LAURENT GARNIER, BUGGE WESSELTOFT, PHILIPPE NADAUD, BENJAMIN RIPPERT, Public Outburst.
Tracklist :
CD 01 (audio)
01 – 63
02 – Butterfly
03 – MBass
04 – Controlling The House
05 – The Battle
06 – First Reactions
07 – Barbiturik Blues
CD 02 (Live Videos)
01 – Man With The Red Face
02 – MBass
Laurent Garnier : un nom qui ne laisse guère indifférent. Nombreux sont ceux qui lui vouent un véritable culte, et j'en suis. Mais, depuis sa Victoire de la musique et l’engouement pour la soi-disant « French Touch » (avec laquelle il avait pour seul point commun la nationalité…), le bonhomme n’a pas toujours bonne presse auprès de certains cercles bobos (pas tous, heureusement) qui en font une sorte d’icône commerciale. Pour ma part, j’ai jamais compris pourquoi… Le fondateur du label F Com, pionnier de la techno et de la house en France, m’a toujours semblé être au contraire un modèle d’intégrité, d’humilité et de bon goût, qui aurait à vrai dire tout pour se poser en donneur de leçons, et a cependant la délicatesse de s’en abstenir. Et il a du parcours, le type, de ses débuts dans une Madchester découvrant dans la fièvre les joies de la musique électronique à aujourd’hui, en passant par l’âge d’or des raves et leur triste décadence ; il fait partie de ceux qui ont traversé l’histoire de la techno, et qui ont contribué à la faire (au passage, il la raconte fort bien : je vous recommande chaudement la lecture d’Electrochocs).
Et il a su évoluer sans se compromettre, contrairement à une étrange idée reçue. Ainsi, s’il n’a pas renié, loin s’en faut, son passé d’artisan du dancefloor (… souvenir ému de ce qui a constitué ma seule véritable expérience en club, avec Garnier « chez lui », derrière les platines du Rex Club…), il a cependant, ces dernières années, fait état d’une indéniable volonté de se livrer à d’autres expériences : dès sa Victoire de la musique, à vrai dire, puis à l’Olympia, il n’hésite pas, désireux de conférer à la techno une crédibilité qui lui faisait défaut jusqu’alors, à faire péter le grand orchestre. De même, quand, pour une compilation avec Carl Craig (The Kings Of Techno), il sélectionne une History Of Detroit, bien loin de se limiter aux légendes électroniques des « pères fondateurs » ou à Underground Resistance, il cite tout à fait légitimement les Stooges, Aretha Franklin ou les Temptations. Lors de ses sets, ce DJ de légende entrecoupe les tubes d'électronique pure de remixs audacieux de The Cure ou de Pulp, et lorgne du côté du hip hop ou du dub avec une passion et une envie d'initier son public à d'autres horizons musicaux qui sont pour beaucoup dans sa réputation et son talent. Mais ce sont surtout le jazz et la musique de film qui l’attirent, et il ne s’en cache pas. A plusieurs reprises, ainsi, ses productions se voient agrémentées de sonorités jazz du plus bel effet, comme avec le célèbre saxophone possédé de « The Man With The Red Face », sur Unreasonable Behaviour ; on le voit régulièrement aux côtés du pianiste acid jazz Bugge Wesseltoft, ce qui a pu donner lieu à de mémorables sessions, dont quelques échos ont pu être conservés (ainsi, dans Retrospective, les versions particulièrement dantesques de « The Man With The Red Face », justement, mais aussi « d’Acid Eiffel », morceau composé il y a de cela un certain nombre d’années avec son compère Shazz au sein du projet Choice, sur lequel officiait également un certain Ludovic Navarre aka Saint-Germain…). Et son dernier album studio, l’excellent The Cloud Making Machine, à mille lieux des hits clubesques d’antan, nous régale d’atmosphère ambient jazz du plus bel effet.
Et puis Garnier a une perception de la performance live qui n’est pas forcément très répandue au sein de la scène techno ; DJ de profession, il n’a guère envie de se contenter alors de faire un set agrémenté de vidéos, mais fait régulièrement appel à des musiciens qui humanisent et enrichissent l’électronique originelle. Et c’est ainsi qu’on a pu voir Garnier en concert avec Bugge Wesseltoft, donc, mais aussi avec le saxophoniste Philippe Nadaud ou le pianiste Benjamin Rippert. Et ce sont ces moments uniques qu’entend retransmettre ce Public Outburst cosigné, véritable régal pour les oreilles.
La sélection commence calmement avec un « 63 » agrémenté de basses profondes qui travaillent l’auditeur ; la tension monte un peu plus sur « Butterfly », puis les sonorités drum’n’bass du teigneux « MBass » achèvent d’instaurer un climat de dance intelligente, complexe et jazzy, véritablement irrésistible. « Controlling The House », à mon sens le morceau le moins convaincant de The Cloud Making Machine (peut-être parce que le seul éventuellement dansable ?), est ici transfiguré et d’une efficacité remarquable, de même que les frénétiques « The Battle » et « First Reactions », aux lyrics enfiévrées. « Barbiturik Blues », en fin d’album, vient calmer le jeu, mais on ne s’en plaindra pas, tant cette composition downtempo est efficace et planante.
Vous en voulez encore ? Moi aussi. Ah ben ça tombe bien, cette édition limitée se voit augmentée d’un deuxième CD contenant deux vidéos. Tout d’abord, une version de « The Man With The Red Face », hélas anodine sur le plan de la réalisation et péchant un peu pour ce qui est de la puissance sonore, mais sur laquelle Philippe Nadaud est particulièrement en forme. Et puis une sublime et hargneuse version de « MBass », pour un concert exceptionnel dans un site qui ne l’est pas moins : le pont du Gard, rien que ça…
Allez, on répète tous ensemble : Laurent Garnier est grand. Cet album ravira ses amateurs, et pourra probablement lui en gagner de nouveau, les inévitables réfractaires à la techno qui auront ici l’occasion de saisir enfin que, non, ça n’a rien à voir avec ce qu’ils croyaient…
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