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"Arachne", de Jean-Daniel Brèque (dir.)

Publié le par Nébal


BRÈQUE (Jean-Daniel) (dir.), Arachne. Sept contes de fantastique et de terreur modernes, choisis et présentés par Jean-Daniel Brèque, traductions de Pierre-Paul Durastanti et Jean-Daniel Brèque, La Valette, Arachne, 1984, 151 p.

Tiens, aujourd’hui, pour une fois, je vais faire dans le collector velu. Mais alors velu de chez velu. Du genre que je n’aurais probablement jamais mis la main dessus (et que je n'en aurais même pas entendu parler, d'ailleurs) en temps normal. Un témoignage d’un beau projet éditorial du milieu des années 1980, initié par (l’immense, on ne le répétera jamais assez) Jean-Daniel Brèque. Une petite maison d’édition (plus ou moins associative, à ce que j’en ai compris) du nom d’Arachne, destinée à promouvoir le fantastique et la terreur modernes.

 

Genres qui m’ont toujours été chers, et dont je ne peux que déplorer qu’ils soient aussi délaissés. Aujourd’hui plus que jamais, sans doute : finis, les Pocket Terreur et autres Territoires de l’inquiétude ; en dehors du Stephen King annuel et d’une ou deux sorties de temps à autre hors collection (par exemple, le fantabuleux, sublime, extraordinaire Terreur de Dan Simmons, traduit par devinez qui), et (allez) une ou deux nouvelles dans telle ou telle revue passablement confidentielle, il n’y a à peu près rien, nothing, zobi, nada (les récurrents navets vampiriques de base ne comptent pas, soyons sérieux). La seule collection « visible » dédiée au genre est, à ma connaissance, l’Ombre de Bragelonne (lisez Mélanie Fazi ; lisez Gudule). Ailleurs, on répète que le fantastique et la terreur, ça ne se vend pas, ça n’intéresse personne, blah blah blah. Bon, je veux bien le croire, hein (même si – je sais, je me répète –, vu le regain d’intérêt pour le cinéma d’horreur ces dernières années, et les pulsions vampirico-morbides des jeunes gogoths, j’avoue être un peu sceptique). Mais voilà : moi, ça m’intéresse, merde !

 

Hélas, mille fois hélas… Jean-Daniel Brèque, à la fin de sa (très) brève « Introduction » (p. 5), nous donne « rendez-vous, bientôt [espère-t-il], pour Arachne 2 ». Mais cette nouvelle anthologie n’a jamais vu le jour… Et Arachne n’a eu à son catalogue, outre ce recueil, qu’une nouvelle illustrée de Michael Bishop, La Fiancée du Singe, dont je vous parlerai un de ces jours. Dommage…

 

D’autant que la qualité était au rendez-vous. Certes, si l’on se contente de feuilleter distraitement Arachne, on pourrait en douter : couverture cartonnée marron, ignoble typo machine à écrire qui pique d’autant plus les yeux qu’elle n’est pas justifiée… Pas de doute, ça sent le fanzinat. Mais un coup d’œil au sommaire suffit pour s’intéresser à la bête : parce que, quand même – pour m’en tenir aux noms que je connaissais déjà, moi l’inculte –, Michael Bishop, Fritz Leiber et Ramsey Campbell. Eh oui. Tout de même.

 

Quatre des sept nouvelles composant Arachne sont anglo-saxonnes (et traduites par Jean-Daniel Brèque, sauf celle de Ramsey Campbell, traduite par Pierre-Paul Durastanti ; pas les pires traducteurs, quoi), les trois autres étant le fait d’auteurs français plus ou moins débutants. Initiative louable, mais là, je dois dire que nos compatriotes ne s’en tirent pas très bien. Évacuons donc.

 

Gérard Coisne (essentiellement traducteur, pour ce que j’en ai compris) nous livre avec « Par où êtes vous entré ? » (pp. 23-45) un conte fantastique assez bancal, qui aurait pu être intéressant, mais ne parvient pas à convaincre. Une enquête laborieusement administrative peu aidée par une plume un tantinet affectée, s’achevant tout à coup dans une (bien trop brève, hélas) séquence fantastique lourde d’effluves gothiques façon Hammer. Cela aurait pu être amusant, mais les deux parties s’emboîtent mal, et la sauce ne prend pas. Dommage…

 

« Les Crabes dans la neige » (pp. 81-91) est, à en croire la brève présentation de Jean-Daniel Brèque, le premier texte publié de Nathalie Rimlinger. Et c’est aussi le dernier, si l’on doit se fier aux zélés catalogueurs de la NooSFere (m’sieur Brèque mentionnait pourtant une autre nouvelle… ?). Et, pardon, mais peut-être est-ce tant mieux. Parce que le fait est que c’est vraiment pas bon. Un style très lourd, maladroitement prétentieux : c’est tout ce que j’ai pu retenir de cet ennuyeux « conte de Noël ». Levons un voile pudique sur ce ratage, de très loin le moins bon texte de cette anthologie en ce qui me concerne.

 

Finalement, c’est peut-être Christian Cogné qui s’en tire le mieux, avec « Le Jeu des remparts » (pp. 121-142) : une, heu, road-story en forme d’hommage (plus ou moins désabusé) à la beat generation, avec quelques passages sympathiques, même si ce personnage de routard capitaliste peut laisser perplexe, voire agacer. Honnête, cela dit.

 

Mais, pas de doute, l’intérêt (comme la vérité) est ailleurs, et ce sont sans surprise les auteurs bien autrement chevronnés d’outre-Manche et d’outre-Atlantique qui font d’Arachne une anthologie tout à fait recommandable.

 

Deux bons textes, déjà : celui de Charles L. Grant, « Damon » (pp. 7-21), d’abord une assez émouvante histoire familiale traitant de l’amour quand il n’est pas partagé, et sombrant progressivement dans la terreur la plus glaçante. Très efficace, une bonne entrée en matière pour l’anthologie.

 

Parallèlement, le Britannique Ramsey Campbell (qu’on a connu plus ou moins en forme, que ce soit dans ses pastiches lovecraftiens ou dans ses textes plus directement « mainstream horror ») fournit une bonne conclusion à Arachne avec « Les Téléphones » (pp. 143-152), une nouvelle d’horreur paranoïaque également placée sous le signe de l’efficacité.

 

Mais j’ai gardé le meilleur (à mes yeux, en tout cas) pour la fin. Le vétéran Fritz Leiber nous offre avec « Ailes noires » (pp. 93-120) une variation sur le thème classique du double en forme de mauvaise blague névrotique teintée d’érotisme et de perversion. C’est d’un goût douteux, et pourtant délicieux.

 

Mais c’est Michael Bishop qui remporte la partie avec « Les Murailles de Tyr » (pp. 47-79), une nouvelle horrible d’humanité et de tendresse, émouvante, et d’autant plus insoutenable. L’intrigue est capillotractée, mais peu importe : le malaise et la cruauté qui suintent de ce texte brillamment écrit emportent l’adhésion. Une vraie réussite.

 

Aussi, au final, si la partie francophone se révèle tristement faible, la partie anglo-saxonne vaut franchement le détour, et fait d’Arachne un recueil très recommandable.

 

Alors maintenant, j’attends Arachne 2.

Hop.

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