Dimension URSS, de Patrice Lajoye (éd.)
LAJOYE (Patrice) (éd.), Dimension URSS, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche – Fusée, 2009, 295 p.
Ma chronique figurait sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.
Inutile de se voiler la face, Camarades : depuis que des vermines réactionnaires ont vandalisé un mur à Berlin, en 1989, la science-fiction soviétique ne se porte pas au mieux. Le KGB est d’ailleurs formel : en France, à titre d’exemple, les prolétaires n’ont plus accès à rien dans ce domaine depuis des années.
Heureusement, le camarade Patrice Lajoye, qui s’y connaît en entrisme, vient de publier une anthologie dans l’audacieuse collection « Rivière Blanche » (coutumière de ces recueils étrangers) qui devrait être en mesure de pallier ce manque cruel. Et si l’anthologiste a choisi de faire l’impasse sur la production la plus ouvertement propagandiste et didactique pour privilégier les auteurs dits de la « quatrième vague » - « l’exotisme » de ces nouvelles, pour un lecteur français, consistant dès lors en un subtil décalage, et non en une différence radicale -, il n’en reste pas moins que ce Dimension URSS, unique en son genre, présente bien des atouts à même de raviver chez les prolétaires français le goût pour la science-fiction des soviets.
Après une (trop) courte préface du camarade Lajoye expliquant le pourquoi du comment, l’anthologie s’ouvre sur une bizarrerie à la limite du hors-sujet, puisque pré-soviétique : « La Terre, Scènes des temps futurs » est en effet une pièce de théâtre du camarade Valeri Brioussov antérieure à la Glorieuse Révolution d’Octobre. Mais ce choix se révèle étrangement pertinent, tant ce texte, pompeux certes, mais aussi visionnaire à bien des égards, dans sa description d’une apocalypse molle, semble anticiper la destinée de l’URSS et celle de sa production science-fictive. Un très bon choix, donc, et une excellente introduction.
Suivent deux nouvelles de science-fiction humoristique brodant sur le thème du savant fou, l’excellente « Au-dessus du néant », d’Alexandre Beliaev (s’inscrivant dans une série), puis, sans doute un plus anecdotique (et très didactique, comme il était alors d’usage), « L’Éveil du professeur Berne », de Vladimir Savtchenko.
Héroïsme et patriotisme sont au menu avec « L’Astronaute », de Valentina Jouravliova, une nouvelle dans « la stricte orthodoxie soviétique » ; mais elle est compensée, immédiatement après, par « Sur un sentier poudreux », de Dmitri Bilenkine, courte nouvelle où un héros soviétique se trompe - rappelez-vous, il ne s’agit heureusement que de fiction.
On retourne à quelque chose qui marque plus durablement les esprits avec « Le Pré », de Karen A. Simonian, variation finalement bien trouvée sur le thème des arches stellaires. Notons au passage que cet auteur est le seul à avoir deux textes dans cette anthologie. Mais on avouera que cette première nouvelle, acerbe et poétique, est plus convaincante que la lourde « Le Saule épanché et le roseau tremblant », qui conclut l’anthologie, et dans laquelle le culte de la mère-patrie (l’Arménie, en l’occurrence) se révèle un peu agaçant.
On passera rapidement sur « Une dernière histoire de télépathie », de Roman Podolny, récit convenu, et sur « Quels drôles d’arbres », de Victor Koloupaev. Ces deux textes ne soutiennent en effet pas la comparaison avec la plupart des nouvelles qui suivent, comme la transfiguration science-fictive du mythe de « Pygmalion », par Vladimir Drozd, auteur qui signe là son unique incursion dans les littératures de l’imaginaire, avec un incontestable brio poétique.
Si « Un cheechako dans le désert », de l’auteur populaire Kir Boulytchev se montre ensuite d’une pénible naïveté (mais l’auteur s’adressait à la jeunesse avec sa série « Alice »), les choses redeviennent autrement plus sérieuses avec la superbe « La Station intermédiaire », de Valentina Soloviova : fantastique ? science-fiction ? Peu importe : ce texte est un petit bijou, un vrai chef-d’œuvre, sans doute et de loin le meilleur texte de l’anthologie.
Autre réussite notable : « La Toute Dernière Guerre au monde », de Vladimir Pokrovski, typique de la thématique du désarmement nucléaire dans les années 1980, où les points de vue alternent entre un homme et une bombe. Impressionnant, de même que « Vingt Milliards d’années après la fin du monde », de Pavel Amnouel, variation rondement menée sur la crainte de l’holocauste nucléaire, et qui - fait rare - adopte pendant un bon moment le point de vue des capitalistes américains.
Le tout, vous l’aurez compris camarades, constitue une anthologie variée, mûrement réfléchie et de très bonne facture dans l’ensemble, avec quelques perles surnageant au milieu de textes dont aucun ne saurait véritablement être qualifié de mauvais.
Cerise sur le gâteau : le camarade Lajoye a complété son travail par une passionnante postface sur la science-fiction soviétique en général et la « quatrième vague » en particulier, dont on regrettera qu’elle soit aussi courte. Encore une bonne idée pour finir : l’anthologie se conclut sur un port-folio de couvertures de la revue Tekhnika Molodeji (La Technique pour les jeunes), qui accueillait régulièrement de la science-fiction dans ses pages.
Le bilan est donc positif. Mais il est pourtant une critique sur laquelle on ne saurait faire l’impasse : les traductions (quand bien même « révisées » pour les nouvelles qui avaient déjà connu une traduction française dans des organes de propagande moscovites) sont souvent loin de faire honneur aux textes ; certaines phrases se montrent d’une pénible lourdeur, tandis que d’autres... ne veulent tout simplement rien dire. Les coquilles étant en outre assez nombreuses, on regrettera donc que cette anthologie, par ailleurs plutôt réussie, n’ait pas bénéficié d’une relecture à la hauteur...
En attendant, lecteurs de tous les pays, Unissez-vous ! Malgré ces derniers défauts, Dimension URSS reste un ouvrage tout ce qu’il y a de sympathique, et le prolétaire français victime de l’oppression capitaliste-réactionnaire y trouvera de quoi s’initier à la science-fiction soviétique dans ses divers aspects. Une réussite, donc ; ne reste plus qu’à espérer que l’anthologiste retrousse ses manches pour un Dimension Russie...
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