"Les Olympiades truquées", de Joëlle Wintrebert
WINTREBERT (Joëlle), Les Olympiades truquées, version remaniée, ouvrage proposé par Gilles Dumay, postface de Roland C. Wagner, Le Plessis-Brion, Kesselring / Fleuve Noir / Orion / Le Bélial’, coll. Bifrost / Etoiles vives / science-fiction, 1998, 237 p.
Mais non, mais non. Je vous jure que cette lecture n’a rien à voir avec l’actualité. C’est un pur hasard : mon programme de lecture scientifiquement élaboré a pointé du doigt cet achat déjà ancien, et je m’y suis plié, c’est tout. Je n’ai rien à voir avec tout ça, moi. D’ailleurs, les JO, je m’en fous. Et puis honnêtement, hein, on sait pas encore s’il va y avoir des fusillades aux JO de Pékin (p. 141), alors, hein, bon. Et puis, si les balles sont françaises…
Non, donc. Non, non, non. Je suis ici pour vous parler d’un livre, et de rien d’autre, ah mais. Le livre, c’est donc Les Olympiades truquées (et non, je n’insinue rien). Qui est, si je ne m’abuse, le premier roman de Joëlle Wintrebert (dont je n’avais lu jusqu’à présent que quelques nouvelles ici ou là, et un intéressant dossier dans Bifrost qui m’avait donné envie d’en savoir plus). Un roman au destin éditorial pour le moins singulier : publié tout d’abord, et il y a de ça un bail, en un volume chez Kesselring, puis scindé en deux romans au Fleuve Noir Anticipation (avec des retouches et des ajouts, et y’a un bail là encore), puis réuni à nouveau pour cette version remaniée au Bélial’ (puis, de même, en poche chez J’ai lu, si je ne m’abuse encore une fois). Ca se sent, à l’occasion ; j’ai l’impression, mais peut-être est-ce juste que je suis bête, qu’il y a eu quelques cafouillages dans la synthèse (avec le personnage de Vasco Real qui apparaît et disparaît subitement, et dont j’ai eu l’impression qu’il prenait parfois la place de Bior Malard…). Mais bon : en dépit de ces errements divers et variés, Les Olympiades truquées s’est néanmoins élevé au rang de classique de la SF française, et il n’y en a pas tant que ça. Ca justifiait bien une lecture. Qui n’a donc rien à voir avec l’actualité, hein, ah mais.
Je vais cependant m’emparer de mon sécateur pour vous causer un peu de ce roman, composé effectivement de deux lignes narratives, destinées à se rejoindre, certes, mais enfin, bon.
Commençons par Les Olympiades truquées à proprement parler. XXIe siècle, un monde dominé par un ultra-libéralisme glauque. Un monde placé sous le signe de la génétique : on peut depuis longtemps déjà choisir le sexe des enfants (ce qui a entraîné une surpopulation masculine, qui a modifié considérablement la place des femmes dans la société, mais aussi suscité une grande vague de frustrations, aboutissant à des viols sévèrement sanctionnés – castration chimique, hop – et autres dérives telles les courses d’amok, quand des hommes pètent les plombs et se mettent à tirer sur tout ce qui bouge) ; le clonage a pris le relais, avec toutes les saloperies que l’on pouvait craindre (enfin, que certains craignent... mais j'avoue que ça fait froid dans le dos, là, quand même), et notamment les bébés-banques d’organes et les surhommes sur commande. C’est en effet un monde où l’on vénère avant toute chose les sportifs, lesquels se doivent et doivent à leurs nombreux admirateurs d’aller toujours plus vite, plus fort et plus loin. Rien à voir avec notre monde, quoi, hein, bon. Sphyrène n’est pas un de ces bébés façonnés pour la performance sportive ; elle n’en est pas moins une jeune nageuse française d’exception, dont on attend beaucoup pour les prochaines Olympiades. Elle n’a donc rien à voir avec, disons, la future ex-championne handicapée Laure Manaudou (je vous rappelle que nous sommes dans un roman de science-fiction). Sphyrène doit gagner, en tout cas ; c’est important (j’ai jamais compris pourquoi, mais il paraît que c’est important). Pour cela, tous les moyens sont bons ; alors, quand des scientifiques découvrent les hystérines qui déclenchent les crises d’amok, certains managers peu scrupuleux se disent que ça pourrait être bien de tester ça sur des sportifs, « à l’insu de leur plein gré ». Sphyrène et ses copines peuvent bien y perdre leur santé, mais, honnêtement, qu’est-ce qu’on en a à foutre ?
En parallèle, nous suivons l’histoire de Bébé-miroir. C’est-à-dire de Maël. Enfin, Maël 2, pour être plus précis, puisqu’il s’agit d’un clone. En l’occurrence de la fameuse Maël Flaihutel, célèbre musicienne et compositrice, l’épouse du génial généticien Bior Mallard, à l’origine des découvertes sur le clonage. Quand son épouse meurt dans un accident, Bior, follement amoureux, décide d’en faire un clone… qu’il élèvera comme sa fille. Un peu glauque, non ? Ca sent l’inceste… L’adolescente Maël supporte mal cet étrange climat familial et sa condition de clone ; elle pique régulièrement des crises ; elle finit par fuguer. Après une rude expérience de vidéopute, elle rejoint enfin les révolutionnaires anarchistes du GRAAL. Qui foutraient volontiers la merde aux Olympiades de Téhéran, surtout quand ils apprennent la sale histoire des hystérines… Maël et Sphyrène sont ainsi destinées à se croiser.
Ca fait beaucoup de choses, tout d’même, hein ? Oui. Et c’est à mon sens un des gros défauts de ce roman, qui avait peut-être gagné, finalement, à être scindé en deux parties (même si le jeu de miroir entre les deux jeunes filles ne manque pas d’intérêt, bien sûr, et si la conclusion, en dépit de son caractère franchement expéditif, ce qui est pour le coup très regrettable, n’en est pas moins saisissante ; sans surprise, on ne parlera pas vraiment de happy end…). J’ai en effet trouvé – mais cela n’engage bien entendu que moi – que Les Olympiades truquées est un roman beaucoup trop dense : parallèlement à ces deux lignes narratives relativement simples (avec néanmoins des points de vue multiples à l’intérieur de chaque trame : en plus de Sphyrène, nous suivons son père, son manager, etc. ; en plus de Maël, nous suivons Bior, d’autres savants, etc.), entrecoupées régulièrement de brefs chapitres à la première personne du singulier témoignant tous de destins plus horribles les uns que les autres (et fournissant plus ou moins un élément du chapitre suivant ; ajoutons que chaque chapitre, qu’il concerne Sphyrène, Maël ou ces petits intermèdes, est précédé d’une sorte de pub cynique, souvent plutôt maladroite), c’est tout un univers qui nous saute à la gueule, avec de très nombreuses thématiques : la génétique et ses dérives en long, en large et en travers (surtout), plus largement la recherche scientifique et ses conséquences, le culte du sport, et au-delà du surhomme, le dopage, la condition féminine, la sexualité, l'identité, la cellule familiale, l’ultra-libéralisme, les relations Nord-Sud, la révolution, la police politique, les sectes, les médias, la publicité, etc. Autant de thèmes passionnants et gérés plutôt finement par l’auteur, qui n’assène pas son message façon pamphlet saoulant, mais qui n’en génèrent pas moins un sentiment de trop-plein, de regrettable dispersion dans ce roman finalement assez bref. Au final, avec Les Olympiades truquées, Joëlle Wintrebert nous parle de tellement de choses que l’on peut difficilement y accoler une thématique dominante et un sens profond (chacun trouvera probablement les siens, en fonction de sa sensibilité personnelle).
La narration y perd en efficacité : on a parfois l’impression un peu dommageable de passer du coq à l’âne, de lire une succession de nouvelles maladroitement rassemblées façon fix-up (ici, je ne parle bien entendu pas des deux lignes narratives, mais avant tout des chapitres développant les thèmes esquissés dans les intermèdes à la première personne) ; autre conséquence néfaste : on a un peu de mal à s’attacher aux héroïnes, finalement très anodines en dépit de leur statut de « monstres », chacune à leur manière ; quant au temps, il se dilate étrangement, au fil des ellipses plus ou moins adroitement gérées : la conclusion, encore une fois, m’a paru indéniablement précipitée…
Cette impression, à mon sens, se trouve encore renforcée par des hésitations de ton et de style. On sait que Joëlle Wintrebert, après ce roman, a excellé tant dans la littérature « jeunesse » que dans la littérature « adulte » ; ici, j’ai pourtant eu le sentiment que le roman se cherche entre les deux catégories. Les destins croisés des adolescentes Sphyrène et Maël ont une tonalité de « roman d’apprentissage » qui connote un peu Les Olympiades truquées « jeunesse » (de même que, plus maladroitement hélas, certaines tournures revenant notamment dans les dialogues : les « Rad ! » et « Sainte Orbite ! » sont assez risibles…), mais les thèmes sous-jacents – et notamment les très nombreuses digressions sur la sexualité – sont traités d’une manière assez clairement « adulte » (avec des vrais morceaux de viols, de prostitution, d’inceste et de frustration dedans) : j’ai eu le sentiment, ainsi (mais c’est un avis tout personnel, je le reconnais), de ruptures dans le ton comme dans le style parfois très brutales ; à l’occasion, cela peut donner un résultat très intéressant, mais si l’on joint cet aspect au sentiment de trop-plein évoqué précédemment et aux quelques errances dans la construction ou dans le style – très correct dans l’ensemble, pourtant –, c’est finalement une impression d’inachèvement et de maladresse qui domine.
Et c’est dommage. Parce qu’il ne faudrait pas conclure de tout ce qu’ai pu avancer jusque-là que Les Olympiades truquées serait un mauvais roman. Loin de là, c’est bien un bon roman, et on ne perdra pas son temps à le lire : il a bien les qualités de ses défauts… C’est donc un roman d’une très grande richesse, et souvent d’une remarquable justesse. Une chose en témoigne assez : près de trente ans après sa première parution (1980), et si l’on excepte les quelques écarts de langage mentionnés plus haut, il n’a pas pris une ride. Son actualité est pour le moins troublante : le lecteur qui ne serait pas conscient du destin éditorial de cet ouvrage pourrait croire qu’il a été écrit il y a un an ou deux… ce qui, le cas échéant, ne plaiderait d’ailleurs guère en sa faveur ! Mais le fait est que l’on nage en plein dedans : chaque polémique sur le dopage, à l’occasion du Tour de France ou des JO, chaque divinisation d’icône sportive, ainsi de Zidane ou, plus encore, de Laure Manaudou (très honnêtement, toute actualité mise à part, il est difficile de ne pas faire le lien entre Sphyrène et la nageuse préférée des médias français… enfin, moi, je n’ai pas hésité, en tout cas…), de même que les troubles concernant l’organisation des JO (Téhéran ici, avec les manœuvres de la police politique du PIR…) et le rôle des médias, tout, absolument tout nous ramène au sombre futur, désormais si proche, décrit par Joëlle Wintrebert dans Les Olympiades truquées.
Et, au-delà de la thématique finalement banale en SF (au moins depuis Le meilleur des mondes…) du clonage et de la génétique, le regard porté par l’auteur sur le sport, et notamment les JO (thème bien plus rare !), est tout à fait passionnant. Ici, je ne parle pas tant du dopage et de ses conséquences sur la santé des sportifs, dont j’avoue n’avoir franchement rien à secouer ; après tout, j’ai fait mien l’adage de Pierre (Desproges) de Coubertin : « Un bon sportif est un sportif mort. » Par contre, tout ce que le sport véhicule de plus en plus, d’éloge de la performance à tout prix, de la compétition, du stakhanovisme, du sacrifice, le culte du surhomme auquel on aboutit (Zidane, personnalité préférée des Français ! Bordel… ça fait beaucoup, pour savoir taper adroitement dans un ballon…), et les sidérants néo-nationalismes que tout cela suscite (Les sportifs ne sont après tout jamais qu’une variante en short des militaires ; au-delà, j’ai jamais compris le délire du « On a ga-gné ! » ; en fait, j’ai jamais compris les supporters ; je hais les supporters, variante plus crétine encore que l’originale des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » assassinés par Brassens dans une de ses plus belles chansons ; je hais ces troupeaux de veaux marins squattant les stades en laissant leur cerveau au vestiaire, pour beugler avec la masse façon Nuremberg ; JE VOUS HAIS TOUS !!! Désolé, c’est stérile, je sais, mais ça fait du bien quand ça sort…), bref, tout cela me sidère, et m’inquiète au plus haut point. Et l’hypocrisie qui accompagne tout cela me fait régulièrement soupirer. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit, hein : ce sont les excès et les dérives qui m’attristent ; même si ça m’a bien fait rigoler sur le coup, je n’irai pas jusqu’à prétendre que « le sport est fondamentalement fasciste », comme j’avais pu le lire dans un ahurissant tract de pseudo-anar parano-parigot il y a de cela deux ans… Pas besoin d’aller jusque-là, restons pondérés.
Mais gageons – et c’est bien suffisant pour désespérer – que, d’ici quelques mois, les Français (qui sont des cons, ne jamais perdre de vue cette vérité essentielle) auront oublié leur hypocrite crise de conscience actuelle et applaudiront aux médailles ramenées éventuellement par leurs machines à battre des records ; comme d’hab’, on parlera de dopage pour les autres (ah, le bon vieux temps des nageuses est-allemandes !) ; on se plaindra que les Chinois gagnent plein de médailles ; puis on libèrera les stades pour les exécutions massives… et de retour dans notre beau pays d’en-France, nos chers compatriotes continueront de plébisciter le président de la Ligue républicaine française quand les Bleus gagneront des matchs, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Triste monde tragique…
En attendant, Les Olympiades truquées est bel et bien un bon roman de science-fiction, très riche (trop riche…). Pas le chef-d’œuvre que l’on présente parfois, mais un bon roman néanmoins, en dépit de ses nombreux défauts. Joëlle Wintrebert me donne décidément l’image d’un auteur intéressant, et je vais probablement renouveler l’expérience un de ces jours ; j’ai déjà Les maîtres-feu dans mon étagère de chevet (un roman que Roland C. Wagner, dans sa postface, présente comme étant « vraiment fun » et qu’il « conseille vivement à tous ceux qui ne se prennent pas trop au sérieux » – p. 233 –, ça me va...), et j’espère bien dégoter un de ces jours Chromoville et Le Créateur chimérique. D’ici là, « good night… and good luck ».
Commenter cet article