"La Fontaine de jouvence", de Philippe Ward
WARD (Philippe), La Fontaine de jouvence. Une aventure de Gilles de Grandin, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2004, 148 p.
Voilà un roman que j’ai longtemps hésité à chroniquer. Si je m’y suis finalement résolu, c’est parce que je ne parvenais pas à justifier à mes propres yeux ce « traitement exceptionnel » un peu hypocrite ; et puis, on dit souvent (mais peut-être est-ce une idée reçue ?) que le pire tort que l’on puisse faire à un livre est de ne pas en parler… Mais voilà, je savais bien que cela n’irait pas sans poser quelques problèmes : pour dire les choses clairement, je n’ai pas du tout aimé La Fontaine de jouvence, et j’ai trouvé ça vraiment très mauvais. En temps normal, j’aurais très probablement montré les crocs et entamé un démontage en règles, du genre cruel et éventuellement puéril, mais qui défoule. Après tout, ça m’est arrivé à l’occasion…
Seulement, cette fois, je ne peux pas faire le meuchant ; je n’en ai pas le moins du monde envie, et cela ne me paraîtrait pas du tout légitime. Que Philippe Ward, dont je vous avais dit beaucoup de bien en évoquant son très bon Noir Duo coécrit avec Sylvie Miller, et qui m’a gratifié ici une nouvelle fois d’une fort aimable dédicace, soit quelqu’un de très sympathique, a sans doute joué un certain rôle ; que sa collection Rivière Blanche, dont La Fontaine de jouvence fut un des tout premiers titres, soit un projet original, honnête et courageux, idem. Mais la vérité, cependant, est ailleurs (of course) : si je ne peux pas massacrer La Fontaine de jouvence, c’est tout simplement parce que ce très court roman, à l’évidence, n’était pas pour moi, que j’en ai été prévenu, et qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise (et comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises lors de mes récurrentes fulminations quasi pyromanes, c’est avant tout la tromperie qui m’agace ; voyez par exemple Eon ou La Théorie des cordes). Et c’est bien pourquoi je ne peux pas dézinguer ce roman : ce serait un peu comme de demander à un intégriste puritain de chroniquer un porno gonzo, à un anti-communiste acharné de parler du Cuirassé Potemkine, au Mahatma Gandhi ce qu’il pense de Brain Dead et des films d’auto-défense de Charles Bronson, à Rameau son opinion sur Ornette Coleman, Throbbing Gristle ou Merzbow, à Joris-Karl Huysmans son avis sur Oui-Oui et la voiture jaune. Quelque part, ça coince. La valorisation de la supposée « critique objective » révèle bien ici sa vacuité, sa tendance à l’imposture. Si je devais en rester à l’objectivité, ça serait vite expédié : intrigue ridicule, personnages grotesques, style à pleurer. Hop, fini, poubelle (… enfin, non, je ne jette jamais les livres à la poubelle ; tout ça, c’est une expérience de pensée, hein). Et ça serait absurde, ce serait passer complètement à côté de l’essentiel : avec La Fontaine de jouvence, Philippe Ward n’a jamais eu la prétention d’écrire un chef-d’œuvre de la littérature contemporaine, raffiné, subtil et profond ; il a voulu écrire un divertissement populaire, hommage aux « grands anciens du Fleuve Noir », et en premier lieu à Jimmy Guieu, à qui le livre est dédié. Et j’étais curieux de voir ça, surtout après avoir lu plusieurs critiques enthousiastes… mais peut-être un brin copineuses.
Avec La Fontaine de jouvence, on est en effet en plein dans la SF à papa, naïve et excessive, et mêlant allègrement tout et n’importe quoi, avec une louche d’ésotérisme, de parapsychologie et d’archéologie mystérieuse.
« (1) Authentique. »
C’est que l'auteur était un grand admirateur de Jimmy Guieu, qui l’a encouragé dans la voie de l’écriture il y a trente ans de cela. Et le jeune Philippe Ward, alors âgé de 17 ans, de se lancer aussitôt dans la rédaction d’un premier jet de La Fontaine de jouvence.
« (2) Authentique » ?
Dans tous les cas, La Fontaine de jouvence trouve tout naturellement sa place, en 2004, chez Rivière Blanche. Au programme : l’inévitable Atlantide, et tant qu’à faire l’inévitable Fontaine de jouvence du titre ; d’inévitables OVNI, d’inévitables méchants vraiment très très méchants, d’inévitables conspirations à l’échelle mondiale, une inévitable amourette, et un inévitable héros à l’ancienne, à la OSS 117 et compagnie. Gilles de Grandin (destiné à réapparaître dans d’autres romans, qu’ils soient de Philippe Ward ou non) emprunterait donc au Gilles Novak de Jimmy Guieu et au Jules de Grandin de Seabury Quinn ; une sorte d’Indiana Jones avec un budget effets spéciaux très réduit et nettement moins charismatique, archéologue nécessairement rejeté par la communauté scientifique parce qu’il SAIT que la vérité est ailleurs.
« (3) Authentique. »
A partir de là, tout va très vite. Gilles de Grandin est mystérieusement contacté par un mystérieux contact, qui lui suggère de se rendre dans la mystérieuse île de la Jamaïque, où un mystérieux tremblement de terre a fait apparaître de mystérieuses statues (p. 10). A peine est-il descendu de l’avion que Gilles de Grandin manque périr dans un mystérieux attentat (p. 12) ; puis il rencontre la jolie ethnologue Elaine Garvey (p. 14) et voit un mystérieux OVNI (ibid.) ; puis tous deux sont enlevés par de mystérieux individus prétendant descendre des mystérieux Atlantes (p. 16) et qui comptent bien mettre leur mystérieuse main sur la mystérieuse Fontaine de jouvence (p. 18). Etc.
« (4) Authentique. »
Vous l’aurez compris, on ne fait pas ici dans l’introspection, et encore moins dans les descriptions balzaciennes interminables. Primauté à l’action, aux rebondissements à chaque page ou presque, un peu comme dans Tintin : on pense d’ailleurs assez à Vol 747 pour Sydney, même si la thématique atlante, pour rester dans la ligne claire, évoque encore davantage Blake et Mortimer... en beaucoup moins convaincant à mon goût. Intrigue inepte et puérile, « cadre » pulp au possible, personnages monolithiques tout droit tirés de comics de « l’âge d’or »… Tout cela est d’une profonde naïveté plus ou moins rafraîchissante, et l’on sourit régulièrement devant tel ou tel cliché, telle ou telle réplique que l’on n’osait plus employer depuis les années 1950, façon « J’ai bien cru que mes poumons allaient éclater ! », et, bien sûr et surtout, les récurrentes digressions anecdotiques sur le paranormal et le mystérieux, « (5) Authentique » comme chez Guieu. Qualité France.
Alors, non, il n’y a pas tromperie sur la marchandise ; et je ne doute pas que les fans de Jimmy Guieu pourront trouver un certain plaisir régressif à lire cette Fontaine de jouvence, le même, probablement, qu’a pu ressentir Philippe Ward à l’écrire. Peut-être certains tout jeunes lecteurs pourraient-ils aussi y trouver leur bonheur (mais encore faudrait-il qu’ils puissent mettre la main dessus…). Mais quant à moi, je suis bien obligé de reconnaître que, ben non, c’est pas ma came, comme y disent les djeuns. C’est trop naïf pour le coup ; jusque dans l’écriture, et c’est sans doute cela qui m’a été fatal. Philippe Ward a su montrer dans d’autres circonstances qu’il pouvait avoir une belle plume, mais ce n’est certainement pas avec La Fontaine de jouvence que l’on pourra l’apprécier : le style est ici minimal et lourd, niais et maladroit, un peu comme dans une rédac’ d’un collégien enthousiaste mais moyennement doué qui se serait lâché. Autant dire que cela fait régulièrement saigner les yeux et les oreilles. Et le très grand nombre des coquilles (j’ai bien vite arrêté de les relever…) n’arrange certainement rien à l’affaire. Bref, je me suis passablement ennuyé en dépit (ou à cause ?) des rebondissements multiples et du rythme trépidant, et j’ai quelque peu peiné à lire ce roman heureusement très court.
Un roman qui n’était pas pour moi, donc. Je n’ai pas aimé, non. Pas du tout. Mais je ne peux pas être « honnêtement » méchant ; j’espère ne pas l’avoir été…
« (6) Authentique. »
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