"Bleu presque transparent", de Ryû Murakami
MURAKAMI (Ryû), Bleu presque transparent, traduit du japonais par Guy Morel et Georges Belmont, Arles, Picquier, coll. Picquier poche, [1976-1977, 1979] 19972006, 203 p.
Veuillez m’excuser, mais… non, d’ailleurs. C’est bien le problème : j’ai l’excuse pathologique. Quoi que je fasse, quoi que l’on fasse, quoi que je dise, quoi que l’on me dise, je ressens le besoin de m’excuser. Crainte de gêner. Pardon d’exister. Mais ça peut plus durer. J’allais m’excuser pour plein de choses, là : pour la piètre qualité du compte rendu (comme d’hab’), pour le retard (comme d’hab’), pour le racontage de ma life qui va suivre et qui sera probablement plus long que la note sur Bleu presque transparent à proprement parler (désolé… non, merde !)… Ca peut plus durer. Heureusement, hier, j’ai écouté la radio, et je sais maintenant comment me sortir de tout ça. Je vais donc appliquer la méthode Rachida Dati ; c’est-à-dire que je vais rester incompétent et paranoïaque, hein, mais dire à chaque fois que c’est la faute des socialistes. Vous voilà prévenus. Comme je suis gentil, néanmoins, je vais découper cette longue note en deux parties, histoire que vous sachiez à quoi vous attendre.
I : NEBAL RACONTE SA LIFE (A CAUSE DES SOCIALISTES)
Je vais donc commencer ce compte rendu en évoquant un peu (non, longuement) mon passé récent : les socialistes ne me laissent pas le choix. Il y a de cela quelques années, Nébal a fait une grosse, grosse déprime : plus envie de rien, si ce n’est de tout laisser tomber. Salauds de socialistes… J’ai donc interrompu mes études de droit, et passé mon temps à rien foutre. Même pas lire. Même pas regarder des films. Même pas écouter de la zique. Voir des gens, c’est même pas la peine d’y penser… Quelques mois se sont écoulés comme ça ; et puis, comme ça m’arrive régulièrement, j’ai été pris d’une passion subite (et que je serais bien en peine d’expliquer).
Pour le Japon, son histoire et sa culture.
J’ai commencé à apprendre le japonais avec une méthode à la con selon un rythme frénétique (je n’en ai à peu près rien retenu, bien sûr…) ; sans véritable objectif, même si je parlais parfois, plus ou moins sérieusement, de m’y mettre à la fac (rien à voir avec ce que je faisais jusque-là, donc), voire de m’y barrer un de ces jours (Nébal, voyager ? Ca allait vraiment pas… Putains de socialistes !). Bizarre, quand j’y repense ; d’autant que je n’ai jamais partagé la nippophilie courante chez ceux de ma génération, dans sa version « culture populaire », comme c’est qu’on dit : je ne connais à peu près rien aux mangas et aux animes, et ça ne m’intéresse franchement pas (j’admets volontiers qu’il y a sans doute plein de bonnes choses là-dedans, mais, en dehors d’un Otomo par-ci et d’un Tezuka par-là, je ne parviens pas à m’y intéresser, et parmi les œuvres qu’on a pu me présenter comme des sommets du genre, la plupart m’ont laissé totalement indifférent, quand elles ne m’ont pas paru médiocres) ; idem pour la musique, même si c’était avant les délires j-pop et autres cultes frénétiques voués à ce que ce pays peut produire de pire (et c’était aussi avant que je ne découvre, bien plus réjouissants, ces nombreux Japonais fous qui font du bruit, type Boredoms, Merzbow, et autres invraisemblables projets drone / indus / ambient / noise / machin, etc. Je n’en connaissais alors, et à peine, que Aube). Jamais été non plus un « hardcore gamer », comme c’est qu’y disent. Ni pratiqué les arts martiaux (même si ça fait des années que je me dis que ça pourrait être bien si je me mettais à l’aïkido ou au kendo…). Non, la seule chose qui me bottait vraiment, et c’est toujours le cas aujourd’hui, c’était le cinéma japonais : attention, je n’allais même pas m’enfoncer dans l’underground réservé aux geeks et compagnie, hein ; non, rien que du très très connu et éminemment exportable (et d’ailleurs exporté, tiens…) : Akira Kurosawa bien sûr, mais aussi Nagisa Oshima, Shohei Imamura, Kenji Mizoguchi, Kinji Fukusaku, ou, pour en citer quelques-uns de plus récents, Takeshi Kitano bien sûr, mais aussi Hideo Nakata, Shinya Tsukamoto, Hiroyuki Nakano, Ryuhei Kitamura, Kiyoshi Kurosawa (surestimé à mon avis) ou encore Takashi Miike (de même, mais plus rigolo)… et bien sûr Hayao Miyazaki, Isao Takahata et Katsuhiro Otomo pour ce qui est des dessins animés (ah, et je ne résiste pas à l’envie de le répéter ici, et ça vaut pour les deux catégories : Mamoru Oshii m’emmerde profondément). Rien d’original donc, loin de là, mais c’est la faute aux socialistes. N’empêche que je me suis pris de passion pour tout ça, que je me suis mis à compulser frénétiquement, à me documenter sur le sujet avec ce que je pouvais trouver de par chez nous (me suis régalé notamment avec un bel ouvrage en deux gros volumes richement illustrés consacré au cinéma japonais dans son ensemble). D’où le passage à la littérature japonaise.
Comme beaucoup de crétins de Français, et c’est à l’évidence une conséquence des manœuvres perfides des socialistes, de la littérature japonaise, je ne connaissais strictement rien. Ah, si, une exception : Yoko Ogawa, dont je me régalais depuis quelque temps déjà grâce à Actes Sud (sauf que, chez Actes Sud, leurs bouquins, y sont ben chouettes, mais ben chers aussi ; et pour cet auteur qui fait souvent dans la nouvelle, et qu’ils ont diffusé à la mitrailleuse, j’ai fini par en avoir un peu marre…). Pour le reste, j’avais bien entendu parler de quelques grands noms, Yukio Mishima en tête, mais sans jamais les avoir lus. Bon, Mishima, donc : baffe. Quelques autres classiques, aussi ; et la confirmation que les haikus de Basho et compagnie ne rendent rien dans la langue de Molière : mais, bon, j’ai jamais été très preneur des pouètes, aussi… J’ai jeté un œil, au POF, au Dit des Heike, envisagé de me mettre au Genji Monogatari (je ne l’ai jamais fait, bien sûr…). Pour le reste, j’ai surtout fouillé dans les éditions Picquier, incontournables pour tout Françouais qui s’intéresse à la littérature du pays du soleil levant. En commençant par une Anthologie de la littérature japonaise (heu, je ne suis plus sûr du titre, peut-être Mille ans de littérature japonaise…), dont un texte au moins m’a fasciné : le fabuleux Dit de l’ermitage (Hojoki) de Kamo no Chomei (que l’on trouve également au POF en grand format, mais c’est cher, pour le coup…), très court poème philosophique du XIIIe siècle (si je ne m’abuse), emprunt de stoïcisme (et d’autres évocations troublantes de la philosophie grecque : la première phrase évoque irrésistiblement Héraclite…), que les aigris jugeront potentiellement naïf dans sa simplicité, mais qui m’a fait l’effet d’un choc esthétique sans pareil. Dans l’état où je me trouvais, il faut dire que c’était une lecture parfaitement appropriée… Aujourd’hui encore, je m’y ressource régulièrement. Mais ce fut également l’occasion de découvrir rapidement quelques auteurs plus contemporains ; et si les chroniques mongoles de Yasushi Inoue ne m’ont certainement pas laissé un souvenir impérissable, deux auteurs m’ont paru autrement plus intéressants : en premier lieu, Akiyuki Nosaka, entre autres l’auteur de La tombe des lucioles, la déchirante quasi-autobiographie superbement adaptée par Takahata, mais aussi, dans un genre bien différent, de l’indispensable Les pornographes (dont je n’ai appris que récemment qu’il avait été adapté au cinéma par Imamura, il faut que je voie ça) ; et enfin Ryû Murakami, dont j’avais entendu parler maintes fois (même si je ne savais pas – je ne l’ai appris qu’aujourd’hui – que le fameux – et certes impressionnant, mais encore une fois surestimé – Audition de Takashi Miike serait une adaptation d’un de ses ouvrages), mais dont le célèbre Les bébés de la consigne automatique m’a fait un effet mitigé : ce long roman comprenait nombre de passages fascinants, émouvants, et superbement écrits ; certains tableaux étaient remarquables, qu’ils soient contemplatifs ou plus représentatifs d’un certain chaos urbain d’ailleurs passablement teinté de science-fiction ; mais il y avait dans ce roman, régulièrement, des éclats que j’aurais envie de qualifier « d’adolescents », avec du sexe et du sang pas forcément nécessaire, et un brin de complaisance à cet égard ; comme une envie de choquer le bourgeois, pas forcément toujours convaincante, et qui venait à mon sens plomber le bouquin…
Cet engouement japonisant fut de toutes façons fort bref : six mois environ. On me poussait bien évidemment à reprendre mes études, mais je ne me sentais pas de refaire du droit privé dans une optique « professionnalisante », avec le concours de l’ENM en ligne de mire ; une semaine avant la date limite de dépôt des dossiers, je ne savais toujours pas ce que j’allais bien pouvoir faire : alors, hop, pile, je m’inscris en japonais ; face, je fais une maîtrise de science po et je poursuis mes études. Et dans tous les cas, advienne que pourra.
Face.
Bon d’accord.
Depuis, plus rien du côté du Japon, j’ai paumé à peu près tout ce que j’avais pu apprendre sur la question (note : il faut rajouter à ce que je viens de détailler longuement, mais c’est la faute aux socialistes, plein de bouquins sur l’histoire du Japon, sur son art, quelques-uns sur le bouddhisme, etc.), et je n’ai en gros plus rien lu de japonais, si l’on excepte quelques retours périodiques au Hojoki (et même si ça fait quelque temps que des bouquins de Haruki Murakami – rien à voir, pour autant que je sache – traînent dans mon étagère de chevet ; le cinéma, par contre, j’y reviens de temps en temps, mais toujours chez les gros connus).
Mais voilà : il y a quelques jours, c’était mon anniversaire. Et la tradition veut que l’on offre des cadeaux aux gens qui commémorent leur naissance : sans doute les félicite-t-on ainsi d’avoir un peu moins de temps à vivre, et donc libérer prochainement un peu d'espace. Moi, on m’offre souvent des bouquins (étrangement). Un ami très cher, bien conscient de mon intérêt pour la science-fiction, mais qui se souvenait également de ma (brève) période japonaise (faut dire qu’on cause souvent cinéma), est ainsi allé faire un tour dans une librairie, espérant y dénicher de la SF nippone. Ce qui, en France, n’est franchement pas évident… Il s’est alors tourné vers un conseiller (ou peut-être avait-il déjà été conseillé auparavant, je ne sais pas ; en tout cas, le choix ne s’est certainement pas fait au hasard : d’une manière ou d’une autre, il savait que Ryû Murakami ne me laiss(er)ait pas indifférent), et m’a donc offert quelques jours plus tard… quatre romans de Ryû Murakami. Coup de bol, Les bébés de la consigne automatique ne figurait pas dans le tas (mais il croyait se souvenir, à bon droit, l’avoir vu chez moi, ou m’en avoir entendu parler) : son premier roman, Bleu presque transparent, et sa trilogie intitulée « Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort » (tout un programme), composée d’Ecstasy, de Melancholia et de Thanatos, le tout chez Picquier (en grand format pour le dernier). Et c’était une vach’ment bonne idée (et ça a éveillé quelques souvenirs, aussi ; c’est bien pourquoi j’ai ressenti le besoin de cette longue première partie hautement révélatrice de la perfidie des socialistes). Alors merci beaucoup, toi qui, lors de tes rares passages sur ce blog interlope (à cause des socialistes) t’affubles du pseudonyme éloquent de Captain Spaulding.
Passons maintenant aux choses sérieuses (les socialistes ne peuvent pas toujours triompher).
II : NEBAL PARLE QUAND MÊME UN PEU DE BLEU PRESQUE TRANSPARENT
Bleu presque transparent, le premier roman de Ryû Murakami, a reçu en 1976 le prix Akutagawa, souvent présenté de par chez nous, de manière bien lapidaire, comme « le Goncourt japonais », et la quatrième de couv’ ne déroge pas à cette règle. Je vous l’accorde, il y a de quoi s’enfuir en hurlant… Rassurez-vous : déjà, le prix Akutagawa récompense avant tout des textes courts, nouvelles ou courts romans ; surtout, il récompense de vrais écrivains, vraiment talentueux (le palmarès comporte quelques jolis noms, dont Yoko Ogawa, Abe Kobo, etc.). Mais il faut ajouter à cela que Bleu presque transparent, immédiatement après sa sortie, a rencontré un succès foudroyant au Japon, devenant bien vite un best seller, salué en même temps par la critique comme une œuvre foncièrement novatrice.
En 1976, rappelez-vous, hein.
Dans ce bref roman qui se lit d’une traite, Ryû Murakami lui aussi raconte sa life. Enfin, non, mais l’étudiant qu’il était alors ne se prive pas d’une certaine ambiguïté à cet égard : le narrateur s’appelle Ryû, et la « lettre » concluant le « roman » pousse le vice très loin… M’étonnerait pas qu’il y ait des socialistes derrière tout ça, moi. Reste que la vie racontée ici est de suite plus palpitante que celle du Nébal envisagée plus haut. Parce que, voyez-vous, Murakami nous raconte dans son roman quelques tranches de vie d’adolescents nippons « dans un monde en perte de repères », comme on dit des fois ; si vous préférez, des djeun’s qui se droguent et qui baisent à tout va, dans une insouciance totale, le plaisir immédiat justifiant tout, l’avenir n’ayant aucune consistance. Au fil des pages de Bleu presque transparent, on suit ainsi Ryû, mais aussi Kei, Okinawa, Reiko, Yoshiyama, Kazuo et compagnie de partouzes en bads trips, de combines minables en plans foireux, de ruptures sanglantes en amourettes sans lendemain, avec au bout d’une route qu’ils ne parcourent qu’au ralenti le mariage pour elles, un boulot minable pour eux, avec éventuellement un passage par la case désintox, ou une sortie brutale les pieds devant. Mais pour le moment, la seule réalité, c’est Tôkyô, triste et puante, entrevue dans des vapeurs d’alcool et des nuées psychédéliques ; des apparts miteux maculés de sang, de sperme, de chiasse et de vomi ; des pleurs et des hurlements en guise de bande-son, couvrant parfois les Stones ou Jimi Hendrix ; et les Américains, qui approvisionnent et profitent, ne sont jamais bien loin. Récit cru, dissection naturaliste, d’une déchéance envisagée mécaniquement et sans arrière-plan moral. Ils baisent, ils se droguent ; ils se baisent, ils droguent. Ad libitum ou ad nauseam ; les deux semblent à vrai dire indissociables.
Un roman façon coup de poing, et qui fait certainement son petit effet (en dépit d’une traduction française qui me paraît plutôt médiocre). Mais…
Il y a un problème. Oh, très personnel, sans doute. Et qui prend deux aspects.
Le premier, c’est que moi, Nébal, je n’aime pas les adolescents, et plus généralement les jeunes. Je hais les jeunes. C’est bien simple : il n’y a guère que les enfants, les trentenaires et quadra encravatés et les vieux que je déteste presque autant. J’aime encore moins quand les ados servent plus ou moins de prétextes aux susdits trentenaires ou quadra encravatés, voire vieux, qu’ils soient écrivains ou cinéastes, pour faire dans la fausse subversion faussement insouciante, celle qui fait jaser les bigots et bander le lectorat des Inrocks (surtout dans les d’ores et déjà légendaires numéros « spécial cul » de l’été), mais ne pète pas bien haut pour autant. Inutile, j’imagine, de développer plus avant ; et puis j’ai envie de vomir, là…
Certes, on ne peut pas adresser ce reproche à Ryû Murakami pour Bleu presque transparent. En 1976, lui-même avait en gros l’âge de ses protagonistes, et, s’il ne lésine pas dans le racolage façon inserts de boulard, si l’on sent dans son roman une indéniable volonté de choquer le bourgeois, celle-ci se trouve sans doute pour une bonne part légitimée par le contexte de l’époque : 1976, en Occident, c’est en gros le punk (dans le roman, et en dépit de la photo de couverture, on n’en est pas encore là : on en est encore aux hippies et à la pop façon Stones ou Beatles ; le revers de la médaille utopique, Woodstock sans les fleurs, mais juste les épines ; pas le climax d'Easy Rider, Japon oblige, d'autant qu'on est ici dans un cadre urbain, mais y'a un peu de ça) ; mais, pour le Japon, et par rapport à ce roman, une autre référence me paraît plus parlante : 1976, c’est aussi l’année de sortie de L’empire des sens, le chef-d’œuvre de Nagisa Oshima. En France… où le film a été monté et produit, après avoir été tourné en secret au Japon. Bientôt, là-bas, ce sera le procès intenté à Oshima pour obscénité, une date importante, bien révélatrice des hypocrisies de la société nippone d’alors. Il me semble que Bleu presque transparent s’inscrit pour une part dans ce contexte. Pas tant, comme en Occident, une révolution sexuelle qui tourne bien vite à la farce grotesque depuis quelque temps déjà en 1976, qu’une évolution dans la manière de parler du sexe. Une revendication de liberté, qui passe bien, pour Oshima, par la revendication de l’obscénité. Sans doute n’est-il pas innocent, à cet égard, que l’on nage autant, dans Bleu presque transparent, et en dépit du titre, dans divers remugles scatologiques ; de même pour ce qui est de l’animalité des personnages, dont un Imamura, par exemple, s’est tôt fait un spécialiste au cinéma (le naturalisme cruel de La ballade de Narayama, quasi-documentaire tout comme le troublant roman de Shichirô Fukazawa dont il était inspiré prenait l’aspect d’une enquête ethnographique, en est une remarquable illustration). Pas d’idéalisation de la sexualité, pas de message ou de portée morale (sur le plan individuel, en tout cas ; pour ce qui est de la société japonaise, c’est autre chose…) : juste des corps qui se mélangent en attendant la mort, inéluctable ; dans tous ces cas, un quasi-suicide…
Historiquement, c’est sans doute là une des forces du roman. Mais c’est en même temps, à mon sens, sa faiblesse. Le problème, en effet (deuxième aspect), est que ce canevas minimaliste – des jeunes couillons qui se défoncent et jouissent sans entrave dans une société en déliquescence –, on en a usé et abusé jusqu’à plus soif. Que ce soit en littérature ou au cinéma, il y a certes bien des œuvres pour avoir su transcender leur thématique et rester fascinantes encore aujourd’hui. Mais, pour ma part, je n’oserais certainement pas mettre Bleu presque transparent sur le même plan que, disons, et pour prendre des exemples très divers, Sur la route de Jack Kerouac, Le festin nu de William Burroughs (hors concours, à vrai dire...) ou Trainspotting d’Irvine Welsh : autant de romans très riches, à l’atmosphère forte, et parfaitement écrits. Mais Bleu presque transparent s’attache aux corps, à la crudité et à l’outrance ; et c'est à mon sens sa seule véritable singularité : rien au-delà.
Si l'on combine ces deux aspects – et voilà qui devrait amplement relativiser mon propos –, il m’a un peu fait penser au Requiem For A Dream de Darren Aronofsky (je ne parlerai que du film, je n’ai pas lu le Return To Brooklyn d’Hubert Selby Jr, et son Last Exit To Brooklyn prend la poussière depuis bien longtemps tout au fond de ma pile à lire…) ; un film dont on a dit beaucoup de bien, mais qui m’a pour ma part terriblement déçu : je n’en ai retenu de positif que la fort sympathique BO de Clint Mansell avec le Kronos Quartet, et la remarquable performance d’Ellen Burstyn (ses scènes sont indéniablement réussies) ; pour le reste – i.e. les petits jeunes qui se droguent – ça ma gonflé. Impression d’avoir lu / vu ça cent fois, le choc – bien réel – n’est obtenu qu’à grands renforts d’artifices plus ou moins bienvenus, de tics de réalisation bien vite franchement horripilants : le coup de poing devient figure chorégraphiée, le vomi est millimétré, le sale devient « esthétique », l'outrance une pose ; je traduis, mais ça n’engage que moi : l’intérêt a disparu.
Bien évidemment, cette remarque ne portait pas en 1976. Mais, en ce qui me concerne, il ne reste pas grand chose au-delà aujourd’hui, et cela m'a fait un peu le même effet. En même temps, j’admets volontiers une chose : moi qui n’avais déjà guère apprécié, dans Les bébés de la consigne automatique, la gratuité vaguement adolescente de certains passages, je n’étais sans doute guère disposé à apprécier davantage ce premier roman… qui contient à nouveau, pourtant, quelques beaux tableaux ; quelques scènes plus contemplatives, quelques conversations désabusées et naïves entre deux potes, en attendant la prochaine orgie. Autant de séquences qui sauvent malgré tout le roman : je ne peux pas prétendre que Bleu presque transparent soit mauvais, non ; mais il ne m’a pas parlé pour autant. Bof, quoi, mais alors vraiment bof… Dommage.
Mais merci quand même, mon cher Captain ; et ne t’en fais pas : dans la mesure où ce que je regrette le plus dans les deux romans de Ryû Murakami que j’ai pu lire est un certain manque de maturité, je garde bon d’espoir d’être davantage séduit par sa bien plus récente trilogie que tu as eu la gentillesse de m’offrir en même temps que celui-ci. Et, après tout, tout est de la faute de ces enfoirés de socialistes, hein… A suivre, donc.
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