"La Balle du néant", de Roland C. Wagner
WAGNER (Roland C.), Les Futurs Mystères de Paris, 1. La Balle du néant, Paris, Fleuve Noir – L’Atalante – J’ai lu, coll. Science-fiction, [1996, 2002] 2008, 183 p.
Ça faisait un bail que j’avais envie de me mettre aux « Futurs Mystères de Paris » de Roland C. Wagner, mais, très honnêtement, je ne me sentais pas d’en attaquer la collection chez L’Atalante. Parce que, pour le coup, ça risquait de faire un peu cher, et je n’étais pas certain que tous les volumes soient aisément disponibles… Et puis la nouvelle est tombée : « Les Futurs Mystères de Paris » allaient enfin être repris en poche, chez J’ai lu. Joie ! Le premier tome, La Balle du néant, est donc sorti tout récemment (dans la foulée de la réédition du très bon L.G.M. ; à croire que Roland C. Wagner porte à lui seul ou presque les sorties SF chez J’ai lu… qui trouve même le moyen de caler des pubs pour ses sorties fantasy en fin de volume ; ce qui, dans un sens, est plutôt comique) ; c’était l’occasion ou jamais. Hop.
« Les Futurs Mystères de Paris », donc. Le lien avec Les Mystères de Paris d’Eugène Sue est plutôt ténu : « feuilleton », avec un aspect social, sans doute… On cherchera plutôt du côté des « Nouveaux Mystères de Paris » de Léo Malet, la fameuse série de polars mettant en scène l’incomparable détective privé de l’agence Fiat Lux Nestor Burma. Ce qui tombe plutôt bien en ce qui me concerne : j’avoue ne pas être très fan de polars (soyons francs : c’est surtout que je n’y connais rien, honte sur moi, et que ça ne m'attire pas vraiment, sauf exceptions), mais le personnage de Burma m’a toujours séduit, que ce soit au travers de mes (rares) lectures de Léo Malet, ou des très chouettes adaptations en BD qu’en a réalisé le grand Jacques Tardi. Alors, une série de polars SF placée sous cette auguste enseigne, forcément, ça me parlait ; d’autant que ce que j’avais pu lire ici ou là de Roland C. Wagner (pas grand chose, certes) semblait m’indiquer que l’auteur disposait du ton approprié pour ce faire.
Le privé des « Futurs Mystères de Paris » (un fan de Burma, donc) répond au nom improbable de Temple Sacré de l’Aube Radieuse. Normal, c’est un Millénariste. En effet, Tem – oui, on l’appellera plutôt comme ça, hein – fait partie de ces étranges individus apparus après la Grande Terreur de 2013, qui entretiennent un lien particulier avec la Psychosphère et disposent de Talents hors du commun. Des sortes de X-Men baba-cools, quoi. Tem, en l’occurrence, est doué du Talent de transparence ; mais laissons-le s’expliquer lui-même (p. 168) :
« Imaginez que vous vous promenez sur un trottoir au milieu de la foule. Vous ne pourrez jamais prêter attention à toutes les personnes que vous croiserez ; il en subsistera une certaine proportion que vous ne remarquerez même pas, sinon sous la forme de silhouettes noyées dans la masse.
« Eh bien, pour le commun des mortels, je fais le plus souvent partie de ces silhouettes. Ma sœur Rivière Paisible du Matin Calme aime à dire que je « glisse entre les mailles du tissu de la réalité ». Si j’ai affaire à des individus sensibles à mon Talent – et à condition de ne pas être attifé à ce moment-là comme le croisement d’un clown et d’un épouvantail –, je peux me faufiler parmi eux, traverser leur champ visuel, voire les toucher sans qu’ils s’en rendent compte.
« Très pratique pour les filatures, pensez-vous. Mais imaginez mon calvaire dès lors qu’il s’agit d’interroger des témoins. »
Effectivement. Parvenir à se faire servir un verre n’est pas toujours évident non plus. D’où l’emploi de ce borsalino vert fluo dont Tem s’affuble systématiquement ou presque pour engager la conversation. Ce qui n’empêche pas les gens, mais aussi, étrangement, les caméras, les machines, les dossiers, etc., de l’oublier bien vite.
Tem est donc un privé. Déjà, de nos jours, un privé, ça s’occupe surtout d’affaires de fesses, à filer des amants volages notamment (« I’ll nail your ass! »… pardon). C’est encore plus vrai dans ce monde d’après la Grande Terreur primitive, où l’humanité s’est assagie, et où crime et violence sont généralement de l’histoire ancienne. Mais il y a pourtant quelques exceptions ; et quand la belle bourgeoise Laura Sanifer vient contacter Tem dans un troquet parisien, c’est pour lui confier sa première enquête concernant un crime de sang : son frère, le fameux physicien Herbert Sanifer, vient d’être assassiné dans de mystérieuses circonstances ; on a retrouvé son corps exsangue, tué par balle, dans une chambre d’hôtel fermée de l’intérieur. Et Tem de se lancer dans cette sale histoire, avec à ses côtés sa secrétaire très particulière, une aya communiste et facétieuse du nom de Gloria. Une « chambre close »… Quoi de mieux pour se mettre dans les pas de Nestor Burma ?
…
Alors bon.
Commençons par la dimension polardeuse. Ben ici, franchement, en ce qui me concerne, le bilan n’est pas très glorieux. J’avoue ne pas raffoler des mystères à base de « chambres closes », dont la résolution me paraît le plus souvent décevante (d’ailleurs, je me suis fait chier comme un rat mort à la lecture du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, classique du genre s’il en est…). Mais, ici, la question ne se pose pas vraiment : il n’y a en effet guère de « mystère » dans cette « chambre close », tant le contexte science-fictif comme le titre donnent la clé de « l’énigme » (aha) avant même que l’on entame le roman (même pour une bille comme moi, c’est dire)… Restent à mettre en lumière les circonstances exactes, et surtout à identifier l’assassin. On se retrouve donc très vite devant un whodunit de base. Ce qui ne serait pas forcément gênant… si l’enquête n’était pas aussi laborieuse, et sa résolution « malhonnête ». Bon, il faut dire que Tem n’est pas un détective particulièrement doué : les âmes charitables diront de lui qu’il est « inexpérimenté » ; les autres diront qu’il est surtout un peu con… Un bien beau loser, ce qui joue plutôt en sa faveur (en tant que personnage, veux-je dire…). Mais, à son manque effarant de méthode, il faut hélas ajouter de nombreux rebondissements pas toujours très crédibles (au passage, dans ce monde s’acheminant vers la non-violence harmonieuse et tout et tout, il y a tout de même beaucoup de cadavres, sans que ça ne choque personne) et quelques digressions pas forcément bienvenues ; les « fausses pistes » sont énormes, avec quelques personnages trimballant tout au long du roman un panneau clignotant « Je suis un suspect ! Regardez-moi, regardez-moi, je suis quand même très très suspect ! » excluant leur culpabilité, et la résolution de l’enquête par Tem tient à peu de choses près de l’intervention divine (la conclusion est d’ailleurs passablement expédiée). Autrement dit, si La Balle du néant n’était « qu’un » polar, on pourrait très légitimement le qualifier de médiocre, pour ne pas dire franchement mauvais.
Heureusement, il est d’autres éléments qui jouent en sa faveur, et remontent quelque peu le niveau. Et en premier lieu Tem, qui est un très bon personnage : un crétin de loser tragicomique, pas vraiment héroïque, mais/et donc terriblement sympathique. Clichés et bonnes idées s’équilibrent bien chez lui, ses gimmicks sont bien vus (le borsalino vert fluo m’a beaucoup plu...), et on s’y attache, tout simplement. C’est hélas, le seul bon personnage du roman : pour Gloria, je suis assez partagé (elle est tantôt amusante, tantôt lourdingue, comme bon nombre des – nombreux – traits d’humour qui parsèment le roman), tandis que la plupart des victimes/suspects/témoins/potes sont épais comme du papier à cigarette (et en premier lieu Michel Viard, pour le coup vraiment trop cabot à mon goût).
Au-delà, ce sont les aspects les plus science-fictifs qui sont les plus intéressants, et permettent d’éviter le naufrage. On pourra notamment relever quelques très bonnes idées pour ce qui est des Talents : la transparence, bien sûr (superbe concept qui contribue énormément à faire de Tem ce très chouette personnage, et dont l’auteur joue assez habilement), mais aussi, par exemple, la métanoia psychique (je suis fan…). Je suis plus partagé pour ce qui est de l’univers : une certaine atmosphère s’en dégage, mais tout cela reste encore bien flou… Cette idée d’une « humanité assagie », ainsi que je l’avais déjà évoqué en parlant de Cette crédille qui nous ronge, me paraît toujours très improbable, mais, après tout, je ne demande qu’à être convaincu, et le roman n’insiste de toute façon guère sur ce thème (je suppose qu’il deviendra plus important dans les volumes ultérieurs). La Psychosphère, par contre (et sans doute parallèlement), encore à peine esquissée, m’a l’air fort intéressante ; et il en va de même pour la thématique des Tribus (avec ses dérives sectaires et leurs signes de ralliement). Et pis y’a la droge, bien sûr.
…
« Y’en a un peu plus, je vous le mets ? » Allez. Le roman est complété par une nouvelle intitulée « S’il n’était vivant » (pp. 165-184), basée sur un prétexte passablement dickien, avec des vrais morceaux de secte millénariste (au sens strict…) dedans. Sympa, mais sans grand intérêt ; et Tem se présentant à nouveau aux lecteurs, on n’échappe pas à quelques redites. Si l’on ajoute que le roman est introduit par un « Prologue » (pp. 7-17) que j’avoue avoir trouvé assez maladroit, dans la mesure où il ne se rattache que difficilement à ce qui nous est raconté par la suite (Tem nous y est « présenté » pour la première fois… mais le petit couillon que l’on croise dans ces pages n’a pas grand chose à voir avec le privé au borsalino fluo. Le « Prologue » ne consiste en fait qu’en une longue présentation du Talent de transparence ; le seul autre lien que l’on pourrait faire avec la suite, c’est Gloria, et ça tient en une ligne…), et si l’on tient compte des nombreuses digressions pas toujours très utiles de La Balle du néant (tout ce qui se rattache de près ou de loin à « Vieille Branche » me paraît superflu, et la « quête » de Tem s’interrogeant sur la Grande Terreur et la Psychosphère auprès de Viard ne s’intègre pas toujours très bien dans le fil du récit), on a quand même au final l’impression d’un roman, non seulement bancal, mais surtout passablement « artificiel », et n’atteignant la longueur requise qu’au prix d’expédients voyants et pas très glorieux. Une manière de « tirer à la ligne » sur seulement 184 pages… encore que l’expression ne soit pas très appropriée : non, on n’a pas le temps de s’ennuyer, et même si l’enquête est poussive, même si le cadre est flou, on trouve bien de temps à autre un petit quelque chose d’intéressant. Ne serait-ce que Tem.
Ce qui justifiera au moins une deuxième tentative, que j’espère plus convaincante. Mais, pour ce premier contact, je ne peux que m’avouer déçu…
Commenter cet article