"Seigneurs de lumière", de Roger Zelazny
ZELAZNY (Roger), Seigneurs de lumière, traduit de l’américain par Claude Saunier, Mélusine Claudel et Luc Carissimo, traductions révisées et complétées par Thomas Day et Luc Carissimo, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [1967, 1969, 1972, 1975, 1982, 1983, 2009], 815 p.
La propagande tétardienne m’avait, il y a de cela quelque temps, imposé la lecture d’Une rose pour l’Ecclésiaste de Roger Zelazny, et j’avais dû m’incliner devant les faits : c’était bien un très bon recueil de nouvelles, témoignant assurément de ce que le mauvais souvenir que m’avait laissé le long « cycle d’Ambre » ne devait pas m’empêcher de prospecter à nouveau du côté de cet auteur. Aujourd’hui, c’est la propagande thomasdayenne qui entend enfoncer le clou, avec ce beau et gros Seigneurs de lumière, inaugurant un vaste chantier de rééditions zélazniennes. Trois romans imprégnés de mythologie – le domaine de prédilection de l’auteur –, qui réclament (euh…) donc aujourd’hui un avis définitivement nébalien.
Commençons donc par le Seigneur de lumière qui donne (plus ou moins) son titre à l’omnibus. Ici, ce sont les mythologies hindouiste et bouddhiste qui passent à la casserole. Dans un lointain futur, Zelazny nous décrit une planète dominée par une vigoureuse théocratie : les « Premiers » colons humains, forts de leur science, se sont faits dieux du panthéon hindouiste, ont asservi la population indigène, et maintiennent la population humaine dans l’ignorance la plus totale et la pire des stagnations intellectuelles (« c’est pour leur bien », évidemment). Mais voici qu’un des Premiers, rebelle et facétieux, donne le signal de la révolte prométhéenne : on l’appelle Seigneur de lumière, Siddhartha, Bouddha, ou encore Sam… Et il entend bien mettre à bas le joug théocratique de ses camarades.
Qu’on ne s’y trompe pas : Seigneur de lumière est bien un roman de science-fiction, non de fantasy ; mais, dans sa manière de triturer les mythes et de traiter des divinités, il se pare d’atours épiques qui lui donnent un ton assez unique. Le rythme, nonobstant la pompe des discours – et les brusques mais savoureux changements de registre – se fait d’ailleurs frénétique, les affrontements « divins » s’enchaînant sans cesse dans un tourbillon de hauts-faits tous plus considérables les uns que les autres. Zelazny joue adroitement des mythes hindouistes et bouddhistes, avec le sourire étrange de son héros, et son roman, pour être déstabilisant au premier abord, se révèle bien vite passionnant, impressionnant de finesse et d’astuce. Cela dit, l’emphase générale peut ennuyer…
Et c’est à vrai dire un problème que l’on retrouvera en pire dans les deux autres romans constituant cet omnibus, à mon avis bien inférieurs à cette brillante entrée en matière. En effet, Zelazny, que la quatrième de couv’ présente comme un des « plus grands stylistes » de la science-fiction, multiplie les expérimentations littéraires – typiques de la « new wave » ? – dans ces trois romans, et avec plus ou moins de réussite ; mais le brio de la forme – d’ailleurs contestable : on peut n’y voir qu’artifice et lourdeur… – accuse quelque peu son âge (toute une époque…), et ne parvient pas toujours à emporter l’adhésion, a fortiori si le fond fait défaut.
En témoigne d’une certaine manière immédiatement Royaumes d’ombre et de lumière, le plus bref de ces trois romans « mythologiques », dans lequel Zelazny s’amuse cette fois avec le panthéon égyptien. Mais si début du roman est brillant, et bien digne de Seigneur de lumière – meilleur encore, si ça se trouve ? –, les péripéties expédiées de cette sombre histoire d’affrontement millénaire entre Osiris et Anubis (entre autres…) lassent bien vite, s’enchaînant sans véritable logique, et donnant au roman un triste goût d’inachevé. Un ouvrage fait de bric et de broc, qui contient quelques moments réjouissants, mais ne se montre pas convaincant en définitive…
Le cas du dernier de ces romans, le bien plus récent L’Œil de Chat, est un peu différent. Ce sont alors les mythes navajos qui trinquent, mais l’histoire n’a pas la majesté et le grandiloquent des deux romans précédents. Dans le fond, il s’agit en effet d’une histoire de chasseur chassé, un pisteur navajo étant poursuivi par une mystérieuse créature du nom de Chat, télépathe et métamorphe, dont il ne peut guère se protéger qu’en retrouvant au fond de lui même une forme de mentalité archaïque, de « pensée sauvage ».
Le rythme est à nouveau très soutenu, ce qui est plus approprié à cette trame qu’à celles des deux romans précédents. Pourtant, je ne cacherai pas m’être profondément ennuyé à la lecture de ce roman, malgré quelques hausses de tension de temps à autre. Mais la forme, multipliant à nouveau les expériences, m’a cette fois franchement agacé. Si l’on en excepte quelques-unes – le « zapping » à la Tous à Zanzibar, notamment –, le reste m’a donné une triste impression de formule, d’artifice, ne collant en définitive guère au sujet, et n’apportant pas grand chose au roman…
Bilan contrasté, donc, pour ces trois romans « mythologiques », dans lesquels je compterais pour ma part une vraie réussite, et deux tentatives bancales. Si, au-delà des variations mythologiques, la pompe et les expérimentations littéraires datées ne vous rebutent pas, nul doute que vous saurez trouver votre bonheur dans ce gros volume. Quant à moi, j’avoue que la déception domine, et que ma curiosité quant à l’œuvre zélaznienne s’en ressent : j'ai toujours tendance à voir en lui un écrivain surestimé... Peut-être serai-je plus convaincu par les nouvelles de l’auteur, comme dans Une rose pour l’Ecclésiaste ? On verra bien…
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