"Preacher", t. 4. "Histoire ancienne", de Garth Ennis, Steve Pugh, Carlos Ezquerra & Richard Case
ENNIS (Garth), PUGH (Steve), EZQUERRA (Carlos) & CASE (Richard), Preacher, t. 4. Histoire ancienne, préface de Garth Ennis, Saint-Laurent-duVar, Panini France, coll. Vertigo Cult, [1996-1998] 2008, [n.p.].
Retour à Preacher, après mon putain de compte rendu miteux du putain de troisième tome. Ce quatrième volume de la cultissime série de Garth Ennis est quelque peu spécial, dans la mesure où ce bon vieux Jesse Custer n’y apparaît pas du tout (à peine si lui et ses infréquentables complices sont mentionnés en passant, à une occasion) ; par ailleurs, Steve Dillon, le dessinateur attitré de la saga, a cette fois laissé son crayon à Steve Pugh, Carlos Ezquerra et Richard Case. La raison en est simple : Histoire ancienne compile trois histoires « spéciales », des sortes de spin-off consacrés à des personnages secondaires de la saga, qui continuait normalement en parallèle. Pas d’inquiétude, donc. Et réjouissons-nous plutôt d’en apprendre un peu plus sur le mystérieux Saint des Tueurs, sur l’impayable Tête-de-Fion, et sur les immenses Jody et T.C.
La première saga, et la plus longue (quatre épisodes), sobrement intitulée « Le Saint des Tueurs », est un western fantastique lourd d’influences : Garth Ennis, dans sa préface, parle notamment de Clint Eastwood, et il est vrai qu’à la lecture de cette épopée on ne peut que penser à Pour une poignée de dollars, et plus encore à L’Homme des hautes plaines et à Impitoyable, films cette fois réalisés par « le manchot ». Mais autant vous prévenir tout de suite : si le western, pour vous, se limite aux vieux classiques hollywoodiens du mythe de la Frontière, où les cadavres, s’ils se ramassent à la pelle, s’effondrent dans le sable sans verser une goutte de sang, passez votre chemin ; même au XIXe siècle et sans Jesse Custer (un nom décidément prédestiné, quand on y pense ; mais il est vrai que Preacher, même au XXe siècle, est à sa manière un western…), Preacher reste Preacher : une BD outrancière, gore, trash et profondément subversive. Ici, plus encore que dans les meilleurs westerns spaghettis, les cow-boys sont des enflures psychopathes, le sang et l’alcool coulent à flots, et le temps des légendes cède la place au temps des massacres. « Pour lecteurs avertis », hein. Vous êtes avertis. Le Saint des Tueurs ressemble beaucoup au personnage incarnée par Clint Eastwood dans Impitoyable, référence avouée : un salopard de la pire espèce, tueur sans foi ni loi, qui est par une espèce de miracle parvenu à se ranger ; mais il ne pourra pas éternellement combattre sa nature sauvage et réfréner ses pulsions meurtrières… Dans un enfer blanc de blizzards et de tueries, le vieux cow-boy va bien vite retrouver sa furie légendaire, et la puissance de sa haine sera telle que le Diable et l’ange de la mort eux-mêmes auront à faire avec… Pour ce qui est du scénario et de l’écriture, c’est tout simplement génial : Ennis n’a jamais été aussi bon que sur Preacher, et nous le prouve une nouvelle fois. Je regretterai, hélas – mais c’est un avis tout personnel – que le dessin de Steve Pugh ne se montre pas à la hauteur ; disons, plus précisément, que son style confus et excessif – et notamment très très très gore – ne me semble pas coller vraiment à l’histoire… Aussi, l’épisode dessiné par le bien autrement convainquant à mon goût Carlos Ezquerra fait-il d’agréables vacances…
Deuxième histoire, « La Saga de Vous-Savez-Qui », dessinée (dans un style bien différent, et pouvant évoquer un Mignola en moins noir) par Richard Case, nous rapporte les origines de Tête-de-Fion. Et, comme on pouvait s’y attendre, ce n’est « pas vraiment drôle ». D’autant que ce récit, totalement dénué de fantastique, s’inspire d’une histoire vraie (même si ce n’est pas mentionné ; mais l’apparence de Tête-de-Fion, pour qui connaissait l’anecdote, était assez évocatrice…) : Garth Ennis nous impose ainsi une insoutenable plongée dans ce que l’Amérique profonde a de plus sordide et répugnant, avec une complaisance macabre qui a de quoi soulever l’estomac. Une tragique mise en scène de la connerie humaine, débordant de flics fachos, de bigots infects et de jeunes crétins… Très fort.
Après cette descente aux enfers américains, on a bien besoin de sourire un peu. Retour dans l’Amérique la plus dégueulasse, toujours sans fantastique, mais versant marrant, cette fois, avec « Les Gars du pays », aventure dessinée par Carlos Ezquerra, et consacrée à une saynète de la vie de T.C. et Jody, les deux pires rednecks de la longue généalogie consanguine des rednecks. Et c’est à mourir de rire, pour peu qu’on ait l’estomac bien accroché. Il faut quand même les voir, l’enculeur de poules/poissons/vaches/toutes-choses-dans-lesquelles-on-peut-trouver-ou-faire-un-orifice et son camarade psychopathe, se démerder dans cette aventure bizarre, là encore lourde de références (nettement moins prestigieuses...), les amenant à croiser un pauvre con qui se prend pour un héros parce qu’il a une belle gueule (mais il bande mou quand même), une ancienne top model devenue avocate et qui est bien évidemment tombée sur une cassette (cachée dans sa culotte, ben oui) compromettante pour un terroriste (vraiment très) mal embouché du nom de Saddam Hopper, ce qui ne s’invente pas (sa sortie est remarquable, mais manque quelque peu de dignité). C’est complètement con, hilarant de bout en bout, et débordant de ce réjouissant mauvais goût (éventuellement scato) caractéristique de la série de Garth Ennis dans ce qu’elle a de plus délicieusement sale et glauque. J'en veux encore.
Merci, m’sieur Ennis. Un jour, vous l’aurez, votre putain de statue. Et je n’ose imaginer ce que des pervers pourraient bien en faire, mais je ne doute pas que vous ayez quelques idées à ce sujet.
Commenter cet article