"La Terre sauvage", de Julia Verlanger
VERLANGER (Julia), La Terre sauvage, postfaces de Laurent Genefort et Serge Perraud, Paris, Bragelonne, coll. Les Trésors de la science-fiction, [1956, 1958, 1961, 1976-1977, 1979] 2008, 491 p.
Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 52 (pp. 108-110).
Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.
En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
Ah, et « à suivre » avec Récits de la Grande Explosion.
EDIT : Hop :
Pour inaugurer sa collection « patrimoniale » des « Trésors de la SF » chez Bragelonne, Laurent Genefort s’est attelé à un gros morceau : rien moins qu’une intégrale de Julia Verlanger (de son vrai nom Héliane Grimaître), dont La Terre sauvage constitue le premier de cinq volumes. S’y trouvent rassemblés les trois romans composant ledit cycle post-apocalyptique (sans doute la plus célèbre œuvre de l’auteur, publiée originellement au Fleuve Noir à la fin des années 1970 sous le pseudonyme plus « viril » de Gilles Thomas), complétés par quatre nouvelles plus anciennes à la thématique similaire.
C’était avant Mad Max et les innombrables nanars post-apo qui nous ont ensuite resservi du guerrier solitaire et taciturne survivant dans un monde en proie au chaos et aux simili-keupons SM gesticulant comme les sauvages qu’ils sont sur leurs improbables voiturettes de golf et 125 cm3 customisées. Mais si l’on ne croisera guère de véhicules pétaradants dans la France dévastée de L’Autoroute sauvage, la référence, affichée en quatrième de couverture, n’en est pas moins assez légitime : oui, on peut bien parler ici d’une « préfiguration » de la fameuse saga cinématographique. Bien davantage, sans doute, que du récent best-seller de Cormac McCarthy La Route. Guère d’introspection et de méditation mystique, ici ; mais beaucoup d’action, de hurlements, de viols et de cannibalisme. C’est que nous sommes en plein dans une SF populaire qui se revendique : L’Autoroute sauvage, La Mort en billes et L’Île brûlée sont des romans de gare assumés, jouant avant tout la carte du divertissement et de l’efficacité. De la chouette série B, en somme.
La France (le monde ?) n’est plus. La guerre bactériologique et la « Grande Pagaille » l’ont ravagée, et la peste bleue, sinistre héritage du dernier conflit mondial, semble prohiber tout retour à la civilisation. Les villes jonchées de cadavres ont été abandonnées par l’humanité. Les survivants sont pour l’essentiel des « groupés », moutons sous la coupe de loups impitoyables qui sont autant de dictateurs en puissance, fanatiques religieux ou simples brigands perpétuant la loi du plus fort. Certains préfèrent cependant revendiquer leur liberté et vagabonder seuls, dégagés de toute entrave : leur vie n’est guère aisée dans ce monde cauchemardesque où les dangers abondent et où le cannibalisme est entré dans les mœurs, mais ils ont fait ce choix et s’y tiennent. Gérald, cynique et macho au possible (belle ironie !), est un de ces « solitaires ». La vie sauvage l’a endurci, et ce virtuose du lancer de couteau ne connaît pas d’attaches. Jusqu’au jour où il fait la rencontre d’Annie, nécessairement jeune, jolie et blonde, « groupée » quelque peu écervelée issue d’une communauté largement plus fréquentable que les autres, et qui a pour idée fixe de se rendre à Paris en quête d’un hypothétique remède à la peste bleue. Seule, l’aimable créature n’a pas une chance… et Gérald est bientôt amené à l’accompagner le long de L’Autoroute sauvage. Un sacré périple, qui amènera les deux tourtereaux à multiplier les rencontres généralement désagréables (les exceptions sont d’autant plus appréciables), et qui se prolongera ensuite avec La Mort en billes (avec des vrais morceaux de zombies et de militaires dedans) et L’Île brûlée (où l’on y rajoute des esclavagistes télépathes).
Et tout ça fonctionne très bien. L’action est trépidante, l’atmosphère oppressante, cauchemardesque et pessimiste à souhait, les bonnes trouvailles abondent (voyez notamment la Démence, dans L’Île brûlée), les personnages, même caricaturaux, sont assez attachants… Impossible de s’ennuyer un seul instant, et l’on n’en demandait pas davantage. Certes, le style est minimaliste, privilégiant l’efficacité sur l’élégance, mais on peut bien faire l’impasse sur quelques répétitions ou lourdeurs ici ou là, et applaudir au contraire l’auteur pour son remarquable sens du rythme. On regrettera néanmoins cette triste tendance à expédier certaines séquences, et l’on reconnaîtra même volontiers que les conclusions des trois romans, ne lésinant pas sur le deus ex machina, ont quelque chose de tristement bâclé… Dommage, quand bien même cela n’est pas rédhibitoire. Car le bilan est clair : effectivement, tout cela n’est pas très fin, et les lecteurs ne jurant que par la Grande Littérature passeront à bon droit leur chemin ; mais les autres sauront savourer ces excellents romans de gare, bien représentatifs de ce que la SF populaire peut produire de plus enthousiasmant.
Les quatre nouvelles qui suivent sont de même très appréciables, et assez instructives sur la genèse de La Terre sauvage, tout en opérant dans un registre assez différent, plus ambitieux et subtil, et plus sombre encore. « Les Bulles », la nouvelle qui a révélé Julia Verlanger en 1956, et souvent reprise depuis, est un petit bijou de noirceur, une histoire cruelle et forte ; bien meilleure, sans doute, que sa « suite alternative » publiée à titre posthume et intitulée « Le Recommencement », même si, après une introduction laborieuse sonnant presque comme un repentir, on y trouvera également des choses intéressantes. « Nous ne vieillirons pas » tient à certains égards plus du poème en prose que de la nouvelle, mais c’est en tout cas un texte glaçant, désespéré, témoignant d’une véritable psychose dont il est sans doute difficile aujourd’hui de mesurer ce qu’elle pouvait avoir de prégnant en pleine crise cubaine. « Les Derniers Jours », enfin, est à nouveau une réussite ; ce récit d’un enfant survivant à grand peine dans un monde ravagé pourrait à vrai dire constituer une préquelle de La Terre sauvage.
Le tout constitue donc un volume très sympathique. Voilà une belle occasion de découvrir ou redécouvrir une grande romancière « populaire », dans l’acception la plus noble de cette désignation.
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