à ce que l’on s’attendrait à trouver en Europe et en Afrique à ces latitudes ; pour tout un tas de raisons compliquées, dont l’influence continentale, ou encore les courants sur la façade pacifique, l’Oyashio froid qui vient du nord, le Kuroshio chaud qui vient du sud. Mais je relève aussi cette idée, qui fait transition, d’un pays fortement modelé par l’homme depuis longtemps – la question de l’eau a ici son importance, cruciale ; en contraste (ou pas), je relève aussi la relative permanence, encore aujourd’hui (ou en tout cas en 1986), de la forêt… C’est à peu près tout, cependant : le reste me dépasse largement, et je manque bien trop de précision dans les acquis de ces premiers chapitres…

 

Demeure au moins l’idée, qui aura son importance par la suite, dans les chapitres économiques, sociaux, démographiques, etc., de ces ensembles régionaux éventuellement « naturels » (mais aux conséquences humaines), qui découpent l’archipel : on peut distinguer, en gros, Hokkaido (qui demeure à part), Honshu coupée en deux (façade de la mer du Japon et façade pacifique, éventuellement « ubac » et « adret », avec d’autres subdivisions – si l’on met à part le Tohoku, nord de l’île qui fait la transition avec Hokkaido, on peut distinguer, à l’est, et du nord au sud, Kantô, Tokai, et Kansai, et à l’ouest Hokuriku puis San-In – ce dernier au statut plus ambigu, peut-être ?), la région de la mer Intérieure qui relie le nord de Shikoku au Kansai, le nord de Kyushu qui participe aussi des foyers de développement en rejoignant le San-In, tandis que les zones méridionales de Shikoku et Kyushu constituent une dernière zone… Autant de choses qui, bien sûr, ne me disaient peu ou prou rien au moment de ma lecture, et que je n’ai acquises qu’au fur et à mesure des récurrences.

 

Après quoi l’on passe à la géographie humaine, avec ce problème particulier concernant l’évolution rapide des données démographiques, économiques et sociales : je ne doute pas qu’en plusieurs endroits le présent volume (qui accuse tout de même ses trente ans) est très probablement dépassé… Quelques idées générales demeurent, sans doute – comme celle du problème du surpeuplement, qui a de tout temps ou presque affecté le Japon, mais jamais autant qu’au XXe siècle, et a fortiori depuis la Deuxième Guerre mondiale… L’étude historique du peuplement « justifie » davantage le découpage des régions que je viens d’exposer – en appuyant tout particulièrement sur le foyer primitif de la région de la mer Intérieure, incluant probablement le nord de Kysuhu, et débouchant sur le Kansai en Honshu, puis « l’envers » et « l’endroit » de Honshu (au net bénéfice de la façade pacifique). Je ne me sens guère de rentrer ici dans le détail des chapitres portant, par exemple, sur l’agriculture (relevons tout de même la question du riz, renvoyant à l’aménagement ancestral du territoire, et posant déjà la question corrélée de l’autosuffisance alimentaire ; peut-être aussi le développement radical de l’élevage au XXe siècle, mais je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui, les choses ont pu changer ; enfin la tradition des petites exploitations, avec la même obsolescence éventuelle), ou la vie maritime essentielle (notoirement) ; peut-être encore moins pour l’industrie ou « activité de transformation » (au-delà de la question relativement étonnante des matières premières, décidant pour partie du jeu complexe de l’import-export ; sinon, les choses ont nécessairement évolué ici, et de manière sans doute trop considérable pour qu’il soit vraiment pertinent, dans le contexte de ce compte rendu en tout cas, de s’y attarder – mentionnons tout de même, y compris dans cette optique, la question de la pollution, avec par exemple un rappel de la catastrophe de Minamata)… Le sujet des transports et du commerce a au moins autant évolué, et probablement davantage encore. Concernant le développement et l’urbanisme, la carte des régions délaissées a pu changer, de même – et je suppose que la question de la Mégalopolis (la zone urbaine peu ou prou continue, même si très peu large parfois et s’accommodant de zones périurbaines faisant la transition avec des campagnes de plus en plus intégrées, allant, sur la façade pacifique, de Tokyo au nord à Fukuoka au sud, en passant par Yokohama, Nagoya, Kyoto, Osaka, Kobe, Hiroshima, Kitakyushu…), en trente ans, a pris une tout autre ampleur.

 

D’où ce constat : ce n’est pas que ce « Que sais-je ? » soit mauvais (il ne l’est probablement pas), mais il s’est avéré bien différent de ce que j’en espérais, en se montrant bien plus ardu que ce que je pouvais encaisser ; son obsolescence probable en matière de géographie « humaine » (démographique, économique, sociale) en fait par ailleurs une référence datée sur bien des points, et dès lors d’un intérêt limité (d’autant plus pour votre couillon de serviteur). Sa lecture n’a pas été une perte de temps pour autant, et j’en ai éventuellement retenu quelques choses qui pourront m’être utiles par la suite – en fin de compte, j’ai tout de même un peu clarifié ma perception de la matière, si c’est sans grande assise… Mais il me faudra revenir sur cette question de la géographie du Japon quand je disposerai de connaissances un peu plus solides et actualisées touchant au sujet.

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L'Homme qui mit fin à l'histoire, de Ken Liu

Publié le par Nébal

L'Homme qui mit fin à l'histoire, de Ken Liu

LIU (Ken), L’Homme qui mit fin à l’histoire : un documentaire, [The Man Who Ended History : A Documentary], traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti, Saint Mammès, Le Bélial’, coll. Une Heure-Lumière, [2011] 2016, 106 p.

 

La chouette collection « Une Heure-Lumière » des Éditions du Bélial’ se poursuit avec deux nouveaux titres, L’Homme qui mit fin à l’histoire, de Ken Liu (dont on avait pu lire, dans la même maison, le très recommandable recueil La Ménagerie de papier), et Un pont sur la brume, de Kij Johnson. Les deux nouvelles ont été publiées en 2011, et la deuxième a remporté face à la première les prix Hugo et Nebula 2012 (tandis que le prix Sturgeon a été remporté par Le Choix, de Paul J. McAuley, précédent titre de la même collection) ; j’en déduis qu’elle doit être vraiment très, très bonne… parce que celle de Liu me fait l’effet d’un vrai chef-d’œuvre. À vrai dire, cela faisait longtemps que je n’avais pas lu une aussi bonne nouvelle de science-fiction – qui hisse sans peine son auteur, déjà très appréciable jusque-là, au rang des meilleurs nouvellistes contemporains du genre, tels Greg Egan ou Ted Chiang (ce dernier a d’ailleurs en partie inspiré la présente nouvelle puisque, de l’aveu de Ken Liu, sa forme « documentaire » s’inspire de « Aimer ce que l’on voit : un documentaire »).

 

C’est qu’il y a énormément de choses à dire, concernant ce texte fort et subtil à la fois, et je ne suis pas bien certain d’être à la hauteur… On va tenter. Mais croyez-moi sur parole : ça vaut vraiment le coup. Je sais que j’ai l’enthousiasme expansif, hein… Mais bon : franchement.

 

La novella traite d’un sujet terrible, et en lui-même d’une puissance certaine : les atrocités commises par l’Unité 731 – et tout autant le silence coupable et imprégné de mauvaise foi et d’aveuglement qui gangrène encore aujourd’hui la société japonaise à ce propos. L’Unité 731 a longtemps été inconnue ou peu s’en faut – tout particulièrement au Japon, où elle reste un tabou. Les choses ont cependant changé ces dernières années, et la réalité des faits devient de plus en plus incontestable… Vous en avez probablement entendu parler : pour faire simple, l’Unité 731 était une organisation militaire implantée à Pingfang, non loin d’Harbin, dans le Mandchoukouo (ainsi qu’avait été rebaptisée la Mandchourie, devenue alors un État fantoche censément dirigé par le dernier empereur chinois, Puyi, en fait sous contrôle japonais) et qui, tout au long de l’occupation japonaise (1932-1945), s’est livrée dans le plus grand secret à des expérimentations visant au développement d’armes chimiques. Des milliers de prisonniers y ont été torturés et massacrés afin de déterminer les effets de telle ou telle maladie et les moyens de l’inoculer pour en faire des armes (testées après coup sur les populations civiles des environs – faisant des dizaines de milliers de victimes supplémentaires…) ; mais il y eut aussi des tests de gaz, ou encore de chambres de décompression, l’étude à vif des effets du froid et des gelures, etc. Cela ne s’arrêtait pas là : censément pour former les médecins militaires japonais à la chirurgie de champ de bataille, on y a abondamment pratiqué la vivisection, par exemple ; et les femmes, comme partout ailleurs, étaient régulièrement livrées au viol, sans même forcément s’embarrasser de l’odieuse appellation de « femmes de réconfort »… L’Unité 731 est ainsi une des incarnations les plus terrifiantes de ce que l’homme peut commettre de pire, a fortiori quand le contexte militaire et idéologique vient tout justifier... et jusqu'à la science, en l'espèce.

 

Le sujet présente un risque à la hauteur de sa puissance – un double risque, en fait : se complaire dans l’horreur pure et verser dans le racolage, ou en faire un pur prétexte à une accusation d’ordre pamphlétaire. Mais Ken Liu gère tout cela au mieux – parce que, s’il sait choquer, il ne s’en tient pas là ; et s’il dénonce, ce n’est pas en s’aveuglant à son tour, et en aveuglant son lecteur, mais en prenant bien en considération tous les aspects d’une question infiniment plus complexe que ce que l’on pourrait croire de prime abord. Enfin, bien sûr, il use du thème dans une perspective science-fictive – qui n’a à son tour rien d’un prétexte, mais permet de mettre en lumière des considérations supplémentaires de la question, non moins fascinantes.

 

La nouvelle emprunte donc une forme de film documentaire, retraçant après quelques années l’extraordinaire découverte effectuée par un couple de chercheurs, et ses conséquences – scientifiques, philosophiques, politiques, juridiques…

 

Futur proche (éventuellement très proche). Akemi Kirino est une physicienne américaine d’origine japonaise ; elle a contribué à la découverte des particules dites de Bohm-Kirino – une application de la physique quantique que je serais bien en peine de véritablement comprendre et expliquer (et Ken Liu ne s’y attarde pas, on ne fait pas dans la « hard science » ici), mais consistant en gros en une association d’une particule fixe et d’une autre s’éloignant avec la lumière ; en jouant de leur intrication, il est dès lors possible de « voyager dans le temps », mais à des conditions précises : il s’agit en fait d’un voyage « de spectateur », ne permettant pas d’interagir avec l’époque visitée, simplement d’observer ; par ailleurs – et c’est là la trouvaille essentielle, le « novum » je suppose, qui fait emprunter à la science-fiction du texte des atours d’ordre philosophique, disons métaphysique (mais qui auront plus loin également des conséquences éthiques et épistémologiques) –, un tel voyage ne peut avoir lieu qu’une seule fois : le jeu des particules (avec je suppose quelque chose relevant du principe d’incertitude ?) « efface » en gros la scène une fois qu’elle a été revécue. D’où un souci considérable dans l’emploi de cette méthode dans la recherche historique, thème important de la novella : à l’instar de ce qui se pratique en archéologie (et surtout se pratiquait, mais il en reste des échos), l’obtention de la preuve implique son lot de destruction – ici, obtenir le témoignage efface littéralement la possibilité d’y revenir...

 

Akemi Kirino a épousé un autre chercheur, un historien cette fois, et sino-américain (comme l’auteur, donc), du nom d’Evan Wei ; sa spécialité est tout d’abord l’histoire du Japon, et plus particulièrement de la période Heian – autant dire « l’âge d’or » de la civilisation nippone. Mais un hasard va tout changer : avec son épouse, il assiste à la projection d’un film (bien réel) intitulé Philosophie d’un couteau, et qui porte sur les atrocités commises par l’Unité 731. Dont il n’avait absolument pas idée… Il faut dire que les États-Unis ont eu leur part dans la dissimulation de ces crimes de guerre (Douglas MacArthur a lui-même garanti l’impunité des criminels japonais en échange de l’obtention de leurs travaux, et ils n’ont donc pas été inquiétés lors des longs procès de Tokyo ; les États-Unis ont depuis toujours soutenu dans cette affaire le Japon, désormais son allié – a fortiori face à la Chine populaire !)… L’identité chinoise demeurant en Wei grossit encore le choc de cette découverte. Et quand, avec son épouse, il en vient à développer l’idée d’user des propriétés des particules Bohm-Kirino pour la recherche historique, son premier sujet d’étude est tout trouvé : il s’agit de faire la lumière sur les horreurs de l’Unité 731… De les rendre enfin incontestables.

 

Le problème est que la passion a ici sa part – empreinte d’un désir de justice d’autant plus difficile à soutenir que les événements ont eu lieu il y a bien longtemps, et qu’il n’y a plus de témoins (parmi les Japonais de l’Unité – leurs sujets d’expérience ont de toute façon été exterminés lors du démantèlement du centre de recherche de Pingfang, à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale…). Mais, via cette méthode du voyage dans le temps, Wei produit de nouveaux témoins ; or, plutôt que d’envoyer dans le passé des historiens, dans une perspective purement scientifique, il fait le choix de réserver la possibilité du voyage à des descendants des victimes… Certainement pas les plus aptes à l’étude scientifique de la question (ne serait-ce que parce que ces personnes, des Chinois le plus souvent, ne comprennent pas le japonais, etc.). Approche « sentimentale » qui n’est pas pour rien dans les critiques qu’on lui adresse – d’autant que ces « voyages » passionnels effacent donc les scènes revécues, dès lors plus disponibles aux historiens à proprement parler… Le « voyage dans le temps » était une révolution de la science historique ; envisagé de la sorte, cependant, il produit un effet encore plus radical – et c’est bien en cela que Wei est « l’homme qui mit fin à l’histoire »…

 

Mais la polémique va bien au-delà. Car, des décennies après les faits, le contentieux demeure… Le Japon refuse de reconnaître ses crimes en l’espèce (c’est plus ou moins toujours le cas – des « excuses » d’ordre général ont bien été formulées, et l’empereur Akihito y a eu sa part, mais la réalité des faits précis reprochés à l’Unité 731 demeure largement occultée, a fortiori bien sûr par les nationalistes japonais, j’y reviendrai ; cela va cependant bien au-delà). Les accusations de la Chine « populaire » sont perçues comme intéressées et au fond purement politiques. Les États-Unis, globalement, se taisent – mais le soutien du Japon face à la Chine est dans sa nature et son idéologie… La découverte de cette application, très vite, implique dès lors des conséquences politiques (et même juridiques : on débat de la propriété dans le temps, au regard du droit public, et de ses répercussions en droit international !). Et si Evan Wei ne veut pas du soutien chinois, ces implications entachent néanmoins ses expériences…

 

Mais que veut-il, d’ailleurs – et tout particulièrement en réservant le voyage à des parties « intéressées », les descendants des victimes ? La recherche scientifique semble ici reléguée à un second plan, derrière un idéal de justice, abstrait par essence, mais qui, très concrètement, revient à identifier des coupables et éventuellement à exiger réparation… Ce dont le Japon ne veut toujours pas entendre parler. Ce en quoi je ne lui donnerais pas forcément tort, d’ailleurs : l’idée d’une « responsabilité collective » m’a toujours paru, au mieux inadaptée, au pire dangereuse et contre-productive – somme toute très peu juridique… Et faire peser le poids des exactions passées sur une population présente qui n'y a en rien pris part me paraît inacceptable.

 

Mais c’est l’occasion de mettre en lumière diverses formes d’un rapport pathologique au passé, qui ne manque pas d’imprégner la perception de l’histoire (et cela va comme de juste bien au-delà de ce seul cas précis – tous les pays, sans doute, sont ici autant de Japon). Associé à cette autre relation pathologique qui unit cette fois l’individu à sa nation, ce rapport peut avoir des conséquences diverses, et même opposées – mais pas moins néfastes en fin de compte. Il y a, d’une part, le vain désir d’expiation reporté sur un peuple entier (on connaît peut-être davantage, en Europe, cet effet sur le peuple allemand suite aux crimes contemporains des nazis – via des philosophes comme Habermas, sauf erreur) ; il y a d’autre part, et surtout, je tends à le croire, le négationnisme nationaliste : toute accusation entachant le passé de la nation est une insulte à la nation présente ; dès lors, les crimes reprochés à l’Unité 731 ne sauraient être que des affabulations politiquement motivées, et relevant de l’injure calomnieuse. Les nationalistes nippons, que ce soit par aveuglement ou mauvaise foi – avec leur cortège respectif de sentiments exacerbés, de passion par essence irrationnelle – nient en bloc : cela n’a jamais eu lieu, ce ne sont que des mensonges. Les aveux des membres de l’Unité 731, recueillis au fil des décennies, ne sont rien d’autre – consciemment ou pas : nombre d’entre eux, après tout, sont passés entre les mains des communistes chinois ; le « lavage de cerveau » est dès lors une certitude. Le réflexe de l’ignorance (« c’est du passé, n’en parlons plus ») est quant à lui fermement implanté, comme toujours ; mais tout autant le sentiment d’agression, au plus intime – voulant par exemple que les membres de l’Unité 731 aient déshonoré leur pays et se soient déshonorés eux-mêmes, non par leurs crimes allégués d’alors, mais par leurs déclarations injurieuses et antipatriotiques depuis… Forcément, dans ce contexte, les expériences menées par Evan Wei et Akemi Kirino ne sont certainement pas plus probantes que ces témoignages « classiques » déjà systématiquement réfutés : passionnelles d’emblée, elles ne reposent que sur des « illusions » (un mot malheureux de la physicienne, qu’elle a eu amplement le temps de regretter depuis…), et, étant impossibles à reproduire de toute façon, ne sauraient donc constituer des preuves scientifiques.

 

Et ici le propos adopte encore une autre dimension philosophique, en questionnant la science – et pas seulement la science historique : le problème de la preuve, sous cet aspect, a des implications autrement globales, de l’ordre d’une épistémologie générale. Ce n’est pas la moindre subtilité et le moindre intérêt de ce texte décidément très riche.

 

On comprend ainsi que l’expérience tourne en définitive à l’échec… En voulant rétablir la « vérité », Wei l’a rendue plus que jamais contestée, et par la suite invérifiable. Son approche ne résout rien, tant elle se heurte au mur des passions, et vient presque les justifier par son caractère « non scientifique », écho d’une vaine quête de justice qui s’accommode mal de la froideur concrète de l’étude universitaire…

 

Mais si les réponses déçoivent, les questions demeurent – habilement mises en scène par un Ken Liu dont on peut supposer qu’il n’était pas lui-même exempt de « passion » en rédigeant ce texte dédié à Iris Chang (historienne et journaliste sino-américaine, connue notamment pour Le Viol de Nankin, étude d’un autre fameux ensemble de crimes de guerre commis par les soldats Japonais durant la deuxième guerre sino-japonaise – celui qui est resté le plus ancré dans l’inconscient chinois –, et qui s’est suicidée par la suite), mais qui – et c’est là un atout indéniable de ce texte, et qui en fait un très grand texte – sait cependant laisser les portes ouvertes à des interprétations éventuellement différentes ; car il a un sujet complexe, qui, dès lors, ne peut bien évidemment – comme rien au monde sans doute – s’accommoder de ces « réponses simples », apanage des démagogues et des gourous. Lui est autrement fin, et compte généreusement sur la finesse des lecteurs, sans doute.

 

D’autant qu’au-delà, même si c’est au travers d’une pirouette relativement prévisible, et d’une pertinence éventuellement douteuse, il s’agit en fin de compte de questionner l’humanité et la monstruosité. On comprend vite que la deuxième est hors-concours : ce sont des hommes qui ont commis ces crimes – et en tant qu’hommes, non des brutes perverses aux motivations égoïstes : la plupart, sans doute, étaient persuadés de bien faire, d’œuvrer pour le plus grand bien… Dimension que l’on oublie bien trop souvent quand on traite de ces questions – mais qui, il est vrai, ne fait que compliquer encore davantage la problématique de la responsabilité, dépassant largement le seul champ concret des conséquences judiciaires pour figurer un caractère essentiel de l’humanité : blâmer vertueusement les monstres n’est pas seulement inutile, c’est aussi bien trop souvent préjudiciable – et trop facile.

 

L’affaire est complexe – et, par miracle, le traitement l’est tout autant, qui englobe une multiplicité de dimensions d’un abord intimidant, mais sans jamais imposer quoi que ce soit. La passion est là, mais sans jamais nuire à la réflexion. La froideur rationnelle des implications, pour autant, ne vient jamais passer outre à l’humanité des protagonistes – quels qu’ils soient. Et si le négationnisme nationaliste fait probablement figure d’adversaire dans le récit – attitude qui me convient il est vrai parfaitement, il y a peu de choses qui me dépassent et m’écœurent autant que le nationalisme et l’instrumentalisation de l’histoire –, l’approche opposée d’Evan Wei n’est pas présentée comme une solution si pertinente que cela, au fond… Et au milieu des crimes, mais tout autant des froides ratiocinations, ainsi que des manifestations outrées où le désir de justice pour le passé se mue insidieusement en haine de l’autre présent, l’humanité demeure, au premier plan – et s’il est un trait qui la caractérise avant tout autre, c’est très probablement sa faillibilité.

 

Je ne prétendrai pas que L’Homme qui mit fin à l’histoire brille par la forme. Si la construction sous forme d’un film documentaire est pertinente et efficace, le récit est d’autant plus sobre formellement – la plume est fonctionnelle, plutôt agréable par ailleurs, sans chichis en tout cas. Son à-propos est indéniable. Mais le fond, lui, est d’une luminosité fascinante. Ken Liu a réussi ici quelque chose de très fort, en construisant sur une base éminemment passionnelle, et porteuse de tant de dangers – le racolage et la simple indignation vertueuse n’étant pas les moindres –, une histoire dont la subtilité est à la mesure de sa complexité, et toujours humaine en même temps.

 

C’est là de la meilleure science-fiction – qui sait manier la science jusqu’à en exprimer une dimension étrangement poétique, et tout autant poser des questions difficiles avec la finesse du plus subtil philosophe, sans verser pour autant dans l’essai (ou a fortiori le pamphlet), mais en prenant toujours bien soin de raconter une histoire – passionnante –, mettant en scène des personnages dont l’humanité n’est pas qu’une caractéristique secondaire, fonction prétexte à un pur exposé intellectuel. C’est bien une excellente novella – un modèle du genre, comme je n’en avais pas lu depuis un bon moment.

 

Si Un pont sur la brume est encore meilleur, ma foi, on doit y atteindre des altitudes inenvisagées jusqu’alors… Je lis ça bientôt – et, d’ici-là, vous encourage à plonger dans cet Homme qui mit fin à l’histoire, d’une qualité et d’une intelligence qui n’appartiennent qu’aux meilleurs auteurs du genre.

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Annihilation, de Jeff VanderMeer

Publié le par Nébal

Annihilation, de Jeff VanderMeer

VANDERMEER (Jeff), Annihilation. La Trilogie du Rempart Sud 1, [Annihilation], traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilles Goullet, Vauvert, Au Diable Vauvert, [2014] 2016, 224 p.

 

J’avais découvert Jeff VanderMeer, comme beaucoup de lecteurs francophones, avec son extraordinaire « truc indéfinissable » La Cité des saints et des fous, un livre aussi monstrueux et dingue que drôle et stimulant – assurément un livre qui m’avait fait une très forte impression, inaugurant peu ou prou la défunte collection « Interstices » chez Calmann-Lévy, dont je me suis régulièrement régalé. Hélas, depuis ce coup de maître, nous n’avions pas eu droit à d’autres traductions de cet apôtre du « new weird » (je parle de ses fictions – il y a eu deux bouquins sur le steampunk ; mentionnons aussi, outre Atlantique, son activité d’anthologiste, éventuellement avec son épouse Ann : sa colossale somme The Weird sommeille, intimidante autant qu’attirante, dans ma liseuse…)… L’auteur ne s’était pourtant pas arrêté là : il avait livré d’autres romans prenant le cadre d’Ambregris, mais aussi des choses indépendantes, dont un Veniss Underground à l’excellente réputation ; mais, si je désespérais de voir ça en français un jour, je n’avais pas vraiment le courage de m’y atteler en anglais…

 

La nouvelle de la parution d’Annihilation au Diable Vauvert m’a donc fait un immense plaisir, et je me suis procuré bien vite ce court roman – sans trouver, pour tout un tas de raisons plus ou moins bonnes, le temps de le lire jusqu’à présent, bon… En tout cas, cette publication en annonce d’autres, puisque Annihilation est le premier tome d’une trilogie, dite « du Rempart Sud » (« Southern Reach » en VO), dont les trois volumes sont sortis peu ou prou en même temps aux États-Unis en 2014, mais leur publication française (dans une traduction de Gilles Goullet, comme pour La Cité des saints et des fous) sera par contre étalée sur trois ans a priori.

 

Les échos étaient très bons – évoquant des références éventuelles enthousiasmantes, dont, sans surprise, Lovecraft (qui jouait déjà son rôle dans La Cité des saints et des fous), ou encore l’épatant Stalker d’Arkadi et Boris Strougatski. Et ça se vérifie très vite, sans pour autant que le roman vire au pastiche de l’un ou de l’autre ou d’autre chose encore, mais en gardant toute sa singularité, thématique, narrative, etc.

 

Il y a donc la Zone X – et on ne sait pas ce que c’est au juste : c’est bien le propos… Prosaïquement, c’est une zone sauvage, où la nature a repris ses droits (VanderMeer s’est ici inspiré d’un parc naturel de Floride, et sa description du cadre, soignée, peut éventuellement évoquer du « nature writing »), laissant tout juste paraître quelques traces anciennes d’occupation humaine (ou pas ?), notamment un phare et un tunnel que la narratrice tient à qualifier de tour, et qui s’enfonce indéfiniment dans le sol. Mais la Zone X, et c’est surtout cela qui la caractérise, est coupée du reste du monde – là encore, sans que l’on ne sache trop ni comment, ni pourquoi : on évoque bien une « catastrophe », mais sans en dire davantage ; on évoque aussi une « frontière », invisible et intangible, avec un unique point d’accès – ni comment ni pourquoi, idem ; on suppose enfin que cette frontière recule, ou, si l’on préfère, que la Zone X s’étend insidieusement… Mais c’est de toute façon une région qui semble résister aux entreprises de cartographie.

 

C’est pourtant à ces fins (ou pas ?) que l’organisation gouvernementale (secrète ?) dite « Rempart Sud » ne cesse d’y dépêcher des expéditions. Onze se sont ainsi succédées – pour lesquelles les choses se sont très mal passées… Mais chaque fois d’une manière différente ! Ici, les membres de l’expédition se sont entretués ; là, ils se sont tous suicidés ; là encore, ils sont sortis de la Zone sans savoir comment, mais ne sont revenus « dans le monde réel » que pour y périr d’un cancer à l’évolution extrêmement rapide… Pas exactement un lieu de villégiature, donc – mais d’emblée un endroit menaçant, voire fatal…

 

Or, étonnamment (ou pas ?), il y a toujours des volontaires pour s’y rendre, et tenter de percer à jour les indicibles secrets de la Zone X. Il y a donc une douzième expédition, et c’est celle qui nous intéresse plus particulièrement dans Annihilation – le titre, avec ces quelques informations préalables, sans même parler d’une laconique déclaration survenant très tôt dans le récit, laissant déjà supposer le pire… ou pas ? On en revient toujours à ce « où pas »…

 

Cette expédition est strictement féminine, et composée de quatre membres dont on ne connaît pas les noms, et qui ne sont désignés que par leur fonction – qu’ils emploient par ailleurs pour s’interpeller. S’il devait y avoir un chef au groupe, ce serait par défaut la psychologue ; il y a aussi (outre la linguiste qui a finalement dû renoncer à l’expédition) une géomètre, une anthropologue, et enfin une biologiste, qui est notre narratrice : Annihilation prend en effet la forme d’un journal, avec la subjectivité qui sied au genre, et qui donne très vite sa teinte essentielle au roman – la subjectivité y a en effet un rôle fondamental, couplée au procédé habilement développé du narrateur non fiable… l’astuce étant que c’est d’emblée cette narratrice elle-même qui expose ces dimensions.

 

Balancées en plein dans cette Zone X à laquelle elles ne comprennent rien, nos investigatrices passent d’abord un certain temps autour de cette structure souterraine que toutes envisagent comme étant « le tunnel », mais que la narratrice tient à appeler « la tour » – une tour inversée, qui s’enfonce dans le sol, au fil d’escaliers interminables. Les premières explorations, sans aller forcément bien loin, achoppent déjà sur nombre de phénomènes étranges, et tout particulièrement sur ces textes cryptiques et sans queue ni tête (littéralement : l’ensemble est constitué d’un amas de propositions n’ayant ni début ni fin mais s’enchaînant et se renouvelant sans cesse), que la biologiste devine bientôt être le fait d’organismes vivants, peut-être en rapport avec une entité éminemment lovecraftienne rôdant dans les étages inférieurs… Très vite, en fait, la biologiste suppose avoir été contaminée, d’une manière ou d’une autre, par la tour, ou les créatures qui y vivent, ou ces textes qu’elles écrivent. Elle en est pleinement consciente : elle sait, dès lors – et le lecteur avec elle –, ne pas être fiable…

 

Le problème est bien sûr que ses camarades ne le sont pas davantage. Et si l’anthropologue est trop effacée pour vraiment retenir son attention (et peu importe), il n’en va pas de même de la géomètre – la militaire de l’équipe – et a fortiori de la psychologue… dont l’usage de l’hypnose et de la suggestion a nécessairement quelque chose d’inquiétant.

 

À l’angoisse sourde et éventuellement cosmique en même temps qui suinte de la tour se superpose ainsi une seconde couche d’inquiétude, relevant cette fois davantage du fantastique psychologique – et, étonnamment, plus propice à l’action ? L’indicible et la curiosité morbide des « héros » lovecraftiens se doublent donc d’une dimension paranoïaque essentielle, qui colore bien autrement le récit. La certitude de la biologiste – qui entend bien en convaincre son hypothétique lecteur (ou pas si hypothétique que cela ?) – que Rempart Sud en sait bien davantage sur la Zone X qu’on ne leur a dit, la certitude qu’on leur a délibérément caché la vérité, imprègnent tout autant sinon plus les pages que les rapports d’exploration, lesquels n’ont finalement pour fonction que de revenir sans cesse sur le grand mensonge initial, avec toute l’obsession que peut y mettre un schizophrène au dernier degré.

 

Cette dimension psychologique se complique par ailleurs sous un autre angle, qui est celui de la motivation de la biologiste : nous apprenons en effet assez vite que ce personnage d’une extrême froideur et peu ou prou dénué d’empathie avait ses raisons de venir dans la Zone X – son mari avait fait partie de la précédente expédition, la onzième (qui s’est donc soldée par le cancer généralisé évoqué plus haut) ; si elle s’est portée volontaire pour la douzième expédition, c’est sans doute tout autant en raison de son sentiment de culpabilité, difficilement répressible, que de sa compétence et de sa curiosité scientifiques… Ce qui introduit donc un biais supplémentaire dans son propos.

 

Dimension qui s’accentue enfin quand la biologiste, nécessairement, aura l’occasion de lire d’autres journaux – confrontant sa subjectivité écrite à d’autres, et triant pour son lecteur le pertinent de ce qui ne l’est pas… Ceci dans le phare qui, pour figurer l’antithèse de « la tour », n’en est donc pas moins chargé d’un lourd bagage de peur – simplement d’un autre ordre.

 

Sur le plan narratif, tout cela fonctionne très bien, et se montre indéniablement pertinent. L’angoisse sourde des explorations cthoniennes n’a rien à envier à un Lovecraft au sommet de sa forme, tandis que les relations entre les différents membres de l’expédition parviennent à exprimer une étonnante humanité dans cet univers farouchement abstrait – les quatre femmes ont beau être réduites à des archétypes fonctionnels, elles n’en existent pas moins. Il y a donc une peur qui suinte à tous les niveaux – peur mêlée de fascination, comme de juste, dans la vaine appréhension des mystères de la Zone X, mais peut-être tout autant sur le plan humain : la question de la suggestion hypnotique a éventuellement ce rôle. Au-delà, la violence et la haine, au-delà des contaminations supposées de la Zone (ou, d’ordre psychique, résultant de suggestions hypnotiques ou d’autres formes de conditionnement ?), dessinent plus ou moins une humanité qui se perd toute seule, et n’a finalement guère besoin qu’on l’y pousse : à cet égard, les pièges de la Zone X sont tout autant des prétextes.

 

Au-delà de cette peur qui rôde, le roman brille donc surtout dans son utilisation du procédé du narrateur non fiable. Les déclarations mêmes de la biologiste dans son journal incitent le lecteur à intégrer cet aspect du récit, dont découlent des conséquences joliment paradoxales – relevant presque, d’ailleurs, du fameux « paradoxe du menteur ». C’est un moyen pertinent d’intégrer le lecteur lui-même dans la paranoïa ambiante – avec pour cause principale de ses inquiétudes la narratrice elle-même, si elle reporte bien sûr ses propres craintes sur ses collègues et l’organisation Rempart Sud. Et cela va peut-être encore au-delà, puisque l’on est amené à remettre en cause tout, absolument tout, de ce qui nous est narré. Ce qui revient à démonter les ressorts de la fiction : en temps normal, celle-ci, par jeu, affirme nous dire la vérité, quand nous savons que ce n’est pas le cas – elle n’en est pas moins conçue avec toute l’habileté d’un canular, pour reprendre l’expression connue de Lovecraft… Mais ici, il y a un renversement : le récit dont on sait qu’il est fiction en rajoute une couche : rompant avec les principes du genre, bien loin d’asseoir l’authenticité (d’un second ordre) de ce qu’il rapporte, il ne cesse de nous dire qu’il ment, ou, plus exactement et de manière plus insidieuse, il nous le laisse entendre au travers d’une multiplicité d’indices… qui devraient justement être eux aussi questionnés, à tout prendre. Si la narration est fluide et globalement ordonnée, elle n’en est pas moins riche de ces bizarreries fictionnelles ou anti-fictionnelles (un « post-machin », sans doute…), à même de susciter, de manière finalement ludique, tant la fascination que la migraine.

 

Tout ceci, on l’aura compris, fait un bon roman. Et peut-être même très bon. Pourtant, il me faut bien admettre une relative déception… Sans doute ne tient-elle pas au roman en lui-même, mais aux attentes extrêmement élevées que je plaçais en lui. C’est que j’avais encore le souvenir émerveillé de La Cité des saints et des fous, et espérais donc, consciemment ou pas, quelque chose d’aussi fort et d’aussi fou. Ce que n’est à mon sens pas Annihilation. Si les deux œuvres jouent dans la même catégorie du « weird », c’est pourtant de manière très différente. La Cité des saints et des fous était baroque, foisonnante, drôle, ludique, au point d’en être parfois gratuite, mais, avouons-le, délicieusement gratuite. Annihilation n’est rien de tout ça : c’est un récit autrement sobre, autrement humain, quand bien même paradoxalement, autrement focalisé aussi. L’humour n’y a guère sa place, le baroque encore moins. Si La Cité des saints et des fous tenait de l’encyclopédie absurdement cohérente d’un monde fantasque, Annihilation s’en tient au format autrement court, diffus, délibérément imprécis, sourdement pathologique, du rêve ou du cauchemar. Aussi folle soit-elle, Ambregris avait quelque chose de concret, de palpable – aux antipodes finalement de cette Zone X essentiellement abstraite et dont l’essentiel de la valeur réside justement dans l’indéfinition. Ce sont bien sûr deux approches aussi légitimes l’une que l’autre – et deux approches tout aussi à même de me séduire ; il n’en reste pas moins que mon souvenir, éventuellement idéalisé, de la première, a probablement parasité ma lecture de la seconde.

 

Ces attentes sont comme de juste vicieuses… Elles m’ont fait espérer le chef-d’œuvre, et, au final, j’ai donc été déçu de ne lire qu’un très bon roman… « Rien que ça… » Cela en vaut pourtant la peine – et je ne doute guère de prolonger l’expérience avec les deux romans suivants, semble-t-il très différents, et éclairant d’un regard singulier les mystères de la Zone X… et peut-être tout autant les mystères de la narration et de la fiction. Ce qui n’est certainement pas rien.

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CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (25)

Publié le par Nébal

CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (25)

Vingt-cinquième séance de la campagne de L’Appel de Cthulhu maîtrisée par Cervooo, dans la pègre irlandaise d’Arkham. Vous trouverez les premiers comptes rendus ici, et la séance précédente .

 

Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient donc Dwayne O’Brady, l’avocat Chris Botti, la chanteuse Leah McNamara (la joueuse l'interprétant était absente au début de la partie) et quant à moi « Classy » Tess McClure (ou maintenant Tess la Rouge…), maître-chanteuse.

 

I : DANS L'ABÎME DU CLAN

 

[I-1 : Dwayne, Tess : Diane Pedersen] Dwayne et moi nous rendons au salon de thé Au bonheur des roses, à Boston, où nous avions convenu d’un rendez-vous avec Diane Pedersen, au prétexte du chantage (la rançon demandée était de 2000 $) ; nous discutons de notre plan en route. Dwayne s’est muni de chloroforme et d’un chiffon adéquat. Je connais très vaguement la boutique en question – mon fiancé m’y avait parfois emmenée, dans le temps (mais rarement). Je sais que l’on peut y louer des salons privés.

 

[I-2 : Chris : Leah McNamara, Michael Bosworth ; Orson Cushing] Chris, Leah et Michael sont déjà arrivés à Boston de leur côté. Michael rappelle qu’ils ont un souci dans leur plan impliquant de se faire passer pour des employés du traiteur, Orson Cushing : la sécurité se rendra sans doute compte si le nombre d’employés ressortant n’est pas le même que celui des employés entrés dans l’hôtel… Mais ça ne l’inquiète pas trop : lui pense trouver un moyen de se dissimuler avant, afin d’éviter tout soupçon ; le problème concerne donc le seul Chris, car Michael ne peut absolument rien faire pour lui…

 

[I-3 : Dwayne, Tess/« Louise O’Hara » : Tom ; Diane Pedersen] Dwayne et moi, ayant un peu d’avance, cherchons à entrer en contact avec la pègre irlandaise de Boston – nous avons convenu de ce qu’il nous fallait une planque (une vraie, pas le salon de thé !) pour y séquestrer Diane Pedersen le temps du gala. Nous avons une vague idée de l’emplacement d’un speakeasy tenu par les Irlandais, et nous rendons aux environs – la ville est bondée, la circulation malaisée. Dans une petite rue non loin de l’emplacement supposé du bar clandestin, Dwayne aperçoit un homme roux à la démarche incertaine, qui vient de sortir d’un immeuble d’appartements, assez aisé. Je me gare non loin, et nous nous avançons vers l’immeuble – il est un peu du même type que le Guardian’s d’Arkham, mais avec un parking sans doute à l’arrière. Les noms, à l’entrée, sont parfois de consonances irlandaises, mais tout aussi souvent WASP… Dwayne décide alors d’accoster le type éméché – il lui parle en argot irlandais, disant d’un ton ouvertement sympathique que nous venons d’Arkham, et que nous aimerions boire un verre ; peut-il nous renseigner ? Le type commence à répondre, « ouais, ouais… », mais il se reprend à la dernière minute : « Je ne vous connais pas… » Il est suspicieux. Sans être ivre à proprement parler, il a bu suffisamment pour aiguiser son anxiété. Puis [réussite critique de Dwayne, 1], après avoir dévisagé Dwayne un moment, il change complètement d’attitude : il le reconnaît, dit le nom de sa mère ! « Je t’ai connu tout petit ! Qu’est-ce que tu deviens ? Et tu es bien accompagné, en plus ! » ajoute-t-il en me voyant (je suis restée un peu en arrière)… Il s’appelle Tom, et Dwayne le remet : c’est un collègue de son oncle. Très volubile, il nous invite : bien sûr qu’on va pouvoir prendre un verre, et la note sera pour lui ! Nous retournons devant le speakeasy. Dwayne, en chemin, lui demande s’il a de bonnes relations dans le coin – il aurait besoin d’un endroit où dormir… Tom : « Passez chez moi ! Ça fera plaisir à ma femme ! On pourra faire un bon repas ! » Dwayne lui dit que c’est très aimable, mais que nous manquons de temps aujourd’hui ; cependant, il compte rester quelques jours à Boston, alors… Dwayne note l’adresse de Tom (dans un quartier plutôt classe moyenne inférieure). Je suis amenée à me présenter – sous le nom de Louise O’Hara, que j’avais endossé pour le chantage avec Diane Pedersen. Tom nous conduit donc dans un bar clandestin, du genre inaccessible à qui n’en aurait pas entendu parler, où nous sommes accueillis très chaleureusement, sur un ton familier. Tom nous paye une bière chacun. Il enchaîne les anecdotes embarrassantes sur Dwayne quand il était petit… En fait, il lui tient la jambe. Au prétexte de les laisser papoter entre garçons (« Le pauvre Dwayne ! Il rougit d’autant plus que je suis là… »), je vais me promener un temps dans le bar, à détailler la clientèle – et je me fais reluquer…

 

[I-4 : Chris : Orson Cushing ; Danny O’Bannion] Chris prend sa voiture, et va se garer devant le traiteur, Orson Cushing. On le conduit à nouveau discrètement dans le même bureau à l’écart que celui où il s’était déjà entretenu avec le patron, lequel s’y trouve, visiblement un peu stressé. Il tient par-dessus tout à éviter les ennuis, et une implication trop franche dans les affaires de la pègre irlandaise. Aussi se montre-t-il très peu cordial, et pressé d’en finir… Chris entend le rassurer, il n’y a aucun problème, et il ne compte pas rester très longtemps – il se souvient de sa promesse, un bon avocat se souvient toujours de ses promesses… Mais il lui fait part de son souci de sécurité. Il n’y a pas d’employés supposés rester sur place, pour s’assurer que tout se passe bien ? Non : l’entreprise ne s’occupe que de la livraison, pas du service – et, après tout, c’est un hôtel réputé, avec son propre personnel… Mais Chris imagine qu’il devrait être possible de laisser exceptionnellement un factotum sur place, pour tout gérer dans cette soirée aux implications commerciales et promotionnelles juteuses… Et gratuitement : il ne s’agit que d’assurer la meilleure réputation de chacun. Cushing ne l’a jamais fait, mais admet à demi-mots que ça doit être envisageable. D’autant qu’il est un fournisseur régulier de l’hôtel, qu’ils entretiennent une bonne relation commerciale… Mais à Chris de gérer ça avec son bagout ; tout au plus pourra-t-il bénéficier de l’appui d’autres employés mis dans le secret. Pour l’avocat, ça n’a rien d’insurmontable… Il laisse échapper à un moment son origine italienne, ce qui inquiète brièvement le traiteur, mais Chris lui explique la situation, ce qui ne tarde pas à le rassurer – d’autant plus quand l’avocat lui certifie que Danny appréciera ses efforts.

 

[I-5 : Tess/« Tess la Rouge » : Anna] Dans le bar, je reconnais enfin la serveuse [réussite critique à mon tour, sur un test de Crédit criminel] : il s’agit d’Anna, une femme de forte carrure, dans les 45 ans, au caractère typiquement irlandais ; elle m’avait plusieurs fois aidé à trouver des « employeurs » en tant que femme de ménage, mais aussi fourni de bons tuyaux ; cela va plus loin : cette femme, mère de deux fils, me considérait presque comme sa fille par procuration, et se montrait toujours affectueuse avec moi ; et sa famille à Arkham m’a plus d’une fois prise sous son aile, quand j’étais dans la galère… Elle ne m’a pas encore reconnue ; je l’accoste – sentant son parfum habituel de jasmin. Elle manque presque échapper son plateau : elle le pose bien vite, et m’enlace avec tendresse. Elle signifie à son époux (sans lui demander son avis) qu’elle prend une pause pour discuter avec moi, et nous nous retirons un peu à l’écart. Elle me plaint aussitôt pour ma triste réputation – elle sait que je suis parfaitement innocente des horreurs qu’on impute à « Tess la Rouge »… J’approuve, bien sûr ; mais lui explique que, si je suis venue à Boston, c’est justement par rapport à ceux qui m’ont infligé cette sinistre réputation ; pour ça, j’aurais besoin d’une planque à Boston – quelque chose de discret, tranquille… Elle va voir avec son mari.

 

[I-6 : Dwayne : Tom ; « Classy » Tess McClure, Brienne] Tom continue de tenir la jambe à Dwayne, lui demandant d’un ton égrillard comment un type comme lui a pu emballer une fille comme moi : « Oh, je suis pas si moche, quand même… » Puis Tom se souvient d’une chose : « T’étais pas maquée avec une Brienne ? » Si… « Oh mon salaud ! » Dwayne se contente d’un grand sourire, à la mesure de celui de son interlocuteur…

 

[I-7 : Tess : Anna] Je vois le mari d’Anna lui tendre un porte-clefs, avec une seule clef dessus. Anna me griffonne une adresse sur un mouchoir : c’est un coin de la périphérie de Boston où se trouvent essentiellement des entrepôts – on y stocke l’alcool ; s’y trouve un cabanon vide qui devrait faire l’affaire. Je remercie Anna chaleureusement, lui disant que je lui revaudrai ça ; elle m’invite à passer manger chez elle un de ces jours : « Avec plaisir ! »

 

[I-8 : Chris : Leah McNamara, Michael Bosworth] Pendant ce temps, Chris retrouve Leah et Michael, ils mangent ensemble dans un restaurant français, un peu cher mais de qualité (un ami de Leah le lui avait conseillé), et ils s’entretiennent de la marche à suivre pour le gala.

 

II : L’AFFAIRE DIANE PEDERSEN

 

[II-1 : Dwayne, Tess : Diane Pedersen] Il est prêt de 11 h – l’heure de notre rendez-vous avec Diane Pedersen au salon de thé Au bonheur des roses. Nous nous y rendons, Dwayne et moi ; je lui parle des salons privés, lui précise aussi qu’en principe le premier étage est réservé aux femmes – l’établissement est très féminin… Nous discutons de plusieurs approches, mais finissons par nous mettre d’accord : l’idéal serait de trouver un salon privé au rez-de-chaussée, avec une fenêtre donnant sur le parking ; nous entrerions tous deux, normalement, dans le salon avec Diane Pedersen, nous la droguerions et l’évacuerions par la fenêtre, et sortirions nous aussi par là – tandis que le salon resterait fermé, comme si nous y passions le temps tout à fait normalement. Je vais me garer sur le parking à l’arrière – où donnent plusieurs fenêtres de salons du rez-de-chaussée. Un voiturier s’avance, mais nous n’avons pas besoin de ses services – Dwayne a à faire dans la voiture...

 

[II-2 : Dwayne, Tess : Diane Pedersen] Nous nous approchons de l’entrée d’Au bonheur des roses. Le videur adresse un regard visiblement méprisant à Dwayne, en raison de la tenue « banale » de ce dernier, pas très appropriée au lieu (c’est un salon très bourgeois, fréquenté par une clientèle aisée – le genre de personnes que j’ai fait chanter…), mais il ne cherche pas à lui dénier l’accès. Le salon est conforme à mon souvenir : très féminin, tout en teintes de rose ou de pastel, avec une abondante décoration aux motifs floraux, des affiches de cinéma ou de spectacles très bourgeois… Un serveur nous accoste, je lui dis que nous aimerions louer un salon privé. Il va se renseigner, nous invite entre-temps à nous asseoir, et nous sert d’emblée un thé parfumé à la rose, que nous buvons en patientant. Nous balayons discrètement la salle du regard : Diane Pedersen n’est pas là – et il est 11 h 03 (nous avions rendez-vous à 11 h…). Un vieil homme qui va régler ses consommations se montre à son tour moqueur vis-à-vis de Dwayne, ce qui fait glousser ses accompagnatrices… Puis Dwayne constate qu’il se trouve à une table un homme seul – c’est très rare, ici. Il déguste son thé de la main droite, en survolant son journal, mais en jetant régulièrement des coups d’œil à la clientèle ; Dwayne se rend compte que sa main gauche est menottée à une mallette en cuir, qu’il garde sous la table… C’est un homme de carrure moyenne, aux allures d’employé lambda. Dwayne suppose qu’il est venu à la place de Diane Pedersen… Il m’en informe. Quant à moi, j’aperçois une ancienne « employeuse », que j’avais fait chanter en raison de ses flirts avec les domestiques – j’évite de croiser son regard et d’attirer son attention… Le serveur revient : l’établissement a bien un salon privé de disponible, qui se trouve à l’étage. Dwayne s’en étonne : les hommes ne sont-ils pas interdits d’accès à l’étage ? C’est vrai du salon principal : pour un salon privé, ça ne devrait poser absolument aucun problème ; aucun autre salon n’est disponible, de toute façon… Mais celui-ci est bien tout confort, nous n’aurons pas à nous en plaindre ! Nous acceptons – nous n’avons pas le choix, et la situation a changé… Le serveur signifie tout de même à Dwayne que sa tenue n’est guère adéquate, il offre de lui louer également une veste convenable, pour 20 cents… Nous prenons l’escalier à la suite du serveur, qui nous conduit dans un salon assez grand, doté d’une table de billard en plus des tables basses habituelles ; nous prenons place dans les fauteuils aussi confortables que luxueux ; la location coûte un dollar de l’heure, payable en partant. Ils nous tend une carte des consommations, qu’il nous laisse étudier – il se retire, reviendra dans cinq minutes, d’ici-là je vais choisir pour moi comme pour Dwayne (en me laissant influencer par la décoration d’inspiration japonaise).

 

[II-3 : Dwayne/« M. O’Hara », Tess/« Louise O’Hara » : Diane Pedersen, Hippolyte Templesmith] Le serveur parti, Dwayne et moi nous interrogeons sur la marche à suivre : si le type à la mallette est venu à la place de Diane Pedersen, nous devons a priori mettre notre menace à exécution et diffuser les photos compromettantes… Il faut en tout cas le lui signifier. Le serveur revient, prend ma commande, s’en va à nouveau. J’avais pris sur moi sept des treize photographies trouvées chez Hippolyte Templesmith, j’en donne une à Dwayne pour qu’il aille accoster l’homme à la mallette tandis que je reste dans le salon privé. Dwayne retourne donc au rez-de-chaussée : le type est toujours là, il a fini son thé, et tout autant son journal. Dwayne lui demande s’il peut s’asseoir à sa table.

— M. O’Hara, je présume ?

— Vous présumez bien. Et je suppose que vous n’êtes pas Diane… dit Dwayne en s’asseyant.

Miss Pedersen n’est… pas disponible pour l’instant. Elle est sous sédatifs, violemment affectée par votre chantage, qui a réveillé en elle des pulsions suicidaires !

L’homme ne prend pas de gants, il expose brutalement la situation, et a l’air parfaitement sincère. Dwayne garde ça pour lui, mais suppose qu’en fin de compte c’est une bonne nouvelle… Le type demande à Dwayne s’il a les photographies ; il en a une, qu’il lui tend – sa collègue a le reste. Avons-nous amené toutes les photographies ? Oui. Dans ce cas, il est prêt à faire l’échange. Il suit Dwayne à l’étage ; Dwayne lui demande cependant de patienter un instant, le temps qu’il m’informe de la situation. Je pense comme lui que c’est peut-être finalement une bonne nouvelle. Je vais m’assurer de ses dires, et adopter la réaction qui me paraît la plus appropriée (en l’espèce, je tends à croire que jouer les maîtres-chanteurs novices, désireux de s’emparer de l’argent au plus tôt, pourrait être tout à fait pertinent).

 

[II-4 : Dwayne/« M. O’Hara », Tess/« Louise O’Hara » : Diane Pedersen] Dwayne fait entrer l’homme à la mallette dans le salon privé, où je l’attends, stoïque. Il me demande si j’ai les photographies, je lui dis que je veux d’abord voir l’argent ; il entrouvre sa mallette (à code), laissant apercevoir des liasses de billets. Je sors les photographies et les dispose sur la table, sans les donner pour le moment. Je demande à Dwayne de vérifier l’argent ; le type veut le faire lui-même, sortant des liasses et les battant pour nous assurer qu’elles sont bien ce qu’elles ont l’air d’être – a priori, si les autres liasses sont fiables, je comprends qu’il y a ici davantage que la somme de 2000 $ que nous avions exigée. J’étudie l’homme à la mallette avec attention, et conclus à mon tour à sa sincérité. De toute évidence, il ne nous aime pas… Mais j’en viens à supposer qu’il a peut-être un faible de nature romantique pour Diane Pedersen – une motivation tout personnelle dans cette affaire… mais il ne joue pas au malin, ne cherche a priori pas à nous entourlouper : il a l’air parfaitement conscient de ce qui pourrait se poursuivre en cas de faux mouvement de sa part. Je réarrange les photographies devant lui – leur nature pornographique lui saute maintenant aux yeux, et ça le met visiblement mal à l’aise. Je désigne des liasses choisies au hasard, afin de les vérifier. Je remarque aussi une petite bosse dans sa veste ; un moment, je crois qu’il s’agit d’un Derringer, mais c’est peut-être un étui à cigarettes ou un briquet… ce qui semble se confirmer quand l’homme allume une cigarette. Je prolonge la comédie le temps nécessaire pour que mon comportement sonne juste. Il me demande si ce sont là toutes les photographies, je lui réponds positivement (c’est un mensonge…), ce qui a l’air de le soulager. Il sort une petite clef qui lui permet de se défaire de la menotte de la valise, et pousse la mallette dans notre direction ; j’avance les photographies et il s’en empare. Dwayne lui demande le code : 53B22. Je dis au messager de prendre le temps de savourer son thé, il ne doit partir que bien après nous – dès lors, l’affaire est arrangée, nous n’aurons plus l’occasion de nous revoir… Dwayne remarque en partant que l’homme est visiblement excité par les photographies – au moins autant qu’il en est dégoûté…

 

[II-5 : Dwayne, Tess] Une fois dans la voiture, ayant repris la route d’Arkham, nous vérifions la somme d’argent : il y a bien 3000 $, au lieu des 2000 $ demandés. Dwayne garde la mallette pour l’heure, nous verrons plus tard ce que nous en ferons.

 

[II-6 : Chris : Leah McNamara, Michael Bosworth ; Dwayne O’Brady, Herbert West, « Classy » Tess McClure, Elsa Ropes] Chris discute du déroulé de la soirée avec Leah et Michael. Ce dernier est un peu en rogne, parce que c’est Dwayne qui a la seringue de Herbert West, or ils n’ont pas pu s’entretenir avec nous de ce que nous comptions faire… Chris dit qu’alors il leur faut réfléchir à leur rôle de soutien, en se montrant attentifs au déroulement de la soirée ; ils savent que Dwayne et moi aurons des apparences différentes – et ils savent lesquelles. Il leur faut nous couvrir sans que personne puisse s’en douter, afin de nous offrir une couverture supplémentaire. Après quoi ils se séparent : Leah décide de se calmer les nerfs en allant assister à un concert au conservatoire – elle doit retrouver Elsa Ropes et sa troupe à 18h, et sera donc devant l’Omni Parker House vers 17h30, pour avoir un peu de marge. Chris lui a entretemps expliqué, ainsi qu’à Michael (plus directement intéressé), l’accord qu’il a conclu avec le traiteur

 

[La joueuse incarnant Leah McNamara arrive à ce moment-là.]

 

III : LE RITUEL DU LOVE HOTEL

 

[III-1 : Dwayne, Tess : Brienne, Elaine ; Danny O’Bannion, Hippolyte Templesmith] Dwayne et moi sommes de retour à Arkham. Dwayne ayant suggéré de déposer la mallette à l’appartement de French Hill Street, la garçonnière de Danny O’Bannion, où se trouvent Brienne, Elaine et quelques gardes, je roule dans cette direction, me gare, et l’accompagne à l’étage. Quand Dwayne toque à la porte, nous entendons la voix d’Elaine : « Pas trop tôt ! » Elle vient nous ouvrir… et est déçue en constant que c’est nous. « Vous attendez de la compagnie ? » Oui, il faut bien s’amuser… Elaine est visiblement un peu ivre, Brienne – qui en a sans doute moins l’habitude – encore un peu plus… Elles ont l’air de bien s’entendre, en tout cas. Apercevant Dwayne, Brienne se jette aussitôt dans ses bras. Elaine, de son côté, me salue – d’un ton un peu cassant, comme toujours, mais non dénué d’une certaine nuance d’estime. Dwayne, qui s’en inquiétait, constate comme moi qu’Elaine a bien un bandeau sur l’œil gauche – mais pas celui « de pirate » qu’elle avait improvisé à la ferme : un « patch » plus discret, qu’elle peut dissimuler derrière sa frange. Brienne, un peu partie, voit la mallette de Dwayne :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Je prévois nos arrières…

— C’est de l’argent ?

— On verra ça demain, pas touche d’ici-là. Là, tu es un peu… dit-il sans trop de reproche.

Il dépose la mallette dans un coffre à clef (il a en outre celle de la mallette, et son code). Il a pris soin de prélever deux liasses, une pour lui, une pour moi – que nous disposions au cas où de liquidités pour la soirée. De son côté, Elaine m’a servi un verre, visiblement désireuse de discuter, et j’accepte.

— Il paraît que vous avez une jolie soirée ?

— Sans doute… Pourquoi ?

— J’aimerais venir… En fait, c’est Danny qui me l’a suggéré ! Je l’avais peut-être mal jugé, il a de la ressource… Il m’a dit qu’il serait disposé à me reprendre comme régulière, si je me montrais utile !

Je ne suis pas d’accord (Dwayne non plus, s’il est occupé de son côté…). En fait, d’ex d’Elaine, il y en aura un autre sur place… Et la situation est déjà assez compliquée comme cela, inutile d’en rajouter encore dans l’improvisation. Elle aura d’autres occasions de briller devant Danny – mais pas cette fois. Je joue de la carte professionnelle… et ça ne manque pas de faire soupirer Elaine, comme toujours : « Avec un cul comme le tien, comment tu fais pour rester aussi sage ? » Dwayne revient : nous avons à faire, nous ne pouvons nous attarder plus longtemps à la garçonnière de French Hill Street.

 

[III-2 : Dwayne, Tess : « 45 », Stanley, Leonard Border] Dwayne et moi nous rendons au love hotel. « 45 » s’y trouve, avec d’autres gardes. Ils ont assommé Stanley, qui chouinait trop ; Leonard Border, pour sa part, attend froidement ce qui va se produire. Faut-il procéder au rituel en même temps ? Il me semble que non : mieux vaut décaler ; on pourra ainsi constater, déjà, si le rituel fonctionne, venir en aide si jamais, en tirer des leçons enfin. Dwayne va commencer, tandis que je l’observerai et l’assisterai. Nous allons voir Leonard Border… qui demande s’il a droit à un dernier repas. Dwayne accepte, et « 45 » passe la consigne à un autre garde – lui reste sur place. Tandis que le journaliste mange, nous relisons le rituel – puis je m’accorde un rail de coke bien nécessaire… Stanley se réveille à peu près quand Border a fini de manger, et appelle pathétiquement à l’aide…

 

[III-3 : Dwayne, Tess : Leonard Border, « 45 » ; Elaine] Dwayne va s’emparer de Leonard Border, afin de le conduire à la baignoire qu’il a préparée pour le rituel. Il veut lui mettre un bandeau sur les yeux, mais le journaliste dit que ce n’est pas nécessaire : que nous fassions rapidement ce que nous avons à faire, c’est tout. Dwayne acquiesce, lui accorde une cigarette du condamné à sa demande, et insiste auprès de « 45 » : il ne faut nous déranger sous aucun prétexte – sous aucun prétexte ! Je les ai suivis. Mais tandis que nous approchons de la chambre, nous entendons un couple en train d’y prendre du plaisir… Dwayne dit à « 45 » de faire dégager ces intrus, et nous l’accompagnons. « 45 » frappe à la porte, attend la réponse – on l’envoie chier : « Barrez-vous ! On a payé pour deux heures ! » Dwayne entre dans la chambre, dit au couple de gicler dans une autre, il n’est pas d’humeur à rigoler. Voyant « 45 » armé, les amants n’insistent pas davantage, ramassent leurs vêtements à la hâte, et s’en vont… Nous expliquons à « 45 » ce qui va se produire concernant notre apparence : c’est comme ce qu’il avait vu pour Elaine, même si pas tout à fait ; quoi qu’il en soit, Dwayne va ressortir avec l’apparence de Leonard Border – ce n’est pas le « vrai » journaliste qui sortira ; même chose ensuite pour moi, qui prendrai l’apparence d’une autre jeune femme… « 45 » hoche la tête, mais cette idée ne le réjouit visiblement pas… Il va monter la garde.

 

[III-4 : Dwayne/« Leonard Border », Tess : Leonard Border] Leonard Border a une idée de ce qui l’attend… encore que pas tout à fait. Il a en gros la même carrure que Dwayne, mais ce dernier est un peu plus grand d’environ cinq centimètres ; prendre son apparence ne devrait toutefois pas être trop compliqué. Dwayne dispose le journaliste devant la baignoire ; celui-ci, qui commence à percevoir la dimension rituelle de son exécution, a à peine le temps de demander : « Mais pourquoi… » Dwayne arrive aussitôt derrière lui et, sans lui laisser dire quoi que ce soit de plus, il l’égorge. Le journaliste mourant essaye vaguement de se débattre, par réflexe ; il a surpris Dwayne – il parvient presque à se relever en gargouillant, et son sang coule en partie en dehors de la baignoire… Je vais à la rescousse de Dwayne et, d’une balayette, fait tomber Border dans la baignoire. Il suffit alors de le maintenir un bref instant par le dos – il n’a bientôt plus la force de se débattre… Dwayne, qui avait déshabillé le journaliste pour bien s’imprégner de son apparence physique, enlève à son tour ses vêtements. Il s’installe dans la baignoire, s’asperge du sang du journaliste (cinq litres environ), et médite sur l’apparence du cadavre tout en psalmodiant l’incantation – que je lui tiens sous les yeux. Il sent progressivement le sang dont il s’enduit se « solidifier » et en même temps « s’animer » sur sa propre peau, constituant une nouvelle peau par-dessus, qui le recouvre complètement ; il y a comme un effet « électrique », mais surtout l’idée d’une vie symbiotique qui s’associe à la sienne… Après quelque temps, Dwayne s’évanouit. De mon côté, j’observe sans rien dire ; j’ai l’impression étrange que le sang a teinté la pièce d’une lueur vermillon… Et, quand je perçois l’évanouissement de Dwayne, cet éclat lumineux cesse aussitôt, me faisant cligner des yeux ; quand je les rouvre, il est une copie parfaite du cadavre de Leonard Border… [Dwayne a perdu 1 point de POU et 6 de SAN.] Dwayne reprend ensuite ses esprits ; il a cette sensation d’une peau vivante par-dessus la sienne… mais aussi celle d’être une copie parfaite – il va s’en assurer devant un miroir, et je confirme de toute façon : je suis très impressionnée… Il n’y plus de sang qui ruisselle sur lui : il est devenu autre chose, cette nouvelle peau. Dwayne se rhabille – il lui faudra trouver un costume adéquat pour le gala… Il a fait les poches du journaliste, et s’est emparé de tout ce qui pouvait le distinguer et l’identifier : portefeuille, clefs, invitation au gala, carnet d’adresses, papiers de la voiture, lunettes, la photo d’une jolie femme (il reconnaît une employée de Lilas…), la photo de mariage de ses parents…

 

[III-5 : Tess/« Diane Pedersen », Dwayne/« Leonard Border » : « 45 », Stanley ; Diane Pedersen, Elaine] À mon tour – et Dwayne vient m’aider comme je l’ai aidé. Nous croisons « 45 », mais c’est comme si le garde refusait de voir Dwayne sous sa nouvelle apparence… Stanley est encore dans les pommes. Nous le transportons sans le réveiller dans la baignoire que j’ai préparée, et fermons la porte à clef derrière nous. Je dispose Stanley dans la baignoire, et l’égorge alors qu’il est toujours inconscient. Le sang ruisselle comme il faut. Le bibliothécaire devient tout pâle, et entrouvre à peine les yeux sur la fin, quand il est bien trop tard – il n’a pas du tout réagi. Je me déshabille et m’asperge de son sang dans la baignoire, tandis que Dwayne tient à la fois une photo de Diane Pedersen et les instructions du rituel devant mes yeux. Mon corps est progressivement recouvert de sang, et je perçois les mêmes sensations que Dwayne tout à l’heure ; j’ai cependant la conviction rassurante que tout se passe très bien – même si je ne peux m’empêcher de repenser à Elaine, à ce qu’elle avait dit sur sa sensation d’étouffement, car j’ai peu ou prou la même, si le sortilège est différent… [J’ai perdu à mon tour 1 point de POU et 6 de SAN.] Quand il m’est possible d’observer le résultat, je remarque que l’apparence globale est parfaitement celle de Diane Pedersen… mais que ce sont toujours mes cheveux roux, à peine plus courts et d’une texture subtilement différente ; un effet de ma psyché, de mon identité ? Je devrais pouvoir arranger ça avec une perruque… Sinon, nous avons Diane Pedersen et moi une taille comparable ; j’ai maintenant de petites poignées d’amour, c’est tout…

 

[III-6 : Dwayne/« Leonard Border », Tess/« Diane Pedersen »] Dwayne et moi sommes satisfaits (et soulagés…) de ce que le rituel a porté ses fruits. Nous devons maintenant lâcher Dwayne non loin de la rédaction de la Gazette d’Arkham, afin qu’il y joue la comédie de sa « libération » – préalable indispensable pour se rendre au gala dans la soirée, même si c’est « serré »… Quant à moi, je vais me procurer une robe de soirée – on me reconnaît comme étant Diane Pedersen dans la boutique… Je ne regarde pas à la dépense, et m’inspire des photographies de presse que j’avais pu voir, pour reproduire les goûts de la jeune femme (habituellement, elle porte des tenues assez sages, sans être austères) ; je trouve mon bonheur, et bénéficie de retouches rapides.

 

IV : L’APPEL DU GALA

 

[IV-1 : Leah : Elsa Ropes] Leah retrouve Elsa Ropes et sa troupe devant l’Omni Parker House – elle s’est procurée une tenue adéquate, pour laquelle Elsa Ropes la félicite : c’est parfait. Leah papote un peu avec ses collègues, mange un sandwich avant d’entamer le spectacle… Elsa Ropes lui donne d’ailleurs les partitions pour la soirée. Leah simule un besoin pressant pour s’éloigner et se faire une idée des lieux – à la décoration sobre, au sens de digne : c’est un hôtel très classe.

 

[IV-2 : Chris : Michael Bosworth, Orson Cushing, Ray] Chris, de son côté, s’est promené avec Michael. Ils rejoignent ensuite l’équipe du traiteur, Orson Cushing. Ils enfilent leurs uniformes, et montent dans une des camionnettes de livraison – il y a du monde à bord, ils sont serrés. Un employé du nom de Ray, très vaguement mis au courant par son patron, comme les autres qui restent cependant plus discrets (ce sont des « vanilles » qui ne veulent surtout pas s’impliquer), cherche à lier connaissance avec Chris – et se propose de l’aider pour l’astuce du factotum. Ils ont un aperçu des chariots de livraison – dont un est assez volumineux, idéal pour que Michael s’y dissimule. Chris demande alors à Ray de l’aider avec ce chariot, le moment venu : « Pas de problème ! » Chris ajoute qu’il a un patron très sensible aux attentions de ceux qui souhaitent l’aider… Ray n’a sans doute pas une grande idée de ce que fricoter avec la pègre implique, il se fait probablement des films, mais il a indéniablement les dents longues, et voit là une opportunité à saisir…

 

[IV-3 : Chris : Michael Bosworth, Ray ; Orson Cushing] Ils arrivent à l’Omni Parker House. Chris endosse le rôle de livreur, et tient tout particulièrement à l’œil le chariot de Michael – il fait appel à Ray pour le manœuvrer : c’est qu’il est assez lourd, du coup… Il y a plusieurs camionnettes remplies de chariots, ce qui implique de nombreux allers-retours dans les cuisines. Là, le chef cuistot désigne les endroits où entreposer les caisses, etc. Ils ont du pain sur la planche, et sont pour le moins pressés. Chris se présente devant le chef comme étant le factotum d’Orson Cushing, il explique son rôle… Le chef l’interrompt :

— Ouais, ouais, on m’a dit ça… OK, on a une longue relation de clientèle, pas de problème, faites votre pub… Mais vous vous rappelez qui est le chef en cuisines ?

— Absolument ! À votre service, chef !

— OK, j’avais un peu peur pour ça… En tout cas, vous n’avez pas d’ordres à me donner, et vous ne prenez pas d’initiatives contre mes consignes !

— En aucune façon !

— Et si je suis occupé, vous attendez !

— Absolument ! J’ai des consignes très claires de mon patron !

La sécurité s’étonne un instant de ce que Chris reste quand les autres s’en vont, mais le chef leur explique la situation, il n’y a aucun souci. Le chariot de Michael reste pour l’heure dans les cuisines. Le chef requiert les services de Chris pour déplacer telle ou telle caisse, etc. Ray est parti avec les autres employés – non sans souhaiter bonne chance à Chris

 

[IV-4 : Dwayne/ « Leonard Border » : « Classy » Tess McClure/« Tess la Rouge »] Dwayne, sous l’apparence de Leonard Border, erre aux environs des bureaux de la Gazette d’Arkham. Il s’est un peu sali pour parfaire son rôle ; il joue l’homme fatigué, désorienté par l’expérience traumatisante qu’il vient de vivre, marche « dignement », mais trébuche parfois… En bas de l’immeuble, des personnes que Dwayne ne connaît pas sont stupéfaites de voir « Leonard Border ». Deux hommes s’approchent de lui, hagards, et l’interpellent : « Leo ? » Dwayne fait signe qu’il peut tenir debout, pas la peine qu’ils le soutiennent – il n’a clairement pas envie qu’on le touche…

— Mais d’où tu sors ?

— Je ne sais pas… Ils viennent de me lâcher dans une ruelle…

— On croyait que « la Rouge » t’avait dévoré !

— Elle y était…

— Tu as vu les flics ?

— Non, non… Ils viennent juste de me lâcher…

Les types l’aident à monter ; l’un d’entre eux lui demande s’il a besoin d’aller à l’hôpital, mais il répond que ce n’est pas nécessaire. Il y a tout de même quelque chose qui les perturbe… et ils disent enfin de quoi il s’agit : il n’a plus du tout la même voix ! Dwayne se justifie par la fatigue – et il est enroué… Mais l’un avance qu’il a comme un accent irlandais…

 

[IV-5 : Dwayne/ « Leonard Border » : Sidney Morrison ; Hippolyte Templesmith, « Classy » Tess McClure/« Tess la Rouge »] « Leonard Border » est cependant accueilli chaleureusement dans la rédaction, suscitant même des applaudissement spontanés. Le rédacteur en chef, Sidney Morrison, sort de son bureau : « Oh putain ! » Lui aussi demande à Dwayne s’il a contacté l’hôpital, ou la police – même réponse… Et lui aussi remarque la bizarrerie de la voix de Dwayne, et les autres autour de lui l’approuvent… Morrison ne laisse pas le choix à « Leonard Border » : il appelle de lui-même un docteur. Et lui demande de synthétiser ce qui lui est arrivé... Il a été séquestré, ils lui ont posé beaucoup de questions – sur eux, les Irlandais, ou sur Hippolyte Templesmith« La Rouge » était là, oui, mais il ne l’a pas beaucoup vue. Il ne sait pas pourquoi ils lui ont posé toutes ces questions… [Échec critique de Baratin.] « Où ça s’est passé ? Tu as pu voir où c’était ? » Non, il avait les yeux bandés… Le rédacteur en chef fait sortir les curieux. « OK, Leo, je comprends que tu sois secoué, mais… Il faut voir un toubib. Il arrive. Ta voix… Ils t’ont frappé ? » Etc. Morrison s’inquiète : « Border » n’a vraiment pas l’air bien… Dwayne cherche à le rassurer : « T’Inquiète pas pour moi… Et t’inquiète pas non plus pour ce soir : ce ne sont pas leurs intimidations qui vont m’empêcher d’y aller ! » Morrison opine – mais d’abord le toubib. Il fait allonger « Leonard » sur un divan.

 

[IV-6 : Dwayne/ « Leonard Border » : Sidney Morrison ; « Classy » Tess McClure/« Tess la Rouge »] Le docteur arrive, qui lui demande aussitôt s’il a reçu des coups. Dwayne répond qu’il a pris quelques baffes, mais pas grand-chose ; il a été davantage affecté par la maltraitance alimentaire, et tous leurs petits « trucs » pour le pousser à bout, qu’il parle… Le médecin connaissait visiblement Leonard Border, et les changements ne lui échappent pas… Il veut poser sa main contre le front de « Leonard Border »… et franchit du coup l’illusion du rituel. Il retire aussitôt sa main sous le coup de la suprise. Dwayne veut le prendre de vitesse : « Qu’est-ce qu’il y a ? » Il l’empêche d’approcher de nouveau sa main… Le docteur n’insiste pas. Mais vu ce qui s’est produit, il doit le consigner au repos… « Non ! » Le docteur regarde curieusement sa main, puis reprend :

— Il faudrait te faire des radios, si tu as pris des coups…

— Non, pas ce soir !

Leo… Ça fait des années que je te soigne… Et tu es surmené, il y a des trucs… bizarres, et… Écoute-moi, bon sang !

— Non ! On verra tout ça demain.

— D’accord, mais laisse-moi au moins contacter un collègue spécialiste, qu’il t’ausculte plus précisément…

— Demain.

— Non, maintenant ! Tu as pris des coups, il faut vérifier que tu n’as pas de séquelles internes ! C’est vital !

Mais Dwayne comprend qu’il suspecte autre chose encore, sans le dire – une altération de la personnalité… Il reprend les devants : « Je veux juste en finir avec cette histoire. Après, OK, je prendrai du repos… Mais c’est pas ces enfoirés qui vont me réduire au silence ! » Il se bloque à nouveau quand le docteur évoque une piqûre… Le docteur sort de la pièce, faisant signe au rédacteur en chef de le suivre (Dwayne comprend qu’il incite Morrison à le garder ici… mais le rédacteur en chef, qui a avant tout son intérêt en tête, doute que ce soit le mieux à faire : Border est un bon employé, mieux que ça, et c’est un miraculé, ça sent le scoop…). Morrison finit par congédier le docteur, et retourne auprès de « Border » : il est d’accord pour ce soir, il le fera conduire à Boston ; en attendant le gala, il lui indique une bonne boîte où passer le temps… Dwayne approuve – et fait aussi la remarque qu’il a besoin d’un costume… Mais le rédacteur en chef est tout à son idée : ce n’est plus un article comme les autres, il y a beaucoup d’argent à se faire… Il a survécu à « la Rouge » ! Il va de ce pas préparer des contrats d’exclusivité, donnant au passage une tape sur l’épaule de « Border » (Dwayne grimace un peu…). Quelque temps plus tard, Dwayne redescend pour monter (seul) à bord d’un taxi à destination de Boston – l’y attendent les contrats d’exclusivité ; il imitera la signature de Border sur son permis de conduire…

 

[IV-7 : Chris : Michael Bosworth, Eric] Chris a fini de transporter les caisses que lui indiquait le chef cuistot de l’Omni Parker House. Ne reste plus que le chariot où s’est caché Michael, et le chef en fait la remarque : il faut l’en débarrasser ! Cela va à la chambre froide : ce sont des gâteaux, ce genre de choses… Un employé des cuisines, Eric, guide Chris, qui s’affaire péniblement sur le lourd chariot. Chris ne peut pas laisser Michael être enfermé dans une pièce froide et verrouillée ! Il lui faut trouver un moyen de faire sortir Michael sans attirer l’attention d’Eric ou d’autres… Mais c’est très compliqué… Eric ouvre enfin la porte de la réserve, et dit qu’il va aider Chris à débarrasser le chariot à l’intérieur ; il commence à enlever des caisses pour les ranger sur les étagères, et, à ce train-là, Michael sera très vite débusqué… Chris offre à Eric de s’occuper lui-même, seul, de vider le chariot – il a sans doute d’autres tâches à accomplir de son côté… Eric est tenté, il a effectivement beaucoup de travail , mais il redoute que cela ne lui retombe dessus si Chris fait une connerie… Mais Chris le rassure, et parvient à le persuader de faire à sa manière.

 

[IV-8 : Leah : Hippolyte Templesmith, Elsa Ropes] Leah a suivi ses collègues dans la salle où elle va devoir officier. Elle a la surprise d’y croiser déjà Hippolyte Templesmith, qui vient saluer Elsa Ropes, adressant un geste aimable de la main à toute sa troupe. Leah ne peut s’empêcher de frissonner… Le dandy flirte un peu avec les « jolies dames » de la meneuse de revue, parmi lesquelles Leah – qui répond d’un timide sourire…

 

[IV-9 : Tess/« Diane Pedersen » : Diane Pedersen] Je me suis rendu compte que ma voix n’avait pas changé – je vais jouer l’aphone, celle qui a pris froid… et peut-être victime d’un malaise plus global, au cas où des gens sauraient que Diane Pedersen était souffrante ces derniers temps ; mais je voulais tant venir au gala !

 

À suivre…

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