Le Jour des Fous, d'Edmund Cooper
COOPER (Edmund), Le Jour des Fous, [All Fool’s Day], traduction de l’anglais par Gérard Colson, revue et complétée par Xavier Mauméjean, Dinan, Terre de brume, coll. Poussière d’étoiles, [1966] 2008, 246 p.
Hop, ma chro est à lire (ou pas) sur le beau site du Cafard Cosmique. Mais je la republie ici au cas où...
En vérité je vous le dis, mes très chers frères : l’apocalypse est proche. Entre le réchauffement climatique, la crise financière, le terrorisme islamiste, le LHC, le H5N1, le PS et PBLV, j’ai du mal à voir comment on pourrait s’en tirer. Il est donc plus que jamais nécessaire en ces temps difficiles de lire des romans post-apocalyptiques, seuls à même de nous fournir de précieux enseignements permettant aux plus forts (et à ceux qui ont le plus la classe dans des fringues en cuir) d’entre nous de survivre le jour d’après et les suivants. Une chose que Terre de Brume a fort bien compris, et c’est sans doute pourquoi l’éditeur breton réédite aujourd’hui le classique d’Edmund Cooper Le Jour des Fous, pour la première fois dans une traduction intégrale.
Les auteurs de science-fiction britanniques ont toujours goûté le genre« catastrophe », ce qui n’étonnera personne. Mais, à l’instar de son éminent confrère et compatriote J.G. Ballard, et quoique dans une perspective différente, Edmund Cooper, multirécidiviste en la matière, a choisi dans Le Jour des Fous de nous décrire une apocalypse pour le moins étrange, bien éloignée des traditionnels conflits bactériologiques et/ou nucléaires et autres invasions d’extraterrestres aux yeux nécessairement globuleux. Ici, de mystérieuses radiations solaires, dont on ressent les premiers effets en 1971, provoque ce que l’on surnomme bientôt le « Suicide Radieux » : les êtres humains victimes de ces radiations succombent bien vite à des pulsions suicidaires irrépressibles, et, en l’espace d’une décennie, l’espèce humaine est éradiquée.
Toute l’espèce humaine ? Non ! Il y a bien quelques survivants... mais ce ne sont pas des gens « normaux », voyez-vous : n’ont résisté au « Suicide Radieux » que les fous, les excentriques, les artistes, les fanatiques religieux ou politiques, bref, les gens un peu fêlés sur les bords, et éventuellement au milieu aussi. Les « transnormaux », comme ils se baptisent eux-mêmes.
Parmi eux, Matthew Greville, un publicitaire frustré, vaguement psychopathe, qui, le 7 juillet 1971, alors que le phénomène n’avait pas encore été remarqué, a tué sa femme dans un accident de voiture qu’il avait lui-même provoqué afin de mettre fin à ses jours. Mais il a survécu, et, depuis, si le souvenir du drame ne l’a jamais abandonné, l’idée du suicide ne lui a plus traversé l’esprit, alors que ses compatriotes tombaient comme des mouches autour de lui.
Si ce point de départ est relativement original, on avouera néanmoins que, passées les premières pages décrivant (avec une efficacité remarquable, toute de froideur et d’humour noir) la décennie fatidique et l’effondrement de la civilisation (de l’Angleterre, essentiellement), Le Jour des Fous tourne au roman post-apocalyptique on ne peut plus classique. Les « transnormaux », pour être « officiellement » fous, ne sont pas a priori plus sauvages que les survivants classiques du genre, par définition peu fréquentables. Et c’est sans surprise que nous suivrons dès lors Matthew Greville et bien vite son (inévitable) compagne Liz, nécessairement jeune, jolie et écervelée (au passage, le roman sent son pré-68, et contient bien des pages à même de faire hurler à l’autodafé les Chiennes de garde) dans l’Angleterre en ruines, en commençant par Londres. Un périple plutôt banal, mais rondement mené, où nos deux tourtereaux très « je t’aime... moi non plus » tombent inévitablement de Charybde en Scylla (8 rue Riesener, etc.). Ce qui nous vaut quelques tableaux saisissants, et nombre de rencontres mémorables, parmi lesquelles on retiendra notamment, outre les meutes de chiens ou de porcs et les hordes de rats, une (sale) bande de (sales) jeunes particulièrement sadiques, un faux curé et son harem façon « girls with guns », ou encore le répugnant Sir James Oldknow et sa baronnie réactionnaire ; sans compter une belle brochette d’inévitables fanatiques religieux (la thématique ressurgit très régulièrement tout au long du roman).
Mais, quand bien même ce schéma a été répété ad nauseam ultérieurement, Le Jour des Fous garde aujourd’hui une place à part, dans la mesure où il se montre étonnement dérangeant (jusque dans sa peu vraisemblable conclusion pseudo-utopique - un classique, là encore) : le roman fait preuve, de bout en bout, d’une amoralité rare, et d’une cruauté terriblement éprouvante (avec quelques scènes d’horreur ne lésinant éventuellement pas sur le gore) ; c’est d’autant plus vrai, sans doute - et peut-être paradoxalement -, que l’on ne peut guère s’identifier à Greville ou à Liz, la sécheresse et la violence de leur relation y étant pour beaucoup. La plume de l’auteur, sobre et efficace, renforce encore cette impression de froid désenchantement, et le roman parvient ainsi à susciter un malaise permanent, un trouble chez le lecteur, confronté brutalement à des questionnements éthiques effrayants, auxquels il ne parvient décidément pas à apporter de réponse.
Aussi, quand bien même Le Jour des Fous n’a rien d’un chef-d’œuvre, et quand bien même la science-fiction catastrophiste, notamment britannique, a connu des réussites autrement plus marquantes, il n’en reste pas moins que ce classique - au sens fort - conserve aujourd’hui, en dépit de sa nombreuse descendance, une atmosphère particulière et une étonnante force qui en rendent la lecture tout à fait recommandable.
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