Nacho Cerdà, de son vrai prénom Ignacio, est un assez jeune réalisateur espagnol qui n’a que tout récemment sorti son premier long-métrage, Abandonnée, que je n’ai hélas pas vu, mais dont on a dit semble-t-il plutôt du bien. Quoi qu’il en soit, Nacho Cerdà n’a de toute façon pas attendu ce film pour faire parler de lui. Il avait en effet déjà attiré une forte attention sur lui avec trois courts-métrages atypiques fédérés plus ou moins artificiellement sous le titre général de « Trilogie de la mort », et qui ont gagné pléthore de récompenses dans les festivals internationaux : trois films de respectivement 8 minutes, 30 minutes et 28 minutes, abordant le thème de la mort sous un angle différent, fantastique ou non, mais présentant néanmoins certaines similitudes ; les trois films sont en effet totalement dénués de dialogues, mais on ne saurait parler de « films muets » pour autant, le travail du son étant le plus souvent remarquable ; enfin, toujours pour ce qui est de la bande son, Nacho Cerdà a souvent recours à des thèmes fameux de la musique classique pour appuyer sa réalisation. Il est assez rare de trouver des courts-métrages dans les circuits traditionnels de distribution ; on peut donc bien louer l’initiative originale de Wild Side, éditeur par ailleurs fort recommandable et au catalogue riche en merveilles.
Abordons maintenant chaque film isolément.
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Titre : The Awakening.
Réalisateurs : Ignacio Cerdà, Ethan Jacobson & Francisco Stohr.
Année : 1990.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Fantastique.
Durée : 8 min.
Acteurs principaux : Elliot Blankenship, Ignacio Cerdà…
Le premier film de Nacho Cerdà (qui signe encore de son vrai prénom) est en fait co-réalisé par Ethan Jacobson et Francisco Stohr, tous trois âgés d’une vingtaine d’années, et étant alors étudiants en cinéma à l’USC (University of Southern California), ce qui explique qu’il s’agisse d’un film « américain ». Il s’agit donc clairement d’un film d’étudiants, tourné très rapidement en 16 mm et en noir et blanc, mais qui n’en a pas moins été sélectionné pour le Festival International du Film Fantastique de Sitges en 1991, et a été alors « gonflé » en 35 mm et agrémenté d’un générique de fin en couleur.
Un jeune lycéen (Elliot Blankenship, très mauvais acteur, hélas…) assiste à un cours, le professeur étant par ailleurs incarné par Nacho Cerdà (pour l’anecdote, la classe dans laquelle le film a été tourné serait celle utilisée par John Carpenter pour Prince des ténèbres… On s’en fout ? … Oui…). Il s’endort après que son professeur lui ait rendu une très mauvaise copie. A son réveil, le temps semble s’être arrêté pour tout le monde sauf lui… Je ne révélerai pas la fin ici, quand bien même elle est très prévisible.
Pas grand chose de plus à dire sur ce métrage, banal film d’étudiants plutôt médiocre, assez maladroit, et sans grand intérêt en tant que tel… La suite de la « trilogie » (qui n’était donc clairement pas envisagée comme telle à l’origine) est heureusement bien plus intéressante.
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Titre : Aftermath.
Réalisateur : Nacho Cerdà.
Année : 1994.
Pays : Espagne.
Genre : Horreur / Schocker / Gore.
Durée : 30 min.
Acteurs principaux : Pep Tosar, Xevi Collelmir, Jordi Tarrida, Angel Tarris…
Avec Aftermath, on passe à tout autre chose. Nacho Cerdà (qui emploie pour la première fois ce surnom) retourne en Espagne et monte sa propre maison de production, Waken Prod, pour tourner ce film étrange avec ses propres économies, quasiment « en famille », la plupart des membres de la petite équipe technique étant de ses amis, et ayant d’ailleurs pour plusieurs d’entre eux accepté de travailler gratuitement.
Le pitch est lapidaire : dans une salle d’autopsie, un médecin-légiste, après avoir fait son office, viole le cadavre d’une jeune femme récemment morte dans un accident de voiture. Et bon appétit, bien sûr ! Rien d’étonnant à ce que le film ait suscité la controverse… « Le film le plus choquant de l’histoire du cinéma ! », à en croire la jaquette pour une fois très racoleuse… Je n’irais peut-être pas jusque-là, mais c’est effectivement du lourd : non content de manier des thèmes déjà très rudes à la base, Nacho Cerdà filme également d’une manière très graphique et même « scientifique », quasi documentaire ; sa réalisation est une véritable dissection. Effectivement, ça fait très mal au ventre ; la première partie, très clinique, est déjà assez répugnante, mais ce n’est rien à côté de la séquence nécrophile… Le quart du (très petit) budget du film est passé dans les effets spéciaux, et force est de reconnaître qu’ils sont dans l’ensemble assez convaincants. Voilà bien un film qui ne passera probablement jamais en prime-time, à faire crever tout le CSA d’une crise cardiaque (… tiens, c’est une idée, ça…).
Aftermath est ainsi un shocker jusqu’au-boutiste et extrêmement gore. Un peu gratuit, aussi, inévitablement… Mais il a tout de même bien des qualités en-dehors de ce seul aspect bien cracra. Nacho Cerdà a fait d’évidents progrès depuis The Awakening, et son deuxième opus, traitant de la mort d’une manière on ne peut plus matérialiste (l’homme comme un amas puant de barbaque… et qui peut encore subir de répugnants outrages quand la question de l’âme ne se pose même plus !), est remarquablement bien filmé et monté (si l’on excepte un générique en vidéo avec quelques effets numériques ratés). La photographie de Christopher Baffa, comparse de Cerdà à l’USC venu spécialement des Etats-Unis à cette occasion et ayant accepté de travailler gratuitement, est parfaitement sublime. Il se dégage de ce court-métrage une véritable esthétique de l’abominable. Le travail du son, enfin, est remarquable, et c’est là un trait que l’on retrouvera également dans Genesis : Nacho Cerdà a choisi de tourner son film en muet (il est de toute façon dénué de dialogues), pour être en mesure de travailler ultérieurement le son à sa manière, et le résultat est particulièrement probant. Il en va de même pour ce qui est de la musique, extraite du superbe Requiem de Mozart, et remarquablement appropriée. Aftermath dépasse ainsi la vaine exploitation pour accéder au rang d’œuvre d’art parfaitement maîtrisée, ce qui explique sans doute ses prix du meilleur court-métrage obtenus à Séville et à Montréal. Maintenant, il serait intéressant de voir Nacho Cerdà travailler avec un « vrai » scénario ; c’est bien ce qui se produira pour Genesis, de très loin le fragment le plus intéressant de cette « trilogie ».
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Titre : Genesis.
Réalisateur : Nacho Cerdà.
Année : 1998.
Pays : Espagne.
Genre : Horreur / Fantastique / Mélodrame.
Durée : 28 min.
Acteurs principaux : Pep Tosar, Trae Houlihan.
Un sculpteur (Pep Tosar, le pathétique nécrophile d’Aftermath, dans un rôle bien différent…) ne parvient pas à se remettre de la mort de son épouse dans un accident de voiture, et livre tout son amour dans la réalisation d’une superbe sculpture de son adorée. Un jour, une fente apparaît sur la sculpture, qui se met à saigner… tandis que le sculpteur commence à se pétrifier.
Une très belle histoire pour un authentique bijou, qui a très justement été récompensé par de nombreux Goyas et prix internationaux. Le thème de la mort est cette fois envisagé sous l’angle du deuil, de la perte de l’être cher, et avec une certaine finesse. Si l’horreur reste assez graphique (à un degré incomparablement moindre que le brûlot Aftermath, bien sûr…), l’atmosphère est cette fois davantage gothique, et le résultat est de toute beauté. Rien à redire à quelque niveau que ce soit (si l’on excepte une heureusement fort brève séquence MTVesque…), Nacho Cerdà livre avec Genesis un véritable petit bijou, somptueux et fort, à la fois émouvant et terrifiant, dont on aurait tort de se priver. Les images sont sublimes, et la bande-son (encore une fois sans une seule réplique) de même, magnifiée de temps à autre par l’incontournable et splendide Sonate au clair de lune de Beethoven. Nacho Cerdà affirme ici son statut de réalisateur, non plus seulement prometteur, mais tout simplement brillant. Reste à savoir s’il a fait ses preuves sur la forme longue ? J’essaye prochainement de jeter un œil à Abandonnée, et je vous tiens au courant…
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Belle initiative, donc, que ce DVD de la « trilogie de la mort » ; je ne le qualifierais certainement pas d’indispensable, d’autant qu’il est assez inégal : ainsi qu’on l’a vu, The Awakening est parfaitement dispensable, et Aftermath… euh… « particulier », et un peu stérile. Genesis, ceci dit, justifie à lui seul que l’on accorde un minimum d’attention à la carrière future de Nacho Cerdà.
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