"Il est parmi nous", de Norman Spinrad
SPINRAD (Norman), Il est parmi nous, [He walked among us], traduit de l’anglais (États-Unis) par Sylvie Denis & Roland C. Wagner, [Paris], Fayard, 2009, 691 p.
Le voilà donc, ce nouveau roman de Norman Spinrad, après des tours et détours éditoriaux ayant abouti à cette étrange publication originelle en France et en français chez Fayard, sans que le bouquin ne soit passé par la case outre-Atlantique auparavant. Bizarre… Mais on se gardera bien d’en déduire quoi que ce soit.
Spinrad, donc. Un auteur que – je plaide coupable – je n’ai que peu pratiqué, puisque je n’ai lu de lui que l’excellent Jack Barron et l’éternité et la salutaire mauvaise blague (un peu longuette, cela dit) qu’est Rêve de fer (j’ai aussi Les années fléaux en attente). Mais un auteur qui m’a suffisamment parlé avec les deux ouvrages précités pour me donner envie d’en lire d’autres. Et pourquoi pas celui-ci, cet énooooOOOOOooooooooooorme pavé qui fait l’actualité ?
Posons rapidement le pitch. Les États-Unis, de nos jours. Texas Jimmy Balaban est un agent et producteur qui tombe un peu par hasard, dans un bled paumé, sur Ralf, un étrange comique (pas drôle) qui prétend venir du futur. Sentant un potentiel sous les vannes éculées, Jimmy fait de Ralf son protégé, et parvient à le lancer à la télévision, pour une émission intitulée Le Monde selon Ralf, et basée sur ce gimmick du comique venu du futur : les Petits Macaques et les Petites Guenons ont merdé, on a laissé la Terre dans un état pas croyable, et nos descendants nous ont envoyé ce qu’on méritait, c’est-à-dire Ralf, comique de troisième zone, pour nous secouer un peu et nous faire ouvrir les yeux. Et l’émission finit par obtenir un certain succès, étrangement… alors que Ralf, déjà pas très drôle à la base, devient de plus en en plus « sérieux », tout en passant insidieusement de son rôle d’envoyé narquois de la Nef des Morts au rôle prophétique de Grande Betterave Céleste et de capitaine du Vaisseau-Terre, afin de changer tout ça et de susciter des lendemains qui chantent.
Pour coacher le trublion, qui est tellement dans son rôle que Texas Jimmy Balaban ne doute pas de sa folie latente, et pour lui fournir de la matière, l’agent déniche un duo mal assorti, deux personnalités que tout oppose : Amanda, insupportable mystique new age truc machin de l’ère du Verseau et des satoris à dix sous, et Dexter D. Lampkin, un écrivain de SF frustré qui n’écume guère les conventions et leur faune peu ragoûtante d’obèses autistes que pour carrer sa queue dans des groupies extatiques, et se retrouve en définitive prêt à « se compromettre » pour une Porsche.
Parallèlement, nous suivons aussi la descente aux enfers de Foxy Loxy, pute à crack de son état, qui sombre littéralement dans ce que la ville a de plus obscur et de glauque. Jusqu’à son inévitable rencontre avec Ralf… Ses passages étant par ailleurs (bien) écrits dans un style syncopé et argotique SMSesque pouvant faire penser à Tourville avec un peu plus de ponctuation.
Et ce pendant en gros 700 pages.
Putain, c’est long…
Beaucoup trop long. Le bouquin – par ailleurs blindé de coquilles et de mots manquants, comme une preuve supplémentaire de son manque de travail éditorial – s’éternise en multipliant digressions et répétitions. Parfois enthousiasmant, parfois drôle – assez rarement, cela dit, et pas dans les passages consacrés aux émissions de Ralf, dont l’humour à base de vannes foireuses a de quoi laisser perplexe, a fortiori en France –, le roman, pourtant bourré de bonnes idées et spinradien au possible (on retrouve des thèmes classiques : pour m’en tenir à ce que je connais, le pouvoir des médias – Ralf fait un peu figure de sous-Jack Barron –, la quête de l’immortalité, le potentiel sectaire et fascistoïde du fandom SF – avec l’ombre de la Scientologie en arrière-plan –, etc.), se révèle souvent agaçant, et aurait mérité une bonne coupe pour intéresser véritablement.
Mais voilà : on doit se taper ces 700 pages, de gré ou de force. Et on alterne en permanence entre le bon et le moins bon, le vraiment excellent et le carrément très mauvais, le pertinent et le lourdingue, tout au long d’un périple interminable, répétitif, et pas toujours très crédible, loin de là. Dommage…
Finalement, ce roman une fois achevé, j’avouerai en avoir conservé un goût assez désagréable en bouche. Surtout si l’on doit le comparer avec Jack Barron et l’éternité et Rêve de fer, pour, là encore, ne parler que de ce que j’ai pu en lire. Dans ces romans, quand Spinrad nous traitait de cons – en gros –, c’était salutaire et irrésistible ; avec Il est parmi nous, quand il s’en prend de même aux Petits Macaques, c’est finalement plutôt désolant, limite pathétique – et certainement pas drôle.
Un peu à l’instar de son double Dexter D. Lampkin, Norman Spinrad – qui apparaît parfois à la troisième personne dans le roman – y donne l’impression d’un auteur frustré et revenu de tout (a fortiori si l’on songe à l’étrange destinée éditoriale de son roman), qui hésite entre revenir à la charge pour obtenir enfin un triomphe messianique – le moins que l’on puisse dire est que le roman ne manque pas d’ambition… –, et baisser cyniquement les bras devant l’inéluctable bêtise du genre humain, qui n’a que ce qu’il mérite. Le roman navigue en permanence entre ces deux attitudes ; aussi sa sincérité, sa probité, ne sauraient-elles faire aucun doute, mais il n’en reste pas moins qu’Il est parmi nous est un roman bancal, qui se cherche et ne se trouve pas toujours, à se perdre dans une multitude de thèmes et de directions, et perdant régulièrement ses lecteurs ennuyés par la même occasion.
Au final, le pavé tant attendu, loin de ressembler au grand-œuvre que son titre et son ambition pouvaient laisser supposer, laisse la désagréable impression d’un roman ni bon ni mauvais, mais juste tristement médiocre. Aussi enthousiasmant que pénible, à mesure que les pages défilent. Et beaucoup trop long… De la part d’un grand comme Spinrad, c’est tout de même sacrément dommage. Déçu je suis.
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