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"Fiction", t. 6

Publié le par Nébal


Fiction, t. 6, Lyon, Les moutons électriques, août 2007, 350 p.

 

(Oui, je sais, je suis en retard, le tome 7 est paru il y a peu… ça va viendre, z’en faites pas.)

 

Au fil des comptes rendus miteux de ce blog interlope, j’ai eu à maintes reprises l’occasion de dire du bien des Moutons électriques, et notamment de leur revue (ou « anthologie périodique », comme vous voudrez) Fiction (voyez par exemple ici). Mais si mon jugement global à leur encontre ne saurait être remis en cause aussi facilement, l’honnêteté m’impose néanmoins de faire part de la déception constituée par ce n° 6 de Fiction, certes pas scandaleux, mais néanmoins bien inférieur à ce que l’on était en droit d’en attendre, habitués que nous étions à l’excellence pure et simple. Car s’il est un sentiment qui domine, à la lecture de ce volumineux tome 6, c’est bien l’ennui… et c’est d’autant plus paradoxal et regrettable que, une fois de plus, Fiction n’a pas rechigné à faire preuve d’une certaine audace. Le sommaire en témoigne déjà, en nous indiquant très tôt la brièveté de la plupart des textes retenus (là où Fiction nous avait plus ou moins habitués jusqu’alors à des textes parfois très longs, en tout cas plus longs). Hélas, la sauce ne prend pas ; et, si la revue est toujours aussi agréable à l’œil, le nombre relativement élevé des coquilles, et les traductions plus que douteuses à maintes reprises, achèvent de conforter le lecteur dans sa déception.

 

Entamons le panorama. Pas grand chose à retenir du « Groupe d’intervention » de Paolo Bacigalupi (pp. 9-33), nouvelle pas forcément désagréable, mais amoindrie par un triste sentiment de déjà-lu, qui la rend hélas très prévisible.

 

On y préférera largement les deux courts textes de Patrice Duvic (« Sept ans de réflexion », pp. 35-41 ; « Erreur fatale », pp. 42-44), assez amusants. L’auteur est décédé dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 février 2007 ; la rédaction (p. 34) et Pierre Pelot (pp. 45-46) lui rendent un légitime hommage.

 

On passera par contre très vite sur les « Biographies aliénées » de Frédéric Jaccaud (« 1. Kurt Steinmann, écrivain mutilé », pp. 47-51 ; « 2. Chuck Palanque, pirate », pp. 79-82 ; « 3. Hans Drachen Rilke, poète-prophète », pp. 87-90 ; « 4. Elaine Sahpporo, cartographe écorchée », pp. 99-102). L’idée, à la base, n’était pas inintéressante, mais le résultat s’avère finalement plutôt stérile, et ennuyeux… Dommage. Du même auteur, on préférera largement l’excellente chronique « Les Anticipateurs » dans chaque livraison de Bifrost

 

Je serais bien incapable, par contre, de vous parler de la nouvelle de Léo Henry « Ces photos de moi que l’on n’a jamais prises » (pp. 53-64), qui ne m’a laissé strictement aucun souvenir ; généralement, c’est pas très bon signe.

 

Suit un amusant « récit graphique », essentiellement constitué d’illustrations de Greg Vezon titrées par Laurent Queyssi, « Paddington et les ombres, une rétrospective » (pp. 65-77). Amusant, oui… Pas grand chose de plus à dire.

 

Plus intéressants, deux courts textes d’Alfred Bester (auteur sur lequel je reviendrai sans doute prochainement, puisque L’homme démoli, suivi de Terminus les étoiles figure depuis un certain temps déjà dans mon étagère de chevet…) ; tout d’abord « Ne comptez plus sur moi pour la Saint-Sylvestre » (pp. 83-86), courte nouvelle à la fois drôle et tragique, et d’autant plus cruelle ; ensuite, dans un tout autre registre, l’auteur s’amuse beaucoup (et le lecteur avec) dans « Gastronomie aux confins de l’espace » (pp. 91-98), petite friandise fort sympathique.

 

Une curiosité ensuite, avec un (plus ou moins) inédit du grand Theodore Sturgeon, « Une Saynète de New York » (pp. 103-108) ; un texte relativement expérimental, où le récit prend l’aspect d’une lettre destinée à être lue à la radio. Rien d’exceptionnel, mais ça se lit…

 

Après quoi Fiction se lance dans une entreprise d’exhumation de quelques grands noms oubliés du fantastique ou de la science-fiction du XIXe siècle. Une très bonne initiative, ce n’est certainement pas moi qui prétendrais le contraire ! Hélas, les textes retenus ne sont pas forcément très intéressants. Il en va ainsi, tout d’abord, de « La maison de Bulemann » (pp. 110-126), de l’Allemand Theodor Storm (1817-1888) ; un récit fantastique à la Poe, teinté de conte moral à la Dickens, en plus caricatural… Le bilan est tout aussi mitigé pour « L’arbre-ballon » (pp. 127-136) de l’Américain Edward Page Mitchell (1852-1927), au canevas pré-lovecraftien, hélas affaibli par une certaine confusion formelle… et un triste sentiment de vide au final. Du même auteur, « L’homme le plus doué du monde » (pp. 137-151) est autrement plus intéressant : Edward Page Mitchell se montre cette fois bien plus adroit sur le plan formel, et relativement visionnaire… Sentiment mitigé une fois de plus, hélas, pour le texte suivant, dû à l’Américain d’origine écossaise Robert Duncan Milne (1844-1899), et composé de deux épisodes, « En plein soleil » (pp. 153-170) et « Rescapé du brasier » (pp. 171-179) : étrange récit apocalyptique comportant quelques scènes particulièrement saisissantes, mais amoindri par quelques tours de passe-passe narratifs pas forcément bienvenus et une plume passablement didactique, à la Jules Verne, mais sans élégance… Dommage. On précisera, au passage, que le style de tous ces textes anciens m’a paru souvent maladroit, et que je me suis demandé si, à l’occasion, ce n’était pas la traduction qui devait être mise en accusation… Mais je n’en sais rien, alors bon.

 

Suit un sympathique portfolio consacré à Hannes Bok, et composé par Francis Valéry (pp. 180-190) ; quelques illustrations de ce grand nom du genre émaillaient par ailleurs la revue. Profitons-en au passage pour noter les autres illustrations récurrentes, dues cette fois à Derek Ford, le fils de l’auteur Jeffrey Ford (j’y reviens bientôt), aux étranges et intéressantes compositions surréalistes qui ne sont pas sans évoquer une sorte de croisement entre un Alice au pays des merveilles glauque et une période dépressive et semi-naïve de Salvador Dali ; j’aime bien…

 

Pas grand chose à dire sur « La maison du chat noir » (pp. 191-195) de Yumiko Kurahashi, nouvelle sans grand intérêt, en dépit d’un certain érotisme pas désagréable.

 

Bien plus intéressante est la nouvelle suivante, à mon avis la plus réussie de cette sixième livraison, « L’enfant de Mars » (pp. 197-231 ; Prix Nebula 2006) de David Gerrold : excellent récit faussement (eh eh… ?) autobiographique et riche en références, émouvant quand il en vient à traiter du thème de l’adoption (sous l’angle du père…), troublant dans la névrose qui l’imprègne. Une très bonne nouvelle, vraiment ; un film en aurait été adapté, j’avoue être plus que sceptique quand au résultat…

 

Julien Bétan & Raphaël Colson poursuivent ensuite (et concluent, semble-t-il) leur article sur les zombies (« Plus nombreux que les vivants seront les morts. 2ème partie : une popularité endémique », pp. 233-246) ; sur ce thème qui, personnellement, me passionne, je les ai hélas trouvés beaucoup moins convaincants que dans la première partie, laquelle s’achevait (logiquement) avec l’indispensable Nuit des morts-vivants de George A. Romero. Cette fois, le résultat est bien trop dense, ce qui entraîne des raccourcis un peu navrants (on passe de Romero, Dan O’Bannon et Lucio Fulci à Jean Rollin et Bruno Mattei sans véritable transition…), et un agaçant manque d’analyse (il y aurait tant à dire, notamment, sur Zombie / Dawn Of The Dead, le chef-d’œuvre du genre, ici expédié comme les autres…). Dommage.

 

Une grosse déception ensuite, avec l’habitué de la maison Jeffrey Ford ; Fiction l’a souvent publié, et presque toujours pour d’excellents textes. Hélas, je n’ai pas été convaincu par ce « Que ça parle de la mer » (pp. 249-267), qui m’a prodigieusement ennuyé… Avis très personnel, il faut croire (on n’a pas tari d’éloges sur ce texte, ici ou là). Mais j’ajouterai – une fois de plus – que la traduction m’a paru franchement douteuse : les autres textes de l’auteur que j’ai pu lire dans Fiction ou Bifrost me semblaient tout de même autrement plus élégants…

 

Je ne m’étendrai pas sur la chronique de Raphaël Colson & André-François Ruaud « Pour s’envoyer en l’air le regard » (pp. 269-276), pas forcément inintéressante, mais qui ne me semble décidément pas à sa place dans Fiction

 

On passera assez vite également sur le « récit graphique » de Daylon « 23 juin » (pp. 277-293) : les photographies sont généralement intéressantes, les jeux typographiques sympathiques quand bien même éventuellement gratuits, le tout est donc agréable à l’œil… mais en fait de récit, on n’a pas grand chose à se mettre sous la dent, dans cette succession de saynètes sans grand intérêt. Une exposition, quoi… Dommage, une fois de plus. Mais vous pouvez vous faire votre propre opinion, vu que la bête est téléchargeable .

 

On retrouve ensuite une autre habituée de la maison, Elizabeth Hand, tout d’abord pour un article consacré à John Crowley (« Le grand œuvre du temps », pp. 295-298), centré essentiellement sur sa série Aegypt, et dont je me demande encore ce qu’il fout là… Suit sa nouvelle « Echo » (pp. 301-308), Prix Nebula 2007… qui m’a laissé totalement indifférent. Là encore, avis très personnel, et je suis assez sceptique pour ce qui est de la traduction, mais le fait que je me suis fait chier comme un rat mort.

 

Suivent deux textes plutôt humoristiques destinés à rendre le sourire au lecteur en fin de parcours. Tout d’abord la friandise de fantasy de Bridget McKenna « Les petites choses » (pp. 309-324), et son petit village pittoresque submergé par une invasion de fées. C’est mignon… Et un peu de promotion pour finir, avec « Du thé et des hamsters » (pp. 325-345) de Michael Coney : une nouvelle de SF humoristique traitant du racisme, qui commence de manière assez sympathique, dans une veine satirique qui n’est pas sans évoquer Fredric Brown… mais dont la conclusion poussive et niaise saborde tout l’intérêt. Dommage (re).

Et un « dommage » global pour cette sixième livraison de Fiction. Rien de honteux, rien de véritablement nul ; mais on baille régulièrement… Considérons cela comme une fausse note dans un excellent parcours : ce tome 6 ne saurait autoriser un jugement négatif sur cette très bonne revue qu’a été Fiction jusqu’alors, et j’espère que le tome 7 saura remonter le niveau ; d’ailleurs, je n’en doute guère.

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