DUPERRAY (Annick), Paul Auster. Les ambiguïtés de la négation, Paris, Belin, coll. Voix américaines, 2003, 125 p.
Il y a de cela quelques années, une époque pas si lointaine d’ailleurs, j’étais encore plus jeune, con et pédant qu’aujourd’hui. Du coup, j’avais à peu de choses près arrêté de lire de la SF, du fantastique et de la fantasy (sans parler des comics…). Je me disais alors qu’il était temps de me forger un minimum de culture en littérature contemporaine (comprendre par-là « littérature générale », ou « blanche », comme vous voudrez ; car la SF, ce n’est pas de la littérature, n’est-ce pas, et, comme l’a si bien dit un petit homme vert de l’Académie françaaaaaaaaaaaiiiiiiiiiise, « le recours à la science-fiction est un constat de faillite pour l’écrivain », voyez, n’est-ce pas, c’est le bon sens même, etc.). Pourquoi donc ? Oh, sans doute un vain désir de briller dans les salons, ou du moins de comprendre quelque chose à la conversation rébarbative et obscure des artisteux, théâtreux, et autres charmantes jeunes filles de la série Littéraire. N’est-ce pas. Ah, et à la lecture des Inrockuptibles, aussi, puisque, en tant que jeune con pédant fréquentant plus ou moins des théâtreux, artisteux et charmantes jeunes filles de la série Littéraire
(… souhaitant fréquenter les charmantes jeunes filles de la série Littéraire…)
je ne pouvais décemment pas passer à côté (quelle horreur… Promis juré, j’ai expié ma faute aujourd’hui).
Expérience guère convaincante dans l’ensemble. En dépit d’assez nombreux efforts, les écrivains contemporains de l’Hexagone m’ont tous parus plus vains les uns que les autres, à l’exception, en gros, de Michel Houellebecq. Et donc d’un auteur finalement guère éloigné de la science-fiction (le « constat de faillite », c’était à propos de lui et de son superbe La possibilité d’une île. Comme le disait si bien le grand Pierre Desproges, « y’a des métastases qui se perdent »…). D’ailleurs, aparté puéril : il est de bon ton de taper sur Michel Houellebecq, qui est, comme chacun le sait, un écrivain médiocre, qui doit tout à l’effet médiatique, et qui plus est un « nouveau réactionnaire » (!!!), raciste, misogyne et, pire que tout, frustré. N’est-ce pas. Bande de… Groumf. M’en fous. Je continuerai à le lire, et à répéter qu’il est de très très loin l’écrivain français le plus talentueux de sa génération. Voire le seul. Na.
Mais il est vrai que, bien qu’étant Français – sans doute parce qu’étant Français –, je suis un abject suppot de l’Antifrance… Et je dois bien reconnaître que dans cette tentative de découverte de la littérature contemporaine, j’ai davantage trouvé mon bonheur hors de la sinistre patrie de Molière (enfin, je dis ça, mais pour ce qui est des « classiques », par contre, rien à voir : après tout, Flaubert, c’est le plus grand. Re-na). Notamment outre-Atlantique, ben oui (ah, et au Japon, aussi : lisez Mishima, Nosaka et Yoko Ogawa, entre autres). Mais il est un nom que je placerai sans hésiter bien au-dessus des autres en la matière : celui de Paul Auster.
Et là j’avoue que je triche un peu. Parce que Paul Auster, j’avais commencé à le lire un peu auparavant. C’était ma prof de français qui me l’avait conseillé, au collège, et je ne l’en remercierai jamais assez. Pourtant, je ne l’appréciais guère, celle-là… Je me souviens encore de sa diatribe contre Stephen King, « mauvais romancier » dont les récits « nagent dans le sang et… le sperme ! » (Moue dégoutée de l’ensemble de la classe de 3ème.) Oui, en parlant de Stephen King. Sans commentaire. Pourtant, c’était pas la pire, hein… Tenez : elle lisait même de la science-fiction. Enfin, plus exactement, elle lisait Robert Silverberg, et ne tarissait pas d’éloges sur le bonhomme… en l’opposant à l’occasion aux autres écrivains de SF. Ce qui a généré en moi un stupide blocage dont je ne suis jamais parvenu à me débarrasser : à l’heure actuelle, je n’ai encore jamais lu le moindre bouquin de Robert Silverberg, et n’ai même jamais trouvé la force de m’y intéresser. C’est encore la principale de mes lacunes parmi les incontournables de la science-fiction, honte sur moi…
Bon, j’arrête pas de m’égarer depuis tout-à-l’heure, pardon pardon… Reprenons donc à ce jour béni entre tous où ladite Madame le professeur m’a montré un exemplaire de La trilogie new-yorkaise. Choc dès la première page (déjà lue, en fait, en BD, quelque temps plus tôt dans Les Inrockuptibles : lisez la sublime adaptation de Cité de verre par David Mazuchelli, dans une collection supervisée par rien moins qu’Art Spiegelmann, ça vaut son pesant de gaufres belges) : c’était exactement ce que je cherchais… Et j’ai donc poursuivi la découverte du bonhomme, me régalant par exemple à la lecture de Léviathan ou plus encore de l’extraordinaire Moon Palace, ou, au cinéma, vantant les mérites des superbes Smoke et Brooklyn Boogie (un peu moins de Lulu On The Bridge, allez savoir pourquoi…).
Paul Auster est grand. Ses romans me parlent. Que ce soit dans le fond ou dans la forme, j’aime Paul Auster. Et je l’aime notamment, ne nous leurrons pas, parce qu’il a ce petit quelque chose de décalé, d’étrange, qui confère à ses récits une atmosphère parfois guère éloignée du fantastique, et même à l’occasion de la science-fiction, ainsi avec Le voyage d’Anna Blume. Las, Paul Auster nie : Le voyage d’Anna Blume, ce n’est pas de la science-fiction. Et Annick Duperray, le souffle court et le rouge aux joues, de le rappeler à maintes reprises, justification en forme d’excuse, et sans aucune argumentation. Le triste comportement de ceux qui critiquent la SF sans la connaître (comme l’autre con d’académicien)… Du calme, Nébal, du calme. Prends exemple sur le vieux hippie à la filiation douteuse, tourne toi vers le ciel (plein d’extraterrestres, à défaut de barbu sadique), et dis : « Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font… »
Passons. J’aime Paul Auster. Et quand l’occasion s’est présentée d’en apprendre un peu plus sur le génial auteur et de décortiquer quelque peu son œuvre, je me suis dit que ben pourquoi pas, j’aurais bien le temps d’y jeter un œil entre deux romans de gare à couverture gris-métal à destination des ados attardés… Dont acte.
Annick Duperray, professeur à l’Université de Provence, décortique donc Paul Auster, dans ce petit format à la « Que sais-je ? ». Elle décortique sévère, même. On ne lui en voudra pas vraiment – c’est son boulot, après tout –, mais, à l’instar de ces individus totalement infréquentables et encore plus pédants que moi (si si) qui se glorifient du titre de « critiques », elle ne brille pas spécialement par la pédagogie et la clarté d’expression (même si on a lu… pardon, essayé de lire bien pire). D’ailleurs, un signe qui ne trompe pas, elle a recours à Roland Barthes (qui permet d’expliquer tout, c’est bien connu ; il faut toujours citer Roland Barthes). Et même à Lacan. Aïe…
J’arrête un peu de persifler (il serait temps) : le fait est que ce petit bouquin, s’il est loin d’être indispensable, est dans l’ensemble très intéressant et souvent pertinent, et ouvre à l’occasion quelques pistes de lecture qui m’avaient plus ou moins échappé jusqu’alors. Je ne pouvais donc pas rêver mieux.
La structure de l’ouvrage semble couler de source, liant chaque fois la vie et la production littéraire de l’auteur à un thème précis, plus particulièrement sensible dans les œuvres de la période envisagée. Seul le premier chapitre, intitulé « L’homme ou l’œuvre », déroge quelque peu, en commençant par aborder l’œuvre et l’auteur dans leur ensemble, introduction indispensable aux développements ultérieurs. Restent que certaines thématiques d’ordre biographique sont loin d’être inintéressantes (notamment dans le rapport au père, Auster lui-même y est souvent revenu), et dans cette interrogation générale, qui traverse l’ensemble du corpus austerien, de la définition de l’auteur et de l’œuvre, et de leurs rapports. Un thème marquant, effectivement : tout lecteur de Cité de verre se souvient de ce jeu étrange, dès le début du roman, quand le téléphone sonne chez Quinn (romancier et héros du roman, mais non son narrateur) et qu’une voix étrange, à l’autre bout du fil, demande : « Vous êtes bien Paul Auster, le détective ? » Puis Quinn rencontrera Paul Auster, lui aussi un auteur. Et surgit au final un troisième auteur anonyme, le narrateur de l’histoire… De même, on ne compte pas les personnages des romans de Paul Auster dont les initiales sont P.A. Et encore, au cinéma, on évoquera le personnage de Paul Benjamin, l’écrivain à qui Harvey Keitel, parfait dans le rôle d’Auggie Wren, raconte son fameux Conte de Noël… en rappelant que c’est bien ainsi que se déroule le conte dans sa forme « littéraire », que Paul et Auggie, ça fait P.A., et que Paul Benjamin est le pseudonyme employé par Paul Auster quand il a dû (pour des raisons alimentaires, of course) « s’abaisser » à écrire un roman policier. On pourrait avancer bon nombre d’autres exemples, sans doute plus profonds (Annick Duperray ne s’en prive pas), mais ceux-ci me semblent déjà assez parlants et constituer une première approche intéressante.
Deuxième chapitre, « L’art de la solitude ». Tout est dans le titre… Ce sont les débuts d’Auster en littérature qui sont ici essentiellement évoqués, le jeune poète, traducteur et critique. Celui que je connais probablement le moins, donc… Mais le thème fondamental de la solitude, ainsi qu’on le constate ici, apparaît dès les premières œuvres poétiques, et notamment, bien sûr, dans son premier long récit, atypique, sorte de poème en prose baptisé justement L’invention de la solitude.
Mais on passe ensuite au romancier dès le chapitre 3, « Labyrinthes urbains ». Là encore, le titre est explicite. C’est ici essentiellement l’auteur de La trilogie new-yorkaise (Cité de verre, Revenants, La chambre dérobée), à certains égards trois variations sur la même histoire, qui est évoqué. Paul Auster fait en effet quelque peu figure, avec quelques autres, d’incarnation de New York. Rares sont ceux qui ont pu en parler aussi bien que lui (et notamment de Brooklyn…). La ville n’est pas qu’un décor réccurrent chez Paul Auster : elle est, à maints égards, un personnage, et peut-être le personnage principal, ainsi dans la trilogie. Elle vit, d’une certaine manière. Elle est porteuse de messages, de sentiments, d’émotions, de références (nombreuses). Et l’errance des personnages dans ses rues aux angles droits est tout aussi significative. Là encore, nul besoin pour ma part de m’étendre, mais l’étude des « états-limites » à laquelle se livre à l’occasion Annick Duperray ne manque pas d’intérêt. Je serais évidemment plus réservé pour ce qui est de l’analyse de la deuxième grande œuvre urbaine de Paul Auster analysée en ces pages, Le voyage d’Anna Blume, dystopie terrifiante et hallucinée (en rappelant que le thème de l’utopie urbaine intervenait déjà dans Cité de verre, par le biais de la tour de Babel)…
Chapitre 4 : « La liberté et ses pièges ». Moon Palace, La musique du hasard et Léviathan. Les interrogations d’Auster (on ne parlera pas de réponses…) se font plus précises, dans l’étude de la liberté, de la nécessité, du choix, du déterminisme, de la fatalité éventuellement, qui est au cœur de ces trois romans. Moon Palace est à mon sens peut-être la plus grande réussite de Paul Auster. Passionnant périple que celui de Marco Stanley Fogg, tout aussi invraisemblable que son identité voyageuse. Un roman picaresque et chargé en symboles, dont la lecture est indispensable. Mais ne négligeons pas non plus l’étrange histoire de Léviathan, avec, encore, le dédoublement (et plus si affinités…) de l’auteur… puis du terroriste. « J’ai appris que la liberté peut être dangereuse. Si vous ne faites pas attention, elle peut vous tuer. » Ainsi parle Sachs dans Léviathan, et il y voit sa première confrontation à la théorie politique (faut dire, avec un titre pareil…). Passionnant, encore une fois. Pas très joyeux, une fois de plus…
Annick Duperray conclut enfin son essai, avec moins d’enthousiasme, par l’étude des romans ultérieurs de Paul Auster, jugés dans l’ensemble bien inférieurs, « la note mineure » opposée à la « majeure » constitués par les romans précédemment évoqués (à l’exception du Livre des illusions, inaugurant peut-être une nouvelle phase ? Je n’ai hélais pas les moyens de me prononcer…). « La désillusion, mode d’emploi ». Tout un programme…
Arrêtons là. Paul Auster est grand. Vous n’avez pas à lire ce petit essai, mais vous devez lire Paul Auster. N’hésitez pas à vous y reporter, par contre, si vous appréciez déjà l’œuvre de celui que l’on appelle parfois (bêtement, je trouve, mais bon…) « le plus européen des romanciers américains ». Qu’on y adhère ou pas, il y a là des réflexions loin d’êtres inintéressantes et/ou stériles, comme c’est trop souvent le cas dans ce genre d’exégèse.
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