MINISTRY, The Last Sucker.
Tracklist :
01 – Let’s Go
02 – Watch Yourself
03 – Life Is Good
04 – The Dick Song
05 – The Last Sucker
06 – No Glory
07 – Death & Destruction
08 – Roadhouse Blues
09 – Die In A Crash
10 – End Of Days (Pt. 1)
11 – End Of Days (Pt. 2)
Autant vous prévenir d’emblée : j’ai tendance à devenir dangereux et saoulant quand je parle de Ministry. Mea culpa. Mais c’est comme pour Philip K. Dick, Alan Moore et Stanley Kubrick (notamment ; mais je pourrais aussi parler ici de Flaubert, de Kafka, d’Hitchcock, etc.) : ces gens-là font partie de mon panthéon personnel, et j’ai à leur égard une dévotion dénuée de toute subtilité qui n’a rien à envier aux plus abjects fondamentalistes que les religions universelles de salut ont fait pulluler sur notre triste monde tragique (je hais ces gens-là ; d’ailleurs, ils se trompent de Dieu, puisque Dieu c’est Ministry. Et Philip K. Dick. Et Alan Moore. Et… bon, vous avez compris).
Là, c’est fait.
Dévotion oblige, ceci dit, je ne vais pas vous entretenir immédiatement de The Last Sucker. Cet album tout récent étant présenté comme « le dernier album studio de Ministry », j’ai tout d’abord envie de revenir sur le parcours de ce groupe unique. Parce que là, oui madame, l’histoire rencontre l’Histoire (comment ça, je suis pas crédible ?).
Ministry, au début, c’est Al Jourgensen tout seul (le prénom changera au fil des albums : Alain, Alien, plus récemment Al-Qaeda…), jeune Américain né à Cuba, et un peu perturbé, qui commence par une sorte de synth-pop industrielle au début des années 1980 avec l’album With Sympathy. On est très très loin du Ministry ultérieur… Ce n’est pas inintéressant, mais pas encore transcendant. Les choses deviennent déjà bien plus alléchantes avec l’album suivant, Twitch, aux sonorités plus dures, et bien moins mélodique, qui n’est pas sans évoquer à mon sens un Cabaret Voltaire en plus agressif. C’est aussi l’époque où déboule dans Ministry un certain Paul Barker, qui amène des guitares dans ses valises.
Ministry, dorénavant, ce sera donc Jourgensen (chant, guitare, programmation) et Barker (basse, programmation), même si nombreux seront les collaborateurs occasionnels, participant à l’enregistrement des albums et aux tournées sans pour autant intégrer à proprement parler le groupe (Bill Rieflin à la batterie, par exemple, exilé si je ne m’abuse de Killing Joke, fondateur de Pigface – qui était d’ailleurs à l’origine un cover-band de Ministry –, et qui a joué depuis au sein de REM, qui n’a effectivement rien à voir). Notons d’ailleurs que Ministry se trouve au centre d’une véritable nébuleuse, les deux compères multipliant les side-projects, parmi lesquels on retiendra surtout les excellents Revolting Cocks (groupe purement industriel à l’origine, fondé avec Luc Van Acker et Richard 23 de Front 242 ainsi que Chris Connelly, puis intégrant lui aussi les guitares, mais dans une perspective moins violente que Ministry, plus punk et rigolarde) et Lard (un peu plus punk que Ministry, et qui s’en distingue essentiellement par la présence au chant de l’hystérique Jello Biafra, charismatique leader des Dead Kennedys – qui apparaît d’ailleurs régulièrement aux côtés de Ministry et des Revolting Cocks, entre autres). Mais il en est bien d’autres, plus discrets ou officieux, comme 1000 Homo DJ’s, avec un tout jeune et encore inconnu Trent Reznor… ou encore le projet country Buck Satan & The 666 Cow-Boys !
Je vais néanmoins me concentrer ici sur Ministry, qui livre coup sur coup, au tournant des années 1980-1990, trois albums absolument géniaux et à l’influence incomparable, très différents les uns des autres, mais posant pourtant les bases de ce que l’on appellera désormais le metal industriel.
Au commencement était The Land Of Rape And Honey, album fondateur s’il en est, et débutant par trois morceaux riches en guitare, très punk, et définissant le style propre aux meilleurs albums de Ministry, notamment le premier, l’excellent « Stigmata » : un riff simpliste mais parfait, qui court tout le long du morceau, l’aspect répétitif de l’ensemble n’étant qu’apparent, mais contribuant à créer une atmosphère particulière et un quasi-état de transe punk et hystérique. Miam ! « The Missing » et « Deity », plus bourrins, sont moins convaincants, mais néanmoins très originaux pour l’époque, et contribuent à cette étrange conséquence : de plus en plus de têtes chevelues se ruent aux concerts de Ministry, à la stupéfaction de Jourgensen et Barker, issus d’une culture punk et électronique, et non metal. La transition se fait, pourtant. En attendant, The Land Of Rape And Honey contient encore quelques très bons morceaux, comme l’instrumental assez planant « Golden Dawn », comprenant des samples tirés du superbe film de Ken Russel Les Diables, l’électro-arabisant « Hizbollah » (décidément, ça après Al-Qaeda, vais me faire ficher, moi…), l’indus martial de « The Land Of Rape And Honey », ou encore l’hystérique « Flashback ». Que du bon, vous dis-je. Et à l’influence immédiate : Trent Reznor reconnaît volontiers l’influence de cet album sur Nine Inch Nails, par exemple.
Pourtant le meilleur est encore à venir, avec l’énormissime The Mind Is A Terrible Thing To Taste, qui est tout simplement le meilleur album de tous les temps, là, et aucune contestation n’est possible (sauf si c’est pour donner la première place à Psalm 69, éventuellement, mais on y reviendra). La bible du metal indus. Ministry a trouvé la formule magique : les guitares sont présentes sur la plupart des morceaux, très répétitifs, avec des riffs en béton mais simples en apparence oscillant entre punk et metal, un travail du son énorme et des samples employés judicieusement. D’où une suite de bombes, parmi lesquelles on retiendra notamment le furibond « Thieves » ouvrant l’album à grands coups de perceuse et de samples de Full Metal Jacket (les grands esprits se rencontrent… pour l’anecdote, on rappellera que Ministry, plus tard, écrira deux morceaux pour la bande originale de A.I. de Steven Spielberg et jouera dans le film, et que c’était Kubrick, à l’origine du projet, qui les avait choisis) ; le tubesque « Burning Inside », sans doute le morceau le plus archétypal du groupe ; le planant et déviant « Cannibal Song » avec son monstrueux riff de basse imperturbable ; « Breathe » avec sa rythmique folle à deux batteries (particulièrement impressionnant en live, comme sur la vidéo de In Case You Didn’t Feel Like Showing Up, où il devient le prétexte à une intro épique ; Ministry a souvent joué en live avec deux batteries, d’ailleurs, et ça fait du bien…) ; le fabuleux « So What », trippant et punk à la fois, et qui dure, qui dure, pour le plus grand plaisir des gens de bon goût ; « Faith Collapsing », aussi, avec à nouveau un monstrueux riff de basse et une rythmique tribale à deux batteries agrémentée de samples du très bon Fahrenheit 451 de François Truffaud… et les autres morceaux ne sont pas en reste.
La « trilogie » des grands albums metal indus de Ministry s’achève avec le non moins excellent Psalm 69, The Way To Succeed And The Way To Suck Eggs, qui deviendra par un étrange concours de circonstances le plus gros succès commercial du groupe. C’est pourtant un album violent et sans compromis, ce dont témoigne d’entrée de jeu le tout simplement parfait « N.W.O. », virulente charge contre George Bush père reposant sur un riff simpliste au possible de deux notes courant tout au long des six minutes du morceau sans jamais le rendre lassant pour autant ; vient ensuite le très métallique « Just One Fix », introduit par William Burroughs himself et dont le génial riff et la rythmique bourrine seront d’une grande influence par la suite (à titre d’exemple, je considère pour ma part que Rammstein, à peu de choses près, s’est contenté tout au long de ses albums de faire des variations moins violentes et convaincantes, quand bien même sympathiques, sur ce seul et unique morceau…). On retiendra également de cet excellent album le planant et oppressant « Scarecrow », le jouissivement débile et mégalomane « Psalm 69 » qui servira souvent d’intro aux concerts de Ministry par la suite, ou encore l’indus bourrin et tribal de « Corrosion », à se taper la tête contre les murs. Et puis le rigolo « Jesus Built My Hotrod » avec Gibby Haynes des Butthole Surfers, un morceau débile et enthousiasmant… qui rencontrera en tant que single un très grand succès commercial, et boostera à un point inimaginable les ventes de cet album rude dans lequel il joue quelque peu le rôle de friandise, n’ayant pas grand chose à voir avec le reste…
Ministry, contre sa volonté, est donc devenu un groupe célèbre et vendeur. Un statut dont Jourgensen et Barker, très clairement, ne veulent pas. On a en effet l’impression que les albums suivants vont se livrer à une véritable entreprise de sabotage, de par leur abord plus difficile, leur son gras et lourd, leur rythme souvent plus lent, le côté répétitif accentué à outrance, etc. Il faut sans doute ajouter à cela que Jourgensen, dont les cures de désintoxication à l’héroïne (c’était déjà le sujet de « Just One Fix ») sont assez violentes, traverse une mauvaise passe qui ne facilite pas toujours des relations de plus en plus tendues avec Barker. Sachant tout cela, on ne sera pas surpris du caractère très noir, lourd et glauque de l’album suivant, Filth Pig. Un album à mille lieues de Psalm 69, qui se fait instantanément descendre par une critique imbécile (je crois me souvenir notamment d'un papier affligeant dans Les Inrockuptibles, écrit par un bouffon borné au possible, et qui figure parmi les pires articles que j'ai pu lire dans cet hebdo pourtant riche en aberrations critiques pédantes, hypocrites et insupportablement bobo...). On peut bien le dire aujourd’hui : Filth Pig est un excellent album, très inventif, mais pas facile d’accès, le son extrêmement lourd et gras de l’ensemble n’y étant sans doute pas pour rien (personnellement, je trouve ce son phénoménal, mais je me souviens de critiques très virulentes à l’époque, où des journaleux stupides se plaignaient de ce qu’ils considéraient comme un bâclage je m’en-foutiste bricolé dans un garage… bande de…). Il contient bon nombre d’excellents morceaux, parmi lesquels on retiendra notamment le très bourrin et lourd « Reload » ouvrant l’album, le très répétitif et planant « Filth Pig » avec son solo d’harmonica sous hélium, le monstrueux « Lava », « Gameshow » et sa rythmique folle, notamment dans l’épique intro, ou encore « The Fall », plus planant, et qui servira souvent par la suite à conclure les concerts. Petite blague, enfin, la reprise de « Lay Lady Lay » de Bob Dylan, mais là je dois dire que je n’accroche pas (Ministry n’est pas fait pour la mélodie et la guimauve, pas de doute là-dessus)…
Ministry se retrouve néanmoins dans une mauvaise passe qui va durer plusieurs années, émaillées de problèmes de drogue, voire de sanctions pénales, et de brouilles récurrentes entre Jourgensen et Barker. Le groupe sortira cependant Dark Side Of The Spoon (le jeu de mots est assez limpide…), qui poursuivra sur l’atmosphère de Filth Pig tout en revenant à l’occasion à un esprit plus typique des enregistrements antérieurs, ainsi qu’en témoigne notamment le premier morceau, « Supermanic Soul », que l’on peut voir comme une relecture extrêmement primitive de « N.W.O. ». Si l’album obtiendra un plus grand succès que le précédent, notamment du fait de la présence du single « Bad Blood » sur la bande originale de Matrix (et pas dans le film, si je ne m’abuse… c’est d’ailleurs peut-être le morceau le moins intéressant de l’album, je ne comprends pas les gens, des fois), Ministry reste cependant bien loin des sommets atteints avec Psalm 69. Dark Side Of The Spoon, s’il n’est guère facile d’accès, est néanmoins un excellent album de Ministry. J’ai parfois l’impression d’être le seul à l’affirmer, ceci dit… Mais j’avoue apprécier énormément les morceaux lorgnant plus ou moins débilement sur le jazz, comme le rigolo « Step » ou le planant « 10/10 ». Et surtout, j’affirme sans l’ombre d’un doute que cet album renferme deux des meilleurs morceaux de Ministry, si ce n’est les meilleurs, avec le très planant « Eureka Pile », sa rythmique folle et sa basse claustrophobe, et « Nursing Home », morceau totalement dingue à base de banjo et de saxophone, improbable et génial mélange de dub, d’indus, de free jazz et de folk voire country glauque ! Dark Side Of The Spoon est ainsi clairement le dernier grand album de Ministry à mes yeux (ou mes oreilles, oui bon d’accord).
Nouvelle période de difficultés, puis, enfin, un nouvel album, sur un nouveau label, avec Animositisomina. Plus direct et moins expérimental que Filth Pig et Dark Side Of The Spoon, il est bien moins intéressant à mon sens. Cet album plus violent n’est cependant pas sans atouts, ainsi avec le virulent « Animosity » qui l’introduit, la reprise assez pop mais très sympathique de « The Light Pours Out Of Me », ou encore l’excellent instrumental final, planant et répétitif au possible, « Leper ». C’est toutefois à mon sens un album un peu en demi-teinte. La bonne nouvelle, ceci dit, c’est que Ministry renoue alors avec la scène, après une longue absence plus ou moins imposée par des sanctions pénales. Et pour les avoir vus à l’époque à l’Elysée-Montmartre, je peux confirmer la puissance scénique de Ministry, d’autant que Jourgensen, qui rechignait auparavant aux tournées, semble dès lors y trouver un plaisir intense facilitant d’autant la communion avec un public très hétéroclite.
La mauvaise nouvelle, c’est que Barker quitte le groupe… Je n’en connais pas les raisons précises, même si cela semblait assez prévisible à force. Qu’à cela ne tienne, Jourgensen décide de continuer, mais en changeant l’orientation de son bébé. Ministry va désormais devenir un groupe résolument metal, et plus politique que jamais. Ministry a toujours eu un côté politique, de même que les Revolting Cocks et Lard ; mais l’arrivée à la Maison Blanche du fiston Bush va jouer le rôle de déclencheur, Ministry enchaînant alors les albums virulents presque entièrement dédiés à la satire de l’ancien gouverneur du Texas (rappelons que Jourgensen vit aujourd’hui dans cet Etat emblématique de la pire « Bible Belt ») et à la dénonciation de la politique militariste des néo-conservateurs (ce qui commençait déjà à se faire sentir sur Animositisomina). Ainsi, très vite, avec Houses Of The Molé, un album très efficace mais guère marquant, s’ouvrant néanmoins sur le jouissif et éloquent « No W » et ses samples de Carmina Burana (dans sa première version ; les samples ont dû ensuite en être retirés en raison de problèmes de « droits d’auteur »… mouais…).
L’album suivant, Rio Grande Blood,s’il continue dans cette veine, est plus intéressant, contenant quelques pépites comme le très bourrin « Rio Grande Blood » qui l’introduit, un « Senior Peligro » qui fait indubitablement penser à Slayer, « Gangreen » et ses marines débiles, « Yellow Cake » qui retourne à l’indus déviant et primitif de Filth Pig et Dark Side Of The Spoon, « Ass Clown » où Jello Biafra vient faire un petit coucou, ou encore le très bon et planant « Khyber Pass ». Un très bon album, donc, très violent, mais surtout très trash, et qui tient plus de Slayer que de Ministry, dans un sens. Je dois avouer lui avoir largement préféré, à l’époque, Cocked And Loaded, le tant attendu nouvel album des Revolting Cocks, sorti exactement en même temps et bien plus original.
Et on en arrive ainsi à The Last Sucker. « The end is here. Ministry’s final studio release », nous précise un sticker. Vraiment, ou bien n’est-ce qu’un coup de pub ? Je ne me prononcerai pas ; toutefois, Jourgensen avait depuis longtemps déjà clamé son intention de passer à autre chose, et le récent décès du bassiste Paul Raven, venu remplacer Barker, n’est peut-être pas pour rien dans cette décision… Mais que vaut-il donc, ce « dernier » album, où George W. Bush, sans surprise, continue de s’en prendre plein la poire ? Eh bien j’avoue que, à la première écoute, j’ai été extrêmement déçu, l’album ne me paraissant guère accrocheur et inventif. J’ai même dit une abominable méchanceté : « Ouais, il est peut-être temps de s’arrêter, effectivement… »
Imbécile…
Je l’ai réécouté, cet album. Juste pour voir. Alors peut-être la méthode Coué a-t-elle joué, mais j’en doute ; quoi qu’il en soit, je l’aimais de plus en plus, et, aujourd’hui, je reviens sur ma première impression et sur ce jugement lapidaire, parfaitement injustifié et scandaleux (et je me flagelle avec des orties fraîchement coupées pour expier ma faute). The Last Sucker est bel et bien un bon album ; un très bon album, même ; et j’en viens presque à me demander si ça ne serait pas, au final, le meilleur album de Ministry depuis Dark Side Of The Spoon…
Mais décortiquons un brin. Comme souvent chez Ministry, l’album s’ouvre sur un morceau jouissif avec « Let’s Go », l’auditeur étant pris d’une irrépressible envie de secouer la tête. Ceci dit, cette fois, c’est plutôt punk, et, au-delà de l’intro « apocalyptique » et très efficace, c’est finalement bien en-dessous des énormes « Rio Grande Blood » et « No W », pour en rester aux plus récents albums, et donne un peu l’impression d’avoir déjà été entendu ailleurs, tout en restant plus que correct. On regrettera notamment les soli très typés metal et qui tombent un peu comme un cheveu sur la soupe, défaut qui avait déjà tendance à émailler les plus récentes productions de Ministry, et qui ressurgit ici à l’occasion, hélas. Le son excellent laisse cependant présager du meilleur.
Preuve en est, immédiatement après, avec « Watch Yourself » et son impressionnante rythmique on ne peut plus metal indus, machinale et pierreuse, et pour ainsi dire irrésistible (on notera par ailleurs que l’album, exceptionnellement, ne crédite aucun batteur ; Ministry semble donc bien être retourné au tout électronique en la matière, mais pour un résultat qui n’amoindrit pas sa puissance sonore et colle parfaitement à l’atmosphère des compositions).
« Life Is Good », ensuite, est peut-être un peu moins marquant, mais reste très appréciable, notamment dans ses arabesques à l’arrière-plan, très évocatrices de la grande époque de Ministry, et qui contribuent à sortir le groupe du carcan simplement trash où on aurait pu être tenté de l’enfermer après Rio Grande Blood.
Avec « The Dick Song », on retourne à un titre très sombre et haineux, mais en même temps plus trash, après une intro très lourde. On est ici clairement dans la lignée de Houses Of The Molé et Rio Grande Blood, même si quelques claviers et samples en arrière-plan rappellent de temps à autre que Ministry est à la base un groupe industriel. Il y a de bons moments (notamment avec l’intro et le refrain), mais on n’est certainement pas là devant le sommet de l’album.
Il en va plus ou moins de même avec « The Last Sucker », qui ne se distingue tout d’abord que par quelques éructations quasiment death metal surprenantes chez Ministry, mais va néanmoins en s’améliorant, les « soli » passant cette fois très bien. Là encore, le refrain, très réussi, l’emporte indéniablement sur le couplet banal. Et la fin est tout à fait satisfaisante.
On passe à quelque chose de bien plus intéressant avec le très énervé « No Glory », reposant sur une boite à rythme énorme autorisant une précision et une puissance inhumaines et des syncopes remarquablement efficaces. A nouveau un solo dispensable, hélas (mais qui a l’avantage d’être très bref, comme tous ceux de l’album). Un très bon morceau, indéniablement.
La boite à rythme folle compte également pour une bonne part de l’intérêt du morceau suivant, le furibond « Death & Destruction », très violent et remarquablement bien construit (là encore si l’on excepte un solo incongru de quelques secondes à peine). Un morceau très efficace, et qui tire à nouveau l’album vers le haut.
Une petite friandise blagueuse pour la suite, avec une improbable reprise des Doors, « Roadhouse Blues », à faire pogoter Jim Morrison tout seul dans son cercueil. Un morceau speed et rigolard au pied hystérique, qui n’est pas sans rappeler « Jesus Built My Hotrod », et sur lequel Jourgensen refait péter son harmonica sous acides.
La suite est tout simplement géniale, faisant appel à une guest-star inattendue, le chanteur de Fear Factory Burton C. Bell. Dans un registre pourtant aux antipodes des compositions de Dino Cazares industrialisées par Rhys Fulber : la fin de l’album n’est en effet guère metal. On ne s’en plaindra pas : elle est excellente, et permet à Ministry de retrouver une certaine originalité qui tendait à lui faire défaut ces dernières années. Ainsi, immédiatement, avec le jouissif « Die In A Crash », véritable tube post-punk très dansant et efficace, et qui ne ressemble à vrai dire à rien de connu. Et c’est tant mieux ! Le résultat est imparable.
La suite, et conclusion de l’album (et du groupe ?), c’est l’excellent « End Of Days », partagé entre deux pistes, et faisant à nouveau appel à Burton C. Bell. Si la première partie très métallique et assez brève, n’est pas inintéressante, c’est surtout la longue deuxième partie (un peu plus de dix minutes) qu’il faut noter ici : une conclusion parfaite pour Ministry, plus planante que violente, très répétitive et lancinante, dix minutes de pur bonheur de rock indus. On en vient à espérer, peut-être pas que Ministry enregistre un nouvel album après ce « dernier » opus, mais en tout cas que Jourgensen poursuive sa carrière, éventuellement dans un autre projet, « Die In A Crash » et « End Of Days » révélant à mon sens une nouvelle voie pour l’inventeur du metal indus, lui permettant de se renouveler éventuellement loin du trash metal où il avait eu tendance à se perdre plus ou moins ces dernières années.
The Last Sucker, ainsi, ne constitue certainement pas le meilleur de Ministry ; il est indéniablement loin derrière The Land Of Rape And Honey, The Mind Is A Terrible Thing To Taste et Psalm 69, et je lui préfère également pour ma part, et sans l'ombre d'un doute, Filth Pig et Dark Side Of The Spoon. Si on peut lui reprocher d'être un peu inégal et guère accrocheur à la première écoute, on ne peut, par contre, que se féliciter des quelques pépites qui l'émaillent, et notamment de certaines prises de risques, qui viennent à point nommé nous rappeler, en bout de course, que Ministry n'a jamais véritablement été un groupe de metal, mais bien une usine folle à expérimentations, un groupe inventif comme peu peuvent prétendre l'être, un groupe de légende enfin, souvent imité, jamais égalé. Ite missa est.
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